Université d'Alger Faculté des Sciences Politiques et de l’Information Département des Sciences Politiques et des Relations Internationales Les alliés euro-atlantiques dans l’après-guerre froide : Convergences et rivalités en Méditerranée Thèse de doctorat d'Etat en Sciences Politiques Présentée et soutenue publiquement par Amina-Hizia Souibès-Bougherara Directeur de recherche : Monsieur le Professeur Ouelhadj Ferdiou Membres du jury : Abdelaziz Djerad, Mustapha Benabdelaziz, Abdelkader Mahmoudi Mohand Melbouci Novembre 2006 Sommaire 1 Abréviations 10 Introduction générale 12 Première partie. Les forces transatlantiques en mutation 34 Chapitre 1. L’environnement géopolitique mondial 42 dans le contexte de la fin de la guerre froide Section 1. L’effondrement de l’ordre bipolaire 46 Paragraphe 1. La modification des rapports Est-Ouest 47 A. Potentiel de défense des pays de la CEI 48 1. L’arsenal militaire conventionnel 49 2. Les armes stratégiques 50 B. Les forces militaires euro-atlantiques 52 1. La restauration de l’équilibre stratégique des forces de l’OTAN 53 2. Evolution de la stratégie américaine 54 Paragraphe 2. Les forces occidentales et la fin de la guerre froide 56 A. Les nouveaux bouleversements géostratégiques 57 1. Quelques cas de conflits dans la zone Sud 59 2. La nouvelle architecture sécuritaire de l’Occident 62 B. La convergence entre l’UEO et l’OTAN 64 1. Les questions conventionnelles 67 2. La défense franco-allemande 68 Section 2. Le renouveau de la puissance américaine 69 1 Paragraphe 1. Fondements au niveau interne et externe 72 de la politique américaine - La conception de la menace et de la riposte A. La théorie du déclin américain B. Une hégémonie qui se succède à elle-même 74 1. La notion de nation hôte 76 2. Sécurité et stabilité 77 Paragraphe 2. Perspectives américaines des conflits dans le Sud et à l’Est 79 et leur implication internationale A. Le nouveau concept de sécurité B. Le concept de « Grey Areas » ou zones à hauts risques, de l’Est au Sud 83 Chapitre II. Le bouleversement des rapports de force en Méditerranée 89 Section 1. La sécurité en Méditerranée 96 Paragraphe 1. Les nouvelles donnes sécuritaires 97 A. La fin du rôle de l’URSS 98 B. La course aux armements 100 Paragraphe 2. Le renforcement de la présence américaine 103 A. Les forces américaines en Méditerranée 104 B. Contrôle des voies d’approvisionnement énergétique 105 Section 2. La restructuration du Flanc Sud de l’OTAN 107 Paragraphe1. La logique du Sea Power ou puissance maritime A. Le contrôle de la force sur l'espace maritime 108 B. Le principe de la division des tâches ou burden sharing 109 1. La division des tâches sécuritaires 2. La diplomatie américaine 112 3. Les nouveaux concepts stratégiques de l’Otan 114 4. L’identité européenne de sécurité et de défense 116 Paragraphe 2. La révision du Schéma opérationnel 118 A. Les nouveaux plans opérationnels de l’OTAN 119 1. La contre concentration 120 2 2. La mobilité opérationnelle 121 B. Les dispositifs aériens et les forces navales Section 3. Le déploiement de l’OTAN et de l’UEO 122 Paragraphe 1. Un redéploiement militaire d’envergure 123 A. L’organisation des forces en Méditerranée 1. Les forces de défense principale 124 2. Les forces d’augmentation 125 3. Les structures de commandement 4. La nouvelle doctrine nucléaire 126 B. Les fonctions militaires spécifiques de l’OTAN en Méditerranée Paragraphe 2. L’évolution du rapport OTAN/UEO 128 A. La concertation stratégique 129 1. L’Espagne 130 2. La France 131 3. La Grèce 133 4. L’Italie 134 5. Le Portugal B. Les forces militaires de l’UEO 136 1. Les dispositifs militaires de UEO 137 a. Les structures des forces Eurofor-Euromarfor 138 b. La place de l’EUROFORCE dans le contexte politico-militaire 139 européen 2. Les missions de l’Eurofor – Euromarfor Paragraphe 3. La nouvelle politique de l’UEO en Méditerranée 140 A. L’UEO en Méditerranée B. Le rapport stratégique États-Unis / Europe 144 3 Chapitre III. L’évolution du partenariat euro-atlantique 146 Section 1 : Les activités transatlantiques en Méditerranée 149 Paragraphe 1. La perception occidentale des menaces venant des 151 pays du sud de la Méditerranée A. La perception occidentale des risques B. La gestion des crises 155 C. Les divergences entre alliés euro-atlantiques 157 Paragraphe 2. La nouvelle culture de sécurité en coopération 162 A. Le partenariat en Méditerranée 163 1. La réforme du commandement de l’Otan 164 2. Le partenariat pour la paix 165 B. La coopération euro-atlantique en Mer Egée et la contre-prolifération 165 1. Le renforcement de la coopération et de la stabilité dans la mer Egée 2. Le développement de la contre prolifération 169 Section 2. Le maintien de la paix en Méditerranée 171 Paragraphe 1. Le concept de sécurité globale A. Une application de la théorie de Clausewitz 172 B. Un cas d’étude : les structures de commandement 174 de l’armée française dans l’après-guerre froide Paragraphe 2. Les « confidence measures building " ( CMB) 177 ou mesures de confiance A. L’application des "mesures de confiance" ou CMB 178 1. Historique des CMB 2. Les CMB en Méditerranée 180 B. Activités euro-atlantiques 82 1. Le programme de partenariat individuel (IPP) 1998 pour l’Albanie: 4 une cellule de l’OTAN 2. Le partenariat pour la paix et la région des Balkans 183 3. Exercices des forces aériennes de l’OTAN dans les Balkans 4. Le partenariat méditerranéen euro-atlantique dans le domaine des forces amphibies 184 5 . Les opérations de soutien de paix dans la Méditerranée ou PSO Section 3. Mutation des relations euro atlantiques 185 Paragraphe 1. Le concept de « Peace Support Operation » ou PSO A. Caractéristiques des opérations de maintien de la paix 186 . B. OTAN/UEO ou 1+1 187 Paragraphe 2. Les champs et les limites de la compétition franco-américaine 190 A. Les relations franco-américaines 191 1. Historique 2. La guerre économique franco-américaine 195 B. Les relations dans le domaine de la défense 199 a. La nouvelle programmation militaire française 201 b. Les relations en Méditerranée 203 Conclusion de la première partie 206 Deuxième partie. L’Alliance atlantique : une perception rénovée de la Méditerranée 207 Chapitre 4. La vision prospective euro-atlantique 212 Section 1 : La représentation stratégique euro-atlantique du monde 213 Paragraphe 1- Typologie des conflits dans la grille conceptuelle occidentale 217 5 A. La perspective des conflits de haute et moyenne intensité 218 B. Quelques cas d’études 219 1. La guerre contre la Serbie 223 2. La guerre civile en Macédoine 224 3. La Serbie et le Monténégro 225 4. La guerre en Tchétchénie 226 5. La deuxième guerre irakienne 227 Paragraphe 2. Scénarios de l’évolution internationale 231 A. L’horizon 2000-2015 B. La Stratégie de Prévention 235 C. La guerre dite « chirurgicale » 237 D. Une application de la théorie des jeux 239 Section 2. La nouvelle politique sécuritaire occidentale 240 Paragraphe 1. La stratégie de sécurité européenne 241 A. Le multilatéralisme européen face à l’unilatéralisme américain B. L’idée de « communauté internationale » 243 C. L’Europe de la défense 245 Paragraphe 2. La stratégie de défense américaine 251 A. La défense régionale 252 B. La stratégie militaire américaine actuelle 254 Paragraphe 3. Un cas d’étude : La politique stratégique de la France dans le flanc sud 259 A. La politique étrangère de Jacques Chirac 260 1. La politique arabe 265 2. Les limites de la politique française dans les Balkans 270 3. Les perspectives du partenariat euro-méditerranéen 271 6 Chapitre 5. Les initiatives de l’OTAN face au dialogue euro-méditerranéen Section 1. L’agenda sécuritaire en Méditerranée 274 276 Paragraphe 1. Repenser la sécurité en Méditerranée 277 A. La notion de sécurité méditerranéenne 278 B. La spécificité des crises 279 Paragraphe 2. Le nouveau concept de sécurité 280 A.Les questions de « Soft security » ou de coopération B. La « Hard Security » ou sécurité de défense 283 Section 2. Les initiatives euroméditerranéennes de dialogue 287 Paragraphe1. Le partenariat euroméditerranéen 288 A. Historique B. La conférence de Barcelone de 1995 291 C. Le suivi de la Conférence de Barcelone 294 1. Coopération économique et financière 295 2. Coopération sociale et culturelle 296 3. Le partenariat politique et sécuritaire 297 Paragraphe 2. Les perspectives du rôle de l’Union européenne en Méditerranée 300 A. Le développement économique B. La démocratisation 301 Paragraphe 3. Les autres initiatives de dialogue 302 A. La CSCM, le 5 plus 5 et le Forum Méditerranéen 303 B. L’ACRS, le MENA, le dialogue de l’UEO et l’OSCE 305 C. Le « Forum de l’avenir » 308 Section 3. L’initiative méditerranéenne de dialogue de l’OTAN 309 Paragraphe 1. Pour une stabilité euroméditerranéenne 7 A. La décennie 1990-2000 310 B. Les perspectives de coopération 312 Paragraphe 2. Les perspectives sécuritaires pour le Maghreb 314 A. La Realpolitik dans le choix des partenaires 316 B. Le choix des pays Maghrébins 317 C. Domaine d’activités offertes par l’OTAN au Maghreb Chapitre 6. Le positionnement des pays du Maghreb 323 Section 1. Le Maghreb : une sous-région périphérique mais géostratégique 326 Paragraphe 1. Le réalignement du Maghreb 327 A. Des stratégies maghrébines économiques convergentes 328 B. L'atout pétrolier de l'Algérie 329 Paragraphe 2 : Les relations Algérie-Maghreb/Etats-Unis 333 A. Le contentieux algéro-marocain B. L’Algérie et les Etats-Unis 334 C. L’ensemble Maghrébin 335 Section 2 : Les pays de l’UMA partenaires du dialogue de l’OTAN 337 Paragraphe 1 . L’intégration régionale des pays maghrébins 338 A. L’ambiguïté du dialogue méditerranéen de l’OTAN 339 B. Des cas spécifiques : Maroc, Tunisie, Mauritanie, Libye 340 1. Maroc 341 2. Tunisie 343 3. La Mauritanie 345 4. La Libye 348 Paragraphe 2. Le rapprochement inédit de l’Algérie avec l’OTAN 350 A. Le « Background » de la guerre froide 351 B. Pour des avantages comparatifs avec l’OTAN 353 8 Section 3. La « Soft security » américaine mise en œuvre au Maghreb 356 Paragraphe1. La néostratégie américaine au Maghreb 357 A. Historique des relations américano maghrébines B. La stratégie maghrébine des États-Unis 359 Paragraphe2. Le partenariat maghrébo-américain et ses implications pour l’Algérie 364 A. Une stratégie régionale américaine 1. L’Initiative EIZENSTAT 366 2. Le projet du Grand Moyen Orient 372 B. La coopération algérienne avec l’OTAN 373 Paragraphe 3. L’impact de la guerre irakienne sur le Maghreb 378 Conclusion de la deuxième partie 380 Conclusion générale 383 Bibliographie générale 401 Annexes 412 9 Liste des abréviations ABM : Anti-Ballistic Missile ACP : Afrique-Caraibes-Pacifique ( pays ACP) AELE : Association européenne de libre-échange AIEA : Agence internationale de l’énergie atomique ALENA : Accord de libre-échange nord-américain BM : Banque mondiale (BIRD) CCG : Conseil de coopération du Golfe CEA : Communauté économique africaine CEI : Communauté des États indépendants CIJ : Cour internationale de justice CNUCED : Conférence des Nations Unies pour le commerce et le développement CPI : Cour pénale internationale CSIS : Centre d’études internationales et stratégiques Eurofor : Force Opérationnelle Rapide Européenne (Espagne, France, Italie et Portugal) Euromarfor : Force maritime européenne regroupant les mêmes pays que l’Eurofor EEE : Espace économique européen FAO : Organisation pour l’alimentation et l’agriculture FCE : Forces classiques en Europe (traité de 1990) FMI : Fonds monétaire international G7 : Groupe des sept pays les plus industrialisés (G8, avec la Russie) GFIM : Groupes de Forces interarmées Multinationales GPLALS : Global Protection against Limited Strikes Groupe K4 : ex-groupe de Trévi regroupant les pays de l’Union européenne et des membres associés (États-unis, Canada, Suisse et autres). IDS : Initiative de Défense Stratégique IESD : Identité Européenne de la Sécurité et de la Défense 10 IFOR : Operations Joint endeavour ou forces d’établissement de la paix de l’OTAN KFOR : Force d’intervention de l’OTAN au Kosovo MTCR : Régime de contrôle de la technologie des missiles NEPAD : Nouveau partenariat pour le développement de l’Afrique OCCAR : Organisation conjointe de coopération en matière d’armement OCDE : Organisation de coopération et de développement économique OCE : Organisation de coopération économique OEA : Organisation des États américains OMC : Organisation mondiale du commerce ONU : Organisation des Nations Unies OPEP : Organisation des pays exportateurs de pétrole OSCE : Organisation de la sécurité et de la coopération en Europe OTAN : Organisation du traité nord-atlantique OUA : Organisation de l’unité africaine PESC : Politique étrangère et de sécurité commune PESD : Politique européenne de sécurité et défense PFP : Partnership for peace ou partenariat pour la paix PNUD : Programme des Nations Unies pour le développement QDR : Quadrienal Defense Review élaborée aux États-unis SALT : Strategic Arms Limitaion Talks SFOR : Force de stabilisation de l’OTAN en Bosnie START : Strategic Arms Reduction Talks TIAR : Traité interaméricain d’assistance mutuelle UA : Union africaine (a remplacé l’OUA) UE : Union européenne UEO : Union de l’Europe occidentale UMA : Union du Maghreb Arabe UNESCO : Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture UNSCOM : Commission spéciale des Nations Unies chargée du désarmement de l’Irak 11 Introduction générale 12 Les attentats terroristes du 11 septembre 2001, sur le sol américain, vont marquer une nouvelle étape dans les relations internationales. Il va apparaître désormais que l’équilibre des États dépend d’une lutte idéologique avec de nouveaux types de menaces, dont le terrorisme international dont la définition ne fait pas l’unanimité et qui ne concerne plus seulement les pays du Sud mais aussi les pays occidentaux. Incidemment, quoique première puissance mondiale, les Etats-Unis ont révélé leurs difficultés à faire face de façon rapide et efficace à des crises bien moins importantes que celles que générerait un conflit : le cyclone Katrina survenu en septembre 2005 a montré au monde entier que ces derniers avaient aussi leur tiers monde, avec le sud du pays dévasté et un nombre important de victimes se chiffrant par milliers. Le Golfe du Mexique qui produisait 10% du pétrole américain a été aussi atteint et provoqué un déficit au niveau de la production locale qui amènera le gouvernement américain à faire appel à l’Agence Internationale de l’Energie pour compenser le manque en hydrocarbures. Sur le plan international, l’administration américaine va forger une nouvelle doctrine basée sur l’action préventive qui est en fait un glissement grave de la guerre froide vers de nouvelles théories développant le principe de l’intervention de manière unilatérale. Les Etats-Unis entendent remodeler les relations internationales en faveur de leurs intérêts hégémoniques. Pour les Etats-Unis, le nouveau concept de « préemption » (« preemption » en anglais) devient une solution de substitution quand les Nations Unies refusent d’agir comme cela a été le cas pour la guerre contre l’Irak. Ainsi, la « préemption » indique, dans la politique stratégique américaine, le choix du lieu et du moment, elle peut concerner aussi bien les Etats-Nations que les organisations ou les groupes sans identité nationale. On peut considérer que la problématique de la « préemption » se poserait en ces termes : qui définirait la menace et légitimerait la « préemption » ? La Rand Corporation, centre de recherche et d’études prospectives, concepteur des stratégies américaines dans le monde, avait élaboré en ce sens, en 1997, un rapport 13 intitulé : « L’Initiative méditerranéenne de l’OTAN : évolution et prochaines étapes ». Dans ce rapport, publié de nouveau en 1999, l’objectif rejoignait l’idée chère au président américain, G .W. Bush, celle d’un « Grand Moyen-Orient » incluant l’Afrique du Nord, sous le contrôle total des Etats-Unis. Cet objectif vise à donner un caractère légitime à toute opération d’intervention faite au nom du maintien de la paix dans la région, cela sur une base multinationale avec des alliés et des partenaires. En ce sens, la préemption est une technique d’anticipation de l’utilisation de la force militaire. La nouvelle politique stratégique de sécurité nationale américaine mentionne explicitement l’option d’une attaque militaire préventive en cas de menace imminente. De même, au niveau des alliés euro-atlantiques, la France n’exclut pas l’action militaire préventive dans sa nouvelle programmation militaire1. L’Alliance atlantique débat également de la prévention militaire, notamment dans le domaine des menaces terroristes, une possibilité exigeant le consentement à l’unanimité de tous les membres de l’Alliance pour une opération militaire. L’Alliance était intervenue au Kosovo sans un mandat du Conseil de sécurité et sans être pour autant véritablement menacée par le régime de Milosevic. Il faut souligner le fait cependant que l’idée de « préemption » ne respecte pas le droit international, car la Charte des Nations Unies ne permet l’utilisation de la force que pour des objectifs de défense ou avec un mandat de défense du Conseil de Sécurité2. Par ailleurs, l’OTAN s’est défini plusieurs objectifs qui consistent à développer un système sécuritaire basé sur un ensemble géographique lui permettant une véritable planification, une formation, un transport stratégique et un réseau de renseignement. La stratégie transatlantique en Méditerranée est celle d’une Méditerranée élargie qui inclut les cinq zones suivantes3 : 1) Méditerranée atlantique : Mauritanie, Maroc, Espagne, Portugal mais aussi Royaume Uni et leurs îles (Canaries, Açores, Gibraltar) sur la route transatlantique 1 Security Strategies and their implications for NATO’ strategic concepts, Research Branch, November 2005, Rome. 2 Rappelons que la Charte des Nations Unies a été signée le 26 juin 1945 et appliquée dès le 24 octobre 1945. 3 Voir J. Dufourq, L’intelligence de la Méditerranée, Collège de la Défense de l’OTAN, Rome, Research Paper, numéro 2, avril 2004. 14 vers la Floride. Cet espace permet la transition stratégique avec la zone d’Afrique noire. 2) Méditerranée occidentale : Maroc, Algérie, Tunisie, Espagne, France, Italie, Malte, Libye. 3) Méditerranée orientale : Balkans, Albanie, Grèce, Turquie, Chypre, Egypte. 4) Méditerranée arabique : Proche-Orient, Mer Rouge et Golfe Persique. 5) Méditerranée caucasienne : espace de la Mer Noire qui devient une zone de transition stratégique. A cet ensemble est rattachée la Méditerranée asiatique qui complète un ensemble avec les Méditerranée précédentes en incluant l’Asie du Sud via l’Afghanistan et le Pakistan. C’est l’idée du « Grand Moyen-Orient » qui a un sens méditerranéen non pas au sens géographique mais stratégique, car les États-Unis visent à travers ce projet le contrôle de toutes les ressources énergétiques de la planète. Dans l’avant-propos d’une étude publiée par le Collège de Défense de l’OTAN, les attentes de l’Alliance sont développées en ces termes par le lieutenant-général, général de corps d’armée de terre, français, Jean-Paul Raffenne : « Tout d’abord, en tant que commandant du NATO Defense College ( NDC), je m’intéresse de près aux qualifications exigées par l’OTAN, un encadrement à un degré très développé, un ensemble de qualifications professionnelles se distinguant nettement du passé. Il faudra non seulement combattre avec efficacité, mais également posséder les aptitudes pour gérer les conflits interpersonnels, tant sur le terrain qu’autour de la table de négociation. En fait, il incombera à l’Alliance elle-même de se doter de capacités accrues et de stratégies mieux dessinées dans l’art de la science du dialogue et de sa conduite.4 » En juin 2004, lors du Sommet des Chefs d’Etat et de Gouvernement de l’OTAN à Istanbul, l’Alliance, à l’initiative des Etats-Unis va décider d’étendre son influence jusqu’au Moyen-Orient et au Golfe, à travers l’Initiative du Dialogue méditerranéen, lancé en 1994 avec les pays du Sud de la Méditerranée. 4 In Bent Erik Bakken, NATO’s mediterranean dialogue, NATO Defense College, Monograph series no 17, edited by Faber, 2002. 15 « Le développement de la région Méditerranée Moyen-Orient apparaît tant à l’Union européenne qu’aux Etats-Unis comme une condition de sa stabilité, et donc d’une sécurité globale sous des objectifs semblables ( développement, libre-échange…), sous l’apparence de la complémentarité, le projet du « Grand Moyen-Orient » et les décisions européennes cachent mal la rivalité de leurs projets économiques, par exemple dans le cadre des négociations à l’OMC ou dans leur vision de l’intégration de l’espace économique moyen-oriental. Les relations entretenues avec le Maroc, signataire d’un accord de libreéchange avec Washington (2002) sont symboliques de ces contradictions, dans un espace que l’Union européenne veut être celui de sa nouvelle politique de voisinage5 ». Face aux initiatives américaines, la PESD ou Politique Européenne de Sécurité et de Défense veut émerger, car elle a la potentialité de faire de l’Union européenne une puissance mondiale ayant un poids décisif sur les évènements marquant la scène internationale, cela malgré certaines divergences de politique étrangère au niveau des alliés euro-atlantiques. Le problème qui existe, au niveau de l’Union européenne, se situe dans la difficulté à définir un concept stratégique pour la PESD. En fait, de nombreuses contraintes politiques et économiques internes à l’Union européenne existent encore quant à aboutir à une véritable restructuration des forces armées européennes et à augmenter les budgets de défense prévus par les Etats européens. « Les capacités européennes, tant en matière de gestion d’une crise de grande ampleur que de riposte éventuelle contre un « sanctuaire » terroriste, sur le modèle de l’intervention américaine contre les talibans, semblent, en fait, à peu près inexistantes6 ». Cependant, les attaques du 11 septembre 2001 ont complètement changé les données du débat OTAN/PESD avec l’appui européen dans la guerre menée par les Etats-Unis contre le terrorisme (notamment de la Grande-Bretagne). Après la deuxième guerre irakienne, lors du Conseil européen du 12 décembre 2003, une première stratégie européenne de sécurité est adoptée « Une Europe sûre dans un monde meilleur » qui va aborder 5 Jean-Marie Paugan et Dorothée Schmid, Une nouvelle rivalité transatlantique en Méditerranée ? Politique étrangère, Hiver 2004-2005, 4 / 2004, IFRI. 6 Jean-Pierre Sroobants, Depuis le 11 septembre, la menace terroriste est devenue permanente, Le Monde, 11-12 septembre 2005. 16 l’environnement de sécurité avec ses implications politiques pour une Europe de plus de 450 millions d’habitants. L’articulation entre les aspects internes et externes de la sécurité est soulignée, la sécurité est une condition importante du développement, mais aussi la dépendance énergétique de l’Europe vis-à-vis des importations de pétrole et de gaz venant du Golfe, de l’Afrique du Nord et de la Russie.7 L’Union européenne veut construire la sécurité dans le voisinage de l’Europe. La stratégie de sécurité européenne indique que l’Union européenne reconnaît que les menaces principales de sécurité exigent aujourd’hui une coopération internationale et l’utilisation des dispositifs civils et militaires avec un multilatéralisme effectif et un engagement préventif. Il faut noter à ce sujet que, en 2004, le budget de défense de l’Union européenne à 25 était de 186 milliards de dollars et celui des Etats-Unis de 454 milliards de dollars8. Il faut souligner également le caractère inédit du Dialogue méditerranéen de l’OTAN, initié par le Conseil nord-atlantique. Il inclut actuellement sept pays non membres de l’Alliance dans la région méditerranéenne : l’Algérie, l’Egypte, Israël, la Jordanie, la Mauritanie, le Maroc et la Tunisie. Le dialogue exprime la perception sécuritaire de l’OTAN qui considère que la stabilité de l’Europe est liée à la stabilité en Méditerranée. Le but global du Dialogue est de donner une image nouvelle de l’Alliance pour restaurer la confiance avec les Etats du Sud de la Méditerranée. Il est aussi de contribuer à la stabilité régionale. Il est à noter que ce processus est une politique coopérative qui se veut tout à fait distincte du processus d’intégration ayant concerné les pays d’Europe centrale et orientale (PECO). Les deux axes de coopération de l’OTAN sont en fait différents et viennent de la nécessité pour l’Alliance de revoir son architecture sécuritaire de manière nouvelle, notamment dans la zone euro-atlantique. L’objectif de l’élargissement de l’OTAN à l’Europe centrale est d’instaurer un contrôle des forces armées de l’ancien bloc socialiste dans les domaines des plans de défense et des budgets militaires afin d’assurer la stabilité dans l’espace européen. Le Dialogue méditerranéen de l’OTAN déclare viser l’instauration de la paix et de la stabilité en Méditerranée, et touche aussi bien les domaines militaire, civil que scientifique. 7 L’Europe, par exemple est le principal débouché pour le gaz algérien, 90 % des exportations de la Sonatrach sont destinées au marché européen de gaz. L’Algérie est le deuxième fournisseur de l’Europe. 8 The Military Balance, The Institute for Strategic Studies, London, 2004-2005. 17 Quant à la Méditerranée, espace géostratégique, l’administration américaine a développé une nouvelle stratégie globale basée sur une restructuration du commandement des forces américaines et nord-atlantiques s’exprimant par une définition instrumentale de celle-ci. Elle inclut une réduction de la présence en Europe et un rééquilibrage vers le Golfe arabo-persique et le Pacifique ainsi que la mise en place de nouvelles forces de projection de puissance9. Les États-Unis se déclarent engagés dans une lutte contre le terrorisme international et développent une réorientation de leur positionnement stratégique global. On peut considérer cette réorientation comme étant la justification de la restructuration des forces euro-atlantiques opérée durant cette dernière décennie. Il faut noter que la Méditerranée est demeurée après la guerre froide un espace de stationnement essentiel des forces aéromaritimes américaines en Europe. Cela du fait de son emplacement sur la voie du Proche et Moyen-Orient qui va engendrer toutes les manœuvres stratégiques entre les zones atlantique et indienne. Pour les Etats-Unis, le couloir méditerranéen constitue comme l’Etat d’Israël une zone d’intérêts sécuritaires permanente. Etant une passerelle entre les Balkans, le Moyen-Orient, l’Afrique et l’espace euroasiatique, la Méditerranée inspire des doctrines stratégiques concrétisées sur le terrain par des stratégies opérationnelles américaines. Les nouveaux concepts de stratégie navale s’appellent shaping ou mise en ordre de l’espace méditerranéen et littoral warfare, dont l’objectif est de contrôler et diriger les actions terrestres par le sea power ou puissance maritime à l’aide d’exercices dissuasifs de la puissance avec l’utilisation des missiles de croisière Tomahawk et les avions de chasse de type F/A-A-18E/F Super Hornet. Il faut noter que la Méditerranée apparaît de plus en plus au regard des États-Unis comme le flanc Sud de l’OTAN, il serait alors question de déléguer de plus en plus de responsabilités à l’Union européenne dans les domaines socio-économiques (instabilité due aux flux migratoires et à la pauvreté) et de gérer les tâches sécuritaires avec des 9 Chaque jour de combat intense aurait ajouté jusqu’à 500 millions de dollars à la facture des dépenses occasionnées par la guerre en Irak. Le coût militaire de l’après-guerre est évalué de 6 à 20 milliards de dollars par an. L’addition chiffrée à 50 milliards de dollars pourrait en fait dépasser les 76 milliards de dollars dépensés en 1991. Estimation faite durant les premiers jours de guerre en Irak. 18 initiatives diplomatiques de résolution des crises (Chypre, conflit israélo-arabe…) pour mieux se consacrer aux États dits (en anglais rogue states) ou États dits voyous dans le cadre de la lutte contre le terrorisme catastrophe. On peut noter à ce propos le commentaire fait dans le contexte de l’après-guerre par un historien : « Le général américain Donovan écrivait dans un journal italien : « La Méditerranée est le cœur stratégique de l’Europe, de l’Afrique et du Proche-Orient »…il omettait de préciser que seule la possession des côtes nord-africaines peut garantir la maîtrise de la Méditerranée10 ». Il apparaît que, dans le futur, la présence américaine se renforce dans tout ce qui concerne la gestion d’opérations militaires tout en reléguant le partage des coûts financiers aux alliés euro-atlantiques dans le cadre de la gestion des crises sur la base de la formation de coalitions multinationales. En Méditerranée occidentale, les cadres de coopération offerts par l’Union européenne paraissent aussi importants que celui offert par le Dialogue méditerranéen de l’OTAN pour des pays comme l’Algérie, quoique la stratégie américaine dans cette sous région tende à devenir importante. Au niveau de la Méditerranée orientale, les États-Unis ont construit leur relais à travers le choix d’États pivots dont la Turquie, tentant par là même de régler les différents de l’espace Grèce-Turquie-Chypre en déléguant la responsabilité à l’Union européenne pour ce qui concerne l’intégration de la Turquie dans les structures européennes. Pour ce qui est de la diplomatie commerciale américaine dans la région, elle demeure basée sur la politique de l’enlargement initiée par l’administration Clinton, soit l’intégration progressive des pays de la rive sud dans l’espace économique néo-libéral. Par exemple, pour le cas de l’Algérie, il a été procédé à la signature d’un accord sur le développement des relations commerciales et des investissements avec les États-Unis, en juillet 2001. Il en est de même pour le Maroc qui va développer un nouveau partenariat avec les Etats-Unis dès l’année 2002 avec la signature d’un accord de libre échange. 10 Mohamed Chérif Sahli, « Décoloniser l’histoire », Ed. ENAP, 1986, p.113 19 On peut constater que les pays des deux rives de la Méditerranée ont une politique qui souligne l’importance des mers comme enjeu et comme vecteur de toute politique de puissance. Mustapha Benchenane, notait à ce propos qu’il ne peut y avoir de politique de puissance, s’il n’y a pas d’abord maîtrise de la mer, des mers. La Méditerranée, en tant qu’espace maritime, paraît restreinte comparée à l’Atlantique et au Pacifique, elle reste cependant un espace vaste avec plus de 3300 kms d’Est en Ouest, et quelques centaines de kilomètres du Nord au Sud11. Cet espace a une importance qui a été accentuée au cours des années d’après-guerre par la présence de la flotte soviétique et de la flotte américaine, car la maîtrise de cet environnement participe à la neutralisation et au contrôle des portes de l’Afrique et de l’Asie. La Méditerranée occupe une position centrale sur le plan géostratégique, car elle est un carrefour de trois continents : l’Europe, l’Afrique et l’Asie. Elle est reliée à l’océan Atlantique par le détroit de Gibraltar, et à l’océan Indien par le canal de Suez. C’est une voie commerciale fondamentale pour le transport des matières premières, du pétrole et du gaz naturel. Les ressources naturelles disponibles dans la région sont essentielles pour la prospérité de l’Occident. Ainsi, les pays du Golfe arabo-persique exportent 45% du pétrole vendu dans le monde, et renferment les 2/3 des réserves mondiales. C’est donc une route pétrolière vitale puisque 50% du pétrole consommé en Europe occidentale, et plus de 10% du pétrole consommé par les États-Unis sont fournis par cette région. Il semble évident que la Méditerranée dans le dispositif géostratégique euro-atlantique actuel a une fonction stratégique ; cela va déterminer l’architecture sécuritaire des puissances occidentales. L’objectif premier étant de maintenir le libre accès aux sources d’énergie et la sécurité des voies d’approvisionnement. « On peut constater que la Méditerranée aura été une des zones du monde les plus sensibles aux effets de la disparition des blocs : c’est à une recomposition du paysage stratégique méditerranéen que l’on est en train d’assister. En même temps apparaissent en profondeur et dans toute leur ampleur de larges 11 Voir Hervé Coutau-Begarie, Méditerranée, les constantes géostratégiques, éd. Publisud, 1997, pp. 205-206. 20 fractures longtemps trop souvent négligées. Celles-ci concernent la rive nord comme la rive sud mettant en cause quelques-uns des aspects essentiels de la vie des sociétés humaines qui y résident. »12 En fait, le célèbre stratège américain du 20e siècle, l’amiral Alfred Mahan, théoricien de la « puissance maritime » (en anglais sea power), déclarait de manière visionnaire que « la Méditerranée appartiendra à un seul maître ou sera le théâtre d’un conflit permanent »13. Peut-être faut-il situer dans ce contexte, le déploiement des forces de l’Organisation nord-atlantique en Méditerranée, et au niveau européen, la création de l’Eurocorps réunissant des forces maritimes et aériennes (Eurofor-Euromarfor) qui vont être les points saillants de la nouvelle convergence des alliés euro-atlantiques dans les années d’après-guerre froide. De fait, intervenant à un moment où les forces du Pacte de Varsovie ont été dissoutes et les perspectives de confrontation Est-ouest désormais écartées, la restructuration du commandement et de la logistique de l’OTAN14 ainsi que sa nouvelle articulation avec l’UEO15 vont constituer un aspect novateur du dispositif de sécurité euro-atlantique dans les années 1990, et vont permettre par conséquent de préciser la vocation de l’Alliance à faire face à de nouvelles menaces telles que celles qui ont été révélées par les attentats anti-américains du 11 septembre 2001. La suite des évènements tels que prouvés par la crise irakienne a mis en évidence l’importance du pourtour méditerranéen avec le déploiement d’une armada américaine dans la région. 12 Jean-François Daguzan, Essai de problèmatique , in La Méditerranée, nouveaux défis et nouveaux risques, éd. Publisud, Paris, 1995, p. 11. 13 In Georges Buis, Nouvelles menaces en Méditerranée, Le Monde diplomatique, octobre 1987, pp.7-8. 14 OTAN : cette organisation du Traité atlantique nord a été créée le 4 avril 1949, à Washington par douze Etats signataires : Belgique, Canada, Danemark, Etats-Unis, Islande, France, Luxembourg, Italie, Norvège, Pays-Bas, Royaume Uni et Portugal, d’autres Etats s’y joindront par la suite : la Grèce et la Turquie en 1952, la RFA en 1955, et l’Espagne en 1982. 15 UEO : Union de l’Europe occidentale qui a été créée en 1954 dans le but de promouvoir l’intégration de l’Europe, la défense collective et la sécurité. Elle est issue du Traité de Bruxelles de 1948. A la mi-2000, elle comprenait neuf pays européens : France, Italie, Grèce, Espagne, Pays-Bas, Portugal, Allemagne, Belgique, Luxembourg, Royaume Uni. En novembre 2000, la mise en oeuvre de la PESC (Politique étrangère et de sécurité commune) équivalait pour ainsi dire à sa « dissolution », la PESC assurant en quelque sorte son remplacement. 21 Il va sans dire que la guerre en Irak provoquera une crise nouvelle dans les relations euro-atlantiques que le Sommet de Bruxelles de l’Union européenne du 20 mars 2003 va essayer d’aplanir. Ainsi, au titre du maintien de la paix ou de la gestion des crises, de la menace d’armes de destruction massive, ou de terrorisme nucléaire, les États-Unis avec ou sans l’OTAN articulée à l’Union européenne, avec ou sans l’accord des Nations Unies, peuvent éventuellement intervenir aussi bien en Afrique du Nord que dans les Balkans ou au Moyen-Orient, ce qui ouvre définitivement la voie à la consécration d’un nouveau principe du droit international, le droit d’ingérence affublé de raisons humanitaires ou de sécurité régionale pour lui conférer une légitimité. Par ailleurs, la politique euroatlantique en Méditerranée va s’exprimer par la mise sur pied de dispositifs militaires hautement projetables tels que les F.A.R. ou forces d’action rapide, et les G.F.I.M. ou groupes de forces interarmées multinationales. En fait, l’Eurocorps et les forces aériennes et maritimes expriment la volonté de créer une « Europe stratégique ». Cependant, dés 1986, l’UEO, va montrer ses limites, notamment au Kosovo, où ce « bras armé » de l’Union européenne va être incapable de faire face à la crise dans le cadre de l’application des missions de Petersberg concernant le maintien de la paix. Du point de vue des alliés euro-atlantiques, la guerre du Kosovo sera cependant une victoire gagnée militairement et politiquement, vu que sa conclusion permettra un changement de régime en République fédérative de Yougoslavie. Le projet de développer une « Europe stratégique » va vivre une mutation avec l’UEO qui va transférer ses pouvoirs à l’Union européenne en avril 1999. Cependant, l’idée de créer une dynamique européenne au sein de l’OTAN va évoluer vers l’élaboration du concept d’une Identité Européenne de Sécurité et de Défense (IESD) dés le début des années 1990. 22 En décembre 1999, l’objectif global de l’Union Européenne sera donc de passer d’un projet économique à un projet plus global en décidant de développer une meilleure capacité de défense. Dans le cadre de la construction d’une capacité européenne autonome, le débat est controversé, mais un nombre croissant d’experts américains concluent sur le fait suivant : « Les alliés de l’OTAN possèdent des capacités maritimes d’importance et devraient être encouragés à prendre des responsabilités et un rôle plus grand dans les opérations vers l’avant en mer Méditerranée, permettant aux forces maritimes américaines de se concentrer sur le Golfe arabo-persique, en Asie du Sud et à l’Est ».16 Il apparaît clairement que si durant la guerre froide, l’attention des stratèges occidentaux était concentrée sur le front central de l’Alliance atlantique, la fin de la confrontation Est-ouest a projeté la Méditerranée au centre des préoccupations stratégiques des ÉtatsUnis et de l’Europe. La fin de la guerre froide a mis en présence sur le théâtre méditerranéen deux acteurs alliés, l’OTAN et l’UEO, dans la politique de containment de l’URSS, dont les intérêts sont devenus divergents au lendemain de la disparition du bloc Est. En Méditerranée, les enjeux géostratégiques ont mené au déploiement des forces expéditionnaires depuis le continent américain et une plus grande implication de l’OTAN. Ceci est bien vrai pour les États-Unis qui ont pour stratégie de se construire, dans la rive sud, un espace d’influence continue en s’installant au Maroc et en Tunisie, et en neutralisant successivement l’Egypte, l’Algérie, la Libye, et à la suite de la guerre du Golfe, la Syrie. L’Amérique s’organise depuis la fin de la guerre froide, et de manière agressive, notamment depuis les attentats anti-américains du 11 septembre 2001, pour un renforcement des mécanismes propres à dissuader tout compétiteur potentiel à un rôle plus large que cela soit au niveau de l’Europe occidentale, de la Russie, de l’Asie du sudest ou du Japon. 16 Andrew Krépinevitch Jr, Beyond the Two-MTW posture, Armed forces Committee, House of reprensatatives, 20 juin 2001. 23 Par ailleurs, en Méditerranée, les troubles qui perdurent dans les pays de la rive méridionale sont un prétexte à l’idée d’une menace provenant des pays du Sud. Cette région sera désignée dans la terminologie anglosaxonne comme faisant partie des zones dites grises ou « grey areas », c'est-à-dire des zones pouvant être un jour le théâtre central des opérations de l’OTAN. Cela va se traduire dans les années 1990, et de manière continue, par un redéploiement militaire d’envergure aussi bien au niveau terrestre et maritime qu’au niveau aérien. Le flanc nord et la région centrale de l’Alliance atlantique seront évacués de la moitié des forces qui y étaient stationnées. Le rôle stratégique de la Méditerranée va se traduire dans les années 1990 par une restructuration des forces euro-atlantiques et celui de la projection des forces avec la mise en place d’un dispositif hautement projetable en Méditerranée. On va assister à une nouvelle organisation des forces en Méditerranée dont l’objectif sera d’influer sur les relations interétatiques, et conséquemment de manipuler les démarches diplomatiques et sécuritaires des nations de la périphérie sud. Les menaces américaines d’attaquer l’Irak de septembre 2002 à l’année 2003, sous des prétextes fallacieux et des accusations erronées, contredites par la réalité, en sont une illustration frappante17. De manière globale, il s’agira pour les alliés euro-atlantiques de faire face aux risques à leurs sources. Les sources en question sont essentiellement le monde arabo-musulman du Maghreb et du Proche-Orient. Cet ensemble sera désigné comme un « front sud » ou arc de crise. La terminologie de « front sud » apparaît comme une notion ambiguë à la connotation agressive car le flanc sud est déterminé comme étant le futur espace de conflit régional. « La Méditerranée n’est donc pas seulement une mer autour de laquelle gravite un certain nombre d’Etats, mais elle est aussi une région porteuse d’un ensemble de contradictions et d’autant de lignes de 17 Il faut noter que durant tout le mois de septembre 2002, les Etats-Unis vont faire pression sur leurs alliés pour bombarder l’Irak, ce pays étant accusé par le gouvernement Bush de posséder des armements chimiques dangereux pour la paix dans la région. Malgré la décision prise par l’Irak, le 16 septembre 2002, d’autoriser le retour des inspecteurs du désarmement des Nations Unies, l’administration américaine va réitérer son intention d’entamer une démarche unilatérale, et de projeter une attaque contre Bagdad dés février 2003. 24 division politiques, idéologiques, culturelles, linguistiques et religieuses, ainsi que des systèmes économique et de sécurité différents. »18 Ainsi, l’échiquier méditerranéen va engendrer une redistribution des tâches et susciter des compromis basés sur le principe du burden sharing ou division du travail, mais toujours sous le contrôle des États-Unis qui veulent demeurer une puissance » de première grandeur. : « Le redéploiement des forces en Méditerranée n’est que la conséquence d’une nouvelle redistribution des cartes au niveau international. Le triomphe politique et stratégique actuel des États-Unis et la domination du Nord sur le Sud font que la région reste une zone stratégiquement sensible, malgré les évènements qui l’ont marqué avec la disparition de l’URSS, dont la flotte bien que toujours présente en Méditerranée ne semble plus produire de dissuasion sur sa rivale américaine. »19 Il faut rappeler que le sommet de l’OTAN à Bruxelles, en janvier 1994, et la réunion ministérielle de Berlin, en juin 1996, avaient donc intégré l’idée d’une Identité Européenne de Sécurité et de défense .L’IESD est le pilier européen de l’OTAN et permet de mettre à la disposition de l’UEO (puis de l’UE, selon le communiqué adopté au Sommet de l’OTAN de Washington en avril 1999) des forces pour des opérations conduites sous son contrôle politique et stratégique. En fait, la nouvelle politique de défense de l’Union de l’Europe occidentale (UEO) sera confirmée à Madrid, le 15 novembre 1995. Elle va permettre à l’OTAN d’établir une nouvelle articulation avec l’UEO, et d’étendre ses zones géographiques de compétence à toute la planète. Le nouveau pilier européen de défense va demeurer toujours sous le contrôle de Washington, via l’Etat-major nord-atlantique à Bruxelles : « A travers l’OTAN, les ÉtatsUnis entendent impliquer les alliés européens dans une politique explicite d’intervention « out of area » hors des limites territoriales de l’OTAN et de sa nature défensive explicite. C’est le sommet de Williamsburg, en 1983, qui sous la dictée des États-Unis a pour la première fois officiellement évoqué le concept de globalisation de la menace qui supposera à son tour une réponse globale de l’Alliance 18 19 Azzouz Kerdoun, La sécurité en Méditerranée, éd. Publisud, Paris, 1995, pp.34-35. Idem. 25 atlantique, c'est-à-dire une possibilité d’intervention hors de la zone géographique prévue par le Traité de Washington de 1949.20 » Cependant, les attentats du 11 septembre, il faut le rappeler, vont provoquer un malaise au sein de l’OTAN, car les États-Unis veulent dorénavant faire de l’Alliance un instrument de lutte contre la menace terroriste, et celle que constitue la détention d’armes de destruction massive par des États dits « voyous. Cette décision américaine d’accroître les capacités de projection et d’augmenter les dépenses militaires de l’OTAN sera un point de désaccord avec les pays européens qui voudront privilégier les moyens politiques sur les moyens militaires. L’objectif des États-Unis sera de faire de l’OTAN une réserve de moyens militaires à la disposition des Américains. Déjà, en août 1994, un nouveau concept doctrinal américain « Force XXI Operation » va définir les caractéristiques des stratégies futures : la modularité face aux restrictions financières et humaines ainsi que la diversité des missions, l’adaptabilité interarmées, la mobilité stratégique pour la survie des forces, et la flexibilité des doctrines vu l’imprévisibilité des menaces. Le danger prioritaire est au regard américain, la prolifération nucléaire et chimique. La perception de ce risque va avoir une conséquence directe sur la doctrine intitulée FM 105. Cette dernière est une étape intermédiaire dans la nouvelle « Révolution dans les affaires militaires » (en anglais : revolution in military affairs) qui apparaît avoir un caractère offensif : en ce sens, la tactique militaire préconise d’utiliser des opérations de terrain aptes à dissuader l’ennemi d’utiliser des armes de destruction massive, il s’agit de créer des batailles permettant de se mêler à l’ennemi tout en assurant la sécurité de ses bases. Les décideurs américains aux États-Unis appliquent une tradition militaire s’inspirant de Clausewitz : en tant que puissance, l’objectif est d’atteindre la paix avec le sousentendu d’expansionnisme. Il s’agit de contourner la force et de ne pas déclencher d’attaque contre un adversaire fort mais contre un adversaire inconsistant, donc faible. 20 Bernard Ravenel, Méditerranée, le Nord et le Sud, éd. L’Harmattan, Paris, 1990, p.113 26 « Aujourd’hui, l’effort militaire américain, outre le maintien des armes nucléaires indispensables à la dissuasion stratégique, c'est-à-dire la prévention de toute attaque contre les intérêts vitaux américains des États-Unis, correspond à quatre options principales : la préparation à un conflit équivalent à la guerre du Golfe, une opération dite humanitaire de grande envergure, le prépositionnement de forces suffisantes dans les zones de crises ou leur projection à grande distance pour des interventions de grande dimension, le renseignement et l’observation, avec toute la gamme de moyens nécessaires, humains ou scientifiques, à la mesure de la multiplication des crises, y compris celles suscitées par des organisations dites subversives ou terroristes. On n’oubliera pas, enfin, que les États-Unis au contraire de la Russie, ont conservé la composante aérienne de leurs forces nucléaires et tactiques et qu’ils pourraient ainsi disposer en cas de conflit grave sur n’importe quel théâtre d’opérations, d’un instrument éventuellement décisif.21 » Il faut souligner à ce sujet le contenu du document stratégique américain publié en septembre 2002, et adressé au Congrès sous le titre « The National Security Strategy of the United States of America » ou la stratégie de sécurité nationale des États-Unis : le document souligne le fait que les États-Unis détiennent dans le monde une force et une influence nouvelle qu’ils n’ont jamais possédées dans le passé à ce niveau. Or, comme l’Amérique est supposée avoir foi dans « les principes et les valeurs d’une société libre, valables pour toute la planète, la détention d’une telle puissance impose des responsabilités et des obligations qu’il faut se donner les moyens d’observer. » La teneur d’un extrait du texte est comme suit : « […] Les États-Unis doivent maintenir leur capacité d’infliger une défaite à n’importe quel ennemi et de dissuader les adversaires potentiels. En exerçant notre leadership, nous respecterons les valeurs, les jugements et les intérêts de nos amis comme ceux de nos partenaires. Partant nous pouvons nous préparer à agir seuls selon ce que réclame nos intérêts et nos responsabilités spécifiques22. » Jean Daniel, directeur de l’hebdomadaire parisien Le Nouvel Observateur, exprimera l’opinion publique de son pays quand il s’interrogera sur la finalité de cette nouvelle doctrine américaine : « Pourquoi cette dernière affirmation qui contient une nette possibilité de rupture avec l’ONU mais aussi avec l’OTAN et avec l’Union européenne, comme on l’a vu avec l’exemple allemand ? Dans la mesure, en effet, où les États-Unis n’auraient évoqué que l’agression dont 21 Paul-Marie de La Gorce, Le dernier empire, le XXI e siècle sera-t-il américain ? Éd. Grasset, Paris, 1996, pp. 89-90. 22 Le Monde, La nouvelle doctrine stratégique des Etats-Unis, 24 septembre 2002. 27 ils ont été les victimes le 11 septembre 2001 et leur droit de riposter seuls à cette agression. Ils auraient pu facilement se faire entendre de leurs alliés. Mais le préambule du document évoque les devoirs généraux d’une superpuissance et la mission de défendre partout les valeurs de la démocratie. Au besoin d’être seuls à les défendre. Et donc de décider seuls de qui agresse ces valeurs. Pourquoi la croisade contre le terrorisme implique-t-elle de précipiter une guerre contre l’Irak ? Réponse hermétique : « Le 11 septembre a clarifié beaucoup de types de menaces que nous devons affronter dans l’après-guerre ». Dans quelle mesure l’Irak de Saddam Hussein est-il associé aux terroristes d’Al Qaïda et de Ben Ladden ? En quoi sa menace est-elle soudain devenue plus urgente que celle des terroristes ? Aucune explication. Dans quelle mesure, la guerre contre l’Irak risque-t-elle de démobiliser moralement et matériellement des forces indispensables pour lutter contre le terrorisme ? Aucune réponse. Dans quelle mesure enfin la décision de prévenir les menaces irakiennes et de rétablir la démocratie à Bagdad n’impose-t-elle pas une intervention en Corée du Nord et un nouveau comportement au Proche-Orient ? Pas d’explications. Sur l’Irak, George Bush attend une résolution très musclée du Conseil de sécurité de l’ONU. Et si ce Conseil ne peut parvenir à décider d’une action forte, «les États-Unis devront prendre seuls en charge le problème », avec tous ceux qui voudront bien se joindre à eux. Il va falloir repenser nos conceptions de l’anti-américanisme.23 » En fait, pour se défendre, les États-Unis se considèrent obligés d’attaquer à tout instant tout adversaire jugé belliqueux, c'est-à-dire tout Etat allant dans le sens contraire aux intérêts américains. En Méditerranée, l’accentuation de la course aux armements, dans les années 1990, va provoquer une prolifération des armements qui va engendrer une concentration des armes à un niveau alarmant du fait que les négociations Est-Ouest sur le désarmement dans l’après-guerre froide ont libéré d’énormes quantités de matériels que Washington et Moscou vont vendre aux pays du Sud24. Pour le général Gordon. R .Sullivan, ancien chef d’État-major des forces militaires américaines, l’environnement international de la guerre froide quoique caractérisé par une lutte idéologique féroce entre les deux superpuissances soviétique et américaine, 23 Jean Daniel, directeur du Nouvel Observateur, cité par Le Matin, 28 septembre 2002. 24 Voir Marc Klarc, L’accroissement des ventes d’armes au tiers monde annonce d’autres tensions, Le Monde Diplomatique, septembre 1991, p. 10 28 demeurait un espace relativement stable et prévisible comparé à celui de l’après-guerre froide qui demeure aujourd’hui dynamique, incertain et imprévisible. Ainsi, la volonté américaine d’élargir l’OTAN à certains pays de l’Europe de l’Est permet aux pays membres de l’Alliance d’avoir un avantage militaire stratégique sur la fédération russe. L’adhésion de la Pologne, de la Hongrie et de l’ex-république de Tchécoslovaquie permet un stationnement permanent des forces armées de l’OTAN à proximité des frontières russes25. L’élargissement de l’Alliance à l’Est apparaît comme un contrepoids à la puissance militaire russe.En fait, dés les années 1990, la Presidential Decision Directive 25 ou PDD-25 ainsi que le Rapport du Pentagone de 1994 à la Maison Blanche vont définir la stratégie de sécurité nationale et d’engagements américains. Les intérêts « vitaux » américains vont devenir des (en anglais core interests) ou intérêts de base. Ainsi, la sixième flotte américaine en Méditerranée va continuer à relever du commandement en chef des forces navales américaines en Europe qui occupe une place prépondérante appuyée en cela par les forces italiennes, turques et grecques intégrées au CINCSOUTH (commandement en chef du théâtre sud dont le siège est à Naples). Les principales bases de la VIe flotte américaine vont demeurer en Italie, Espagne, Grèce, Turquie et Maroc sans compter d’autres bases terrestres et aériennes qui restent des points d’appui pour verrouiller le bassin méditerranéen. Derrière ce déploiement de forces militaires, il y donc une vision politique et néostratégique. Les États-Unis ont adopté une posture définie par le Congrès américain comme « Le contrat avec l’Amérique » qui va confirmer le renouvellement de l’engagement américain à l’OTAN, pour un traité atlantique puissant. Le président George W. Bush, réélu par un deuxième mandat présidentiel en novembre 2004, va avec son administration, forger une nouvelle doctrine substituant ainsi à la doctrine de la dissuasion nucléaire, un corps de principes fondé sur l’utilisation de la puissance pour qu’un ennemi supposé potentiel ne l’utilise pas. 25 Notons que depuis septembre 2002 des bases aériennes ont été construites pour les forces américaines et françaises dans les anciennes républiques socialistes de l’ex-URSS du fait de leur emplacement stratégique par rapport au Moyen-Orient. 29 « La mission originelle de l’OTAN qui est celle de défendre en cas d’attaque un membre européen ou en Atlantique nord se double d’une autre mission maintenant : celle d’assurer la prépondérance stratégique des États-Unis26. » Malgré la suppression des causes qui ont provoquer sa création, l’OTAN a considéré comme nécessaire son élargissement aux pays d’Europe centrale et orientale (PECO). Ainsi, l’organisation du Partenariat pour la Paix (Partnership for Peace) va permettre dans une première étape des opérations de paix sur une base de coopération multinationale. Il faut aussi noter que le rôle futur de l’OTAN concernera également l’ONU, l’OSCE (Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe), et l’UEO. Au premier niveau, OTAN/États-Unis, il s’agira de réduire la présence américaine en Europe tout en respectant la cohérence politico-stratégique des États-Unis, de maintenir leur logique géostratégique de présence sur le théâtre européen dans les moments de crise (notamment dans le flanc sud proche du Moyen-Orient et du Maghreb), de revitaliser l’OTAN en redéfinissant les liens États-Unis / Union européenne à travers des actions multilatérales, de régler le problème de la rareté de la disponibilité des soldats (en 1995, l’armée américaine manquait de 40% de soldats de disponibles), de renforcer la structure intégrée militaire de l’OTAN pour bloquer aussi bien une éventuelle renationalisation des politiques de défense européennes que l’émergence d’un pôle européen de défense autonome. A un deuxième niveau, celui de l’OTAN/UEO, cette articulation permettra de renforcer la couverture militaire du flanc sud pour éviter toute nouvelle hégémonie de puissance régionale étrangère, de combler l’absence de cohésion entre le flanc central de l’OTAN et son flanc sud, de bloquer toute autonomisation de l’UEO par une réadaptation et interopérabilité des forces transatlantiques, d’assurer un équilibre des forces de l’OTAN pour faire face au démantèlement des forces du Pacte de Varsovie. 26 Paul-Marie de la Gorce, « L’OTAN et la prépondérance des Etats-Unis en Europe », Le Monde Diplomatique », Mars 1993. 30 Au niveau de l’UEO, il s’agira de concrétiser la nouvelle politique de défense élaborée à Madrid, le 15 novembre 1995, pour renforcer le pilier européen de défense avec un nouveau concept stratégique qui pourrait paraître acceptable pour les Etats-Unis. La nouvelle politique européenne va se faire à travers une redéfinition des rapports politiques, stratégiques, et opérationnels entre l’OTAN et l’UEO, en affectant à cette dernière les moyens de l’Alliance atlantique. De plus, l’articulation OTAN/UEO va permettre aux Etats-Unis de contourner l’article 6 du Traité de Washington (1949) qui limitait les zones d’intervention de l’Alliance. Pour l’Europe, notamment la France, il s’agira par ce processus de repenser l’OTAN pour rééquilibrer les capacités d’initiative et de décision politique, et donc d’action au profit du pilier européen de défense. L’UEO ne disposera pas encore de la possibilité de garantir la sécurité de l’Europe. Elle liera son rôle futur à l’Union européenne comme centre de décision en ce qui concerne la sécurité et la défense. L’affirmation de la PESC ou politique extérieure et de sécurité commune restera l’objectif à long terme de l’UEO. La réadaptation globale de l’OTAN se fera donc en fonction du nouveau contexte stratégique mondial. Un fait important apparaît, c’est la désignation de la Méditerranée comme futur théâtre central de l’Alliance, notamment, il faut le rappeler, avec la constitution de groupes de forces interarmées multinationales (GFIM) qui sont des éléments autonomes déployables et réadaptables là où il est jugé nécessaire, et dont l’objectif est de renforcer les capacités opérationnelles de l’UEO. Ce dispositif militaire a été décidé lors du sommet de Bruxelles, en janvier 1994. Dans l’ensemble, il y a une évolution de la stratégie de l’OTAN vers l’élargissement du concept de sécurité en y incluant les causes socio-économiques des menaces. Cela fait renâcler certains pays européens dont la France qui s’oppose à la théorie des interventions pour des rivalités de puissance avec les États-Unis. On observe à cet effet, un regain d’intérêt des puissances moyennes pour la Méditerranée, dont la France qui a pris conscience des avantages que procure l’OTAN 31 aux États-Unis qui détiennent les centres de décision. On note aussi l’activisme de l’Italie dans la région ou l’apparition de l’Espagne qui s’est arrogée des missions de surveillance et défense en Méditerranée occidentale dans le cadre de l’OTAN. C’est cette communauté de vue sur les problèmes de sécurité en Méditerranée de ces trois pays qui a conduit à une évolution de leur politique dans cette région avec la constitution de l’Euroforce. Cependant, la volonté européenne de développer une politique extérieure et de sécurité commune (PESC) et une PESD ou (politique européenne de sécurité et de défense) rencontrera de nombreux blocages, rappelons-le, aussi bien au niveau interne entre les membres de l’Union européenne que par rapport aux États-Unis qui refusent toute autonomisation de la défense en Europe. « Et tant que l’OTAN subsistera, on peut douter qu’elle puisse matérialiser un jour dans une union entre seuls européens les objectifs de politique étrangère et de défense communes et indépendantes ingénument inscrites dans le Traité de Maastricht.27 » De manière globale, on assiste à un rapport de convergence et de rivalité entre les alliés euro-atlantiques en Méditerranée. Quels seraient pour la Méditerranée et le Maghreb en particulier, les enjeux d’un tel déploiement des forces militaires occidentales dans cet espace régional, dans les années 1990, et la recomposition des rapports de force au niveau des alliés euro-atlantiques depuis la deuxième guerre contre l’Irak ? L’Afrique du Nord, flanc sud de l’Europe, était intégrée dans la vision stratégique occidentale des zones d’opération de l’UEO, avec l’installation de l’Euroforce, comment a-t-elle évolué vers une intégration dans les réseaux de partenariat socio- économiques et sécuritaires occidentaux ? 27 Amiral A. Sanguinetti, « Dans les années 50, l’hypothèque de l’OTAN », Le Monde Diplomatique, juillet 1993, p.8. 32 En quoi, la recomposition des rapports de force au niveau international telle qu’induite par la crise irakienne, va-elle affecter la région méditerranéenne, en général, et le Maghreb en particulier ? L’ensemble de ces questionnements constitue le contenu de la problématique de cette étude articulée en deux parties. La première, Les Forces transatlantiques en mutation, traite de l’environnement géopolitique de l’après-guerre froide, du bouleversement des rapports de force en Méditerranée, et de l’évolution du partenariat euro-atlantique. La seconde partie, L’Alliance atlantique : une perception rénovée de la Méditerranée, identifie la nature de la mutation opérée par les forces transatlantiques, notamment avec la nouvelle vision prospective euro-atlantique, les initiatives de dialogue euro-méditerranéennes et de l’OTAN, telles que proposées aux pays de la rive sud de la Méditerranée, et le positionnement de ces derniers. 33 Première partie Les forces transatlantiques en mutation 34 Le 29 janvier 2002, lors du traditionnel discours sur l’état de l’Union que prononce, en vertu de la Constitution, le président des États-Unis devant le Congrès et ses invités de marque, M. Bush va développer sa vision du monde futur qui consisterait à cibler dorénavant tous les terroristes du monde, et tous les pays qui les soutiennent et les abritent. Ce fait est caractéristique de la conjoncture de l’après-guerre froide qui est marquée par les menaces d’un type nouveau dont celui du terrorisme international. Cette menace va être l’élément fondateur d’une communauté d’intérêts entre les alliés euro-atlantiques malgré les divergences qui vont prévaloir entre eux quant aux stratégies à adopter en général au niveau international, et en particulier dans l’espace méditerranéen. En fait, le président américain développera sa doctrine d’attaque dite préventive en désignant trois pays susceptibles de développer des armes chimiques ou nucléaires, et de les fournir au terrorisme international. L’axe du mal auquel doivent s’en prendre dorénavant les États-Unis ne concernait plus l’ancien ennemi communiste ; cette nouvelle appellation d’axe du mal englobait l’Irak, l’Iran, et la Corée du Nord. Ces pays, rappelons-le, sont affublés de l’expression disqualifiante de rogue states ou États « voyous », selon la terminologie américaine. Cette formule est à rapprocher de celle de l’ancien président Reagan désignant l’URSS, en 1982, par l’expression « Empire du mal ». Cette expression nous remet en mémoire, également, l’Axe des alliés nazis de la deuxième guerre mondiale (Allemagne, Italie, Japon). L’exploitation des attentats du 11 septembre 2001 va permettre au président G .W. Bush d’obtenir le soutien de 90% de la population américaine dans sa politique de défense qui sera désormais basée sur l’éventualité du risque terroriste nucléaire, et donc, la mise au point d’une défense anti-missile. Le rôle futur des forces transatlantiques va être mis en exergue avec un nouveau sens à donner à la pérennité de l’Alliance atlantique avec une 35 restructuration de son organisation, et une redéfinition de sa relation avec le concept adopté par l’OTAN au début des années 1990 d’une Identité Européenne de Sécurité et de Défense (IESD). Le concept de l’IESD prévoyait une structure de commandement « européenne » pré identifiée au sein de la structure de commandement de l’OTAN dirigée par un général adjoint du SACEUR, ainsi que des moyens de planification et de capacités communes comme les avions AWACS de l’OTAN. L’IESD va constituer pendant des années le seul cadre de développement des objectifs européens en matière de sécurité et de défense. Il faut souligner que le processus ultérieur sera pratiquement fondamental dans la reconfiguration de la scène internationale, ainsi que celle des rapports de force en Méditerranée. Il paraît utile, à ce sujet, de mentionner l’ouvrage de Francis Fukuyama intitulé « La fin de l’histoire et le dernier homme » qui connut un succès mondial en 1989. L’URSS était, alors, une superpuissance, mais elle commençait à subir les évènements cruciaux que l’on sait. On peut cependant s’interroger sur la validité de l’étude de Fukuyama, car l’effondrement du bloc Est et de la fin apparente de la division du monde en deux ne signifient, en fait, que la fin d’une certaine configuration de l’histoire universelle, et non pas la fin de l’histoire. De plus, cette fin de l’histoire concerne la fin de l’affrontement Est-Ouest. Or cette compétition a pris fin. Peut-on la considérer pour autant comme la substance première et dernière de l’histoire ? Car, l’après deuxième guerre mondiale fut aussi l’époque d’une grande phase de décolonisation, une étape historique caractérisée par les combats pour les indépendances nationales. Fukayama ne commet-il pas une erreur en considérant la fin de l’affrontement EstOuest comme la fin de l’histoire, faisant de cet affrontement le substrat définitif de l’évolution historique du monde et donc sa substance essentielle1 ? 1 F. Fukuyama, La fin de l’histoire et le dernier homme, éd. Flammarion, Paris, pour la traduction française, 1992, 280 p. 36 Alors que ce postulat met en valeur l’histoire des relations Est-Ouest, il élude en vérité tous les affrontements cruciaux du 20e siècle. Notamment, tous les mouvements de libération nationale, les mouvements idéologiques d’ordre révolutionnaire, le réveil de l’islamisme dans le monde musulman et la rivalité entre les alliés euro-atlantiques, notamment dans le contrôle de l’espace méditerranéen. En fait, nous n’aurons pas assisté à la fin de l’histoire – peut-on d’ailleurs raisonnablement en envisager la fin ? –, mais plutôt à la fin d’une immense compétition entre deux superpuissances pour une hégémonie planétaire qui a paru prendre fin. L’Ouest, avec les États-Unis en tête, sortaient vainqueurs de la guerre froide sans aucun affrontement militaire direct avec le concurrent soviétique. .De ce fait, une dualité perceptible voici vingt ans, a gagné en évidence : face à un centre développé et stable, il existe une périphérie incluant les pays de l’Est et du Sud, où les conflits, latents ou déclarés, débouchent parfois sur une vraie guerre civile, les anciennes sphères d’influence soviétiques étant devenues des arcs de crise, comme ce fut le cas des Balkans. L’économiste français Yves Marie Laulan a pu, non sans raison d’ailleurs, parler de « Planète balkanisée »2 dans un ouvrage dans lequel il tentait de démontrer que l’on allait vers une balkanisation assurée de la planète. D’autre part, l’effondrement de l’URSS avait engendré, de façon spectaculaire, la création d’États nouveaux, non seulement sur le territoire couvert par l’ancienne Union Soviétique, mais aussi ailleurs. Ainsi, la Tchécoslovaquie donnait naissance à deux républiques, la Tchéquie et la Slovaquie, tandis que dans l’espace méditerranéen, la Yougoslavie était démembrée en plusieurs États, les Kosovars aspirant par ailleurs, dès l’an 2000, à se soustraire à la tutelle serbe, pour créer une nouvelle entité politique. 2 Yves Marie Laulan, La Planète balkanisée, éd. Economica, Paris, 1991, 320 p. 37 En revanche, les pays de l’Europe de l’Ouest forment un ensemble prospère et, somme toute, bien stable ; face à celui-ci, les pays d’Europe Centrale et Orientale (PECO) n’ont pas attendu longtemps, après la chute du mur de Berlin, pour demander leur adhésion à l’Alliance Atlantique et c’est ainsi que l’OTAN, instrument décisif de la guerre froide, devient un espace de recomposition des relations internationales en se présentant comme une entité susceptible d’intégrer les pays transfuges du bloc de l’Est défunt. La CEI, Communauté des États indépendants devenue la Fédération de Russie, née de l’ex-URSS, continue à être partie prenante de l’architecture paneuropéenne de sécurité, l’OSCE, ou Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe. Dans ce contexte, la tentative européenne d’une politique commune de sécurité et de défense face à l’unilatéralisme américain, est fondée, de façon plus marquée qu’auparavant, sur la mobilisation plus notoire de nouveaux vecteurs sur la scène internationale : organisations internationales, forces transnationales et nouveaux réseaux de sécurité. L’ancienne bipolarité Est-Ouest, substrat de toutes les analyses, durant une bonne quarantaine d’années, est désormais transcendée aujourd’hui par une dualité qui pour n’être pas neuve puisqu’elle a préexisté à la chute du mur de Berlin, est bien plus manifeste dans le monde politique d’aujourd’hui : il s’agit de celle qui oppose le Nord au Sud en général, les États-Unis au Sud, en particulier, et les États-Unis à leurs alliés euroatlantiques, dans une certaine mesure. L’acuité de la dualité Nord-Sud est telle, avec l’effacement de l’ancienne rivalité Estouest, que les doctrinaires des forces militaires euro-atlantiques ont établi des paradigmes géostratégiques inspirés de ce qui leur semble constituer les menaces les plus sérieuses, celles venant du Sud. La zone Sud, dans cette perception, rappelons-le, semble englober potentiellement la région composée des pays composant le monde musulman, décrit du fait du terrorisme comme un arc de crise. La perception sécuritaire de l’Occident est cependant divisée et 38 marquée par les syndromes de la guerre des Balkans, du Golfe, du Kosovo, de l’Afghanistan et de la guerre en Irak qui seront aussi les ferments des divergences entre alliés euro-atlantiques. Il y a aujourd’hui une réalité patente : les guerres interétatiques semblent avoir cédé la place à la manifestation de conflits intra étatiques consacrant la violence et le recours aux armes pour la résolution de questions identitaires, de conflits religieux, de droit à l’existence de minorités, etc. La violence guerrière paraît avoir, ainsi, changé de vocation et cela provoque une mutation des systèmes de défense vers des systèmes de sécurité à l’échelle non seulement régionale mais mondiale. Il s’agit d’appréhender, en ce qui concerne les grandes puissances, les dangers de voir les répercussions des désordres nationaux en pays étrangers ressurgir sur leurs propres sols ou toucher à leurs intérêts. Les puissances européennes, alliées des États-Unis, développent aujourd’hui des stratégies, parfois masquées mais parfois aussi bien explicites, pour essayer de prendre une part consistante dans la gestion de l’ordre planétaire. L’ancien Secrétaire d’État américain, Henry Kissinger a tenté la définition suivante pour définir le nouvel ordre mondial que consacrerait le 21e siècle : « Une contradiction apparente marquera l’ordre international au 21e siècle, avec d’une part la fragmentation, de l’autre une mondialisation croissante. Concernant les relations entre États, le nouvel ordre ressemblera davantage au système étatique du 18e siècle et du 19e siècle qu’aux schémas rigides de la guerre froide. Il comprendra au moins six grandes puissances – les États-Unis, l’Europe, la Chine, le Japon, la Russie et probablement l’Inde – et une multiplicité de pays de petite et moyenne dimensions. En même temps, les relations internationales pour la première fois de l’histoire ont un caractère vraiment mondial. Les communications sont instantanées, l’économie opère simultanément sur tous les continents. On a vu 39 surgir toute une série de questions qui ne peuvent être traitées qu’à l’échelle de la planète, comme la prolifération nucléaire, l’explosion démographique et l’interdépendance économique3. » En attendant l’émergence décisive, sur la scène mondiale, d’un pays comme l’Inde, et un rôle sur la scène internationale qui gagnerait en prépondérance, dans le cas de la Chine, il reste que seules les puissances américaine et européenne, de rivalités en convergences, se disputent le monde de demain. En fait, la bipolarisation a cédé le pas à la mondialisation. Non point seulement du point de vue de l’économie, mais encore de celui de la stratégie militaire. Ainsi, vers la fin des années quatre-vingt, le développement des services, l’extension de l’industrialisation au niveau mondial, la révolution électronique et biologique vont permettre une globalisation des échanges qui jusque là restaient limités au niveau de l’Occident face à un bloc soviétique replié sur lui-même. Pour rappel, sur le plan géostratégique, durant les années 1990, on assiste à une restructuration de l’OTAN, à sa mutation et à sa nouvelle articulation avec l’UEO (l’Union de l’Europe Occidentale). Ces questions seront évoquées lors des développements qui suivent. Il faut souligner le fait que pendant cette période, l’UEO va installer en Méditerranée de nouvelles projections de puissance avec l’Euroforce, (ou Eurocorps), incluant des forces aériennes ( Eurofor) et maritimes ( Euromarfor). Parallèlement à cette mutation des forces transatlantiques, un Partenariat Pour la Paix (PPP) avec les pays d’Europe centrale et orientale (PECO) sera entrepris, ainsi que l’intégration de certains d’entre eux à l’OTAN. L’évènement le plus spectaculaire sera la signature d’un traité Russie-Otan en 1997. De même, un ensemble de dialogues méditerranéens sera lancé, dont ceux importants de l’Union européenne (Barcelone 1995), et de l’OTAN avec les pays sud-méditerranéens. 3 Henry Kissinger, Diplomatie, pour la traduction française, Paris, 1996. 40 La constitution et le processus de développement des forces militaires occidentales en Méditerranée sont étudiés dans les pages qui suivent, consacrées aux forces transatlantiques en mutation. L’environnement géopolitique mondial dans le contexte de l’après-guerre froide, le bouleversement des rapports de force en Méditerranée puis, enfin, la vision prospective euro-atlantique seront ainsi examinés dans l’ordre de succession ci-après : Chapitre 1. L’environnement géopolitique mondial dans le contexte de l’après-guerre froide ; Chapitre 2. Le bouleversement des rapports de force en Méditerranée ; Chapitre 3. L’évolution du partenariat euro-atlantique 41 Chapitre 1 L’environnement géopolitique mondial dans le contexte de la fin de la guerre froide 42 Chapitre 1 L’environnement géopolitique mondial dans le contexte de la fin de la guerre froide Dix nouveaux Etats (Chypre, Estonie, Hongrie, Lettonie, Lituanie, Malte, Pologne, République Tchèque, Slovaquie et Slovénie) ont intégré l’Union européenne (UE), le premier mai 2004. Deux autres candidats, la Bulgarie et la Roumanie, joindraient l’Europe en 2007, et la Turquie a entamé les négociations en vue d’une future adhésion. Ainsi, l’UE s’agrandit de 100 millions d’habitants pour passer à 455 millions. Elle représente actuellement 19% du commerce mondial, et est à l’origine de 46% des investissements directs étrangers dans le monde. Son objectif actuel est de renforcer sa place sur la scène internationale en développant une politique européenne de sécurité et défense (PESD). Parallèlement à cette dynamique européenne, l’Alliance atlantique s’est élargie aux pays d’Europe centrale et orientale (PECO) et a développé un processus de partenariat avec les pays du Sud de la Méditerranée dans le cadre de l’Initiative de Dialogue méditerranéen initiée en 1994. Ces éléments caractérisent la période de la fin de la guerre froide qui sera fondée sur une recomposition des relations internationales. Cette période contraste avec les enjeux de l’après deuxième guerre mondiale quand deux blocs (Est contre Ouest) vont s’affronter pour des raisons idéologiques. Il est utile de rappeler les facteurs ayant marqué les relations internationales à la fin du second conflit mondial, notamment avec les accords de Yalta, signés en février 1945, réunissant Roosevelt, Staline et Churchill. Ces derniers vont adopter une « Déclaration sur l’Europe libérée » qui promettra la démocratie pour tous les pays, et abordera pour la première fois dans le cadre des conférences internationales, le principe de l’autodétermination des peuples. Cependant, Yalta va apparaître comme le symbole du partage du monde en général, et de l’Europe en particulier. Il est alors prévu une division de l’Allemagne en 43 quatre zones d’occupation. La France, non représentée à la conférence, devait recevoir une partie de la zone attribuée aux États-Unis. En Extrême-Orient, l’URSS a vu ses revendications territoriales satisfaites afin de compenser l’humiliation subie par la Russie, en 1905, au vu de sa défaite avec le Japon. La Corée est alors divisée en deux zones d’influence. « Ce mythe de Yalta suggère des chefs d’Etat ou de gouvernement tout-puissants, réglant autour d’une table les problèmes de la terre. Il n’en est rien : Yalta s’inscrit dans un enchaînement de négociations multiples, sur fond de combats très âpres (occidentaux et soviétiques) faisant la course dans la conquête des territoires tenus par l’Allemagne hitlérienne) ; de plus, comme dans la plupart des réunions internationales, les divergences se manifestent à Yalta à propos de dossiers précis ( du gouvernement de la¨Pologne au projet de l’Organisation des Nations Unies – ONU…). Mais Yalta, c’est la photo de trois hommes : Roosevelt, épuisé, proche de la mort et perdant ses illusions sur Staline (qu’il était convaincu de pouvoir séduire) ; Staline, maréchal de l’URSS, triomphant (son armée fonçant sur Berlin), mais désabusé et voyant en chacun, un ennemi mortel ; enfin, Churchill, ultime représentant de la vieille Europe ruinée, comme tassé par la conscience que l’avenir appartient aux géants américain et soviétique »1. En fait, généralement considérée comme un partage du monde, la conférence de Yalta a surtout symbolisé le dernier moment de consensus des Alliés de la deuxième guerre mondiale avant la guerre froide. Winston Churchill a été le premier à exprimer dans son discours de Fulton (Missouri), le 5 mars 1946, la rupture de l’alliance anti-hitlérienne en se déclarant convaincu que les Russes ne respectaient que la force. Il a fait apparaître pour la première fois la notion de rideau de fer. La guerre froide venait de commencer. 1 Philippe Moreau Defarges, Les relations internationales depuis 1945, éditions du Seuil, Paris, 1996 44 A partir de 1946, la rivalité entre les États-unis et l’URSS avec notamment « le Coup de Prague » en 1948 va diviser l’Europe en deux camps2. Le 17 mars 1948, La France, la Grande-Bretagne et les pays du Benelux vont conclure un traité d’assistance mutuelle. Des pourparlers sont organisés avec les États-Unis pour conclure le Pacte Atlantique (traité de l’Atlantique Nord) qui sera signé le 4 avril 1949. La logique des deux blocs va marquer désormais la sphère internationale, elle va imprégner le jeu militaire et diplomatique des deux grandes puissances, les États-Unis et l’URSS, avec leurs relais d’alliances et de sphères d’influence dans le monde3. L’URSS va vouloir étendre son influence selon le principe du glacis protecteur vers l’Ouest, mais aussi vers les mers chaudes, et particulièrement vers la Grèce et la Turquie. Les États-Unis, à travers la doctrine Truman, s’opposent aux projets soviétiques, et se réserveront le droit d’intervenir dans la lutte contre le communisme. La doctrine Truman sera connue sous le nom de containment ou endiguement du communisme. Avec la fin de la guerre froide se produit une perversion de la logique des blocs qui va s’exprimer par un rapprochement des anciens adversaires devenus partenaires de la détente et unis dans un nouveau bloc Nord face à un front Sud, pressenti comme la source de futures menaces. La rivalité Est-Ouest s’achève réellement durant la période 1989-1991, lorsque les pays membres du Pacte de Varsovie rompent les liens qui les attachent à l’URSS. De la Pologne à la Roumanie, tous les États tampons du bloc Est qui séparaient l’Union Soviétique de l’Europe Occidentale connaissent une véritable révolution. Ces pays réclamèrent longtemps la chute du rideau de fer, des réformes politiques et économiques et leur autonomie militaire. 2 « Le coup de Prague » sera, à l’origine, provoqué par la droite bourgeoise tchécoslovaque qui refusera de partager le pouvoir avec les communistes au gouvernement depuis la Libération. Le 25 février 1948, le président Edvard Benes mettra en place un gouvernement communiste homogène. 3 Cf. Jacques Soppelsa, Géopolitique de 1945 à nos jours, mémento de g géographie Sirey, éd. Dalloz, 1993. 45 Le triomphe des valeurs dites libérales va mettre fin à l’affrontement Est-Ouest et fait émerger un nouvel ordre mondial marqué par un renouveau de la puissance américaine et l’apparition de puissances périphériques. L’effondrement du bloc soviétique aura été une conséquence de la doctrine de Ronald Reagan sur l’IDS – ou Strategic Defence Initiative – qui fut un programme de recherche militaire (militarisation intégrale et « guerre des étoiles ») initié en 1984 aux États-Unis et ayant pour but d’influer sur les négociations Est-Ouest. L’Union Soviétique s’engagera dans une course irrationnelle aux armements et fournira un effort militaire particulièrement intense, épuisant ainsi toutes les forces de sa puissance4. Section 1. L’effondrement de l’ordre bipolaire Les bouleversements survenus en Europe ont influé sur les causes qui ont justifié la création de l’Alliance Atlantique et celle du Pacte de Varsovie. En 1985, Gorbatchev arrive au pouvoir. Les démocraties populaires vont alors connaître un processus de libéralisation qui favorise l’expression des mouvements d’opposition. Ainsi, en avril 1989, en Pologne, l’accord entre le général Jaruzelski, chef de l’État (communiste), en place, et Lech Walesa (syndicaliste opposant contestataire de l’ordre politique en place) produira une transition vers le libéralisme. Il en sera de même, en Hongrie, où Kadar est écarté laissant la voie au multipartisme. Ce processus d’ouverture va toucher toute l’Europe de l’Est. Le 9 novembre 1989, le mur de Berlin est détruit permettant la réunification de l’Allemagne. En ex-URSS, après une tentative de coup d’Etat contre Gorbatchev, menée par les conservateurs, Eltsine, président de Russie, aura tous les pouvoirs en main avec la démission de Gorbatchev, dès le 25 décembre 1991. 4 Lexique de géopolitique, 1988, éd. Dalloz. 46 Avec la création de la CEI (Communauté des Etats Indépendants), c’est l’éclatement de l’URSS qui va se produire avec la création de la Fédération de Russie et de républiques nouvellement indépendantes situées sur l’ancien territoire soviétique. En fait, dès le 19 novembre 1990, l’OTAN et le Pacte de Varsovie signent un traité de non-agression lors du Sommet de la Conférence sur la Sécurité et la Coopération en Europe (CSCE). Puis en juillet 1991, le Pacte de Varsovie est supprimé car l’URSS n’a plus aucune raison d’exiger le contrôle militaire à ses frontières d’États tampons qui étaient jusqu’alors nécessaires à l’équilibre de sa puissance. La fin du Pacte de Varsovie va signifier pour l’OTAN et les forces occidentales la nécessité de revoir la nature de leur vocation originelle et de se réadapter au vu des changements du système international. Paragraphe 1. La modification des rapports Est-Ouest L’ancien président George Bush (père) présentera l’avènement de la fin de la bipolarité dans les termes suivants : « Il est des moments singuliers de l’histoire, certaines dates qui séparent, de tout ce qui précède, tout ce qui suit. La plupart d’entre nous ici présents ont passé la majeure partie de leur existence dans un monde dont les traits généraux ont été façonnés en 1945. Les événements de cette année-là ont décidé de la forme des nations, de la rapidité des progrès, et de la liberté ou de l’oppression de millions de personnes de par le globe…1945 nous a fourni des cadres communs de référence, les points cardinaux de l’aprèsguerre sur lesquels nous pouvions compter pour nous comprendre nous-mêmes. Tel était notre univers jusqu’à aujourd’hui. Car les événements de l’année qui vient de s’écouler – la révolution de 1989 – ont suscité une réaction en chaîne, une métamorphose si frappante qu’elle marque le début d’une ère nouvelle. »5 5 George Bush senior, Discours sur l’état de l’Union, 31 janvier 1990. 47 A. Potentiel de défense des pays de la C.E.I Il paraît important de rappeler les caractéristiques des moyens de défense des pays membres de l’ancien Pacte de Varsovie pour mieux saisir la situation actuelle du potentiel de défense de la Communauté d’Etats Indépendants (CEI) constituée le 8 décembre 1991, à Belvej, prés de Minsk en Biélorussie. En fait, en réaction aux accords de Paris qui intégreront la République Fédérale d’Allemagne dans l’OTAN, le Pacte de Varsovie, signé le 14 mai 1955, va apparaître comme une défense préventive des pays socialistes contre le bloc occidental. Il va organiser la défense de l’Europe de l’Est en cas d’agression armée d’un Etat quelconque ou d’un groupe d’Etats. Selon l’article 51 de la Charte des Nations Unies, l’Etat victime d’une agression a le droit à une assistance immédiate, y compris l’emploi de la force armée pour garantir le respect de ses frontières et l’intégrité de son territoire. Le pacte de Varsovie comprenait à l’origine huit démocraties populaires : l’URSS, la Roumanie, la Bulgarie, la Hongrie, la Pologne, la Tchécoslovaquie, la République démocratique allemande et l’Albanie. Il faut souligner le fait que cette composition était différente de celle du Conseil d’Assistance économique mutuelle (C.A.E.M, ou Comecon) dans lequel sont intégrés Cuba, le Vietnam et la Mongolie. Depuis la conclusion du pacte de Varsovie, l’organisation des forces militaires des pays membres se fera selon le modèle des forces soviétiques. L’organisation des différents services concernant les opérations, les transports, et en particulier, l’organisation des renseignements sera commune aux sept états-majors. 48 Pour la majorité des armements importants, les alliés communistes étaient complètement dépendants de l’URSS. La plupart des membres du pacte avaient installé des rampes de lancement de missiles sol-sol à courte portée. Les autres armes stratégiques comme les missiles balistiques à moyenne portée (M.R.B.M) étaient localisées en URSS, et placées essentiellement sous son contrôle. Durant la période de la guerre froide, l’URSS consacrait 25% de son PNB à la défense contre 6,4 % pour les États-Unis.6 .En termes d’équilibre des forces militaires, les pays membres du Pacte de Varsovie avaient renforcé massivement leurs moyens : en l’espace de dix années, le nombre des divisions d’infanterie motorisée devait passer de 111 à 142, les bâtiments de combat de 231 à 274, les chars de combat de 41 500 à 53 000.7 Il en sera de même pour les bombardiers stratégiques, les forces aériennes tactiques et la marine. Le Pacte de Varsovie avait élaboré un concept de théâtre géographique d’opérations militaires concernant toute l’Europe. Dans ces théâtres d’opérations militaires étaient décidées les stratégies et les tactiques incluant tous les systèmes d’armes (missiles, avions, navires, forces terrestres). Les moyens du Pacte de Varsovie étaient présentés comme ayant une supériorité sur ceux de l’Otan et donc comme une menace pour l’Europe Occidentale qui était pressentie pour être le théâtre majeur d’une éventuelle confrontation américanosoviétique. 1. L’arsenal militaire conventionnel Malgré la création de la CEI, aucun des nouveaux Etats de l’ex-URSS ne pourra 6 7 Cf. Maurice Lefèbvre et Dan Rotenberg, La genèse du nouvel ordre mondial, ed. Ellipse, Paris, 1992. Idem. 49 produire l’ensemble de ses armements ni de développer de bonnes bases industrielles et technologiques.. Cette situation tranche avec la période du début de la guerre froide, notamment après la deuxième guerre mondiale, de 1945, à 1987, quand pendant quelques quatre décennies, l’URSS va établir une défense militaire puissante et offensive dans tout le bloc Est. Durant les années soixante-dix, elle produira chaque année 3000 tanks, 5000 véhicules blindés, 1300 avions de combat, et 12 sous-marins nucléaires.8 Elle développera une flotte maritime sur toutes les mers, dont la célèbre Eskadra pour la Méditerranée. Cette flotte maritime comprendra toutes les formes de navires de guerre allant du croiseur lance-missiles au sous-marin nucléaire. En 1991, la constitution de la CEI va concerner l’ancien territoire de l’ex-URSS à l’exception des pays Baltes et de la Georgie9. Le problème d’un commandement commun va alors se poser du fait de la constitution d’armées nationales avec les unités de l’ex-Armée rouge, et d’un désaccord à propos du contrôle des armes stratégiques et de la flotte de la mer noire. En ce sens, des problèmes surgiront entre la Russie et l’Ukraine quant aux moyens de défense déployés sur leurs territoires respectifs. 2. Les armes stratégiques La situation géostratégique de la CEI n’est pas celle de l’URSS à l’époque bipolaire. La Fédération de Russie ne possède plus que 60% de l’ancien territoire soviétique10 Dans les pays de l’ex-pacte de Varsovie, la reconversion va s’avérer difficile du fait des politiques d’ajustement structurel de la Banque mondiale et du FMI, et le passage à une économie de marché. L’exemple type est celui de la Slovaquie qui avait une spécialisation 8 In Gisèle Charzat, La guerre nouvelle, ed. Stock, Paris, 1988, p. 110 Les membres de la Communauté des Etats Indépendants sont les suivants : Arménie, Azrbaidjan, Biélorussie, Kazakhstan, Kirghizstan, Moldavie, Ouzbékistan, Russie (Fédération de Russie), Tadjkistan, Turkménistan, Ukraine. 10 In le Dictionnaire de géopolitique, sous la direction de Yves Lacoste, ed. Flammarion, Paris, 1993. 50 9 industrielle fondée sur le transfert des productions militaires de l’ouest vers l’est du pays depuis 1950, cela dans la perspective d’une menace d’invasion occidentale A l’époque bipolaire, les capacités nucléaires sont de première frappe puisque, en 1987, l’URSS détenait 10.000 ogives et bombes nucléaires sur vecteurs intercontinentaux avec les derniers missiles sol-sol (SS-24 et SS-25). L’arsenal militaire soviétique comportait aussi des sites de missiles anti-missiles, des satellites de détection de lancement de missiles adverses, des grands radars d’alerte avancée, antimissiles balistiques situés sur le territoire soviétique et destiné à sa défense. Dans le domaine de l’espace, l’URSS explorait, depuis 1960, toutes les technologies de pointe : des lanceurs opérationnels de satellite et des systèmes antisatellite aux armes à laser. Durant cette période, elle dépensait l’équivalent de 1 milliard de dollars pour le seul programme d’armes à laser. L’état des capacités et forces militaires soviétiques dans les années 80 prouvait une parité stratégique avec les États-Unis malgré les nombreux atouts que possédaient ces derniers, l’URSS avait une supériorité conventionnelle par rapport à l’OTAN du fait des forces du Pacte de Varsovie. Le rapport des forces changera dès 1987, quand l’Amérique aura mis au point son Initiative de Défense Stratégique ou IDS avec l’application des progrès de la recherche militaire dans le domaine du développement technologique civil. Le concept stratégique de l’ancien président Ronald Reagan, promoteur du credo de la « guerre des étoiles », avait été lancé dès mars 1983, avec pour but de mobiliser toute la puissance technologique américaine afin d’asseoir définitivement la suprématie des États-Unis sur l’Union Soviétique. Pour les observateurs, experts de la « guerre des étoiles », les États-Unis avaient essentiellement pour objectif d’user l’URSS, de déclasser ses matériels, ses forces de défense, sans la détruire militairement. La lutte se fera sur le terrain de la conception et 51 de la fabrication des armements. Le duel par la stratégie des moyens aboutira à une nouvelle forme de guerre, la confrontation génétique. On a désigné à travers le terme de confrontation génétique, la compétition entre les deux superpuissances sur les grands programmes d’armements. En fait, la militarisation de la défense nord-américaine va dénoter le souci des États-Unis d’installer encore plus fermement sa suprématie. A l’effort de gagner à la cause du désarmement graduel et à celle de la coexistence entre Etats souverains de plus en plus d’adeptes, fait place une volonté implicite de s’en dégager. Ainsi les États-Unis vont dénoncer de façon unilatérale l’Anti-Ballistic Missile (ABM) en 2002. Tout comme ils privilégient le développement des moyens militaires avec l’augmentation du budget militaire qui connaît une progression de l’ordre de 15% en 2003. B. Les forces militaires euro-atlantiques Certains pays européens comme la France soutiennent les efforts internationaux en faveur du désarmement général et complet, et pour se conformer à l’esprit du TNP (Traité de Non Prolifération), ce pays a procédé à une réduction unilatérale de ses forces de dissuasion en appliquant le principe de stricte suffisance. Cependant, « au cours dix dernières années, les négociations en vue de la maîtrise des armements et du désarmement n’ont produit que des résultats décevants »11. A titre d’exemple, la politique américaine de « guerre préventive » qui justifie actuellement une course aux armements. Déjà, pour certains observateurs, l’élection de Ronald Reagan, il y a plusieurs années, avait été l’expression et l’aboutissement d’une véritable paranoïa collective liée à l’éventuel déclin américain. Le slogan symbolique de sa campagne électorale fut « l’Amérique est de retour » ou « America is back ». Sa présidence sera celle du déploiement néo-nationaliste nordaméricain, et du rétablissement de la supériorité militaire des États-Unis au niveau mondial. Ronald Reagan va s’inspirer de la politique du « big stick » [ « gros bâton » ] de l’ancien président Théodore Roosevelt (1901-1908). 11 Entre maîtrise et développement, une course permanente, in « Dossier sur les armes de destruction massive », Questions internationales, no 13, La Documentation française, Paris, mai-juin 2005. 52 Il sera alors programmé 1500 milliards de dollars de dépenses en cinq années soit 200 milliards de plus que le plan du président Carter. Ce dernier avait déjà augmenté le volume des dépenses militaires de 3% en 1979 et de 5% durant les années 1980/81. Le réarmement américain est, en fait, un renforcement gigantesque de l’arsenal militaire des États-Unis aussi bien dans l’aviation que dans l’armée de terre et les missiles. En 1987, après deux mandats successifs du président Reagan, le budget des dépenses militaires américaines représentera plus du quart du budget de l’Etat fédéral. Durant la présidence Reagan, le Congrès américain aura accordé un total de 2200 milliards de dollars en matière d’efforts de défense, ce qui représente un fait fondamental dans la course aux armements avec l’URSS, et aura provoqué l’effondrement subséquent de cette dernière. 1. La restauration de l’équilibre stratégique des forces de l’OTAN Lors du Sommet de l’OTAN du 12 décembre 1979, il va être programmé un projet de modernisation des armes nord-atlantiques avec le déploiement, avant la fin 1983, des missiles Cruise et des Pershing. L’objectif est d’assurer une dissuasion totale quant au moindre recours aux armes nucléaires car le déploiement des fusées SS-20 par l’URSS, dès 1977, avait représenté une menace pour les forces atlantiques. Selon la doctrine Mac Namara des « représailles massives », adoptée par les États-Unis en 1963, il était question d’utiliser l’arme atomique en cas d’attaque soviétique ; mais cette doctrine sera abandonnée et remplacée par celle de la « réponse graduelle » ou graduate response.12 Ainsi le théâtre d’opérations d’un éventuel affrontement Est-Ouest devenait limité au continent européen. L’OTAN adoptera alors la doctrine de la « défense de l’avant », limitée au niveau conventionnel, et supposée arrêter toute intervention soviétique dans les cinquante premiers kilomètres du front. 12 Voir Brzezinski Zbigniew, Le vrai choix, l’Amérique et le reste du monde, Paris, Odile Jacob, 2004. 53 Malgré la signature des accords SALT , l’éventualité d’une guerre conventionnelle n’est alors pas exclue, ce qui n’assure plus la sécurité de l’Europe Occidentale du fait de la prépondérance des forces conventionnelles du Pacte de Varsovie. Face à cette disparité militaire et dès le début des années 1980, l’OTAN adoptait la nouvelle doctrine du « Follow On Forces Attack ». Il s’agissait d’utiliser les nouvelles technologies intelligentes comme le guidage électronique ou « emerging technologies » pour empêcher une avance de l’adversaire en attaquant ses forces de remplacement et d’exploitation. Après une épreuve de force avec l’URSS, l’implantation des Pershing en Europe occidentale va marquer une victoire des forces euro-atlantiques et la restauration de l’équilibre stratégique en Europe pour l’Alliance Atlantique. 2. Evolution de la stratégie américaine La période de la guerre froide a ainsi connu la doctrine du containment ou endiguement du communisme et donc de l’URSS, accompagnée du Plan Marshall de reconstruction de l’Europe. La doctrine américaine des « représailles massives » sera confirmée sous les deux mandats présidentiels du Général Heisenhower ; il s’agira de compenser une supposée supériorité conventionnelle de l’URSS, puis du Pacte de Varsovie, par une menace de représailles nucléaires sur leurs principales cités. Ainsi, l’intégration de l’arme nucléaire en Europe sera au programme de l’OTAN de 1952 à 1958. La stratégie américaine va alors évoluer vers l’idée d’une contre-force ou une alternative à la mesure de destruction des grandes cités, cela notamment avec le développement des armes de contre-force telles que les fusées MX Mirvée, les missiles de croisière et les fusées Trident. Cette doctrine sera développée par James Schlesinger en complément de la politique générale élaborée par Henry Kissinger, et réaffirmée par Ronald Reagan13. 13 Brzezinski Zbigniew, op. cit. 54 La doctrine Kissinger est basée sur le fait que la détente a remplacé la guerre froide. Les États-Unis maintiennent leur contrôle sur le monde atlantique (y compris le Japon), et reconnaissent à l’URSS une sphère d’influence en Europe de l’Est. Vers le début des années 1980, une directive connue sous le nom de directive présidentielle no 59 sera élaborée par Brzezinski, conseiller du National Security Council, dépendant du Pentagone. Elle va viser les objectifs suivants : - empêcher tout conflit nucléaire ; - développer la dissuasion en tant que moyen susceptible de contrer toute attaque surprise de l’ennemi ; - assurer la stabilité ; - assurer un équilibre stratégique au plus bas niveau possible. Par la suite, l’Initiative de Défense Stratégique va devenir un programme de recherche gigantesque destiné à développer une hyperpuissance de l’Amérique dans le domaine militaire14. Le président Ronald Reagan avait justifié dans un discours à la nation l’existence de ce projet dans les termes suivants : « … Après avoir longuement consulté mes conseillers y compris l’État-major combiné, je crois qu’il existe un moyen d’assurer une stabilité durable. Nous allons nous engager dans un programme de recherche qui vise à éliminer, par des mesures défensives, la terrible menace que matérialisent les missiles soviétiques… Je sais que c’est là une tâche formidable, qui ne peut aboutir avant la fin de ce siècle, mais la technologie a maintenant atteint un tel degré de perfection qu’il apparaît raisonnable d’orienter ainsi nos efforts. 15» Le système de « guerre des étoiles », avec l’IDS, prévoyait des canons lasers mis sur orbite, ayant pour objectif la destruction des fusées soviétiques avant que celles-ci n’atteignent le territoire américain. 14 15 Védrine Hubert, Face à l’hyperpuissance, Textes et discours 1995-2003, Paris, Fayard, 2003. Ronald Reagan, Discours à la Nation, 23 mars 1983. 55 Cependant, l’IDS risquait d’accélérer la course aux armements de manière infernale. L’URSS exerça des pressions pour l’arrêt du programme en échange de son retour à la table des négociations stratégiques, en mars 1985. Le programme IDS sera réorienté alors vers un nouveau système de protection contre des frappes limitées (PALS) ou Protection Against Limited Strikes dans des conflits localisés. Par ailleurs, parmi les applications concrétisées du projet PALS, les systèmes antimissiles ARROW et les missiles Patriot avaient été développés, et furent plus tard utilisés dans la guerre du Golfe comme systèmes de défense contre les missiles nucléaires et chimiques de courte et moyenne portée. Paragraphe 2. Les forces occidentales et la fin de la guerre froide Pour les États-Unis, l’efficacité de la politique du « containment » ou de l’endiguement anticommuniste avait été réelle. L’Amérique avait su utiliser les grands moyens opérationnels allant de la propagande idéologique à la stratégie indirecte de la course aux armements. Elle avait réussi à épuiser l’URSS dans cette course aux armements, fatale à la survie de son économie, et a accéléré sa chute. Rappelons que l’organisation militaire du Pacte de Varsovie sera dissoute en février 1991. Il en sera de même pour le COMECON, l’Union économique des pays de l’Europe Centrale et Orientale qui connaîtra le même sort dès le 28 juin 1991. En ce qui concerne le démantèlement du Pacte de Varsovie, on peut relever que l’acte final s’est déroulé en février 1991, lorsque les ministres des Affaires étrangères et de la Défense des pays qui étaient encore membres de l’organisation (URSS, Bulgarie, Hongrie, Pologne, Roumanie, Tchécoslovaquie) se rencontrent à Budapest, le 25 de ce mois-là, pour dissoudre cette structure militaire. Déjà, en février 1990, le président Vaclav Havel avait signé un accord qui décidait du retrait des troupes soviétiques stationnées sur le sol tchécoslovaque, et de la non reconduction du traité bilatéral d’assistance militaire. Durant la même année, ce mouvement sera étendu à la Hongrie qui exigera le retrait des troupes soviétiques de son 56 territoire, et à la R.D.A. qui voyait sans doute poindre le processus de sa réunification avec la République fédérale allemande. L’année 1991 sera donc clôturée par la disparition de l’URSS et la rupture de l’unité des forces militaires des républiques soviétiques. Il y aura, alors, un infléchissement américain vers l’unilatéralisme, c'est-à-dire une primauté stratégique des États-Unis sur la scène internationale. La stratégie dite de primauté stratégique sera élaborée par le Pentagone en 1992. En effet, Paul Wolfowitz et Lewis Libby, respectivement, Secrétaire adjoint à la Défense, et conseiller aux questions de Sécurité nationale, avaient rédigé un programme de défense dont l’objectif était le suivant : « Empêcher toute puissance hostile de dominer des régions dont les ressources lui permettraient d’accéder au statut de grande puissance et décourager les pays industrialisés avancés de toute tentative visant à défier notre leadership ou à renverser l’ordre politique et économique établi […] et prévenir l’émergence future de tout concurrent global 16. » Le budget de la défense américaine sera maintenu en 1994 à 280 milliards de dollars, soit 88% de la moyenne existant au moment de la guerre froide. Sur une période de six années, il augmentera de 112 milliards de dollars. Cela, sous la pression des deux Chambres du Congrès qui étaient, en 1994, contrôlées par le Parti Républicain. Aujourd’hui, la menace causée par le terrorisme et les armements de destruction massive vont justifier, aux yeux de l’opinion américaine, une mobilisation high-technology, avec la prévision d’un nouveau budget militaire de 380 milliards de dollars, soit la somme de tous les budgets de défense réunis, de tous les adversaires, supposés, des États-Unis. A. Les nouveaux bouleversements géostratégiques Sur le plan international, la dislocation du système socialiste laissait un vide géostratégique au niveau mondial, un fait qui sera source d’instabilité et d’incertitude. 16 Cf. Paul-Marie de la Gorce, « Washington et la maîtrise du monde », Le Monde Diplomatique, avril 92 57 L’URSS avait son réseau de sphères d’influence et d’alliances, sa décomposition va favoriser un certain désordre mondial. La superpuissance soviétique avait acquis une vocation mondiale avec l’établissement, entre autres, des Conférences mondiales des Partis communistes (1957) qui succédèrent au Komintern (1919-1943) et au Kominform (1947-1956). Cela, en plus des Conférences régionales avec la fondation du Pacte de Varsovie et du Comecon. Sa sphère d’intervention allait de l’Afrique à l’Asie avec l’ensemble des pays alliés tels que l’Angola, le Mozambique, la Namibie, l’Éthiopie, le Yémen du Sud, le Vietnam, le Cambodge, etc. Pour les États-Unis et leurs alliés occidentaux, la disparition des organisations du bloc Est et son impact sur l’équilibre international et régional vont provoquer l’adoption d’une nouvelle architecture sécuritaire en fonction des menaces supposées provenir non plus de l’Est, mais du flanc Sud. Le président George W. Bush, annonçait, le 1er mai 2001, la décision du Pentagone de procéder de manière intensive à la construction d’un système de défense performant et à une augmentation considérable de l’effort de défense américain dans le domaine spatial. En septembre 2002, une nouvelle doctrine stratégique américaine est élaborée prévoyant une action unilatérale des États-Unis en cas de menace supposée aux intérêts de ce pays. Nous pouvons nous interroger sur la nature des nouvelles menaces qui éventuellement guetteraient les États-Unis, excepté le problème du terrorisme, quand on sait que la Russie avait tenté à une certaine période de développer un tourisme spatial pour améliorer ses ressources, et que la Chine a surtout besoin de paix pour continuer la promotion de sa situation économique et sociale.17 17 Voir Le Monde diplomatique, juillet 2001. 58 Quant au Moyen-Orient, il demeure sous tension du fait des répercussions de l’appui inconditionnel donné par les États-Unis à Israël, et des répercussions de l’intervention américaine en Irak. 1. Quelques cas de conflits dans la zone Sud La fin de la guerre froide a produit un certain nombre de conflits régionaux, quoique d’anciens conflits aient été résolus, comme ceux de l’Angola, de la Namibie, du Nicaragua, du Salvador, du Cambodge, de l’ex-Yougoslavie. La deuxième guerre irakienne suscitera un déploiement massif des forces américanobritanniques, et provoquera le cas inédit, depuis la guerre au Kosovo, d’une guerre déclarée sans l’aval du Conseil de sécurité. La guerre du Golfe, en janvier 1991, avait illustré ce que les observateurs désigneront comme un « nouvel ordre mondial ». Un monde dominé par l’activité multinationale de l’Occident, sous le contrôle américain, dans des formes d’intervention faites au nom de la paix. Ainsi, la guerre du Golfe avait été provoquée par l’Irak qui avait envahi et occupé le Koweït. En fait, Saddam Hussein avait eu pour dessein d’exploiter la fin de la guerre froide en appliquant une visée expansionniste, et réorganiser ainsi la région. Le président irakien ne finira par reconnaître le Koweït que le 10 novembre 1994 et ce, surtout, afin que l’Organisation des Nations Unies admette le principe de la levée des sanctions prises à l’encontre de son pays. Marisol Touraine, spécialiste française des questions internationales, résumait les enjeux de ce type de conflit territorial dans les termes suivants : « … La faible popularité des monarchies pétrolières, l’agitation du sentiment anti-israélien, la récupération strictement tactique du discours islamiste et anti-occidental devaient favoriser la réalisation d’un dessein expansionniste classique à l’égard des territoires pétroliers. 59 La nécessité de redéfinir les équilibres internationaux a favorisé l’émergence de stratégies d’hégémonie locale. La fragilité des États nationaux, la résurgence des conflits territoriaux favorisent ces appels d’empire. »18 Toute la zone du Moyen-Orient allant jusqu’à la région des Balkans sera affectée par l’effondrement de l’ordre bipolaire ; le corollaire de cette situation sera l’émergence de nouveaux pôles de puissance régionale désireux de rétablir le nouvel équilibre régional à leur profit. Citons, à titre d’exemple, le cas de la Turquie qui va développer une relation d’alliance avec Israël pour renforcer sa puissance et exercer plus d’impact sur l’équilibre régional au Moyen-Orient. Mais cette nouvelle alliance turco-israélienne suscitera un durcissement des politiques des pays arabes. Par ailleurs, tentés par les mêmes convoitises de puissance régionale, l’Iran et l’Arabie saoudite vont multiplier également leurs propres réseaux de relais stratégiques et deviendront aux yeux de nombreux observateurs les bailleurs de fonds du terrorisme international. Les années 1990 connaîtront une recrudescence du terrorisme international qui atteindra l’apothéose avec les attentats contre les deux tours du World Trade Center, et de l’un des bâtiments du Pentagone, aux États-Unis, en septembre 2001. Il faut rappeler que ces évènements seront suivis de la mobilisation d’une coalition pour le bombardement de l’Afghanistan, avec pour finalité de détruire les bases des Talibans, supposés être les auteurs d’un type d’attaque sophistiqué et inédit dans l’histoire ÉtatsUnis. Ces derniers, jusque là, n’avaient jamais été atteints sur leur territoire national. Un évènement, qui même durant les périodes les plus éprouvantes de la guerre froide, ne s’était jamais produit. De même, l’après-guerre froide va favoriser l’éclosion de sentiments nationalistes exacerbés, lesquels, lorsqu’ils ne prennent par la forme de velléité expansionniste, deviennent l’expression de véritables replis identitaires ou religieux. 18 Marisol Touraine, Le bouleversement du monde, ed. du Seuil, Paris, 1995, 268 p. 60 Remarquons, par exemple, la possibilité de déstabilisation régionale qui pourrait éventuellement être provoquée par le conflit kurde qui affecterait non seulement la Turquie avec ses 12 millions de Kurdes, mais également l’Irak (4 millions), l’Iran (6 millions), la Syrie (800.000) et les anciennes républiques soviétiques du Caucase et d’Asie Centrale (300.000). Le Traité de Sèvres élaboré en 1920 avait promis à la communauté kurde la création d’un État, cependant ce traité ne sera pas ratifié. Les Kurdes seront victimes de l’appétit hégémonique des puissances occidentales qui se partageront le Moyen-Orient après la guerre de 1914-1918. Il en était de même dans les Balkans où le conflit de l’ex-Yougoslavie et celui du Kosovo provoqueront une levée de boucliers euro-atlantiques sous un contrôle américain plus prédominant que jamais : l’armada de l’Alliance Atlantique déclenchera, en 1999, une série de frappes aériennes contre la Serbie jamais égalées depuis la fin de la deuxième guerre mondiale. L’effondrement de la superpuissance soviétique suivi de la guerre du Golfe, en 1991, avait laissé entrevoir l’émergence d’un monde sans repères où la sécurité sur le plan international et régional était loin d’être renforcée. Cette perspective sera accrue lors de la deuxième guerre conte l’Irak, le 20 mars 2003. Un évènement conduit par les ÉtatsUnis qui se fera, rappelons-le, sans l’aval de l’ONU. La crise du Golfe de 1991 avait prouvé que les menaces ne venaient pas d’une éventuelle confrontation Nord-Sud, mais plutôt Sud-Sud. De plus ce conflit avait nécessité une armada alliée gigantesque et tout un arsenal militaire. Depuis, toutes les forces occidentales vont connaître une véritable révolution dans leur organisation, leur commandement et leur fonctionnement. Cependant, la deuxième guerre irakienne de 61 2003 va susciter un malaise parmi les alliés euro-atlantiques, et mettre en exergue leurs divergences face à l’unilatéralisme américain19. 2. La nouvelle architecture sécuritaire de l’Occident La déclaration de Laecken, adoptée lors du Sommet des chefs d’État et de gouvernement européens, les 14 et 15 décembre 2001 va affirmer que : « L’Union est désormais capable de conduire des opérations de gestion de crise, le développement des moyens et des capacités à sa disposition permettra à l’Union d’assumer progressivement des opérations de plus en plus complexes… » ainsi que « la poursuite du développement de la PESD, le renforcement de ses capacités tant civiles que militaires, ainsi qu’à la création en son sein de structures appropriées suite aux conférences sur les capacités militaires et de police qui se sont tenues à Bruxelles le 19 novembre 200120 ». Concurremment avec les États-Unis, les pays d’Europe Occidentale vont développer un effort particulier de recherche dans les domaines de pointe de la technologie militaire ; le regain de la tension mondiale va être favorable au secteur de l’armement : il s’agira de réorienter la stratégie européenne vers le domaine de la défense. La nouvelle politique de dissuasion nucléaire de la France par exemple dés l’année 2006 est présentée comme une garantie fondamentale de la sécurité et l’expression d’une stratégie de prévention des conflits. Cela va souligner l’importance d’une dimension nucléaire de la défense européenne quoique des reproches seront fait quant à cette nouvelle stratégie de dissuasion française et la compatibilité d’une stratégie de dissuasion avec une politique active de non prolifération21. 19 Daalder H. Ivo, Lindsay M. James, America Unbound. The Bush revolution in Foreign Policy, Washington DC, Brookings Institution Press, 2003. 20 L’Année stratégique 2003, op. cit. 21 Voir Financial Times, Londres, 20 janvier 2006. 62 Dans le domaine aéronautique, L’European Aeronautic Defense and Space Company (EADS) avait prévu, avant le 11 septembre 2001, son intention de développer ses activités de défense (hélicoptères, espace, missiles, électronique de défense). Déjà en 1997, la principale motivation pour la création d’une entreprise aéronautique et de défense européenne sera de compenser les renversements de cycle dans le domaine de l’aéronautique civile par l’activité militaire et vice-versa. Les pays européens exprimeront aussi la volonté de création de forces européennes autonomes. Ainsi, l’Union Européenne va prendre le relais de l’OTAN fin mars 2003, en envoyant une force militaire européenne à Skopje, en Macédoine. La première force militaire européenne deviendra opérationnelle où elle succédera à l’OTAN qui avait dépêché des troupes en 2001 dans ce pays qui émergeait alors d’un grave conflit entre forces gouvernementales et rebelles albanais22. Le contingent comprendra 380 soldats issus de 27 nationalités différentes, et stationnera en Macédoine pour une période de six mois. Par ailleurs, l’Otan va renforcer ses structures. Rappelons que sa réorganisation civile et militaire impliquera les éléments suivants : il y a l’instance souveraine classique qui est le Conseil de l’Atlantique Nord. Tous les États membres y sont représentés sur une base égalitaire. Son organe exécutif est le Secrétariat général. Placé sous l’autorité politique du Conseil de l’Atlantique Nord, le Comité des chefs d’état-major est la plus haute autorité militaire. Il faut savoir par ailleurs qu’en 1995, la France a repris sa place au sein de cette instance dont l’organe exécutif est l’État major militaire international (E.M.I). Les deux principaux organes de la structure militaire intégrée sont le Comité des Plans de Défense (CPD) et le Groupe des Plans Nucléaires (GPN). Au niveau stratégique, il y a deux commandements suprêmes : le commandement suprême allié atlantique (SACLANT) basé à Norfolk (Etats-Unis), et le Commandement suprême allié en 22 Cf. Hen C. et Léonard J., L’Union européenne, La Découverte, Coll. Repères , Paris, 2001, (nouv.éd.). 63 Europe (SACEUR) basé à Mons (Belgique). De ce dernier dépendent trois commandements régionaux pour le Nord-ouest (basé à High Wycombe, GrandeBretagne), pour le centre Europe (basé à Brunssum, Pays-Bas), et pour le Sud (basé à Naples). L’OTAN sous le contrôle des États-Unis va entamer un vaste programme de réforme et de restructuration de ses forces en associant également les pays d’Europe Centrale et Orientale (PECO) dans un Partenariat pour la Paix (PPP), dénommé Partnership for Peace. De même, l’Union de l’Europe Occidentale avait opté pour la voie coopérative dans le domaine de la défense, non seulement au niveau interne de l’Union23 , mais également dans ses relations avec les États-Unis au sein même de l’OTAN. L’UEO va créer donc une nouvelle articulation avec l’Alliance Atlantique24. Par ailleurs, en mai 1991, le Conseil des Ministres de la Défense des seize pays membres de l’Alliance décident à Bruxelles de la création d’une force de réaction rapide (FAR) de 70.000 hommes. Cette force sera constituée de quatre divisions multinationales sous commandement britannique et dotée de la possibilité d’intégrer une division américaine. Le 7 juin 1991, les ministres des Affaires étrangères de l’OTAN réunis à Copenhague acceptent l’idée d’une politique européenne de sécurité et de défense (PESD). Cette décision va être mise en application en novembre 1991, quand le Sommet de Rome de l’OTAN finit par confirmer la réalisation du projet d’une « identité européenne de défense ». B. La convergence entre l’UE et l’OTAN En raison des attentats du 11 septembre 2001, l’agenda sécuritaire des pays européens va 23 Pour rappel, l’UEO compte par ailleurs des pays observateurs : Autriche, Danemark, Finlande, Irlande et Suède, des pays membres associés : Hongrie, Islande, Norvège, Pologne, République tchèque et Turquie et des partenaires associés : Bulgarie, Estonie, Lettonie, Slovénie, Slovaquie et Roumanie. 24 L’UEO a été réactivée en 1984 dans le but de développer une identité européenne de défense commune et de renforcer le pilier européen de l’Alliance. Avec le Traité de Maastricht, l’UEO est devenue le bras armé de l’Union européenne. En novembre 2000, lors de la Conférence ministérielle de Marseille, il a été décider d’intégrer les compétences opérationnelles de gestion de crise de l’UEO dans l’Union européenne. 64 mettre en exergue la question de l’article de défense collective face aux menaces éventuelles. L’Union Européenne va initier le lancement de la Convention sur l’avenir de l’Union ainsi qu’une réflexion sur le concept de « Livre blanc » dans le domaine militaire. Cependant, l’Union Européenne n’a pas encore adopté à cette époque de concept stratégique européen spécifique pour les conditions d’intervention de la future force de réaction rapide et la constitution des instances politico-militaires correspondantes. Il faut souligner que l’absence de consensus européen en matière de politique étrangère va réduire le poids politique de l’Union Européenne face à l’unilatéralisme américain. De même, il va être décidé de développer dès décembre 2002 un partenariat stratégique entre l’OTAN et l’Union Européenne en matière de gestion des crises fondé sur l’indivisibilité de la sécurité, cela tout en réaffirmant le rôle important que joue l’Alliance dans la gestion et la prévention des conflits. La nouvelle relation entre l’Union Européenne et l’OTAN sera fondée sur les principes de partenariat, de respect de l’autonomie de décision et des intérêts de chaque partie. L’OTAN apporte ainsi son soutien à la PESD conformément aux décisions prises lors du Sommet de Washington, et donne à l’Union Européenne, entre autres et en particulier, un accès garanti aux capacités de planification de l’OTAN. Pour rappel, l’Union de l’Europe occidentale (UEO) va connaître après la guerre du Golfe une véritable revitalisation. Le 19 juin 1992, en effet, lors de la réunion du Conseil de l’UEO, un programme sera élaboré et intitulé « Déclaration de Petersberg ». Il sera question de développer les capacités opérationnelles de cette structure afin qu’elle participe au cas par cas à la prévention et à la gestion des crises conformément aux résolutions de la CSCE25 et des Nations Unies. Par ailleurs, les liens entre l’UEO et l’OTAN sont redéfinis sans qu’il y ait un partage mécanique des responsabilités. Les deux organisations vont dorénavant pouvoir agir conjointement ou séparément tout en s’assurant que leurs initiatives respectives ne se contrarient pas. 25 Conférence pour la Sécurité et la Coopération en Europe. 65 En fait, il s’agissait de définir les mesures opérationnelles permettant de déterminer ce que l’Europe était prête à faire par elle-même pour créer un instrument militaire performant. Grâce à l’articulation avec l’OTAN, l’UEO pouvait désormais mettre en application la Plateforme de la Haye élaborée lors de son Assemblée du 27 octobre 1987. Cette charte de sécurité européenne traitait, déjà, du principe du Hors Zone, c’est à dire de la capacité de cette institution militaire à intervenir dans des zones extérieures à la zone euro-atlantique dans la gestion des crises. L’UEO définissait ainsi sa vocation géostratégique car contrairement à l’OTAN, elle n’avait pas d’autolimitation géographique. Aussi, le Traité de Maastricht adopté le 7 février 1992 va prévoir une politique étrangère et de sécurité commune (PESC) qui est un domaine de coopération intergouvernementale entre les pays de l’Union européenne26. Par ailleurs, la nouvelle orientation de l’UEO correspondait également aux motivations nationalistes, différentes selon les pays membres de cette institution : - Pour la France, en premier, il s’agissait de revitaliser une structure au sein de laquelle elle pouvait jouer un rôle clé et qui répondait à une motivation nationale ; quant à l’Italie qui était comme la France favorable à la nouvelle articulation UEO-OTAN, cela était l’occasion pour elle de promouvoir ses capacités de production ainsi qu’une politique de défense moins atlantique et donc plus nationale. - Pour la plupart des membres de l’UEO, d’autre part et plus généralement, la réactivation de l’UEO était un pas fondateur du pilier européen de défense. L’objectif du pilier européen de défense sera d’investir dans les secteurs de défense conventionnelle. Ce projet visait essentiellement l’intégration opérationnelle et le principe de mobilité utilisant une technologie de pointe afin de compenser la diminution des hommes de troupes. 26 Voir Batt Judy, Lynch Dov., Missiroli Antonio, “Partenaires et voisins: une PESC pour une Europe élargie”, Cahiers de Chaillot, Institut d’Etudes et de sécurité de l’UE, no 64, septembre 2003. 66 Une des préoccupations principales de l’institution militaire sera d’établir une relation de stabilité à long terme avec les États-Unis ainsi que de s’assurer de la posture dissuasive américaine dans l’Alliance Atlantique. 1. Les questions conventionnelles Les problèmes rencontrés par l’UEO dans l’organisation de son pilier de défense vont se situer aux niveaux suivants : - La nécessité d’augmenter ses réserves conventionnelles en incluant des systèmes d’armements et de la main-d’œuvre ; - Favoriser une plus grande intégration et une meilleure mobilité des forces européennes de défense dans des théâtres d’opérations variés en utilisant éventuellement les unités de montagne italiennes en Bavière, les troupes de terre au centre et au sud-est de l’Espagne et les forces aériennes et navales allemandes en Méditerranée ; - Augmenter la standardisation des armements à travers les exigences opérationnelles stratégiques et tactiques. De manière globale, l’approche visée était fondée sur une base commune qui devait intégrer les différentes tâches opérationnelles assurées par les forces armées de l’UEO sur une base nationale, notamment dans le domaine du contrôle des lignes de communication maritimes27. Dans le domaine conventionnel, l’UEO va alors identifier un nombre de tâches importantes à l’échelle européenne incluant la défense aérienne et anti-missile, notamment : la protection des lignes maritimes, le contrôle des crises Hors Zones, les opérations de maintien de la paix ainsi que du renforcement de la paix, les interventions spéciales anti-terroristes, le contrôle des accords de désarmement, l’évaluation des menaces, le commandement et les communications. 27 Voir à ce sujet, Keith Dunn et Stephen Flanagan, NATO in the fifth decade, National Defense University Press, Washington-DC, 1990, p. 92 67 L’UEO voulait investir dans le domaine de l’innovation et de la réduction des coûts pour entrer en compétition avec les firmes américaines. Le traité de Maastricht (1992) avait établi un compromis quant au degré d’autonomie de l’UEO par rapport à l’Alliance Atlantique, car la Grande Bretagne considérait l’UEO comme un pont entre l’Europe et l’Alliance Atlantique. L’UEO allait dorénavant mettre en application les décisions de l’Union Européenne en complémentarité avec l’OTAN avec une interdiction de toute action incompatible avec la politique de l’Alliance Atlantique. Le traité de Maastricht avait par ailleurs permis la suppression des barrières physiques et douanières, incluant l’accès libre aux contrats publics. Cette élimination allait accroître le rôle de la commission de l’Union Européenne dans les secteurs clés de la recherche, du développement et de la politique industrielle. Ces développements allaient avoir, dans leur ensemble, des effets à long terme sur le marché de l’armement de l’UEO, et sur la coopération dans le domaine de la défense entre les membres de l’Union Européenne. 2. La défense franco-allemande En octobre 1991, la France et l’Allemagne allaient proposer la création d’un corps d’armée franco-allemand exprimant ainsi la volonté politique de définir une politique de défense européenne. En fait, déjà en janvier 1988, un conseil franco-allemand de défense et de sécurité avait été créé pour la coopération militaire entre les deux pays. On rappellera que la France et l’Allemagne avaient été le moteur de l’Union Européenne, tout comme également, du projet de construction d’une défense européenne28. L’UEO avait pour objectif de devenir le second pilier de l’Alliance atlantique à travers la construction d’un véritable partenariat. Il s’agissait d’obtenir une véritable autonomie par rapport aux États-Unis. 28 In Guisant Catherine, Un sens à l’Europe. Gagner la paix (1950-2003), Paris, Odile Jacob, 2003. 68 Dans le domaine de l’armement, rappelons que les pays du « groupe européen indépendant de programme » allaient projeter l’élaboration d’un plan d’action pour un marché européen des armements dès 1988. Ce projet avait pour objectif l’ouverture des marchés européens respectifs29. Le défi posé à l’Europe de la défense était de faire évoluer l’objectif économique de l’Union vers un objectif politique qui seul pouvait faire face aux nouveaux enjeux de l’évolution géopolitique mondiale dont celui de la suprématie mondiale des États-Unis. L’URSS avec Gorbatchev avait échoué à faire démanteler l’OTAN en même temps que le Pacte de Varsovie, et Helmut Kohl avait réussi avec succès à faire intégrer l’Allemagne unie à l’OTAN. Comme nous l’avons déjà mentionné, tous ces éléments seront l’expression de la victoire du camp occidental sur le camp socialiste, et surtout du triomphe des États-Unis sur l’URSS. Pour l’Occident, c’est l’Amérique qui avait gagné la guerre froide, ce qui pouvait amener à tolérer une nouvelle hégémonie mondiale américaine. Celle-ci allait surtout se réaffirmer pendant et après la guerre du Golfe, et dans des évènements internationaux ultérieurs. Section 2. Le renouveau de la puissance américaine Aux États-Unis, la vision actuelle du monde est globale ; elle est centrée sur l’idée militariste de dissuasion. Sa formulation demeure cependant universaliste. Il faut rappeler que le budget américain de la défense a progressé de 15% en 2003, soit 48 milliards de dollars supplémentaires, atteignant la somme de 380 milliards de dollars. L’invasion du Koweït par l’Irak en 1990, la guerre civile en ex-Yougoslavie, puis plus tard, le bombardement de l’Afghanistan, à la fin de l’année 2001, et la deuxième guerre en Irak, à partir du 20 mars 2003, seront l’occasion d’une guerre à haute technologie ; 29 Notons que certains projets communs avaient été effectués tels que celui du satellite de reconnaissance Hélios entre le France, l’Italie et l’Espagne, le programme franco-allemand d’hélicoptère de combat et le missile antichar de troisième génération (après ceux du Milan)qui avait été réalisés par la France, l’Allemagne et la Grande-Bretagne 69 elles donneront successivement, l’opportunité à une consolidation de nouvelles règles régissant l’ordre mondial. L’Organisation des Nations Unies devient pour l’administration américaine une organisation unifiée sous l’autorité américaine, organisation dont les États-Unis méprisent l’autorité quand leurs intérêts sont en jeu. C’est pour les stratèges américains l’ordre de la « post-modernité », c’est à dire prétendument et en théorie, « un monde dans lequel la liberté et les droits de l’homme sont respectés par toutes les nations…30 ». Il s’agit surtout d’un réajustement des économies du Sud et de l’Est aux lois du marché libre mondial, et à celles de l’unilatéralisme américain. En fait, la politique américaine est fondée sur l’analyse des grands enjeux nationaux. Elle ne tient compte, en réalité, des intérêts adverses que dans l’évidence d’un rapport de force en sa défaveur. Dans la représentation stratégique américaine, le concept de relations est devenu un modèle d’interactions dynamiques où les intérêts des individus et des groupes sont définis comme une « fonction des relations ». L’interaction est complexe et le processus continuel reste celui de la communication politique. Un changement de l’environnement politique devrait favoriser théoriquement la négociation plutôt que l’usage de la force. Ainsi, les problèmes de sécurité conservent un caractère interactif et il est considéré de plus en plus explicitement qu’aucun État ne peut réaliser par lui-même, une sécurité absolue.31 Il faut donc la conjugaison des efforts additifs venant des entités nationales considérées comme amies des Etats-Unis. L’exemple de la guerre du Golfe puis celui de l’occupation de l’Irak quelques années après, sont assez significatifs, en ce sens. Alain Joxe note à ce propos que lorsque les 30 Discours de l’ancien président George Bush (père), prononcé le 6 mars 1991. In Harold Saunders, The Soviet-US relations and the Third World, ed. Duke University Press, New York,1991, 277 p. 70 31 États-Unis incluent un Etat dans ce qu’ils considèrent comme étant le « Club des Tyrans », ce dernier est supposé s’aligner sur leurs intérêts ou alors être liquidé. Dans le cas de la première guerre contre l’Irak, la victoire contre ce pays se fera avec la reprise en main du militaire par le politique en Irak au moment où le président Bush, père, met fin aux opérations ; cela permettra la survie de la garde républicaine irakienne. Il autorisera également la restauration de l’ordre baathiste dans un sud soulevé par les groupes chiites pro-iraniens. Dans les études stratégiques faites aux États-Unis, la perception obsessionnelle d’un futur « imprévisible » et « confus » revient systématiquement.32 C’est un leitmotiv de l’analyse prospective. La méfiance à l’égard du partenaire étranger, même théoriquement acquis aux thèses américaines, est une obligation dans la démarche. Par exemple, selon James Schlesinger, le préalable de stratégies constructives avec les pays du Tiers Monde sera fonction du degré de leur « réalisme ». Cette notion de réalisme implique le partage d’intérêts rationnels ou la nécessité d’un partenariat étroit avec les pays industrialisés : assistance technique, arrangements sécuritaires, affirmation des principes de l’offre et de la demande. En plus du maintien de la coercition militaire des décennies précédentes s’ajoutent les nécessités actuelles de l’interdépendance sécuritaire, économique, financière et commerciale. Interdépendance au corollaire immédiat, celui de l’idéologie de « l’État de Droit », pendant de « l’Économie libérale ». Cependant les stratèges aux États-Unis ont toujours considéré que l’évolution des pays du Sud se heurtera à des forces externes. Ainsi, de nouveaux concepts, tels que « Grey Areas » ou « Vortex » (zones à haut risque), sont inclus dans leur représentation stratégique du Sud. Cette nouvelle instrumentation guerrière de l’idéologie opérée par l’Ouest est considérée comme seule garante de stabilité. 32 James Schlesinger, An american perspective, the international implications of Third World conflicts, the Institute of International Strategic Studies, London, Adelphi Papers, no 166, 1980. 71 L’idéologie apparaît comme une arme persuasive des relations internationales contemporaines. En fait, une reconception des objectifs stratégiques s’opère aux États-Unis avec l’universalisation des valeurs libérales de l’après-guerre froide. Néanmoins, si les observateurs étrangers s’accordent à trouver des groupes de pression (lobbies) et d’expression différente aux États-Unis, il n’en reste pas moins que ces derniers convergent fondamentalement dans la défense des intérêts américains. Paragraphe 1. Fondements aux niveau interne et externe de la politique américaine. La conception de la menace et de la riposte De l’avènement de Ronald Reagan à celui de George. W. Bush, le déploiement du néonationalisme américain et du rétablissement de sa supériorité militaire seront les faits marquants de ces dernières décennies. A. La théorie du déclin américain Cette obsession américaine de demeurer la seule superpuissance du monde, a mené au développement de théories alarmistes prévoyant la chute de l’empire nord-américain. Nous pouvons distinguer une école de pensée aux États-Unis, celle d’un éventuel « déclin U.S. ». La tendance la plus pessimiste fut celle de Paul Kennedy.33 Ce dernier considère qu’il est impossible pour une société de dominer indéfiniment les autres. Ses arguments sont ceux de l’évolution des « modèles différenciés des taux de croissance », de « l’avance technologique » et des « développements militaires ». Les adeptes de la théorie du « déclin relatif » se fondaient sur des pronostics différents. Selon eux,34 les États-Unis comptaient presque 50% du PNB mondial après 1945. Aujourd’hui, ce chiffre est réduit à un peu plus de 20%. Cela, vu les relances économiques du Japon et de l’Europe. Après avoir été le premier exportateur mondial, les États-Unis se placent troisième derrière le 33 Paul Kennedy, The rise and fall of the great powers,New York, 1987. Il s’agit de Richard Rosecrance, David Calleo (Université de John Hopkins), Robert Z. Lawrence (Brookings Institution), Richard.D. Dawn (ex-gouverneur du Colorado), et Joseph Nye. 34 72 Japon et l’Allemagne. Le déficit commercial a été réduit durant la présidence de Clinton, mais les États-Unis demeurent le plus grand débiteur mondial. La dette nationale et privée des Etats-Unis représente plus d’un tiers du PNB mondial. Cela, en plus d’une perte de compétitivité dans le domaine des biens et équipements sophistiqués (automobile, électronique, etc.). Cependant, cette école de pensée américaine du « déclin relatif » reste positive : malgré l’évaluation d’éléments négatifs, les États-Unis sont toujours les premiers dans les secteurs de pointe (computers, aviation, produits chimiques et autres). De plus, la présidence de Bill Clinton avait permis l’émergence d’une véritable ère de prospérité avec la création en plus de huit années de 22 millions d’emplois. De même, dans leur schéma de pensée, les théoriciens du « déclin relatif » considèrent qu’il est vital pour l’économie mondiale que l’hégémonie américaine demeure. Selon eux, sans une Amérique croissante et un leadership unique, l’ordre international multipolaire risque l’instabilité avec l’établissement de blocs tarifaires et subséquemment des conflits commerciaux.35 Ainsi est préconisé le maintien de la Pax Americana avec une relance du système économique international. Ce dernier se doit d’être ouvert avec des modalités de prêts. C’est à dire, l’encouragement des investissements directs étrangers européens ainsi que des exportations. Ainsi, l’intégration de la Russie et des Républiques indépendantes au marché mondial est un phénomène aussi bien vital pour la croissance économique de Moscou, que pour le marché des biens d’exportation de l’Europe occidentale. En deçà de ce seuil, il est considéré que l’économie mondiale risque la récession. Le néonationalisme américain affirme, ainsi, au niveau externe la responsabilité historique des 35 In Richard Rosecrance, America’s economic resurgence : a bold new strategy, ed. Harper Collins, 1990, 217 p. 73 États-Unis dans la marche des affaires mondiales et le nécessaire « partage du fardeau » (burden sharing) avec les nouveaux pôles mondiaux36. B. Une hégémonie qui se succède à elle-même Dans les années 1990, toutes les représentations stratégiques ou les systèmes de pensée doctrinaux américains vont être axés sur la notion de déclin et du nécessaire partage des responsabilités ou « burden sharing ». Le problème central est celui d’une reconception de la notion de « sécurité ». Depuis que les États-Unis n’ont plus de rivaux sur la scène mondiale, l’environnement international est comparable à un grand village planétaire sous l’hégémonie américaine. L’insularité des États-Unis leur donnait l’impression d’invulnérabilité. Une situation privilégiée qui rend, aujourd’hui, leur conceptualisation confuse. L’environnement sécuritaire nécessite donc, selon eux, une direction unifiée et une nouvelle stratégie de dissuasion : la riposte de crise ou crisis deterrence response. En fait, dans le cadre de la représentation doctrinaire américaine, entre les buts et les moyens, la « riposte de crise » est un autre degré de la « riposte graduée » ou « flexible response ». Pour l’ancien président Bush et son Secrétaire à la Défense, Dick Cheney, les principaux aspects de la nouvelle stratégie militaire se coordonnaient suivant une logique de dissuasion supplantée par celle de la « riposte de crise ». Pour les décideurs américains, une nouvelle menace stratégique existe dans le Tiers Monde, celle des pays dotés d’armes classiques opérationnelles, et l’existence de fusées dotées d’ogives de destruction de masse, nucléaire, chimique ou biologique. On peut rappeler, à ce sujet, le conflit entre le Pakistan et l’Inde, en juin 2002, qui a fait craindre le pire à bien des observateurs de la scène internationale. 36 Voir Daniel Yankolevitch, Foreign Policy after elections, Fall 1992. 74 Dans les années 1980, les think tanks ou centres de recherche américains, élaboraient des études prospectives37, qui sont, en fait, toujours d’actualité. Il serait intéressant de revoir quatre aspects, discutés alors, quant à la définition de l’environnement sécuritaire : - le premier est « l’incertitude » de l’environnement, les perspectives économiques paraissent pessimistes et la vision du futur est celle d’un espace renforcé par le militaire ; - le deuxième traite de la nécessité de se recentrer non sur les « fins » mais sur les « moyens » ; - Les troisième et quatrième aspects sont une critique sévère de l’incohérence des objectifs américains à qui il manquerait des alliances locales. En termes pratiques, il s’agissait de promouvoir des régimes autoritaristes démocratisants, mais surtout susceptibles de favoriser une ouverture dans les pays du Sud. La notion « d’ouverture » signifiait ici la promotion de la libéralisation économique. Le pouvoir en place, quelle que soit sa nature politique, se doit d’être à même de résister aux pressions populaires et aux défenseurs des droits acquis, mais cependant opposés aux réformes38. L’accent était mis également sur les facteurs transnationaux qui affaiblissent la nation en tant que centre du pouvoir. La diffusion du pouvoir en change la nature. Cela rappelle l’instrumentalisation de la théorie américaine des jeux.39 Dans le cas d’un jeu à « intérêts mixtes », il est recommandé à l’acteur en question d’avoir une politique rationnelle et consistante, et surtout de ne pas aller dans deux directions différentes. L’objectif est d’atteindre un point d’équilibre en rendant tout accord imposable et obligatoire, et en changeant la substance de toute négociation. En fait, l’approche américaine ne considérait plus le rapport privilégié qu’elle entretenait 37 Conférence de Williamsburg (Etats-Unis), du 1 au 13 septembre 1981, organisée par l’International Institute of Strategic Studies de Londres. 38 Samuel Huntington, Quel prix pour la liberté, Extrait du Havard International Review, Hiver 1992-93, in Dialogue, no 2, 1994. 39 En bref, la théorie des jeux est basée sur une marge de doute, selon laquelle, des conclusions sont tirées sur les objectifs politiques d’un pays. Cela, en fonction de son histoire politique, de ses positions verbales, et de l’idée selon laquelle tout objectif politique d’un pays est sujet à changement continuel.La théorie des jeux se classifie selon trois catégories : jeux avec intérêts identiques, jeux avec intérêts opposés, et jeux à intérêts mixtes. 75 auparavant avec des puissances régionales comme l’Iran du Shah. Elle préconisera alors une intégration régionale de l’équilibre militaire, sous les auspices d’organisations régionales et des Nations Unies. La conférence de Williamsburg soulignera le rôle croissant du fire power ou technologie militaire des pays en voie de développement. Le contrôle des armements demeurait la préoccupation essentielle, ainsi que l’apparition de conflits dans les pays du Sud et de l’Est. 1. La notion de nation hôte La fin de la confrontation Est-Ouest et l’émergence de républiques indépendantes a rendu irréaliste un scénario dans lequel l’ex-URSS développerait une politique de confrontation globale avec les États-Unis. Sa politique nationaliste serait plutôt régionale. Ainsi, l’ancienne perception de « menace » a changé, et également celle de la centralité militaire dans le cadre de l’Alliance Atlantique. L’heure est en fait au concept clé la « host nation » ou structure de base. Cette nation hôte aurait le soutien d’une coalition dans le but de résoudre rapidement une crise, et de se retirer. Cela avec l’utilisation de la robotique ou de l’intelligence artificielle, afin de minimiser les pertes américaines au combat. Ce nouveau concept se fonde sur l’obsession de la guerre nouvelle, élargissant le concept de guerre de défense classique. La perspective américaine est celle d’un développement de la puissance où les grands moyens de la nation se recruteraient parmi les secteurs de pointe (haute technologie, milieux universitaires et professionnels, domaines de la défense, etc.). La recherche fondamentale et technologique, selon la tradition, favoriserait la créativité dans les secteurs de la défense et assurerait une synergie de tous les secteurs. C’est alors la recommandation américaine d’un rôle accru du Conseil de sécurité de l’ONU à condition qu’il soit instrumentalisé complètement par les États-Unis. En fait c’est aussi la réalisation de la vision historique de ses fondateurs. Ainsi, les appels sont favorables à la constitution d’un système de sécurité parrainé par les grandes puissances industrielles, dans lequel, s’affirmera également l’idée d’une identité européenne 76 de défense qui cependant créera beaucoup de divergences, non seulement entre l’Union Européenne et les États-Unis, mais également parmi les membres même de l’Union. Selon les analystes conservateurs américains, les États-Unis doivent acquérir un nouveau sens de leur mission dans le monde. C’est l’art en politique étrangère de la dissuasion de la violence par la violence. C’est surtout l’accent réitéré d’une hégémonie qui se succéderait à elle-même. Mais c’est aussi l’augmentation du budget militaire qui, déjà, de Jimmy Carter à Ronald Reagan, dépassait largement les 10% du budget annuel de la Nation. La conseillère à la sécurité nationale de George. W. Bush, Condoleeza Rice40, dira de la période de la présidence démocrate du président Bill Clinton que les forces armées américaines étaient devenues des travailleurs sociaux41, c'est-à-dire des forces réduites à l’état où elles étaient en 1940. Cela permettra de justifier ainsi le néoconservatisme de la nouvelle équipe gouvernementale 2. Sécurité et stabilité La terminologie des systèmes de pensée américains insiste fortement sur les concepts de sécurité et de stabilité. Le projet américain du système mondial se doit d’être conforme « au dessein de Dieu »42, mais tel que l’Amérique le projette. En fait, dans bien des cas, les systèmes de pensée aux États-Unis établissent une causalité rappelant l’explication marxiste du déterminant économique. L’implication américaine dans l’économie mondiale, la technologie, les alliances défensives, les institutions internationales, tout cela est considéré comme une force politique de dissuasion en soi. Ce préalable admis, il n’en demeure pas moins une sorte de malaise, si ce n’est une 40 Celle-ci sera désignée pour remplacer Colin Powell au poste de Secrétaire d’Etat aux affaires étrangères, en décembre 2004. 41 42 Condoleeza Rice, “ Promoting the national interest”, Foreign Affairs, janvier-février 2000. Jacqueline Grapin, Forteress America, op. cit. 77 confusion quant aux scénarios futuristes. Les changements fondateurs d’événements nouveaux ne connaissent actuellement aucun précédent historique. La vision stratégique américaine du monde futur repose sur les possibilités suivantes qui sont soumises, bien sûr, au postulat d’un leadership US43 : - Multipolarité : Équilibre des pouvoirs entre les nations les plus puissantes (États-Unis, Japon, Russie, Europe et Chine). - Bloc économique tripolaire : un bloc de l’hémisphère occidental autour du dollar ; un bloc de l’Europe incluant l’ex-URSS autour du de l’euro ; et un bloc asiatique autour du yen. Le Japon réévaluera sa politique militaire en politique globale, renforcera son rôle au sein du FMI et de la Banque Mondiale (premier donateur d’aide) et voudra dominer les réseaux du savoir et de l’information. Cependant, un bloc tripolaire serait la cause de guerres commerciales entre blocs.44 - Hégémonie unipolaire : malgré l’interdépendance transnationale avec la diffusion du pouvoir, et le fait que l’Europe et le Japon partagent avec les États-Unis les deux tiers de la production mondiale, mais la guerre du Golfe, les attentats terroristes menés contre l’Amérique le 11 septembre 2001, et la deuxième guerre irakienne vont marquer l’hégémonie stratégique américaine et son unilatéralisme face aux alliés euroatlentiques. - Interdépendance à plusieurs-niveaux ou « multilevel interdependancy » : communication transnationale, interdépendance économique, érosion de la conception traditionnelle du pouvoir, cela selon une hiérarchie unique avec un sommet de décision et de puissance américaine (Pouvoir réel), une couche moyenne tripolaire (Forces intermédiaires), et en bas, l’interdépendance avec la diffusion du pouvoir (le Non-Pouvoir). Cependant, si les scénarios envisagés par la vision américaine du monde futur apparaissent polycentristes, ils n’en sont pas moins centrés théoriquement sur une 43 Richard Rosecrance, op.cit. In Rapport de Gilberte Béaux, J.O de la République française, du 03 juillet 1991, « Défi démiurgique du Japon, le Japon ou le défi universel. » ; « La science est son outil ; la Constitution est son instrument. Défi démiurgique du Japon qui ne reconnaît que la place qui lui convient ». 78 44 idéologie commune apparente : l’universalisation de la démocratie libérale comme seule source de paix et de stabilité. Paragraphe 2. Perspectives américaines des conflits dans le Sud et à l’Est et leurs implications internationales A. Le nouveau concept de sécurité Le concept de sécurité nationale est défini en termes militaires. La notion de « menace » s’éloigne du problème de l’idéologie communiste et des enjeux géopolitiques de l’équilibre des puissances. Dans les années 1990, la politique étrangère américaine va s’organiser selon le principe de la dissuasion, et utilisera systématiquement les Nations Unies et l’OTAN comme forces intermédiaires de son leadership dans le monde. L’objectif sera de ne plus agir unilatéralement, mais en coopération avec des alliés sous un contrôle exclusif américain. Il s’agira aussi de favoriser un réalignement des pôles de puissances occidentales sur la vision du nouveau concept de sécurité. L’organisation nord-alantique va être également repensée, pratiquement loin des vieux principes de la guerre froide, mais restructurée et renforcée comme au temps de la guerre froide. En témoigne, à ce sujet, le gouvernement du président américain G.W. Bush, junior, qui « est un gouvernement de guerre froide sans guerre froide.45 » Les structures de la présence militaire américaine dans le monde doivent être changées : « Nous sommes au centre, et nous devons y rester… Les États-Unis doivent diriger le monde en portant le flambeau moral, politique et militaire du droit et de la force, et servir d’exemple à tous les peuples46 ». Cette déclaration du sénateur américain Jesse Helms peut nous laisser perplexes, mais en fait, elle symbolise bien la vision stratégique du monde qu’ont les États-Unis, depuis la période de la deuxième guerre mondiale. 45 Philip.S.Golub, « Rêves d’empire de l’administration américaine », Le Monde Diplomatique, Juillet 2001. 46 Jesse Helms, « Entering the pacific century », Heritage Foundation, Washington-DC, 1996. 79 En ce sens, on peut rappeler que les analystes, aux Etats-Unis, visualisent souvent le monde comme en état potentiel de « chaos » et « d’anarchie 47». Selon leur point de vue, la situation restera toujours précaire, et cela tant que les nouvelles règles de l’ordre mondial ne seront pas entièrement affirmées. Quelles sont ces règles ? A défaut de les préciser, on peut dire que l’accent est mis, tout d’abord, sur l’équilibre de l’environnement international, ceci dans la mesure où les conséquences d’une récession économique ou de conflits internationaux qui ne seraient pas maîtrisables pourraient être graves pour l’architecture de sécurité mise en place. L’accent sera également mis sur l’utilisation d’une force de dissuasion multipolaire, opérable et fonctionnelle. Le concept de « burden sharing », tout en interpellant les nouveaux pôles de puissance occidentale, pour un partage de responsabilités, rejette bien évidemment toute forme de pouvoir qui serait assez fort pour être en concurrence avec le pouvoir de l’Amérique48. Lors du sommet de Venise, tenu en juin 1980, par les pays industrialisés, les questions posées étaient d’ordre militaire et politique, surtout. Il s’agissait surtout à ce moment là de restructurer les relations Ouest/Japon, et surtout de limiter la dépendance de l’Europe et du Japon vis à vis des États-Unis. Une chose inédite a eu lieu pendant ce sommet : il sera recommandé de faire du Tiers Monde une partie prenante des affaires internationales. On considère alors en effet que les régions du Sud peuvent concourir activement, si elles y sont associées, à la stabilisation mondiale. Il sera donc programmé une division des responsabilités dans les principaux domaines : le domaine économique, celui du transfert de la science, et celui de la technologie. Cela, avec un engagement accru face aux nécessités de la défense. 47 Richard Rosecrance, A new concept of power, Foreign Affairs, Spring 1992. Voir Haine Jean-Yves, Les États-Unis ont-ils besoin d’alliés ? Les États-Unis et leurs alliés européens, de la guerre froide à l’Irak, Paris, Payot, 2004. 80 48 Il est envisagé également l’émergence de trois nouveaux pôles de l’ordre international : un déclin relatif suivi d’un renouveau de la puissance nord-américaine, une montée en puissance de l’Asie avec le Japon, et une nouvelle affirmation de l’Europe, surtout avec la République Fédérale Allemande qui tendra à devenir une puissance régionale européenne. Ces trois nouveaux pôles représentent 95% des investissements internationaux et le même pourcentage de la capitalisation boursière. C’est le Japon qui a souvent financé, grâce à son excédent commercial très important, le déficit américain, alors que la R.F.A. devenait le bailleur de fonds des pays de l’Est. Elle commencera d’ailleurs à détenir une certaine prééminence sur le plan économique et commercial. Les monnaies des trois premiers pays exportateurs mondiaux demeurent les principaux moyens de paiement internationaux. Sur le plan économique, les États-Unis mettront l’accent sur une coopération internationale et une coordination des politiques fiscales et monétaires. L’accent va être également mis sur le développement de la région méditerranéenne dans tout l’espace de l’Afrique du Nord et du Moyen Orient qui devient une priorité de l’administration américaine et qui se veut être le prolongement de l’engagement militaire américain en Irak. Les stratèges américains recommanderont également une coopération avec le Japon qui, quant à lui, donnera sa préférence à un monde multipolaire, organisé sur une base consensuelle, plutôt qu’à une pax americana. Les États-unis se considèrent, malgré une période de déclin relatif, comme une puissance militaire stratégique qui doit s’imposer durablement au monde. Leur alliance avec le Japon est le fondement de leur politique en Asie, notamment avec le renforcement des relations États-Unis/Chine initié par Nixon en 1973. La prédominance des Etats-Unis dans leur hémisphère demeure évidente et il leur reste surtout, pour asseoir celle-ci, à régler davantage les problèmes de modernisation de leurs équipements et de productivité de leurs industries. 81 Les seules potentialités d’antagonisme avec le Japon se situent au niveau d’une suprématie face à une relative décadence des valeurs occidentales. Il semble en effet évident, ainsi que l’a noté Claude Karnooth, que : « Ce n’est pas l’idéal d’une démocratie politique qui a délégitimé les régimes communistes mais la victoire culturelle du consumérisme.49 » Que pensent alors les Etats-Unis quant à une alliance avec les nouveaux pôles mondiaux de puissance ? La réponse est tout entière donnée dans la phrase qui suit : « Plus loin, dans le futur, les Etats-Unis auront l’économie la plus importante et la plus innovatrice, ils resteront une superpuissance nucléaire, le leader culturel et intellectuel, et un modèle de démocratie et de société pour le monde. »50 Cette déclaration exprime bien le comportement des États-Unis, celui de se considérer comme une puissance de première grandeur, ou de « first magnitude ». La guerre du Golfe a affirmé les nouvelles méthodes de travail des États-Unis, en même temps qu’elle a redéfini d’une façon plus « officielle » l’ordre mondial. La logique du marché sera aussi celle de la concurrence et de la guerre. On rapportera que la reconstruction du Koweït à la suite de l’invasion irakienne a permis l’obtention de 283 marchés, dont 280 ont été pris par les États-Unis51. Tout comme il est important de rappeler que les cinq membres permanents du Conseil de Sécurité sont aussi les cinq plus grands exportateurs d’armes en direction du Moyen-Orient. Si l’Amérique tolère un jeu de rivalité entre puissances régionales occidentales sous son hégémonie, elle visualise comme une « menace » à ses intérêts toute éventualité d’émergence de puissances au Sud, aussi bien qu’à l’Est, excepté si ces nations lui prouvent leur allégeance. Depuis Foster Dulles et jusqu’à la présidence actuelle, les États-Unis revendiquent une « culture stratégique ». La problématique n’est pas celle d’une transition hégémonique, mais 49 Claude Karnooth, « Le nouvel ordre international », ed. Arcantère, 1991, p.32. Henry Kissinger et Cyrus Vance, « Bi-partisan objectives for american policy », Foreign Affairs, no 5, Summer 1988. 51 Cf. Roger Garaudy, « Le triomphe de la barbarie », in Claude Karnooth, op. cit. p.43. 82 50 d’un alignement irréversible des pays du Sud et de l’Est sur les valeurs traditionnelles américaines, cela en vue d’une plus grande diffusion du pouvoir. Ce pouvoir dans sa diffusion est aussi conditionnel que l’est la « conditionnalité des ajustements structurels » en matière économique. En témoignent la deuxième guerre en Irak, et la situation dans les pays du Sud et de l’Est où les populations sont encore les victimes des enjeux de la puissance stratégique américaine52. B. Le concept de Grey Areas ou zones à hauts risques, de l’Est au Sud Dans leur vision stratégique du monde, les États-Unis délimitent des zones considérées comme zones à haut risque. Ce sont les Grey Areas. Des espaces « à tourbillons » (Vortex) ou conflits potentiels, notamment celles du Golfe arabo-persique définies comme une zone à conflits stratégiques internationaux pouvant subir des pressions militaires venant du Nord, cela à un degré toujours « imprévisible ». Un appel est alors fait pour la création d’une structure de base militaire d’envergure mondiale. Aujourd’hui, alors que l’équilibre des États ne repose plus sur une lutte idéologique et que la terreur est devenue un facteur de déséquilibre, on constate que la menace ne concerne pas que les pays de la périphérie, puisque même le territoire américain a été touché ; la stratégie post-guerre froide désormais suivie est une stratégie tous azimut qui s’appuie sur l’idée d’action préventive53. « Couplé à la dissuasion nucléaire, le containment fut le principe organisateur de la stratégie américaine durant toute la guerre froide. Face au nouvel ennemi de l’Amérique, la nébuleuse du terrorisme 52 En témoignent les appuis successifs des présidences de Ronald Reagan, Bill Clinton, à G.W.Bush junior aux forces fondamentalistes et théocratiques dans les pays du sud ; la manipulation des guerres ethniques en Afrique, les problèmes des minorités dans les pays de l’Est, l’utilisation du napalm contre les populations civiles en ex-Yougoslavie, le soutien américain au gouvernement de Sharon en Israël, etc. 53 Voir Olivier Mongin, Une entrée brutale dans l’après-guerre froide, Esprit, août-septembre 2003. 83 islamique et les gouvernements susceptibles de les appuyer, l’administration Bush veut forger une nouvelle doctrine : l’action préventive 54». Avec l’évolution des événements internationaux, il peut paraître ironique de retrouver classées avec les pays du Sud, les zones à conflit de l’ancien bloc socialiste. A un autre niveau, l’Ukraine et la Russie sont citées comme des éléments critiques, notamment du fait de la rivalité territoriale et militaire existant entre ces deux États. De plus, les crises économiques affectant ces régions tout comme celles du Kazakhstan et de la Belarus, rendent la Russie apparemment incapable d’être le centre d’un espace régional uni. Dans les analyses américaines, l’importance des relations des États-Unis avec les États nouveaux de l’ex-URSS est soulignée, ces entités étant toujours des puissances nucléaires. La Glasnost de Gorbatchev avait recentré la politique extérieure sur le continent avec pour devise : « La constitution d’une maison commune de l’Atlantique à l’Oural ». Mais les crises économiques atteignent tous les pays nouvellement indépendants, les sentiments populistes combinés aux revendications démocratiques répudieront la doctrine brejnévienne de la « souveraineté limitée » par rapport à Moscou. De plus, la désintégration de la Yougoslavie avec sa guerre civile, le problème des minorités entre l’Albanie et l’ex-Yougoslavie, de la Roumanie et la Hongrie (minorité hongroise de Transylvanie), desservent alors l’idée d’une croissance économique de l’Est, qui permettrait aux marchés d’exportation de l’Europe occidentale de s’élargir vers ces régions. Pour ce qui est des pays du Sud, les stratèges américains considèrent par tradition l’avenir du Tiers Monde comme terni par un sous-développement croissant. Néanmoins, les potentialités de tension sont situées parmi les pays exportateurs de pétrole avec la course aux armements que cela peut provoquer. 54 Alain Frachon, « Etats-Unis, de la dissuasion à l’action préventive », Le Monde, 9 juillet 2002. 84 Ainsi, les problèmes de prolifération des armements se situeraient parmi les défis stratégiques de la décennie, dont : la pollution, la pauvreté, les croissances anarchiques et fortes de populations55. Globalement, les sources d’instabilité nourries par le Tiers Monde sont ainsi répertoriées comme suit : la prolifération d’armes conventionnelles (missiles) et d’armes nucléaires, chimiques ou biologiques ; la protection des pays victimes d’exactions ou d’expansion territoriale étrangère ; l’apparition de forces centrifuges constituées par les minorités avec de nouveaux États ; les problèmes de terrorisme ; la protection de l’environnement (désastres naturels, sécheresse, pollution, etc.) mais également les épidémies et la famine ; le problème lié au trafic de la drogue et, enfin, toutes les crises dues au phénomène de la fragmentation nationale (divisions sectaires régionales, ruptures entre différentes entités nationales, mouvements de nature socio-révolutionnaire : rejet du pouvoir d’une minorité par une majorité, immaturité ou inadaptation des pouvoirs ou des institutions politiques, etc.). Chacun de ces éléments est considéré comme « menaces » à la stabilité et à la sécurité internationales. Autre zone à haut risque : la périphérie eurasienne de l’ex-URSS et les régions allant de la Turquie au Pakistan. L’intérêt vital représenté par le Moyen-Orient souligne la nécessité de forces militaires appropriées, les forces de dissuasion devant rester sur place. Concernant les régions d’Afrique et d’Asie du Sud-Est, elles sont évaluées comme des espaces à risque faible. La pénétration se veut d’ordre politique et les activités militaires d’un niveau secondaire. L’acquisition de pôles d’influence dans ces pays (Corne de l’Afrique, Afrique du Sud, Vietnam), ne dépendrait pas d’un accord local mais du type de soumission variable selon les confrontations opérées dans la région. 55 Le rapport 1990 de la Banque Mondiale évaluait la décennie 1980-1990, comme « une décennie perdue pour le développement ». 85 Pour ce qui est de l’Amérique Latine, le Traité de Rio va affirmer la supériorité militaire américaine dans les Caraïbes. Ainsi, l’influence politique ou la pression militaire dans les régions clés de l’Est et du Sud affecte les rapports entre puissances occidentales. L’idée de créer une structure de base mondiale, ou nation hôte, date d’avant la guerre du Golfe 56. En fait, les analystes aux Etats-Unis ressentent le besoin d’une nouvelle architecture institutionnelle, avec un partage des responsabilités, mais sous le contrôle américain. C’est ce qu’ils définissent comme « la nouvelle diffusion du pouvoir », et qui est en fait le non pouvoir pour les Etats soumis à leur tutelle. Ils refusent toute force régionale défiant l’autorité américaine, ils ne s’opposent pas à l’apparition de pôles de puissance au Sud, à condition que ces derniers leur prouvent leur allégeance et la réaffirment périodiquement. Dans les prévisions faites sur les futures puissances montantes du Sud, apparaît une hiérarchie allant des pays comme le Brésil ou le Mexique à l’Arabie Saoudite et l’Afrique du Sud. Pour ce qui est de l’ensemble des régions sous-développées, les perspectives se profilent comme suit : a) Monde arabe, Proche et Moyen-Orient : il est recommandé le maintien d’une force multilatérale dans le Golfe arabo-persique. Seuls les Etats-Unis et la Grande Bretagne seraient amenés à exercer une influence dans la région. Victoire stratégique au Golfe pour les Américains, car l’Irak restait parmi les principaux ennemis d’Israël. La nouvelle présidence américaine recommande l’intensification de la politique de soutien à Israël tout en allant vers une politique arabe plus équilibrée rendue cependant difficile avec la victoire du Hamas aux élections législatives de janvier 2006, ce 56 Durant la conférence annuelle de 1980, organisée par l’Institut International d’Etudes Stratégiques de Londres, il a été développé l’idée de dotation d’un système d’armement de haute technologie utilisant l’intelligence artificielle pour limiter les pertes humaines américaines au combat. 86 parti islamiste ne veut pas reconnaître l’État d’Israël et refuse de renoncer à la lutte armée. L’Irak semble par ailleurs avoir été un champ d’expérience de concepts nouveaux comme la « guerre préventive » et un terrain d’entraînement de nombreuses armées. Ce pays est menacé par le processus d’éclatement en cantons ethniques en cours. Les États-unis veulent associer les politiques arabes à une politique de démocratisation en s’associant aux frères musulmans modérés et contrer les régimes dits « radicaux ». D’où les pressions exercées contre la Syrie que l’on tendra à rendre responsable de l’assassinat de l’ancien premier ministre libanais Rafik Hariri57, et celles exercées contre l’Iran pour que ce pays renonce à son programme d’enrichissement de l’uranium (selon ce pays, ce programme est prévu pour produire son propre combustible à des fins d’application scientifiques donc pacifiques). Au sommet du G8 de Sea Island (Etats-Unis), en juin 2004, George W. Bush lance « Le Partenariat pour le progrès et un avenir commun avec la région du Grand Moyen Orient et de l’Afrique du Nord ». Ce projet sera évoqué également lors du sommet transatlantique de Dublin entre l’Union européenne et les Etats-Unis, le 25 et 26 juin 2004. En fait, toute ambition de puissance à enjeu idéologique transnational paraît défavorable aux intérêts américains. Les puissances montantes telles que l’Arabie Saoudite et ses alliés sont encouragés car leur idéologie transnationale s’accorde ici avec un statu quo américain et l’idée de développement d’un Grand Moyen Orient. b) Région Maghreb : le Maghreb demeure un pôle spécifique du monde arabe. Les mesures d’intégration régionale et d’uniformisation des pouvoirs systémiques y sont encouragées. L’accent est mis sur l’accélération des programmes d’ajustement structurel économique et sur les accords avec les intégrismes religieux. 57 Alexandre Adler, éditorialiste du Figaro, quotidien français, va désigner comme coupable, l’aile dure du régime syrien qu’il prétendra associé à Al Quaida en Irak, et voyait dans ce crime un coup de force des adversaires des réformes en Syrie contre l’entourage de Bachar Al Assad. 87 Ici apparaît tout le paradoxe de l’ouverture préconisée et de la défense des droits civils, l’existence de régimes autoritaristes pouvant accepter l’idée du projet de Grand Moyen Orient et de l’Afrique du Nord dont l’objectif serait la démocratisation de ces régions comme source de stabilité paraît difficilement réalisable mais permet plutôt l’émergence de nouvelles zones d’influence totalement inféodées aux intérêts américains. Les enjeux dans cette région restent également stratégiques. c) Région Afrique : Elle est l’objet de concurrence entre deux nouveaux pôles : l’Europe élargie et le bloc asiatique autour des États-unis et du Japon. Cependant, plusieurs pays de cette région sont considérés comme des zones économiquement non viables. Il est retenu de redessiner la carte de l’Afrique et d’élaborer des programmes de coopération interétatiques. L’Afrique constitue un peu moins de 2% du commerce mondial, les programmes d’ajustement structurel sont source de contrôle autoritariste et de répression (cas du Kenya, du Zaïre, de la Côte d’Ivoire, etc.). A cela s’ajoutent la détérioration de l’environnement (sécheresses répétées et cycles de famine), et les problèmes de rivalité ethnique avec leur cortège de guerres civiles et de déplacement des populations (Somalie, Rwanda, Burundi). Tout en étant marginalisée et dépendante sur la scène mondiale. L’Afrique vit ainsi le syndrome du droit à l’assistance humanitaire et donc du droit à l’ingérence et à l’intervention. d) Région Asie : essentiellement l’Asie du Sud-Est qui reste considérée comme une zone à risque faible. Elle ne paraît pas être dans l’ordre premier des préoccupations des stratèges américains. La terminologie doctrinale américaine la range dans un bloc asiatique où émergent la puissance régionale du Japon et potentiellement la Chine. e) Région d’Amérique Latine : Le partenariat demeure essentiel dans les priorités américaines. L’émergence de puissances régionales dans ce continent n’apparaît pas comme une menace pour les intérêts américains. Elle est plutôt considérée comme source de déséquilibres régionaux. 88 En conclusion à ce chapitre, nous pouvons écrire que, globalement, le credo des stratèges américains a été pendant longtemps la triade : « Économie de marché / Droits de l’Homme / Sécurité collective ». Si la démocratie est considérée de manière négative par certains ou comme une « illusion pernicieuse »58, elle est cependant prétexte à intervenir pour d’autres : intervention des troupes américaines à Haïti en septembre 1994, intervention au Panama, intervention en Irak, intervention en Afghanistan, etc. La guerre du Golfe et les évènements qui suivront, durant la dernière décennie du vingtième siècle, ont révélé la puissance politique et militaire mondiale des États-Unis. La guerre du Golfe avait par ailleurs souligné la faiblesse de l’Allemagne et du Japon qui avaient surtout assuré leurs contributions financières sur les 54 milliards de dollars avancés par les Alliés dans ce conflit. L’existence de bases et la présence des troupes américaines dans certaines régions stratégiques apparaissent au regard des alliés américains comme un facteur de sécurité, qui réaffirme ainsi le rôle de la suprématie mondiale américaine. En maintenant les structures de l’Alliance Atlantique, les États-Unis ont renforcé un instrument d’hégémonie qui leur permet de conserver un rôle vital dans la défense de l ‘Europe et celui de l’équilibre international depuis l’effondrement de l’URSS et la fin du Pacte de Varsovie. Dans un monde devenu économiquement multipolaire, les États Unis ont tous les atouts pour maintenir leur hégémonie dans le monde grâce au vide stratégique laissé par l’ex-URSS. Pour rappel, la guerre du Golfe sera perçue par les pays du Sud comme un conflit NordSud. Le déploiement américain et allié menant une guerre en coalition massive contre l’Irak isolé, accréditera l’idée dans l’opinion publique aussi bien du Tiers Monde que 58 James Shlesinger considérait la démocratie sous un angle raciste et la définissait comme une « illusion pernicieuse » quand il s’agissait de l’appliquer au Tiers Monde, cela du fait d’une supposée immaturité des populations locales. En ce sens, ce stratège américain recommandait des régimes musclés ou autoritaristes pour les pays sous-développés et des régimes démocratiques pour l’Occident où le niveau de consistance politique serait plus élevé selon lui. 89 dans celle des pays occidentaux, que la guerre était de nature pétrolière et visait à protéger les économies du Nord. Ainsi, devant l’éclatement du Sud, l’Occident perçoit un nouveau sens des menaces depuis la fin de la guerre froide. L’ancienne confrontation Est-Ouest est remplacée par un semblant d’antagonisme Nord-Sud perçu sous la forme de risques nouveaux inhérents à l’instabilité structurelle du Sud. Depuis les bouleversements géopolitiques engendrés par la fin de la guerre froide, les stratégies occidentales se focalisent sur une nouvelle gestion des menaces : terrorisme, flux d’immigration, prolifération des technologies militaires de pointe et des armes de destruction massive, etc. Ainsi assiste-t-on à un véritable bouleversement des rapports de force dans le monde et en particulier dans la région méditerranéenne. Le bassin méditerranéen est devenu, durant la décennie 1990-2000, l’objet d’une vaste restructuration et d’un renforcement des forces militaires occidentales, cela parallèlement à un vaste processus stratégique de dialogue entre les deux rives de la Méditerranée. 90 Chapitre II Le bouleversement des rapports de force en Méditerranée 91 Chapitre II Le bouleversement des rapports de force en Méditerranée Le bouleversement des rapports de force en Méditerranée va s’effectuer avec l’effondrement de l’URSS. Le 8 décembre 1991, la Russie, l’Ukraine et la Bielorussie signent un accord instaurant la Communauté des Etats slaves bientôt élargie en une Communauté des Etats indépendants (CEI) dans le but de regrouper les anciennes républiques de l’URSS. Ainsi, la Russie va revoir sa politique extérieure en abandonnant la politique expansionniste caractérisant l’Union soviétique depuis Staline. Elle ne réagira pas à l’évocation d’une force de réaction rapide de l’OTAN, en juin 1991, et elle va se rapprocher de l’Europe occidentale pour éviter un isolement politique. Certais stratèges russe vont même envisager l’intégration sinon le rapprochement avec l’OTAN. « Aujourd’hui, en tout cas, le fait essentiel est le formidable recul géographique, et donc stratégique et politique, de la Russie. La voici ramenée, ou à peu prés, à la situation qu’elle connaissait au début du XVIIe siècle, avant la victoire de Pierre le Grand sur Charles XII, qui lui donna l’Estonie et la Livonie, pire que celle qui lui fut imposée par le traité de Brest-Litovsk, puisqu’elle n’a pas seulement perdu les pays baltes, l’Ukraine et la Transcaucasie, mais aussi la Bielorussie, tandis que lui échapait toute l’Asie centrale »1. Ainsi, décembre 1991 va marquer la victoire américaine dans la guerre froide par la disparition de ses adversaires sur la scène internationale. L’hégémonie américaine va être unique dans l’histoire des relations internationales, cae elle s’exerce sur le monde entier sans avoir de rivale, elle va se fonder sur la puissance militaire comme moyen vital de la prépondérance mondiale des Etats-Unis. Dans le cas où cette prépondérance peut être remise en cause, il sera recommandé par les experts du Pentagone des interventions armées avec le concours d’une coalition soit coopérant avec les Nations Unies, soit agissant de 92 manière unilatétale. Quant à l’OTAN, il faut rappeler que, depuis décembre 1989, la question sera le sens de la pérennisation de l’Alliance ou sa réadaptation dans le contexte de l’environnement géopolitique de l’après-guerre froide. Une politique de l’OTAN en convergence avec celle des Etats-Unis qui veulent maintenir à tout prix la dislocation de l’ex-URSS. C’est dans ce contexte qu’il faut situer l’élargissement à l’Est de l’OTAN et son rapprochement inédit avec les pays du sud de la Méditerranée. Ainsi, lors du Sommet d’Istanbul, au mois de juin 2004, les dirigeants de l’OTAN ont décidé d’élever le Dialogue méditerranéen à un véritable partenariat avec les pays de la périphérie Sud. L’Initiative de coopération d’Istanbul a été lancée avec des pays sélestionnés parmi les Etats du Moyen-Orient. L’objectif étant d’assurer la sécurité des frontières et de lutter contre le terrorisme. L’OTAN veut ainsi s’assurer un contrôle sur une région plus large du Moyen-Orient en incluant les pays du Conseil de Coopération du Golfe. Ce contrôle s’effectuera sur la base de l’orientation des réformes des budgets et planning de défense, des relations civilo-militaires, de la coopération maritime, du trafic illégal de l’armement avec les Etats concernés, et de la lutte contre les armes de destruction massive. De plus, les attentats terroristes du 11 septembre 2001 vont renforcer l’unilatéralisme de l’hyperpuissance américaine et son contrôle de l’Alliance atlantique. Ils auront des conséquences sur les alliances politico-militaires régionales. Pascal Boniface déclarait à ce sujet : « Aujourd’hui, et certainement plus encore demain, Washington privilégiera les alliances à géométrie variable, la mission devant déterminer la coalition. Et si le multilatéralisme subsiste, il n’est plus que de circonstance, l’intérêt supérieur de l’hyperpuissance conduisant au maintien de son unilatéralisme 2». Il faut souligner le fait que la prospérité et la sécurité des États clés vont être affectées de manière croissante par les événements de l’espace méditerranéen. Tel fut le cas de l’attaque américaine contre l’Irak en mars 2003. A cette époque, les questionnements étaient nombreux ; ils préfiguraient les répercussions futures. 1 2 Paul-Marie de la Gorce, Le dernier empire, Le XXIe siècle sera-t-il américain ? Éd. Grasset, Paris, 1996. L’année stratégique 2003, IRIS, Paris, 2003. 93 Quelle autorité certifiera que l’Irak est « désarmé » ? Des mois après le déclenchement des attaques de l’Irak par les forces armées américaines et leurs alliés, on n’avait toujours pas trouvé d’armes prohibées en Irak. Il faut rappeler qaue le Conseil de Sécurité avait adopté le 31 janvier 1992 une déclaration qui qualifiait la prolifération des armes de destruction massive de menace contre la paix et la sécurité internationale passible des actions répressives prévues par le chapitre VII de la Charte des Nations Unies. Sur la chaîne de télévision britannique BBC 2, Hans Blix, chef des inspecteurs de l’ONU, déclarait : « Je demeure persuadé que le monde ainsi que le Conseil de Sécurité de l’ONU qui étaient soucieux du désarmement de l’Irak depuis dix années désirent aujourd’hui une inspection et une certification [ du désarmement des armes prohibées ] qui soit indépendante [ des États-Unis ] et qui proviendrait d’une autorité tirant sa légitimité du mandat qu’elle aurait reçu de l’ensemble de la communauté internationale ». Plus encore, le chef des inspecteurs de l’ONU n’a pas hésité à émettre les plus grandes réserves sur l’authenticité des documents par lesquels les Etats-Unis et la Grande-Bretagne ont voulu justifier leur intervention armée en Irak, déclarant qu’il est « troublant » que ceuxci soient « si peu solides » et donnant même un exemple à ce sujet : « Nous avons entendu parler d’un contrat signé par l’Irak et le Niger concernant 500 tonnes d’uranium. Cependant, une fois que l’AIEA a été en possession de ce document, celle-ci a pu établir sans aucun problème qu’il s’agissait d’un faux ». C’était donc un document falsifié en vérité. Le Chef des inspecteurs de l’ONU s’est interrogé sur la question de savoir qui l’a falsifié, laissant ainsi entendre que les Etats-Unis et leurs alliés dans la guerre alors programmée ont pu fabriquer des preuves fondant leur intervention militaire imminente. La France avait continué à faire valoir la primauté de la légalité internationale, se voulant ainsi la protectrice de la légalité internationale. C’est ainsi qu’elle travaillera à obtenir une « suspension » des mesures édictées contre l’Irak par l’ONU, alors que les Etats-Unis entendront la levée pure et simple de celles-ci.3 3 In Colombani Jean-Marie, Welles Walter, France Amérique, déliaisons dangereuses, Paris, Editions JacobDuvernet,, 2004. 94 Une suspension de ces mesures aurait subordonné la levée définitive de celles-ci à une relance des opérations d’inspection et de contrôle des armements résiduels de l’Irak par les instances onusiennes et, donc, réhabiliterait l’organisation onusienne comme vecteur privilégié de la vie politique internationale. En entendant lever de façon immédiate et définitive ces mesures, les Etats-Unis entendront agir en maîtres du terrain qu’ils sont devenus à la faveur de la mise à mort du régime de Saddam Hussein. L’avantage du terrain, comme on dit dans les compétitions sportives, est donc mis à profit par les Etats-Unis pour parachever la mise à l’écart de l’ONU. On peut souligner le désaccord qui s’est produit après les attentats du 11 septembre 2001 entre les alliés euro-atlantiques sur le rôle des Etats-Unis et de l’Europe dans l’architecture internationale de sécurité. Pour les Etats-Unis, ces attentats ont constitué une rupture historique marquée par la menace terroriste internationale à laquelle ils ont déclaré la guerre. L’opposition européenne s’était fondée notamment sur les risques inhérents aux conséquences de l’attaque unilatérale contre l’Irak. En fait, les Etats-Unis prévoyaient dés 1992 un conflit avec l’Irak, avec la Corée du Nord ou avec ces deux Etats à la fois du fait de leur potentialité de devenir des puissances nucléaires. De même, un conflit avec la Russie était envisagé dans le cas de la défense des pays de l’Est4. Olivier Mongin, politologue français, notait à ce sujet les propos suivants : « Quand la menace est fluide, déterritorialisée et non repérable, la réplique elle-meme devient globale, au risque d’intensifier la spirale de la violence qui est déjà une première victoire de la terreur5. » Au niveau des autres menaces post-guerre froide, on peut noter notamment, la montée de nouvelles tensions en Russie ou l’insécurité en Europe de l’Est, l’éventualité de la reconstitution d’une force régionale dans cette zone et donc de nouvelles frictions avec ce qui fut l’URSS vont induire une compétition stratégique qui va jouer dans les politiques 4 Ces objectifs sont développés dans les rapports élaborés par le Pentagone par Paul D. Wolfowitz et l’Amiral Jérémia, en 1992 5 Olivier Mongin, Une entrée brutale dans l’aprés-guerre froide, Esprit, août-septembre 2002. 95 développées dans la périphérie de l’Europe, et va aboutir paradoxalement à de nouveaux partenariats stratégiques, tel celui élaboré entre la Russie et les États-Unis, en juin 20026. Pour certains observateurs, la vente d’équipements militaires russes à Chypre durant les années 1990 était une première indication des tensions éventuelles dans l’avenir Aussi les alliés transatlantiques vont-ils repenser la sécurité en Méditerranée en mettant en exergue les problèmes sous-régionaux, allant de ceux du Moyen-Orient à ceux des Balkans, de la Mer Égée, ou du Sahara Occidental. Depuis les attentats anti-américains du 11 septembre 2001, les efforts américains se concentreront sur l’Afghanistan (un des pays de la zone du « Moyen Orient » prise au sens géopolitique d’inspiration américaine), l’Irak et les rogue states (États, rappelons-le, dits « voyous » dans la terminologie anglo-saxonne) potentiellement impliqués dans le terrorisme international. Ainsi, la Méditerranée sera l’objet d’importants mouvements des forces navales avec un renforcement du dispositif de riposte avec l’arrivée de l’USS Kitty Hawks avec 5500 hommes et près de 70 appareils7. Une unité d’élite chargée des opérations spéciales de la 15e unité expéditionnaire de la marine avec près de 2000 marines à bord de l’USS Peteliu avec la 26e unité expéditionnaire appartenant à l’escadre du Théodore Roosevelt vont participer à des exercices amphibies de débarquement sur les côtes méditerranéennes de l’Egypte durant le déroulement de l’exercice multilatéral Bright Star dans le cadre de la coalition anti-terroriste. Ces unités seront stationnées sur une base opérationnelle avancée en Afghanistan (Forward operating location, FOL). L’objectif sera d’assurer l’opérationnalité et l’interopérabilité des forces armées dans la région. Il faut noter que la Turquie aura un rôle important dans la stratégie de riposte américaine, vu qu’elle offrira les services de sa base aérienne d’Incirlik sur la côte méditerranéenne comme base terrestre avancée pour les opérations de Northern Watch au nord du 36e parallèle irakien. 6 Il faut rappeler par ailleurs que le 2 avril 2004, une cérémonie s’est tenue à Bruxelles, marquant l’entrée officielle dans l’OTAN de sept pays de l’Europe de l’Est soulignant ainsi le passage de l’OTAN de 19 membres à 26 membres (Bulgarie, Roumanie, Estonie, Lettonie, Lituanie, Slovaquie et Slovénie). Ces pays ont du adopter leurs armées aux standards de l’OTAN et transformer leurs méthodes de gouvernement et leurs économies. 7 Associated Press, Military build up intensifies, 21 septembre 2001. 96 Le commandement central américain va controler l’initiative de défense coopérative qui rassemblera derrière les forces américaines les forces armées des États du Conseil de Coopération du Golfe (le CCG comprenant le Bahrein, le Koweït, l’Arabie Séoudite, Oman, le Qatar, les Emirats arabes Unis), d’Egypte et de Jordanie. Cette initiative sera une étape de la mise en œuvre du Pacte de défense du CCG de décembre 2000 qui devait développer des capacités régionales de gestion des crises. Ainsi, dans la rationalité occidentale, le risque militaire demeurait beaucoup plus Sud-Sud que Nord-Nord : comme nous l’avons déjà mentionné, les répercussions éventuelles de la détérioration du climat politique et économique, tout comme le terrorisme, le trafic de drogue, la prolifération des armes de destruction massive créeraient des dilemmes sécuritaires. Selon certains observateurs, les capitales de l’Europe du Sud pourraient être à la portée des missiles balistiques provenant d’Afrique du Nord ou du Moyen-Orient8. Dans l’Est méditerranéen, le potentiel pour un conflit serait le plus important de cet environnement stratégique. Car le conflit arabo-israélien continue d’avoir une dimension militaire sérieuse du point de vue conventionnel et non conventionnel. Par ailleurs, l’augmentation de la tension à Chypre et dans la mer Égée accroît le risque d’un conflit entre la Grèce et la Turquie, ajouté à un risque dans la région de la Mer Noire. Ainsi, l’éventuelle adhésion de la Turquie à l’Union Européenne pourrait devenir une source de stabilité pour la région, selon certaines franges de la classe politique occidentale, dont celles des Etats-Unis. En Méditerranée occidentale, l’Ouest considère également qu’il y a des risques variés, mais cependant identifiables, de confrontation militaire entre le Maroc et l’Algérie, la Libye et l'Égypte, et l'Égypte et le Soudan. Aussi, des possibilités de confrontation directe à travers la Méditerranée sont exclues avec l’exception relative d’une crise entre le Maroc et l’Espagne sur la question des enclaves de 8 In Fondation pour la recherche stratégique, Annuaire stratégique et militaire, Paris, Odile Jacob, 2003. 97 Ceuta et Melilla, comme la crise portant sur l’îlot Perjil-Lila qui est aussi une enclave espagnole. Le risque d’une instabilité au Maroc est évoqué également avec celui d’une remontée de l’islamisme et du terrorisme dans le pays. En Algérie, la crise engendrée par le terrorisme islamiste a perduré sans atteindre pour autant un risque de déstabilisation globale. Par ailleurs, la question de l’enjeu sécuritaire que représente l’énergie apparaît prioritaire dans cette zone méditerranéenne où transitent 40% de l’approvisionnement de l’Europe en pétrole et en gaz naturel. Cependant, cette question perd sa dimension traditionnelle Nord-Sud dans la mesure où le réseau de pipe-line Sud-Sud se développe avec le Trans-Maghreb, l’Irano-Turc ou les lignes alternatives pour amener le pétrole de la mer Caspienne aux marchés occidentaux. Ces nouveaux développements de liens énergétiques apparaissent aussi comme une source supplémentaire de vulnérabilité dans le cas d’éventuels remous sécuritaires au-delà des frontières nationales et régionales. Section 1. La sécurité en Méditerranée Avec la fin de la guerre froide, une tendance à la convergence entre alliés euro-atlantique va apparaître quel que soit le degré de divergence existant quant à la perception sécuritaire de chacun.9 L’environnement sécuritaire traditionnellement fragmenté ou séparé notamment avec l’apparition des systèmes militaires et d’informations modernes à la portée significative, va produire, rappelons-le, un espace de « Régions grises » ou grey areas, considérées comme des zones à risques. En ce sens, l’OTAN et l’Union Européenne (de 15 membres, l’UE passera à 25 membres au 1er mai 2004) vont s’élargir à l’Est pour intégrer l’ancien bloc soviétique dans des 9 Au Sommet de l’Union européenne avec les Etats-Unis, les 25 et 26 juin 2004, en Irlande, un diplomate européen déclarait : « Nous mettons derrière les différends qui ont pu exister notamment sur l’Irak : nous n’abandonnons pas nos positions, nous voulons surmonter les divergences, nos mots d’ordre, sécurité, stabilité, démocratie et liberté dans le monde ». 98 organisations euro-atlantiques, économiques et sécuritaires, et se réorganiseront dans un basculement vers la périphérie Sud de l’OTAN, notamment dans les Balkans, le Caucase et surtout la Méditerranée où les accès aux ressources énergétiques sont ceinturés10. Ce processus ne sera pas une orientation radicale mais plutôt des étapes d’ajustement croissant dans la mesure où l'OTAN s'investit parallèlement dans l’élargissement vers l’Est. Paragraphe 1. Les nouvelles donnes sécuritaires La politique américaine va viser le rang de superpuissance unique en dissuadant toute rivalité éventuelle, elle va s’employer à bloquer toute prolifération des armes nucléaires11. Ainsi, durant l’été 1991, un traité va être conclu entre les Etats-Unis et la Russie devant réduire les armes nucléaires stratégiques à 3500 du côté américain, et 3000 du côté russe, en l’an 2002, et le déémantèlement des forces nucléaires tactiques en Europe. Par ailleurs, la réforme du commandement et de la stratégie militaire de l’OTAN en Méditerranée sera accompagnée de capacités nouvelles de projection de puissance importante. Ce nouveau basculement vers le sud des forces euro-atlantiques va changer le rapport de force en Méditerranée, traditionnellement déterminé par la rivalité américano-soviétique. N’oublions pas que la nouvelle politique étrangère russe, inspirée par la Perestroïka, était fondée sur les principes de coexistence et de coopération. Elle va aboutir à un renforcement des relations de l’ex-URSS avec le monde occidental et à la fin du conflit EstOuest, notamment dans l’espace méditerranéen. La stratégie de l’ex-URSS et des anciennes républiques soviétiques dans cette région tiendra compte de la nécessité du maintien de relations avec les États-Unis tout en sauvegardant les intérêt vitaux dans cet espace proche de leurs frontières et qui constitue un débouché maritime géostratégique. 10 Voir à ce sujet l’étude de Hans Hackkerup, in L’OTAN accessible, Revue de l’OTAN, no 6, novembre 1996. Cas de l’Iran qui ,rappelons-le, sera le sujet des médias et des pressions des puissances occidentales durant l’année 2005-2006 pour sa volonté d’acquérir l’arme nucléaire. 11 99 A. La fin du rôle de l’URSS L’attitude de l’ex-URSS va se traduire dans le monde arabe par exemple, par un refus d’une confrontation militaire israélo-arabe et le choix d’un soutien à une politique de règlement par étapes, telle que préconisée par les États-Unis. La nouvelle politique russe en Méditerranée orientale sera fondée sur la nécessité de tenir compte du lobby sioniste dans sa demande d’aide financière aux pays de l’Ouest ; cela amènera la Russie autoriser l’émigration de juifs soviétiques, à voter les résolutions de l’ONU et à soutenir la coalition occidentale durant la guerre du Golfe, et à signer un nouveau partenariat stratégique, le 24 mai 2002, à Saint-Petersbourg, avec les États-Unis ainsi que, rappelons-le, la création d’un Conseil commun OTAN-Russie. Un traité de désarmement nucléaire sera signé avec une longue déclaration commune, inscrivant dans les détails, la teneur des accords entre les deux pays. Ainsi, dans le cadre du terrorisme, les deux pays vont décider d’agir ensemble en Asie Centrale et dans le Caucase. L’un des plus importants points à souligner est que cela permettra aux États-Unis de s’installer durablement dans ces deux régions, et d’y avoir un droit de regardalors que jusque là c’était chasse gardée pour la Russie12. A vrai dire, l’effondrement de l’ancien bloc de l'Est va provoquer un bouleversement des rapports de force sur la scène internationale, en général, et en Méditerranée, en particulier, avec la fin du Pacte de Varsovie. Les nouvelles données sécuritaires dans cette région du monde seront caractérisées par cinq éléments 13: - La fin de la guerre froide comme facteur de restructuration de l’espace méditerranéen ; - La fin du rôle de l’ex-URSS et le renforcement de la présence américaine en Méditerranée ; 12 Voir Nathalie Nougarayrède, Les États-Unis et la Russie scellent une nouvelle alliance, Le Monde, 27 mai 2002, p. 2. 13 In Mohand Melbouci, La sécurité en Méditerranée, Actes du séminaire de Lisbonne sur la sécurité régionale, Institut de Défense Nationale, Lisbonne, 1990. 100 - La possibilité d’un rôle plus important pour l’Union Européenne ; - L’apparition et le règlement des conflits dans les Balkans ; - L’accroissement des tensions Nord-Sud, avec le cas, rappelons-le, du bombardement de l’Afghanistan, après les attentats anti-américains du 11 septembre 2001, l’expédition américaine en Irak et l’occupation de ce pays qui a amené à l’écroulement du régime de Saddam Hussein. L’après-guerre froide va se traduire, surtout, par la fin du rôle de l’ex-URSS en Méditerranée et une réduction des activités de l’Eskadra, la célèbre flotte soviétique. Cela n’entraînera pas pour autant le fait qu’il n’existera pas d’opposition d’intérêts entre les pays de l’Ouest et les républiques de la CEI (Communauté des États indépendants), vu que la Méditerranée demeure un débouché maritime géostratégique. Cependant, cette rivalité concernera dorénavant la Russie seule, et non plus l’ancienne coalition des pays de l’Est14. La VIe flotte américaine deviendra le principal instrument de la présence des alliés en Méditerranée. Dans le passé, cette flotte était dirigée contre les mouvements du Pacte de Varsovie. Pour rappel, le détachement russe en Méditerranée deviendra, après la guerre des six jours, en 1967, la fameuse Eskadra, dont l’objectif principal sera de s’opposer aux capacités de feu de la VIe flotte américaine. Il faut noter cependant qu’on a souvent considéré que le rôle de l’Eskadra est d’abord politique avant d'être militaire. Au demeurant, on peut noter le fait que la volonté russe de demeurer présente en Méditerranée date de l'ancienne politique tsariste d’accès aux mers chaudes. Pendant la guerre froide, la confrontation de l’ex-URSS avec les États-Unis ainsi que des facteurs géopolitiques combinés aux intérêts économiques militaires ont conditionné la politique soviétique en Méditerranée. Ainsi, l’espace méditerranéen deviendra la mer la plus militarisée et la plus nucléarisée de la planète. Il faut dire que les dépenses militaires des pays riverains se feront au détriment du développement civil de la région Sud, et toutes les politiques développementalistes, initiées 14 Russia and the West : An endangered relationship, NATO Review, no 1, february 1994. 101 dans les années 70, aboutiront à un échec, favorisant ainsi d'énormes disparités socioéconomiques, facteurs de déstabilisation politique. B. La course aux armements Après les attentats du 11 septembre 2001, les États-Unis vont dénoncer unilatéralement le traité Anti-Ballistic Missile (ABM) et maintenir le National Missile Defense, privilégiant ainsi la défense et les moyens militaires sur la prévention, un fait qui ne tient pas compte de la nouvelle variété des menaces. Pour ce qui est de la course aux armements en Méditerranée, il faut noter que depuis 1962, les pays du Moyen-Orient ont été en tête des importations d’armes dans le monde. Une étude effectuée sur cette thématique révèle les faits suivants : « De 1980 à 1989, 426 milliards de dollars ont été affectés aux budgets militaires alors que les dépenses concernant l’agriculture, l’éducation et la formation n’ont pas dépassé 267 milliards de dollars. L’importance des dépenses consacrées aux armements a doté un certain nombre de pays d’armées surdimensionnées. Cette situation n’est pas propre au Proche-Orient, dans presque tous les États riverains de la Méditerranée, le niveau des forces conventionnelles est élevé. Beaucoup d'États entretiennent de grandes armées. Le rapport des forces sur les plans du personnel est de 2,37 millions de soldats du côté des États membres de la CEE, de 2,69 millions au Proche-Orient, et seulement de 450.000 dans les pays du Maghreb y compris la Libye. Ces armées sont équipées d’armes modernes de construction occidentale ou orientale. Les pays de la communauté européenne disposent de capacités aériennes, navales, nucléaires, chimiques et balistiques plus élevées que ceux de la rive Sud. La part principale de ces derniers est représentée par les forces terrestres et leur matériel ainsi que par l’armée de l’air […].Tous les États militairement puissants disposent de missiles à courte et moyenne portée. Les pays fournisseurs de ces missiles sont l’URSS et les États-Unis. 102 Si leur usage paraît jusque là orienté sur les ogives conventionnelles, ils peuvent être munis de têtes nucléaires, chimiques ou bactériologiques… »15 Cette militarisation effrénée du Moyen-Orient est due au fait que le conflit israélo-arabe persiste et demeure un des seuls conflits non résolus de l’espace méditerranéen. Il va influencer l’évolution de la Méditerranée orientale et occidentale ; même la Tunisie ne sera pas épargnée (bombardement, en 1985, du siège de l'OLP, à Tunis). Au demeurant, il est considéré dans l’opinion publique arabe qu’Israël est le seul pays de cette région à posséder l’arme atomique ainsi que plus de 200 têtes nucléaires. Cela peut représenter une menace pour l’ensemble des pays géographiquement proches et un facteur de déstabilisation régionale. Il en résulte une impossibilité à résoudre de manière durable les conflits ou de maîtriser la course aux armements dans cette région. Dans son Agenda pour la Paix, un rapport présenté à l'ONU en 1992, Boutros BoutrosGhali considérait que « le concept de paix est facile à saisir ; celui de la sécurité internationale l’est moins, car des tendances contradictoires le traversent. D’un côté, les principales puissances nucléaires ont commencé à négocier des accords de réduction des armements ; de l’autre, la prolifération des armes de destruction massive menace de s’intensifier tandis que les armes classiques continuent à s’amonceler en bien des endroits du monde 16 ». La faiblesse du contrôle sur les armements et sur le commerce des armes demeure la raison fondamentale de la multiplication intensive des arsenaux militaires dans la Méditerranée. De plus, « les réductions des forces américaines et de l’URSS en Europe, plus généralement les négociations Est-Ouest sur le désarmement, vont libérer d’énormes surplus de matériels que, déjà, Moscou et Washington cherchent à donner ou à vendre au tiers monde ; les autres producteurs d’armes ne sont pas en reste et, dans le sud, de nombreux pays entendent s’équiper eux-mêmes. »17 15 Voir Mohand Melbouci, op. cit. Boutros Boutros Ghali, Agenda pour la paix, Rapport présenté par le secrétaire général de l’ONU, publication des Nations Unies, New York, 1992. 17 Marc Klarc, « L’accroissement de ventes d’armes », Le Monde Diplomatique, septembre 2001. 16 103 On peut noter que les 4/5 du commerce mondial des armes et des équipements militaires sont destinés aux pays en voie de développement. La moitié de ces importations d’armements par les pays du Tiers-Monde va aux pays du Proche-Orient. Ce fait est dû au sentiment de vulnérabilité ressenti par les États arabes, exportateurs de pétrole, du fait des enjeux et convoitises que produisent leurs richesses naturelles. La guerre du Golfe engendrée par l’invasion du Koweït par l’Irak, en 1990, suivie de la deuxième guerre irakienne, en 2003, sont des exemples types. Certains États se surarment du fait de leurs ambitions ou velléités à devenir une puissance régionale. Ainsi les pays du Sud de la Méditerranée ne perçoivent plus la sécurité qu’en termes militaires, mais ils sont pris dans la spirale courante du réarmement constant18. Dans son rapport de l’année 1994, le PNUD (Programme des Nations Unies pour le Développement) faisait le constat suivant : « De 1960 à 1987, les dépenses militaires des pays en voie de développement ont augmenté relativement trois fois plus que dans les pays industrialisés, passant de 24 à 145 milliards de dollars soit une augmentation de 7,5% par an contre 2,8% dans les pays industrialisés… » Par ailleurs, le rapport ajoute que « entre 1987, début de la décrue, et 1991, les pays industrialisés ont diminué leurs dépenses de 15% (de 850 à 725 milliards de dollars) contre 1% seulement dans les pays en voie de développement (de 145 à 130 milliards de dollars). Un tiers des dépenses militaires des pays en voie de développement sont le fait du Proche-Orient et de l’Afrique du Nord.19 » Le Proche-Orient demeure le théâtre essentiel de la course aux armements dans le bassin méditerranéen. Les pays les plus importants de la région tels que l’Iran, l’Arabie Saoudite, l'Égypte, la Syrie et Israël multiplient leurs achats d’armements et demeurent en tête des classements des montants de défense militaire par pays20. 18 Le Militay Balance et l'Année stratégique donnent chaque année des informations importantes sur l’augmentation des effectifs des pays du Proche-Orient et du Maghreb et constatent que ceux de la Communauté européenne diminuent dans les années 1990. 19 Rapport 1994 du PNUD, cité par El Watan, 13 octobre 1994. 20 SPRI Yearbook 1990, World Armement and Disarmement, Oxford University Press,1991, p. 228. 104 Dans la Méditerranée Occidentale, l’Algérie fut désignée à un moment donné comme un pays visant la fabrication de l’arme nucléaire, du fait de la création du centre de recherche nucléaire de Aïn-Oussera, établi grâce à une coopération avec la Chine21. En fait, les intentions de l’Algérie semblent aller dans le sens du désarmement et être sans ambiguïté, puisque ce pays a accepté les contrôles effectués par l’AIEA (Agence Internationale de l'Energie Atomique) dont les missions sont de détecter tout détournement à des fins militaires. L’Algérie a adhéré au Traité de Non-Prolifération Nucléaire en janvier 1994, exposant ainsi son intention d'utiliser l’atome à des fins pacifiques (destination civile de l’énergie atomique). Quoiqu’il en soit, l’accroissement de l’armement militaire en Méditerranée demeure relativement important, car avec la dislocation de l’URSS, et la cessation de son engagement en faveur des pays du Proche-Orient et de l’Afrique du Nord, cet espace est devenu un potentiel de luttes et de rivalités pouvant déboucher sur des conflits à même de déstabiliser la région22. C’est au vu des nouvelles constantes géostratégiques de l’après-guerre froide que les États-Unis ont procédé, dans les années 1990, à une restructuration de fond de leur instrument de défense transatlantique, l’OTAN, et ont favorisé ainsi, sous les pressions de l’Europe du Sud, un basculement vers le Sud des organes de défense des alliés occidentaux. Pour les États-Unis, c’était une manière de réaffirmer leur contrôle dans la région, tout en laissant le fardeau de la gestion et du financement des opérations sécuritaires à leurs alliés. Paragraphe 2. Le renforcement de la présence américaine Il semble utile, ici, de rappeler le constat suivant : « Les attentats du 11 septembre 2001 n’ont pas modifié le recours privilégié, par les États-Unis, à des options militaires, ces derniers augmentent même de façon spectaculaire leurs dépenses militaires. 21 Algeria and the bomb, The Economist, january 1992. On a observé cependant durant l’année 2006 une volonté de réemergence de la Russie dans ces régions, notamment avec la visite du président Poutine en Algérie à cette période. 22 105 La lecture que les États-Unis font des évènements du 11 septembre les conduit, en effet, à accroître leurs moyens militaires afin d’assurer leur sécurité. Leur budget de défense va être augmenté de 15% en 2003, pour atteindre la somme de 380 milliards de dollars, soit l’équivalent du produit national brut de la Russie23 ». En fait, Les États-Unis réalisent à eux seuls 37% des dépenses militaires mondiales. La stratégie des Etats-Unis demeure planétaire, leur potentiel militaire en Méditerranée est unique et exprime leur vision hégémonique du monde. A. Les forces américaines en Méditerranée La VIe flotte américaine qui constitue 10% de la marine militaire américaine inclut : - Des porte-avions, croiseurs, destroyers ; - des sous–marins nucléaires d’attaque, missiles de croisière, groupes amphibies avec une unité expéditionnaire de marines ; - des navires de renforcement ; - des forces aériennes avec appareil d’attaque à large rayon d’action ; - des forces terrestres de déploiement rapide ; - une unité de marines pour renforcer la présence en Méditerranée ; - des armes nucléaire déployées en Europe pour les appareils américains et alliés, susceptibles d’être déployés en mer. Outre ces forces de déploiement, il existe encore de nombreuses bases côtières et terrestres où sont prépositionnés des équipements, des forces mobiles à même de transporter par mer du personnel et des équipements, des capacités logistiques importantes, 23 L’Année stratégique 2003 (sous la direction de Pascal Boniface), IRIS, p. 35. 106 un système de reconnaissance, de surveillance et de ciblage à haute densité technologique, des capacités logistiques importantes, et des capacités anti-missiles balistiques tactiques24. L’architecture militaire atlantique comprend, en outre, un zonage avec un espace de commandement européen (EUCOM) qui comprend des pays comme l’Egypte qui est intégrée dans l’aire de contrôle du commandement central américain (CENCOM) en direction du Moyen-Orient. Les facteurs économiques et militaires font de la Méditerranée une base avancée (forward presence) et un couloir stratégique (strategic way point) permettant le contrôle de l’espace euroasiatique avec l’aide d’États pivots (Turquie, Egypte, Israël). B. Le contrôle des voies d’approvisionnement énergétique Cinquante-cinq pour cent des réserves mondiales de pétrole se trouvent dans cinq pays du Moyen Orient qui produisent actuellement 28% de l’approvisionnement mondial de pétrole (Arabie Saoudite, Irak, Iran, Abu Dhabi, Koweit). Cette situation montre l’importance de la Méditerranée et du contrôle des voies d’approvisionnement énergétique de l’Occident. Le Moyen-Orient recèle les champs de pétrole les plus grands et les plus productifs du monde. L’Europe du sud importe 28% de ses approvisionnements en pétrole et 38% des approvisionnements en gaz des pays producteurs méditerranéens. En fait, 50% du pétrole consommé en Europe ocidentale et plus de 10% du pétrole consommé par les Etats-Unis sont fournis par la région méditerranéenne25. Dans ce contexte, la présence de la Russie a diminué en tant que puissance en Méditerranée, d’autant plus que la nouvelle stratégie russe tient compte des intérêts occidentaux et donc américains dans la région. Cette situation amènera les États-Unis à légitimer le renforcement de leur présence en Méditerranée d’autant plus que sortis vainqueurs de la confrontation Est-Ouest, ces derniers considèrent qu’ils sont la seule superpuissance mondiale, et qu’ils ont donc 24 Voir Malik Bensaada, La stratégie méditerranéenne de l’OTAN : Permanence et évolution, Mémoire de 3e cycle d’études politiques et stratégiques, Ecole des Hautes Etudes Internationales, Paris, 1994. 25 A. Keramane, Le défi énergétique, Actes de Milan, STRADIMED, FMES, Politecnico de Milano, mai 1999. 107 l’obligation de développer une vocation planétaire. Leur stratégie de sécurité énergétique en Méditerranée est décrite en ces termes : « La vraie affaire stratégique américaine des années 90 et du XXIe siècle est la maîtrise des enjeux énergétiques. Important déjà 50% de ses besoins en pétrole, l’économie américaine est destinée à dépendre de plus en plus de ses importations de matières premièreset en particulier du pétrole. Cette dépendance de nature stratégique contraint les Etats-Unis à définir une géostratégie globale de maîtrise des enjeux énergétiques. Cette stratégie concerne l’action combinée des sociétés du secteur énergétique liées à des sociétés d’investissement et de crédit (oil-gas arms business) et soutenue par l’Etat américain. Face à leurs concurrents (Europe, Japon) eux-mêmes sans ressources énergétiques propres, les Etats-Unis veulent contrôler en premiere instance la ressource énergétique stratégique du système industriel. A l’épée, le pouvoir américain ajoute les hydrocarbures comme dispositif de suprématie mondiale. Or, l’espace concerné par cet objectif est l’ensemble du Sud-méditerranéen à partir du Maroc jusqu ‘au Golfe et la Caspienne. Ce qui amène à penser comee un ensemble unique le Maghreb et le Machrek jusqu’au Caucase et par extension la Méditerranée »26. Les deux guerres irakiennes auront révélé l’importance accrue du point de vue géostratégique de la Méditerranée, car elle aura été le lieu de passage obligé de toutes les interventions militaires. Au regard américain, elle prend donc une dimension allant des Açores jusqu’au Golfe arabo-persique. La présence américaine dans cet ensemble permet un contrôle de l’évolution de la situation dans les républiques du Sud de la Fédération de Russie, et dans les Balkans. Elle favorise aussi le contrôle des voies d’approvisionnement en énergie de l’Occident. Elle permet également à l’Amérique, rappelonsle, d’empêcher toute velléité d’indépendance de l’Europe en la ceinturant. C’est ainsi que l’OTAN, sous commandement américain, a mis sur pied une force navale permanente jouant le rôle de réaction rapide dans les opérations de paix en Méditerranée. 26 Bernard Ravenel, L’Algérie entre la France et les Etats-Unis, Revue Naqd, numéro 12, Printemps-Eté 1999. 108 Section 2. La restructuration du Flanc Sud de l’OTAN Il apparaît donc que la Méditerranée n’est plus l’objet potentiel d’une confrontation Estouest, compte tenu du fait que la Russie et les États qui lui sont associés n’exercent plus une influence comparable à celle qu’exerçait l’ex-URSS dans la région. Cela rend la présence de l’OTAN et celle des États-Unis plutôt problématique, au regard des États du Sud, qui s’interrogeront, dans les années 1990, sur la finalité du changement intervenu dans la doctrine nord-atlantique, notamment la restructuration du flanc Sud de l’Europe, la création des FAR, ou forces d’action rapide, et l’articulation de l’OTAN avec l’Union de l’Europe Occidentale (UEO) vers un espace Hors Zones, qui signifie concrètement une extension des zones de compétence géographique de l’Alliance Atlantique intégrant l’Afrique du Nord. La restructuration des forces militiares et des dispositions de commandement de l’Alliance a représenté une part importante de son processus de modernisation. Ce processus a mené à la réduction et la réorganisation des forces militiares de la majorité des pays de l’OTAN, cela basé sur des concepts de mobilité et de souplesse accrues dans le but de faire participer les pays partenaires aux opérations de l’Alliance. Paragraphe 1. La logique du Sea Power ou puissance maritime Il faut rappeler que pour les alliés euro-atlantiques, le rôle des mers est d’être des lieux de projection des forces pour le soutien des combats à terre lorsque la dissuasion a failli. C’est la logique du Sea Power ou de la puissance maritime avec des capacités aéronavales de surveillance extrêmement sophistiquées, et des activités sous-marines27. La VIe flotte américaine est considérée comme la principale projection de puissance des alliés en Méditerranée. 27 Voir Gérard Montifroy, Puissances et conflits, éd. du Fleuve, Montréal, 1990. 109 A. Le contrôle de la force sur l'espace maritime On peut constater que le phénomène de puissance implique celui du contrôle de la force sur l'espace maritime. Dans toute vision stratégique classique, celui qui domine les mers domine le commerce mondial, et possède le monde tout court. La mer est une des composantes géostratégiques qui permettent une projection de puissance dans le cadre de la guerre qui l’utilise comme moyen. La mer, depuis le seizième siècle, et l'air, depuis le début du vingtième siècle, sont le reflets d'une réalité rénovée, celle des tactiques nouvelles et des théâtres d'opération qui s'élargissent et transforment ainsi la géostratégie. Le vice-amiral H. Le Pichon relevait avec pertinence que la géostratégie de l'avenir mettra l'accent sur les changements au niveau des procédés, des techniques, et des échelles ; sur le plan technique, le développement des moyens suivrait l'évolution des conflits potentiels : « la tactique américaine consiste à essayer… » d’avoir un principe « … aussi précis que possible des mouvements des sous-marins soviétiques pour les détruire dès que le niveau de la crise le justifiera.28» Pour les stratèges occidentaux, la menace russe a disparu, certes, mais elle peut demeurer velléitaire ; aussi sont-ils donc favorables à la reconstitution des dispositifs aéroterrestres pour que les forces de l'OTAN assurent la protection du renforcement américain par voies maritime et aérienne pour compenser une dissymétrie introduite par la géographie en faveur de l'ex-URSS. Il faut rappeler sur ce point que jusqu'en 1990, la flotte sous-marine soviétique demeurait la première du monde par le nombre. Après la guerre du Golfe, le Haut Commandement de l'US Navy a tiré des enseignements l'amenant à élaborer le concept de Sea Launched Cruise Missile (SLCM), qui concrétisera le fait que la stratégie maritime américaine situe ses principaux intérêts dans l'espace maritime entourant la masse continentale de l'Eurasie. 28 Gérard Montifroy, Enjeux et guerres, géostratégie et affrontements géopolitiques, éd. Frison-Roche, Paris, 1991, p. 36. 110 L'émergence du Pacifique dans le système économique mondial ne remettra pas en question l'importance stratégique de l'Atlantique et de la Méditerranée. On peut relever, sur le plan géostratégique, le fait suivant : « Dans la vision géopolitique, l'Europe occupe une position clé. Elle est le prolongement à l'Ouest de la partie la plus peuplée et la plus active de l'Union soviétique, elle lui donnerait une puissance sans égale ainsi que les bases les plus favorables de projection vers les États-Unis. C'est donc bien ici que doit, tôt ou tard, se jouer, si l'on n'y prend garde, la suprématie mondiale29 ». B. Le principe de la division des tâches, ou burden sharing L’OTAN aura pour objectif d’adapter l’infrastructure de l’organisation à la gestion des crises dans les opérations Hors Zones en Europe, et en dehors de l’Europe, et également de faciliter un allègement de l’engagement des États-Unis dans cette zone pour des raisons budgétaires en s’assurant une division des tâches dans le maintien de la sécurité avec les alliés en Méditerranée. 1. La division des tâches sécuritaires30 « Les Etats-Unis sont conscients de leur supériorité et doivent agir comme si le monde dépendait de plusieurs pôles de pouvoir avec des partenaires pour partager le poids psychologique du leadership mais aussi pour bâtir un ordre international compatible avec la liberté et la démocratie »31. L’OTAN de par la Charte de Washington (1949) est limitée territorialement à l’Europe Occidentale, les États-Unis, le Canada et l’Atlantique Nord. La réadaptation de son infrastructure va favoriser une extension de sa projection de puissance. 29 Stratégique, avril 1989, p. 27. Le principe du « burden sharing » signifie une division des tâches sécuritaires entre les alliés transatlantiques ; cela n’est pas sans rappeler, incidemment, l’expression de « fardeau de l’homme blanc », inventée par l’écrivain britannique, Rudyard Kipling qui, au 19e siècle, faisait allusion à l’action dite civilisatrice des puissances coloniales dans les ex-pays colonisés. 31 Henry Kissinger, Does America needs a foreign policy? Towards a diplomacy for the 21st century, NY, Simon and Schuster, 2001. 30 111 Ainsi, l’échiquier méditerranéen va engendrer une réorganisation des tâches et susciter un compromis basé sur le principe du burden sharing, ou division des tâches sécuritaires. Il faut rappeler que le sommet de l’OTAN à Bruxelles en janvier 1994, et la réunion ministérielle en juin 1996, vont intégrer l’idée d’une « Identité Européenne de Sécurité et de Défense »32. Par conséquent, l’UEO, née des accords de Paris du 23 octobre 1954, va être dotée d’une capacité d’action autonome lui permettant de conduire des opérations militaires en utilisant les capacités, les moyens, et les États-Majors de l’OTAN. Il va de soi que dans ce contexte, la communauté d’intérêts de l’Occident sera de participer sur une base multinationale au règlement militaire des crises. Quoique marginalisée dans la conduite de la riposte aux attentats du 11 septembre 2001, l’OTAN va ouvrir son espace aérien à partir du 9 octobre 2001 aux aéronefs participant aux opérations de la coalition ad hoc, par l’envoi d’une force navale en Méditerranée orientale, par l’augmentation des échanges de renseignement et par l’évaluation des possibilités d’amélioration de son dispositif de défense aérienne. La nouvelle philosophie des alliés euro-atlantiques fait, en fait, apparaître le principe de non-intervention comme une faillite des concepts de sécurité collective et de maintien de la paix. Car pour bon nombre d’observateurs, l’espace transatlantique de sécurité est devenu une réalité historique et politique indispensable33.Avec l’élargissement de l’OTAN à sept nouveaux membres34, l’Alliance est le pivot de la nouvelle sécurité européenne et souligne l’engagement des Etats-Unis en partenariat avec la Russie. La mise au point des forces opérationnelles interarmées combinées avec le nouveau concept opérationnel de « Joint combined Task Force » (CJTF) ou Groupes de Forces Interarmées Multinationales (GFIM) adopté au sommet de Bruxelles, en janvier 1994, va constituer l’une des innovations les plus importantes de l’OTAN. Ce concept a programmé 32 Lire à ce sujet, Jacques Santer, « La sécurité et la défense de l’Union Européenne », Revue de l’OTAN, no 6, 1995. 33 Cf. Mikhail Lebedev, La sécurité européenne à l’heure de l’élargissement, Revue politique et parlementaire, numéro 1028, Janvier-Février 2004. 34 Bulgarie, Estonie, Lettonie, Lituanie, Roumanie, Slovaquie et Slovénie. 112 l’organisation de structures de forces pouvant s’adapter à des missions de type différent De même, la structure du commandement de l’Alliance a été réformée avec une réduction des quartiers généraux militiares qui sont passé de soixante-cinq à une vingtaine. Ce nouveau concept stratégique va concrétiser la collaboration et la coalition de l’OTAN avec les organisations internationales. Il faut noter que cela permettra à l’OTAN d’utiliser les capacités de l’Alliance et d’intervenir dans des opérations hors zones, c'est-à-dire des zones traditionnellement non concernées par le Traité de Washington. Les GFIM vont permettre à l’UEO de mener des contrôles en utilisant le matériel de l’OTAN dans les interventions. Cette expérience se terminera par un échec au Kosovo où, aussi bien les forces de l’UEO que celles de l’ONU et de l’OSCE, ne pourront arrêter les combats sans l’aide militaire de l’OTAN. La convergence euro-américaine pour s’attribuer des mandats dans le cadre des missions élargies touchant les zones à hauts risques, soulèvera le problème épineux du commandement Sud de l’OTAN en Méditerranée. La France sera le pays le plus déterminé sur ce plan à faire valoir l’idée d’un commandement européen dés les années 1990, en opposition avec les Etats-Unis qui tiennent à maintenir le contrôle américain de l’Alliance. L’UEO va revendiquer ainsi, notamment à travers la France et l’Espagne, le commandement Sud de l’Alliance. Il faut savoir que la direction et le contrôle des forces alliées ont toujours été assurés en permanence par Washington, via l’ETAT-MAJOR nordAtlantique de Bruxelles. La création des FAR, ou Forces d’Action Rapide sera le phénomène le plus caractéristique de la refonte militaire de l’OTAN avec l’institutionnalisation des GFIM, elles vont favoriser l’intégration des forces militaires au niveau le plus bas. « Une véritable alliance euroaméricaine, basée sur une vision globale commune, doit découler d’une compréhension commine des réalités stratégiques de notre temps, de la menace centrale à laquelle le monde fait face, et du rôle et de la mission de l’Occident dans son ensemble 35». 35 Z. Bzrezinski , The choice : global domination or global leadership, NY, Basic Books, 2004. 113 Il s’agira aussi de renforcer le pilier européen de l’OTAN pour permettere l’émergence, rappelons-le, d’une « Identité européenne de Défense » et de doter l’Europe de capacités décisionnelles intégrées et de développer un potentiel d’autonomie en matière de défense et de sécurité. Cependant, la configuration stratégique du monde dans cet après-guerre froide demeure caractérisé par l’hégémonie militiare des Etats-Unis : « Aucune puissance ne leur est comparable ni par l’ampleur des forces conventionnelles, le nombre et la diversité des armes nucléaires, la supériorité aérienne et navale, le déploiement de leurs bases outre-mer, ni pour leur incomparable capacité de mobilisation industrielle. On l’a dit : l’inexistence d’armes nucléaires au Japon, l’effondrement de l’URSS, les limites physiques propres à tous les Etats européens font qu’à l’horizon prévisible, il n’y a pas de rivalité vraisemblable pour les Etats-Unis 36». 2. La diplomatie américaine Deux rapports du Pentagone cités au début de mars 1992 par le New York Times37 vont porter sur les orientations de la politique étrangère américaine dans le futur, et sur les scénarios des conflits éventuels. L’objectif est le maintien du statut de superpuissance unique obtenu par les Etats-Unis après l’effondrement de l’Union soviétique, en s’opposant à toute tentative d’émergence d’autres centres de puissance aussi bien à l’Est qu’au niveau des pays de l’Europe ocidentale .L’accent est mis sur la puissance militiare pour dissuader d’éventuels rivaux d’aspirer à un rôle régional ou global plus grand. Il s’agit également d’empêcher l’émergence d’un système de sécurité exclusivement européen pouvant déstabiliser l’OTAN. L’OTAN, sous commandement américain, sera à l’heure de la politique militarisée avec l’utilisation selon la nature du conflit de l’intelligence artificielle pour minimaliser les pertes de la coalition au combat, et maximaliser sa puissance. 36 Paul-Marie De la Gorce, op. cit. p. 179. Le premier est élaboré à l’époque sous la direction du sous-secrétaire à la défense, Paul D. Wolfovitz, et le second sous celle de l’amiral Jérémia, adjoint du président du Comité des chefs d’états-mjors, le général Colin Powell. 37 114 Il faut rappeler que depuis les attentats du 11 septembre 2001, les États-Unis ont adopté une révision accentuée de leur posture diplomatique et stratégique. L’OTAN apparaît, de ce fait, comme une organisation de sécurité régionale qui demeure sous le contrôle de Washington. En fait, en décembre 1997, le Congrès américain avait mandaté une commission, le National Défense Panel ou NDP pour élaborer un rapport final pour la décennie 2000. Ce rapport sera une recommandation pour poursuivre la restructuration de l’appareil militaire américain et parachever ce qui sera nommé, rappelons-le, la Revolution in Military Affairs. Cette réforme sera une véritable révolution stratégique dans le domaine de la défense38. Un des enjeux sera la mobilité stratégique et la flexibilité des forces armées pouvant permettre aux États-Unis de passer d’un conflit à l’autre on de mener plusieurs conflits à caractère différent. La priorité va être donnée à la manœuvre telle que perçue par le « concept for future joint opérations » ou concept pour les opérations conjointes. Les principes retenus sont une projection de puissance renforcée, mais aussi l’exercice de la diplomatie et de l’action économique comme instruments premiers de la puissance américaine. Du point de vue de la logistique militaire, l’accent est mis sur l’augmentation de la capacité d’intervention. Les nouvelles menaces envisagées par le Pentagone sont liées à la diffusion des progrès technologiques, l’incertitude, et le changement de l’environnement international. Au demeurant, l’appareil de sécurité nationale américain est présenté comme un processus intérieur et international, visant une organisation intégrée des moyens de la sécurité, et l’ajustement des alliances au niveau international. 38 In Wynn P. Bowen et David Dunn, Au-delà du containment, la politique américaine de sécurité dans les années 1990, Institut de Monterey d’Etudes Internationales, E.U, 1996. 115 Aussi, il y a un véritable changement qui intervient dans la conception de la sécurité nationale39, où la politique intérieure est en interaction avec la politique étrangère, les actions militaires, l’application du droit, et les problèmes politiques et économiques également. La nouvelle stratégie américaine vise à mettre le monde en forme (Shape the World) : « En définitive, la grande question qui se pose est la suivante : les relations transatlantiques sont-elles et doiventelles être organisées autour de deux pôles américain et européen et dans ce cas quel type de liens entretiennent-ils ou doivent-ils entretenir ? Ou a-t-on affaire, et est-il préférable d’avoir affaire à un grand ensemble transatlantique ? Les Américains penchent en général pour la deuxième réponse, malgré les tendances inverses mais intermittentes de réalistes à la Kissinger. Les Européens en revanche penchent pour la première formule, plus souvent même que n’ont tendance à le penser les Français : l’atlantisme de pays comme la RFA et même la Grande-Bretagne a été souvent exagéré à Paris, ce qui a conduit d’ailleurs à bien des malentendus intraeuropéens. L’affaire est compliquée parceque, n’en déplaisent aux théologiens, l’Occident est une réalité, la réalité d’une civilisation atlantique commune fortement américanisée, tandis que l’Europe (au sens de l’Europe communautaire) est une construction en devenir, reposant sur une volonté variable dans le temps et sur des représentations changeantes »40. 3. Les nouveaux concepts stratégiques de l’Otan Il vont constituer une sorte de compromis entre la vision des États-Unis et celle des États européens. Il faut souligner que la prolifération des missiles balistiques et celle des armes de destruction massive apparaîtront comme un danger, et que avant la deuxième guerre en Irak, les États-Unis voudront voir l’Alliance assumer un rôle mondial. Certains États européens plus sensibles aux instabilités dans la zone des Balkans et du Moyen-Orient voudront faire de l’Otan, l’instrument de la sécurité du continent41. 39 Après le 11 septembre, les autorités américaines renforcent les système des visas, exigent la communication des dossiers des passagers des lignes aériennes désservant les Etats-Unis, imposent l’installation d’agents des douanes américaines dans les ports étrangers d’où partent les navires porte-conteneurs en direction des EtatsUnis, pratiquent des contrôles tatillons aux frontières, etc… 40 George-Henri Soutou, Les relations transatlantiques : convergences et divergences, Relations Intrenationales, numéro120, Hiver 2004. 41 In Lt-General Richard Evraire, The NATO Defense College and Partnership for Peace, NATO Review, march 1996. 116 Un nouveau concept stratégique de l’OTAN, adopté au Sommet de Londres, le 6 juillet 1990, mettra l’accent sur le partenariat avec les anciens membres du Pacte de Varsovie et programmera un processus de transformation de l’Alliance basé sur la réduction et la restructuration de ses forces dans le cadre de son adaptation aux nouvelles menaces. Au Sommet de Rome, en novembre 1991, un concept stratégiique évolutif sera présenté comme réponse aux possibilités de l’Europe de se modifier sur les plans politique et militaire. Cette approche sera celle d’une conception élargie de la sécurité basée sur la coopération et le dialogue avec les pays non membres de l’Alliance. En 1997, au Sommet de Madrid, les dirigeants des pays de l’OTAN avaient demandé un réexamen du Concept stratégique de l’Alliance pout tracer la voie à suivre et les moyens à adopter en fonction des nouveaux enjeux. En avril 1999, au Sommet de Washington, dans le contexte de la guerre du Kosovo, et à l’occasion du 50e anniversaire de l’Otan, un nouveau concept stratégique sera présenté pour confirmer l’engagement de l’Alliance au traité de Washington et à la Charte des Nations Unies, il sera sujet à de nouvelles évolutions après les attentats du 11 septembre 2001. Le nouveau concept sera exposé à l’OTAN, par Donald Rumsfeld, au début du mois de mai 2002. Cette thèse basée sur le principe de l’action préventive a été élaborée par Richard Haass, directeur du Policy Planning Staff, organisme qui utilisera plutôt la notion de « corps de principes » que de théorie, de doctrine ou de stratégie. On peut noter le glissement inquiétant du principe de guerre froide vers une guerre chaude guidée par l’idéologie de l’action préventive qui peut être pratiquement suicidaire. En fait, l’Amérique va choisir le retour à Clausewitz sur le terrain de la petite guerre aux conséquences pourtant déstabilisantes, comme le prouvera celle menée en Irak, à partir de mars 2003. On assiste à un « mûrissement délibéré des conflits locaux jusqu’à leur point de fusion pour les éteindre effectivement comme les puits de pétrole soufflés par l’explosif. La logique est l’inverse de la guerre froide : au plafonnement par le nucléaire succède le déplafonnement total puisqu’il est même envisagé dans certaines situations d’utiliser l’arme nucléaire tactique 42». 42 Alexandre Adler, J’ai vu finir le monde ancien, Paris, Grasset, 2002, p. 28. 117 De manière globale, le nouveau concept stratégique de l’OTAN a évolué en fonction des nouveaux enjeux de la scène internationale, le processus d’adaptation interne qu’a vécu l’organisation aura pour objectif d’assurer l’efficacité de ses capacités de défense, de renforcer le lien transatlantique et de développer l’identité européenne de sécurité et de défense au sein de l’Alliance en s’appuyant sur la mise en place des GFIM. 4. L’identité européenne de sécurité et de défense (IESD) L’identité européenne de sécurité et de défense a connu un processus de développement qui s’est étalé sur une dizaine d’années. Il s’agissait en fait de rééquilibrer les relations transatlantiques et d’amener les membres européens de l’OTAN à assumer une plus grande part de responsabilité dans leur défense et sécurité communes. Une capacité militaire européenne sera programmée avec pour principe d’éviter le double emploi avec les structures de commandement, les services de planification, et les moyens militaires existant au sein de l’OTAN. Pour rappel, l’IESD est un concept de l’OTAN lancé au début des années 90 et précisé lors du sommet de l’OTAN de Berlin, en juin 1996. La contribution européenne aux missions et aux activités de l’OTAN sera renforcée. En fait, la préoccupation des membres européens va être d’élaborer une politique étrangère et de sécurité commune (PESC) qui sera, rappelons-le, un domaine de coopération intergouvernementale entre les pays de l’Union européenne avec le Traité de Maastricht du 7 février 1992. Au Conseil européen de Feira (juin 2000), une Politique Européenne de Sécurité et de Défense (PESD) va être entérinée et exprimer une volonté commune de développer un dispositif opérationnel et autonome prenant en compte les aspects militiares et civils de la gestion des crises. L’IESD, qui lui est un concept de l’OTAN, comme nous l’avons déjà noté, veut assurer le développement d’un partenariat plus équilibré entre les pays nord-américains et européens membres de l’Alliance. Il se traduit par une sorte d’européanisation des structures et des activités de l’OTAN à la disposition de l’UEO puis de l’UE (décision prise au Sommet de l’OTAN de Washington en avril 1999). 118 Il faut souligner le fait que le développement de l’IESD au niveau de l’OTAN sera un élément important de l’évolution de l’Union Européenne. Rappelons que les Traités de Maastricht (1992) et d’Amsterdam (1997) de l’Union, ainsi que les déclarations faites par l’UEO et l’UE, et les décisions prises par l’OTAN lors des sommets de Bruxelles (1994), Madrid (1997), et Washington (1999), permettront l’évolution du concept d’identité européenne de sécurité et de défense. Ainsi, comme cela a été mentionné, l’élaboration du Traité de Maastricht, signé en février 1992, programmait l’élaboration d’une politique étrangère et de sécurité commune y compris le développement à terme d’une politique de défense commune. L’accord concernera également l’Union de l’Europe Occidentale (UEO) considérée comme partie intégrante du développement de l’UE qui demandera une mise en œuvre des décisions et actions de l’Union ayant des implications dans le domaine de la défense Il va s’agir alors de développer la coopération croissante entre l’OTAN et l’UEO afin de mobiliser les moyens de l’Alliance pour des opérations de l’UEO menées par les alliés européens, et ainsi traduire dans les faits l’émergence de l’IESD. Par ailleurs, à la fin de l’année 2000, les pays de l’Union Européenne et de l’UEO ont décidé que ce serait l’Union Européenne qui se chargerait de la politique européenne de sécurité et de défense (PESD). Ainsi les rôles et les tâches confiées à l’UEO vont être transférées à l’Union. Il faut savoir que lors de la réunion de Washington, en avril 1999, les pays de l’OTAN ont mis en route de travaux sur le développement de l’IESD au sein de l’Alliance, cela notamment sur les capacités militaires européennes. Les principes suivants avaient été adoptés43 : « L’Alliance prend acte de la résolution de l’Union Européenne à se doter d’une capacité d’action 43 Publication intitulée Manuel de l’OTAN, Sommet de l’OTAN à Washington d’avril 1999, Internet, 8 avril 2003. 119 autonome pour pouvoir prendre des décisions et, lorsque l’Alliance en tant que telle n’est pas engagée, pour approuver des actions militaires : - dans le cadre de ce processus, l’OTAN et l’UE doivent veiller à établir entre elles une consultation, une coopération et une transparence effectives, en mettant à profit les mécanismes mis en place pour la coopération entre l’OTAN et l’UEO ; - les dirigeants de l’Alliance saluent la détermination des membres de l’UE comme les autres alliés européens, à prendre les mesures nécessaires pour renforcer leur capacités de défense, en particulier pour de nouvelles missions, en évitant les doubles emplois inutiles ; - ils attachent la plus haute importance à ce que les alliés européens non membres de l’UE soient associés aussi pleinement que possible à des opérations de réponse aux crises dirigées par l’UE, sur la base des arrangements de consultation établis au sein de l’UEO. Il est également pris note de l’intérêt du Canada pour une participation à de telles opérations selon des modalités appropriées ; - les dirigeants de l’Alliance sont résolus à aller plus loin dans le sens des décisions de Berlin de 1996, s’agissant notamment du concept relatif à l’utilisation de moyens et de capacités de l’OTAN séparables mais non séparées pour des opérations dirigées par l’UE 44». Par ailleurs, après la deuxième guerre en Irak, dans le cadre de la Stratégie de Sécurité Européenne adoptée le 13 décembre 2003 au Conseil européen de Bruxelles, l’Union européenne a développé les mécanismes « Berlin-plus » avec l’OTAN qui lui permettent d’avoir accés aux dispositifs de l’Alliance pour la conduite des opérations.45 Paragraphe 2. La révision du Schéma opérationnel pour le flanc Sud de la Méditerranée Depuis la fin du pacte de Varsovie, et l’élargissement de l’OTAN aux pays de l’Europe de 44 Idem. Voir Klein Jean, Buffotot Patrice, Vilboux Nicole (sous la dir.), Vers une politique européenne de sécurité et de défense, Paris, Institut de stratégie comparée, Economica, 2003. 45 120 l’Est, les Etats-Unis veulent réduire toute chance de réémergence de l’ancienne puissance soviétique. Par conséquent, la nouvelle rationalité des stratégies sécuritaires occidentales sera basée sur une complémentarité des dispositifs militaires transatlantiques. En se structurant avec l’UEO, les États-Unis à travers l’OTAN auront tenté d’éviter l’autonomisation de l’Europe, permettant ainsi la réadaptation et l’interopérabilité des forces militaires de l’Alliance. Pour l’UEO, les nouveaux dispositifs militaires mis sur pied en Europe du Sud (France, Espagne, Italie, Portugal) tenteront d’affirmer l’élaboration de la P.E.S.C46 A. Les nouveaux plans opérationnels de l’OTAN Il va de soi que dans le nouveau contexte stratégique, il s’agira de polyvalence et d’adaptation au terrain. Il faut rappeler qu’en 1994, l’Alliance avait défini les stratégies du futur47 : a) la modularité face aux restrictions financière et humaines ; b) la diversité des missions ; c) l’adaptabilité interarmées multinationale ; d) la mobilité et la rapidité stratégique pour la survie des forces ; e) la flexibilité des doctrines vu l’imprévisibilité des menaces. Le danger prioritaire demeure, au regard nord-atlantique, les ADM ou armes de destruction massive avec la prolifération nucléaire et chimique. La perception de ce risque aura une conséquence directe sur la nouvelle doctrine de l’OTAN, qui aura pour caractéristique une fonction offensive avec, pour primauté, la rapidité d’exécution et l’utilisation des forces opérationnelles décisives. Le nouveau concept stratégique de l’OTAN des années 90, tel que déjà mentionné, va se traduire par l’organisation d’une série de plans opérationnels. Un nouveau dispositif de 46 47 Voir Batt Judy, Lynch Dov., Missiroli Antonio, op.cit. In Le Débat stratégique, numéro 37, mars 1998. 121 renforcement est mis en place, car l’OTAN voudra mettre fin aux blocages qui limitent sa capacité à renforcer la région Sud. La mission des forces sera d’arriver au moment voulu pour compléter les forces initiales. Il faut noter que les forces nationales euro-atlantiques sont considérées comme inadéquates, il y aura en conséquence la mise en place des Forces de Réaction Rapide (FAR) françaises, italiennes, espagnoles et portugaises pour faire face à tout type d’agression. Par ailleurs, l’OTAN va restructurer l’organigramme du commandement de la région Sud pour renforcer la cohésion et installer un système de contrôle moderne. En décembre 1992, la nouvelle structure de commandement de l’AFSOUTH est créée avec la constitution de deux commandements régionaux dont un terrestre, le LANDSOUTH, et l’autre aérien, le « 7th Allied Tactical Force (ATAF) » qui sera basé en Grèce. De plus, une division multinationale Sud va être constituée et fera partie du corps de Réaction Rapide de l’OTAN (ARRC) dont le commandement sera installé en Italie. Les nouveaux plans opérationnels vont inclure plusieurs éléments dont les deux suivants48 : 1. La contre-concentration Cette manœuvre opérationnelle de défense est de grande échelle car elle est prévue en cas d’attaque. Elle met l’accent sur les forces importantes disponibles pour éviter toute pénétration49. En fait, cette manœuvre ne correspond pas aux besoins du flanc Sud dont les problèmes de crise sont de basse on moyenne intensité, tels que les flux d’émigration de 48 Voir Manfred Worner, Shaping the Alliance for the future, NATO Review, no 1, february 1994. On peut peut-être considéré avec recul que cette manoeuvre opérationnelle a été effectuée durant la deuxième irakienne. 49 122 masse, les débordements de guerre civile, le terrorisme on simplement, la protection des frontières. 2 - La mobilité opérationnelle Les nouveaux plans opérationnels supposent un plus grand nombre de moyens de transports aériens et terrestres avec une logistique importante conséquente. Ils incluent donc la programmation d’infrastructures routières et ferroviaires d’envergure pour faire face aux problèmes rencontrés sur le terrain. B. Les dispositifs aériens et les forces navales Le concept de contre-concentration est mis en application en particulier par les forces aériennes ; il consistera en une structure de commandement et de contrôle qui peut évaluer rapidement la situation aérienne. Les missions des forces aériennes visent une puissance de feu considérable et de bonnes capacités de reconnaissance pour identifier une formation ennemie importante50. De plus, les forces aériennes ont une excellente mobilité stratégique et donc un moyen d’intervention rapide en cas de crise dans le flanc Sud. Étant donné le nombre limité d’aérodromes disponibles en Grèce et en Turquie, le concept de renforcement aérien ne sera possible qu’avec les perspectives d’utilisation des bases en Italie, en France, en Espagne et en Grèce. Pour ce qui est des forces navales, on peut noter un réaménagement d'envergure en Méditerranée et un remplacement de la Naval on Call Force Mediterranean (NAVOCFORMED) par la Standing Naval Force Mediterranean (STANANFORMED), cela 50 In Greenwood Ted, US and NATO Force structure and military operations in the Mediterranean, The Mac Nair Papers, Institute for National Strategic studies, Washington-DC, june1993. 123 dès 1992. Il faut rappeler que les principes qui se sont imposés depuis cette période sont la multinationalité et la permanence des forces. La STANANFORMED est un élément des forces navales de réaction immédiate de l’Alliance Atlantique. Il faut souligner qu’en dehors du potentiel de l’ex-URSS, dorénavant aucune autre force navale n’est capable de constituer une menace sérieuse pour l’OTAN en Méditerranée. Les seuls risques qui vont apparaître au regard des alliés transatlantiques se situent au niveau des missiles anti-navires ou des technologies de mines qui concernent les opérations des sous-marins et navires dans les eaux méditerranéennes peu profondes. Au demeurant, les dispositifs euro-atlantiques vont fonctionner selon le principe essentiel de la flexibilité et de la coordination accrue des forces navales et également aériennes pour gérer et dominer l’espace marin méditerranéen. Section 3. Le déploiement de l’OTAN et de l’UEO La réforme militaire de l’OTAN s’est produite dès le début du retrait soviétique d’Europe Centrale et Orientale. Outre la réduction des contingents américains de 325 000 à 100 000 hommes stationnés en Europe, l’organisation des forces se fera, rappelons-le, sur une base multinationale avec des corps d’armée intégrant des unités des puissances alliées sous un commandement unifié. Comme nous l’avons déjà mentionné, la refonte militaire va permettre la création des forces d’action rapide ou FAR dont la logistique navale est basée en Méditerranée. Leur principale mission militaire est d’être prêtes à se déployer dans toute la zone de l’OTAN, dont la région centrale, ainsi que les flancs Nord et Sud. 124 Cependant, il faut rappeler que selon les circonstances définies par l’article 12 du Traité de Washington, ces forces peuvent être déplacées bien au delà des frontières de l’Alliance Atlantique51. Paragraphe 1.Un redéploiement militaire d’envergure La stratégie initiale de l’OTAN en Méditerranée se situait dans une dynamique de guerre froide avec la mise en œuvre d’un contrôle de la Méditerranée. De 1949 à 1989, l’OTAN sous contrôle américain visera à assurer une zone de manœuvres pour des forces ayant à intervenir dans les opérations aéroterrestres dans le Sud de l’Europe. On pourra noter la mise en place d’un condominium anglo-saxon qui irritera la France, car elle y verra un prolongement de la politique d’exclusion dont elle a fait l’objet lors de la mise en place de l’organisation intégrée de l’OTAN. A. L’organisation des forces en Méditerranée Il faut rappeler que le commandement allié en Méditerranée fut créé en mars 1953. Il englobera la Méditerranée et la Mer noire avec un état-major interallié installé à Malte et la VIe flotte américaine, sous le commandement en chef Sud Europe, qui siégera à Naples. Le commandement installé à Malte sera évacué, en 1972, vers Naples, et sera renforcé par la mise en place d’une infrastructure maritime, la Maritime Air Force Mediterranean (MARAIRMED). Cette force sera constituée par les États-Unis, la Grande-Bretagne et l’Italie. La MARAIRMAID est renforcée en 1977 par la Naval On Call Force Mediterraneen (NAVOCFORMED). Pour rappel, dans le passé, l’option stratégique de l’OTAN ciblait la frontière Nord-Est, cela en conformité avec les besoins de l’Alliance. Le redéploiement militaire de l’OTAN va 51 In Annuaire français des relations internationales, Bruxelles, Bruylant, juin 2004. 125 se faire en fonction de nouveaux impératifs différents de ceux du flanc Nord ou du flanc central. Il y aura une nouvelle définition de la politique stratégique dans le flanc Sud ayant pour objectif le développement d’une défense intégrée. Cette nouvelle sécurité commune veut faire face à des risques pouvant provenir de conflits entre les pays membres de l’OTAN, et également, à des risques pouvant surgir des frontières méridionales des puissances alliées. Les États-Unis joueront le rôle de coordinateur stratégique de la région Sud au niveau aéronaval. La défense du flanc Sud est également liée à celle du front central. Pour exemple, le cas du nord des Balkans dont une partie est située dans le flanc Sud, à proximité des détroits turcs et de la Thrace. L’intégration de la Turquie à l’OTAN va garantir à l’Alliance le contrôle de ces détroits stratégiques. Au demeurant, la vocation du flanc Sud sera de protéger le Moyen-Orient et le Golfe Arabo-Persique, car ce flanc est une région frontière de l’espace proche-oriental. La réforme militaire de l’OTAN dans l’après-guerre froide va se placer dans le contexte d’une refonte totale de la stratégie atlantiste après le début du retrait de l’ex-URSS d’Europe Centrale et Orientale. Cette restructuration de l’Alliance en Méditerranée sera caractérisée par des formes d’organisation, de déploiement et de commandement d’un type multinational, polyvalent et mobile52. On peut noter deux catégories de forces53 mises en place dans le cadre du redéploiement nord-atlantique : 1. Les forces de défense principale Il y aura 500.000 hommes constituant 65% du dispositif allié, stationnés de manière permanente avec sept corps blindés ; ce sont des forces nationales et multinationales dont 52 Voir Bedar Saida (sous la dir. de), « Vers une « grande transformation » stratégique américaine ? Le débat stratégique 2000-2001 », Cahiers d’études stratégiques, no 31, CIRPES, Paris, nov.2001. 53 Voir M. Bensaada, op. cit. 126 une partie constitue un soutien aux F.A.R ou Forces de Réaction Rapide dans le cadre de la gestion des crises. 2. Les forces d’augmentation Il y a le remplacement de l’ancien Plan de Renforcement Rapide (RPR) et l’optimisation des ressources disponibles avec l’actualisation des forces nationales non affectées aux FAR et aux forces de défense principale. Il y a donc une élaboration des nouveaux dispositifs essentiellement selon les principes de souplesse et de mobilité. 3. Les structures de commandement L’OTAN a opéré une restructuration du commandement dans le flanc Sud affectant directement le déploiement militaire en Méditerranée. Il faut rappeler qu'un commandement général, l’AFSOUTH, sera installé au niveau terrestre ; au niveau aérien, l’ATAF sera mis en opération en Grèce. Une division multinationale du Sud est également intégrée dans le commandement du corps de réaction rapide. Compte tenu de ces données, on peut constater que le redéploiement de l'OTAN était d'envergure, la révision militaire des structures de commandement sera modulée en fonction de nouveaux contextes stratégiques. Le nombre des quartiers généraux subordonnés sera réduit, le SACEUR qui est le commandement suprême allié en Europe est maintenu ainsi que le commandement suprême allié atlantique, le SACLANT. 127 4. La nouvelle doctrine nucléaire Il faut rappeler que après la stratégie de « représailles massives » de la guerre froide, les doctrines « Flexible Response »54 ou réponse flexible et celle du « Mutual Assured Destruction » (MAD) ou « destruction mutuelle associée » vont être complétées par les concepts de « Minimum Deterrence » et du « Last Resort ». C’est à dire l’utilisation en dernier recours, en cas d’échec des moyens conventionnels, du nucléaire. De manière globale, malgré la réduction des sites de déploiement, les capacités nucléaires sont maintenues. Il faut souligner le fait que les États-Unis entendent être prêts à une guerre nucléaire : « c'est à dire un conflit où les armes nucléaires n'ont pas pour but de dissuader toute agression dirigée contre le pays qu'elles protègent, mais de détruire les forces militaires de l'ennemi, de faciliter la tâche des forces conventionnelles amies, bref de faire la guerre et de la gagner »55. B. Les fonctions militaires spécifiques de l’OTAN en Méditerranée Comme nous l’avons déjà mentionné, la fonction stratégique de l’OTAN en Méditerranée sera de développer une politique de dissuasion contre les États nommés « rogue states » ou États [ dits ] voyous56. Cette fonction est forcément liée à la prévention et à la gestion des crises. Il s’agira de maintenir une force capable de contrebalancer toute velléité de puissance régionale et de limiter les efforts de renationalisation des politiques de défense des membres de l’OTAN qui seraient tentés par l’autonomie. Par ailleurs, l’OTAN va assurer également une assistance et une protection humanitaire consistant en des opérations d’évacuation, de transport et de construction57. L’OTAN visera aussi à prévenir les crises entre les États non membres de l’OTAN et éviter le fameux « spill over » ou la propagation des conflits aux pays qui en sont membres. 54 Le 15 juin 1962, sous la présidence de John Kennedy, est adoptée une nouvelle politique, qualifiée par le ministre de la défense de l’époque, Robert Mac Namara, de « réponse flexible » (discours d’Ann Arbor). 55 Paul-Marie de la Gorce, La nouvelle donne stratégique, ed. La Découverte, Cederom-SNI, 1981-1997. 56 Lire à ce sujet, Stephen Zunes, The function of rogue states in US Middle East Policy, Middle East Review, Vol. 5, no 2, may 1997, p. 150 à 164. 57 Cas de l’Afghanistan, pour la reconstruction, de l’Irak, pour le rétablissement de la paix, et du Pakistan après le séisme de 2006. 128 L’Alliance Atlantique va avoir aussi des fonctions spécifiques à assurer en Méditerranée, telles que celles de monter des opérations de petite échelle ou small scale comme ce fut le cas des frappes aériennes contre la Libye en 1986, et de grande échelle, comme ce fut aussi le cas pour la région des Balkans des années 1990 à l’an 2001. Elle va assurer également la lutte contre les armes de destruction massive et leurs vecteurs, dont les opérations risquent d’atteindre l’Europe du Sud. En Méditerranée, la Libye sera particulièrement ciblée, vu qu’elle était supposée posséder des capacités croissantes de missiles et de bombardiers. L’OTAN visera par ailleurs la protection de lignes de communications maritimes et aériennes en Méditerranée. On peut noter dans ce cadre, le développement d’une politique de maîtrise des armements envers les pays du Sud58. « Par la production d'armements modernes, les nouveaux pays industriels du tiers monde cherchent à déclencher des effets industrialisants et à élargir par l'exportation les bases de l'accumulation du capital »59. En ce qui concerne les forces alliées occidentales, il faut rappeler qu'en 1993, une réunion s'est tenue à Rome, les 7 et 8 mai, pour évaluer la réduction des structures navales, les limitations navales demeurant un point de blocage, car les actions navales civiles feront aussi partie des opérations que les marines militaires accomplissent quotidiennement et qui ne peuvent être réduites. Notons, par ailleurs, qu'une autre fonction spécifique de l’OTAN consistera en une politique de dissuasion contre des actes terroristes viant des citoyens des pays membres de l’Alliance, le personnel militaire, et les installations militaires des forces multinationales de l’organisation en Méditerranée. Enfin, l’objectif actuel de l’OTAN est de fournir une 58 On constate aussi que la première mesure globale de transparence en matière de contrôle des armements est intervenue en 1993 quand les membres des Nations Unies ont été invités à signaler au Secrétaire général leurs importations et exportations de certains types d’équipements militaires. Par ailleurs les transferts d’armements ne se feront plus dans le sens Nord-Sud, mais se développeront également selon un axe Sud-Sud. Une des causes de ce changement réside dans la volonté de certains pays d’atteindre une certaine autonomie militaire et, par conséquent, dans la nécessité d’accroître le marché des industries militaires naissantes pour amortir plus facilement le coût de cet effort industriel. 59 Pierre Fabre, La montée des pays du tiers monde exportateurs d’armes, éd. La découverte, Cederom-SNI inc. 1981-1997. 129 logistique et une expérience spécifique aux opérations multinationales pouvant être employées dans les missions hors zones. Paragraphe 2. L’évolution du rapport OTAN /UEO Après les attentats du 11 septembre 2001, l’OTAN va faire face à la contradiction croissante entre la demande américaine de partage du fardeau afin de réduire le « technological gap » et la demande des États-Unis concernant le droit d’engager des opérations sans les apports de leurs partenaires. Comme nous l’avons mentionné, depuis la fin du Pacte de Varsovie et après la guerre du Golfe, l’OTAN en se focalisant sur les problèmes de sécurité au Sud va créer un lien OTAN/UEO pour le traitement des crises dans la région par des opérations interorganisationnelles qui vont étendre ses zones d’intervention sans aucune limite géographique. L’UEO n’ayant jamais été une alliance anti-soviétique, elle pouvait considérer donc légitime sa nouvelle vocation géostratégique et planétaire qui sera perçue non pas en compétition, mais en complémentarité, et en convergence avec l’institution militaire nord-atlantique. L'UEO demeure néanmoins incapable d'assurer techniquement des opérations hors zones sans la logistique, le renseignement et les moyens de communication américains. Notons cependant que dans la déclaration franco-allemande, lors du Sommet de Nantes, le 23 novembre 2001, les deux pays estimaient que le projet de défense européenne ne saurait se limiter aux gestions de crise, et aurait à s’inscrire conformément au Traité de l’Union Européenne dans la perspective d’une défense commune, tout en considérant que l’OTAN demeure la base de la défense collective de ses États membres60. 60 In Vice-amiral Michel Bonnet Doléon, Aspects maritimes et militaires de défense,in, La Méditerranée occidentale : quelles stratégies pour l’avenir ? Fondation Méditerranéenne d’Etudes Stratégiques, FMES, ed. Publisud, Paris, 1994, p. 280. 130 A. La concertation stratégique Il faut rappeler que la déclaration de Maastricht concernant le rôle opérationnel de l’UEO a été mise en œuvre par le Conseil de l’UEO dans la Déclaration de Petersberg, le 19 juin 1992, qui va permettre l’installation d’une cellule de planification militaire à Bruxelles, dès octobre de la même année. Elle sera chargée de l’organisation, du commandement, de la conduite des opérations et des transmissions, de l’inventaire des forces affectées à l’UEO, et de la préparation des plans pour l’emploi des forces militaires. La conjoncture économique difficile conduit les gouvernements de l’UEO, dont la France, le Benelux, la Grande-Bretagne, l’Allemagne, l’Italie, l’Espagne, le Portugal, la Grèce et la Finlande à développer la coopération en matière d’armement pour aboutir à la création d’une Agence Européenne d’Armements intégrée à l’Eurogroup de l’OTAN. L’UEO va également s’orienter vers le domaine de l’observation spatiale avec la création du centre satellitaire de Torrejon, près de Madrid, dès 1992. Une concertation stratégique se fera entre l’OTAN et l’UEO dans le domaine des techniques de renseignement. Ne faut-il pas cependant considérer que les satellites d’observation vont ainsi accroître l’espionnage économique et militaire et banaliser l’ingérence à de multiples niveaux de décision des États des régions Sud 61? La coopération avec l’OTAN va etre également complémentaire dans les domaines du transport, de la formation et de la surveillance stratégique. La concertation avec la logistique atlantique apparaîtra comme majeure. En témoignera le centre d’interprétation des données recueillies par satellites au centre de Torejon, un centre qui connaîtra de nombreuses difficultés de démarrage. Par ailleurs, les unités militaires de l’UEO vont contribuer à la défense commune européenne, conformément aux engagements souscrits dans le cadre de l’OTAN-UEO. Elles vont être également utilisées pour les missions dites de maintien de la paix, les 61 Voir Jose Cutileiro, WEU’s operational development an dits relationship to NATO, NATO Review, no 5, september 1995. 131 missions de forces de combat pour la gestion des crises ainsi que les opérations de rétablissement de la paix. Cependant, la décision de participer à une mission demeurait du ressort national des pays de l’UEO. Il faut savoir aussi que les attentats du 11 septembre 2001 vont révéler à l’Europe toute entière qu’elle était confrontée à des risques graves, notamment en matière de sécurité dans un environnement stratégique où les changements vont être aussi importants que ceux qui ont prévalu après la seconde guerre mondiale. Les observateurs occidentaux ont constaté que, à l’exception de la Grande Bretagne, une dégradation relative des systèmes locaux de sécurité, s’est opérée : « au point de ne plus permettre le simple maintien des capacités existantes… »62 Cela dans les cas de la France, par exemple, où le budget de la défense a été ramené de 3% à 1,8% du PIB, depuis des années, et de l’Allemagne qui a maximisé les dépenses dans le domaine socio-économique, en laissant le soin de la prise en charge sécuritaire par les États-Unis, cela à travers l’OTAN. Il faut noter également que la perception des intérêts communs est perçue avec nuance par chaque pays membre de l’UEO selon la situation géographique de ces pays. Ces États ont une perception particulière déterminée par leur situation géopolitique, cela s’applique particulièrement aux États de la région Sud d’Europe : 1. L’Espagne Ce pays revendique le pôle de commandement des forces transatlantiques sur son espace territorial et ce, depuis 1995-1996. Du fait de son importance géopolitique et de sa proximité du Détroit de Gibraltar, l’Espagne refuse un statut semi-périphérique. Elle orientera sa politique étrangère sur celle des États-Unis, en mars 2003, lors de l’invasion de l’Irak, cela malgré l’opinion publique défavorable à un nouveau conflit dans la région. 62 Nicolas Baverez, op. cit. 132 Sa politique sécuritaire est axée sur la défense de la stabilité du Maghreb et la lutte contre le terrorisme dont elle sera victime durant l’année 2003-2004. Elle conserve par ailleurs un contentieux avec le Maroc à cause des enclaves de Ceuta et de Melilla. Ces deux îles n’ont pas été incluses dans le périmètre de l’OTAN que l’Espagne a rejoint en 1982. La défense de ces deux entités apparaît comme une question de souveraineté nationale espagnole. Il en sera de même pour l’îlot de Persil, qui, rappelons-le, provoquera une crise entre ces deux pays, en juillet 2002. Cependant, dès février 2003, le Maroc et l’Espagne vont renouer les relations diplomatiques et annoncer le retour de leurs ambassadeurs. Le ministre des Affaires étrangères espagnoles, Ana Palacio sera reçu en audience par le roi du Maroc, Mohamed VI, peu après son arrivée à Agadir, le 30 janvier 2003. Ils vont réaffirmer la volonté de tourner la page des différends. Par ailleurs, l’installation sur le territoire espagnol de forces hautement projetables est justifiée par la nécessité d’assurer la protection de l’approvisionnement en ressources énergétiques venant d’Algérie via le Maroc, et peut-être aussi pour décourager toute initiative offensive du Maroc en cas de changement politique interne dans ce pays. 2. La France Ce pays marquera son opposition à la politique étrangère des États-Unis lorsque ceux-ci décideront d’envahir l’Irak, en mars 2003. C’est sous Mitterrand que la France a effectué un rapprochement historique avec l’OTAN. Elle s’est alignée sur les questions du Golfe arabo-persique et elle demeure le seul pays de l’Union Européenne à maintenir une tradition politique moyen-orientale. La France à l’instar de la Russie prône le principe de la multipolarité et refuse la mainmise des États-Unis sur le vieux continent en général, et sur l’OTAN, en particulier. Elle préconisera le renforcement européen en matière de défense avec la création de 133 l’EUROCORPS, le développement d’une capacité de surveillance spatiale autonome (programme spatial Hélios I) et l’organisation de moyens autonomes de projection. La France a réaménagé sur le plan militaire interne ses structures de défense et de commandement militaire avec le plan Armées 2000, et a exprimé son adhésion à une opération stratégique dite « Présence en Avant ». La stratégie militaire de la France envisage pour la première fois l’emploi de l’arme nucléaire pour faire face à des Etats qui auraient recours à des menaces terroristes contre la France63.Les armes concernées sont affectées exclusivement à la dissuasion, et n’ont pas vocation d’être utilisées sur les champs de bataille. Cela pose de nombreuses questions sur l’insertion des forces nucléaires françaises et britanniques dans un dispositif de défense commune de l’Europe64. Il faut souligner l’intérêt d’une dimension nucléaire de la défense européenne quoique cette option na soit pas probable à court et moyen terme. Il faut rappeler que la France avait critiqué la philosophie du TNP ( Traité de Non Prolifération) en estimant qu’on ne pouvait « empêcher l’accession de nouveaux Etats au cercle nucléaire que si celui-ci préparait en même temps sa propre disparition. Comment prétendre interdire aux autres, sauf renonciation volontaire de leur part, ce que l’on se permet à soi-même ? 65». Par ailleurs, ce pays gère avec l’Espagne et l’Italie, le Combined Air Operations Center (CAOC) ou Centre d’opérations offensives et défensives de l'OTAN, sorte de centre de contrôle aérien sophistiqué de la Méditerranée. La France avait développé également des ambitions très grandes, qualifiées par des observateurs, d’exponentielles dans le domaine de la défense dans les années 1990, telles que révélées par la restructuration de ses forces militaires. 63 Discours prononcé par le président Chirac lors de sa visite aux forces aériennes, océaniques et stratégiques à l’Ile-Longué (Finistère), Le Monde, 26 janvier 2006. 64 Voir Stéphan Weiss, Ne sous-estimons pas la doctrine Chirac, Le Monde, 3 février 2006. 65 Discours du ministre français des affaires étrangères, Maurice Couve de Murville du 3 novembre 1964 devant l’Assemblée Nationale. 134 Il faut rappeler aussi la revitalisation de l’UEO, la création de l’EUROFOR/EUROMARFOR (Forces aériennes et navales) visant une intervention aussi bien en Afrique qu’au Moyen-Orient66. Il faut souligner le fait que la France escomptait le contrôle et le commandement des opérations Hors-Zones en coopération avec l’Espagne. La France se fera remarquer par sa politique d’opposition à la guerre américaine contre l’Irak et sa tentative de régler les conflits au Moyen Orient par la négociation politique au lieu du principe dit « préventif » d’intervention des Etats-Unis, quoique dans sa nouvelle programmation militaire, elle n’exclut pas l’action militaire dite « préemtive » ou « préventive » en cas de menace imminenre contre ses intérêts vitaux. 3. La Grèce Outre les tensions courantes avec la République chypriote ayant provoqué un rebondissement du contentieux gréco turc dans les années 1990, ce pays demeure plus préoccupé par la situation en Méditerranée orientale et aux Balkans que par celle de la Méditerranée occidentale. Les Balkans ont été une source de préoccupations du fait de la déclaration d’indépendance de la Macédoine dont une région grecque porte le nom, un fait qui provoquera des revendications territoriales. Le conflit gréco-turc demeure épineux pour l’OTAN. Il faut rappeler que la Grèce est entrée dans l’Alliance en 1952. Elle s’était ensuite retirée de l’oraganisation militaire de l’Alliance et n’avait pu faire intervenir ses forces lors de l’invasion de Chypre par la Turquie. Les différends gréco-turcs se sont reproduits en 1976, 1977 et 1987. La constitution de la 4e armée turque égéenne en 1975, force non affectée à l'OTAN, et orientée dans la direction des îles grecques avait mis en relief la supériorité militaire turque. La Turquie considère toujours que l’Egée est la continuité du plateau continental anatolien et veut maîtriser son espace aérien. 66 Voir Jean-Marie Guéhenno, La France et l’UEO, Revue de l’OTAN, no 5, octobre 1994. 135 La Grèce pouvait paraître en fait isolée par rapport à ses partenaires européens et ses alliés transatlantiques vu que le système des alliances régionales s’était modifié en faveur de la Turquie67, cela, notamment, depuis le conflit bosniaque et la possible adhésion turque à l’Union Européenne. 4. L’Italie De par sa position clé sur l’axe des deux frontières Nord/Sud, ce pays a la volonté mais non la capacité de mettre en œuvre un concept méditerranéen qui serait celui d’un espace stratégique unitaire. Il s’alignera sur la politique américaine d’agression contre l’Irak, en mars 2003. Son engagement dans le flanc Sud est une priorité de sa politique de défense. L’Italie considère l’UEO comme un moyen efficace de coordination à l’échelle européenne, de promotion de la production européenne d’armements, et d’une politique de défense plus nationale. La capacité technique de ses forces militaires est plutôt faible, ses moyens de transport sont limités, notamment dans la longue portée ; les déficits en supports logistiques sont importants, et le pourcentage de volontaires italiens reste faible. Aussi, ce pays sera partie prenante de la constitution multinationale de l’Euroforce et de la vision géostratégique de l’UEO, avec un centre d’intérêt localisé sur la Méditerranée. Le lancement, en 1986, d'un missile libyen sur l’île Lampedusa, ainsi que la crise algérienne et ses éventuelles retombées sur l’acheminement du gaz algérien via la Tunisie justifient, au regard italien, l’installation d’un dispositif offensif de sécurité sur son territoire. 5. Le Portugal Ce pays dispose d’une situation géographique et géostratégique qui ont fait de lui l’allié traditionnel de l’OTAN. De même que l’Espagne, il refuse un statut semi-périphérique et s’aligne sur une position commune de la Méditerranée occidentale. Le Portugal est membre fondateur de l’OTAN et membre du Conseil de l’Europe .Le commandement ibéro-atlantique, IBERLANT, dépendant du Commandement allié de l’Atlantique (ACLANT), occupe une position particulière dans l’Alliance car il est le commandement le 67 Voir Tansu Ciller, La Turquie et l’OTAN, La stabilité au milieu des changements, Revue de l’OTAN, no 2, avril 1994. 136 plus méridional dans l’Atlantique. Il lui est donc conféré une importance stratégique accrue du fait du triangle formé par le Portugal, les Açores et Madère68.Le commandement IBERLANT, est subordonné à l'OTAN. Il sera inauguré en 1971 sous l’appellation « Oeiras » ; il devient le « MSC » en 1982. Il a joué un rôle important pendant la guerre froide et cela compte tenu de deux facteurs géographiques déterminants qui conservent toujours leur pertinence : il couvre la partie méridionale de l’Atlantique, voie maritime vitale pour l’approvisionnement, ainsi que les approches de la Méditerranée. Le Portugal a accru sa participation à l’OTAN et a participé à l’IFOR en Bosnie. Il a orienté la présidence du Forum transatlantique de l’UEO, du séminaire de Lisbonne en 1996. Ce pays a affecté des forces terriennes et aériennes à la défense de l’Europe sous la responsabilité du SACEUR, ainsi que la base aérienne de Lajes dans les Açores. Il a rejoint les forces l’Eurofor/Euromarfor avec une adhésion officielle, le 7 mai 1996.Il a accueilli le comité militaire des chefs d’États-majors en septembre 1996, ainsi que le Conseil Nord-Atlantique en 1997. Il a été à l'automne 1998, l'hôte des ministres de la défense de l’OTAN, et il ouvrira l’IBERLANT à la coopération politico-militaire avec d’autres pays du Bassin méditerranéen, d’Afrique et d’Amérique du Sud. Le Portugal a également assuré un rôle actif dans les opérations de maintien de la paix des Nations Unies en Angola, au Mozambique et au Sahara occidental, avec la nomination d’un chef d’unité portugais à la Minurso. Allié traditionnel de l’Alliance Atlantique et partie prenante de l’Union de l’Europe Occidentale (UEO), le Portugal est un élément clé dans le contrôle de la Méditerranée et de son espace maritime et aérien. 68 In Jaime Gama, Le Portugal et l’OTAN rénovée, Revue de l’OTAN, no 4, juillet 1996. 137 B. Les forces militaires de l’UEO Il faut souligner le fait que l’accroissement du rôle de l’UEO est consacré par le Traité de Maastricht et la Déclaration du Conseil de l’UEO, qui y est jointe, après avoir été incluse dans le nouveau concept stratégique des années 1990 de l’OTAN. Ce nouveau concept avait été adopté lors du Sommet de l’Alliance les 7 et 8 novembre 1991, à Rome. L'UEO était destinée à former le pilier de défense et de sécurité européennes ; elle tentera également de devenir le pilier européen de l’OTAN. Par l’article 4 du Traité de Bruxelles, l’UEO s’engagera à coopérer étroitement avec l’OTAN sans pour autant faire double emploi avec celle-ci en matière d’états-majors et de structures militaires ; cependant, en cas d’affectation d’une force à l’OTAN et à l’UEO, il sera donné la priorité à l’Alliance « Ainsi, la force de réaction rapide de l’Alliance est normalement affectée à l’OTAN, alors que s’agissant d’une force européenne, l’inverse serait plus logique (…). Le critère de rentabilité économique est à prendre en compte dans l’évaluation de tout système de sécurité. En l’occurrence on ne saurait imaginer à l'horizon prévisible que les Européens acceptent de supporter le coût d’une duplication de l’infrastructure militaire de l’OTAN. La coopération avec l’OTAN est donc indispensable, ce qui ne signifie nullement qu’elle doive se faire sans conditions69 ». C'est en ces termes que se posera le problème de la convergence OTAN-UEO ; certains problèmes vont apparaître au niveau, notamment, de la prise en charge financière des opérations et de leur commandement. 69 Robert Bussière, Les alliances et le système de sécurité, Revue du Centre d’études et de prospective stratégique, ed. Publisud, 1994, p. 179. 138 1. Les dispositifs militaires de l’UEO - Les GFIM ou Groupe de Forces Interarmées Multinationales Il faut rappeler que ce nouveau dispositif militaire visera le renforcement des capacités opérationnelles de l’UEO et sa crédibilité en tant que pilier européen de défense. Il répondra aux besoins qu’à l’Europe de pouvoir mener des opérations auxquelles les ÉtatsUnis ne souhaiteraient pas participer. Ce choix stratégique sera également décidé et dicté par des raisons économiques par l’UEO qui voudra ainsi pouvoir puiser dans les capacités de l’OTAN. L’opération des GFIM consistera en la mise en place d’éléments autonomes déployables et réadaptables là où il sera jugé nécessaire. Elle se fera sous la chaîne de commandement des quartiers généraux multinationaux des armées de terre, de la marine et de l’air. Ce redéploiement permettra l’incorporation future des tous les éléments des nations non membres des structures des forces intégrées. Cette nouvelle coalition militaire OTAN/UEO posera cependant le problème du contrôle des structures de commandement. Rappelons que depuis 1972, l’Italie a abrité le commandement en chef Sud Europe, transféré de Malte. La France ainsi que l’Espagne voulaient confier ce commandement à un européen afin de commencer à s’assurer une certaine autonomie. Cependant, les États-Unis maintiendront leur attitude de blocage de toute initiative allant en ce sens. L’Eurofor-Euromarfor Les changements intervenus dans le domaine géostratégique depuis l’effondrement de l’URSS et la fin du Pacte de Varsovie vont amener les États européens à mettre sur pied trois forces multinationales d’intervention : l’Eurocorps, l’Eurofor et l’Euromafor La coalition de l'UEO avec l’OTAN lui permettra d’utiliser l’armement technico-militaire américain dans la communication, l’observation spatiale, le transport aérien dans les théâtres d’observation ciblés comme stratégiques. De plus, il faut le rappeler, l’UEO ne 139 disposait pas d’une autonomie stratégique en matière de projection de puissance militaire, de renseignement et de planification de forces importantes. Ce nouveau pacte transatlantique lui permettra d’espérer avoir des perspectives à moyen terme et à long terme pour l’émergence d’un pilier de sécurité et de défense européenne. A travers son articulation à l’OTAN, l’UEO visera trois objectifs70 : - Assurer un équilibre des forces pour faire face au démantèlement des forces militaires du Pacte de Varsovie ; - Combler l’absence de cohésion entre le Flanc Central de l’OTAN et son Flanc Sud ; - Renforcer la couverture militaire du flanc Sud de la masse continentale eurasienne pour éviter toute hégémonie de puissance régionale étrangère potentielle. a. Les structures des forces EUROFOR-EUROMARFOR Le 18 décembre 1995, l'état-major de montée en puissance de la force opérationnelle terrestre rapide, appelée EUROFOR, va être créé à Florence. L’ EUROFOR sera quant à elle une force terrestre modulaire activée à partir d’une réserve de forces nationales d’environ 5000 hommes. Ces dernières seront constituées d’un regroupement de petite dimension et de divisions articulées en brigades. L’ EUROMARFOR sera quant à elle une force maritime multinationale possédant des capacités aéronavales et amphibies. Les contingents de ces forces demeureront sur leur propre territoire et seront capables de déploiement rapide. On peut noter en conséquence que ces divisions terrestres et maritimes qui étaient supposées être des forces de combat pour la gestion des crises et le rétablissement de la paix apparaîtront, au regard des pays de la rive Sud de la Méditerranée, comme une nouvelle formule ouvrant la possibilité d’ingérences futures et donc de contrôle des pays tiers. 70 Voir, à ce sujet, José Manuel Durao Barroso, The transatlantic partnership in the new europan context, NATO Review, no 5, september 1995. 140 b. La place de l’EUROFORCE dans le contexte politico-militaire européen La mise sur pied d’une force terrestre multinationale du niveau d’une division, « l’Euroforce Opérationnelle Rapide », ou Eurofor, va être décidée par la France, l’Espagne et l’Italie. Simultanément, il sera également décidé la création d’une force maritime multinationale, préstructurée, non-permanente, appelée « Force Maritime Européenne » ou EUROMARFOR. Le Portugal décidera d’adhérer à ce projet dès le 7 mai 1996. L'EUROFOR aura pour mission de contribuer à doter l’Europe d’une capacité militaire autonome en matière de projection de force. C’est une force qui relèvera de l’UEO et qui sert dans le cadre de l’OTAN, en tant que renfort de son pilier européen de défense. Cela, au profit des organisations internationales dans le cadre des résolutions du Conseil de Sécurité et des décisions de l’OSCE (Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe). 2. Les missions de l’Eurofor/Euromarfor On relèvera que l'Eurofor reçoit ses directives d’emploi d’un comité interministériel (Affaires Etrangères et Défense) de haut niveau appelé le CIMIN. Il représente les pays membres de l’Eurofor et il est constitué des chefs d'États-majors des armées et des directeurs généraux des affaires politiques des ministères des affaires étrangères des dits pays membres. L’organe exécutif du CIMIN est le groupe de travail politico-militaire qui coordonne les activités de l’Eurofor et de l'Euromarfor. Ces forces agissent soit de manière intégrée ou en renfort à d’autres forces, soit indépendemment. Elles ont la charge de remplir des missions humanitaires, y compris l’évacuation des ressortissants nationaux. Elles interviennent également en cas de catastrophes naturelles et dans le cadre des missions de la paix comprenant des interventions directes. 141 Leur mision globale est d’intervenir notamment dans la prévention des crises ou d’effectuer des opérations de contrôle de vastes zones. Elles sont également utilisées pour l’établissement d’une ligne d’interposition entre des parties en conflit. Leur objectif essentiel est le rétablissement de la paix et la gestion des crises. Paragraphe 3. La nouvelle politique de l’UEO en Méditerranée En 1995, l’Union Européenne avait invité les pays riverains de la Méditerranée, à l’exception de la Libye, à la Conférence de Barcelone. Elle tentera d’appliquer des solutions globales touchant au domaine sécuritaire, en concevant le Bassin méditerranéen comme une région qui forme un tout71. La perception nord-atlantique américaine considérait déjà par tradition la Méditerranée Orientale, incluant la Grèce, la Turquie, le Golfe et la région de la Mer noire, comme un tremplin vers le Moyen-Orient et le Golfe Arabo-Persique. En s’intégrant dans le processus euro-méditerranéen de Barcelone, les pays arabes de la rive sud-méditerranéenne vont exprimer une volonté de régler les problèmes politiques, économiques et sécuritaires du Moyen-Orient. Ces pays préconiseront une coordination plus poussée entre l’Europe, les États-Unis et la Russie dans le cadre des négociations destinées à relancer le processus de paix au Moyen-Orient. Cependant, l’UEO ne sera pas conviée à Barcelone, en 1995, du fait de l’absence de consensus, à l’époque, entre l’Union Européenne et l’UEO. A. L’UEO en Méditerranée L’objectif de l’UEO en Méditerranée sera d’établir un système de sécurité collective à long terme et d’offrir à court terme aux pays du Sud, en cas de différend, la possibilité d’un recours à l’UEO. 71 Vasconcelos Alvaro and Joffé George, The Barcelona Process : building a Euro-Mediterranean Regional Community, Frank Cass Publishers, London, 2000. 142 Lors de sa 42e session tenue à la date du 4 novembre 1996, l’Assemblée de l’UEO va présenter dans un nouveau rapport une série de recommandations destinées à nouer un véritable dialogue entre les deux rives de la Méditerranée72. Ce rapport mentionnera les causes suivantes d’échec dans les multiples entreprises de rapprochement initiées par le groupe méditerranéen de l’UEO dans les relations NordSud : 1) Les inégalités croissantes du développement économique et social ; 2) L’insuffisance des échanges culturels et religieux ; 3) La mauvaise compréhension des objectifs politiques des uns et des autres ; 4) Les appréciations des forces armées occidentales mal fondées. L’UEO va rappeler que sa mission en Méditerranée est de compléter l’action de l’OTAN (cela au vu de la décision prise à Petersberg), d’agir pour le compte de l’Union Européenne, dès lors que celle-ci a défini une politique étrangère et de sécurité commune conduisant à l’intervention des forces armées. « S’il est nécessaire de réfléchir et d’expliquer le rôle des alliances occidentales dans la région méditerranéenne, il faut également considérer l’évolution des forces et des armements dans les pays qui sont impliqués dans les conflits ou dans les litiges bilatéraux que connaît la région »73. L’UEO, comme nous l’avons mentionné, exprimera une inquiétude devant la décrue des budgets de défense des forces armées et des armements que connaîtra, à l’époque, l’Europe, mais qui ne s’étend pas aux pays du Sud et de l’Est de la Méditerranée. Le point de vue de l’UEO va prendre en considération les actions entreprises par tous les pays méditerranéens pour combattre les entreprises terroristes, les organisations criminelles et le trafic de la drogue. Il sera question d’entreprendre un même processus de 72 73 In Assemblée de l’UEO, La sécurité dans la région méditerranéenne, Document 1543, 4 novembre 1996. Idem. 143 concertation et de coordination entre les pays de la Méditerranée dans les domaines de la sécurité et de la défense. Cette perspective de l’UEO était en fait une conception globale de la sécurité et de son intérêt pour le développement de tous les pays de la Méditerranée méridionale et orientale. Les propositions recommandées par l’Assemblée de l’UEO au conseil de cette organisation vont détailler les points suivants74: 1. Limitation contrôlée des armements et élimination complète des armes de destruction massive dans la région méditerranéenne, grâce notamment à : a. La non prolifération des armes nucléaires ; b. La limitation en nombre et en portée des missiles déployés dans la région ; c. L’interdiction de la production et du stockage des armes chimiques et biologiques ; d. La prohibition des mines antipersonnel ; e. La ratification des instruments internationaux concernant cette question. 2. Développement et approfondissement des échanges amorcés par le groupe méditerranéen de l’UEO et négociation d’un Pacte de stabilité pour l’ensemble de la région méditerranéenne ; a. Proposition des mesures de confiance et de transparence volontaires avec notification des manœuvres, échanges d’informations sur les forces militaires déployées et sur les armements détenus et adoption de mesures de prévention des conflits armés ; b. Préciser et faire connaître les missions susceptible d’être confiées aux forces de l’UEO de façon à rassurer les pays du Sud de la Méditerranée sur l’usage qui pourrait en être fait ; c. Chercher à établir durablement des accords ainsi qu’une collaboration entre l’UEO et les pays de la rive Sud de la Méditerranée. 74 Ibidem 144 L’Assemblée de l’UEO, lors de cette 42e session du 4 novembre 1996, soulignera également l’absence de recommandations concrètes lors de nombreux séminaires et colloques organisés concernant la Méditerranée, elle constatera que les prises de décision se limiteront toujours à des considérations générales et théoriques. Il faut dire qu’en fonction de l’identification des crises, les solutions apportées se feront globalement dans un contexte général avec des moyens particuliers. Pour l’OTAN, la vision sécuritaire comportera cependant des éléments ponctuels qui devront déterminer le rôle que l’Alliance devra jouer avec l’UEO dans la région, ainsi que la forme de leurs activités. Il faut noter également que la distinction est faite entre la Méditerranée orientale et occidentale au vu de la divergence des visions et approches sécuritaires. La politique nouvelle de l’UEO en Méditerranée est alors d’établir une démarche d’information auprès des pays du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord. Son objectif est de fournir une information détaillée sur les objectifs de la mise en place des forces relevant de l’UEO (FRUEO) comme l’Eurofor-Euromarfor qui ont bien inquiété les Etats du Sud. Il s’agira également pour l’OTAN de faire connaître la finalité de sa future mission dans la région au vu du redéploiement de ses forces et de la réorganisation de ses structures de commandement. Pour l’Alliance Atlantique, la tâche principale est de rassurer les pays de la rive Sud sur les implications du concept GFIM (Groupes de Forces interarmées multinationales) pour la Méditerranée ainsi que celles de la réorganisation de l'AFSOUTH, principal commandement subordonné de l’OTAN en Méditerranée. Car, l’interrogation principale, que ce soit de l’Europe ou des pays du Maghreb et d’Afrique du Nord va concerner la vocation politique future de l'OTAN au courant du XXIe siècle. 145 B. Le rapport stratégique États-Unis/Europe La nouvelle situation internationale et le changement des rapports de force, notamment, en Méditerranée, ont souligné l’ambivalence de la politique américaine vis-à-vis de l’Europe. Cette ambivalence se caractérise, de manière récurrente, par la volonté d’imposer leur leadership, dans le domaine de la politique étrangère et de la sécurité, cela, tout en ayant eu sur le plan interne, de la part de certaines forces politiques au Congrès, des velléités d’isolationnisme. Ces velléités ont disparu en septembre 2001, à la suite des attentats contre les deux tours du World Trade Center, à New York, et contre le Pentagone, à Washington. Par ailleurs, les États-Unis bloquent la formation de tout système européen pouvant être indépendant de leur contrôle, qu’il s’agisse de l’UEO, ou de structures faisant partie de l’Union Européenne : « Avant Kennedy, les Etats-Unis soutenaient la construction européenne, mais c’était pour se retirer du continent aussitôt que celle-ci aurait été suffisamment développée, conformément à un isolationnisme traditionnel, mais que l’on devait plutôt qualifier d’ailleurs d’unilatéralisme. A partir de Kennedy, le soutien américain à la construction européenne se fait plus incisif : il n’est plus question de se retirer… Mais il s’agit désormais de contrôler étroitement l’Europe, en utilisant l’Alliance atlantique, en jouant les puissances européennes les unes contre les autres… Il s’agit également de marginaliser l’Europe dans le monde comme en 1956 à Suez, comme en 1973 avec la fameuse formule de Kissinger selon laquelle l’Europe n’a que des intérêts régionaux, comme en 2003 à l’occasion de la crise irakienne ».75 Les États-Unis demeurent méfiants vis-à-vis de l’Europe, au vu de l’histoire européenne, et refuse la construction d’une puissance politique et militaire européenne qui pourrait aussi bien menacer leurs intérêts que les impliquer dans des politiques auxquelles ils ne souhaiteraient pas participer. Cependant, le principe de la coopération de l’Union Européenne avec l’OTAN demeure incontournable ; avec la notion d’alliance qui a subi une mutation depuis la fin de la deuxième guerre mondiale, le partenariat sécuritaire est devenu le noyau dur de la sécurité du fait de sa capacité de pouvoir de dissuasion et de défense. 75 George-Henri Soutou, op.cit. 146 Il faut rappeler que les réunions ministérielles de l’UEO ont été transférées au niveau de l’Union Européenne depuis l’année 1999. Ce fait peut s’expliquer par le constat européen que l’UEO demeure une organisation sans poids politique, à l’inverse de l’Union Européenne qui a une assise politique importante. Cependant, quelles que soient les tentatives de développement d’une défense propre, l’Europe de la défense apparaît actuellement marginalisée par la militarisation et l’unilatéralisme de la politique américaine ; seule la Grande-Bretagne développe une relation privilégiée avec les États-Unis, en s’alignant sur la stratégie américaine de redéploiement de la puissance militaire. Il faut de nouveau souligner le fait que le budget de la défense américaine est en 2002 de 380 milliards de dollars, sans compter les 160 milliards de dollars programmés dans la décennie à venir, cela en plus d’une avancée technologique considérable qui fait que l’Europe entière se tourne vers l’Amérique pour se développer, et avancer dans le domaine de l’équipement76. La donnée capitale qui va régir le développement des crises, après les attentats antiaméricains du 11 septembre 2001, est la détermination des Etats-Unis à employer toutes les ressources de leur puissance pour imposer leurs conceptions et leurs inrérets d’ordre politiques, économiques et stratégiques, y compris les moyens d’action supplémentaires pour maintenir leur mainmise sur l’Irak. La preuve devant montrer que l’Amérique ne laisserait pas subsister un régime rebelle à sa domination et, cela pour faire comprendre aux Etats de la région, notamment, du Moyen Orient, ce qu’ils auraient à faire pour éviter le sort réservé à l’Irak.. En fait, la mainmise sur l’Irak termine l’encerclement de l’Iran puisqu’un dispositif militaire américain existe déjà en Caucase, en Asie Centrale, en Afghanistan, au Pakistan et dans le Golfe, tout comme celui de la Syrie déjà enserrée entre la Turquie et Israel, deux Etats liés par un partenariat stratégique.77 Cependant, l’évolution des tendances lourdes euro-atlantiques et des tentatives de 76 77 In Nicolas Baverez, op. cit. Cf Paul-Marie de la Gorce, Etats-Unis : Après l’Irak : à qui le tour ? Arabies, mai 2003, p. 6. 147 rapprochement Nord-Sud opérées par les organisations occidentales en Méditerranée, ainsi que la nature du partenariat euro-atlantique, incluant ses activités et opérations en Méditerranée, révéleront davantage la perception des menaces venant du flanc Sud de la Méditerranée et de sa périphérie. Un Occident partagé entre une vision sécuritaire politique européenne et un unilatéralisme guerrier de l’hyperpuissance américaine et de ses alliés. 148 Chapitre III L’évolution du partenariat euro-atlantique 149 Chapitre III L’évolution du partenariat euro-atlantique Le contexte géopolitique de l’après-guerre froide avec le changement des rapports de force dans le monde en général, et en Méditerranée, en particulier va voir émerger l’évolution d’un partenariat euro-atlantique censé être le fondement de l’ordre néolibéral mondial. Cependant après l’intervention de la coalition en Irak, des divergences entre alliés apparaissent notamment avec la France et l’Allemagne. De même, des conflits commerciaux se produisent entre l’Europe et les États-Unis qui vont mener les commentateurs de la scène internationale à parler de « divorce », « d’impasse », et de « l’avenir incertain » des relations transatlantiques. Hubert Védrine, ancien ministre français des Affaires étrangères, avait émis la réflexion suivante après les attentats terroristes du 11 septembre 2001 : « Une Amérique pour qui l’unilatéralisme est une conviction, un instinct, voire un devoir, le multilatéralisme une simple option ou une tactique momentanée. Comment être son allié, comment les approuver ou les soutenir sans être entraînés là où nous ne voudrions pas aller ? En sens inverse, comment leur résister ou les influencer, sur la base de quels points d’appui ? Toujours ardue à résoudre, cette équation risque de devenir insoluble sauf si cette ligne de conduite simple – alliés, pas alliés- devient celle des principaux Etats européens et, dés lors, celle de l’Union européenne toute entière, quels que soient les arrangements institutionnels à venir. Il y faut non seulement l’engagement de la France et de l’Allemagne, mais aussi de la Grande-Bretagne.1 » Il faut noter à ce propos le refus des gouvernements allemand et français2 de voir la bannière de l’OTAN flotter en Irak sous couvert de formation de soldats et de policiers 1 2 Hubert Védrine, Le défi du déclin, Le Débat, Gallimard, janvier-février 2003. Sommet d’Istanbul de juin 2004. 150 irakiens. Ce n’est qu’à la fin de juillet 2004 qu’un compromis sera passé permettant l’envoi d’une mission préparatoire d’une cinquantaine d’officiers afin d’examiner le principe et les modalités d’une présence plus importante. Soulignons le fait que depuis environ dix ans, les nouveaux concepts stratégiques de l’OTAN incluent une mission nouvelle en plus des préoccupations qui, depuis la création de cette organisation, avaient constitué la vocation première de ses activités, à savoir la défense et la dissuasion. Il s’agit de concepts venus se greffer à cette double détermination, celui de la gestion de crise sur une base multinationale avec le concours des alliés euro-atlantiques et le partenariat avec les pays du sud de la Méditerranée. Un concept a été élaboré dès l’année 1991. Il a été consolidé par les principes contenus dans la Charte de Paris, issue de la CSCE ou Conférence pour la Sécurité et la Coopération en Europe. Ces principes sont basés sur l’initiative de dialogue avec les pays tiers méditerranéens, et une coopération basée sur le partenariat. Les décisions prises par les dirigeants de l’Alliance atlantique lors du sommet de Madrid, en juillet 1997, ont fait émerger une nouvelle « culture de sécurité en coopération » dans le cadre des opérations et des activités des forces transatlantiques en Méditerranée. Mais on a vu cette démarche évoluer parfois avec bien des divergences lors de la crise irakienne avec, rappelons-le un noyau franco-allemand opposé aux décisions unilatérales des États-unis et de son alliée inconditionnelle, la Grande- Bretagne. Il faut se souvenir que les ministres des Affaires étrangères du Conseil du Partenariat Euro-atlantique (CPEA), réunis le 28 mai 1998, avaient décidé d’intensifier les capacités et la coopération dans le domaine de la gestion des crises au vu des événements ayant prévalu au Kosovo. En fait, le nouvel environnement sécuritaire apparaît de plus en plus comme un espace dynamique et imprévisible. La nature des crises auxquelles sont confrontées les forces occidentales a complètement changé depuis l’après-guerre froide. Ainsi, deux types de menaces pour les intérêts vitaux de l’Occident apparaissent de manière périodique : 151 - d’une part, les menaces régionales provenant des tensions ethniques, religieuses ou des nouveaux nationalismes ainsi que le terrorisme en tant que mode d’expression politique ; - d’autre part, les potentialités de conflits entre les pays du Sud pouvant perturber les lignes de communication et les approvisionnements énergétiques, ainsi que la prolifération des armements militaires non-conventionnels N.B.C. (nucléaires, biologiques, chimiques), et des missiles balistiques. Section 1 : Les activités transatlantiques en Méditerranée « Sur le plan militaire, et malgré quelques escarmouches franco-américaines, le bouclier de la mondialisation qu’est l’OTAN ne se porte pas si mal. Sous la pression de Washington, sa zone d’intervention ne connaît pas de limites territoriales. L’organisation n’a-t-elle pas, à l’été 2003 pris le relais de l’ONU au commandement de la Force Internationale d’assistance à la sécurité en Afghanistan ? En fait, les États-Unis appliquent à l’OTAN en général (comme à toutes les institutions multilatérales) les règles énoncées le 2 février 2002 par le Secrétaire d’État américain à la Défense, M. Donald Rumsfeld, en direction des États pris individuellement : « C’est la mission qui doit déterminer la coalition et non l’inverse ». En d’autres termes, l’OTAN sera seulement utilisée en tant que besoin…3 ». La dialectique euro-atlantique amène cependant les alliés européens à renforcer leur volonté de création d’une Europe de la Défense. Lors du mini sommet de Bruxelles, tenu le 29 avril 2003, la France, l’Allemagne, la Belgique et le Luxembourg ont voulu poser les jalons d’une défense européenne. Sept initiatives immédiates et concrètes ont été prises. Il s’agit de4 : - Créer un commandement européen de transport stratégique afin de disposer d’une unité commune de transport aérien stratégique avec les pays participant au programme des Airbus militaires de transport A-400 M ; - créer une unité européenne de protection NBC (nucléaire, bactériologique et chimique) ; 3 Joseph P. Quinlan, Dérive ou rapprochement ? La préeminence de l’économie transatlantique, Fondation Robert- Schuman, no 23, Paris, juin 2004. 4 In Laurent Zechini : « France, Allemagne, Belgique et Luxembourg lancent un groupe pionnier dans le domaine de la défense », Le Monde, 2 mai 2003. 152 - développer un système européen d’aide humanitaire d’urgence lors des catastrophes ; - créer des centres européens de formation militaire, notamment pour les pilotes ; - créer un noyau de capacité collective de planification et de conduite d’opérations qui sera mis à la disposition de l’Union européenne ; - promouvoir l’établissement d’un quartier général multinational déployable pour des actions conjointes pour l’année 2004, qui serait basé sur des quartiers généraux existants.; - formuler des propositions à la Convention dans la déclaration qui souhaiterait que soit inscrite dans la Constitution la possibilité de conduire des coopérations renforcées. Notamment, de procéder à une reformulation des tâches dites de Petersberg et d’ancrer dans la future Constitution européenne la création d’une Agence européenne de développement et d’acquisition de capacités militaires, et celle d’un Collège européen de sécurité et de défense. Par ailleurs, une étude prospective faite par la Rand Corporation5 (États-Unis) sur l’initiative de dialogue de l’OTAN avec les pays du sud de la Méditerranée considérait que les enjeux sécuritaires allaient s’accroître davantage dans cet arc de crise précis défini par les pays occidentaux comme un espace s’étendant des rives sud de la Méditerranée aux Balkans, de la Mer Egée à la périphérie sud de la Russie, et du Sahara occidental au Moyen-Orient. Sur le plan euro-atlantique, du fait de l’instabilité interne et des pressions démographiques, les sociétés des Etats de ces régions Sud seraient amenées à une violence politique avec toutes les répercussions ou « spill over » que cela impliquerait. « Nous sommes arrivés dans un nouveau territoire où les intérêts économiques et sociaux spécifiques et les acteurs transnationaux transgressent les frontières nationales, outrepassant les formes traditionnelles de gouvernance dans l’ensemble du monde atlantique »6. 5 In Ian Lesser, The NATO dialogue initiative, The Rand Corporation, septembre 1997. Il faut noter que cette étude a été faite pour le compte du Ministère de la Défense italien. 6 Daniel Hamilton, préface à l’étude de la Fondation Robert-Schuman, op.cit. 153 Paragraphe 1. La perception occidentale des menaces venant des pays du sud de la méditerranée Le sud de la Méditerranée est considéré depuis la fin de la guerre froide comme un « arc de crise » par les alliés euro atlantiques. Cette vision quasi culturaliste des régions à conflits s’applique essentiellement à tout l’espace arabo-musulman du fait des nombreuses tensions qui y prévalent à cause de la montée des intégrismes religieux. La question se pose cependant nécessairement de savoir si les raisons idéologiques d’habillage religieux à l’origine des conflits qui s’y manifestent n’ont pas des fondements politiques forts, s’inscrivant dans la nécessité de peser sur la scène internationale pour contraindre les puissances occidentales à une révision de leurs soutiens à des régimes ou des États contre lesquels certaines parties des opinions publiques, radicales, sont en opposition. A. La perception occidentale des risques Selon les observateurs occidentaux, dans la grille actuelle des menaces potentielles venant des rives sud de la Méditerranée, persistent encore les répercussions des deux guerres menées par les Etats-Unis comme chef de file contre l’Irak, et le conflit gréco-turc qui est nourri par les tensions existant entre des projets civilisationnels divergents, quand ils ne seraient pas opposés : un conflit entre l’Islam et le christianisme orthodoxe serait peutêtre capable de compliquer les relations entre la Grèce et la Turquie. Il est certain cependant que les raisons du contentieux gréco-turc ne sauraient être assimilées au dit « choc des civilisations », pour reprendre l’expression controversée de Samuel Huntington.. On peut en effet considérer sans risque d’être contredit que l’existence également d’intérêts nationaux antagonistes, avec ou sans composante islamique, est un élément clé du comportement des États7. 7 Selon la France et l’Allemagne, un partenariat stratégique avec les pays du sud de la Méditerranée doit répondre aux besoins et aux aspirations de la région, une manière de prendre des distances avec le plan américain du « Grand Moyen-Orient ». La priorité centrale de l’Union européenne depuis Barcelone ( 1995) est de changer le statu quo que connaissent les peuples de la région et d’établir un partenariat transméditerranéen. L’UE insiste sur la centralité du processus de paix israélo-palestinien, elle est pour l’efficacité de l’action multilatérale et sur la valeur ajoutée que peut apporter l’UE, l’ONU et l’OTAN. 154 Ainsi, durant les mois de septembre et d’octobre 1998, la crise entre la Turquie et la Syrie avait, pour arrière-fond, la question nationaliste kurde et le problème crucial de l’eau ; le rapprochement de l’axe militaire Ankara/Tel-Aviv a accentué la pression sur la Syrie et a favorisé une course aux armements aussi bien conventionnels que de destruction massive. Si les menaces de frappes aériennes proférées par la Turquie contre la Syrie s’étaient réalisées à l’époque, elles auraient reproduit le syndrome de la guerre du Golfe, provoqué par l’invasion irakienne du Koweït, un fait qui a engendré la deuxième guerre irakienne quelques années plus tard, avec toutes les répercussions que cela supposait. Par ailleurs, un constat égal est fait concernant le Soudan et l’Égypte : un problème de répartition de l’eau, accentué par des différences d’idéologie externe, pourrait avoir des répercussions sur la stabilité sous-régionale en amenant à un conflit armé toujours possible entre ces deux pays. Il apparaît ainsi que le nationalisme devient une force significative dans le comportement des États du sud face aux questions qui affectent le Moyen-Orient et la Méditerranée dans son ensemble. Selon les alliés transatlantiques, des glissements significatifs de régime en Algérie vers un système plus « islamique » pourrait avoir des répercussions sur les relations avec les pays voisins, de même qu’un litige pourrait apparaître entre la Libye et la Tunisie, cela du fait des questions territoriales et frontalières non réglées. Outre les questions de délimitations territoriales, celles des problèmes socio-économiques, accentués par une démographie non contrôlée, demeurent des sources potentielles de chaos aux répercussions graves pour l’espace sous-régional. La question du Sahara Occidental n’a été, jusqu’à présent, qu’une source de conflits entre l’Algérie et le Maroc, pays frontaliers qui gagneraient pourtant grandement à une résolution pacifique de la question. Il semble irréaliste de penser qu’un référendum soumis à la population sahraouie, qui serait défavorable au Maroc, serait avalisé par ce pays. On ne peut émettre, par ailleurs, l’hypothèse d’une usure du nationalisme sahraoui au point que les Sahraouis consentent à accepter leur intégration ou assimilation au sein du Maroc. Il faut rappeler que le Maroc conserve également un litige avec l’Espagne concernant les enclaves de Ceuta et Melilla, objet d’un contentieux on ne peut plus ancien, et nous avons 155 vu, durant le mois de juillet 2002, la résurgence d’un autre contentieux concernant un petit îlot, l’îlot Persil qui a focalisé l’attention par le fait que le Maroc y avait installé six militaires, exprimant ainsi son intention de l’intégrer définitivement au territoire national, et amenant l’Espagne à l’occuper militairement après en avoir délogés les militaires marocains, et à énoncer en termes voilés des menaces de guerre dans le cas où le Maroc viendrait à rééditer son initiative de manifester sa présence physique sur cet îlot. En ce qui concerne l’Algérie, l’instabilité dans ce pays a été longtemps une réalité. La situation sécuritaire due à la violence terroriste a cependant trouvé une perspective de solution pour son règlement définitif avec le processus de concorde civile, la crise économique, accompagnée d’un chômage important de la jeunesse algérienne, semble se résoudre avec les chantiers lancés par le président Bouteflika dans les domaines économiques (agriculture, travaux publics, logements, etc.). Toujours en Afrique du Nord, l’Égypte a fait face à des pressions migratoires du fait du chaos interne du Soudan qui avait provoqué des flux de réfugiés, avec les répercussions conflictuelles que cela risquerait d’engendrer. A l’instar de l’Égypte, la Turquie a vécu les conséquences sécuritaires des crises prévalant dans les régions frontalières : pour Ankara, il s’agit surtout des incidences des troubles dans le Nord de l’Irak et dans le Caucase8 Pour l’Alliance atlantique, la Turquie serait le premier pays membre de l’OTAN à ressentir les effets de cette tension sous-régionale, car les centres urbains importants de ce pays sont déjà à la portée des missiles balistiques déployés en Syrie et en Iran. La guerre irakoiranienne, la guerre du Golfe, la guerre civile au Yémen et, sans doute, la deuxième guerre irakienne auraient pu avoir des répercussions sur les pays frontaliers. Durant la guerre du Golfe, il avait été déclaré que l’Irak avait déployé des missiles balistiques en Mauritanie. La perception sécuritaire des menaces venant des pays du Sud demeurait ainsi diabolisée à l’extrême. Pourquoi ? Une telle démarche avait une finalité on ne peut plus claire et directement perceptible : il s’agissait de légitimer l’architecture sécuritaire occidentale mise en place, et de rendre fonctionnelle et opérationnelle le 8 Trois attentats terroristes ont fait plus d’une cinquantaine de morts à Ankara au cours du mois de décembre 2003. Il vaut d’être rappelé que ces attentats ont été perpétrés sous un gouvernement islamiste. 156 principe nouveau de la coopération multinationale de l’Otan et de l’ONU, quoique le contrôle américain de la gestion des crises tende à évoluer en fonction de leur perception des menaces sécuritaires. Les États–Unis n’entendent pas être seulement la puissance prépondérante et hégémonique ; ils veulent demeurer chef de file. Les alliés transatlantiques avaient élaboré en ce sens des scénarios prévoyant que dans la première décennie de ce siècle, chaque capitale européenne pourrait devenir à la portée des systèmes d’armements non conventionnels des pays de la rive sud-méditerranéenne, notamment de pays tels que l’Iran et l’Irak, et potentiellement de la Syrie par exemple, si une réorientation radicale venait à être effectuée par les pouvoirs en place, et certainement de la Libye qui avait tenté, rappelons-le, en avril 1986, de lancer un missile Scud contre l’Ile de Lampedusa, en Italie. Les mêmes prévisions en matière de scénarios avaient été faites pour la région des Balkans où les alliés transatlantiques n’excluaient pas la possibilité que la Serbie accède à des systèmes d’armements sophistiqués et améliorés, en particulier, avec des missiles Scud capables de cibler l’Europe de l’Ouest. En fait, les missiles balistiques (armés de manière conventionnelle) et déployés dans la périphérie de l’Europe ne constituent pas une menace pour l’Occident. S’il y a menace, de la part de ces pays du Sud, c’est en direction d’autres pays du Sud. Mais selon l’OTAN, il suffirait que certaines actions des États-Unis ou de l’Europe Occidentale dans le Bassin Méditerranéen ou au Moyen-Orient soient perçues comme un danger par les pays de cette région pour que la menace évolue vers un rapport non plus Sud/Sud mais plutôt Sud / Nord. L’existence de cette menace pour le Nord demeurait jusqu’au 11 septembre 2001, cependant, au stade des scénarios et non de la réalité. Il semble vraisemblable, aujourd’hui, qu’apparaissent des potentialités de « spill over » ou de répercussions sur les pays du Sud eux-mêmes, comme l’ont montré les cas de l’Irak et de l’Afghanistan qui sont demeurés toujours dans le collimateur des États-Unis. On sait ce qu’il est advenu des deux régimes de ces pays perçus – ou, à tout le moins –, présentés comme des dangers certains. 157 Selon les stratèges américains, la maîtrise des technologies des missiles balistiques ayant une portée de 1000 Kms peut être acquise par les pays du Sud, dans le Bassin méditerranéen, ces technologies affecteraient surtout leurs pays voisins. Et, sur un autre plan, une situation d’anarchie au Soudan et dans l’Afrique sub-saharienne pourrait induire des flux de réfugiés incontrôlables en Afrique du Nord, et en Égypte. Ces éléments potentiels venant des pays les plus pauvres de la région apparaissent, en général, au regard occidental, comme des sources de déstabilisation et de violence politique inévitables. Les répercussions que pourraient subir les pays occidentaux se situeraient au niveau du transfert de la violence politique (cas du terrorisme du GIA transposé d’Algérie en France et de la violence en Allemagne du parti d’opposition kurde de Turquie). B. La gestion des crises Le politologue américain Robert Kaplan avait défini la situation à venir par le terme suivant : « coming anarchy » ou chaos ultérieur. Aussi, les nouveaux concepts euroatlantiques de sécurité incluent actuellement la double dimension politico-militaire et économique : la région méditerranéenne devient de manière croissante un enjeu de sécurité énergétique et commerciale, donc un enjeu stratégique du point de vue politique et stratégique. En ce sens, le partenariat euro-méditerranéen élaboré à Barcelone, en novembre 1995, avait souligné l’interdépendance en matière de stabilité existant entre les deux rives de la Méditerranée. De la Méditerranée occidentale à la mer Caspienne, les lignes d’acheminement du pétrole et du gaz impliquent une sécurité globale. Les pipelines existant déjà dans la Méditerranée occidentale et dans la Méditerranée orientale vont être renforcés dans le futur par la production pétrolière caspienne. La reconstruction des Balkans et des ports de Trieste et de Thessaloniki a accentué l’importance de la Méditerranée comme un canal d’exportation pétrolière du MoyenOrient vers l’Europe orientale et centrale, ainsi que l’ouverture des lignes de communication entre la Turquie, l’Iran et l’Asie centrale qui offriront la possibilité de nouveaux liens économiques pour l’Europe à travers la Mer Noire et la Méditerranée. Il 158 faut rappeler que 50% du pétrole consommé en Europe occidentale et plus de 10% du pétrole consommé aux Etats-Unis sont fournis par la région méditerranéenne. Ainsi une convergence occidentale s’est opérée sur la question de la gestion des crises dans le Bassin méditerranéen et sa périphérie. Cependant, la tendance française en exYougoslavie à vouloir s’imposer comme leader de la paix, en prenant le commandement de la brigade multinationale de la FORPRONU (ONU), aura été l’expression d’une rivalité récurrente avec les États-unis. Ces derniers, avec la mise en œuvre des accords de Dayton vont marquer leur présence dans la région (mise en place de l’IFOR, les contingents de l’OTAN). La tentative française de vouloir renationaliser les politiques de sécurité extérieure souligne l’antagonisme existant entre la France et les États-Unis quant à la vision sécuritaire dans la périphérie de l’OTAN, cela est également illustré par le maintien de la revendication française du commandement sud de l’Otan à Naples, et l’opposition de la France à la politique américaine menée contre l’Irak. Par ailleurs, les États-Unis refuseront toute approche unilatérale de la sécurité en Méditerranée. Selon eux, le commandement AFSOUTH de l’Otan, en Méditerranée devra être perçu dans une perspective multilatérale d’alliance transatlantique, mais sous contrôle américain unique9. Les années 1990 ont montré que l’environnement sécuritaire en Méditerranée est loin de se rapprocher de la vision française et même de celle des anciens pays non-alignés, d’une « Méditerranée méditerranéenne ». Il est important de souligner que la présence américaine tendra à devenir durable dans le long terme, de par le maintien du déploiement militaire et diplomatique important des Etats-Unis dans la région, notamment dans la Méditerranée orientale, sans oublier les liens logistiques américains dans le Golfe arabo-persique et en Extrême-Orient. Par ailleurs, il faut souligner que l’initiative de dialogue de l’Otan entamée en 1994 avec les pays tiers méditerranéens dont le Maroc, la Tunisie, la Mauritanie, la Jordanie et Israël a exprimé une volonté d’assurer, dans un éventuel rapprochement avec les pays du sud- 9 Cf. à sujet, le Général Joulwan George, USEUCOM Command strategy of engagement, Statement to the House National Security Committee, march 19, 1992, Defense, Vol. 11, no 41. 159 méditerranéen, un rôle renforcé des États-Unis dans tous les espaces sous-régionaux du Bassin méditerranéen. Quoique l’engagement de l’Europe Occidentale dans la sécurité en Méditerranée continue à être effectué en coopération, les États-Unis par leur positionnement actuel semblent prouver que la globalité des rapports Nord-Sud doit être gérée sous leurs responsabilité et contrôle. Cependant, la situation américaine dans le Bassin méditerranéen n’a rien à voir avec celle que l’on retrouve dans le Golfe Persique. La gestion sécuritaire dans cette région hautement stratégique permet aux États-Unis de s’y imposer de manière unilatérale et prédominante, elle justifie aussi son articulation avec celle du Bassin méditerranéen et l’idée de création d’un « grand Moyen-Orient ».Il faut rappeler que la France était réservée à l’idée de l’institutionnalisation du Forum de l’avenir destiné aux pays du Moyen-Orient su qui était une initiative américaine, cela du fait des mécanismes du processus de Barcelone et des relations anciennes de l’UE dans la région. Du fait d’une certaine perception géopolitique des menaces, il faut noter cependant que ce sont les pays de l’Europe du Sud qui ont impulsé les initiatives de l’Union Européenne et de l’Otan concernant l’Afrique du Nord, et la Méditerranée, en général. C.Les divergences entre alliés euro-atlantiques L’Europe, plus précisément l’Union européenne est divisée sur la question d’entériner une option stratégique des relations internationales décidée par Washington, l’administration américaine ayant arrêté que les moyens militaires sont désormais des instruments ordinaires des relations internationales, au service d’une volonté de puissance qui veut s’affirmer face au monde entier. Cette option est loin d’assurer ou de contribuer seulement à une amélioration de la sécurité internationale.10 Tant au niveau de l’ONU, et principalement au Conseil de Sécurité, où les États –Unis ne sont pas parvenus à faire prédominer leurs vues, qu’au sein de l’Alliance atlantique, où ils 10 Cf. Paecht Arthur, (sous la dir.), Les relations transatlantiques. De la tourmente à l’apaisement ? Paris, IRIS/PUF, 2003. 160 ont essuyé des oppositions de la part de la France, de la Belgique et de l’Allemagne à s’aligner sur eux, on aura vu que l’enjeu des débats était essentiellement la validation par leurs alliés traditionnels de cette volonté d’imposer les vues des Etats-Unis et, par conséquent, d’avaliser une nouvelle répartition des responsabilités mondiales en faisant en sorte que les puissances moyennes deviennent les vassales de l’omnipuissance américaine. On a vu, en effet, les États -Unis procéder à une planification active de la mise en branle de leurs forces armées, paraissant fermement décidés à ne pas faire marche arrière. On aura pu relever cependant que la volonté nord-américaine d’imposer ses vues ne s’est pas déroulée sans résistance et sans opposition. Un Secrétaire d’État belge, Eddy Boutmans estimait que la Belgique devait s’opposer de façon plus rigoureuse à la guerre annoncée, en Irak. Il évoquait ainsi la possibilité pour ce pays membre de l’OTAN d’user de son droit de veto, conformément à la Charte de cette organisation11. Il va de soi que, première puissance militaire du monde, les États-Unis n’ont nul besoin, sur le plan des capacités matérielles et guerrières, que des forces d’appoint soient à leurs côtés dans leurs opérations en Irak. Mais le soutien qu’ils ont attendu, désiré obtenir de façon forcée, de la part de leurs partenaires de l’OTAN, était avant tout politique : il devait accréditer la thèse d’une puissance ayant reçu mandat pour faire aboutir la volonté internationale face à une volonté nationale récalcitrante. C’était vouloir s’octroyer – ou se faire octroyer – unilatéralement le rôle de « gendarme du monde ». Un engagement militaire des puissances alliées à leurs côtés (non seulement la Grande-Bretagne mais aussi l’Allemagne et la France) eut avalisé une telle volonté de mainmise sur les relations internationales. C’est ce scénario12 qui était à l’œuvre dans la demande de soutien qu’ont fait les 11 Lors de la guerre ayant suivi l’invasion du Koweït par l’Irak, la Belgique avait autorisé en 1991 le départ de forces alliées depuis son territoire. Selon certaines interprétations, le Traité de l’Atlantique nord autoriserait le transport de matériel militaire au sein de la zone constituée par les pays qui en font partie. Dans ce cas, la Turquie n’aurait pas eu à donner son ou à signifier son refus au sujet du passage sur son territoire de convois militaires nord-américains. Ce pays frontalier de l’Irak était incontournable pour les plans de bataille mis au point par Washington en ce qui concerne le front nord de l’Irak. 12 Sources : « NATO asked to aid US in war on Iraq », The International Herald Tribune, 16 janvier 2003 ; « Demande de soutien à l’OTAN », La Libre Belgique, 16 janvier 2003 ; « Washington sollicite déjà l’appui de l’OTAN », Le Soir, 16 janvier 2003 ; « Washington appelle à une pression commune sur Bagdad », Le Monde, 18 janvier 2003. 161 États-Unis le 15 janvier 2003, aux ambassadeurs des 19 membres du Conseil de l’Atlantique Nord. Il s’agissait d’obtenir de ces partenaires13 qu’ils consentent tout simplement à définir les formes que prendrait leur appui sur le plan logistique et militaire, dans le cadre de l’Alliance Atlantique, et d’arrêter les mesures de soutien à l’intervention imminente nord-américaine sur le territoire irakien14. Les acteurs politiques de l’Alliance ont eu à faire connaître leurs opinions – et donc leurs divergences – sur la scène publique internationale, révélant que les désaccords de forme étaient des mésententes sur le fond ; on pouvait se poser la question de savoir quel allait être l’aboutissement d’une guerre dans laquelle l’Irak, pays d’importance toute moyenne, affaibli de plus par un embargo de plus de dix ans, aurait à affronter la première puissance mondiale, secondée par des troupes alliées. Les désaccords ont eu lieu, sur fond de rivalités qui ne disent pas leur nom, dans la mesure où les déclarations des uns et des autres se sont toutes voulues au service du renforcement de la paix internationale – les modalités pour la servir et la garantir étant néanmoins fortement divergentes. La déclaration dite de Prague, signée par 19 pays membres de l’OTAN, de toutes les 13 La demande des États –Unis concernait les points suivants : - Autoriser l’utilisation de bases aériennes alliées et le survol de l’espace aérien des pays membres, - Soutien logistique de ces pays qui auraient à engager, à titre individuel, des troupes d’appoint ; - Envisager des taches de maintien de la paix après la fin des combats ; - Protéger la zone est de la Méditerranée, en tant que zone de transit pour les navires de guerre américains, en positionnant des bâtiments de forces navales alliées ; - Actualiser le plan d’urgence de défense de la Turquie en cas de guerre avec l’Irak et ce conformément à l’article 5 de la Charte. On sait que les pays alliés n’ont pas acquiescé unanimement à ces points. 14 Les Etats-Unis avaient refusé que les moyens des alliés viennent en concours dés lors de l’offensive menée contre le pouvoir des Talibans en Afghanistan. En n’y ayant pas eu d’alliés pendant les opérations, ils n’avaient ainsi pas de concurrents après les opérations. La coopération multinationale ne se fera que dans les mois suivant l’intervention américaine dans cette région. 162 façons, privilégiait l’action de l’ONU15 que les signataires de celle-ci s’engageaient à soutenir dans ses actions et privilégiaient donc la poursuite du travail des inspecteurs, écartant ou renvoyant à une époque plus lointaine la perspective d’une guerre. L’Allemagne, à travers son chancelier, Gerald Schröder, avait réaffirmé à la date du 21 janvier 2003 qu’elle était opposée à toute guerre, quand bien même celle-ci se ferait sous les auspices de l’ONU. Cette opposition à la guerre avait été déjà proclamée dès la campagne électorale qui avait eu lieu l’année précédente. On peut donc dire qu’il y avait eu les signes d’une fracture transatlantique bien avant la crise du premier trimestre 2003, dans la mesure où la position du gouvernement allemand pouvait paraître, rétrospectivement, comme n’ayant pas été dictée par de pures considérations d’opportunisme électoral, mais qu’elle reflétait en réalité une attitude d’opposition à la puissance américaine qu’il fallait contrer dans cette volonté guerrière par laquelle, en renforçant l’unilatéralité de sa conduite dans les affaires internationales, elle comptait faire avaliser par ses alliés de l’Alliance un rapport de forces qui lui serait par la suite resté favorable, une fois redessinée la cartographie symbolique des influences respectives de chacun des pays composant la puissance collective otanienne. Tel semble être en fin de compte le sens du bras de fer ayant opposé la France et l’Allemagne suivies d’un certain nombre de pays, comme la Belgique, aux États -Unis 15 Sur la considération accordée à l’Organisation des Nations Unies par l’administration américaine actuelle, il est éclairant de rapporter ici les propos tenus par un diplomate américain en poste à Athènes, John Kiesling, dans la lettre de démission qu’il adressa à Colin Powell à la date du 27 février 2003 : « Je vous soumets ma démission du service diplomatique des États-Unis […] Je le fais le cœur lourd. Jusqu’au gouvernement actuel, j’ai pu croire qu’en soutenant la politique de mon président je soutenais également les intérêts du peuple américain et du monde. Je ne le crois plus. […]. Notre poursuite fervente de la guerre coûte que coûte avec l’Irak nous conduit à dilapider la légitimité internationale qui a été pour l’Amérique l’arme la plus puissante d’attaque et de défense depuis l’époque de Woodrow Wilson . Nous avons commencé à démanteler le plus étendu et le plus efficace réseau de relations internationales que le monde a jamais connu. Notre cap amènera à l’instabilité et le danger, non pas la sécurité. […] Nous devons nous demander pourquoi nous n’avons pas réussi à convaincre plus de nations qu’une guerre contre l’Irak est nécessaire. […] Nous soumettons à des contraintes excessives un système international que nous avons bâti avec tant d’efforts et d’argent, un réseau de lois, de traités, d’organisations et de valeurs partagées qui impose des limites bien plus à nos adversaires qu’à la capacité de l’Amérique à défendre ses intérêts. […]. Source : Marianne. Hebdomadaire français. N° du 10 au 16 mars 2003. On peut lire dans ce numéro que « Le Conseil œcuménique des Eglises qui réunit les principales confessions, juge catastrophique le messianisme impérial du président [Bush, « toujours prompt à étaler sa religiosité »] : « Envisager une guerre et des frappes préventives comme moyen de modifier le régime d’un État souverain est un acte immoral. ». 163 secondés par la Grande Bretagne et soutenus par l’Espagne et l’Italie16, entre autres, ainsi que par la plupart des anciens pays de l’Est ayant rejoint l’Union européenne, les premiers déclarant qu’il faut attendre les conclusions du rapport des inspecteurs en désarmement devant le Conseil de sécurité. En insistant sur la nécessité de s’en tenir au cadre onusien dans la recherche d’une solution à la crise ouverte par les soupçons pesant sur l’Irak quant aux armes de destruction massive qui seraient en sa possession, ces pays avec la France au premier plan se sont opposés à une volonté américaine unilatérale, refusant de se confondre avec cette puissance. Cette démarche a sans doute une signification symbolique extrêmement importante pour la construction de l’Europe, et donc d’un pôle s’opposant au pôle américain, dans la mesure où bien qu’ayant mis en relief la division des membres de l’Union sur la question, elle a néanmoins mis en relief, dans le même mouvement, l’existence d’une force d’opposition européenne, même morcelée, qu’il s’agit pour ses leaders, France, Allemagne, Belgique notamment, de consolider. L’Organisation des Nations Unies a subi une disqualification majeure du fait de la volonté des États -Unis de régenter un rapport de forces sur le plan des relations internationales qui fait foncièrement fi des considérations et principes développées dans sa Charte, alors même que cette organisation doit beaucoup, dans sa création, à cette sorte d’idéalisme qui avait caractérisé le président Franklin Roosevelt, la création de l’ONU ayant été conçue pour éviter précisément les guerres préventives ou les guerres punitives affublées du 16 En vérité, le secrétaire général de l’Alliance, George Robertson, avait déclaré que le rôle de l’OTAN en Irak devait être décidé conformément à la déclaration adoptée lors du dernier Sommet de l’Organisation tenu le 21 novembre 2002 à Prague. Or cette déclaration se fondait principalement sur la résolution 1441 des Nations unies. 164 qualificatif de préventives, en faisant en sorte que les différends internationaux soient réglés par les débats, les recommandations, les résolutions et les votes17. On peut relever ici les propos très accusateurs d’un sénateur démocrate américain, Robert Byrd, qui dans un discours au Sénat fait le 12 février déclarait : « […] Cette bataille qui vient, si elle a lieu, représente un tournant de la politique étrangère américaine et peut-être un tournant dans l’histoire récente du monde. Notre pays est près de s’embarquer dans la première application d’une doctrine […], [ celle ] de l’anticipation. La doctrine de l’anticipation – et les États-unis comme toute autre nation peuvent légitimement attaquer une nation qui ne représente pas une menace imminente mais pourrait se révéler menaçante à l’avenir – est une interprétation radicale et nouvelle de la notion traditionnelle d’autodéfense. Elle semble contrevenir au droit international et à la Charte des Nations unies […] »18 Paaragraphe 2. La nouvelle culture de sécurité en coopération Les alliés transatlantiques ont opéré des ajustements de leur nouvelle politique méditerranéenne tout en accordant une priorité à l’élargissement vers l’Est. Ce qui 17 Selon des informations données par les journaux et différentes chaînes de télévision, des lignes téléphoniques de représentants des pays membres du Conseil de Sécurité avaient été mises sur écoute pour savoir dans quel sens ils pourraient pencher dans le cas où il était envisagé de voter une seconde résolution au Conseil qui aurait explicitement ouvert la voie à une offensive armée. Les représentants du Cameroun, du Mexique, de la Guinée, tout comme ceux du Chili auraient été ainsi espionnés. Ces pays étaient sans nul doute considérés comme vulnérables à la tentation ou au chantage financier. Le Conseil de Sécurité dont ils avaient été amenés à faire partie par roulement n’avait pas été pleinement convaincu par les « preuves » apportées par le Secrétaire d’État Colin Powel pour fonder la volonté américaine de faire une seconde guerre à l’Irak et les U .S.A. n’avaient aucune certitude quant au vote d’une résolution qui aurait été favorable à leurs vues. La perspective de cette résolution avait d’ailleurs été abandonné par eux, devant ce qui allait être pour eux un échec diplomatique dans la mesure où ils n’étaient pas parvenue à s’assurer de promesses de vote leur assurant la majorité qualifiée pour mener une guerre sous la bannière ou, à tout le moins, sous la caution des Nations unies. 18 Le sénateur Robert Byrd ajoutait plus avant dans son discours : « Ce gouvernement [le gouvernement Bush] a transformé l’art patient de la diplomatie en menaces, accusations et insultes […] », évoquant par ailleurs « notre langage inconsidérément belliqueux et notre mépris pour les intérêts et les opinions des autres nations », et des politiques qui peuvent avoir des conséquences désastreuses pendant des années. […] concluant d’autre part qu’en « seulement deux courtes années, ce gouvernement imprudent et arrogant a entamé Le sénateur Robert Byrd est du parti démocrate. Il est, par vocation, naturellement opposant au gouvernement républicain de George W. Bush, mais les propos qu’il a développés dans son discours indiquent fort bien qu’une partie de l’opinion américaine restait à l’unisson de l’opinion mondiale majoritaire. Il faisait au demeurant le constat que « d’énormes failles apparaissent dans nos alliances anciennes… ». Ce constat se réfère aux divergences apparues entre les Etats-Unis et une partie de l’Europe occidentale (France et Allemagne en tout premier lieu). 165 transparaît actuellement est un manque de consensus en Occident quant à la profondeur de l’engagement de l’Otan dans la région Sud19. Cependant les facteurs de crises prévalant dans le Bassin méditerranéen et dans sa périphérie ont suscité un véritable débat quant à la nécessité de développer une vision plus large et une nouvelle stratégie des pays occidentaux face à cette situation. En fait, les cas de la Bosnie, de l’Albanie, du Kosovo, et de l’Irak ont paru être des indicateurs sérieux d’enjeux pour l’avenir : le flanc sud de l’Otan, incluant la zone allant du Maghreb au Moyen-Orient, et des Balkans au Caucase, pourrait devenir, dans le futur, le théâtre d’opérations le plus important de la région méditerranéenne. Il pourrait alors être l’objet d’une attention sécuritaire particulière dans les activités futures des alliés transatlantiques car il concerne la sécurité en Méditerranée. A. Le Partenariat en Méditerranée Les activités entrant dans le cadre de la politique occidentale sécuritaire actuelle en Méditerranée ont inclu les volets suivants : - Un projet de réforme du commandement de l’OTAN ; - Un partenariat pour la paix (PFP ou Partnership for Peace) pour les membres candidats et non-condidats ; - Un renforcement de la coopération et de la stabilité dans la mer Egée ; - Le développement de la contre prolifération ; - Un véritable dialogue suivi d’un partenariat avec les pays du littoral sud de la Méditerranée. Par ailleurs, l’Otan sous l’influence doctrinaire américaine a développé le nouveau concept de « Région d’intérêt stratégique » ou Area of strategic interest (AOSI) qui comprend dorénavant de manière globale la région du Golfe et du Caucase, mais aussi les Balkans, le MoyenOrient et l’Extrême Orient, et la Méditerranée20. Des propositions ont été faites au niveau des pays du Flanc Sud, membres de l’Otan, pour qu’un transfert effectif des ressources de 19 Les anciens membres de l’OTAN ne voulaient pas engager leurs forces en Afghanistan et dans les Balkans. Il y avait un problème pour le SACEUR de trouver un consensus sur les questions sécuritaires. 20 Voir Jane’ s Intelligence Review, op. cit 166 l’Alliance soit effectué pour permettre au commandement de l’AFSOUTH d’étendre ses responsabilité et de renforcer sa capacité de projection de puissance. En fait, certains stratèges de l’Otan considéraient qu’au moment où l’Alliance Atlantique avait réalisé un processus d’adaptation interne, il était opportun de redresser le déséquilibre des forces occidentales entre le Flanc Central et le Flanc Sud de la Méditerranée. L’ouverture des quartiers généraux de l’EUROFOR à Florence, en novembre 1996 avait, en fait, souligné le problème de l’harmonisation de la stratégie politique et militaire de l’OTAN. Des projections ont été faites également pour moderniser la structure de commandement de l’AFSOUTH et pour renforcer son contrôle. Il faut savoir que durant la guerre froide, le commandement AFSOUTH (CINCSOUTH) se préoccupait surtout de la flotte soviétique, l’ESKADRA, en Méditerranée. Du point de vue sécuritaire, rappelons-le, l’exURSS s’est retirée de la Méditerranée tout en demeurant, en fait, un point important d’accès maritime et un enjeu dans les développements politiques futurs ; la Russie pourrait jouer un rôle plus actif dans les Balkans et au niveau des frontières de la Turquie dans les temps à venir. 1. La réforme du commandement de l’Otan La restructuration de l’Otan a permis le transfert des moyens de l’Alliance vers le Flanc sud, notamment, avec le renforcement des arsenaux turcs et grecs. Les deux commandements régionaux de la région nord (Afnorth et Afcent) ont été intégrés en une seule direction régionale, et le commandement en Méditerranée (Afsouth) a été consolidé. Le commandement des forces alliées en Europe méridionale a été porté au rang de troisième grand commandement à côté du commandement allié en Europe (Aclant). L’Otan a mis au point les mécanismes de gestion de crises, vu que sa structure permet d’identifier les besoins en matière d’entraînement et de déploiement des forces en cas de scénarios catastrophiques, ou de maintien de la paix. Les États-Unis tiennent à conserver le commandement central (Saceur), même s’ils doivent accepter la présence d’un adjoint européen. La raison pour laquelle le commandement de la Méditerranée (AFSOUTH) a 167 été refusé par les Américains à la France est due au fait qu’il s’exerce également sur la VIe Flotte US, dont les forces militaires sont sans commune mesure avec les forces européennes composant l’EUROMARFOR. De plus, si les controverses internes à l’Otan ont convergé vers l’idée d’une « Identité Européenne de Défense », pour les États-Unis, rappelons-le, cette réalisation ne peut se faire que dans l’Alliance atlantique. Une concertation politico-militaire s’est déjà établie entre l’Europe et les États-unis dénommée 1 plus 1 (Union européenne/États-unis). Il faut noter, par ailleurs, que la présence active de la France s’est consolidée dans les deux organisations (Otan/ Union Européenne), quoique les forces armées françaises ne soient pas intégrées dans l’Alliance comme elles le sont dans l’UEO (Union de l’Europe Occidentale) et dans l’OSCE (Organisation de la Conférence sur la Sécurité et la Coopération en Europe). 2. Le partenariat pour la paix Pour les États-Unis, l’OTAN demeure le fondement de la stratégie américaine de sécurité. Le Partenariat pour la Paix ou Partnership for Peace (PFP), élaboré pour les anciens pays du bloc Est, dans les années 90, apparaît au regard nord-atlantique comme l’une des institutions les plus significatives de l'ère de l’après-guerre froide. Comme le plan Marshall dans les années 1940, le PFP constitue l’espace d’élargissement (enlargement) d’une nouvelle alliance atlantique, néolibéraliste et globalisante21. La contribution de la Russie à des questions de sécurité plus larges et sa participation au PFP deviennent une clé majeure de la stabilité. Pour le général George Joulwan, ancien commandant en chef du US European Command (USEUCOM), les États-Unis en tant que leader de l’OTAN devront créer de l’Atlantique à l’Oural : « une Europe entière et libre, démocratique, stable et prospère »22. Le leadership américain est renforcé, ainsi, grâce aux chaînes de commandement et l’impact de la culture américaine. A titre de comparaison avec l’initiative de dialogue méditerranéen de l’OTAN, lancée en 1995,l faut savoir que les programmes d’entraînement organisés pour les forces armées 21 Voir Parmentier Guillaume (sous la dir.), Les Etats-Unis aujourd’hui, Choc et changement, Paris, Odile Jacob, 2004. 22 Général Joulwan G., op. cit. 168 des pays de l’ancien Pacte de Varsovie incluent, à présent, une thématique portant sur les notions de « soldat-citoyen », de droits de l’homme, de respect du pouvoir civil et de pluriethnicité. L’International Military Education and Training, une organisation américaine, a créé ainsi 11 laboratoires de langue anglaise dans 8 pays d’Europe Centrale et Orientale. Rappelons que les ministres des affaires étrangères de L’OTAN, réunis, en mai 1997, à Sintra (Portugal), avaient décidé de renforcer le programme du partenariat pour la paix et de créer le Conseil de Partenariat euro-atlantique (CPEA) qui sera une sorte de forum de consultation et de coopération sur les questions liées à la défense et à la sécurité. Les programmes du PFP auront pour objet de développer une coopération dans la mise en place de forces militaires pouvant œuvrer avec celles des membres de l’OTAN, de favoriser une transparence lors de l’élaboration du planning et du budget de défense et, de renforcer les capacités des missions de paix et d’assistance humanitaire avec les pays d’Europe Centrale et Orientale. Le PFP a été mis en pratique lors de la coopération euro-atlantique au sein de la Force de stabilisation en Bosnie-Hergovine (SFOR). Il en est de même pour le CPEA où les consultations qui ont eu lieu entre alliés et partenaires euro-atlantiques ont abouti à la préparation du plan opérationnel Joint Force qui fit suite à la mission de la SFOR en Bosnie-Herzégovine, en 1998. Les concertations ont visé deux membres du PFP, l’Abanie et l’ex-république Yougoslave de Macédoine, pour régler les problèmes de la crise du Kosovo. On peut noter que le CPEA a remplacé l’ancien Conseil de Coopération nord-atlantique (CCNA) depuis mai 1997, le CPEA apparaît également comme un instrument plus efficace pour renforcer l’élargissement de l’Alliance Atlantique. Les initiatives prises dans ce cadre de consultations concernent la coopération régionale (Bosnie-Herzégovie, Kosovo, etc.) dans le domaine de la sécurité, du terrorisme international, des problèmes de l’environnement liés aux questions de défense, la prolifération des armes de destruction massive, et l’établissement d’un cadre politico-militaire concernant les opérations du PFP dirigées par l’OTAN. 169 B. La coopération euro-atlantique en Mer Egée et la contre-prolifération Dans l’OTAN actuelle, la Turquie demeure l’alliée principale dans le cas d’un conflit principal. Pour les États-unis, elle est un atout majeur car c’est une démocratie laïque moderne et de surcroît musulmane. Elle permet d’être utilisée pour l’exécution d’une opération d’état d’urgence à l’Est et d’une opération intégrée dans la grille stratégique américaine du Major Regional Conflit ou conflit régional majeur. 1. Le renforcement de la coopération et de la stabilité dans la mer Egée Les frontières méridionales et orientales de la région de la mer Egée ont connu des transformations variées depuis la fin de la guerre froide. Cet état des lieux a permis à la Turquie de passer à un nouveau rôle géostratégique. Ses différends avec la Grèce dont ceux relatifs aux eaux territoriales de la mer Egée se sont accrus. La Turquie a obtenu des équipements militaires qui étaient en excédent à l’OTAN, et elle a organisé l’installation d’une base militaire dans la partie Nord de Chypre où 35.000 soldats turcs sont stationnés. Par ailleurs, dans les années 1990, le développement d’une option militaire par la partie sud de Chypre avec l’achat de missiles sol-air S-300 à la Russie dont 4 systèmes du type S 300 ou SA-10 (comportant chacun douze fusées ayant une portée de 160 Kilomètres) avaient provoqué la « crise des fusées ». Pour les États-Unis, le stationnement des S-300 à Chypre constituait une concurrence énorme pour le système américain Patriot. Le problème réel sera l’emploi de ces systèmes basés sur des radars exigeant une expertise russe ou la présence de spécialistes russes. Ce qui pouvait à ce moment-là fournir des renseignements importants à la Russie, sur l’ensemble de la zone Méditerranée orientale. Les États-Unis avaient antérieurement refusé de fournir à Nicosie une livraison de systèmes Patriot, car cela aurait encouragé une course aux armements dans cet espace méditerranéen vital pour les intérêts de l’Ouest. Il faut savoir que pour la Turquie, une fédération membre de l’Union Européenne avec deux zones démilitarisées serait la seule solution à long terme au conflit l’opposant à la Grèce. En juillet 1998, le ministre grec des Affaires étrangères avait informé les membres permanents du Conseil de Sécurité des Nations Unies que la question chypriote serait 170 réglée à l’automne 1998. Il était a craindre que loin de trouver une solution à cette crise, l’Union Européenne en n’approuvant pas l’adhésion de la Turquie ne provoque une aggravation du problème. La Turquie avait exécuté ses menaces contre l’Union européenne en annexant le nord de Chypre quand les pays européens ont accepté l’adhésion de Chypre de manière limitée, c’est à dire en n’incluant que la partie grecque. De plus, la stratégie militaire conçue en 1993 par la Grèce a provoqué un durcissement de la position de la Turquie sur cette question. La nouvelle doctrine grecque intègre le sud de Chypre à l’espace de défense grec. Ainsi, une flotte aérienne grecque avait été installée à Paphos, (sud de Chypre), en avril 1998. Cette base développe l’extension opérationnelle des avions grecs jusqu’à la partie méridionale de la Méditerranée. Les S-300 installés dans la base Paphos, au sud de Chypre permettraient une défense anti-aérienne en cas de conflit gréco-turc. Pour la Turquie, cela représente une menace pour sa côte méridionale et les terres d’Anatolie. Or cette zone est stratégique au regard de la Turquie car elle projette d’y installer un terminal pétrolier pour les oléoducs de l’espace caspien. Il faut noter que les États-Unis ont toujours condamné la course aux armements des pays sud-méditerranéens, mais ils n’ont jamais imposé à la Turquie de démanteler les dispositifs militaires importants qu’elle avait installés au nord de Chypre. Concernant la zone de la mer Caspienne, cette dernière a connu une grande évolution depuis l’effondrement de l’Union Soviétique, il y eu une instabilité qui a prévalu au niveau des pays de la région : la crise en Tchétchénie et la guerre en Afghanistan suivie de son bombardement par les forces alliées occidentales. Cette région représente une intersection entre quatre ensembles politiques différents : la Russie, l’Asie centrale, la Turquie et l’Iran. Les pays riverains de la mer Caspienne possèdent des ressources énormes de pétrole et de gaz qui doivent, pour leur transport, transiter par des pays ayant un accès à la mer Noire, le Golfe et l’Océan indien. Le caractère enclavé de la mer Caspienne n’exclut pas les convoitises énormes pour cet espace stratégique. Il faut savoir que les États-unis se sont concentrés sur le Caucase et l’Asie centrale dés l’effondrement soviétique pour imposer leur influence dans la ceinture méridionale de la nouvelle Fédération de Russie. 171 Les compagnies pétrolières américaines se sont installées en force dans la région Caspienne en rivalité puis en accord avec la présence russe au Caucase. La Russie tient à faire acheminer son pétrole et son gaz par le territoire russe de la mer Caspienne à la mer Noire, à la mer Méditerranée, et elle s’oppose aux projets d’oléoducs et de gazoducs du Pakistan et de la Turquie (destinés à l’Occident via la Méditerranée et aux pays du sud). Ainsi l’enjeu énergétique devient un élément clé de l’architecture sécuritaire de cette région à la périphérie de la mer Méditerranée. Le dialogue de l’OTAN sur les questions touchant à la dimension sécuritaire du commerce énergétique et de son utilisation a émergé comme un domaine important de l’initiative méditerranéenne entamée par l’Alliance atlantique avec les pays du sud de la Méditerranée23. Pour les alliés transatlantiques, la Turquie en tant que membre de l’OTAN doit être assurée d’une architecture sécuritaire particulière, les risques aux frontières turques pouvant affecter les alliés européens de la Turquie. En réponse aux achats grecs de S-300 et à la création de la base aérienne de Paphos, la Turquie a eu recours à l’achat de missiles israéliens, et a renforcé la base aérienne de Lefkoniko dans le nord de Chypre. Elle a développé un programme d’armement dit «Horizon élargi » qui doit permettre à la marine et à l’aviation turque de détruire toutes les voies de communication entre Chypre et Rhodes en cas de conflit gréco-turc. 2. Le développement de la contre-prolifération Il faut rappeler que les initiatives prises contre la prolifération des armements de destruction massive sont accompagnées du mécanisme de «mesures de confiance » (CBM ou Confidence Building Mesures). En fait, pour l’Occident, la culture de sécurité demeure différente dans les pays du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord de celle des pays d ‘Europe occidentale ou centrale. Aussi, les principes qui ont caractérisé la Conférence sur la Sécurité et la Coopération, ainsi que ceux relatifs à l’Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe (CSCE/OSCE) ont permis d’assurer la sécurité dans les pays occidentaux ; cependant, 23 In Ian O. Lesser, op.cit. 172 selon les alliés transatlantiques, cette expérience serait difficilement transférable aux pays arabes, car le climat politique et psychologique serait, selon eux, tout à fait différent. Pour les pays arabes, ce genre d’initiatives est prématuré tant que le processus de paix au Proche-Orient n’aura pas atteint son terme, car les problèmes de sécurité dans la zone Méditerranéenne sont interdépendants ; aussi les mécanismes de contrôle de l’armement et les mesures de confiance à réaliser peuvent être donc suffisants, actuellement, pour cette région de la Méditerranée. A ce sujet, il faut noter que le processus de contre prolifération inclut une combinaison de conditions politiques et de stratégies utilisant aussi bien des moyens procéduraux que militaires. Il faut savoir que les principaux traités ou régimes multilatéraux de contrôle de l’armement signés à ce jour sont les suivants24 : - Le protocole de Genève (1925) ; _ Le traité d’interdiction des essais nucléaires (partial test ban , PTB/1963) ; - Le traité de non-prolifération nucléaire (NPT ; 1968). - La convention d’interdiction des armes biologiques (BWC- 1972) ; - Le régime de contrôle de la technologie de missiles (1987) ; - La convention d’interdiction des armement chimiques (1993). La stratégie de contrôle des armements inclut, outre les traités de contre prolifération, des zones libres de WMD (Weapons of Mass destruction ou armements de destruction de masse), des doctrines de dissuasion, des stratégies de développement de défense active et passive, des déclarations d’intentions de soutien aux Etats qui ne possèdent pas l’armement de destruction de masse, des mesures de prévention de la prolifération des WMD, des mesures de confiance (CSBMs ou confidence building and security measures)25. Les mesures de confiance sont des instruments de prévention des conflits et de la guerre. Cette dernière initiative a été prise après la conférence de Barcelone sur le partenariat 24 Voir Michael Pugh, Maritime Peace Support Operations, The Mediterranean Politics, Vol. 2, Winter 1997. In Claire Spencer, Building Confidence in the Mediterranean, Mediterranean Politics, Vol.2, autômne 1997, pp. 23 à 48. 25 173 euro-méditerranéen (novembre 1995). Des rencontres ont été organisées pour préparer la liste de mesures de confiance et d’échanges d’informations allant en ce sens. Il s’agissait de développer des moyens pour la résolution des conflits existants entre des pays voisins ou des parties adverses, et surtout d’éviter le type de confrontation prévalant durant la guerre froide où les réseaux de communication habituelles étaient interrompus. Ainsi une politique de « voisinage » a été élaborée à partir d’une communication de la Commission européenne présentée en mars 2003 et précisée dans un document stratégique qui inclut l’ensemble des pays voisins du Sud et de l’Est de l’Europe. Il s’agit de l’élaboration d’un cadre commun esquissé depuis l’impact de l’élargissement vers l’Est et le développement du partenariat avec les pays du Sud en partant d’un constat : les pays voisins sont confrontés à des défis sécuritaires dont les causes sont d’origine, en vérité, économiques pour l’essentiel. La politique de « voisinage » veut régler les problèmes migratoires, le défi énergétique avec la stabilisation des régions productrices, la coopération transfrontalière, les défis économiques et ceux de la démocratie dans la région méditerranéenne26. Section 2. Le maintien de la paix en Méditerranée En utilisant les structures de l’Alliance atlantique en articulation avec celles de l’UEO, les alliés euro-atlantiques dépassent leurs divergences outre-mer. Ils viseront aussi une stabilité globale en assumant la tâche des opérations de maintien de la paix. Paragraphe 1. Le concept de sécurité globale L’idée de stabilité globale efface la notion traditionnelle américaine de stabilité hémisphérique de W. Wilson. La politique étrangère américaine se veut basée sur la nouvelle légitimité offerte par la lutte contre le terrorisme. Ainsi, cette légitimité de projection de puissance outre-mer est basée sur deux principes : assurer la présence américaine dans toutes les régions sensibles de la planète, et exporter l’économie du marché libre et de la démocratie, ainsi que la motivation apparente de l’humanitarisme. 26 Gilles Lepesant, L’Union européenne et son voisinage, vers un nouveau contrat, Politique Etrangère, 4/2004. 174 Il est évident que pour beaucoup d’observateurs la réalité demeure tout à fait autre, et que les États-Unis tiennent très peu cas du respect des Droits de l’Homme dans les pays du sud, et développent une politique unilatéraliste. Ce qui fait qu’à présent, des divergences apparaissent parmi les alliés transatlantiques, créant ainsi une brèche dans l’ancien consensus existant durant l’époque de la guerre froide. A. Une application de la théorie de Clausewitz Dans la pensée stratégique républicaine prédominante aux États-Unis, la théorie de Clausewitz demeure fonctionnelle ; elle implique que les stratèges ont une compétence politico-militaire qui est le fruit d’une longue carrière militaire et d’une expérience opérationnelle dans des conflits divers. Ces stratèges ont aussi pour fonction d’observer l’environnement non seulement extérieur mais également intérieur dans le but d’élaborer des codes de conduite en fonction des moyens existants et des menaces réelles ou potentielles. On peut constater que, déjà, dans les années 1980, le nombre des missions de peace keeping ou de maintien de la paix et de bons offices, était passé d’une dizaine de mission par an à une vingtaine de missions. Ces opérations concernaient surtout des conflits domestiques et relevaient de la responsabilité des Nations Unies. Le stratège américain W. Weinberger avait établi à ce sujet une check list ou liste de critères27 : - La présence d’un intérêt vital américain ou allié. - Le principe de l’action militaire comme dernier recours. - La définition d’un intérêt clair à vaincre face à la menace (clear interest to win). -Le soutien de l’opinion publique américaine pour entamer une nouvelle opération d’intervention, à l’instar de celle entamée après les attentats anti-américains de septembre 2001 ; - Un objectif précis et les moyens de les atteindre. En ce sens, les États-Unis ont une représentation stratégique des éléments fondateurs de la menace. En fait, le trait caractéristique de l’après-guerre froide sera qu’il peut y avoir des 27 In Jane’Intelligence Review, op. cit. 175 menaces sans meneurs, c'est-à-dire, l’existence d’un pouvoir de décision organisant une menace stratégique contre un autre décideur. Le nouveau type de menace peu être un anti-américanisme de base profondément hostile à l’existence d’un leadership unique du monde. La menace viendrait non plus d’un danger de guerre civile due à un seigneur de la guerre comme en Somalie et en ex-Zaire, mais d’un pouvoir du type qui était celui de Saddam Hussein, en Irak, et d’un ensemble d’alliances comprenant des gouvernements et des entités non gouvernementales aux intérêts communs et qui constituerait une opposition aux valeurs démocratiques occidentales. L’ennemi ou la menace serait donc une alliance dans la zone grise (grey Area) qui ne serait plus un "peer competitor", c’est à dire une menace globale du type de l’ex-URSS, mais un ensemble d’intérêts de pays contre les intérêts des voisins alliés aux États-Unis qui amèneraient les stratèges américains à engager deux guerres régionales comme programmées dans la « Bottom Up Review »28, ou une alliance de type politico-culturelle, comme éventuellement celle de la Chine sur l’espace culturel asiatique. Dans ce contexte, les opérations de paix des alliés transatlantiques s’organisent entre deux pôles : celui de peace keeping (maintien de la paix), cela au titre du chapitre six de la Charte de l’ONU, et celui de peace enforcement (restauration de la paix) au titre du chapitre VII prévu par les Nations-Unies. Ces opérations de restauration de la paix concernent les guerres de basse intensité (Low Intensity Conflicts, LIC). Il semble intéressant à ce propos de voir le cas de la réadaptation des forces de défense d’un des alliés euro-atlantiques, en l’occurrence, la France, face aux défis de la sécurité dans la région méditerranéenne. 28 La Bottom Up Review est le programme stratégique militaire de l’administration américaine dans les anéees 1990. 176 B. Un cas d’étude : les structures de commandement de l’armée française dans l’après-guerre froide Il apparaît utile de présenter à titre d’exemple une étude de cas : celui de la restructuration du commandement de l’armée française qui comme nous allons le constater s’est inspirée essentiellement du nouveau modèle stratégique de défense des États-unis29. Les valeurs hégémoniques américaines demeurent fondées sur une stratégie dominante qui est le produit déterminé du rapport de forces économiques, et de leur corollaire, le rapport de forces militaires dans l’après guerre froide. Les structures de commandement de l’armée française dans l’après-guerre froide A l’image de l’évolution des rapports de force en Méditerranée, il faut noter trois étapes chronologiques dans la formation de la nouvelle stratégie de défense française : la période 1959 à 1989, la guerre du Golfe, et le Plan Armées 2000 de juin 1989. Durant ces périodes historiques, les orientations fondamentales de la politique de défense de la France vont être définies30. Il s’agit d’une période marquée par la volonté des décideurs français de la reconquête de la souveraineté sur la défense et la diplomatie. Le rôle du Général De Gaulle, notamment, depuis la Ve république, peut être souligné. Le réaménagement des structures de commandement françaises, date de juin 1989, il montrait la nécessité d’adaptation à l’après-guerre froide. La guerre du Golfe sera l’élément stimulant du Plan Armées 2000 et de son prolongement. Cette réforme des structures de commandement françaises est simplement un alignement et une reproduction des modèles d’organisation du commandement des forces armées françaises sur le modèle américain. Les réformes ont ainsi abouti à la création, essentiellement, de l’EMIA, du COS, de la DRM et du CDAOA. 29 Le général américain Galvin, commandant du SACEUR et CINC, et de l’USEUCOM, en 1989 (commandement allié de l’OTAN en Europe), avait élaboré une définition de l’officier stratégiste: la discipline de cette formation devrait être intégrée dans le cursus académique militaire depuis le grade de sous-lieutenant à celui de général quatre étoiles. 30 Voir Ruiz Palmer Diego, Les structures de commandement françaises de l’après-guerre froide, Centre de recherche et des études sur les stratégies et les technologies, CREST, France, octobre 1995. 177 L’état-major interarmées de planification (EMIA) est situé immédiatement au-dessous de l’état-major des armées. Sa création intervient après la guerre du Golfe, et souligne la faiblesse des capacités opérationnelles antérieures de l’armée française dans les théâtres d’interventions d’outre-mer et de longue distance. Son objectif est la mise en œuvre sur demande des moyens des différentes armées, et notamment d’un poste de commandement interarmées de théâtre, déployable (PCIAT). Le Commandement des opérations spéciales (COS), en fait, correspond au Special Operation Command of USA. La Direction du renseignement militaire (DRM) correspond à la Defense Intelligence Agency américaine. Le Commandement de la défense aérienne et des opérations aériennes (CDAOA) est, depuis juin 1994, l’unique commandement opérationnel de l’armée de l’air. Il est responsable des opérations aériennes non nucléaires à l’intérieur et au-delà de l’espace aérien français, et couvre des opérations défensives et offensives de l’armée de l’air française. Cette programmation militaire de la France, dont l’architecte est l’amiral Jacques Lanxade, chef d’état-major des armées, de 1991 à 1995, vise fondamentalement une nouvelle force d’intervention pour une projection de puissance pour la décennie 2000, et porte sur les zones outre-mer31. La France voulait alors évoluer vers une convergence d’intérêts et d’objectifs avec les États-Unis avec pour justification la préservation de la sécurité de l’Occident dans le monde. La restructuration amorcée par le Plan Armées 2000 est la réalisation des concepts opérationnels et des structures de commandement de forces expérimentées par les ÉtatsUnis durant l’opération « Desert Storm » ou Opération du désert. Le principe est celui de l’interarmées, de la modularité et de l’interopérabilité des forces. Il correspond à l’exemple des groupements de forces modulables (adaptive joint force packaging) 31 Idem. 178 du Commandement interarmées US de l’Atlantique, un concept, rappelons-le, qui fut mis au point en 1993. Dans la terminologie Otan/UEO, cette adaptation des capacités militaires d’intervention est nommée « Actions internationales de prévention des crises ». Au demeurant, la nouvelle architecture sécuritaire française révèle avant tout la volonté de la France d’acquérir une position militaire mondiale, et cela à travers trois volets : 1. Au niveau national français, le Plan Armées 2000 permet une meilleure implication des forces françaises dans les opérations multinationales notamment au niveau du PCIAT, sous commandement français, la création d’un quartier général multinational en France pour la première fois depuis 1966, et la constitution de « réservoirs de forces » devant contribuer à une force interarmée multinationale faisant face à toute éventualité. En fait, on peut émettre l’hypothèse que le but de la France est d’influer sur la réforme de l’Otan pour réduire le poids jugé excessif des deux commandements suprêmes de l’Otan : Saceur et Saclant. 2. Au niveau de l’UEO : création de la cellule de planification de l’UEO, installée en France, qui vise, quant à elle, avant tout une position de commandement. C’est la finalité de sa participation interarmées et interalliés aux structures de commandement et de forces multilatérales. Pour cela, trois objectifs seront prévus : une organisation et des capacités de commandement autonomes de l’UEO avec l’incorporation des forces françaises dans l’EUROCORPS ; l’utilisation des quartiers généraux des GFIM/OTAN sous un commandement UEO, et enfin l’utilisation sous la conduite de la France du PCIAT, comme moteur des opérations de coalitions. 3. Au niveau de l’OTAN : la France voudra se donner les moyens et les instruments de sa nouvelle projection de puissance. En ce sens, elle évoluera vers une convergence stratégique des modèles d’organisation du commandement avec ceux des États-Unis32. Si la France accepte que l’Eurocorps soit sous le commandement allié dus Saceur, il n’en demeure pas moins que pour les missions de l’OTAN, elle refuse par tradition le commandement opérationnel allié de ses forces armées. Elle accepte le contrôle 32 Voir Bonface Pascal, L’année stratégique 2005, IRIS, éd. Armand Colin, Paris, 2005. 179 opérationnel de ses forces terrestres, aériennes et navales, dans la mesure ou elle voudra garder un poids au niveau de sa contribution militaire à l’Otan, tout en restant en dehors de celle-ci. A travers l’Otan-UEO et l’expérience des GFIM de l’Alliance, le commandement de l’armée française veut acquérir une familiarisation des procédures et une « pratique opérationnelle novatrice »33, et surtout une rationnalisation de la structure territoriale du commandement militaire. De plus, en renforçant la coopération entre les pays de l’UEO en matière de défense, il élargira également son domaine d’intervention, telle la force maritime de l’UEO, combinée avec l’Euromarfor mis sur place par l’Espagne, l’Italie et la France en mai 1995 qui sera le complément de l’Eurofor, sorte de noyau GFIM européen disponible sur appel et dont le quartier général est à Florence, en Italie. Ces opérations mèneront à une fusion de l’utilisation des quartiers généraux des membres de l’UEO, et de leurs états-majors de planification interarmées, et permettront ainsi à l’UEO d’éviter la création d’un quartier général militaire jugé financièrement inabordable. La question de l’EUROFOR/EUROMARFOR montrera la faiblesse de l’UEO qui l’amènera à se doter de nouvelles forces aériennes et maritimes ; il n’en reste pas moins que ce fait soulignera la supériorité militaire écrasante américaine, et celle des capacités GFIM/OTAN face à celles de l’UEO. Il faut noter que c’est dans le contexte des capacités limitées de l’UEO que l’interarmisation de la France prendra son importance, l’objectif visé étant le renforcement opérationnel de la projection de puissance française outremer. Paragraphe 2. Les « confidence measures building " (CMB) ou mesures de confiance Il faut rappeler que dans les années 1990, la Méditerranée redeviendra le focus ou centre de gravité important du cadre sécuritaire régional. La normalisation des relations occidentales avec l’Europe centrale et orientale va être une expérience positive qui va inspirer la nouvelle architecture sécuritaire en Méditerranée, au moment ou l’Alliance atlantique sous contrôle américain se redéploie sur le flanc sud. 33 Ruis Palmer Diego, op. cit. 180 A la suite de l’initiative de l’Union Européenne de partenariat euro-méditerranéen mis en oeuvre en novembre 1995, à Barcelone, le concept de CBM ou « Confidence Measures Building » (mesures de confiance) va être intégré dans la Déclaration sur le partenariat politique et sécuritaire. L’Alliance Atlantique et l’Union de l’Europe Occidentale (UEO) vont également l’inclure dans leur programme global et dans le dialogue bilatéral, enclenché avec les partenaires méditerranéens non membres de ces organisations. A. L’application des "mesures de confiance" ou CMB 1- Historique des CMB L’utilisation des mesures de confiance comme un instrument de coopération sécuritaire dans le contexte méditerranéen date, en fait, de l’Acte Final de la Conférence pour la Sécurité et la Coopération en Europe (CSCE). La corbeille une (Basket one) est un accord signé à Helsinki, en août 1975. Il porte sur des mesures militaires à envisager en pleine période de la guerre froide. Il s’agissait surtout d’établir une coopération entre les membres de l’Alliance Atlantique et ceux du Pacte de Varsovie. Il sera recommandé de notifier toutes les manoeuvres militaires pouvant être sujettes à une mauvaise interprétation venant de la partie adverse, et qui serait capable de favoriser une escalade des conflits. Cette mesure va inclure une invitation d’observateurs à des manoeuvres pouvant impliquer des troupes de plus de 25.000 hommes. Ces mesures de confiance étaient appliquées sur une base volontaire, et séparées des mesures de réduction des forces et des armements militaires. Au début des négociations, l’OTAN considérait les CBM en termes politiques plutôt que militaires: il s’agissait d’un concept nouveau d’ouverture des activités militaires. Pour les membres du Pacte de Varsovie, il fut en général argué que cette ouverture ou "openness" pouvait paraître comme une manière d’instituer une forme légale d’espionnage. Cependant, les mesures de confiances adoptées à Helsinki furent acceptées de manière limitée et sur une base volontaire et réciproque. Dans la mesure où l’application de ce concept visait la finalité de l’utilisation des armements, plutôt que l’importance ou la force des armements de chaque partie, les CBM 181 seront partie intégrant du processus de contrôle des armements dont l’objectif était la prévention des conflits. Au début des années 1980, la Conférence sur la Sécurité et la Coopération en Europe (CSCE) initia la tenue d’une conférence spéciale sur l’application des mesures de confiance et de désarmement en Europe. Elle aboutira à ce qui sera décrit comme la deuxième génération de mesures de confiance, détaillées dans le document de Stockholm de la réunion de la Conférence sur la Sécurité et la Coopération en Europe (CSCE) en 1986 . La notification des manoeuvres militaires sera limitée aux opérations concernant à l’époque seulement 13.000 hommes. Il y aura également l’obligation politique de recevoir des inspections sur le terrain. Cette mesure de vérification fut la première du genre dans l’histoire du contrôle des armements, elle fut appliquée dans le cadre de l’Organisation de la Sécurité et de la Coopération en Europe (OSCE), en 1997. Elle a permis l’échange d’informations plus importantes, et l’intensification de l’ouverture des activités militaires de la partie adverse. Elle aura aussi un impact direct sur le niveau général de l’activité militaire. La « corbeille trois » (Basket three) des accords d’Helsinki fut articulée avec celle des mesures sécuritaires. Elle incluait une dimension humanitaire nouvelle : celle de la dimension du respect des Droits de l’Homme. La seconde génération des mesures de confiance fut définie comme CMB ou Confidence Security Building Measures: le terme ajouté de "sécurité" élargissait le concept CMB(confidence building measures) à une dimension plus large à caractère politique économique et socioculturel. Le terme "socio-culturel" sous-entendra les néo-nationalismes de l’après-guerre froide. Cette deuxième génération de CMB va engendrer une préparation du terrain pour la signature de traités de réduction des armements. Durant les années 1990, l’ex-CSCE (actuellement OSCE ; Organisation pour la sécurité et la Coopération en Europe) va être progressivement supplantée par l’OTAN et l’Union Européenne comme forum de discussions des problèmes sécuritaires. 182 2. Les CMB en Méditerranée Les mesures de confiance initiées par ces organisations vont permettre de promouvoir un dialogue entre des adversaires opposés l’un à l’autre par une rivalité hégémonique régionale (tels les cas conflictuels de la compétition militaire entre l’Inde et le Pakistan, et antérieurement, celle opposant l’Argentine au Brésil, dans la décennie 1980). En Méditerranée, il s’agira entre autres, rappelons-le, de l’escalade de manoeuvres militaires et non militaires entre la Turquie et la Grèce. Dans le cas de Chypre, on peut noter l’intensité des initiatives américaines pour encourager des négociations entre les communautés adverses chypriotes grecques et chypriotes turques, cela depuis 1997. La motivation des États-unis était liée aux menaces des gouvernement grec et turc de contrecarrer tout projet d’expansion de l’OTAN et de l’Union Européenne vers l’Europe centrale et orientale, si leurs revendications respectives n’étaient pas satisfaites. L’initiative de renforcer l’architecture sécuritaire en Méditerranée date de 1984 quand, lors d’un séminaire organisé par la CSCE à Venise, l’ancien ministre italien des affaires étrangères, Giulio Andreotti proposera la création d’une Conférence sur la sécurité et la coopération en Méditerranée (CSM) dans laquelle seraient intégrée toutes les parties politiques du Bassin méditerranéen. Cette idée sera relancée en 1990, à la rencontre méditerranéenne de Palma de Majorque, sous l’impulsion des gouvernements italien et espagnol. Cependant, au regard de l’Otan, la prolifération des armes de destruction massive qui est plus accentuée dans son évolution que celle des armements conventionnels, provenait plus d’une menace Sud/Sud que de la crainte d’une attaque Nord-Sud. Les attentats du 11 septembre 2001 suivis du bombardement de l’Afghanistan et de la deuxième guerre en Irak prouveront par la suite l’erreur des analyses prospectives euro-atlantiques. En ce sens, le déséquilibre des capacités régionales, avec en l’occurrence le cas d’Israël qui ne veut toujours pas signer le traité de non-prolifération (TNP), ni reconnaître publiquement ses capacités nucléaires, va encourager ses voisins arabes à poursuivre l’acquisition accrue de moyens de défense34. 34 Boniface Pascal, op.cit. 183 Un manque de consensus prévalait quant à la manière d’articuler l’ensemble des enjeux sécuritaires en Méditerranée pour les inclure dans le processus d’initiatives multilatérales des CBM. Le fait inédit de la conférence de Palma fut la participation nouvelle de 8 pays qui n’étaient pas membres de la CSCE, dont cinq pays à titre d’observateurs (Algérie , Maroc ,Tunisie , Egypte ,Israël.). L’Algérie a été incluse dans les dialogues régionaux initiés par l’Union de l’Europe Occidentale (UEO) en 1992, mais pas dans l’initiative méditerranéenne lancée, en février 1995, par l’OTAN. En fait, elle ne sera intégrée dans les discussions sécuritaires avec les alliés transatlantiques qu’ à partir de l’année 200035. Dans l’ensemble, la promotion des mesures de confiance militaires en Méditerranée a été focalisée au niveau de l’échange d’informations sur des questions sécuritaires, et la définition des principes pouvant présider à la résolution ou la prévention des conflits dans la région. On peut cependant noter que l‘OTAN organisera dans le cadre de la deuxième étape de son dialogue avec les pays du sud-méditerranéen des rencontres biannuelles avec ses partenaires (Maroc, Tunisie, Egypte, Israël et Jordanie) dont l’objectif sera d’envisager la mise en place de forces régionales et internationales de maintien de la paix dans le Bassin méditerranéen, ainsi que l’échange d’informations sur le rôle de l’OTAN et ses activités en Méditerranée. Pour changer l’image négative de l’Alliance Atlantique produite par la guerre froide, l’OTAN va inviter des journalistes, des universitaires des pays du sud de la Méditerranée à assister à ses séminaires, à visiter les quartiers généraux de l’Alliance, et à suivre les cours dispensés par les écoles de l’OTAN. Cela, pour les personnes aussi bien militaires que L’objectif de l’OTAN a été de construire dans une première étape un processus réel de mise en confiance et de relations continues avec les pays du sud-méditerranéen.36 Le souci fondamental des alliés euro atlantiques est alors de montrer l’importance de la région méditerranéenne dans la construction sécuritaire de l’Occident. De nouvelles 35 36 Voir Ian O’Lesser, op. cit. In les publications du Collège de défense de l’OTAN à Rome, Research Branch, 2005. 184 formes de coopération militaire vont être initiées dans le but de renforcer les nouvelles relations institutionnelles. Ainsi, des troupes d’Egypte, du Maroc et de Jordanie vont participer aux opérations de l’OTAN (IFOR/SFOR) dans l’ex-Yougoslavie. Le principe sera de familiariser des troupes et des officiers qui n’ont jamais travaillé ensemble auparavant37. C’est aussi l’expression d’une philosophie issue des négociations du processus des CBM de la guerre froide qui considère ce genre d’opérations comme une occasion unique pour les forces armées de communiquer les unes avec les autres, quelles que soient les nations et les filières de formation militaire. Soulignons le fait que l’objectif de l’OTAN aura été d’adapter ces opérations aux mêmes normes d’activités que celles réalisées dans le cadre du partenariat pour la paix (PFP). Cela consistera en la formation et l’entraînement militaire pour les opérations de maintien de la paix et les relations civils-militaires. B. Activités euro-atlantiques Pour l’OTAN et l’UEO, les initiatives de paix en Méditerranée devaient renforcer tout développement politique pouvant intensifier la coopération sécuritaire dans la région. Ainsi, on peut citer les initiatives suivantes38: 1. Le programme de partenariat individuel (IPP) pour l’Albanie : une cellule de l’OTAN Ce programme a été établi dans le cadre du programme de partenariat pour la paix (PFP) en 1998, il a été renforcé dans le but d’établir un lien étroit entre l’OTAN et ses partenaires de l’Europe centrale et orientale. Le PFP a été renforcé conjointement, rappelons-le, avec la création du Conseil de Partenariat Euro-Atlantique (CPEA), sorte de forum de coopération dans le domaine de la sécurité et de la coopération. Ces initiatives avaient été prises à Sintra (Portugal), en mai 1998, quand les ministres des Affaires Etrangères de l’OTAN décideront d’aider l’Albanie et l’ex-République Yougoslave de Macédoine (reconnue par la Turquie) à faire face aux répercussions de la 37 38 Revue de l’OTAN, automne 1998. In Revue de l’OTA N, idem. 185 crise au Kosovo. Ainsi, le 1er juin 1998, la cellule va mettre en oeuvre le programme de partenariat individuel dans les domaines des télécommunications, du contrôle des frontières et des réfugiés. Elle va permettre également une coordination entre les programmes de l’OTAN et les programmes nationaux de l’Albanie de restructuration des forces armées, d’assistance et de formation. La cellule OTAN/PFP lancera également une programmation des exercices, et l’ouverture des centres d’entraînement de partenariat pour la paix. 2. Le partenariat pour la paix et la région des Balkans Dans le cadre du programme de partenariat pour la paix (PFP), l’OTAN a mis en place une coalition internationale et créé la force de mise en oeuvre (IFOR), ainsi que la force de stabilisation (SFOR) en Bosnie –Herzégovine (60.000 hommes dont 20.000 américains). Cette approche coopérative dans la gestion des crises fera suite au plan d’action du Conseil du Partenariat Euro-Atlantique (CPEA), à l’acte fondateur OTANRussie (consultation et coopération), et à la Charte de partenariat spécifique entre l’OTAN et l’Ukraine. Les force militaires multinationales mises en place par l’OTAN ont permis une gestion plus efficace de la crise en Bosnie-Herzégovine. Mais, elle auront surtout engendré un transfert de leadership de la paix d’un commandement français (dans le cadre de la brigade multinationale de la FORPRONU) à un commandement américain contrôlant les forces de l’OTAN (IFOR/SFOR). 3. Exercices des forces aériennes de l’OTAN dans les Balkans Les forces alliées du sud basées à Naples et à Vincenzia (Italie) ont effectué des exercices de vols aériens dans la région de l’Albanie et de la Macédoine depuis le début de l’été 1998. L’objectif des États-Unis était de mener des actions de reconnaissance et de surveillance, de montrer également la volonté de l’OTAN d’opérer des frappes aériennes contre les serbes au cas où la crise du Kosovo tendrait à s’intensifier.39 39 Parmentier Guillaume, op.cit. 186 4. Le partenariat méditerranéen euro-atlantique dans le domaine des forces amphibies L’importance des forces expéditionnaires s’est accrue au vu du conflit dans les Balkans et la gravité de la situation au Moyen-Orient. Les forces amphibies sont actuellement fréquemment utilisées dans les opérations de soutien de la paix (peace-support opesrations) ou PSOS. Cinq pays membres de l’OTAN, la Grèce, l’Italie, l’Espagne, et la Turquie, ainsi que la France sont directement impliqués dans les opérations en Méditerranée. Cependant, la puissance maritime amphibie principale demeure celle qui est fournie par la 6e flotte américaine. Le concept de Force Amphibie combinée méditerranéenne ou « Combined Amphibious Force Mediterranean » (CAFMED) fut appliqué dés novembre 1995 par le Commandement Suprême Allié en Europe. Elles devaient contrôler tous les débouchés maritimes de la région du Sud en cas de crise. La CAFMED sera utilisée par la STRIKEFSOUTH pour renforcer les forces amphibies multinationales de l’OTAN en Méditerranée. L’objectif était d’effectuer des opérations dans les cas de missions sensibles, notamment celles de maintien de la paix (PSOS). 5. Les opérations de soutien de la paix dans la Méditerranée, ou PSO La Méditerranée a été le théâtre d’opérations terrestres et navales de soutien de la paix le plus important dans l’après-guerre mondiale. Cela aussi bien dans le cadre de l’organisation de la supervision de la trêve des Nations Unies depuis 1948 (UNTSO ou UN Truce Supervision Organization), que dans le cadre des forces de l’OTAN et de l’UEO dans l’Adriatique, dans les années 90. Excepté les contributions égyptienne, jordanienne, française et italienne, cette région n’a pas été un terrain de recrutement pour les casques bleus. En fait, les pays occidentaux considèrent qu’il n’y a pas de « culture de maintien de la paix » dans cet espace vital, comparable à celle prévalant au niveau des pays du Nord. Bien au contraire, la région du Bassin méditerranéen apparaît comme un espace fertile de conflits 187 violents que les Nations Unies avaient coutume de régler dans le cadre du chapitre VII de la charte de l’ONU relatif aux actions à mener en cas de menace contre la paix, de rupture de la paix et d'acte d'agression. La Méditerranée fut ainsi le théâtre des premières missions dans les Balkans et en Palestine, elle reçut les premiers casques bleus après la guerre de Suez, et les premières contributions de troupes d’un membre permanent du Conseil de sécurité, le Royaume Uni, à Chypre40. Les forces de protection des Nations Unies (FORPRONU) sont également intervenues dans la région ainsi que les forces d’application de l’accord de Dayton (IFOR) dans les Balkans. Les forces des institutions transatlantiques (UEO/OTAN) ont joué également un rôle important avec la Standing Force Mediterranean (OTAN) dont le commandement est basé à Naples, en Italie. Ces opérations étaient faites dans le cadre du hors zones (out-of-area) qui, rappelons-le, sera une extension des structures de politique sécuritaire de l'Europe occidentale. Section 3. Mutation des relations transatlantiques L’après-guerre froide sera caractérisée par un mouvement de convergence sécuritaire qui s’exprimera par la coopération multinationale et une action américaine allant à contrecourant qui traduira une rivalité entre grandes puissances dans certains champs d’intervention stratégique. Dans ce contexte, les domaines de convergence sécuritaire en Méditerranée, puis ceux des divergences parmi les alliés euro-atlantiques seront fluctuants41. Paragraphe 1. Le concept de « Peace support operations » La convergence sécuritaire euro-atlantique va se manifester notamment dans les opérations de maintien de la paix ou Peace Support Operations (PSO) en Méditerranée. 40 41 Voir Soppelsa Jacques, op. cit. Voir Annuaire économique et géopolitique, L’état du monde 2003, éd. La Découverte, Paris, 2003. 188 A. Caractéristiques des opérations de maintien de la paix L’importance des PSO (Peace Support Operations) est fondée sur le complément d’aide qu’elles fournissent aux opérations menées au niveau terrestre. La plupart des revendications maritimes sont réglées par la signature d’accords. La majorité des revendications existantes sont liées à l’exploitation des ZEE ou zones d’extension économique, et ont un caractère de sécurité économique, ainsi les activités de pêche traditionnelle ont été des sources de contentieux à propos des fonds marins. A titre d’exemple, la Libye considère le Golfe de Sirte comme une baie intégrée à sa zone de sécurité économique et exerce à ce titre des droits continus. Le conflit sur la Mer Egée comme celui de Gibraltar et des enclaves espagnoles du Maroc est fondé sur des revendications territoriales. L’OTAN et les États-Unis exerceront des pressions politiques sur les Etats concernés pour que ces contentieux n’aboutissent pas à des conflits armés. Les opérations maritimes de paix agissent sur des troubles liés aux rivalités pour l’exploitation des ressources (pêche), le trafic ou marché noir, la pollution des eaux et le problème des flux de réfugiés, dû à des états de grande crise. Des problèmes qui ne risquent pas de provoquer une escalade militaire dans les zones maritimes concernées. Il faut savoir que la doctrine britannique du Directorat des obligations navales de 1995 a consisté à définir les tâches courantes applicables aux opérations de maintien de la paix. Ce sont les suivantes42 : - Le contrôle de l’espace maritime sujet à des sanctions ou à un embargo ainsi que la mise en application de ces mesures ; - La supervision du cantonnement des navires absents des opérations méditerranéennes. La présence de l’OTAN/UEO dans l’Adriatique avait déjà, dans les années 1990, dissuadé la flotte maritime yougoslave fédérale de quitter le port ; - La contribution de l’aviation à la réalisation de zones d’exclusion aérienne. 42 In Alberto Bin, Cooperation and Security in the Mediterranean, Publication of the Mediterranean Accademy of Diplomatic Studies, University of Malta, 1996. 189 - La contribution des hélicoptères dans les théâtres d’opérations des forces de maintien de la paix et d’aide humanitaire, comme dans le cas de la force de stabilisation en Bosnie (SFOR) ; - La contribution des forces amphibies aux opérations de maintien de la paix comme dans les cas de l’UNPROFOR, de l’IFOR et de la SFOR (support of the stabilization force); - La maintenance d’une capacité amphibie dans les théâtres d’opérations afin de permettre le retrait des forces de maintien de la paix et des civils comme cela s’est produit dans l’Adriatique ; - La fourniture des ressources logistiques, médicales et humanitaires quand l’accès terrestre est particulièrement difficile, comme cela fut effectué dans le cadre des opérations de l’ONU (UNTSO), et dans le cas de l’évacuation des palestiniens de Beyrout en 1982 ; - La fourniture d’une aide aux réfugiés telle que celle accordée pour les forces d’Albanie. - La prévision d’une plateforme neutre de négociations de paix telle que celle élaborée dans le cas des opérations UNTSO. - L’établissement des mesures pour contrecarrer la mise en place des mines ; - L’organisation de patrouilles pour protéger la liberté de navigation ou pour contribuer au respect d’un nouvel accord de paix. B. OTAN/UEO ou 1+1 Un rapprochement politico-militaire s’est effectué entre l’Union Européenne et l’OTAN au courant de l’année 1998. Ce nouveau processus de concertation a été baptisé 1+1 (Europe/ États-Unis). On constate que la France a notamment déployé une présence active au niveau des deux institutions. La position de l’Allemagne a été d’encourager le processus de négociation avec l’Alliance atlantique pour éviter toute confrontation dans une rivalité face aux intérêts américains. Il était escompté au niveau de l’Europe occidentale que la solidarité militaire euro atlantique se réaliserait quand la France intégrerait une partie de ses forces armées au sein de l’Otan comme elles le sont actuellement dans l’OSCE et l’UEO. 190 L’OTAN et l’Union Européenne joueront des rôles convergents et complémentaires dans le maintien de la stabilité dans le Bassin méditerranéen, ces convergences et complémentarités sont reconnues par les traités constitutifs de l’Union européenne43. L’article 7 du traité d’Amsterdam dispose que la politique étrangère et de sécurité commune de l’Union européenne est compatible avec la politique commune de sécurité et de défense arrêtée par l’Otan. Rappelons, à ce sujet, le consensus qui existe au niveau de l’Alliance atlantique quant à la réalisation de l’Identité européenne de sécurité, et que malgré l’appoint de l’UEO, l’Union européenne fera face à un déficit dans sa gestion sécuritaire (compétences humaines et expertise technique) par rapport à l’OTAN. L’OTAN aura en charge les problèmes méditerranéens qui seront souvent une source de divergences entre les membres de l’organisation. Tel a été le cas de la Libye supposée détenir un arsenal d’armes chimiques que certains stratèges aux États-unis souhaitaient détruire afin de phagocyter son programme d’armements non conventionnels comme cela a été effectué avec l’Irak. La décision libyenne, en janvier 2004, de démanteler son armement de destruction massive a coupé court à toute spéculation à ce sujet. - La cellule de planification de l’Eurocorps Afin de faire face aux besoins des missions futures de gestion des crises dans le Bassin méditerranéen qui pourraient être effectuées sous son égide, l’UEO a renforcé sa cellule de planification avec, rappelons-le, une section spécialisée dans le renseignement, une station d’exploitation des images de satellite- espion Hélios- , et un centre d’évaluation des situations de crises. Cette cellule de planification est une structure politico-militaire responsable de l’engagement et des exercices d’entraînement de l’Eurocorps. L’Eurocorps a mis en place également deux types de forces44. La première vise à exécuter des opérations de maintien ou de rétablissement de la paix dans des Etats qui seraient en crise où il serait question de montrer les capacités des forces européennes et 43 La France, la Grande-Bretagne et l’Allemagne vont conclure un accord, en décembre 2003, portant à la fois sur la constitution d’une capacité de planification et de conduite d’opérations européenne autonome (le QG européen), la mise en place d’un mécanisme de coopération et la clause de défense mutuelle. 44 In Schmitt Burkard, « L’Union européenne et l’armement. Quelle agence ? Dans quel marché ? »., Cahiers de Chaillot, Institut de sécurité de l’Union européenne, no 63, août 2003. 191 éventuellement de les utiliser. Cette force est de la taille d’une division mécanisée et comporte une brigade par pays. La deuxième force est du volume d’une brigade multinationale, son objectif sera de mener des actions humanitaires. L’Eurocorps sera programmée pour être le noyau dur des opérations de maintien de la paix ou de toute action humanitaire effectuée sous l’égide de l’UEO, mais sans la participation des États-Unis. N’oublions pas que l’Eurocorps a été crée en 1994 sur l’initiative franco-allemande au titre de l’article 5 de la Charte atlantique qui préconisait une intervention au profit d’un Etat européen qui aurait été agressé. Cela fit d’ailleurs l’objet de l’accord signé avec les commandements intégrés de l’Otan. Rappelons que la Déclaration de Petersberg (1992) avait déjà souligné le rôle opérationnel de l’Eurocorps. Par ailleurs, l’Organisation européenne est composée d’un corps d’armée européen comprenant des contingents français, allemand, belge, luxembourgeois et espagnol. Les missions de gestion de crise viseront aussi bien les actions de basse intensité (actions humanitaires) que le rétablissement de la paix. Ces opérations seront donc effectuées pour le compte de l’Union de l’Europe Occidentale (UEO). Dans l’ensemble, ce qui sera constaté par les pays du sud de la Méditerranée, c’est surtout le caractère essentiellement défensif des structures de l’UEO et de l’Alliance atlantique. Ce fait caractéristique a des implications directes sur l’évolution des arrangements sécuritaires dans le bassin méditerranéen ; quels que soient les niveaux de convergence ou de complémentarité entre les institutions euro-atlantiques, il apparaît un manque de consensus entre les pays occidentaux sur l’organisation de la coopération sécuritaire avec les pays sud-méditerranéens45. La divergence provient essentiellement de la vision stratégique différente des alliés transatlantiques, ainsi pour les États -Unis, la Méditerranée est une passerelle vers le Golfe et Israël ; pour l’Europe occidentale, la rive sud de la Méditerranée est un ensemble 45 In Dumoulin André, Mathieu Raphael, Sarlet Gordon, La politique européenne de sécurité et de défense (PESD). De l’opératoire à l’identitaire, Bruxelles, Bruylant, 2003. 192 géopolitique et économique fragmenté qui la concerne directement de par sa proximité géographique. Si la centralité de l’Otan en tant qu’organisation militaire de coordination pour les question de hard security (Défense) a été acceptée par l’ensemble des alliés transatlantiques, le problème du rôle futur de l’OSCE et de l’UEO ainsi que leurs responsabilités respectives vont connaître une évolution. La France aura été le seul pays à remettre en question la prédominance américaine dans la région en revendiquant le commandement sud AFSOUTH de l’OTAN. Elle aura également aidé à redéfinir les priorités de l’Alliance Atlantique dans la perception sécuritaire des menaces dans le Bassin méditerranéen46. L’attitude de la France est bien définie, elle demeure la seule parmi les pays membres de l’UEO à exprimer de manière spécifique son désir d’autonomie, d’une part, et de convergence euro-atlantique, d’autre part. Cependant, son refus d’une hégémonie américaine instrumentée dans le cadre de l’Otan ou d’un unilatéralisme américain sera également suivi par l’Allemagne et la Belgique. Paragraphe 2. Les champs et les limites de la compétition franco-américaine A titre de rappel, on peut noter que l’après-guerre peut être divisé en trois périodes : de 1945 à 1973, celle de l’hégémonie de l’Amérique, puis de 1974 à 1989, celle d’un déclin relatif des États-Unis, et de 1989 aux années 1990, une nouvelle stratégie de militarisation de la politique. Dans les faits, aussi bien au niveau de la doctrine stratégique que de l’organisation des forces militaires, l’Amérique vivra une véritable « Révolution des Affaires militaires » ou Revolution in Military Affairs. Le Pentagone dépensera en moyenne chaque année pour la recherche militaire plus de 40 milliards de dollars. Des jeux de simulation, des manœuvres et des exercices sont opérés pour adapter les stratégies et les tactiques militaires à la nouvelle donne technologique. En témoignent la restructuration des forces nord-atlantiques et les nouvelles projections de puissance organisées en Méditerranée depuis la guerre du Golfe, celle des Balkans, les bombardements contre l’Afghanistan et la volonté tenace de d’en découdre avec l’Irak, ce qui abouti en 2003 à l’occupation de ce pays. 46 Voir Fougier Eddy, Judt Tony, Le Guelte George, Defarges Philipe Poreau, Le monde et la puissance américaine, Le Débat, éd. Gallimard, ,mai-août 2003. 193 A un autre niveau, les États-Unis souhaitaient la constitution active d’un pilier européen autonome de l’Alliance Atlantique autour d’un noyau franco-allemand ; ce pilier pouvait éventuellement alléger l’Amérique du devoir de faire régner l’ordre par des interventions classiques en Europe. Pour la France, le débat ne sera pas nouveau, la vraie question qui demeurera en exergue sera : comment affirmer une autonomie réelle face à une autonomie sous leadership, telle que mise en œuvre par les États -Unis ? A. Les relations franco-américaines 1. Historique Dès 1947, l’Amérique voulait influer sur la reconstruction de l’Europe dans une direction ultra-libéraliste. Mais, l’aide au titre du plan Marshall qu’elle fournit pour importante qu’elle fut ne l’a pas été assez pour réaliser son souhait. La France et la Grande Bretagne s’opposeront à toute organisation économique pouvant favoriser une interdépendance étroite avec les États-Unis. A la différence de ses voisins européens, la France conservera une forte nostalgie de son ancien statut de grande puissance ; elle refusera l’hégémonie américaine à l’échelle mondiale47. Des années 1950 jusqu’à 1989, ce pays va développer une politique extérieure à un double niveau affermir sa diplomatie et promouvoir l’Europe comme acteur international. En renforçant la cohésion politique de l’Union Européenne, notamment dans les questions internationales, la France veut exprimer une vocation globalisante à cette Union et dépasser les limites d’une union douanière ou d’un marché commun. Dès 1950, le planificateur français Jean Monnet proposera un plan de progression à petits pas pour lier les économies européennes, mais les nationalismes de l’époque excluaient tout projet de fédération. Le principe était de développer un engrenage d’engagement dans la coopération sociale et économique qui aboutirait aux secteurs de politique étrangère et défense48. L’idée de 47 48 Voir Soppelsa Jacques, op. cit. Idem. 194 création d’une communauté européenne de défense deviendra un point de compétition féroce avec les États-Unis qui tenteront de la contrer sans succès49. Rappelons qu’en 1956, la France et la Grande-Bretagne organiseront l’expédition de Suez contre l’Egypte. Les États-Unis utiliseront l’arme économique en imposant un embargo sur l’approvisionnement en pétrole et le refus d’un prêt FMI qu’avait demandé Londres. La bipolarisation Est/Ouest avait permis aux États-Unis d’assurer la défense atlantique et leur leadership sur l’Europe de l’Ouest. Au début des années 60, le général De Gaulle va contester le principe du maintien de la France dans l’Alliance atlantique, et provoquer son retrait de l’organisation militaire intégrée de l’OTAN. De Gaulle refusait ce qu’il définissait comme étant une automaticité et une subordination vis à vis de l’Amérique. Il proposera en 1958, un directoire des principales puissances occidentales, essuyant un grand refus américain. Cependant, le projet de C.E.D. ou Communauté Européenne de Défense ne conviendra pas à la perception française de l’époque, et surtout à sa peur de l’Allemagne. Sur le plan économique, la politique d’unification européenne se poursuivra jusqu’en 1956 comme un champ de compétition avec les États-Unis, notamment dans le domaine du G.A.T.T ou General Agreement on Trade and Tariffs. La première communauté européenne à avoir été créée est la C.E.C.A, à Paris en 1951. Le président De Gaulle imposera, en 1965, une limite au développement du vote à la majorité et à l’accroissement des pouvoirs administratifs de la commission de Bruxelles. Le Marché commun qui connaît un embryon de formation dès le plan Schumann, en 1950 avec l’intégration des industries du charbon et de l’acier, va se développer graduellement jusqu’en 1992. Ce n’est qu’à cette date, qu’un « embryon » de gouvernement européen sera créé, cela pour reprendre l’expression de Jacques Delors. La France veut exprimer ses ambitions de puissance mondiale à travers l’Union Européenne, et contre la vision unipolaire du monde qu’ont les États-Unis. Samuel P. Huntington, politologue américain, auteur d’un 49 Voir Paecht Arthur, op.cit. 195 best-seller sur « le choc des civilisations », affirmait que si la communauté économique européenne (CEE) acquérait une véritable cohésion politique, elle disposerait des ressources, des populations, de la richesse économique, de la technologie et de la puissance militaire réelle et potentielle, suffisantes pour devenir au XXIe siècle la plus grande puissance mondiale. Pour Hungtington, si le prochain siècle n’est pas celui de l’Amérique, il est tout à fait plausible qu’il soit celui de l’Europe. L’économie européenne étant supérieure à celle du Japon, et à peine inférieure à celle des États-Unis. La part de l’Union européenne dans les exportations mondiales est de 20%, et va augmenter avec l’élargissement de l’UE, celle du Japon de 10%, et celle des États-Unis de 13,5%. Par ailleurs, il faut savoir que les forces armées européennes comptent 2,6 millions, celles des Etats-Unis, 2,2 millions. La modernisation des forces nucléaires françaises et britanniques produit plus de 12000 armes nucléaires depuis le début des années 90. L’Union Européenne, et la France à travers elle, voulaient s’imposer comme une avant garde au niveau des institutions internationales. La CEE en son temps avait permis à la France de renforcer son action extérieure et d’étendre son influence. Dans son ex-précarré ou espace africain, des aides seront accordées avec le dispositif de Lomé et les accords méditerranéens. Elle sera un partenaire important des relations internationales et influencera ses voisins européens sur la reconnaissance du droit du peuple palestinien à son autodétermination. Certaines questions de sécurité internationales provoqueront des sources de tension entre les États-Unis et la France, au sein de l’Alliance atlantique. Les États-Unis appliquaient un politique définie par Henry Kissinger, comme un globalisme non différencié ou undifferentiated globalism. La stratégie sécuritaire se devait d’être globale non seulement en termes économiques, mais aussi dans le choix des instruments pour appliquer les politiques occidentales. Rappelons que durant la guerre du Vietnam, De Gaulle voyait le rôle des Etats Unis comme celui d’une tentative de jouer le rôle de gendarme du monde, dans un ancien précarré de l’empire français. En pleine guerre froide, en 1973, Henry Kissinger opposera les intérêts globaux des États-Unis aux intérêts dits régionaux des pays européens. 196 Les paradoxes de la compétition franco-américaine sont illustrés par plusieurs cas dont celui de l’Algérie, où les entreprises pétrolières américaines et européennes se livrent une véritable concurrence. Il faut noter que les hydrocarbures représentent 97 % des exportations de l’Algérie, 30 % de son PIB et 60% de ses recettes fiscales. L’Algérie occupe le douzième rang mondial des pays producteurs de pétrole avec un sous-sol largement sous-exploité. Un potentiel que se disputent de plus en plus les grandes compagnies en association avec la Sonatrach en Algérie. Il faut savoir que plus de 90% des investissements américains et français s’effectuent dans le domaine des hydrocarbures. Depuis quelques années, la compétition entre Européens et Américains s’est élargie, car les États-Unis ont profité du ralentissement des investissements français, en Algérie, dans les années 1990, pour s’implanter, notamment, dans les domaines de l’équipement lourd et des services. Il faut souligner que les livraisons de gaz algérien assurent, aujourd’hui, près du quart de la demande française, tandis que l’Union Européenne représente 63% des exportations algériennes, loin devant les États-Unis (10,8%). Une tendance qui peut s’inverser au vu de la dépendance croissante des États-Unis en matière d’énergie. La consommation d’énergie aux États-Unis pourrait augmenter de 40% d’ici 2025. Signalons enfin que l’entreprise française Total obtiendra un permis d’exploration près de Timimoun. A titre comparatif, on peut citer un autre cas de compétition franco-américaine qui s’est manifesté de manière historique en ce qui concerne l’ex-Zaïre. Dès 1944, des accords secrets avait assuré la mainmise américaine sur les matières premières dont dépendait le domaine de l’armement nucléaire, dont l’uranium et le cobalt. Durant la confrontation Est-Ouest, les États-unis voudront déléguer la sous-traitance de la zone sud-saharienne à la France dans un but de complémentarité anticommuniste. En 1970, les États-Unis avaient concédé à la France une influence, sous prétexte d’une subversion soviétique menaçant Mobutu d’une sécession katangaise. La France s’opposera également aux États-Unis dans le domaine du désarmement. En 1958, lors de l’Arms control, ou politique de désarmement, qui lui apparaissait comme une promotion des intérêts des superpuissances dans la protection de la supériorité militaire et du monopole nucléaire, la France pensera que son intérêt particulier pour la constitution 197 d’un arsenal stratégique était compatible avec l’intérêt général et la démocratisation du système international. Pour les États-Unis, l’intérêt national français était incompatible avec l’intérêt général du désarmement. La France va refuser de s’associer au traité d’interdiction partielle des essais nucléaires, signé à Moscou, le 5 août 1963. Les essais français eurent lieu en Algérie avant cette date, et provoquèrent une condamnation unanime des Etats nouvellement indépendants. La politique française fut sévèrement condamnée aussi bien par les Étatsunis que par les Etats du Tiers Monde et les puissances occidentales non nucléaires. Il faut savoir qu’en avril 1967, la France refusera de signer le TNP. En fait, pour Georges Pompidou, il s’agissait de ne pas approuver un système dans lequel les deux puissances surarmées en moyens nucléaires organiseraient le désarmement des autres pays. Par la suite, Mitterrand critiquera l’opposition de De Gaulle à l’Arms Control et la constitution d’une force de frappe française, et sera favorable au désarmement. Tout en se ralliant officiellement à la politique de dissuasion, il condamnera la politique américaine de relance de la course aux armements. Cela, notamment, pour l’IDS (Initiative de Défense Stratégique, 1984), et l’annulation du traité ABM (missiles balistiques). Il faut rappeler qu’en 1991 la France signera finalement le TNP50. 2. La guerre économique franco-américaine Au vu d’une conjoncture économique mondiale incertaine, l’économie américaine s’adaptera mieux aux transformations que la France. Il est utile d’étudier le cas de la France au vu de son importance stratégique dans l’espace méditerranéen. Après une récession jusqu’en 1991, les États-Unis atteignent un taux de croissance de 4% contre 2% pour la France. La France est le 4e exportateur mondial et devient très dépendante du marché extérieur. La compétition franco-américaine sera plus intense qu’elle ne le paraîtra, car elle s’appliquera dans les secteurs où la France est très performante, et fait face à des moyens supérieurs américains. Les États-Unis ont un atout de taille dans la compétition internationale, celui du différentiel de productivité, vu que le coût du travail de l’industrie américaine a baissé de 55% en 10 ans pas rapport à l’industrie française. Les États-Unis 50 Voir Soppelsa Jacques, op. cit. 198 s’investisseront dans une deuxième révolution, après celle de l’informatique, celle de l’information numérique et virtuelle. Par ailleurs, les groupes américains seront en pleine restructuration pour s’accaparer des parts importantes du marché mondial, et contrer le déploiement économique français, à l’extérieur. La France comme beaucoup de pays Européens sera handicapée par l’absence d’une culture de l’information stratégique, et d’une économie défensive marquée par l’ancienne orientation d’un rapport du « faible au fort ». L’exemple le plus frappant de l’hégémonie américaine dans les secteurs compétitifs français sera le domaine de la branche aéronautique. Pour la première fois, depuis 50 ans la France affrontera une crise grave dans les années 1990, et cela à deux niveaux : au niveau militaire, la baisse des budgets de la défense dans le monde provoquera une baisse de plus de 50% des ventes de matériel aéronautique et spatial. Ainsi, pour les avions de ligne qui représentent, pour la France, l’essentiel du marché civil le montant des commandes avait régressé, en 1994, au niveau de celui de 1984. L’aéronautique demeure un secteur porteur d’un enjeu national dépassant les manœuvres seulement industrielles. A titre d’exemple, au niveau français, Airbus à participation majoritaire française va tenter de s’implanter avec succès aux États-Unis51. A la fin 2003, Airbus a renversé la domination de plusieurs décennies de Boeing sur le marché de l’aviation civile en vendant pour la première fois plus d’avions que son concurrent civil. A la fin 2005, Airbus a livré un total de 4130 avions à prés de 250 clients et a en carnet plus de 2000 avions grâce aux 1100 commandes reçues durant l’année. Pour sa 30e année, Airbus aura surclassé ses rivaux et est devenu le premier constructeur mondial d’avions civils52. Par ailleurs, dans une conjoncture difficile, la compétition sur le terrain militaire sera très rude. Elle se vérifiera dans la lutte entre l’avion de combat F18 de Mc Donnell Douglas et 51 Voir le site de la compagnie Airbus : www.Airbus. com Cependant, le parc existant de Boeing reste toujours le plus imposant incluant la flotte des Mac Donnell Douglas intégrée en 1997. 52 199 le Mirage 2000 de Dassault. Pour les Américains, un fait inédit se produira dans l’histoire aéronautique militaire, car dès 1998 les commandes étrangères d’avions de combat dépasseront de beaucoup les commandes intérieures : Boeing et Mc Donnell Douglas contrôlent près de 80% de la flotte aérienne mondiale53. La compétition francoaméricaine dans le domaine aéronautique va être exacerbée par la contraction des budgets de défense qui obligera chaque pays à vendre plus d’avions de combat à l’étranger qu’a ses propres forces armées durant les grandes négociations commerciales des années 9054. Pour une fois, l’Europe fera preuve d’une extrême unité face à la puissance américaine. Les États-Unis auront intérêt à normaliser cette compétition par l’intermédiaire de l’OMC (Organisation Mondiale du Commerce). Les frictions entre les Américains et l’Europe en général, où la France entre en première ligne, ne proviendront pas de conflits d’intérêts directs, mais des politiques menées envers les tiers. Le désir américain d’imposer un embargo à certains Etats avait été jugé par la France comme incompatible avec le principe de liberté du commerce. Si les considérations commerciales justifient des différences d’attitude envers l’Iran, l’Irak ou Cuba, il est aussi vrai que, pour l’Union européenne, ses intérêts géopolitiques dépassent le cadre régional. La France voudra renforcer son influence non seulement en Afrique Noire mais aussi au Moyen-Orient, au Maghreb et Asie du Sud Est. Par ailleurs, si les États-Unis exigent un décloisonnement entre la coopération militaire et la compétition économique, ils contraignent l’Union Européenne à s’aligner économiquement sur leurs priorités stratégiques. Il en sera de même pour les lois Helm-Burton sur Cuba, et Amato-Kennedy sur l’Iran, que la France refusera d’appliquer dans les années 1990. Il se produit donc une déconnexion croissante des activités économiques par rapport aux intérêts stratégiques. La France converge avec ses alliés sur l’idée d’un monde multipolaire depuis la chute de l’URSS, et perçoit difficilement la volonté américaine de s’imposer comme seule puissance mondiale. 53 Voir Foreign Affairs, idem. Le A830 d’Airbus a commencé à être exploité commercialement en 2005, et la firme de Seatle s’est lancée dans un nouveau programme d’envergure, celui du Boeing 7T7 qui doit déboucher sur sa mise en service en 2007. 54 200 La loi d’Amato, par exemple, menacera de sanctions les sociétés investissant dans le secteur des hydrocarbures iraniens. Les États-Unis ne pourront pas empêcher la signature du contrat entre l’Iran et le consortium conduit par la compagnie française Total, qui conclura un important contrat gazier avec Téhéran. Les compagnies pétrolières française (Total), russe (Gazprom) et malaysienne (Petrolium Nasional BHD), avaient annoncé, en septembre 1997, un investissement conjoint de deux milliards de dollars dans le gisement de gaz naturel offshore de Parsud, un des plus importants gisements d’Iran. Les États-Unis ne pourront pas également empêcher le retour à Téhéran des ambassadeurs européens. Ils seront amenés à chercher un compromis avec les capitales européennes. Dés le début de février 98, le Département d’Etat américain soulignera qu’il n’avait pas encore pris de décision finale sur la légalité du contrat gazier. Une autre querelle va apparaître à la Conférence économique du Proche-Orient à Amman, le 29 octobre 1995. Les États-Unis voulaient créer une « Banque pour le développement du Proche-Orient et de l’Afrique du Nord » dont le siège serait au Caire.55 La France et l’Allemagne vont s’opposer à la création de cette nouvelle institution, la considérant comme faisant double emploi avec les organismes dans la région. La France à travers le ministre français de l’Industrie, Yves Galland, s’étonnera que les promoteurs de ce projet ne figurent pas parmi les plus grands fournisseurs d’aide, alors que l’Europe a toujours contribué à hauteur de 32% au développement de cette région. La France va veiller à ce que la politique étrangère commune de l’Union Européenne favorise l’exception française dans le cadre méditerranéen, arabe et africain, cela à un moment où l’Union européenne, sous l’influence allemande, tendra à se détourner des pays du Sud. Dans le cas de la francophonie, la logique française de géopolitique divergera de celle de l’Union Européenne. Pour la France, l’espace économique francophone est un exemple formidable pour la création d’un marché pouvant permettre la conquête de zones non francophones. Ainsi, les Antilles peuvent être une porte ouverte sur l’Afrique Noire, l’Afrique du Sud et l’Amérique ; l’Indochine sur l’Asie ; Djibouti sur la mer Rouge et l’Inde ; et dans l’espace méditerranéen, le Liban sur le Machrek. La France veut 55 Voir Le Monde Diplomatique, octobre 1995. 201 entamer un processus de désenclavement économique au profit d’un redéploiement mondial. Les États-Unis apparaissent, à ce niveau, comme de véritables adversaires56. Cependant, si la compétition franco-américaine est âpre dans les domaines économique, commercial, et industriel, un rapprochement dans le domaine de la défense s’opèrera du fait des priorités géostratégiques occidentales de l‘après-guerre froide.57 Conséquence de la restructuration de l’Alliance Atlantique et de la redéfinition de ses missions, les nouveaux systèmes militaires mis en œuvre pendant la guerre du Golfe, et durant les combats en Bosnie et au Kosovo mettront en évidence les besoins nouveaux en matière de commandement des hommes et d’organisation du matériel. Ces nouvelles technologies mettent en exergue l’application de nouveaux réseaux d’information et de reconnaissance, des procédés qui vont provoquer une mutation profonde de la conception et de la conduite des affaires militaires. Les futurs théâtres d’opérations seront évalués, et leurs types d’affrontements analysés dans les laboratoires occidentaux. L’exigence d’efficacité militaire va requérir dorénavant une profonde coordination des alliés transatlantiques, et un dépassement des antagonismes nationaux européens. La position favorable de la France sur la proposition américaine de créer des Groupes de Forces Interarmées Multinationaux (GFIM) sera due essentiellement au fait que l’Union Européenne à travers son bras armé, l’Union de l’Europe Occidentale, ou UEO, va pouvoir disposer des moyens militaires américains pour mener des opérations à l’étranger sans une participation directe des États-Unis. B. Les relations dans le domaine de la défense On peut noter que dans le domaine militaire va s’opérer un compromis pour la sécurité internationale en contradiction avec les rapports de force économiques. Il s’agira alors d’appliquer le principe du burden sharing ou partage des tâches avec les alliés occidentaux. Cela, dans la mesure ou les intérêts vitaux des États-Unis ne sont pas remis en question. Les États-Unis voudront conserver leur hégémonie dans la maîtrise de la révolution technico-tactique, un domaine clé qu’ils refuseront de partager avec leurs rivaux. 56 57 In Védrine Hubert, Que faire avec l’hyperpuissance ? Le débat, éd. Gallimard, op.cit. Voir Le Monde, 5 décembre 1996. 202 Des nouveaux systèmes de défense aérienne intégrée seront mis au point aux États-Unis par des stratèges. En fait, la France va se considérer comme étant le pays européen le mieux préparé techniquement à ces innovations de défense aérienne. Elle préparera un rapprochement dans le système de reconnaissance US Star, capitalisable pour les forces françaises. La compétition économique opposant la France aux États-Unis peut être source de convergence dans certains secteurs. Pour la France, les affaires de sécurité internationale sont actuellement inséparables des techniques et des industries qui les produisent. A titre d’exemple, on peut noter que la politique de défense des États-Unis est basée sur des programmes industriels de grande envergure, tels que les satellites d’observation, les systèmes de reconnaissance et de défense aérienne antimissile. La rivalité francoaméricaine dans le domaine industriel a conduit les Français à se retirer du projet de coopération américano-européenne MEADS, concernant le système de défense aérienne élargie à moyenne portée. Il faut noter que la France acquiert de plus en plus une maîtrise de ces technologies, notamment avec les programmes de satellites Hélios I et Hélios II. De même, l’Europe consacre seulement 1,9 de son PIB à la « Recherche et Développement », contre 2,6% aux États-Unis. Le soutien public à la recherche par les crédits par habitant est 60% plus élevé aux États-Unis qu’en Europe. Une étude de la commission européenne montre que si la part de l’Union Européenne dans les publications scientifiques est supérieure à celle des États-Unis et du Japon, l’Union en revanche dépose moins de brevets que ses principaux partenaires. La France ne maîtrise pas suffisamment le processus de fabrication industrielle que les Etats-Unis et le Japon savent exploiter commercialement. La part d’autofinancement des entreprises françaises dans la R&D (Recherche et Développement) concernant ces domaines est de 35% contre 10% aux États-unis, ce qui justifie l’engagement industriel de l’État américain. 203 1. La nouvelle programmation militaire française On peut rappeler que les nouvelles structures françaises de commandement de l’après guerre froide, le Plan Armées 2000, ont été foncièrement inspirées du modèle militaire américain. La France a voulu se donner les moyens et les instruments d’une nouvelle projection de puissance et, dans cette perspective, elle évoluera vers une convergence stratégique dans les modèles d’organisation du commandement avec ceux des États-Unis. La France, du point de vue de la défense, voudra évoluer vers une communauté d’intérêts et d’objectifs avec l’Amérique avec pour justification la préservation de la sécurité de l’Occident dans le monde. Le 26 janvier 2006, dans son discours sur la stratégie militaire de la France, le président Chirac mentionnera que si « l’intégrité du territoire, la protection de la population et le libre exercice de la souveraineté » constituent la base des intérêts français, l’interdépendance croissante des pays européens devient un enjeu vital et rend nécessaire la « garantie de nos approvisionnements stratégiques et la défense des pays alliés ». L’inflexion de la doctrine nucléaire française se justifiera en cas de « très grave crise internationale où la capacité même… » de la France de « … fonctionner serait menacée »58. Au vu de la supériorité militaire écrasante US, des capacités GFIM/OTAN supérieures à celles de l’UEO, des forces navales de commandement dotées de moyens de transmissions spéciaux, et celles du centre de commandement et de contrôle aéroporté de l’US Air Force, la France visera à travers l’interarmisation de ses forces militaires, un renforcement opérationnel de ses capacités pour une meilleure projection de puissance. On notera que le sommet transatlantique de Bruxelles, en janvier 1994, consolidera le rapprochement franco-américain en matière de sécurité. Le gouvernement français va adopter une attitude plus pragmatique vis à vis de la coopération militaire avec les Étatsunis en participant aux préparations des missions de paix. Cependant, les États-unis demeurent opposés à l’émergence d’un système de défense uniquement européen qui 58 Le Monde, 26 janvier 2006. 204 pourrait déstabiliser l’OTAN, et donc le statut américain de superpuissance unique. Ils réitéreront la nécessité d’une présence substantielle en Europe, et le maintien de la cohésion à l’intérieur de l’Alliance. De manière globale, rappelons qu’avec la disparition du Pacte de Varsovie, l’OTAN sous contrôle américain restructurera son dispositif militaire en réduisant ses forces, et en organisant des unités multinationales soumises au commandement intégré pour renforcer le commandement et donc la primauté américaine. La zone OTAN va s’étendre à l’Europe de l’Est et, en articulation avec l’UEO, seule force européenne, intégrer les régions hors zones non intégrées dans le traité de Washington. Cependant, cette articulation OTAN-UEO impliquera que les forces européennes agiront à côté des GI’S américains, comme dans le cas de la guerre du Golfe (1990), et des frappes aériennes contre la Serbie (1999). Pour les États-Unis, l’articulation de l’UEO à l’OTAN ne rejoindra pas l’idée européenne de constitution d’une force de sécurité autonome, mais devra servir plutôt à combler les déficits en cas de réduction éventuelle des forces d’intervention. L’objectif de la France sera de tirer avantage de cette division du travail spécifique pour la sécurité collective afin d’étendre son influence de manière plus active en Afrique et au Moyen-Orient. Elle voudra capitaliser la modernisation de l’OTAN suivant le modèle américain, et en faire profiter l’UEO, et ses propres forces armées : mutation électronique des armements, matériels de simulation et de combats de nuit, informatisation de systèmes de communication, et de contrôle et de commandement. Les États-Unis vont améliorer l’intégration opérationnelle des forces européennes des sous-marins stratégiques aux forces conventionnelles. Les objectifs de la France dans la réactivation de l’UEO, dans les années 1990, sont de revitaliser une structure dans laquelle elle jouerait un rôle clé, aspect essentiel d’une motivation nationale française. Cependant, la France refusera l’hégémonie américaine en matière de contrôle sécuritaire du vieux continent et des hors zones. Elle voudra rééquilibrer les pôles de puissance et d’alliance. 205 En 1996, elle décidera de prendre pleinement part aux travaux du comité militaire de l’OTAN dans l’esprit de renforcer l’OTAN comme organisation de sécurité, de soutenir les États-Unis comme facteur de stabilité dans le monde, et d’exiger l’attribution du commandement Sud, AFSOUTH, situé à Naples, à un Européen. Il faut rappeler que la France exigera aussi la nomination d’un Européen au poste de commandement suprême de l’OTAN, en Europe, au SACEUR. Cependant, ses exigences ne seront pas partagées par ses partenaires européens. La France a pour objectif de se servir de l’instrument militaire pour affirmer l’existence d’une Europe unie, et surtout asseoir sa position internationale. Elle s’investira dans une initiative conjointe avec l’Allemagne, en 1994, en impulsant, rappelons-le, la création de l’Eurocorps, sorte de noyau dur d’éventuelles opérations de maintien de la paix ou de gestion des crises, effectuées sous le contrôle de l’UEO, sans la participation des États-Unis. Il faut rappeler qu’en 1995, elle mettra en place avec l’Espagne et l’Italie l’Eurofor/Euromarfor, des forces aériennes et maritimes qui constitueront une sorte de noyau GFIM européen, disponible sur appel. Ces forces militaires cibleront essentiellement le Flanc Sud de la Méditerranée. En fait, la compétition franco-américaine quels que soient ses espaces de confrontation ou de rapprochement, se nourrit d’une vision géopolitique différente et divergente. Pour les États-Unis, il s’agira de se réaliser dans la pratique de la sécurité collective. Pour la France, il s’agira de la survie de l’Europe face à un futur qui risquerait de lui échapper. 2. Les relations en Méditerranée La Méditerranée a pris au regard des alliés occidentaux une dimension géostratégique nouvelle réaffirmée par l’installation de dispositifs militaires hautement projetables. Cette ampleur du flanc sud sera démontrée par la guerre du Golfe, car il faut souligner que la Méditerranée demeure une passerelle pour toute intervention militaire ainsi que le contrôle des voies d’approvisionnement en énergie de l’Occident. Il faut rappeler que la présence américaine dans la Méditerranée avec sa 6e flotte, et son réseau d’alliances politico-militaires permet de ceinturer l’Europe et freiner toute velléité d’indépendance. La France, l’Italie et l’Espagne vont initier, en 1990, un processus de 206 rapprochement avec les pays du Bassin Occidental de la Méditerranée. La première conférence sur la sécurité et la coopération en Méditerranée se tiendra à Palma de Majorque. L’objectif sera de soustraire le Maghreb à l’influence américaine. Ce rapprochement aboutira à la conférence de Barcelone, en 1995. Au Moyen-Orient, le désaccord franco-américain sur la question des sanctions contre l’Irak et de la menace d’action militaire, fera que la ligne éditoriale du New York Times parlera du perfide allié français59. Selon la France, l’armée américaine disposerait d’une nouvelle génération de bombes, dites pénétrantes, qu’elle voulait expérimenter en Irak. Le maintien de l’embargo, la partition de l’Irak en zones d’exclusion, et ultérieurement la deuxième guerre contre l’Irak ont montré le rôle hégémonique des États-unis dans la région. Cependant les années 90 vont marquer une mutation de la situation politique ProcheOrientale au profit des États-unis et de leurs alliés dont l’Arabie Saoudite. Plus au Nord, les États-unis renforceront leur alliance avec la Turquie, et conserveront, l’Egypte, liée par des accords avec Israël. Dans l’espace maghrébin, les Etats-Unis, suite au de dialogue euro méditerranéen de Barcelone de 1995, vont lancer une Initiative de Partenariat américano-maghrébin et une Initiative de Dialogue de l’Otan avec les pays du Sud de la Méditerranée. La France veut équilibrer avec l’Union Européenne la puissance politique des États-unis dans la région. Mais, son influence politique demeure limitée, et ses relations surtout commerciales60. Au niveau du Maghreb, l’influence américaine est en compétition avec celle de la France. Les accords d’association de l’Union signés successivement avec la Tunisie, le Maroc et l’Algérie ne répondent pas aux attentes maghrébines. Le Royaume 59 Middle East Review, op. cit. Zbigniew Brzezinski émettait à ce sujet la réflexion suivante : « Fondamentalement, la France aimerait un monde dans lequel sa parole aurait un écho global, à travers une projection européenne. La plupart des français comprennent que, réduite à elle-même, la France est, essentiellement, une puissance moyenne. Mais si la puissance potentielle de l’Europe peut-être mise en œuvre, alors la France accèdera au rôle mondial auquel, clairement, elle aspire, et je pense que Chirac reflète cette vision », in Le Monde, 13 juillet 2004, p. 2. 60 207 chérifien ira jusqu’à souhaiter le renforcement de la présence américaine pour compenser le poids de l’Europe. On peut définir les relations Etats Unis/France comme une relation complexe. Le premier de ces deux pays est la première puissance mondiale, le second est un Etat moyen, à la puissance régionale, aspirant à demeurer un grand sur la scène internationale. Les deux ont peut-être en commun, l’absence de doctrine ou de stratégie à très long terme, car la polarisation Est-Ouest ayant disparu, la tendance actuelle des deux rivaux est d’agir plus par nécessité circonstancielle que dans le cadre d’une doctrine réellement élaborée. Mais, l’étude de cette relation de compétition et de complémentarité est typique des relations euro-atlantiques, et l’avoir prise comme cas d’étude nous a semblé pertinent et significatif, car il donne des repères importants sur l’évolution du partenariat euroatlantique dans la région méditerranéenne. 208 CONCLUSION DE LA PREMIERE PARTIE En conclusion à cette évaluation des forces transatlantiques en mutation dans la période de la fin de la guerre froide, on peut considérer que le vide doctrinal franco-américain est, en fait, aussi celui de l’Occident en général. La fin de la doctrine du containment de George Kennan, ou endiguement anticommuniste de la guerre froide n’a pas produit de consistance doctrinaire stratégique pour l’après-guerre froide, mais simplement une doctrine d’action dite « préventive » aux contours, il faut le rappeler, parfois dangereux pour la paix et la stabilité en Méditerranée.. Cela sera surtout la diplomatie du coup par coup ou la politique se fait commerciale sur un arrière fond de dispositifs militaires et de velléités de projection de puissance, cela au nom du maintien de la paix. En tout état de cause, et au vu du vide doctrinal de l’après-guerre froide, les alliés euroatlantiques vont développer dans leurs nouveaux concepts stratégiques, les principes de coopération et de dialogue. En fait, nombreuses auront été les initiatives multilatérales développées dans le Bassin méditerranéen depuis 1990. Ces initiatives de coopération et de dialogue de l’OTAN et de l’Union européenne en Méditerranée sont inhérentes aux néostratégies occidentales dans cette région et demeurent souvent caractérisées par des relations, parfois de convergence, parfois de tensions dues à la volonté de certains pays européens d’avoir leur propre vision sécuritaire autonome par rapport à celle des EtatsUnis. 209 DEUXIEME PARTIE L’Alliance atlantique : une perception rénovée de la Méditerranée 210 Depuis la fin de la guerre froide, la vision euro-atlantique du concept de sécurité s’est élargie, et tient compte à présent aussi bien du contexte économique, social, démographique qu’environnemental que les différents dialogues méditerranéens, dont celui de l’UEO de 1992, celui de l’OSCE, lancé à Budapest en 1994, et celui de l’OTAN, lancé en 1994, doivent prendre en considération. La représentation de l’environnement sécuritaire méditerranéen du 21ème siècle, telle qu’elle semble perçue par l’Alliance atlantique, est basée sur une évaluation des menaces d’un nouveau type. En ce sens, la mondialisation en cours depuis des années, aujourd’hui, favorise une généralisation des progrès technologiques qui se traduit dans le domaine de la défense par une possibilité accrue d’acquisition de moyens et de modes opérationnels des nations et des groupes sans identité nationale. Face à cet enjeu, le nouveau modèle organisationnel des forces euro-atlantiques est élaboré, rappelons-le, en fonction d’un environnement considéré comme marqué par l’incertitude et le changement. Les États-Unis et, à travers eux, l’OTAN, craignent de ne plus conserver le monopole des capacités de défense. Le rapport du programme de défense nationale américain élaboré en 1997, (en anglais, National Defense Panel ou NDP) et la nouvelle doctrine stratégique élaborée par le Pentagone en septembre 2002, évoquent les menaces futures suivantes : l’allonge opérationnelle, l’emploi d’armes de destruction massive, la guerre de l’information et le recours au terrorisme. Comme nous l’avons mentionné, cette doctrine se base sur l’action dite « préemptive » ou « préventive et anticipatrice ». Les États-Unis veulent minimiser les risques d’affrontements qui pourraient être défavorables à leurs intérêts sécuritaires1. Ainsi, les nouvelles projections de puissance 1 Il faut rappeler la décision du président George Bush de lancer le déploiement des forces américaines dans le monde pour adapter la défense des États-unis aux nouvelles menaces du type du 11 septembre 2001. Plus de 150.000 personnels militaires et civils vont être concernés par cette restructuration qui a été considérée comme la plus importante depuis la guerre de Corée. 211 intègrent le volet de l’action économique compétitive comme un modèle organisationnel pour une capacité d’adaptation permanente des forces armées. Ces dernières se doivent d’être performantes en matière de rapidité et de versatilité ; de même, elles se doivent d’être furtives. L’OTAN avait élaboré une stratégie de transformation inspirée du National Defense Panel et de l’Initiative de Réforme de la Défense2 mise en œuvre dès novembre 1997 par l’administration américaine. Les expérimentations actuelles ont pour objectif l’obtention d’une victoire finale dans tous les genres de conflit. Elles sont fondées sur le principe de l’asymétrie, soit la capacité de lancer des opérations avec des moyens variés. Ces modes d’opérations incluent l’exploitation des systèmes spatiaux et informationnels. A cela sont intégrées les actions diplomatiques et économiques, ainsi que les opérations d’informations permanentes permettant une promotion continue des intérêts de sécurité américains. Les États-Unis comptent maintenir le contrôle du commandement de l’OTAN. De ce fait, ils repensent leur appareil de sécurité nationale sur la base des éléments fondateurs de changements internes et internationaux. Leur objectif est d’atteindre une intégration totale des moyens sécuritaires et le réajustement du système des alliances auxquelles ils sont partie. Le principe se résumerait ainsi qu’il suit : penser globalement, agir localement. En tout état de cause, on peut noter que la politique sécuritaire euro-atlantique demeure globalement basée sur le double volet de la Hard Security (défense militaire) et de la Soft security (coopération et dialogue). Les néostratégies occidentales se veulent prospectives au vu des enjeux futurs. Nous examinerons successivement dans cette deuxième partie de notre travail, la vision prospective euro-atlantique notamment avec l’évolution du projet de l’Europe de la 2 Voir Le Débat stratégique, mars 1998, no 37. 212 défense, les initiatives de l’OTAN face au dialogue euro méditerranéen, puis enfin le positionnement des pays du Maghreb face à cette vision et à ces initiatives. 213 Chapitre IV La vision prospective euro-atlantique 214 Chapitre IV La vision prospective euro-atlantique La vision prospective euro-atlantique est caractérisée aujourd’hui par une perception différente de la stratégie de défense de l’Alliance atlantique, qui a été longtemps et demeure, aujourd’hui encore, l’objet d’une controverse aussi bien au niveau des institutions de l’organisation nord-atlantique qu’à celui des ÉtatsUnis. On peut constater que ce débat se situe à deux niveaux : - d’une part, certains décideurs occidentaux sont favorables à une option stratégique américaine prévoyant une présence physique militaire carrément offensive dans tous les espaces de crise allant des Balkans à l’Asie centrale ; - d’autre part, une tendance qui souhaiterait un peu plus de délégation d’un commandement allant de l’espace eurasien au flanc sud de l’OTAN, au profit de l’Europe1. « Dans cette organisation, Washington a tellement pris l’habitude de donner des ordres à recevoir au garde-à-vous par ses alliés que la moindre objection y prend la dimension d’une 1 Zbigniew Brzezinski note à ce propos : « Je pense que si la perception des États-Unis est négative dans les pays pauvres, et si la France y est mieux considérée, ce n’est pas tant à cause de la façon dont Chirac a dirigé la politique française qu’à cause d’une réaction mondialement négative aux politiques menées par Bush depuis le 11 septembre. L’Irak et, plus généralement le Proche-Orient se sont ajoutés au rejet du protocole de Kyoto, à celui de la Cour pénale internationale, etc. Par ricochet, cela sert l’image de ceux qui critiquent l’Amérique, parmi lesquels la France est au premier rang ». Le Monde, 13 juillet, 2004, p.2. 215 crise… »2. Dans les faits, la guerre du Golfe avec sa Tempête du désert, suivie de la guerre en ex-Yougoslavie et de celle opérée en Afghanistan, avec son flux de frappes aériennes, tout comme la guerre menée l’année 2003 par les États-Unis et leurs alliés contre l’Irak, donnent à comprendre la nature réelle des enjeux mis en œuvre dans la perception sécuritaire occidentale, inspirée essentiellement par les Etats-Unis, élaborée au nom de la paix et de la sécurité, mais de plus en plus écartelée entre une vision franco-allemande pacifique3 et celle anglo-saxonne, portée à être belliqueuse, sous le prétexte de la lutte contre le terrorisme et les armements de destruction massive. Section 1. La représentation stratégique euro-atlantique du monde L’Alliance atlantique conserve une représentation du monde caractérisé par la conviction américaine d’un monde futur imprévisible, cela au vu du fait inédit des attentats anti-américains opérés sur le sol américain en septembre 2001. L’expérimentation des crises engendrées par l’après-guerre froide va permettre le développement d’une pensée néo-stratégique dont l’objectif essentiel est, rappelons-le, de façonner le monde : « shape the world ». Tant au niveau des concepts que des doctrines, cette nouvelle pensée stratégique va être mise en oeuvre au niveau de l’OTAN. Sur le plan du volet doctrinal, la notion américaine de révolution dans les affaires militaires a mis en exergue l’électronique qui devient la technologie dominante et 2 Bernard Cassen, Intégration au-delà des contradictions, l’apparent affrontement transatlantique, Le Monde Diplomatique, septembre 2004. 3 La France, l’Allemagne et la Grande-Bretagne ont proposé aux Etats-Unis, en décembre 2003, que l’Union européenne dispose d’une capacité de planification pour des opérations européennes autonomes. Cependant, dans certaines circonstances, notamment lorsque l’opération projetée aura une dominante civilo-militaire, une cellule à vocation collective serait installée dans les locaux de l’actuel Etat-major européen à Bruxelles pour la conduite d’opérations autonomes. 216 semble même prendre le pas sur le nucléaire. Dans le domaine des concepts opérationnels, c’est le principe de la projection de forces qui est pratiqué, rappelons-le, avec les GFIM ou groupes de forces interarmées multinationales qui demeurent sous un contrôle américain (telle la SFOR en Bosnie). Du point de vue structurel, c’est le renouveau de l’Alliance atlantique étendue à l’Eurasie depuis la réalisation de trois objectifs cruciaux: - La création du partenariat pour la paix (PFP) ; - La signature des accords Russie/OTAN ; - L’initiative de dialogue de l’OTAN pour la Méditerranée. Dans ce contexte, l’Union européenne tente de s’imposer sur la scène internationale, cela avec sa culture de la négociation qui fait d’elle un acteur indispensable face aux Etats-Unis et à leur perception des enjeux sécuritaires. L’Union européenne a évolué avec son élargissement aux pays d’Europe centrale et orientale, et le projet d’adoption d’une Constitution au courant de l’année 20044. En fait, les implications des attentats du 11 septembre pour la sécurité du monde ont permis à l’Union de rendre plus opérationnelle sa politique étrangère et de sécurité commune (PESC) et de mettre en opération sa politique européenne de sécurité et de défense (PESD) dés janvier 2003. Pour l’Europe, la conception sécuritaire n’est pas basée sur la notion d’ennemi qu’il faut anéantir à tout prix, mais l’ennemi est plutôt considéré comme une partie avec laquelle il faut négocier. Ces caractéristiques sont importantes pour comprendre le positionnement de l’Union européenne après les attentats du 11 septembre. Elles soulignent le fossé culturel qui existe actuellement en matière de 217 sécurité entre les deux rives de l’Atlantique. Pour les stratèges nord-américains, il faut cesser de faire comme si les Américains et les Européens avaient une vision commune du monde. Cependant, dans les faits, il apparaît que l’OTAN intégrée et l’Union européenne deviennent une « communauté de sécurité » basée sur un réseau de mécanismes institutionnels et informels qui devraient aider à la solution des conflits quand ils se produisent. Depuis 2003, la PESD a permis l’initiation de plusieurs opérations telles que le maintien de la paix, les services de police, les réformes du secteur sécuritaire, l’état de droit et les objectifs de surveillance. Un personnel de 8.600 personnes a été déployé dans ce cadre et le coût des opérations s’est élevé à 260 millions d’euros5. Il faut rappeler que lors de la réunion informelle des ministres de la défense de l’OTAN, le 10 octobre 2000, à Feira, cinq principes avaient été retenus : - Consultation et coopération entre l’Union européenne et l’OTAN en respectant l’autonomie de décision des deux organisations ; - Transparence en matière de décision face aux crises ; - Nature différente de l’UE et de l’OTAN ; - Egalité entre les deux organisations ; - Pas de discrimination à l’égard des Etats membres des deux organisations. Il en est de même pour les relations de l’OTAN avec l’UEO, la participation de l’OTAN se fait dans le cadre d’une consultation et d’une coopération transparente et met à profit les mécanismes existant déjà entre l’OTAN et l’UEO. 4 Le Sommet, organisé sous la présidence italienne au mois de décembre 2003 pour avaliser le projet de Constitution élaboré sous la direction de l’ancien président français, Valéry Giscard d’Estaing, a été un échec. 5 In Art Robert, The national security strategy : implications for transatlantic security policy, NATO Defense College, Research Branch, november 2005. 218 Sur un plan plus global, pour l’administration de George W.Bush, la perception de la sécurité planétaire est essentiellement militaire6, il s’agit de défendre la paix par la force des armes. C’est au nom de cette conception que les Etats-Unis ont décidé d’anéantir le régime de Saddam Hussein. Pour sa part, l’Union européenne préfère favoriser la persuasion par le dialogue plutôt que la coercition dans la gestion de la sécurité globale. Il faut noter que ce sont les européens qui, en Afghanistan, au Timor, en Sierra Leone, au Kosovo, en Bosnie-Herzégovine, en Côte d’Ivoire, ont réalisé un important travail de maintien de la paix. Cela confirme la répartition des tâches entre alliés, une répartition antérieure au 11 septembre 2001. Par ailleurs, les pays récemment membres de l’Union européenne dont certains sont déjà membres de l’OTAN, ne suivent toujours pas la perception sécuritaire que les Etats-Unis veulent imposer à l’OTAN ; ce nouvel élément a renforcé l’idée d’une défense européenne autonome avec leur adhésion à l’UE en 2004. Il faut souligner par ailleurs que la convocation de la Convention sur l’avenir de l’Union a été décidée lors des réunions du Conseil européen les 14 et 15 décembre 2001. Un traité a été élaboré instituant une constitution pour l’Europe chargés de doter la future conférence intergouvernementale de mécanismes de réformes. Ce projet de Constitution, ainsi qu’indiqué plus haut, a été rejeté par certains pays européens dont la France pour certaines divergences sur des questions de politique intérieure. Par ailleurs, depuis les attentats du 11 septembre 2001, les tâches de l’OTAN se sont multipliées et ont exigé une riposte adaptée et souple au problème du terrorisme. Ainsi, l’Alliance a renforcé sa coopération avec l’Union européenne 6 En fait la distinction entre l’Afghanistan et l’Irak marque la différence de perception entre la France et les EtatsUnis sur la façon de réagir au 11 septembre 2001. La guerre en Afghanistan signifiait aller à la source des attentats dans un contexte de la solidarité euro-atlantique. La guerre en Irak, par contre, va étendre l’amplitude 219 en Méditerranée, dans l’ex-république yougoslave avec l’opération Concordia, et avec la Russie dans les Balkans. Déjà, lors de la rencontre des ministres des affaires étrangères euroméditerranéens à Stuttgart (1999), l’Union européenne avait adopté cinq instruments de prévention des risques : - Renforcement du dialogue politique ; - Diplomatie préventive ; - Constitution de mesures de partenariat ; - Gestion des crises et mécanismes d’actions conjointes ; - Mesures pour améliorer la coopération régionale et le bon voisinage. Paragraphe 1. Typologie des conflits dans la grille conceptuelle euroatlantique La nouvelle classification des crises considère trois types de conflits en fonction de leur intensité7: - Conflit de Haute Intensité : guerre du Golfe ; conflit israélo-arabe ; guerres civiles en Afrique (les Grands Lacs) ; guerres dans les Balkans ; guerre en Afghanistan/ guerre en Irak. - Conflit de moyenne intensité : problème d’autodétermination, comme la question du Sahara Occidental entre autres ; - Conflit de basse intensité: terrorisme international, flux d’immigrants, criminalité, trafic de drogue. territoriale de la guerre contre le terrorisme avec des répercussions négatives sur la base d’une décision américaine unilatérale. 7 In Le Débat stratégique, op. cit. 220 A. La perspective des conflits de haute et moyenne intensité La doctrine américaine des conflits de haute intensité est intéressante à évaluer car elle est une projection du futur concernant les crises locales prévalant dans le tiers monde, mais dont les implications influent au niveau sécuritaire régional et global. Le succès de la projection de puissance dans ces zones dites grises requiert aujourd’hui cinq impératifs inscrits dans les standards des interventions américaines : la prédominance politique, l’unité d’effort, l’adaptabilité, la légitimité et la persévérance. Cela implique dans l’avenir une maîtrise de la guerre psychologique qui est l’élément essentiel du concept de conflit de haute intensité. L’analyse de cette conception américaine qui s’applique aux pays du flanc Sud met en exergue la manipulation de l’opinion publique par l’influence des mentalités, principe clé de la guerre psychologique. Cette doctrine stratégique est basée sur les deux champs d’application du conflit de haute intensité : - le type A. Il concerne le maintien de l’ordre à l’intérieur des Etats en cas d’actes terroristes, de subversion ou de révolution. - Le type B. Il implique trois catégories : la contre-insurrection, la défense étrangère interne (en anglais : Foreign internal defense), et la pro-insurrection. L’élément pro-insurrectionnel apparaît comme l’autre face de la contreinsurrection et a consisté à développer des guérillas anti-communistes dans les pays du tiers monde. La Foreign internal defense (FID) consiste à empêcher les mouvements de guérillas hostiles à prendre le pouvoir ; la pro-insurrection vise à renverser des gouvernements révolutionnaires afin de prendre le pouvoir. Les tactiques varient 221 d’une catégorie à l’autre, mais les principes politiques fondant ces deux activité sont globalement identiques. Les actions contre-terroristes sont de la responsabilité majeure de l’armée. Là il y a deux fonctions majeures, celle de l’anti-terrorisme basée sur une tactique de dissuasion des actions de terrorisme et de réduction de la vulnérabilité des cibles potentielles, et celle du contre-terrorisme qui désigne des actions offensives pour combattre non seulement les groupes terroristes mais aussi les gouvernements qui les soutiennent, et qui sont considérés comme l’axe du mal. Les opérations de maintien de la paix (en anglais : peace time contingency operations) incluent les opérations imprévisibles en temps de paix, et auxquelles il faut répondre immédiatement. Ces activités sont limitées au tiers monde, et comprennent également les opérations menées contre le trafic de drogues. B. Quelques cas d’études Les forces militaires programmées dans ce type de conflit (high intensity conflict) sont divisées en trois groupes : il y a les forces spéciales des armées, les divisions d’infanterie légère, et les forces de projection de puissance (power projection force). Il faut noter que ces forces militaires existent déjà au niveau du Pentagone. Elles sont entraînées spécialement pour tout un éventail d’interventions possibles dans les pays du Sud en fonction de tous les scénarios de haute et moyenne intensité. La vision prospective de l’Alliance atlantique avait désigné, dans les années 1990, le flanc sud comme étant le champ de bataille des troupes américaines et de leurs alliés. Durant la décennie 1980, le département de la défense américaine avait déjà créé des divisions d’infanterie légère et des troupes d’élites équipées et entraînées spécialement pour réagir dans les plus brefs délais dans des cas de scénarios appliqués aux zones dites grises (grey areas) des pays du Sud. 222 On ne peut pas considérer que le Maghreb soit inclu dans cette grille de conflits malgré, rappelons-le, l’état des lieux suivant : en premier, le conflit du Sahara occidental qui ne trouve toujours pas de dénouement véritable et peut influer sur l’équilibre régional ; en deuxième lieu, les contentieux existant entre le Maroc et l’Espagne (îles de Ceuta et Melilla, et ilôt Persil, bien que ce dernier contentieux soit des plus mineurs) ; par ailleurs, la situation interne des pays maghrébins avec les crises socio-économiques locales nourrissant la montée du fondamentalisme religieux dans cette région, en particulier en Algérie où le terrorisme sévit toujours. De même, des attentats terroristes à Casablanca ont montré que le Maroc n’est pas à l’abri de la violence islamiste. Malgré tous ces éléments, la nature privilégiée des relations des pays du Maghreb avec l’Europe exclut raisonnablement toute éventualité d’intervention occidentale de ce type. Il faut souligner le fait que les perspectives concernant les futurs conflits dans lesquels l’OTAN risque d’être impliquée se situent au niveau des conflits de haute et moyenne intensité. La doctrine militaire américaine a trouvé ses champs d’application dans les cas de la guerre du Golfe, dans celle des Balkans, de l’Afghanistan et de l’Irak. L’idée de base est que les Etats-Unis ne pourront maintenir leur statut de superpuissance que s’ils maîtrisent la capacité de dominer n’importe quelle puissance pouvant menacer leur accès à toutes les zones d’intérêts critiques8. En témoigne la mauvaise volonté américaine durant le premier semestre 2003, à persister à considérer l’Irak comme un pays dangereux, car supposément possédant des armes de destruction massive, alors que Hans Blix, président de la Commission de contrôle, de surveillance et d’inspection de l’ONU, et Mohamed 223 El Baradei, directeur de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), avaient affirmé, le 14 février 2003, devant le Conseil de sécurité de l’ONU qu’aucune arme de destruction massive n’avait été détectée en Irak9. Les autorités irakiennes avaient coopéré pleinement sur les questions de forme, et avaient permis l’accès sans entraves des inspecteurs de l’ONU à toutes les installations irakiennes. Il ne restait plus que les questions de fond à régler, soit des preuves crédibles sur la destruction des arsenaux d’armes interdites présumées en leur possession. On peut se poser la question de savoir pourquoi les États-Unis ont contourné facilement le problème de la Corée du Nord qui se targuait de posséder l’arme nucléaire, et ont exprimé une obsession particulière à annihiler le régime irakien, déjà meurtri par la guerre du Golfe, et une dizaine d’années de très strict embargo aux conséquences terriblement éprouvantes pour la population. Il est exact que les enjeux pétroliers sont énormes du fait que l’Irak est regardé comme possédant, après la Russie, les deuxièmes réserves mondiales du monde. Malgré la désapprobation des opinions publiques internationales, l’Amérique établit, par une situation de fait, une tyrannie mondiale où des enjeux en rapport avec des questions de récession économique interne deviennent l’objet d’une politique étrangère unilatérale, et en violation du droit international, et de la volonté des Nations Unies. Il faut noter que les États-Unis assignent la majorité de leurs troupes à des opérations de haute intensité telle que l’opération Iraqi Freedom et Enduring Freedom alors que les troupes des forces européennes sont de manière dominante assignées à la gestion de crises et aux opérations de maintien de la paix telles que ISAF et KFOR10. Le personnel américain destiné à de telles opérations au niveau 8 Voir Parmentier Guillaume, op.cit. In Blix Hans, Irak, les armes introuvables, Paris, Fayard, 2004. 10 Voir Gustav Lindstrom, EU-US burden sharing : who does that ? Chaillot Paper, no 82, EU Institute for security studies, September 2005, Paris. 9 224 mondial est de 169.000 personnes dont 148.000 réservées à l’opération Operation Iraqi Freedom avec des coûts opérationnels s’élevant à plusieurs centaines de milliards de dollars11. Pour ce qui est du conflit israélo-palestinien, il faut noter la position européenne qui a toujours été divergente de celle des États-Unis. Ainsi, le Sommet de Barcelone, en mars 2002, a été une opportunité pour l’Union pour se positionner sur le dossier du Proche-Orient. Il sera estimé que l’Autorité palestinienne en tant qu’autorité légitime devra lutter contre le terrorisme, que les forces militaires israéliennes devront se retirer des zones sous contrôle de ladite Autorité de manière à favoriser une solution politique au conflit. Le Conseil européen proposera le placement d’observateurs tiers afin de réduire les tensions et d’atteindre l’objectif de création d’un État palestinien démocratique, et de reconnaître le droit d’Israël à avoir des frontières sures. La victoire du Hamas aux dernières élections législatives12 de janvier 2006 va changer cependant les donnes du débat sur cette question. Le nouveau parlement ou Conseil Legislatif Palestinien (CLP) est dorénavant dominé par le Hamas avec un gouvernement d’union nationale incomplet vu que le Front populaire de libération de la Palestine (FPLP) a rejeté les propositions du Hamas du fait de divergences de fond notamment la reconnaissance dans le programme du Hamas de la suprématie de l’Organisation de la libération de la Palestine (OLP) qui stipule le principe de deux États palestinien et israéliens vivant côte à côte. Le nouveau gouvernement risque l’isolement vu que les occidentaux exigent la reconnaissance de l’État d’Israël et l’arrêt de la lutte armée. Pour ce qui concerne la grille des conflits de différente intensité, il faut noter que la doctrine euro-atlantique fondée sur le concept de conflit de haute ou de 11 12 Idem Au CLP, le Hamas dispose de 74 sièges contre 45 pour le Fatah sur un total de 132 sièges. 225 moyenne intensité concerne tous les conflits de nature non classique ou non nucléaire (ne concernant pas des guerres du type des deux guerres mondiales ou des guerres entre superpuissances). Ce concept des différents types de crises est inspiré des scénarios (en anglais : field manuals) élaborés par les experts du Pentagone pour le quartier général de l’OTAN, à Bruxelles. Il s’applique à tout un ensemble de conflits allant de l’action anti-terroriste ou anti-insurrectionnelle à la guerre limitée. Contrairement à ce qui apparaît comme une nouvelle doctrine destinée aux horizons 2010-2020, le conflit de haute et de moyenne intensité n’est pas une nouvelle forme de guerre ou de crise non balisée par le droit international, mais simplement une nouvelle méthode d’inspiration anglo-saxonne permettant aux forces militaires américaines et alliées de poursuivre des objectifs politiques et économiques précis dans un environnement international en mutation, cela en fonction de l’importance géopolitique de la zone ciblée dans les pays du Sud. 1. La guerre contre la Serbie La situation dans les Balkans a légitimé, peut-on dire, au regard de l’opinion internationale, les frappes aériennes contre la Serbie au mois de mars 1999. L’action de l’OTAN contre la Serbie en déclarant viser la paix et la stabilité de l’Europe, a failli créer une situation incontrôlable qui aurait pu aboutir à une guerre multiethnique dans tout l’espace balkanique. L’emploi de la force contre Belgrade a intensifié le conflit qui a touché le Monténégro. Cette violence et son corollaire de flux de réfugiés évalués à plus de 80 000 personnes ont porté à 12 % la proportion de la population réfugiée au Monténégro. Il faut souligner le fait que les frappes aériennes contre la Serbie ont engendré une véritable catastrophe humanitaire avec l’expulsion de centaines de milliers d’albanais du Kosovo. 226 Rappelons que c’est la première fois depuis la deuxième guerre mondiale qu’une capitale européenne, Belgrade, devient la cible de frappes aériennes. L’OTAN a ciblé les sites stratégiques dont le ministère de l’intérieur, l’Académie de Police, des dépôts d’essence, une raffinerie, des centrales de chauffage urbain, des aqueducs, la résidence présidentielle de Milosevic, etc. L’Alliance atlantique a voulu détruire ainsi l’appareil politique et l’état- major des forces serbes. Par ailleurs, on notera que l’Albanie qui demeure le pays le plus pauvre de l’Europe avait reçu 300000 réfugiés, alors que sa propre population était alors de 3,5 millions de personnes. Une situation qui s’avéra difficile à contrôler. Les réfugiés représentant plus d’un habitant sur dix. Le 4 avril 1999, l’OTAN, l’OSCE, le Haut Commissariat aux Réfugiés de l’ONU, l’Union de l’Europe occidentale (UEO), et le Conseil de l’Europe se sont réunis au siège de l’Alliance, à Bruxelles afin de trouver un dénouement à la guerre dans cette poudrière que sont les Balkans. Une rencontre qui fut qualifiée par les médias occidentaux de rencontre sans précédent. 2. La guerre civile en Macédoine En Macédoine, après plusieurs mois d’affrontements entre les forces macédoniennes et les forces albanaises de l’UCK, une paix de compromis a été signée le 13 août 2001, à Skopje. L’accord a ouvert la voie à un règlement politique du conflit en accordant des droits supplémentaires à la minorité albanaise de Macédoine qui représente un tiers des deux millions d’habitants. Le secrétaire général de l’OTAN, George Robertson avait commenté l’évènement en ces termes : 227 « C’est un grand jour pour ce pays et pour les partis de la coalition gouvernementale puisqu’ils ont obtenu un accord qui est historique et qui, je le crois, marque l’entrée de la Macédoine dans l’Europe moderne13 ». De même, lors de la réunion du 23 mars 2002, à Saragosse (Espagne), les ministres de la défense de l’Union européenne décideront de prendre en charge la mission de maintien de la paix Amber Fox en Macédoine. La présence de troupes composée d’un petit contingent de 700 hommes permettra la protection d’observateurs civils internationaux, et de stabiliser ce pays divisé entre la majorité slave et la minorité albanaise. En fait, cela sera la première fois que les Quinze assumeront une responsabilité en matière militaire. Cette décision avait été prise lors du Sommet de Lacken (Belgique), en décembre 2002, au cours de laquelle l’Union européenne s’était déclarée « capable de conduire des opérations de gestion de crise14 ». Il faut cependant noter que du fait de l’absence d’une chaîne de commandement indépendante et d’un état-major opérationnel, l’Union européenne utilisera ceux de l’Alliance atlantique, mais sous sa propre responsabilité. 3. La Serbie et le Monténégro Par ailleurs, la Serbie et le Monténégro ont signé, le 14 mars 2002, à Belgrade, un accord sous le parrainage de l’Union européenne. Cet accord concernait les institutions de l’Etat de Serbie et du Monténégro qui devait remplacer la République Fédérale de Yougoslavie. Il était convenu qu’au bout d’une période de trois ans, ces deux entités pourraient décider de confirmer ou d’infirmer leur union. 13 14 Le Figaro, 14 août 2001. Libération, 24 mars 2002. 228 Le haut représentant de l’Union européenne, Javier Solana, se montra à ce sujet optimiste : « La situation est aujourd’hui très différente de celle des années 1990. A l’époque, les pays de l’ancienne Yougoslavie sortaient tous d’une situation de dictature, aujourd’hui ce sont tous des démocraties. La situation dans les Balkans, pour difficile qu’elle puisse être, contient des éléments beaucoup plus positifs que ceux qui existaient dans les années 1990 et ont conduit à une guerre généralisée de presque dix ans15 ». 4. La guerre en Tchétchénie Avec le déploiement des troupes américaines en Asie Centrale opérée à la suite des attentats sur le sol américain du 11 septembre 2001, une nouvelle configuration politique s’est développée. Il faut rappeler que le nouveau partenariat stratégique élaboré les 24 et 25 mai 2002 entre les présidents George Bush et Vladimir Poutine, à Moscou, a établi les bases d’une nouvelle alliance entre les Etats-Unis et la Russie. Lors d’une conférence commune des deux présidents, au Kremlin, il a été convenu une coopération pour résoudre le problème de la guerre en Tchétchénie, ainsi que la lutte contre le terrorisme. Il sera également question de promouvoir une solution politique aux conflits en Abkhazie et en Ossétie du sud, deux régions séparatistes de la république de Georgie, située au centre de la Transcaucasie, où des instructeurs militaires américains sont arrivés en mai 2002 pour former les forces locales à combattre les terroristes localisés dans la région frontalière de la Tchétchénie. Au vu des enjeux pétroliers de ces régions du monde, le président américain George W. Bush fera la déclaration suivante : « La Russie et Etats-Unis mèneront les efforts pour développer les vastes ressources énergétiques de la Russie et de la région Caspienne ». L’objectif américain est de stabiliser les Etats d’Asie centrale et du Caucase par le 15 Le Figaro, op.cit. 229 développement des revenus pétroliers, et d’utiliser le pétrole russe pour diminuer la dépendance américaine des approvisionnements pétroliers du Moyen Orient. Le document établi durant le sommet Russie/Etats-Unis stipulera le rejet du « modèle de compétition entre grandes puissances qui a montré ses faiblesses, et qui ne peut qu’intensifier le potentiel de conflit dans cette région16 ». 5. La deuxième guerre irakienne Les ministres des 19 pays de l’OTAN se retrouveront à Bruxelles, le 3 avril 2003, à l’occasion d’une réunion extraordinaire du Conseil de l’Atlantique nord, organe de décision suprême de l’OTAN, afin de discuter de cette guerre. Elle aura fait la une des journaux pendant tout le premier semestre de l’année 2003, et aura provoqué le premier désaccord historique entre les alliés transatlantiques. Les arguments officiels des Etats-Unis pour mener une guerre contre l’Irak sont intégrés dans un rapport intitulé « Une décennie de mensonges et de défis », présenté par le président Bush devant le Conseil de sécurité de l’ONU, le 12 septembre 2002. Ce texte de 22 pages dresse les reproches suivants : Bagdad n’aurait pas respecté les 16 résolutions de l’ONU ; l’Irak détiendrait ou chercherait à posséder des armes de destruction massive (nucléaires, biologiques et chimiques) et des missiles balistiques ; il se serait rendu coupable de violations de droits humains (tortures, viols, exécutions sommaires) ; Bagdad accorderait son aide aux organisations palestiniennes et remettrait 25.000 dollars à la famille de chacun des auteurs d’attentats suicides contre Israël ; problème des prisonniers de guerre (dont un pilote américain) ; biens confisqués lors de l’invasion du Koweït (matériel militaire), et le détournement du programme « Pétrole contre nourriture ». Tous ces reproches ont conduit le Conseil de sécurité à voter à l’unanimité, le 8 novembre 2002, la résolution 1441 qui institue : « un régime 16 Le Monde, 27 mai 2002. 230 d’inspection renforcée dans le but de parachever de façon complète et vérifiée le processus de désarmement »17. Ces arguments ont-ils justifié pour autant une guerre de grande envergure ? Les autorités anglo-américaines ont dépêché aux frontières de l’Irak une force militaire de plus de 200.000 hommes. On peut souligner le fait que l’Irak a déjà été détruit lors de la guerre du Golfe de 1991, il a été dévasté par un embargo de douze années, il a été soumis à une limitation de sa souveraineté aérienne et à une surveillance permanente. En fait, il ne représentait aucun danger réel pour ses voisins. Pour George W. Bush, les États-Unis n’avaient pas besoin de l’aval du Conseil de Sécurité de l’ONU pour attaquer l’Irak. Rappelons qu’il l’a confirmé à la date du 6 mars 2003, à la veille de la remise d’un second rapport, par Hans Bliks, responsable des inspecteurs en désarmement de l’Irak, au Conseil de sécurité18, prenant ainsi les devants face à un rapport qui était regardé, par les informations parcellaires qui avaient déjà été portées à la connaissance du public, comme étant probablement très peu défavorable à l’Irak et donc desservant les thèses développées par les Etats-Unis sur la non coopération de l’administration irakienne avec les envoyés onusiens. On rapprochera ce point de vue offensif de la position de Washington vis-à-vis de la compétence de la Cour pénale internationale à juger des ressortissants US. Ainsi les Etats-Unis vont-ils signer, mardi 4 mars, un accord avec le Rwanda accordant l’immunité aux militaires et ressortissants américains face à d’éventuelles poursuites devant la Cour pénale internationale (CPI). Washington reste ainsi un adversaire aussi décisif que déterminé de la CPI et, par conséquent demeure hostile à la perspective d’une justice supranationale qui pourrait avoir à juger ses citoyens servant à l’étranger. 17 Ignacio Ramonet, De la guerre perpétuelle, Le Monde diplomatique, mars 2003. 18 Voir Blix Hans, op.cit. 231 C’est, au demeurant, depuis l’été 2002 que les États-Unis ont engagé une campagne diplomatique afin d’amener le plus grand nombre possible d’États à conclure avec eux des accords visant à accorder l’immunité à leurs ressortissants face à la CPI. Par ailleurs, malgré le désir de coopération de l’Irak qui aura obéi aux injonctions de l’ONU en laissant les inspecteurs du désarmement faire leur prospection sur le territoire national irakien, les États-Unis maintiendront leur volonté d’un recours à la force pour détruire le régime de Saddam Hussein : « Testé pour la première fois en octobre 1997, le missile balistique sol-sol Al-Samoud dont l’Irak accepte la destruction est non conforme à la résolution 687 de l’ONU, en date du 3 avril 1991, et à une lettre de rappel adressée, en 1994, à Bagdad, par l’organisation internationale. Il a un diamètre de 760 mm, alors que les Nations unies ont fixé à 600 mm le diamètre maximal des missiles non prohibés, et il a atteint, lors de ses essais, la portée maximale de 183 kms, au lieu des 150 autorisés. […] De leur propre aveu, les Irakiens auraient produit entre 75 et 120 missiles de ce type. […] »19. Mais la destruction de ces missiles, entreprises dans les tout premiers jours de mars 2003, tout comme les rapports de plus en plus positifs des inspecteurs en désarmement de l’ONU, qui feront état d’une meilleure coopération des autorités irakiennes, sembleront être considérés comme de simples péripéties et des épisodes somme toute négligeable dans la mesure où Washington estimera inéluctable une intervention militaire en Irak, considérant qu’elle n’a point besoin d’un mandat de l’ONU pour exercer ce qu’elle considère comme un droit de régence mondiale. Quant à l’Arabie Saoudite, base principale américaine des attaques contre l’Irak et contre ses troupes armées d’occupation du Koweït, si elle ne dira pas 19 Le Monde, 3 mars 2003, p. 4. 232 franchement non à une intervention militaire occidentale – ou, à tout le moins, américaine – contre l’Irak, elle semblera s’y résoudre passivement et tentera surtout de se prémunir contre un conflit dont elle craindra les conséquences déstabilisatrices pour la région. La guerre, ou du moins sa perspective, paraissait, hélas, propice à la conclusion de marchés à venir. Après les destructions programmées, il y aura bien les reconstructions nécessaires. Mais les marchés précèdent parfois la guerre et on a vu la Turquie négocier avec Washington sa présence militaire dans la région du Kurdistan. Six milliards de dollars ou plus ? Cette somme était celle annoncée par les médias en contrepartie de la présence de troupes américaines en Turquie pendant la guerre annoncée. Le Parlement turc, à majorité islamiste modérée avait cependant refusé cette perspective par un vote susceptible de retournement (trois voix de majorité seulement). Un éditorialiste du Turkish Daily News exposait ainsi l’enjeu pour la Turquie de cette guerre : « Les paris vont bon train, l’enjeu en est qui contrôlera l’Irak en général et le Nord en particulier. La question n’est pas de savoir s’il y aura plus de militaires turcs dans le Nord irakien ou non, la question est : la Turquie utilisera-t-elle sa force militaire afin d’imposer sa volonté à la région autonome kurde de l’Irak ? »20. Par ailleurs, le conflit en Irak a révélé une division profonde en Europe. Elle ne concernera pas simplement le domaine de la politique étrangère, mais également des questions de stratégie globale. On assistera à une division de l’Europe avec, d’une part, une Europe « européenne » soudée autour du noyau franco-allemand, et d’autre part, une Europe périphérique guidée par le Royaume Uni et l’Espagne, renforcée par les pays de l’Est qui comptent sur l’OTAN pour assurer 20 Rapporté par le Monde du lundi 3 mars 2003. 233 leur sécurité. Les raisons de ce clivage seront bien entendu un facteur de division quant au choix concernant l’alignement sur la politique américaine. Paragraphe 2. Scénarios de l’évolution internationale Au vu d’une perception critique de l’évolution internationale, les scénarios du futur élaborés par l’Alliance atlantique s’étendent jusqu’à l’horizon 2015-2030, en fonction d’une certaine représentation des menaces. Ces dernières seraient essentiellement liées à une large diffusion des progrès technologiques. Aussi les États-unis expérimentent-ils actuellement le développement des capacités de défense avec l’exploitation des systèmes spatiaux informels. Il faut savoir également qu’en octobre 1998, le Pentagone avait élaboré une stratégie de défense intitulée la Quadriennal Defense Review (QDR) qui synthétisera un planning militaire basé sur le tryptique suivant : - Façonner l’environnement international (en anglais : shaping the international environment) ; - Répondre à tout type de crise (responding to the full spectrum of crisis) ; - Se préparer à présent à un futur incertain (preparing now to an uncertain future). A. L’horizon 2000-2015 La première étape concerne l’engagement en temps de paix : il s’agit de savoir gérer les alliances, de prévenir les conflits par le contrôle des armements et le contre-terrorisme, de développer une politique de dissuasion par un déploiement militaire américain dans le monde, et une restructuration et adaptation continue de l’OTAN. 234 La deuxième étape est celle de la riposte de crise (crisis response) basée sur une logique de dissuasion avec l’application de sanctions, de projections de forces, et de frappes restreintes ou continues en fonction du développement de la crise. En cas d’échec du processus de prévention, il est préconisé des opérations dites smaller scale contingency ou de petite échelle, ce qui correspond dans la terminologie de l’Alliance à une démonstration de forces avec l’établissement de zones d’interdiction aérienne. Il se produit alors une interposition accompagnée d’aide humanitaire. En cas d’aggravation des crises, une riposte de grande envergure est alors prévue définie comme le théâtre des opérations importantes (en anglais : Major Theatre War). La troisième étape de la néostratégie de défense consiste à faire face à un futur incertain. Il est alors programmé un maintien de l’avance américaine dans le domaine de la compétition technologique. Ainsi, la modernisation croissante des équipements et des dispositifs militaires devient la dimension essentielle de la dissuasion. La capacité croissante de la projection de puissance est un facteur déterminant de l’influence stratégique dans le monde. L’éloignement géographique est compensé par la vitesse des systèmes et la rapidité d’intervention. Ainsi, les analyses prospectives présentent différents environnements sécuritaires selon la nature des facteurs de changements qui sont en processus de développement. Les éléments suivants vont déterminer le contenu des scénarios : - La révolution de l’information et la révolution biologique vont intensifier la menace de prolifération des armes de destruction massive et du terrorisme ; - L’effondrement des économies traditionnelles sera le résultat de l’internationalisation des entreprises et des marchés ; 235 - La transformation de la notion de sécurité va provoquer le déclin de la souveraineté et de la légitimité de l’Etat ; - La déstructuration des entreprises, des organisations et autres groupes va accentuer le phénomène d’interdépendance ; - L’accès aux ressources énergétiques mondiales va faire face à des contraintes croissantes ; - - les conflits identitaires et ethniques vont se multiplier et pourraient constituer une menace déstabilisatrice pour l’équilibre régional ; - l’accroissement démographique et son corollaire de problèmes socioéconomiques vont augmenter le taux de criminalité ; - la puissance militaire deviendra un enjeu crucial, car elle représente un moyen fondamental de la compétition stratégique. De l’ensemble de ces éléments fondateurs de troubles futurs, plusieurs scénarios sont présentés pour les prochaines décennies21 : - La mondialisation de la démocratie libérale permettrait à long terme l’équilibre des grandes puissances (Etats-Unis / Europe/ Japon/ Russie / Chine) qui auront en charge la paix dans le monde ; Les futures sphères d’influence auront de nouvelles technologies qui renforceront leurs capacités militaires et leur donneront un statut mondial ; - Les espaces régionaux des Balkans pour le flanc sud, et l’Asie pour le sudest pourraient devenir le théâtre d’opérations de confrontations entre ces grandes puissances, cela du fait que ces environnements stratégiques - rassemblent plusieurs zones importantes. 236 Le phénomène de la mondialisation posera aussi le problème de la régulation planétaire, car en matière de gouvernance, il y a quelque part une crise profonde, en ce sens d’autres scénarios sont proposés22. Selon cette approche, on peut envisager la fin de la souveraineté des Etats-Nations et leur fonction d’arbitrage, car le système des marchés ne peut fonctionner qu’à l’intérieur d’un Etat de droit où l’ordre règne et la loi est appliquée. L’Etat de droit exige une gouvernance aux normes modernes de la gestion de la société globale pour mieux garantir leur bon fonctionnement. La mondialisation exige l’instauration d’un Etat de droit mondial ou, tout au moins, régional. Les trois scénarios sont complétés par une série de sousscénarios, brièvement exposés et dont nous reprenons la liste ci-dessous. Il s’agit: - du possible retour des nationalismes ; - du possible retour aux régimes autoritaires - du regain de la lutte des classes (la fracture entre inclus et exclus atteignant des proportions insupportables) ; - d’une montée irrépressible des intégrismes ; - de guerre civiles ou de guerres internationales provoquées par les dualités exacerbées dues à la mondialisation. Ces sous scénarios demeurent « possibles si l’on ne corrige pas le déséquilibre et tensions émanant de la mondialisation23 ». IL faut dire que ce sont les déséquilibres et les tensions engendrées par le phénomène de la mondialisation qui vont justifier et légitimer, depuis l’effondrement de l’ex-URSS, les néostratégies militaires occidentales, divisées 21 22 In Le Débat Stratégique, op. cit. Voir Kimon Valaskakis, Mondialisation et gouvernance, Futuribles, no 230, avril 1998. 237 devant le mode de pensée stratégique américain, et, ce, notamment depuis la guerre du Golfe, ayant culminé avec les attentats sur le sol américain du 11 septembre 2001, et la deuxième guerre en Irak. B. La Stratégie de Prévention La nouvelle terminologie de l’Alliance atlantique inclut dorénavant le concept de « stratégie de prévention ». Sa mise en oeuvre a été réalisée dans les Balkans depuis la signature des accords de Dayton. On a observé que dans cette opération de rétablissement de la paix, la présence américaine à travers l’OTAN fut fortement composite, aussi bien dans ses buts que dans ses moyens, en utilisant des forces et des dispositifs très variés. Pour l’organisation nord atlantique, cette expérience nouvelle a permis de pratiquer une maîtrise du terrain dans son flanc sud pouvant servir de modèle à d’éventuels et futurs scénarios de crises imprévisibles. Alain Joxe avait exprimé à ce sujet les propos suivants : « Prévenir les Albanies et les Bosnies, c’est empêcher la situation de glisser vers la guerre et les massacres dans les lieux qui ne sont pas hypothétiques : le Kosovo, la Macédoine, la Voivodine, le Sandjak en ex-Yougoslavie sont des situations où le pouvoir américain s’affronte nécessairement à un « Etat délinquant » parfaitement désignable, quoique non totalement désigné, la Serbie de Milosevic24 ». Par ailleurs, il faut rappeler que la question de l’affrontement gréco-turc en Mer Egée et à Chypre est plutôt délicate, car la Turquie doit également géré l’affaire kurde et demeure une alliée essentielle du dispositif américain sur le nouvel axe au Sud de l’OTAN, et que la Grèce et Chypre sont membres de l’Union européenne. Quant à Israël, devenu depuis les gouvernements Netanyahou et 23 Idem. Le Débat stratégique américain, in Cahiers d’études stratégiques, Groupe de sociologie de défense, EHESS, 1997. 24 238 Sharon aux yeux de nombre d’observateurs mais non aux yeux des États –Unis, un « Etat délinquant » et néanmoins allié aux Etats-Unis, ce pays ne facilite pas la prévention des conflits, mais au contraire, en crée les conditions. En tout état de cause, les Balkans servent de lieu exemplaire, car on n’a pas pu empêcher la crise d’évoluer en guerre. Cela donne une idée de ce que peut être le succès des « stratégies de prévention », même si dans le cas du succès final, comme dit l’Amiral Lopez, « on ne sait pas ce à quoi on échappe25 ». Le principe de l’action préventive dans la gestion des crises de la Région Sud va mettre en exergue la projection de forces illustrée par les GFIM ou groupes des forces interarmées multinationales. Rappelons que ces dispositifs militaires sont constitués par un module de corps expéditionnaires interarmées multinational dont les contingents américains s’élèvaient à 8.000 hommes sur les 31.000 hommes de troupes composant les contingents de la SFOR (joint guard). Le principe des GFIM sera expérimenté aussi bien avec l’IFOR (Operation joint endeavour) qu’avec la SFOR qui sont tous les deux sous le contrôle de l’Alliance atlantique. Le reste des troupes était constitué par les alliés de l’OTAN et des alliés hors OTAN. Les dispositifs militaires mis en place ont inclu toute une panoplie de bombardiers et d’hélicoptères (A10 de l’US Air Force et AH-64 Apache de l’US Army, ainsi que des Jaguars français) ; Le scénario de l’OTAN en ex-Yougoslavie comprenait un plan d’intervention en plusieurs étapes, dont la première aura été la tentative de neutralisation de la défense aérienne, et la deuxième, le bombardement des troupes serbes au sol. Ce scénario aura mis en exergue la défaite non seulement de l’Union Européenne mais aussi d’une stratégie américaine inadaptée à son objectif de guerre : la protection des Kosovars albanais. 239 C. La guerre dite « chirurgicale » La mythologie de la « guerre chirurgicale » ou « guerre propre » a été illustrée par les erreurs de ciblage des forces aériennes contre les infrastructures serbes qui ont touché les populations civiles, aussi bien serbes que kosovars. D’autant plus que des atrocités ont continué à être commises dans le camp serbe dans l’impunité totale. Le choix militaire pour lequel l’Alliance atlantique a opté pouvait engendrer à moyen terme une véritable partition du Kosovo, vu l’intransigeance serbe à ce sujet. Les Etats-Unis à travers l’OTAN et certains membres de l’UEO, dont la France, ont opté pour un rapport de forces qui n’a en fait réussi qu’à mettre en exergue l’impuissance de l’Europe de la Défense dans la réalisation de ses paradigmes de « gestion des crises ». Face à un adversaire serbe déterminé à vivre une guerre, coûte que coûte, plutôt que de perdre une zone importante de son territoire national, les forces européennes apparaissaient finalement désunies, sans capacité matérielle déterminante, et dépendantes du bon vouloir des Etat-Unis. En fait, l’UEO n’a pas pu valider sur le terrain les accords de Petersberg qui prévoyaient l’utilisation des moyens de l’OTAN, et la mise en place de « forces séparables mais pas séparées ». Une décision qui avait été prise à la rencontre OTAN/UEO de Berlin, en 1996. Des dispositifs terrestres devaient être prévus pour protéger les populations des Balkans victimes du déclenchement de la guerre par la Serbie, depuis 1991. L’état des lieux dans cette poudrière légendaire que sont les Balkans a souligné l’incohérence de la stratégie euro-atlantique, car le choix des frappes aériennes opérées dans le but d ’éviter des pertes humaines du côté des alliés n’a abouti 25 Idem. 240 qu’à vider le Kosovo de sa population albanaise. Les bombardements de l’Alliance atlantique sur la Serbie et le Monténégro ne firent que susciter un durcissement des nationalismes dans la région jusqu’à la solution finale. On peut conclure que certains modèles théoriques de « gestion des crises » sont inopérants quand il s’agit d’une intervention militaire dans un pays en guerre. De plus, le précédent créé par les raids aérien de l’OTAN contre un pays souverain, sans un vote préalable du Conseil de Sécurité des Nations unies, cela quel que soit le prétexte invoqué, a posé le problème de la légalité internationale face à une hégémonie américaine particulièrement agressive, comme cela aura été le cas lors de la deuxième guerre en Irak qui l’a également et amplement démontré. En fait, l’objectif de paix recherché par les Etats-Unis est toujours réalisé à partir d’une logistique chargée de bombes et de missiles26. Malgré la décision serbe d’un cessez le feu unilatéral (décision soutenue par la Russie), les États-unis avaient exigé la poursuite de l’effort militaire jusqu’à ce que la Serbie prenne en compte des accords de paix dont la signification concrète paraîtra comme une humiliation aux Serbes, en imposant la perte définitive du territoire kosovar. Le remède apparaîtra pire que le mal, car il se traduira par un véritable exode de populations, et des attaques contre les civils. Il faut souligner que la fameuse précision des armes utilisées dans les modèles de gestion des crises n’a pas évité quatre erreurs de ciblage des frappes aériennes de l’OTAN contre la Serbie: par exemple, en visant une caserne, l’Alliance a détruit une ville minière et cela a provoqué également des pertes humaines serbes et kosovares au niveau des frontières. 26 Voir Hassner Pierre, Vaisse Justin, Rupture de la civilisation. Le révélateur irakien, Paris, éd. Gallimard, 2003. 241 La Russie a mentionné le chiffre d’un millier de morts lors des raids aériens, et de plus de 900 000 personnes déplacées. La mise en vigueur de la trêve avait nécessité le déploiement de 8000 hommes de troupe, notamment pour réaliser le programme d’aide humanitaire élaboré avec le Haut Commissariat aux Réfugiés des Nations Unies. Il faut rappeler que le sommet de l’OTAN du 23 avril 1999 a été précédé par le Conseil de l’Union Européenne réuni, le 15 avril 1999, avec Kofi Annan, Secrétaire général de l’ONU, et la participation de la Russie, la Macédoine, l’Albanie, la Serbie et la Grèce. Il se voulait être une rencontre exceptionnelle pour la fin de la guerre dans les Balkans. Ce dernier sommet de l’OTAN n’eut pour objectif réel que de valider le concept stratégique de gestion des crises dans un espace hors zone euro-atlantique. Il faut savoir que l’Union européenne a encouragé depuis 1991 la dislocation de l’ex-Yougoslavie, en reconnaissant à cette époque l’indépendance de la Slovénie et de la Croatie. Dès le 27 juin 1991, la guerre commença dans ces deux territoires en finissant par embraser également la Bosnie. Cet encouragement à la dislocation de l’exYougoslavie fut qualifié comme étant la « plus grande erreur collective de l’Occident depuis les années 30 en matière de sécurité 27». D. Une application de la théorie des jeux Beaucoup s’accordent à considérer que les paradigmes de gestion des crises des États-Unis et de l’OTAN s’inspirent de manière erronée des modèles mathématiques de la négociation (des modèles d’essence anglo-saxonne tels que la théorie des jeux). Le postulat de base est que dans une négociation, chaque 27 Déclaration du président Jacques Chirac à la chaîne de télévision France 2, le 5 avril 1999. 242 partie est déterminée à obtenir le maximum de dividendes face à l’adversaire. Dans la réalité, les négociations de fond exigent plutôt une recherche d’avantages mutuels au nom de la rationalité et de la Real Politik. Les représailles exercées par les alliés euro-atlantiques et leur usage de la force expriment une certaine impuissance dissimulée derrière une position qui paraît dans ses manifestations verbales extrêmement dure. En théorie, le principe de la gestion des crises est d’appliquer des stratégies souples et modifiables en fonction des réactions de l’adversaire. En choisissant l’option « Hard » ou dure, l’OTAN sous contrôle américain a abouti à faire perdurer la guerre avec son corollaire de pertes humaines. Section 2. La nouvelle politique sécuritaire occidentale Michel Ruhle, un politologue américain définissait dans les termes suivants la survie de l’OTAN : « L’OTAN a toujours assumé des fonctions stratégiques transcendant la défense collective contre un ennemi commun28 ». Rappelons que la stratégie adoptée par l’Alliance atlantique depuis la fin du Pacte de Varsovie avait pour objectif de produire un équilibre stratégique tout en maintenant une relation de coopération avec l’ex-URSS. Ainsi, la mission classique de l’organisation nord atlantique de défense collective s’élargira, rappelons-le, à une sorte de Hors Agenda, dénommé Hors Zones, qui voudra empêcher l’émergence de la puissance hégémonique d’un Etat. Cela concernera aussi bien celle éventuelle d’une nouvelle Russie nationaliste que celle d’un État situé en Europe. L’idée d’un renouveau de l’OTAN sera donc conçue sur la base d’une vision stratégique globale et des capacités plus puissantes que celles développées par l’ère de la guerre froide. 28 Cahiers d’études stratégiques, op. cit. 243 Paragraphe1. La stratégie de sécurité européenne La nouvelle formule définissant la menace est la suivante : l’ennemi, c’est l’instabilité. Cette définition est inscrite dans la typologie des conflits de l’Alliance incluant toutes les causes pouvant favoriser des types variés de tensions dans l’espace régional du flanc Sud. L’Amiral Lopez, ancien chef des forces nord-atlantiques affirmait à ce sujet : « nous devons être prêts à intervenir pour prévenir les Albanies et les Bosnies »29. A. Un multilatéralisme européen face à l’unilatéralisme américain L’aggravation de la crise dans les Balkans avait traduit une nature erronée des prospectives occidentales fondées sur une mauvaise perception de la partie adverse et de ses répercussions au niveau régional. La pratique des différentes étapes du scénario de l’Alliance atlantique dans l’exYougoslavie paraissait être en contradiction avec les modèles théoriques de stratégies de l’après-guerre froide. A ce sujet, Charles Osgood, politologue américain, avait développé un programme de gestion des conflits intitulé « Graduated reciprocation in tension reduction » ou réduction de la tension par degrés. Ce programme consistait à favoriser une réduction des conflits par la proposition d’initiatives graduées et réciproques. Ce modèle fut appliqué dans le cadre des négociations avec l’Union Soviétique. La finalité était d’adopter des comportements de conciliation tout en préservant la sécurité de la Nation américaine. Si la partie adverse demeure intransigeante, des représailles devaient être exercées contre elle, suivies par de nouvelles mesures de conciliation. Charles Osgood considérait que des représailles 29 Amiral Lopez, Contending with tomorrow’s conflicts today : NATO’s chaotic southern rim, National Guard Review, summer 1997. 244 excessives face à un adversaire récalcitrant n’aboutiraient qu’à une situation désavantageuse pour ceux qui les adoptent. IL faut noter à ce sujet que la situation des Balkans et la deuxième guerre en Irak auront été l’illustration malheureuse d’une application tronquée des modèles théoriques de « gestion de crises » des États-Unis et de leurs alliés vu que le volet diplomatique aura été relativement négligé ou, plutôt, écarté. Pour l’Union européenne, le fonctionnement de la politique européenne commune de sécurité et de défense (PECSD) va fonctionner dorénavant lorsque se produit un choix diplomatique et politique commun aux européens, c'est-àdire la politique étrangère et de sécurité commune (PESC). Face à une crise, il y a trois solutions : 1. L’OTAN intervient de manière autonome ; 2. l’UE intervient seule avec ses propres moyens ; 3. l’UE intervient avec ses moyens conjugués aux moyens atlantiques. On peut relever les décisions suivantes prises par l’Union européenne :30 - Mise à la disposition de l’UE des capacités civiles (policiers, juristes et spécialistes de l’administration et de la protection civile) ; - approbation de la création d’une cellule de planification militaro-civile par le Conseil avec la décision de développer des « battle groups » pour un déploiement rapide ; - proposition de créer une gendarmerie et un corps civil de la paix européenne ; - développement du Centre d’Opérations qui fournira à la fin de l’année 2006 à l’Union européenne ses propres quartiers généraux opérationnels ; 30 Voir Geneviève Schmeder, op. cit. 245 - Établissement de l’Agence de Défense Européenne (ADE)31 dés 2004 dont l’un des rôles principaux est d’aider les États membres à dépenser leur budget de défense avec plus d’efficacité. L’ADE sert à renforcer les efforts dans les domaines clé de la technologie. L’Union européenne se donne plusieurs missions (Bosnie-Herzégovine, Macédoine, Georgie) et d’autres militaires (Macédoine et République populaire du Congo) en plus de la mission Eurofor (European Union Force) qui va remplacer en Bosnie la SFOR (Stabilization Force) de l’OTAN. B. L’idée de « communauté internationale » Le multilatéralisme occidental des années 1990 voudra créer une sorte de « communauté internationale » qui se révèle être à l’examen comme l’équivalent d’un « nouvel ordre mondial » contrôlé par les Etats-Unis, et géré collectivement par les pays occidentaux. L’Occident inclut ici non seulement les partenaires transatlantiques mais toutes les Nations (dont le Japon) ayant une vision commune des mécanismes pluralistes et démocratiques. Le cas de la Turquie, allié traditionnel, mais exclu de l’Union européenne, l’est du fait de sa conception différente de la vie de la cité. « Cité » au sens que Platon lui donnait dans son fameux ouvrage « La République », fondée sur la Démocratie du peuple. Il faut noter que le Sommet de Prague, les 22 et 23 novembre 2002, a mis en exergue le principe de l’élargissement de l’OTAN. Ainsi deux scénarios avaient été élaborés : - un scénario à cinq incluant l’Estonie, la Lettonie, la Lituanie, la Slovaquie et la Slovénie ; 31 In Gustave Lindstrom, op. cit. 246 - un scénario à sept incluant les cinq pays cités ci-dessus plus la Bulgarie et la Roumanie pour le renforcement du flanc sud et la liaison avec les zones de la mer Noire, de la mer Caspienne et ainsi le contrôle indirect du Caucase du Sud avec la recherche d’une stabilité en Géorgie et en Ukraine. Un élargissement à la Russie à terme ferait de l’OTAN une grande fédération de sécurité collective de Vancouver à Vladivostok. Dans cette perspective, seuls échappent au contrôle direct de l’OTAN des puissances montantes comme la Chine et l’Inde pour l’Asie, et le Brésil pour le continent américain. La dualité mondiale est ainsi reconfigurée en une double partition Occident/ Asie, l’Afrique pouvant redevenir un territoire continental au sujet duquel seraient mises en œuvre des actions compétitives pour le mettre sous contrôle. Quant à l’Amérique du Sud, on sait que les pays qui la constituent sont tous sous hégémonie américaine, notamment par leur appartenance à l’ALENA. Du point de vue euro-atlantique, les divergences entre l’OTAN et l’UEO quant à l’IESD ou l’identité européenne de sécurité et de défense, relative à un plus grand rôle de l’Europe dans la prise en charge de la division des tâches dans la région sud, sont toujours en débat. Il faut rappeler que la réunion ministérielle de l’UEO à Petersberg, en 1994, avait précisé et réaffirmé l’article 17 du Traité d’Amsterdam. Ainsi, les missions sécuritaires de l’UEO ne devraient pas se limiter à des opérations de faible intensité (soft security) qui excluraient le recours à la force, mais elles devraient s’étendre aux missions de défense non territoriale. Ces missions devaient aussi inclure une dimension politique dans les domaines aussi bien militaire qu’économique. 247 C. L’Europe de la défense La réussite de la construction de l’Union européenne avec, notamment, l’intégration de l’Europe dans de nombreux domaines et son évolution vers un rôle croissant sur la scène internationale, a montré la nécessité de la doter d’une voix politique et de capacités lui permettant d’agir dans les domaines de la politique étrangère, de la sécurité et de la défense. La PESD ou PECSD (politique européenne de sécurité et défense) doit être capable de renforcer l’action extérieure de l’Union en créant une capacité de gestion des crises, militaire et civile, dans le plein respect des principes de la Charte des Nations Unies. La PESD, rappelons-le, sera mise en opération dés janvier 2003 dans le cadre des initiatives de maintien de la paix. L’Union européenne tend vers l’objectif 2010 en visant l’obtention d’une capacité opérationnelle et la mise en opération de groupes d’interventions afin d’être à même de gérer les crises32. L’expérience de l’opération militaire alliée au Kosovo au printemps de 1999 va montrer ses limites dans le domaine de l’action sur le terrain. La leçon tirée de cette expérience a permis une évolution aux rencontres, entre autres, depuis celle de Saint-Malo, en décembre 1998, suivie de celle de Cologne (juin 1999) et d’Helsinki (décembre 1999)33 durant laquelle la PESD va être considérée comme partie intégrante de la PESC, et enfin de celle de Nice (décembre 2000). Ainsi, une politique européenne commune de sécurité et de défense a été élaborée de manière déterminante en matière d’orientations politiques même si dans le domaine des ressources financières, il existe encore des contraintes et des divergences. 32 L’UE se concentre sur la lutte contre le terrorisme sur la base d’un multilatéralisme effectif notamment au Moyen Orient et dans les Balkans ( Bosnie-Herzégovine). 33 Un Etat-major de l’Union européenne (EMUE) a été prévu à cette occasion. Il est placé au sein des structures de l’Union ( Secrétariat général du Conseil). Il met ses compétences militaires au service de la PESD, notamment pour la conduite des opérations militaires de gestion des crises. 248 Ainsi, la Grande-Bretagne a abandonné, lors du sommet franco-britannique de Saint-Malo, sa démarche traditionnelle en ne s’opposant plus à l’acquisition par l’Union européenne d’une capacité militaire autonome De même, les chefs d’État et de gouvernement du Royaume de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord et de la France ont convenu que le Traité d’Amsterdam, base essentielle pour l’action de l’Union, devait devenir une réalité, par la mise en œuvre définitive des dispositions d’Amsterdam sur la Politique étrangère et la Sécurité commune (PESC). Il a été décidé que les engagements de défense collective auxquels ont souscrit les États membres, dont notamment, l’article 5 du Traité de Washington et l’article 5 du Traité de Bruxelles, devraient être maintenus de manière à renforcer la solidarité entre les pays de l’Union européenne, et en agissant en conformité avec l’OTAN. « La politique étrangère et de sécurité commune (PESC) et la politique européenne de sécurité et de défense (PESD) ne tranchent pas cependant entre deux concepts de sécurité, celui de sécurité globale ou « humaine » d’un côté, celui de sécurité d’Etat de l’autre. Cette ambiguïté est également perceptible dans la constitution européenne qui se réfère à une politique de sécurité et défense commune (réunissant la PESC et la PESD) qui tout à la fois développe des moyens militaires et civils34 ». Par ailleurs, Le 21 décembre 2004, les ministres de la défense des 5+5 de la rive occidentale de la Méditerranée (Tunisie, Mauritanie, Maroc, Libye, Algérie, Espagne, Italie, Portugal, Malte et France) ont tenu une séance de travail, à Paris, dans le cadre de la relance du processus de Barcelone, bouclant ainsi 10 années d’existence depuis Barcelone (1995). 34 Genviève Schméder, « Sécurité humaine », une nouvelle doctrine pour l’Europe, Futuribles, numéro 307, avril 2005. 249 Il s’agira de renforcer le partenariat de sécurité et de défense, de manière globale, solidaire et équilibré, cela fondé sur les principes de bon voisinage, de respect mutuel et de confiance réciproque. Par ailleurs, il faut noter que dans ce cadre, les cadres institutionnels d’action de l’Union européenne demeurent le Conseil européen, le Conseil des Affaires générales et la réunion des ministres de la Défense. De plus, l’Union européenne s’est dotée d’une capacité d’évaluation des situations, de sources de renseignement et d’une capacité de planification stratégique en utilisant les moyens de l’Union de l’Europe occidentale (UEO). Cela, dans le but de pouvoir recourir à des moyens militaires adaptés, en préidentifiant les moyens européens au sein du pilier européen de l’OTAN. Il faut noter que lors de la réunion des ministres de la défense de l’Union européenne à Sintra (Portugal), le 28 février 2000, il a été rappelé les décisions prises par le Conseil européen d’Helsinki. Ces décisions concernent l’installation de quatre éléments politico-militaires identifiés lors du Conseil européen de Cologne, afin de permettre à l’Union de prendre les décisions sur les opérations de Petersberg qu’elle dirige et pour assurer, sous l’autorité du Conseil, le contrôle politique et la direction stratégique nécessaire à ces opérations. Les dispositions suivantes ont été adoptées35 : - création d’un Comité politique et de sécurité (COPS), siégeant à Bruxelles, composé de représentants nationaux au niveau de représentants de haut niveau (ambassadeurs), traitant de tous les aspects de la PESC ; - création d’un comité militaire de l’UE, composé des chefs d’État-major des armées, représentés par leurs délégués militaires. Ce comité formulera des 35 In Cahiers de Chaillot, Internet, décembre 2003. 250 recommandations destinées aux comités politiques et de sécurité et fournira des directives militaires à l’état-major ; - création d’un état-major de l’UE au sein des structures du Conseil, qui mettra ses compétences militaires au service de la PESC, notamment de la conduite des opérations militaires de gestion de crises par l’UE. Le Comité militaire européen (CME) est la plus haute instance militaire de l’UE. Il est un espace de consultations et de coopération entre les États membres. L’état-major européen (EME) fournit une expertise et des capacités militaires pour soutenir la PESC de l’UE, y compris dans toutes les opérations conduites par l’UE. Il faut souligner que cette évolution de l’Europe de la défense a tenu compte non seulement de l’échec vécu au Kosovo, mais également de l’évolution de la stratégie de défense américaine durant cette dernière décennie. Notons à cet égard que le plan d’action de la défense européenne prend en compte trois éléments importants : a) La nécessité de donner la priorité aux avancées concrètes par rapport aux débats institutionnels ou théoriques ; b) Les changements institutionnels dans le cadre de l’Union européenne : la nouvelle Commission est entrée en fonction avec l’installation de l’UPPAR (Unité de Planification, de Prévision et d’Action rapide) ; c) L’objectif fixé dans les différentes rencontres de l’Union européenne d’établir les modalités de l’inclusion de celles des fonctions de l’UEO qui seraient nécessaires à l’Union européenne. Les travaux ont été menés parallèlement autour des deux priorités suivantes : 251 a) Le développement des capacités militaires européennes pour agir36 ; b) L’amélioration des capacités de commandement et de conduite d’opération européenne, au niveau du théâtre, qui se fait à deux niveaux : D’une part, il s’agit d’affermir les capacités de commandement européennes avec la multinationalisation de quartiers généraux (QG) nationaux interarmées existants, transformations des Q.G. de l’Eurocorps, d’Eurofor-Euromarfor en Q.G. de la composante terrestre et mer. D’autre part, il s’agit de veiller au développement au niveau central des capacités de renseignement autonome, de projection de forces, de contrôle, de commandement et de communication. De plus, l’Union européenne entreprend la modernisation de ses forces (forces nationales et multinationales) selon les normes de modularité, de flexibilité et d’adaptabilité qu’exige la gestion des crises. Les ministres européens de la Défense réunis, le 14 mars 2003, à Vouliagmeni, en Grèce, ont tenté de montrer qu’en dépit de la crise irakienne et de leurs divisions, l’Union européenne est en mesure de franchir les étapes inscrites au calendrier de sa politique européenne de sécurité et de défense (PESD)37. L’annonce du sommet Bush-Blair-Aznar sur l’Irak aux Açores, a pesé sur les discussions. Les quinze ont cependant progressé sur la voie de leur objectif global qui devrait leur permettre d’ici la fin de l’année, d’annoncer qu’ils sont en mesure de déployer une Force de réaction rapide de 60.000 soldats sur un théâtre d’opération. 36 Il s’agira non pas de créer une armée européenne mais de rassembler des forces dans le cadre intergouvernemental de la PESD pour effectuer des actions militaires. 37 La PESD (Politique européenne de sécurité et défense) a été entérinée, rappelons-le, au Conseil européen de Feira, en juin 2000, ce signe renvoie à la volonté commune de développer un dispositif opérationnel et autonome. 252 Un consensus s’est manifesté pour réduire le délai de réaction de la force européenne qui, de soixante jours devrait passer de cinq à trente jours38. Il faut savoir également que la pierre angulaire des coopérations nouvelles ayant trait à des thèmes opérationnels et à la mutualisation des capacités militaires européennes est un processus de renforcement des capacités militaires européennes dit European Capabilities Action Plan (ECAP). Ce dernier programme des projets à développer dans la décennie actuelle, notamment le programme de coopération commune comme les hélicoptères Tigre et NH 90, les missiles FSAF (Force sol-air futur) et PAAMS (Principal anti air-missiles systems) ou l’avion de transport A400M.39 De plus, dans le domaine spatial existe un programme de développement des capacités d’observation satellitaire avec les satellites Syracuse III. Il faut aussi noter que le projet actuel de loi de programmation militaire française s’inscrit dans les objectifs de politique européenne de sécurité et de défense (PESD). Il permettrait de résoudre le déficit capacitaire européen. Par ailleurs, le 13 décembre 2003, une stratégie de sécurité européenne a été adoptée par les chefs d’États et de Gouvernements au Conseil européen de Bruxelles. Cette stratégie européenne a été une réponse directe à la guerre en Irak et a montré la difficulté de réaliser une PESC du fait de l’absence de consensus parmi les membres de l’Union européenne. Cependant, les dirigeants européens ont demandé une stratégie sécuritaire large identifiant les défis et les menaces pouvant affecter l’Union tels que la pauvreté, les épidémies, le terrorisme, la prolifération des armes de destruction massive, les conflits régionaux, le crime organisé et la défaillance des 38 Voir Laurent Zecchini, L’Union s’accroche à sa politique de défense, Le Monde, 17 mars 2003. Michèle Alliot-Marie, La loi de programmation : une ambition pour la France, pour l’Europe, Défense nationale, janvier 2003. 39 253 États. Il s’agira dés lors de sécuriser le voisinage et de promouvoir l’ordre international basé sur un multilatéralisme effectif40. Paragraphe 2. La stratégie de défense américaine La stratégie de défense américaine a été réorientée d’un focus global à un niveau régional entre 1988 et 1994. La menace que représente la prolifération des armements non conventionnels nucléaires-biologiques-chimiques (NBC), et des missiles balistiques dans les pays en développement sera de nouveau soulignée. Rappelons que l’environnement stratégique résultant de l’après-guerre froide a été caractérisé par son incertitude, son imprévisibilité et la volonté tenace des ÉtatsUnis d’imposer leur unilatéralisme. Dans le futur, la prise de décision concernant l’engagement militaire américain sera affectée par la potentialité de nuisance de l’adversaire en matière d’armements non conventionnels. Notamment, les armes de destruction massive ou WMD (Weapons of Mass Destruction) et les capacités de missiles balistiques. Parmi les agresseurs potentiels ont toujours été cités l’Irak, l’Iran, la Libye et la Corée du Nord. Les experts américains en sécurité considèrent qu’il existe une corrélation étroite entre ces Etats aux capacités non conventionnelles et certains des conflits régionaux les plus incontrôlables de la planète. C’est dans un tel contexte de réflexion que le ministère de la Défense américain va, entre 1988 et 1993, réévaluer sa stratégie de sécurité et publier un rapport intitulé « Stratégie de défense pour les années 90 ». Cette stratégie de défense régionale va établir les priorités de la défense américaine, en janvier 1993, dans une manière similaire à celle du NSC-68 de l’année 1950. Ce document du National Security Council ou 40 In Gustav Lindstrom, The European Security Strategy : is Venus becoming Mars ? NATO Defense College, Research Branch, Rome, November 2005. 254 Conseil de sécurité nationale américain fut le premier du genre à être assez important pour porter sur une période de quarante années41. A. La défense régionale IL sera accordé à l’Alliance atlantique le même rôle central de défense de l’Occident avec le soutien du Conseil de Coopération Nord-Atlantique, l’Union européenneUEO (Union de l’Europe Occidentale), et la CSCE (Conférence pour le Sécurité et la Coopération en Europe). L’Union européenne est la partie sous traitante concernant le Hors zones, et la CSCE doit aider l’ancien bloc Est. Les pôles régionaux jugés stratégiques pour les intérêts américains seront les suivants: - Asie de l’Est et du Pacifique : IL est recommandé un déploiement continu des forces militaires américaines ainsi qu’une maintenance et une amélioration des capacités de projection de puissance. La nécessité de maintenir des relations d’alliance avec le Japon, la Corée du Sud et l’Australie est jugée essentielle. Les objectifs américains sont de dissuader toute agression contre leurs alliés, leurs intérêts dans la région et leurs biens. - Moyen-Orient L’objectif essentiel est de protéger l’accès des Etats-Unis aux ressources en pétrole du Golfe. Le souci majeur américain sera la menace d’une domination iranienne ou irakienne sur les ressources énergétiques de la région, le terrorisme et les menaces qu’il engendre vis à vis des nationaux, alliés et intérêts américains, ainsi que la prolifération d’armements non conventionnels. Ces éléments supposeront pour les États-Unis des capacités de riposte de crise à maintenir de manière continue. 41 Voir à ce sujet Wyn P. Bowen et David M. Dunn, Au-delà du containment, la politique américaine de sécurité 255 Concernant les répercussions des attentats du 11 septembre au Moyen Orient, il faut souligner que c’est bien dans cette région que Ben Ladden a bénéficié d’une grande sympathie. Sur les campus universitaires du Caire, au niveau des classes moyennes du Golfe, dans les camps palestiniens du Liban, de Syrie et de Jordanie, dans les territoires de Cis-Jordanie et de Gaza… Ce soutien de masse vient du fait de la perception du monde arabe de la politique américaine dans la région. Il faut savoir que le terrorisme islamiste se nourrit de deux points forts de la politique des Etats-Unis au Moyen-Orient : d’une part, une attitude unilatéralement pro-israélienne dans le conflit entre l’État hébreu et les Palestiniens, d’autre part, un comportement injustement hostile contre l’Irak. Une politique américaine perçue comme trop partiale encore qu’enrobée d’un discours vantant la démocratie et les Droits de l’homme, un fait qui ne fait qu’exaspérer la haine des masses populaires arabes contre les Etats-Unis42. Par ailleurs, il faut souligner le fait qu’au lendemain des premières frappes américaines contre l’Afghanistan, à l’automne 2001, la traque du dirigeant d’AlQaida, Oussama Benlladden a accentué les divisions au sein de la Ligue arabe. Ainsi, l’État irakien était resté foncièrement anti-américain et demeurait le seul pays arabe à ne pas avoir condamné les attentas du 11 septembre 2001, ce qui lui vaudra d’être inclus dans la liste des États dits terroristes, et d’être victime d’une deuxième intervention militaire. Quant à la Syrie, sa position sera plus conciliante, telle que la révèle RadioDamas : « Avec le début des opérations militaires américaines et britanniques contre l’Afghanistan, nous insistons sur l’importance de notre appel à un effort international sous l’égide de l’ONU afin de trouver des mécanismes efficaces pour éradiquer le terrorisme »43. Rappelons que le Syrie est connue pour son soutien au Hizbollah libanais et aux organisations palestiniennes considérées comme « terroristes ». dans les années 90, Institut de Monterey d’études internationales, NY, 1996, 266p. Voir Alain Franchon, « Terrorisme islamiste et Proche-Orient », Le Monde, 19 septembre 2001. 42 256 - Amérique Latine et Caraïbes Dans cette région, quatre niveaux d’intérêts sont identifiés: une priorité fondamentale d’assurer la défense continue du canal du Panama, car ce dernier est situé stratégiquement : il lie l’Océan Atlantique à l’océan Pacifique. En deuxième lieu, il s’agit de combattre le trafic de la drogue dans la région et prévenir le marché noir des narcotiques aux États -Unis. En troisième lieu, il est préconisé d’aider les pays d’Amérique Latine et des Caraïbes amenés à combattre des insurrections anti-démocratiques et/ou terroristes, et de contrer ce qui apparaît comme étant l’hostilité de Cuba vis à vis de l’Amérique. En dernier lieu, il s’agit de faire participer les alliés aux responsabilités et à l’effort de sécurité collective. Notamment, en allégeant le fardeau économique des EtatsUnis et, en leur permettant de continuer leur engagement à la sécurité régionale, au sens où ils la définissent. La nouvelle stratégie de défense nord-américaine souligne la nécessité d’améliorer les capacités de défense des alliés américains, tels les cas d’Israël et des Etats Arabes alliés, cela à travers des programmes d’assistance de défense. B. La stratégie militaire américaine actuelle Cette nouvelle stratégie militaire, qui met en avant l’option de dissuasion, comprend trois éléments44 : a) La présence militaire en avant ou « Forward Military Presence » qui est une force dissuasive et de riposte de crise, elle inclut toutefois une aide humanitaire et un maintien de la paix. 43 Cité par Le Monde, 10 octobre 2001. Il faut noter à ce sujet que pour faire face à la prolifération des armes de destruction massive (atomique, biologique et chimique), les Etats-Unis préparent depuis plusieurs années un système de défense anti-missile dont l’objectif ultime est de mettre leur territoire à l’abri de toute attaque extérieure et de protéger leurs alliés. Ce projet est ouvert à la coopération internationale. 44 257 La problématique soulevée peut être évoquée à travers le cas de l’Irak : si Saddam Hussein n’a pas craint la dissuasion de l’armement nucléaire américain en attaquant Israël avec les missiles Scud, c’est que l’armement conventionnel peut donc être utilisé comme base principale de n’importe quelle stratégie future. Selon les Etats-Unis, les plus hauts niveaux de forces militaires auraient pu être déployés en avant pour dissuader l’Irak d’envahir le Koweït, en août 1990, et s’ils l’avaient été, cette invasion n’aurait pas eu lieu. Mais était-ce là l’intérêt des États –Unis ? b) La riposte de crise ou crisis response : Le principe ici est de compléter la présence militaire en avant par une riposte de crise capable d’assurer la mise en œuvre des forces de réaction rapide au top niveau en cas de crise régionale. Les forces aériennes et les marines doivent agir sur une base de renseignements et de mobilité extrême pour tous les cas potentiels régionaux d’urgence. c) La reconstitution Elle consiste à retenir les capacités suffisantes en technologie et en maind’oeuvre pour créer des forces militaires nouvelles afin de dissuader toute éventualité d’émergence d’une alliance régionale de puissances dites non démocratiques, hostiles aux intérêts américaines. Pour le Pentagone, il s’agit de produire une posture de forces et des plans dits de « procurement »45 pour tous les conflits possibles, même simultanés, dans des temps d’incertitude et d’une durée incertaine. Les éléments de la dissuasion stratégique américaine sont les piliers de la stratégie militaire nationale. L’accent est mis sur les GPLS ou protection globale contre des frappes limitées (global protection against limited strikes). 45 Ce mot anglais a le sens de : acquisition, obtention, mais aussi approvisionnement. 258 Rappelons que deux projets de structuration des forces américaines vont marquer les administration successives de George Bush, Bill Clinton et George W. Bush : Il s’agit de la « Base force » ou force de base, présentée en 1991 par le ministre de la Défense, Dick Cheney et le général Colins Powell pour le compte de l’Administration Bush, et la « Bottom Up Review » élaborée en 1993 par le ministre de la Défense, Lee Aspin, pour le compte de l’Administration Clinton. Les deux projets auront pour objectif une évaluation de base des menaces et des besoins de défense américains pour les années 90. - La force de base ou Base force Ce projet délimitera le seuil minimal des forces militaires nécessaires à la sécurité américaine. La Base force va rationaliser les structures militaires de commandement afin d’en élargir les espaces de compétence. C’est l’hypothèse du « Worst Case Scenario » ou du pire des cas en matière de vision prospective. Il s’agit ici de préserver la capacité américaine de gagner deux guerres régionales majeures et simultanées. Par exemple, l’Iran ou l’Irak en même temps que la Corée du Nord, ou encore, une nouvelle menace Russe ou un ennemi du Tiers-monde possédant l’arme nucléaire. Ce plan militaire de l’Administration Bush père fut amplement critiqué car il ne correspondait pas à la réalité de l’après-guerre froide où aucune menace réelle ayant une envergure s’apparentant à l’ancienne menace soviétique ne se présentait de manière crédible et imminente. Quoique l’Administration Bush ait été en accord avec le Congrès américain pour des coupes dans le budget de défense, les divergences se situaient au niveau de la manière et de l’étendue de la restructuration des forces armées. Il y avait un 259 échec dans la compréhension de la signification des conditions géopolitiques et fiscales des années 90. - La Bottom Up Review: La Bottom Up Review va établir, en 1993, les programmes, le budget, et les forces militaires perçus par l’Administration Clinton comme susceptibles de protéger et promouvoir de manière adéquate les intérêts de sécurité américains dans le prochain siècle. Les difficultés inhérentes au planning américain de défense de l’après-Guerre froide avaient été prouvées lors de la guerre du Golfe, quand l’armement sophistiqué des Etats-Unis, conçu durant la guerre froide pour un théâtre d’opérations en Europe, fut utilisé au Moyen-Orient. La critique la plus percutante faite contre la B.U.R. fut basée sur le fait que ce plan de défense n’avait pas saisi la perception réelle du caractère des politiques mondiales et du rôle des États -Unis dans le monde. La B.U.R. favorisait le potentiel des capacités militaires américaines à court terme au lieu de préserver les forces de défense dans une perspective à long terme. - Les armements nucléaires Rappelons qu’en septembre 1994, le président Clinton approuvera la recommandation portant « Nuclear Posture Review » ou la position vis-à-vis de l’arme nucléaire du Pentagone. La préoccupation demeurait au sujet de la Russie du fait qu’elle possède le seul arsenal nucléaire pouvant représenter une menace. En ce sens, Start I et Start II sont conservés comme un exemple de l’engagement américain au titre l’article 6 du TNP (Traité de Non-Prolifération), demandant aux puissances nucléaires de déclarer une réduction de leur arsenal tout en les conservant dans les limites des traités Start. 260 Notons que le principe d’utilisation de l’arme nucléaire est maintenu en cas d’attaque des troupes américaines par les forces conventionnelles ennemies ou de dissuasion contre l’utilisation d’armements chimiques et biologiques contre les forces américaines. Il faut savoir qu’au printemps 2001, le président George W. Bush avait dénoncé le traité de défense anti-balistique dit ABM, une démarche qui va ébranler l’architecture sécuritaire mise en place dans l’après-guerre froide46. Les Etats-Unis et l’Union soviétique avaient progressé, dans le passé, vers une réduction des arsenaux avec les accords SALT (Strategic Arms Limitation Talks), et le traité ABM (défense anti-missile) ayant pour objectif la paix nucléaire. Ce processus d’équilibre des forces sera remis en question avec la nouvelle administration de George W. Bush dés l’an 2001, qui par ailleurs va revoir complètement le nombre de têtes prévues par les accords SALT, et rendra plus opérationnel le projet américain de défense anti-missile. Il faut rappeler aussi que le traité d’interdiction complète des essais (TICE, en anglais : Comprehensive Test Ban Treaty- CTBT), signé en 1995, ne sera pas ratifié par le Congrès américain. On constate aussi que l’ancien traité de non prolifération (TNP) n’est plus crédible dans la mesure où deux pays signataires, l’Irak et l’Iran, seront, inclus par les Etats-Unis dans « l’axe du mal », alors que le Pakistan, allié des Etats-Unis et signataire du traité, est traité comme un bon proliférant ainsi que l’Inde et Israël, qui ont refusé de signer le traité, et qui possèdent l’arme nucléaire. 46 Il faut noter à ce sujet que l’administration Bush qui a donné un coup d’accélérateur à une décision prise par ses prédécesseurs, a montré que la dénonciation du traité ABM signé en 1972 avec les soviétiques pour limiter les forces antimissiles ne signifiait pas une relance de la course aux armements. 261 Ainsi, les Etats-Unis s’arrogent le droit de police internationale, parce que les attentats du 11 septembre ont légitimé leur politique unilatérale, et les autorisent par une situation de fait, à violer les accords internationaux, à refuser de reconnaître le Cour Pénale Internationale, et à cibler agressivement des États qui ne sont pas liés au terrorisme international, cela tout simplement du fait de leur caractère d’État proliférant. Mais il s’agit là d’un ciblage sélectif et fortement discriminatoire comme on le voit. Paragraphe 3. Un cas d’étude : La politique stratégique de la France dans le flanc sud Pour évaluer l’action diplomatique de la France, il faut souligner la nécessité de tenir compte de l’environnement dans lequel va s’inscrire la politique étrangère du Président Chirac élu une première fois, en mai 1995, puis une deuxième fois, en mai 2002. En fait, la situation internationale qui a connu des bouleversements extrêmes entre 1989 et 1991 commence à se stabiliser ; les Etats-Unis sont la seule superpuissance globale ; la Russie poursuit sa transition ; l’Europe poursuit sa construction sur un fond de faible croissance économique ; l’Amérique du Sud redevient un pôle économique alors que le Japon marque le pas. Alors que les guerres civiles ont ensanglanté l’Afrique, la paix n’avance pas au Proche-orient où le fondamentalisme islamique a marqué l’évolution de la vie politique. La politique de la France dans la région va se démarquer de la politique américaine et œuvrer pour un appui équilibré aux différentes parties en conflit 262 A. La politique étrangère de Jacques Chirac Elle aura connu son plus grand succès lors de la visite d’État du président Chirac en Algérie, en mars 2003, et sera validée par le projet de signature d’un Traité d’amitié entre les deux pays ayant pour objectif le lancement d’une coopération étroite dans divers secteurs47. La politique du président Chirac se manifestera une fois de plus lors de la crise irakienne, durant le premier semestre de l’année 2003, lorsque la France exprimera son opposition à la volonté américaine d’attaquer l’Irak. Dés le début de son élection, un débat s’organise, par ailleurs, sur ce que l’on appelle la mondialisation. Le Président Chirac succède à un homme qui a présidé au destin de la France dans une période historique particulièrement riche en matières de grands changements stratégiques : fin de l’empire soviétique, réunification de l’Allemagne, dislocation des régimes des pays de l’Est, fin de l’apartheid, etc. Comment se démarquer en s’affirmant ? C’est en mai 1994 que François Mitterrand avait avancé que l’arrêt des essais nucléaires français qu’il avait alors décidé ne pourrait certainement pas être remis en cause par son successeur, quel qu’il soit. C’est sur ce point précis que le nouveau Président voudra marquer la diplomatie française, la crédibilité de la dissuasion française en matière d’armes nucléaires ayant été mise à mal, de son point de vue, par la décision de son prédécesseur. Les commentaires sur l’impétuosité du nouveau Président trouveront matière à 47 Les relations entre la France et l’Algérie vont entrer dans une phase intensive avec pour objectif la conclusion d’un traité d’amitié dans lequel figurent les questions de défense et de sécurité. 263 développement sur nombre d’initiatives et les médias eurent à raconter le geste d’agacement qu’il eut face aux hommes des services de sécurité israéliens qui le gênaient lors de sa visite à Jérusalem en octobre 1996. On a pu lui reprocher « de parler très fort avec un petit bâton 48 », du fait des capacités limitées de la France à modifier de façon décisive les évènements sur lesquels elle tente d’intervenir, mais certaines de ses démarches s’avéreront payantes en matière de sympathies capitalisées: acquiescement en janvier 1997 aux demandes polonaise et hongroise d’entrée dans l’Union européenne, et à l’OTAN avant l’an 2000, décision de se démarquer des Etats-Unis face au problème israélopalestinien, endossant ainsi le rôle d’avocat49 « des faibles », et de s’opposer à la guerre américaine contre l’Irak. Ainsi la méthode de Chirac s’inscrivait elle dans une logique gaulliste. Lorsque le rapport de force est défavorable il convient donc de parler plus fort, de cacher ses faiblesse et, en faisant ainsi remonter les enchères. Cet aspect volontaire de la politique chiraquienne s’exprime également, selon Pascal Boniface par le désir du président français de séduire ses homologues, agissant comme s’il se trouvait dans une campagne électorale internationale où l’adhésion personnelle à l’homme compte plus que le jugement sur sa politique. Bill Clinton avait fait de la diplomatie économique une priorité alors qu’en France une certaine idée de la grandeur du pays, amène les dirigeants à rester à l’écart des dossiers en rapport. « Chirac se démarque tant de son prédécesseur immédiat que de son modèle politique. Le Général de Gaulle se disait déçu en 1964, après la visite du 48 « La politique étrangère du président Chirac », Relations internationales et stratégiques, no 25, Printemps 1997. 49 Idem. 264 Premier Ministre Japonais de n’avoir reçu qu’un marchand de transistors alors qu’il voulait voir un homme politique 50». En matière de duels avec les Américains, l’avantage a presque toujours été pour la super puissance américaine. Ainsi par exemple en est-il du cas d’exemple concernant l’élection du Secrétaire général de l’ONU lorsque, ayant usé de son droit de veto contre la désignation de Kofi Annan, elle vit celui-ci néanmoins accéder au poste de Secrétaire général. Or, Boutros Ghali qui avait obtenu 14 suffrages sur les 15 que compte le Conseil de Sécurité a vu sa candidature définitivement écartée à la suite du véto américain. L’optimisme de la volonté n’a pu, ici, l’emporter sur le pessimiste de la raison, contrairement à la plupart des dossiers où le réalisme qui arrêterait au simple constat de rapport de forces a été écarté au profit d’un irréalisme permettant d’influer sur la réalité. La grande différence entre la France et la GrandeBretagne, après la guerre de Suez, tient justement sur cette différence d’approche. La Grande-Bretagne, réaliste, a compris qu’elle ne pouvait rien entreprendre sans l’aide ou le feu vert américain. La France irréaliste a jugé qu’elle devait désormais pouvoir se débrouiller seule et s’est dotée de l’arme atomique, l’irréalisme volontariste a été plus payant que le pragmatisme réaliste. Pour Michel Rocard, ancien Premier ministre, les années de la diplomatie de Jacques Chirac, si elles constituent une période trop courte pour permettre de voir aboutir des initiatives grandioses ou remarquables par leurs répercussions au niveau international, sont néanmoins une période suffisante pour apprécier à la fois la méthode et le style qui caractérisent le nouveau chef d’Etat français. Ce dernier a pourfendu largement l’impuissance occidentale au sujet de la Bosnie, amenant le Président Clinton, alors en plein campagne pour sa 50 Ibidem 265 réélection, à convier les parties intéressées à des négociations qui aboutiront aux accords de Dayton, résultat capitalisé par les Américains mais qui doit beaucoup à Jacques Chirac. L’arrêt définitif des essais nucléaires après une série qui devait en compter huit, le démantèlement du site de Mururoa, la signature des trois traités qui garantissent la dénucléarisation définitive de trois grandes régions du monde (Rarotonga, dans le pacifique sud, Tlateloco, en Amérique du Sud, et Pelindaba en Afrique), tout cela fait partie de la politique de Jacques Chirac aux résultats parmi lesquelles est cité l’épisode de la rénovation de l’OTAN. Le fait de reconnaître que pour aucun Etat membre de l’Union Européenne hors la France, l’organisation, de sa sécurité n’était concevable en dehors de l’OTAN, était nécessaire, fut une bonne idée pour amener à la restructuration de cette organisation pour permettre la consolidation de l’identité européenne de défense. Ainsi en est t-il de ce que l’on peut appeler la crise de l’humanitaire qui peut sembler constituer une manière d’alibi à l’impuissance des politiques. En matière de construction européenne, l’objectif sera de donner de la consistance aux deux nouveaux piliers de compétences définies par le Traité de l’Union: la politique étrangère et de sécurité commune, d’une part, et d’autre part, la politique des droits et des libertés en matière d’affaires intérieures. Or si le bloc des six états fondateurs (Allemagne, Benelux, Italie, France) a marché d’un pas relativement homogène, il se trouve que la France, alors qu’elle a une grande part dans la paternité intellectuelle de l’Europe a fait capoter le projet de CED (Communauté européenne de Défense), marquant par là son incapacité profonde à opter pour un type de construction européenne qui la conduise à des transferts substantiels de souveraineté. 266 « L’idée d’une personnalisation de l’expression de la politique étrangère et de sécurité de l’Europe est un camouflage du refus de l’élaborer en commun et de mettre en oeuvre sous une direction unifiée. Sans l’Europe, la France est une puissance faible, le poids des Etats-unis est tel qu’il faut à n’importe quelle nation une indépendance financière solide et beaucoup de courage pour leur résister, ou pire, les affronter (...). l’enjeu est l’émergence progressive dans l’opinion internationale et chez le plus grand nombre de gouvernements possibles, d’une vision et d’une exigence à peu près claires sur les régulations collectives dont le monde a besoin. IL s’agit de tomber d’accord sur les champs à couvrir: paix sécurité, stabilisation des marchés financiers ».51. Cette longue citation de Michel Rocard, l’ancien Premier Ministre du Président Mitterrand, est faite à dessein: elle éclaire sur la continuité de l’attitude et des aspirations de la France à participer à la définition des outils de régulation internationale Xavier de Villepin, ancien Président de la Commission des Affaires Etrangères de la Défense et des Forces Armées du Sénat français posera la question de savoir sur quels fondements devrait reposer une politique étrangère prétendant toujours à une certaine vocation universelle ? Le 16 mars 1995, le futur Chef de l’Etat français avait annoncé deux mois avant son élection, l’essentiel des orientations de sa politique étrangère: l’Europe étant une ambition nécessaire ; l’élargissement de grand projet politique ; l’évolution rendait possible un nouveau mode de relations entre la France et l’OTAN ; la relation de partenariat avec la Russie devait également être développée ; La France devait retrouver un grand dessein pour le monde arabe et la Méditerranée ; il fallait instaurer un nouveau partenariat entre la France et l’Afrique. Les circonstances auront aidé Jacques Chirac à définir progressivement une nouvelle politique étrangère en s’appuyant à la fois sur les contraintes de la 51 Relations Internationales et stratégiques, op.cit. 267 continuité et une volonté d’innovation, voire de rupture, au service de son ambition pour la France. Parmi les choix majeurs, on retiendra donc la confirmation de ceux en faveur de l’Europe et de l’Alliance atlantique, le premier étant consacré par la réalisation de l’union économique et monétaire, dans le respect des échéances prévues avant son mandat. IL s’agissait de faire aboutir une logique qui s’imposait avec force depuis le grand bouleversement géostratégique qu’a généré la chute du mur de Berlin, l’opposition entre une « Europe européenne » et une « Europe atlantique » perdant de son acuité. Le président Chirac, qui se réclame du gaullisme52 - le dernier à l’avoir fait fut Georges Pompidou, décédé en 1974 – en tendant d’adapter « la volonté d’indépendance nationale » héritée du général de Gaulle, n’a pas, en dépit, ou, peut-être, du fait de sa politique volontariste, manqué d’accumuler quelques échecs flagrants. Ainsi eut-il dû, selon André Fontaine, annoncer le démantèlement du site de Mururoa, ou l’adhésion au traité proscrivant dorénavant les essais après la reprise provisoire des essais qui lui valut d’être mis à l’index au parlement européen, à Strasbourg. 1. La politique arabe La France et son rôle dans l’Europe et dans l’organisation transatlantique ne sont pas les seuls domaines où l’activité de politique étrangère peut prendre ou vouloir se donner une dimension emblématique. Le Proche-Orient est l’une des régions où la France entend maintenir les signes actifs de sa présence diplomatique. Mitterrand fut le premier chef d’Etat français à se rendre en Israël depuis la création de cet Etat, tout comme il avait reçu, en 1989, Yasser Arafat. 52 Voir Lacouture Jean, De Gaulle, Chirac : un dialogue imaginaire, Le Débat, Paris, éd. Gallimard, mai-août 2003. 268 Le Président Chirac jouit en divers points de la région, de même qu’à Rabat et à Tunis, et sans doute aucun tout autant à Alger53, de beaucoup de sympathies. En 1975, il avait reçu, alors qu’il était le Premier ministre de Valery Giscard d’Estaing, le Président Irakien Saddam Hussein, en lui promettant le réacteur nucléaire que les Israéliens s’empressèrent de détruire. La France, l’Allemagne et la Belgique seront les seuls pays à s’opposer à la volonté américaine de déclencher une guerre contre l’Irak durant le premier trimestre 2003, quitte à menacer les Etats-Unis d’utiliser contre eux son veto au Conseil de sécurité. Pour servir la volonté de doter la France d’une politique arabe rénovée et non timorée, Jacques Chirac mettra à profit un contexte favorable au lendemain de son élection, contexte marqué par quelques difficultés ponctuelles de la diplomatie américaine dans la région, la relance du dialogue euro-méditerranéen, etc. Durant l’été 1995, quelques semaines seulement après son élection, le nouveau Président français avait reçu beaucoup de dirigeants de pays arabes: Rafik Hariri, Premier ministre Libanais, le ministre des Affaires Etrangères Syrien, le roi Hussein de Jordanie, le premier ministre Marocain Filali, le président Yéménite. Et, au début de 1996, lors d’un discours prononcé à l’université du Caire, il déclarait: « La politique arabe de la France doit être une dimension essentielle de sa politique étrangère. Je souhaite lui donner un élan nouveau dans la fidélité aux orientations voulues par le général de Gaulle 54». La fin de la guerre froide a en fait favorisé les recompositions régionales. Il ne s’agira plus de maintenir l’équilibre entre les deux superpuissances à la tête des 53 L’accueil extraordinairement chaleureux qu’il a reçu à Alger puis à Oran lors de la visite d’État que qu’il a effectuée en Algérie le 2 mars 2003 n’avait pas manqué d’étonner en France. 54 Discours prononcé par le président Jacques Chirac au Caire, en avril 1996. 269 blocs de l’Est et de l’Ouest, et un nouveau critère prend le pas dans les politiques de rapprochement : celui de la proximité géographique, ce qui a conduit entre autres à la relance du dialogue euro-arabe qui restera près de vingt années sans suite (il avait été ouvert dans les années 70). Une nouvelle sphère d’influence se construira, au Sud de la Méditerranée, pour l’Europe qui entend intégrer ses voisins du Sud. Toutefois, les difficultés rencontrées par les pays maghrébins dans l’édification d’une union régionale, la crise algérienne et l’embargo sur la Libye ayant plongé l’UMA (Union du Maghreb Arabe) en profonde léthargie, ont favorisé les relations « verticales », vers l’Europe, au détriment des relations « horizontales » intermaghrébines. A la différence du Président Mitterrand qui avait privilégié l’axe Est-Ouest, le Président Chirac semble opérer un recentrage Nord-Sud, déclarant dans son discours du Caire (Avril 96): « Après avoir détruit un mur à l’est, l’Europe doit désormais construire un pont au Sud55 ». Pour dépasser le cadre traditionnel des relations bilatérales interétatiques, la dimension régionale est promue dans le discours développé par la diplomatie présidentielle. La France peut apparaître, il est vrai, comme une sorte de leader naturel, face à son partenaire et concurrent allemand, pour l’élaboration d’une politique méditerranéenne. Le Proche-orient, en pleine recomposition, étant intégré dans une approche qui permet de dépasser le cadre maghrébin. Une nouvelle donne est à considérer, par ailleurs: la Palestine à cédé le pas, dans les médias français, à l’expression « territoires occupés », et le combat nationaliste des Palestiniens à acquis aux yeux de l’opinion française sa légitimité, et gagné quelque sympathie, surtout face à l’intransigeance de Benyamin Netanyahou et la politique destructrice de Sharon. La nouvelle politique arabe de la France se veut 55 Idem. 270 en fait surtout une fidélité réaffirmée à certains principes et la réhabilitation de la dimension économique des relations internationales, et l’affirmation de quelques nécessités, comme celle de combattre l’extrémisme, le fanatisme et les forces de la haine. La continuité quant au contenu du discours politique développé dans différentes circonstances va de pair avec une tonalité perçue comme nouvelle par les analystes. Ainsi, la tournée de Jacques Chirac au Proche-Orient fut l’occasion pour lui pour rompre avec quelques positions marquées par une certaine neutralité: à l’université technique de Haifa, il recommandera la restitution du Golan à la Syrie, la création d’un Etat palestinien, le retrait des forces d’occupation israéliennes du sud Liban (résolution 425 du Conseil de Sécurité). Ainsi, Paris n’hésitait plus à prendre le contre-pied de Washington, réaffirmant à l’occasion son attachement au maintien de l’intégrité territoriale de l’Irak, se retirant de la mission de protection des Kurdes d’Irak lors de la refonte de « Provide comfort » en décembre 1996, et posant ainsi les jalons pour s’ériger en partenaire privilégié. D’ailleurs, dès octobre 96, un conseiller commercial français avait officiellement pris ses fonctions à Bagdad, ce qui sera la seule exception parmi les Etats membres de la coalition. Les interlocuteurs privilégiés de la France dans le monde arabe restent incontestablement l’Algérie, le Maroc, pour le Maghreb, et le Liban pour le Proche-Orient, et c’est en leur direction qu’exercent ses marques de façon prépondérante la diplomatie française. 271 L’implication française en faveur du pouvoir marocain s’est révélée encore à l’occasion de la visite qu’effectua Hassan II en France en Mai 96 : l’aide octroyée par ce pays au Maroc est alors passée, en triplant, à 2,15 milliards de francs56. Au Liban, la France a vu son action en faveur de la francophonie trouver de nouveaux relais, en particulier auprès des chiites et des druzes. Comme un regain d’influence au Liban ne peut être acquis sans l’acquiescement de Damas, tout en appuyant la revendication syrienne sur le Golan, le Président français n’évoquait le retrait des 30.000 soldats syriens au Liban qu’en demi-teinte. Mais les ambitions françaises dans les pays arabes ne peuvent ignorer, cependant, les limites que les américains peuvent, implicitement ou explicitement leur fixer. Ainsi, si en ce qui concerne l’action culturelle et la francophonie, celles-ci sont inexistantes, il n’en va pas de même dans les questions de défense, où aucune possibilité d’action absolument autonome n’existe, ou dans ceux de la politique et des relations économiques. La « politique arabe » du Président français aura consisté par conséquent, durant les premières années de son mandat, à tirer profit surtout de l’absence américaine. La référence au général de Gaulle n’est pas purement formelle. Face à la superpuissance américaine, est-il possible de construire une diplomatie qui n’ait pas pour caractéristique de fond de contrer tout simplement les orientations normatives des Etats-Unis ? La revendication d’un rôle déterminant de l’Europe dans une médiation en faveur du processus de paix au Moyen Orient, serait-elle donc une maladresse face à la force de dissuasion diplomatique américaine, qui n’aura pas laissé 56 Voir Le Monde Diplomatique, mai 1996. 272 l’Europe acquérir le rôle qu’elle revendique (on l’aura vu avec la signature des nouveaux accords sous la seule égide des Etats Unis, au mois d’octobre 1998) ? 2. Les limites de la politique française dans les Balkans Le conflit bosniaque a été traité par la France à deux niveaux : un volet diplomatique (conférences et plans de paix) et un volet humanitaire. En mai 1996, la prise en otage des casques bleus par les Serbes montre les limites de la participation à la FORPRONU. Le Président Chirac va ordonner la reprise immédiate du commandement des contingents placés sous commandement de l’ONU. En Juin 1995, lors d’une conférence des ministres de la Défense des Etats de l’Union Européenne et de l’OTAN qui contribuent à la Forpronu, la France fait avaliser l’idée d’une Force multinationale de réaction rapide (FRR) pour des réactions d’urgence. Le recours à la force sera envisagé mais non autorisé au delà des cas de légitime défense57. La création des FRR caractérisera le tournant de la politique française à l’égard de la Forpronu et de l’impuissance des Nations Unies à gérer les situations de crise. La brigade multinationale de la FRR sera commandée par le général français Soubirou qui ne dépendra pas directement du commandement de la FORPRONU. Cependant, rappelons que la mise en oeuvre des accords de Dayton va marginaliser les efforts de la France à jouer un rôle de leader dans la paix. L’ONU va être mise à l’écart et remplacer par les forces de l’OTAN (IFOR). La suprématie française au sein des opérations menées par l’ONU (FORPRONU) va être amenée à laisser la place à une suprématie US avec les forces de l’OTAN (60.000 hommes dont 20.000 américains). 57 In La Revue de l’OTAN ,juin 1995. 273 Du point de vue politique, la mise en oeuvre des accords de Dayton va permettre la prise en charge du dossier bosniaque par l’OTAN et les Etats-Unis. Cette configuration basée sur le relais de l’IFOR par la force de stabilisation (SFOR) réduite à 31.000 hommes dont 8000 américains et 2500 français seulement, va marginaliser la France dans son rôle de leader. Cette mise à l’écart de la France est aussi celle de l’Union Européenne ; elle marque les limites de la politique française dans le théâtre de l’ex-Yougoslavie. La France veut jouer un rôle de puissance régionale depuis l’effondrement de l’ex-URSS, et se met en concurrence diplomatique sur le plan de l’hégémonie globale américaine. Cependant la politique de rapprochement de l’OTAN développée par Jacques Chirac est apparue comme une capitulation. Le concept commun franco-allemand en matière de sécurité et de défense (Accord francoallemand du 9 décembre 1996 rendu public en Janvier 1997) est défini comme un alignement sur la conception allemande et celle de l’OTAN, par les observateurs français. Ce qui signifie une remise en cause de la possibilité d’une autonomie d’une défense européenne indépendante. B . Les perspectives du partenariat euroméditerranéen Le partenariat euroméditerranéen comprend une entité hautement diversifiée qui inclut une variété de sous-systèmes tels que le Moyen Orient, l’Afrique du Nord, les Balkans, l’Europe du Sud et du Nord. Chaque sous-système a sa propre dynamique ainsi que ses propres problèmes et conflits58. Ces sous-systèmes sont différents en terme de développement économique, de stabilité politique et d’intégration. De manière plus importante, ils ont des engagements différents dans le cadre du régime du contrôle des armements 58 Voir Vasconcelos Alvaro et Joffé George, op.cit. 274 nucléaires. Malgré leur diversité, ces sous-systèmes sont reliés entre eux par le même type de menaces sécuritaires et d’arrangements. Cette combinaison de diversité et d’interconnections exige une approche qui prenne en considération les problèmes particuliers de chaque sous-système ainsi que l’universalité des engagements dans le cadre des arrangements sécuritaires. Une telle formule exige l’élaboration non seulement d’accords interétatiques mais aussi d’un consensus régional. Il faut souligner les liens géostratégiques existant entre le monde euroméditerranéen et les régions adjacentes, cela à différents niveaux à la fois géographiques et fonctionnels. La plupart des acteurs euro-méditerranéens ont de forts liens avec les puissances en dehors du partenariat euroméditerranéen, notamment les partenaires européens et la Turque qui sont membres de l’OTAN. Il faut noter à ce sujet que la stratégie nucléaire de l’OTAN prend en considération à la fois la dissuasion nucléaire européenne nationale et le contrôle global de l’armement. Le nouvel agenda euroméditerranéen pour l’action a une démarche qui a pour préalable la réalisation de la sécurité à travers une stratégie d’équilibrage et de développement des relations. Etant donné le déséquilibre actuel et les tendances unilatérales américaines qui se sont imposées au Moyen Orient, le point stratégique de base est la redéfinition du rôle de l’Union européenne dans ce contexte présent. L’Union européenne est le partenaire le plus puissant du partenariat euroméditerranéen, elle doit faire pression pour imposer un contrôle de la politique de désarmement à travers quatre axes d’action : - un ajustement conceptuel des stratégies de non-prolifération et d’élaboration des mesures de confiance (CBMs en anglais) ; - Une poursuite active d’une stratégie de désarmement nucléaire global sous le régime du TNP ; 275 - Un rôle actif dans le processus de paix des différentes régions du partenariat euro-méditerranéen ; - un engagement positif pour donner des garanties de sécurité aux partenaires non européens après leur retrait des armements de destruction massive. Il est vrai que le partenariat euro-méditerranéen a connu depuis la Déclaration de Barcelone (1995) des hauts et des bas, mais il est important que l’objectif premier de créer une zone de stabilité et de paix dans la région méditerranéenne se réalisera, car il permettra le développement d’une zone de libre échange et un rapprochement interculturel entre les pays de la région. Le programme d’action adopté lors des réunions ministérielles de Malte en 1997, et de Stuttgart, en 1999, se doit d’être appliqué afin de développer une base pour un régime sécuritaire coopératif futur dans le domaine de la limitation des armes conventionnels ainsi que dans le domaine crucial des mesures de confiance. En ce sens, le Maghreb va adopter les mesures pouvant le plus capitaliser ses atouts, ses dimensions maghrébine, africaine, arabe, méditerranéenne, euroméditerranéenne, dans la configuration géostratégique du Bassin méditerranéen et internationale, afin de poursuivre son intégration dans le processus de mondialisation actuellement en cours et ce, à travers son intégration dans les différents dialogues initiés dans la région. 276 Chapitre V Les initiatives de l’OTAN face au dialogue euro-méditerranéen 277 Chapitre V Les initiatives de l’OTAN face au dialogue euro-méditerranéen Dans les représentations géostratégiques américaines, l’environnement international a un corridor géostratégique incluant un espace allant de Gibraltar et du Golfe à Bakou, aux pays du Caucase et aux régions de la Mer Noire en intégrant l’Ukraine. Alors que pendant les décennies de la guerre froide, le front central de l’Alliance atlantique a focalisé l’attention des décideurs et stratèges occidentaux, la Méditerranée ayant été en quelque sorte considérée comme une zone de seconde importance. Mais un regain d’intérêt pour cette région du flanc sud s’est manifesté de façon suffisamment rapide pour être perceptible dès la fin de la guerre froide. Les enjeux sécuritaires de cette région, dès lors, ne cesseront de jouer un rôle croissant dans les calculs stratégiques des États-Unis, de l’Europe et du Moyen-Orient. De quoi s’agit-il ? De préserver la sécurité, et donc, la prospérité des Etats clés de la région en établissant des dispositifs pour faire en sorte qu’il ne soient pas affectés par les événements et les crises qui se produiraient dans le Bassin méditerranéen. En réalité, les études prospectives des analystes et décideurs occidentaux avaient commencé à ne pas exclure dans l’avenir, par exemple, de nouvelles tensions avec la Russie du fait de l’instabilité en Europe de l’Est et la périphérie de cette région qui inclut la Méditerranée. Il est devenu à l’évidence et, de toutes les façons, incontestable qu’aujourd’hui les questions méditerranéennes occupent une place prééminente dans les débats stratégiques au vu des nouveaux enjeux soulevés par la géopolitique de la région des deux côtés de l’Atlantique et sur les rives de la Méditerranée. Nous procédons à présent à une évaluation de l’Initiative méditerranéenne de l’ OTAN, lancée à la fin de l’année 1994, de même, les autres initiatives de dialogue proposées par 278 les organisations européennes durant ces dernières années gagnent sont revues dans une analyse comparative. Comment ces initiatives ont-elles été développées comme instruments pour faire face aux problèmes clés de sécurité dans la région méditerranéenne ? Quelle est l’articulation entre les contributions euro-méditerranéenes et nord atlantiques au dialogue méditerranéen, plus particulièrement celles du processus de Barcelone rattachées aux activités de l’UEO (Union de l’Europe Occidentale) ? Nous tenterons également d’appréhender les objectifs du dialogue initié par l’OTAN et, de même, les perspectives qu’il représente pour les parties prenantes au dialogue. De même nous attacherons-nous, tout pareillement, à l’examen des activités programmées par l’Initiative de l’OTAN avec les pays de la périphérie Sud. Nous présenterons également les perspectives que ce processus d’ouverture offre aux pays du Maghreb. Section 1 : l’agenda sécuritaire en Méditerranée Pour certains géostratèges, il n’y aurait pas de géostratégie américaine à l’égard de la Méditerranée. Il y aurait en fait une volonté de développer une coopération et une normalisation des rapports qui iraient en crescendo avec les pays du sud de la Méditerranée dont les pays du Maghreb. A ce sujet, on peut noter le constat suivant de Michel Foucher, spécialiste des questions stratégiques : « Quand on regarde objectivement l’avenir, on se rend compte, en tout cas, c’est le point de vue français, que l’OTAN est inadaptée pour traiter les questions de sécurité auxquelles est confronté l’ensemble méditerranéen, et que l’approche de l’OTAN peut être partielle et complémentaire des initiatives beaucoup plus globales. On constate aussi qu’un certain nombre de pays méditerranéens considèrent qu’une extension sous des formes variées et irraisonnées de l’OTAN pourrait être finalement un facteur 279 potentiel de confrontation Nord-Sud, c'est-à-dire que là on réactualise le thème de la menace, alors que la demande des pays du pourtour méditerranéen est une demande de partenariat sur un pied d’égalité.1 » En fait, à partir de 1989, année de la chute du mur de Berlin, l’Alliance atlantique avait concentré son attention essentiellement sur l’Europe de l’Est où le démantèlement du bloc soviétique avait propulsé sur la scène internationale les Etats en ayant fait partie, avec des problèmes et des préoccupations diverses : processus de démocratisation diversement élaborés, conflits ethniques ou intercommunautaires, conversion de l’économie dirigée en économie de marché, etc. La Méditerranée, dès lors, n’avait reçu durant quelques années qu’une attention limitée et, quand elle se manifestait, quelque peu protocolaire. Il est très probable que, durant la décennie en cours, la région méditerranéenne acquière une importance plus affirmée dans les intentions et les proclamations de l’Ouest, et en tout cas plus conforme à son importance géopolitique. Si l’élargissement de l’OTAN ainsi que celui de l’Union européenne réussissent complètement, en effet, il est probable que l’Europe centrale et orientale sera intégrée complètement dans les organisations politiques, économiques et sécuritaires euroatlantiques. On ne devrait pas manquer de relever, dès lors, que les problèmes les plus probants en matière de sécurité seront localisés dans les régions de la périphérie Sud de l’OTAN, c’est à dire les Balkans, la Méditerranée et le Caucase. Paragraphe 1. Repenser la sécurité en Méditerranée Pendant assez longtemps, bien des observateurs et analystes occidentaux, tout particulièrement, se sont montrés sceptiques face à la notion de sécurité méditerranéenne : l’espace méditerranéen à leurs yeux était une zone trop diverse et trop variée en termes de sécurité pour constituer une entité susceptible d’intégration. 1 Michel Foucher, La sécurité en Méditerranée : perception française, Transitions et Perspectives, no 1, 2001, INESG. 280 Pour eux, la région avait trop de facteurs de variation en termes de sécurité, et donc, faisait présumer de problèmes sérieux, certes, mais néanmoins différenciés sur le plan sub-régional. A. La notion de sécurité méditerranéenne Au regard des analystes, il ne pouvait y avoir une démarche commune face à la question du Sahara Occidental, du Levant, de la mer Egée, des Balkans, de l’Afghanistan ou de l’Irak. Peut-être faut-il évoquer ici, de plus, la division prévalant traditionnellement entre approche intellectuelle et approche bureaucratique, entre questions européennes et questions moyen-orientales ? Ces considérations ne pouvaient manquer de rendre la perspective d’une approche méditerranéenne commune difficile, au regard des ÉtatsUnis. Mais, comme on dit, nécessité fait loi, et des raisons impératives ont amené les ÉtatsUnis et leurs alliés de l’OTAN à l’adoption d’une démarche méditerranéenne commune. C’est que, tout d’abord, l’existence de questions sub-régionales distinctes ne peut faire évacuer l’importance d’une approche plus large, autrement dit transrégionale, aux problèmes sécuritaires ; beaucoup d’aspects sécuritaires ne peuvent être valablement appréhendés et traités en effet s’ils sont perçus à travers des crises circonscrites à ellesmêmes, et donc séparées les unes des autres. La globalité peut n’être pas seulement une dimension, mais une démarche ; elle ne gomme pas les détails qui la composent et la constituent. Les décideurs occidentaux n’ont aucune difficulté à envisager que les questions de la mer Baltique, des Balkans, ou de l’Europe centrale appartiennent à un cadre référant à la sécurité européenne, ou encore que les événements qui affectent l’Afrique du Nord, le Golfe Arabo-Persique ou le Moyen-Orient, contribuent à façonner un environnement sécuritaire moyen-oriental plus large. Aussi, pourquoi ne pas utiliser une approche 281 méditerranéenne quand les problèmes soulevés et les solutions le permettent, et qu’ils en sont quasiment les présupposés et le fondement ? B. La spécificité des crises En premier lieu, et sans perdre de vue pour autant la spécificité des crises, il semble assez évident que nombre d’enjeux sécuritaires autour du Bassin méditerranéen proviennent de tendances ou de réalités similaires ; croissance ralentie, urbanisation sauvage, nationalismes réémergents et radicalisme religieux en sont quelques uns des termes. Ajoutons, à ces multiples facteurs, la quête de la puissance régionale qui nourrit et que nourrissent plus d’un régime de cette zone géographique. Il existe aujourd’hui, de toutes les façons, une interdépendance croissante entre des environnements sécuritaires traditionnellement séparés du fait des répercussions induites par l’accès expansif des Etats de la région aux systèmes d’armements militaires modernes, comme aux systèmes d’information modernes. Cette situation produit une large série de problèmes qui ne sont pas strictement européens, non plus qu’ils ne sont strictement moyen-orientaux. La Méditerranée est au centre de ce phénomène ; la sécurité méditerranéenne est devenue par conséquent un principe d’organisation pour les Etats et les institutions voulant améliorer le climat sécuritaire. C’est dans ce cadre de réflexion qu’il faut donc situer l’initiative méditerranéenne du dialogue de l’OTAN avec les pays du Maghreb. Que vise cette initiative ? En tout premier lieu, l’un de ses objectifs est d’apporter des solutions à des questions de sécurité d’ordre fonctionnel, comme par exemple la prolifération des armements, la gestion des crises ou le terrorisme. Ce genre de questions transcende habituellement les divisions géographiques. Il se trouve enfin que l’importance géostratégique de la Méditerranée s’y trouve justement valorisée en tant que sphère naturelle d’action à la porte de l’Europe occidentale. 282 Paragraphe 2. Le nouveau concept de sécurité L’agenda sécuritaire en Méditerranée comprend aussi bien, comme nous l’avons vu, un aspect politique et socio-économique, dénommé soft security, ou sécurité douce, que l’aspect militaire et de défense, inclus dans la notion de hard security, ou sécurité d’ordre militaire2. L’expansion de l’agenda sécuritaire au delà des questions strictes de défense sera une caractéristique prépondérante de la période de l’après-guerre froide dans le monde. La Méditerranée tout comme le Maghreb sont des espaces géopolitiques à l’évidence illustratifs de cette tendance. Les questions de soft security ou de coopération A. La propension, ces dernières années, a été d’inclure dans la définition des questions dites « soft » des considérations telles que les tendances migratoires, par exemple, en tant qu’enjeu sécuritaire. Cela équivaut à procéder au traitement des questions socioéconomiques par les décideurs politiques des deux rives de la Méditerranée dans le contexte, désormais ouvert, de la sécurité. Ainsi par exemple, en Afrique du Nord tout comme en Turquie, la question des communautés émigrées fait partie de l’agenda de politique sécuritaire au sens large. Cette questions est liée, on le sait, au problème de la disparité croissante des niveaux de vie entre un Nord riche et un espace Sud de plus en plus surpeuplé et guetté par l’indigence. On connaît la force potentielle de la pression migratoire qui pèse sur les pays du Nord, à partir du Sud. La population totale sur les rives orientale et occidentale du sud le la Méditerranée devrait bientôt atteindre les 350 millions d’habitants. Cela, alors que celle de l’Union européenne qui inclut donc la totalité des pays membres de cette Union, ne dépasserait pas les 300 millions d’habitants. Il est vrai qu’elle a été portée à 450 millions d’habitants en mai 2004, lorsque rendue effective l’adhésion de dix autres pays européens à l’Union, 2 Ian Lesser, La sécurité méditerranéenne : nouvelles perspectives pour la politique américaine, Documentation de la Rand Corporation, RA 4178-AF, Santa Monica, USA, 1992. 283 faisant de celle-ci le troisième ensemble démographique mondial après la Chine (1,380 millions d’habitants), et l’Inde (un peu plus d’un milliard d’habitants). Pour les analystes occidentaux, ces données ont un impact direct sur l’accroissement de la pauvreté et les flux migratoires. Durant la dernière décennie écoulée, les pays du Maghreb, ainsi que l’Egypte, ont connu un accroissement démographique de l’ordre de près de 40% ; la population âgée de moins de 15 devrait y atteindre 30% de l’ensemble d’ici à l’année 2025. Cette pression démographique produit une urbanisation effrénée, de fortes contraintes socioéconomiques et un flux constant de migration en quête d’emplois et de services sociaux. Ce processus débute en fait bien plus au sud du Maghreb, et il affecte, mais de façon différente et par bien des aspects, opposée, les sociétés des deux côtés de la Méditerranée. Il est bien évident que ces pressions, ajoutées à la division entre riches et pauvres, menacent la stabilité politique des Etats autour de la Méditerranée. Une autre question inscrite dans l’agenda sécuritaire des pays du nord concerne l’énergie. Elle est apparue et a été prise en charge de façon de moins en moins individuelle par les pays du nord. Cette question et celles qui lui sont subséquentes ont été vécues et traitées comme des préoccupations prioritaires. Le développement de nouveaux moyens de transport de l’énergie (gazoducs) autour du Bassin méditerranéen a fait que l’intérêt pour la sécurité énergétique est plus largement partagé. Au demeurant, il faut relever que les débats sur l’énergie en tant que question sécuritaire perdent de leur aspect traditionnel et de leur présentation antagonique Nord/Sud. Et pour cause : des liens Sud/Sud se développent dans ce domaine ; il faut se rappeler de la création du gazoduc transMaghreb, du gazoduc irano-turc, ou encore des routes alternatives pour ramener le pétrole de la mer Caspienne vers les marchés occidentaux. Le développement de ces liens nouveaux dans le domaine crucial de l’énergie apparaît en fait comme une source de vulnérabilité supplémentaire aux turbulences politiques, et cela 284 bien au delà des frontières nationales et des limites des ensembles régionaux. Evoquons, sur ce point, les crises politiques de septembre 2000 qui ont secoué certains pays d’Europe à la suite de l’augmentation du prix du baril de pétrole qui avait fini par atteindre des pointes aux alentours de 37 dollars, ce qui a amené les professions fortement consommatrices de carburant (transporteurs, etc.), à bloquer la circulation dans la plupart des régions de France en vue d’obtenir une diminution des prix, le mouvement ayant fini par contaminer ensuite d’autres pays, comme l’Angleterre. On se rappellera que ce mouvement avait failli mettre gravement en péril la continuité du gouvernement Jospin. Il n’est pas surprenant du tout, par conséquent, que le partenariat euro méditerranéen tout comme l’initiative méditerranéenne de l’OTAN ait placé la coopération dans le domaine des hydrocarbures au sommet des priorités sécuritaires. C’est là une partie dite « douce » (softest part) de l’agenda sécuritaire en Méditerranée. Elle est ordinairement dénommée « security of identity », ou sécurité identitaire. De même, la question de la sécurité culturelle est intensément posée dans les sociétés méditerranéennes et elle demeure prééminente dans la réflexion et les travaux de nombres d’observateurs, aussi bien laïcs que religieux en Afrique du Nord et au MoyenOrient3. Elle reste également présente, de façon implicite et, parfois, dans les spéculations faites autour du « choc des civilisations » en Méditerranée. On sait bien ce que l’on entend ordinairement par cette expression dans certains cercles de pensée ; il s’agit du supposé « choc » entre le monde de l’Islam et le monde occidental, majoritairement chrétien. Précisons en outre l’effet paradoxal des émissions de télévision acheminées dans les foyers les plus lointains par l’antenne parabolique dans la mesure où certaines émissions aident à la prise de conscience sur la question identitaire. Ainsi, les attentats anti-américains du 11 septembre 2001 menés, a-t-il été admis, par le réseau 3 Slimane Cheikh, La sécurité et la coopération en Méditerranée, position de la rive sud, Actes de Milan, Stradimed, FMES, 10-12 mai 1999. 285 terroriste d’Al Qaïda, n’ont fait qu’accentuer les divergences de perception des uns et des autres4. En ce qui concerne la signification de l’émigration quant à la sécurité culturelle des pays d’accueil, il faut s’interroger sur le fait de savoir si les flux migratoires en provenance du Sud n’ont pas été en dernier ressort avantageux pour les pays d’accueil. Autant ces pays d’accueil – ou tout au moins certaines composantes de leurs classes politiques respectives – s’interrogent, voire s’inquiètent de savoir ou d’imaginer leur « authenticité » culturelle altérée par les apports de l’immigration, autant les pays pourvoyeurs d’émigration tentent de garder leurs émigrés dans des relations fortes avec leur passé et leur « personnalité » culturelle nationale d’origine. On ne peut valablement juger, sinon par des dispositions d’esprit virant au préjugé, de la validité de ces inquiétudes culturelles de part et d’autre de la Méditerranée ; il est clair cependant que les perceptions de la sécurité identitaire peuvent avoir un effet marqué sur les perspectives du dialogue méditerranéen et de la coopération dans d’autres fronts. Il faut relever que les initiatives de dialogue euro-méditerranéen, tout comme celles de l’Alliance atlantique, ont inclues dans leur démarche de dialogue la question identitaire comme une partie importante de leur stratégie d’information publique. C’est dire l’importance accordée aux incidences du fait migratoire, alors même qu’il est loin d’être massif et que, très vraisemblablement, il ne le sera pas ou ne le sera que dans des temps si lointains qu’on peut le considérer comme n’ayant pas à advenir. B. La « Hard Security » ou sécurité de défense Les problèmes de sécurité « dure » ou hard security dans les domaines militaires et de défense sont de nature différente. 4 Il faut rappeler à ce sujet l’irruption d’un islamisme radical, au Maroc, dont les attentats de Casablanca, le 16 mai 2003, furent l’expression tragique. Le pouvoir marocain va tenter de le détruire en agissant à deux niveaux : sur les plans sécuritaire et religieux. Ainsi, une campagne d’arrestation massive a provoqué l’arrestation de 2000 à 5000 personnes, selon certaines sources. 286 Il faut rappeler qu’ils vont de la violence politique au terrorisme, de la prolifération des armes de destruction massive aux systèmes d’armement à longue portée. L’existence d’arsenaux conventionnels sophistiqués et de large échelle pose un défi au statu quo territorial. Il s’agit là d’un centre d’intérêt certain à la réflexion en matière d’environnement sécuritaire méditerranéen. Le risque militaire direct semble demeurer, toutefois, aussi bien nord-sud que sud-sud, pour ce qui concerne la Méditerranée orientale, et sud-sud pour ce qui est de la partie occidentale, dont le Maghreb. Il faut noter, ici, la perception sécuritaire de l’Occident, du fait d’une exposition fragilisante de l’Europe à des armements de plus longue portée, déployés dans la périphérie méditerranéenne. Il reste, bien sûr, la perspective d’affrontements possibles en Afrique du Nord, mais ces affrontements risquent surtout de mettre face à face des pays voisins. Des risques de confrontations identifiables existent ; citons ceux, potentiels, entre le Maroc et l’Algérie, la Libye et la Tunisie, ou encore la Libye et l’Egypte, ou l’Egypte face au Soudan. On le voit, il s’agit de pays frontaliers. Le bon voisinage, le voisinage paisible à défaut d’être positif et solidaire, n’est pas encore au sommaire de l’actualité. Des affrontements militaires traversant la Méditerranée sont plus difficiles à imaginer. Peut-être peut-on penser à une exception, qui serait celle concernant une crise entre le Maroc et l’Espagne, et qui aurait pour point de départ la question des enclaves de Ceuta et Melilla, comme cela fut le cas pour l’ilôt Persil, en août 2002 ? Dans la Méditerranée orientale, les conditions potentielles à un conflit armé à large échelle paraissent plus plausibles du point de vue de l’environnement stratégique. Tout d’abord, il faut songer à la deuxième guerre en Irak, et à ses éventuelles répercussions sur la région. L’arrestation de Saddam Hussein au mois de décembre 2003 pouvait créer des effervescences dont pouvaient émerger des mouvements déstabilisateurs, dans toute la région limitrophe de l’Irak et pas seulement en Irak même, cela dans la mesure où les imbrications des écoles confessionnelles et des ensembles ethniques, très souvent 287 opposés les uns aux autres, constituent des terrains favorables à l’affrontement actif, y compris militaire. De même, le conflit arabo-israélien continue à avoir une dimension militaire importante, et cela en dépit des efforts innombrables et des diverses initiatives des camps de la paix au sein de chacune des parties adverses. Pour preuve, les soulèvements de la population palestinienne dans les territoires occupés, au mois d’octobre 2000, à la suite de ce que l’on considère comme une provocation de la part d’Ariel Sharon, qui s’était rendu sur l’esplanade des mosquées à Jérusalem, provoquant le courroux de la jeunesse palestinienne qui a vu la mort la frapper des dizaines de fois, après que des pourparlers eurent avorté. On a vu comment, alors qu’on attendait une reprise des négociations pour une paix définitive, les armes et les pierres, pour les enfants palestiniens, ont pris le relais des esquisses de négociation. Cela sera suivi des bombardements israéliens contre les territoires gérés par l’Autorité palestinienne pendant tout l’été 2002 et tout au long des années qui suivirent jusqu’à la victoire du parti islamiste Hamas aux élections de janvier 2006. Cette dimension militaire de l’affrontement est à la fois conventionnelle et non conventionnelle. En évoquant le conflit arabo-israélien, nous pouvons tenir pour évident, ainsi qu’il semble aller de soi, que nombre d’aspects de l’équation sécuritaire en Méditerranée ne lui sont pas liés. Comment, cependant, ignorer l’articulation existant entre l’échec du processus de paix au Moyen-Orient, et les perspectives qui peuvent être tracées pour l’approfondissement de la coopération sécuritaire entre le Nord et le Sud ? La nature, la teneur, le contenu réel des relations arabo-israéliennes influencent très certainement de façon profonde le caractère véritablement multilatéral du dialogue de l’OTAN, par opposition à un dialogue ouvert, et moins limité sur le plan bilatéral ou multilatéral. 288 Peut-on cependant franchement évoquer sans crainte de paraître trop solliciter l’imagination, la perspective d’autres conflits méditerranéens ? Entre la Grèce et la Turquie, la tension demeure, même si elle ne fait pas la une des journaux tout le temps. La question de Chypre est un motif de potentialité de crise permanente, en effet, bien qu’elle soit parfois oubliée par l’actualité. La possibilité d’adhésion de la Turquie à l’Union européenne règlera certainement les processus de règlement de cette problématique5. Si les Balkans et la région de la mer Noire sont inclus dans l’équation de ces conflits, il faut dire que les conflits armés autour et dans la Méditerranée sont loin d’être une simple question théorique. Il apparaîtra très probablement plus d’une fois dans l’avenir après la deuxième guerre en Irak., dans l’agenda sécuritaire, une question qui émergera très fortement : celle de savoir qui de la Bosnie, du Kosovo, de l’Algérie, du Liban, de la Syrie ou de la mer Egée pouvait influencer de façon décisive la perception de la question sécuritaire dans la région. De plus, il est certain qu’une détérioration du climat entourant les questions politiques, économiques et même culturelles pourrait produire un environnement dans lequel des risques de sécurité dès lors plus directs pourraient fâcheusement s’accroître6. Les crises pourraient être dès lors extrêmement difficiles à gérer et les initiatives méditerranéennes de dialogue pourraient devenir des forums de résolutions de conflits particulièrement utiles.. 5 Il faut noter que l’ouverture des négociations d’adhésion avec la Turquie a é la fin 2005 et le début 2006. En fait l’Union européenne prévoit un scénario alternatif à l’entrée de la Turquie en cas d’échec, c'est-à-dire un partenariat privilégié. 6 Voir Rodrigo de Rato, In pursuit of euromediterranean security, Working group on the southern region, North Atlantic Assembly, may 1996. 289 Section 2: Les initiatives euro-méditerranéennes de dialogue. Tout au long de la dernière décennie du siècle passé, on a vu se succéder plusieurs initiatives, dont certaines sont restées au stade de propositions, pour renforcer la coopération en Méditerranée : le groupe des 5+5, la CSCM (Conférence sur la Sécurité et la Coopération en Méditerranée), le Forum méditerranéen, les sommets du MoyenOrient/Afrique du Nord, ou MENA, le Groupe de travail sur le Contrôle et la Sécurité régionale, ou ACRS, le partenariat euro-méditerranéen, l’Initiative de l’UEO, le Groupe de Contact méditerranéen de l’OSCE (Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe…). Comme on le voit, les cadres de concertation et de coopération restent multiples en ce qui concerne la sécurité méditerranéenne et il est très probable qu’ils le demeureront encore pendant très longtemps car les initiatives en vue d’alléger les divergences entre Etats voisins pour les amener à des approches solidaires demeurent parfois difficiles quand elles ont lieu7. Cela n’est pas sans poser des questions de méthode mais aussi de fond pour l’Alliance atlantique. Comment faire en effet pour que l’initiative méditerranéenne de dialogue de l’OTAN soit articulée de façon efficace et rentable, tant sur le plan politique que militaire, aux autres initiatives ayant pour terrain de développement la Méditerranée ? Cela amène à des questions de fond : • Quels sont les avantages comparatifs pour l’OTAN dans chacune des approches développées ? 7 On peut noter à ce sujet la difficulté que l’Union européenne rencontre dans la mise en place d’une politique étrangère commune avec pour objectif de résoudre ce problème par la méthode intergouvernementale afin d’avancer dans un domaine qui touche au cœur des souverainetés nationales. Certains pays européens ne voient pas la nécessité d’une défense et d’une diplomatie européenne, on retrouve cette conception dans la position des pays de l’Est qui entrent dans l’OTAN pour faire de la politique et dans l’Union pour faire du commerce. 290 • Comment l’initiative de l’OTAN s’est-elle articulée pour éviter qu’il se produise une sorte de redondance d’activités ou encore sans que celles-ci se neutralisent ou se contredisent8 ? Paragraphe 1. Le partenariat euroméditérranéen De toutes les initiatives méditerranéennes, la plus ambitieuse comme la plus développée reste certainement celle du partenariat euro-méditerranéen enclenchée par l’Union européenne à Barcelone en novembre 1995, désignée également par l’expression de Processus de Barcelone. Cette initiative semble avoir répondu au souci des pays de l’Europe du Sud de trouver des réponses dans un cadre concerté aux problèmes socio-économiques se posant de l’autre côté de la Méditerranée. Par ailleurs, elle reflétait également un autre souci, celui de ces mêmes pays du sud de l’Union Européenne, avec la France en tête, de redresser un certain déséquilibre constaté dans l’allocation des ressources entre l’Est et le Sud. A. Historique On ne saurait pour autant dire valablement que l’initiative euro-méditerranéenne a émergé du vide ; il est plus juste de considérer qu’elle fut l’aboutissement d’un processus qui a duré des décennies entières, fait d’efforts européens pour approfondir la coopération avec les pays du littoral sud de la Méditerranée. C’est dès le début des années soixante, en effet, que datent les premiers contacts entre la CEE et les Etats méditerranéens qui n’étaient pas membres de la communauté. Dans leur forme initiale, il est vrai, les premiers liens contractuels étaient limités pour ainsi dire au commerce. Il s’agissait alors de permettre un accès libre aux biens industriels des marchés de la CEE en même temps que de permettre des concessions d’exportation de biens agricoles spécifiques. Mais ces accords correspondaient alors davantage aux 8 Il faut rappeler à ce sujet le positionnement de l’Algérie qui considère l’initiative de dialogue de l’OTAN comme une potentialité de partenariat fondé sur une coopération substantielle diversifiée, et qui pourrait devenir éventuellement, le complément du processus euroméditerranéen notamment dans son volet politico-sécuritaire. 291 besoins des pays du Sud de la Méditerranée d’augmenter leurs exportations vers l’Europe qu’à une stratégie globale européenne de coopération. Le facteur économique était, pour dire les choses plus directement, plus important que le facteur politique. Ce n’est plus aujourd’hui le cas. Ces liens furent ensuite étendus à la sphère financière grâce à des accords d’association avec la Turquie, Chypre et Malte, et des accords de coopérations avec d’autres pays méditerranéens. Toutefois, durant les années soixante-dix, les relations commerciales connurent une certaine régression ; de même qu’au début des années 1980. La première raison était le renchérissement du prix du pétrole, la seconde, l’admission de deux nouveaux pays dans la CEE : l’Espagne et le Portugal, tous deux disposant des productions, agricoles notamment, qui étaient attendues des pays d’Afrique du Nord. Durant cette période, la CEE avait, au demeurant, établi des restrictions sur certains produits sensibles : notamment les textiles et les produits agricoles. Les exportations en direction de la CEE depuis les pays du sud de la Méditerranée demeurèrent de toutes les façons à des niveaux parmi les plus bas. On a assisté, avec la fin de la guerre froide, à un développement de programmes plus ambitieux. C’est en 1990 que le Conseil de l’Europe initia une politique euro méditerranéenne plus déterminée. Puis, de juin à décembre 1994, les Conseils européens, à Corfou et à Essen, se sont attelés à établir une définition et une orientation du partenariat euroméditerranéen dans le cadre d’une nouvelle politique du Sud. On peut mentionner trois facteurs qui ont mené à cette initiative : - le processus d’élargissement de la communauté, tout d’abord, produit un sentiment de marginalisation dans les pays du Sud qui se sont trouvés explicitement exclus de ce processus. En effet, quatre pays avaient signé leurs traités d’adhésion en juin 1994, à Corfou (Suède, Norvège, Finlande, Autriche), renforçant ainsi les disparités entre le Nord et le Sud ; 292 - la conclusion de l’Uruguay Round, ensuite, avait mis fin au régime des préférences qui fondaient les Accords d’association en vigueur avec certains pays méditerranéens. Il fallait alors revoir le régime de coopération basé sur le partenariat dans un contexte de libre-échange ; - enfin, il faut évoquer le Sommet économique MENA de Casablanca, organisé par les États-Unis dans une optique de rivalité avec l’Union européenne9. L’ensemble de ces éléments va mener l’Union européenne à proclamer en décembre 1994, à Essen, sa propre alternative pour l’ensemble Maghreb-Machrek dans le cadre d’un partenariat global euro-méditerranéen. Cette politique sera basée sur une aide financière accrue. Elle envisagera également une amélioration de l’accès au marché européen, de même qu’un effort véritable en matière de dialogue politique. L’idée était que l’aide de la CEE ajoutée à une réforme structurelle stimulerait l’activité du secteur privé. Ce qui devait s’ensuivre, c’était théoriquement que cela devait amener de la croissance économique à long terme. Quelques améliorations graduelles avaient pu être relevées. Le partenariat devait avoir les composantes essentielles suivantes10 : - instauration d’un espace commun avec une logique d’intégration ; - développement des synergies régionales en une structure de co-responsabilité ; - alliance avec des valeurs nouvelles dans un environnement marqué par la mondialisation, et conscience d’une prise de risques. 9 Cette rivalité entre les Etats-Unis et l’Union européenne va être suivie d’un rapprochement avec la visite de Condoleeza Rice, Secrétaire d’Etat américain, à Bruxelles, le 9 février 2005, pour des discussions avec l’OTAN et l’Union européenne suivie de la visite du président George W. Bush, le 22 février 2005. Un appel sera lancé pour un nouveau chapitre dans les relations transatlantiques afin de surmonter les désaccords du passé, notamment sur l’Irak. A Bruxelles, le président américain devait appeler à renforcer la relation transatlantique, définie comme une communauté d’action pour faire avancer la paix dans le monde. 10 In Ahmed Ounaies, « Le contenu politique du Partenariat euro-méditerranéen », Revue d’Etudes Internationales, Association des Etudes internationales, Tunis, no 81, 4/2001. 293 Dans le passé, la portée de la stratégie euro-méditerranéenne était limitée. Dans sa tentative d’augmenter les performances des économies sud-méditerranéennes, la Communauté économique européenne avait été peu performante ; les discussions politiques n’aboutirent pratiquement sur rien de concret. La plupart des économies des pays partenaires avaient maintenu une protection douanière élevée. D’autre part, il faut dire que la plupart des pays européens tenaient très peu à ouvrir leurs marchés aux produits agricoles. Ainsi, l’absence d’une libéralisation économique avait empêché l’essor des exportations régionales. Le déficit structurel dont les pays du sud souffraient depuis des années en matière d’échanges avec l’Europe demeurait11. Faut-il rappeler qu’avant que soit engagé le processus de Barcelone, il y avait une absence remarquable de vision stratégique de la Méditerranée, en tant qu’entité géopolitique intégrée ? En réalité, et cela jusqu’aux années 1990, l’Europe avait des approches différenciées selon qu’il s’agissait du Maghreb, du Machrek, ou tout simplement de l’Etat d’Israël. Ce fut par conséquent, et en quelque sorte, face à cet échec que l’Union européenne tenta de donner à sa coopération une évolution nouvelle, en la dotant d’une tournure plus substantielle, ce qui eut pour effet et pour résultat remarquable d’aboutir à la conférence historique de Barcelone de 1995. B. La conférence de Barcelone de 1995 C’est le 27 novembre 1995 que l’Union européenne avait lancé sa politique méditerranéenne à Barcelone. La conférence connue sous son nom fut le résultat d’une année d’efforts consentis par l’Union pour créer la base d’un partenariat avec l’Algérie, Chypre, l’Egypte, Israël, la Jordanie, le Liban, Malte, le Maroc, la Syrie, la Tunisie, la Turquie et l’Autorité palestinienne. C’était là un changement qualitatif dans la politique 11 In Renforcer la politique méditerranéenne de l’Union européenne, Bulletin de l’Union européenne, Supplément 2/ 95, p. 17. 294 euro-méditerranéenne. L’idée avait été soutenue et favorisée de façon essentielle par la France, l’Italie et l’Espagne durant les sommets du Conseil européen de Corfou et Essen en 1994. L’objectif spécial du partenariat euro-méditerranéen sera alors de promouvoir une stabilité à long terme. Pour ce faire, deux objectifs étaient visés : le développement économique et la démocratie. Le premier était censé avoir des répercussions avantageuses sur les plans politique, économique et sécuritaire ; tout d’abord, la création d’emplois qu’il induirait était supposée garantir la stabilité des pays ciblés par les pressions des flux migratoires. D’autre part, l’amélioration du niveau de vie devrait avoir pour conséquence de contenir l’apparition d’idéologies extrémistes ou servir d’amortisseur à la tentation de la violence qui peut toujours déborder des frontières à partir de conflits dus à des intérêts nationaux divergents. Dans la vision mise en œuvre, les politiques économiques libérales seront censées avoir pour effets premiers et durables de mener à des institutions démocratiques, plus libérales sur le plan politique. La conséquence devrait être tout d’abord un renforcement sur le plan des relations étrangères. Etait également visée une stabilité à la fois sur le plan interne et sur le plan international. L’initiative a été formulée de façon à promouvoir une région économique intégrée qui puisse développer la coopération de manière plus étroite sur les plans politique et socioéconomique. Il y avait dans l’approche ainsi consacrée un certain aspect novateur : elle aurait tout d’abord un caractère globalisant ; ensuite, elle viserait le long terme alors que, jusque là, les opérations de charme engagées en direction des pays du sud de la Méditerranée étaient à la fois ponctuelles et partielles, et le plus souvent strictement bilatérales. 295 Les 27 délégations à la conférence de Barcelone adoptèrent une déclaration de principes en même temps qu’un programme de travail.12 Ce programme de travail consacrait trois exigences qui devaient permettre l’établissement d’un partenariat vraiment global. Tout d’abord, des efforts devaient être faits pour donner corps à une véritable coopération financière et économique ; en second lieu, la coopération sociale et culturelle devait être promue véritablement par des initiatives et des programmes constants ; enfin le partenariat politique et sécuritaire devait être renforcé. Le partenariat euro-méditerranéen comprend, bien sûr, un dialogue multilatéral politique, économique et social entre l’Union européenne forte de ses douze puis quinze – et puis, 25 partenaires face aux pays interlocuteurs du Sud de la Méditerranée; mais il vise aussi, explicitement, à renforcer la coopération entre les sociétés civiles et les pays participants ; il inclut des accords d’association. Ainsi, l’Union européenne devait donner une aide financière, dans le cadre du programme MEDA, de 4,7 milliards d’écus (ancienne dénomination de la monnaie européenne) sur la période allant de 1995 à 1999. Un montant égal de prêts devait être fourni par la Banque d’investissement européenne. Les accords d’association engagés ou en attente devraient mener, théoriquement, à la création d’une zone euro-méditerranéenne de libre-échange d’ici l’année 2010. Cette zone de libre-échange sera créée selon les principes et les règles de l’Organisation Mondiale du Commerce, et à travers l’élimination progressive des barrières douanières faisant obstacle au développement des relations commerciales. Elle devra permettre la liberté de commerce de façon réciproque pour tous les produits manufacturés entre l’Union et les pays méditerranéens, et entre les pays partenaires avec un accès préférentiel pour certains produits agricoles. 12 Voir Vasconcelos Alvaro et Joffé George, op.cit. 296 La création d’une zone de libre-échange devrait également permettre la régularisation des cadres de politiques économiques et de réglementation des pays partenaires, et améliorer la compréhension mutuelle en accélérant le développement économique et social de manière soutenue. C. Le suivi de la Conférence de Barcelone La Conférence de Barcelone avait fixé un cadre de référence prometteur pour la coopération euro-méditerranéenne. La présence de 27 États, dont tous les riverains du Bassin méditerranéen (à l’exclusion de la Libye), avait donné une dimension symbolique énorme à cet évènement. Il est vrai que l’élément décisif avait été, au préalable, la conclusion des accords d’Oslo et le déblocage du processus de paix israélo-palestinien. Une autre conférence, la conférence de Madrid, tenue en 1993 avec les parties concernées, avait aussi contribué à l’élaboration de mesures de confiance. En fait, le côté novateur de la Déclaration de Barcelone résidait dans son approche globalisante de la sécurité qui liait la sécurité de type « défense » (hard security) à l’évolution positive des conditions économiques et politico-sociales du Bassin méditerranéen. Elle mettait en avant un effort financier du Nord important (10 milliards d’euros en prêts et dons) alors que le Sud s’engageait sur la mise à niveau de ses structures économico-administratives, et surtout, sur la modernisation de ses structures politiques et sociales13. Une dimension contraignante était même acceptée par les pays du Sud via le principe de conditionnalité qui liait, a priori, l’octroi de l’aide économique européenne au respect des principes de base des Nations Unies. C’était là l’application du concept de sécurité globale avait été testé avec les pays de l’Est, et s’imposait comme un aspect distinctif de la politique étrangère et de sécurité (PESC) de l’Union. 13 Voir Jean-François Daguzan, La fin des illusions de Barcelone ? Confluences Méditerranée, no 35, Automne 2000. 297 La conférence de Barcelone avait établi une série d’accords et programmé un ensemble de rencontres et d’activités dans trois paniers différents, les progrès réalisés seront différents selon la nature du panier. On pourra les évaluer successivement selon leur aspect prioritaire. a. Coopération économique et financière Les résultats les plus importants existant à ce jour se situent dans le domaine économique. Cinq accords d’association ont été signés actuellement avec l’Algérie, la Tunisie, le Maroc, la Jordanie et Israël. L’Union européenne a également négocié un accord similaire avec l’Autorité palestinienne, l’Egypte et le Liban. Les négociations avec l’Algérie avaient, dans les années 1990, été ralenties du fait de la situation interne du pays. Pour le Maroc et la Tunisie, l’accès des produits agricoles et agro-industriels aux marchés européens avait posé un problème important. En 1995, la valeur du commerce intrarégional sur la rive sud était seulement de 5 % du commerce extérieure de la région. Malgré des progrès récents, les questions politico-économiques demeurent difficiles à résoudre. Relevons, par exemple, que la stratégie économique de l’Union européenne promet des bénéfices des plus avantageux à long terme mais impose actuellement certains coûts à court terme avec les pays partenaires qui peuvent paraître pesants aux pays du sud. A cela s’ajoutent une performance réduite au Moyen-Orient et en Afrique du Nord, et une disponibilité de fonds relativement modeste de la part de Bruxelles. Le processus de Barcelone semble au ralenti ; a-t-il vraiment échoué dans sa tentative de créer une base institutionnelle solide ? La stabilité nécessaire pour attirer les investissements étrangers dans les pays méditerranéens du Sud, par ailleurs, semble faire encore défaut. Cette région, si proche pourtant, géographiquement, et avec laquelle les liens tissés par l’histoire ne sont pas négligeables ne présente en fait que 4% des investissements du secteur privé européen à l’étranger. Cela est dû, tout d’abord, à la faiblesse de la base 298 institutionnelle. Par ailleurs, le cadre légal de travail est peu transparent du fait des problèmes bureaucratiques bloquant toute activité commerciale. Cependant, même si les décisions doivent être prises par les partenaires méditerranéens eux-mêmes, l’Union européenne peut jouer un rôle pour améliorer la bonne gouvernance des pays sudméditerranéens. b. Coopération sociale, culturelle et humaine Le thème des premières rencontres euro-méditerranéennes des ministres de la culture a été la préservation de l’héritage architectural et intellectuel. Peut-être l’a-t-il été parce qu’il n’inclut pas d’enjeux concurrentiels ? Ce thème sera d’ailleurs le sujet qui, sur le plan de la coopération, aura le plus réussi. On aura en effet pu observer que les négociations relatives à des sujets tels que le terrorisme, la drogue, le crime organisé ou l’émigration ont connu des évolutions des plus lentes. Les pays partenaires de l’Union européenne ont donné à penser que, pour eux, celle-ci est plus encline à stopper les flux d’émigration, de terrorisme et de drogue, préoccupations légitimes s’il en est, qu’à aider à la promotion du développement économique de la région. Il y a là une sorte de scepticisme devant la démarche mise en œuvre, et ce scepticisme semble avoir empêché tout progrès directement perceptible dans le traitement des questions sensibles. Ainsi, dans le traitement des droits de l’homme, l’Egypte a porté une accusation contre l’Union européenne selon laquelle celle-ci ne défend guère, ou très peu, le respect à l’autodétermination du peuple palestinien ainsi que ses droits économiques14. Une autre raison prêtant à digression entre les partenaires euro-méditerranéens a été l’approbation de la Déclaration finale sur la définition du terrorisme ; le Liban déclarera s’opposer à l’amalgame entre la violence armée illégitime et celle qu’il considère comme légitime, qui est le recours à la force pour la libération des territoires occupés. 14 In Egypt’s musa on Mideast Peace, Other topics, Cairo Mena, April 1997. 299 c. Le partenariat politique et sécuritaire En fait, ce volet est la continuation et le renforcement d’une coopération multilatérale de plus de 30 ans avec les pays méditerranéens. Il faut rappeler qu’avant même la Conférence de Barcelone, plusieurs tentatives avaient eu lieu en ce sens : ainsi, de 1988 à 1990, a-t-on pu relever les initiatives relative au Forum de la Méditerranée, le Dialogue euro-arabe, le dialogue 5 + 4, le projet de la CSCM, et le lancement de la Politique Méditerranéenne Rénovée. Ces tentatives vont démontrer une volonté de dépasser les politiques fragmentaires au Nord et au Sud de la Méditerranée. La Commission européenne avait élaboré deux rapports qui révèleront le contenu politique de cette évolution ; le premier est intitulé : « L’avenir des relations entre la Communauté et le Maghreb ». Il date du 30 avril 1992. Le second est intitulé « L’avenir des relations et de la coopération entre la Communauté et le Moyen-Orient » ; il date de mars 1993. Ces rapports ont été rédigés à la demande du Conseil européen ; ils souligneront la nécessité de développer pour la région une perspective à long terme sur de nouvelles bases. Il s’agira de définir un nouveau concept des relations entre l’Union et les pays de la rive sud. Ce nouveau concept sera dénommé « Partenariat » ; il projettera la volonté de concrétiser sur le terrain la nouvelle politique méditerranéenne. Ainsi, la coopération dans les domaines politique et sécuritaire est coordonnée par un Comité. Celui-ci est composé par des hauts fonctionnaires des gouvernements des pays européens et de leurs pairs des pays partenaires. Un réseau de fax établissant une connexion des pays de l’Union européenne avec les 12 pays partenaires de la Méditerranée a été établi ; il a été utilisé pour faire avancer la cause des Droits de l’Homme dans les pays du Sud de la Méditerranée. En 1997, ce réseau a été complété par un réseau d’informations électronique établissant un contact entre les ministres des Affaires étrangères des pays participants. 300 D’autre part, la Commission européenne soutiendra un réseau d’Instituts d’études d’affaires internationales et stratégiques dans le cadre du partenariat sécuritaire (Euromesco). L’ Euromesco a créé deux groupes de travail distincts spécialisés : - Le premier concerne ce que l’on a traduit par l’expression mesures de confiance, de l’anglais confidence measures building, c'est-à-dire la prévention des conflits, le contrôle des armements et le désarmement15. - Le second concerne la coopération politique et sécuritaire. Il faut, toutefois, dire que les réalisations de l’EUROMESCO dans le domaine sécuritaire sont demeurées des plus modestes. Ainsi par exemple, l’arrivée au pouvoir de la droite israélienne depuis l’accès de Benyamin Netanyahou aux fonctions de premier ministre en mai 1996, puis de Sharon en 2001, avait détérioré le semblant de relations, qui se voulaient pour certains pays arabes, normalisées, entre Israël et le monde arabe. C’est ainsi que le Liban et la Syrie avaient refusé de s’associer à toute activité ou contact militaire consacrant le partenariat euro méditerranéen qui aurait impliqué la présence d’Israël. C’est ainsi aussi que le sommet de Malte des ministres des Affaires étrangères les 15 et 16 avril 1997 avait échoué dans sa tentative de mettre en application les mesures de confiance élaborées par les hauts fonctionnaires les mois précédents. L’idée, alors, de créer un centre de prévention des conflits avait été gelée, de même que l’idée d’établir un réseau d’instituts de défense. La proposition française et maltaise d’élaborer un Pacte de stabilité en Méditerranée qui permettrait la réalisation des principes et des objectifs de la Déclaration de Barcelone demeure à ce jour au stade du processus d’élaboration. Des difficultés entourent ainsi le 15 In Roberto Aliboni, Abdelmoumen Said et Alvaro de Vasconelos, Le Rapport d’EUROMESCO des groupes de travail de la coopération politique et sécuritaire, avril 1997. 301 dialogue sur les questions sécuritaires. Elles proviennent du lien fait entre le processus de paix au Proche-Orient et la coopération sécuritaire euro méditerranéenne. L’Union européenne avait voulu relever un autre défi : celui de la mise au point de mécanismes pour la résolution pacifique des conflits et l’établissement de systèmes d’alarme et de prévention qui ne rencontrent pas d’obstacles comme ceux existant dans le cadre du processus de paix. L’expérience de l’ACRS (Arms Control and Regional Security Working Group) ou groupe de travail sur le contrôle des armes et la sécurité régionale, est particulièrement instructive. Ce groupe de travail avait négocié avec succès une déclaration de principes sur les mesures de confiance, et avait désigné une série de mesures pratiques pour renforcer la stabilité régionale. Cependant, l’application de ces accords ne s’est pas encore matérialisée du fait de l’insistance de l’Egypte pour qu’Israël signe le TNP (traité de non prolifération nucléaire). En conclusion, on constate que le processus de Barcelone, en 1995, a été basé sur une convergence déclarée, très peu réelle, peut-être, des intérêts entre États de niveau de développement différents, mais qui étaient supposés souscrire aux principes universels du droit et de la démocratie. L’objectif était de garantir pour le Nord, la sécurité et le contrôle des flux migratoires, et pour le Sud, de fournir une réponse aux demandes de soutien financier et politique. Cependant, le caractère régressif des évolutions des pays de la rive Sud n’a pas permis la validation de ce partenariat sur le terrain, aussi bien au niveau de la sécurité régionale qu’au niveau de la dynamisation des économies du Sud. 302 Paragraphe 2. Les perspectives du rôle de l’Union européenne en Méditerranée Le problème du processus euro-méditerranéen réside dans la nécessité d’aller vers une approche diplomatique globale, pour ne pas dire commune, face à un groupe de pays à intégrer dans une structure de coopération. Le processus de Barcelone se veut être un mécanisme qui permet un traitement différentiel des différents cas et situations, tout en encourageant une harmonisation graduelle des politiques. Du reste, malgré son approche diplomatique globale, l’Union européenne entend tenir compte des tendances et événements marquants pouvant échapper à son contrôle au niveau des deux préoccupations suivantes : A. Le développement économique Le développement économique des pays méditerranéens dépend de manière critique des éléments suivants : l’organisation d’institutions publiques efficaces, la concurrence locale, un secteur des services fonctionnant bien, un investissement dans les ressources humaines, des taux élevés d’épargne privée et d’investissements, et une économie stable et libérée des entraves bureautiques. « En 10 ans, le PIB par habitant des quinze a augmenté de 50%. Il est passé de 20.000 à 30.000dollars.Dans les dix nouveaux États membres de l’Union, il est passé de 6000 à quelque 15.000 dollars. Au cours de la même période, au Sud de la Méditerranée, le revenu par habitant a stagné, passant d’un peu moins de 5000 dollars à un peu plus de 5000 dollars ».16 Il faut rappeler que l’élargissement de l’Union européenne et de l’OTAN à de nouveaux membres s’est basé sur une stratégie concomitante se caractérisant par des critères d’adhésion fondés sur la nécessité de transformer les méthodes de gouvernement, les 16 Joseph Bocell, président au Parlement européen, Sommet euroméditerranéen de Barcelone, 28 novembre 2006. 303 réformes économiques accélérées, les réformes démocratiques, la bonne gouvernance17, l’Etat de droit, la lutte contre la corruption, la liberté de la presse, le respect des minorités devant compléter l’instauration d’une économie de marché et la privatisation des grands secteurs des économies nationales. On peut se poser la question à ce sujet, si ces réformes vont pouvoir être réalisées sans avoir à peser sur le plan du coût social et donc de la sécurité interne des pays concernés. Dans le cas de l’Algérie, il faut constater la réaction provoquée par le projet de privatisation de grands secteurs étatiques tels que les hydrocarbures. Une décision qui empiète sur le principe de souveraineté nationale, et qui est de surcroît anticonstitutionnelle. Ces éléments peuvent-ils être exportés des pays de l’Union en direction des partenaires du Sud ? Leur avènement dépend avant tout de la prise de décisions politiques consistantes de la part de ces pays partenaires. Mais l’approche graduelle des réformes économiques peut justement être trop lente et ne pas permettre, par cela même, à ces pays de concurrencer les économies d’Europe de l’Est et d’Asie qui sont, quant à elles, dirigées selon les mesure de libéralisation réalisées durant l’Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce de l’Uruguay Round (General Agreement of Tarifs and Trade B. La démocratisation L’influence de l’Union européenne se veut en fait effective à long terme. Il s’agit d’une évolution qui forgera ses étapes selon les données du terrain en même temps que selon les données de la doctrine arrêtée. Il faut dire que le processus de Barcelone n’est pas pourvu de mécanismes qui permettraient de faire face aux conséquences de l’instabilité sociale ; et cela encore plus quand celle-ci est aiguillonnée par des forces telles que l’extrémisme à masque religieux. 17 Ce concept de « bonne gouvernance « a été adopté par les Nations Unies depuis quelques années par opposition à la notion de croissance économique qui ne fait toujours pas ses preuves dans les pays en voie de développement. 304 Mais il faut dire que la diversité que l’on note au Sud n’a pas pour contrepoint une parfaite identité de vue entre les pays du Nord 18: la crise en Algérie a par ailleurs montré la divergence de vue sur celle-ci entre la France et les autres pays membres de l’Union européenne, de même que la deuxième guerre en Irak qui, comme on l’a vu, a provoqué une profonde division parmi les alliés euro-atlantiques. Paragraphe 3. Les autres initiatives méditerranéennes de dialogue Pour ce qui est des autres initiatives de dialogue en Méditerranée, les rencontres vont être multiples et peu efficaces. Durant quelques années, la première ayant eu lieu en 1994, une série de conférences sponsorisées par les USA et nommées MENA (Middle East North Africa ou « MoyenOrient et Afrique du Nord ») ont été tenues chaque année, cela pour promouvoir l’investissement dans la région. La première institution multilatérale à établir un dialogue méditerranéen fut en vérité l’UEO (Union de l’Europe Occidentale) en 1992. L’UEO qui partage actuellement ses compétences dans le domaine de la défense avec l’Union européenne fut à l’époque suivie, dans son initiative de dialogue, par l’OSCE (Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe), l’OTAN, et le processus de Barcelone de l’Union Européenne, quelques années plus tard. Ces organisations se sont retrouvées donc impliquées dans la région pour compléter les initiatives étatiques ainsi que pour compenser le manque de succès des premières 18 Il faut noter à ce sujet que le Forum de l’avenir du monde arabe qui s’est achevé le 11 décembre 2004, à Rabat, réunissant une vingtaine de pays du monde arabo-musulman et ceux du G8, les pays les plus riches du monde, a mis en lumière la méfiance suscitée par le projet américain de réformes politique, économique et sociale dans le Grand Moyen Orient et en Afrique du Nord. Les réserves ont porté sur l’ordre des priorités dans la région. Aux yeux des dirigeants arabes avant de parler de démocratisation dans la région, il y a d’autres impératifs dont notamment le règlement du conflit israélo-palestinient et le retour de la paix au Moyen Orient. 305 initiatives telles que les 5+5 et la CSCM (Conférence sur la Sécurité et la Coopération en Méditerranée). A. La CSCM, le 5 plus 5 et le Forum Méditerranéen - La Conférence sur la Sécurité et la Coopération en Méditerranée : la création de la CSCM en tant que contrepartie sudiste de la CSCE, ou Conférence sur la Sécurité et la Coopération en Europe, fut l’objectif des initiatives italiennes et espagnoles en 1990. Le cadre de travail choisi fut désigné pour reproduire l’approche du processus de Helsinki et imiter les mécanismes de décision de la CSCE. La CSCM fera face à de nombreux obstacles et ne sera jamais officiellement approuvée. Le premier obstacle aura été la difficulté d’organiser un dialogue avec plusieurs Etats d’une région diverse, car les candidatures étaient offertes aux pays d’Europe du Sud, des Balkans, du Moyen-Orient et du Golfe arabo-persique. Le second obstacle résidera dans les craintes des États-Unis que la CSCM puisse finir par perturber le processus du paix au Moyen-Orient et limiter la liberté d’action des USA en Méditerranée. Le troisième obstacle aura eu trait à la nature complexe du processus de décision de la CSCM qui ne sera pas politiquement viable. Il faut noter cependant que son principe clé de lier la sécurité militaire à une stratégie d’ensemble de coopération et de partenariat sera repris dans l’ACRS, groupe de travail mis sur pied pour s’occuper de la sécurité régionale et du contrôle des armements. - Le dialogue 5 plus 5 La création du 5 plus 5, en juillet 1990, sera stimulée par la fondation de l’Union Maghrébine Arabe (UMA) en 1989, ainsi que par le refus de la France de soutenir pleinement le projet CSCM. Le dialogue 5 plus 5 avait pour objectif de développer la coopération entre l’Espagne, la France, l’Italie, le Portugal et Malte d’une part, et l’Algérie, le Maroc, la Tunisie, la Libye 306 et la Mauritanie d’autre part. Les discussions en cours concernèrent les liens économiques et l’aide financière, la gestion des ressources, l’émigration et la culture19. Cependant, le dialogue 5 plus 5 fera vite face à des obstacles dont le plus important sera l’embargo international mis en œuvre contre la Libye. De plus, l’absence de l’Egypte aux entretiens multilatéraux, le conflit entre le Maroc et l’Algérie sur le Sahara Occidental, ainsi que l’instabilité interne que continuait à vivre l’Algérie tendront à minimiser, voire à miner l’initiative en question. Le dialogue 5 plus 5 présentait certes une démarche unique qui excluait le volet sécurité militaire. Toutefois, les propositions qu’il contenait auraient pu intéresser grandement les pays arabes préoccupés surtout par le souci de stimuler leur développement économique. Mais l’absence de détermination chez les partenaires du dialogue et le statut de paria de la Libye seront les causes d’échec de ce processus de coopération méditerranéenne. - Le Forum pour le dialogue et la coopération en Méditerranée Ayant été exclue du Dialogue 5 plus 5 en 1991, l’Egypte proposera l’organisation du Forum pour le Dialogue et la Coopération en Méditerranée. Le Forum recevra le soutien de la France, l’Espagne, l’Italie, la Grèce et le Portugal et sera promu en juillet 1994, à Alexandrie. L’Algérie, le Maroc, la Tunisie et la Turquie en seront membres et seront suivis de Malte qui apparaîtra comme le onzième membre du Forum. A la différence du dialogue 5 plus 5, le Forum va traiter des questions sécuritaires, mais il mettra l’accent sur les questions du dialogue politique, du dialogue entre les cultures et les civilisations ainsi que sur la coopération économique et sociale. 19 Il faut noter qu’une nouvelle dimension est ajoutée au dialogue entamé par les pays européens avec les pays du Sud qui s’est manifestée lors de la rencontre des ministres européens des affaires étrangères, du développement et de la santé, réunis le 7 janvier 2005, à Bruxelles en Conseil extraordinaire pour donner le feu vert à la création d’une structure européenne pour faire face à des catastrophes naturelles et autres crises, comme celle qui a frappé l’Asie. Ils ont chargé la Commission d’étudier les possibilités de développement d’une capacité de réponse rapide de l’Union avec la mise en place d’une structure de planification, de coordination et de mobilisation des moyens. Cette structure pourrait s’appuyer sur un corps volontaire européen d’aide humanitaire avec une meilleure coordination des moyens militaires. Les efforts de l’Union européenne devraient venir en appui des Nations Unies qui devrait jouer un rôle premier dans la coordination et la gestion des secours. 307 Cependant, on peut noter que la plupart des questions étudiées par le Forum ainsi que ses fonctions principales seront prises en charge par le processus de Barcelone. Il aurait peut-être fallu que le Forum puisse exploiter les relations spécialisées que les pays nordafricains avaient avec l’Europe pour discuter de questions qui auraient pu paraître trop sensibles dans de cadre des discussions multilatérales. Durant le Forum tenu en mai 1996, il avait été suggéré de maintenir la survie du groupe de rencontres en lui donnant un cadre informel d’intérêt commun. B. L’ACRS, le MENA, le dialogue de l’UEO et l’OSCE a. L’ACRS ou Groupe de Travail sur le Contrôle des Armements et la Sécurité Régionale (Arms Control and Regional Security Working Group-ACRS) Ce groupe sera établi durant la conférence de paix de Madrid en 1991 dans le cadre du volet multilatéral des négociations du processus de paix. Il sera composé d’Israël et de douze pays arabes, exceptés la Syrie, la Libye, l’Irak, et l’Iran. Le travail sera organisé selon des volets conceptuels et opérationnels. En 1993, un premier projet de déclarations de principes de paix de sécurité au MoyenOrient modelé sur l’Acte final de Helsinki sera produit. Sur le plan opérationnel, les propositions concerneront des exercices conjoints de sauvetages en mer, l’établissement du centre de sécurité régionale de Amman, et d’un centre de communication régionale en Egypte. On peut noter le fait inédit des échanges de points de vue ente hauts fonctionnaires israéliens et arabes durant les travaux sur les questions de sécurité, ce qui sera, à cette époque, en lui-même une « mesure de confiance ». Cependant, on peut constater que ce groupe de travail n’a pas évolué du fait de l’absence de nombreux pays arabes et du blocage rencontré lors des discussions entamées. Il faut aussi noter que le plus important sera le désaccord sur la question nucléaire, l’État 308 israélien étant soumis à la question de la signature du Traité de non prolifération, un fait qui mènera les discussions à une impasse. b. Les sommets économiques du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord (MENA) : Le Forum économique mondial et le Conseil américain des Relations Etrangères (Council on Foreign Relations, ou CFR) ont organisé en octobre 1994 une Conférence économique sur le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord à Casablanca. L’objectif du sommet était de créer un partenariat entre les secteurs privée et public, et de se focaliser sur les opportunités commerciales immédiates ainsi que sur les projets potentiels au Moyen-Orient et en Afrique du Nord. Les sommets du MENA auront ainsi lieu chaque année jusqu’en 1997, année de la Conférence du Qatar. La création de la MENA Development Bank (MENADB), ou banque de développement MENA, fut approuvée durant le sommet de Amman en 1995. Celle-ci commencera ses opérations au Caire en 1997. Les conférences du MENA vont être considérées par plusieurs de leurs participants comme étant étroitement associées avec la politique américaine, elles vont tenter de contribuer à faire de la Méditerranée une région économiquement intégrée dans le cadre d’une hégémonie américaine Le cadre de travail qu’a constitué le MENA aurait pu rencontrer une opposition importante de la part des Etats européens s’il avait cherché un rôle plus important dans la formation de la politique économique régionale. Les pays de l’Union européenne ont craint, il est vrai, que les activités de la MENADB soient dominées par les États-Unis et orientées vers des projets pour le Moyen-Orient au détriment des besoins d’investissements en Afrique du Nord. De plus, le MENA semblait en rivalité directe avec le processus engagé à Barcelone en 1995. c. Le dialogue de l’UEO L’engagement de l’UEO dans la coopération méditerranéenne fait suite à la déclaration de Petersberg, de juin 1992, dans laquelle le Conseil chargera la présidence et le Secrétariat de développer des liens avec l’Algérie, le Maroc et la Tunisie. Le dialogue fut 309 étendu par la suite à l’Egypte, la Mauritanie et Israël ; son objectif principal était l’échange de points de vue sur les questions de sécurité et de défense affectant la région méditerranéenne. Cependant, vu le caractère limité du cadre de travail de l’UEO, les résultats furent très modestes et limités à des rencontres d’experts, occasionnelles, et des contacts diplomatiques entre l’UEO et les ambassades à Bruxelles des pays partenaires20. Les politiques méditerranéenes de l’UEO ont reçu, rappelons-le de nouveau, une grande attention avec la création de l’EUROFOR et de l’EUROMARFOR. Rappelons que les deux forces étaient composées d’unités espagnoles, italiennes, françaises et portugaises et que leurs missions incluront les fonctions humanitaires, telles que l’évacuation d’urgence des citoyens européens dans le cas des opérations de paix, et des opérations de combat en cas de crise. N’oublions pas que les pays nord-africains avaient pris en considération le fait que la création de ces forces était dirigée contre eux. Le même problème s’était posé, au demeurant, à l’OTAN qui, tout comme l’UEO, sera amenée à s’assurer que l’ensemble de ses activités et opérations était correctement perçues par les pays du Sud-méditerranéen. d. Le Groupe de contacts méditerranéens de l’OSCE : Ce groupe commença son programme de travaux en proposant que l’OSCE établisse un groupe de contact informel avec des experts d’Algérie, d’Egypte, d’Israël, du Maroc et de la Tunisie. Dans ce cadre de travail, un séminaire fut organisé au Caire en 1995 sur les mesures de confiance. Les partenaires méditerranéens pouvaient dorénavant bénéficier de l’expérience de l’OSCE en matière d’opérations, notamment des modèles d’application des mesures de confiance dans leur région. En fait, les mécanismes de l’OSCE ont été adaptés à partir de nombreuses initiatives méditerranéennes telles que l’ACRS et le processus de Barcelone. Ces cadres de travail 20 Voir à ce sujet, Carlos Echevaria, La coopération entre les forces armées euro-méditerranéennes pour le maintien de la paix, Institut d’études de sécurité de l’UEO, Cahiers de Chaillot, no 35, février 1999. 310 étaient dotés de moyens, et se focalisaient sur le plan régional. Ils auront tendance cependant à limiter le rôle direct de l’OSCE dans la Méditerranée à des rencontres d’experts et d’échange d’information. C. Le « Forum de l’avenir » Il faut rappeler que les ministres des affaires étrangères et les ministres des finances du G8 – le club des pays les plus riches de la planète- se sont réunis avec leurs homologues des 22 pays du Moyen Orient élargi, et de l’Afrique du Nord, le 11 décembre 2004, au Maroc, pour amorcer une relance du développement de la région. Le « Forum de l’avenir » est l’appellation officielle de cette réunion qui est une sorte de dérivé de l’initiative du « Grand Moyen Orient » dévoilée au début de l’année 2004 par l’administration Bush. Elle proposait de promouvoir les réformes politiques, économiques et sociales dans le monde arabe et musulman dans la foulée de l’invasion de l’Irak, en mars 2003. Le président G.W. Bush fut obligé de revoir son projet à la baisse devant les réticences des gouvernants arabes peu enclins à se voir imposer une démocratisation par l’Occident. Le secrétaire d’Etat, Colin Powell, déclara au Forum : « Cela constitue un rassemblement extraordinaire de nations offrant l’opportunité de promouvoir la démocratie et la liberté dans la région 21». En vérité, le volet politique de l’initiative passera au second plan au profit des préoccupations économiques et sociales ; ainsi, des recommandations concernant l’éducation seront prises, car prés de 200 millions de jeunes devront être scolarisés à l’horizon 2015. Il sera aussi question de créer des entreprises par le biais de micro crédits ou d’aides à la formation avec la constitution d’un fonds régional de 100 millions de dollars dont 15 millions de dollars seraient versés par les Etats-Unis. Le volet politique se 21 Le Monde, 11 décembre 2004. 311 résumera à l’examen d’un document élaboré par l’Italie, la Turquie et le Yémen intitulé « Dialogue pour l’assistance à la démocratie ». Section 3. L’initiative méditerranéenne de dialogue de l’OTAN Durant la guerre froide, l’OTAN n’accordera une attention à la Méditerranée que dans la mesure où cela entrait dans le cadre de la rivalité avec l’URSS. L’OTAN a commencé à se focaliser sur la Méditerranée dans les années 60 avec l’établissement du groupe de travail d’experts sur le Moyen-Orient et le Maghreb, et le groupe ad hoc sur la Méditerranée. Le dialogue méditerranéen de l’OTAN, initié en 1994, va se développer sur la base de cinq principes : 1. Le Dialogue est flexible et évolutif au vu de l’inclusion de la Jordanie, en novembre 1995, et de l’Algérie, en mars 2000 ; 2. tout en maintenant le principe du bilatéralisme dans sa structure, le Dialogue a permis la tenue de nombreuses rencontres multilatérales sur une base régulière (NATO+ 7) ; 3. le principe de la similarité des activités de coopération a été retenu pour tous les partenaires sud-méditerranéens ; 4. la complémentarité du dialogue avec les efforts internationaux tels que le partenariat euroméditerranéen de l’Union européenne (Barcelon, 1995) et l’Initiative de l’OSCE ( Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe), a été soulignée. Paragraphe 1. Pour une stabilité méditerranéenne Ainsi, des groupes composés de spécialistes régionaux des pays alliés ont assuré l’encadrement des travaux liés aux activités soviétiques et faisaient des évaluations sur des questions régionales spécifiques. Les experts de la région Méditerranée se rencontraient 312 quatre fois par an, leurs discussions ont inclu les questions des crises en Algérie et en exYougoslavie, le développement Nord-Sud, les mesures de sécurité, et le processus de paix au Moyen-Orient. Les groupes étaient également participants aux réunions du NACC (North Atlantic Cooperation Council, ou Conseil de coopération Nord-Atlantique), pour discuter des développements dans le Sud. A. La décennie 1990-2000 Au début des années 90, le groupe ad hoc s’est concentré sur l’émergence de nouveaux risques sécuritaires dans la Méditerranée tels que la prolifération des armements de destruction de masse et leurs capacités de destruction, la question de l’instabilité et de l’extrémisme politico-religieux en Afrique du Nord, les conflits en Bosnie et au Kosovo, la question de l’Irak, etc. Se sentant concernés par les répercussions de ces risques sur leur sécurité, les alliés du Sud de l’Europe ont exigé de l’OTAN une plus grande implication dans les problèmes affectant la Méditerranée. L’Italie et l’Espagne prendront l’initiative de proposer un programme qui prendrait en compte les dilemmes sécuritaires régionaux et leur impact sur la sécurité européenne et celle, plus large, de la zone de l’OTAN. L’intérêt de l’Alliance atlantique pour la stabilité dans le Sud de la Méditerranée et au Moyen-Orient sera, rappelons-le, défini par le concept stratégique de l’OTAN adopté à Rome en novembre 1991. Le dialogue de l’OTAN sera organisé sur la base du cas par cas. N’oublions pas que c’est suite aux pressions exercées par les pays de l’Europe du Sud que l’OTAN décida, en décembre 1994, à la réunion du Conseil Nord-Atlantique, d’établir des contacts au cas par cas entre l’Alliance et les pays méditerranéens non membres de l’OTAN avec pour perspective le renforcement de la stabilité régionale. L’objectif de l’initiative méditerranéen de l’OTAN sera de réaliser une meilleure compréhension mutuelle avec les pays du Sud, et de contribuer au renforcement de la 313 stabilité en Méditerranée en faisant comprendre les objectifs de l’OTAN. Les échanges de point de vue et d’information seront destinés à favoriser la transparence et une meilleure compréhension des questions sécuritaires d’intérêt mutuel. Ces objectifs étaient inclus dans le concept stratégique de l’OTAN qui annonçait que la politique de sécurité de cette organisation devait être basée sur trois éléments se renforçant mutuellement : le dialogue, la coopération, et le maintien de la capacité de défense. Le 8 février 1995, l’OTAN annonçait que son initiative inclurait l’Egypte, Israël, le Maroc, la Mauritanie et la Tunisie. Dès le début, l’OTAN montra sa détermination à adopter une approche par phase et à intégrer plus tard de nouveaux pays dans le dialogue méditerranéen. En ce sens, la Jordanie fut invitée à se joindre aux discussions en 1997. Les contacts entre l’OTAN et les représentants des pays méditerranées partenaires du dialogue débutèrent en mai 1995. Il s’agissait d’expliquer la nature et les objectifs de l’Alliance, de discuter des intérêts et préoccupations des partenaires, et de programmer les réunions concernant les prochaines étapes. Durant les discussions régulières qui furent menées, les questions qui étaient débattues comprenaient les problèmes ayant trait à la Méditerranée, le maintien de la paix, et les possibilités existant en matière de coopération régionale. Chaque partie pouvait exiger des réunions supplémentaires au cas par cas22. Le comité politique de l’OTAN et le Conseil Nord Atlantique devaient déterminer l’attitude à adopter par rapport au dialogue. Quant au secrétariat international, il sera chargé de la gestion des contacts de l’OTAN avec les pays partenaires, sur une base bilatérale, excepté dans le domaine de l’information où l’OTAN sponsorisera les activités multilatérales impliquant les pays du dialogue. Les discussions politiques seront accompagnées d’une série de mesures destinées à développer la coopération sur une base plus concrète. 22 In Ian O’Lesser, Rand Corporation, op. cit. 314 B. Les perspectives de coopération La coopération actuelle est basée sur les projets courants de l’OTAN dans les domaines de la recherche scientifique, la formation dans la politique de sécurité et de défense et le plan de secours civil ou de crise (civil emergency planning-CEP). Les partenaires du dialogue participent également aux réunions organisées par le Comité des sciences de l’OTAN, et reçoivent les informations concernant les activités scientifiques de l’OTAN. Des cours de maintien de la paix sont offerts également par la Shape School d’Oberammergau aux représentants des pays partenaires. De plus, le collège de défense de l’OTAN (MADEFCOL) à Rome a développé un programme de contacts avec les institutions correspondantes des pays du dialogue pour comparer les programmes de formation et développer des domaines de coopération. On peut noter à ce sujet que le commandant responsable de la formation NADEFCOL, chargé du plan de charges pédagogiques à rendu visite aux écoles similaires en Egypte, Tunisie, Israël et Jordanie en 1996 23. Le secrétariat international a organisé des briefings réguliers avec les pays du dialogue sur des sujets tels que le Plan de secours civil ou de crise de l’OTAN (CEP). L’engagement des pays du dialogue dans les activités de coopération se fera sur la base de l’autofinancement vu les contraintes financières de l’Alliance. Les bureaux d’information et de presse de l’OTAN ont organisé une campagne d’information visant à cibler les hauts responsables des pays partenaires méditerranéens. Les relations publiques seront un composant important du programme de contacts vu le problème concernant la perception de l’image de l’OTAN dans la région. Les activités liées à l’information ont inclus des séminaires et des conférences avec les six pays du dialogue ainsi que des visites au quartier général de l’OTAN. 23 In Manuel de l’OTAN, Bureau de l’information et de la Presse, éd. du cinquantième anniversaire de l’Alliance, 1999. 315 Il y a lieu de mentionner les principes retenus par l’OTAN lors du Sommet d’Istanbul, en juin 2004 24: - créer à travers l’Initiative méditerranéenne de l’OTAN, une relation de confiance entre les pays du sud de la Méditerranée et les alliés euroa-atlantiques ; - développer avec les pays du sud de la Méditerranée, un partenariat du type du Partenariat pour la Paix organisé avec les pays d’Europe orientale et centrale25 ; - favoriser l’expansion de la Force d’Aide à la Sécurité Internationale en Afghanistan ( NATO- led International Security Assistance Force – ISAF ) ; - de terminer l’opération de la SFOR menée avec succès en Bosnie et en Herzégovine en coopération avec la mission de l’Union européenne déployée dans le cadre du mandat du chapitre VII des Nations Unies ; - confirmer la présence de la KFOR qui est essentielle pour maintenir la sécurité et promouvoir le processus politique au Kosovo ; - renforcer la contribution de l’Operation Active Endeavour ou l’opération maritime en Méditerranée dans sa lutte contre le terrorisme ; - aider le gouvernement Irakien dans la formation des forces de sécurité conformément à la Déclaration politique sur l’Irak ; - renforcer la série de mesures destinée à favoriser la contribution individuelle et collective à la lutte de la communauté internationale contre le terrorisme ; - transformer les capacités militaires pour les rendre plus modernes, plus fonctionnelles et plus déployables pour remplir les séries de mission de l’Alliance ; 24 25 Voir Revue de l’OTAN, juillet 2004. Il faut noter en ce sens la succession de délégations qui se sont succédées à Alger durant la période 2000-2006. 316 - réaffirmer l’ouverture de l’OTAN aux nouveaux membres en encourageant les réformes en Albanie, en Croatie et en ex- Yougaslavie pour leur adhésion ; - renforcer le Partenariat euroa-atlantique notamment dans les régions stratégiques du Caucase et d’Asie Centrale ; - renforcer le Dialogue méditerranéen et offrir une coopération plus large vers le Moyen Orient avec « l’Iniatiative de Coopération d’Istanbul ». - Suivi du Dialogue Suite aux attentats du 11 septembre 2001 sur le sol américain, les alliés euroa-atlantiques ont souligné l’importance que l’OTAN accorde au Dialogue méditerranéen. Pour rappel, lors de leur rencontre au Sommet de Prague, en novembre 2002, les chefs d’Etats et de Gouvernements de l’OTAN ont décidé d’accroître les dimensions politiques et pratiques du Dialogue. Au niveau politique, l’Alliance a programmé le développement des opportunités offertes par le dialogue multilatéral et bilatéral existant (OTAN + 7) et (OTAN+1), avec l’objectif de maintenir de manière efficace le processus de consultation et de permettre des contacts à haut niveau en impliquant les décideurs des pays partenaires. Il s’agira également d’associer les partenaires du Dialogue méditerranéen au Partenariat pour la Paix (PpP) avec le Conseil du Partenariat euro-atlantique. Du point de vue pratique, l’OTAN veut intensifier la coopération au niveau des experts dans un processus de consultation sur les questions sécuritaires d’intérêt commun. Paragraphe 2. Les perspectives sécuritaires pour le Maghreb Le 19 février 2000, le conseil de l’Atlantique Nord avait invité l’Algérie à se joindre aux entretiens. L’Algérie après l’Egypte, la Mauritanie, le Maroc, la Tunisie et Israël, acceptera l’invitation. Il faut noter que chaque pays évaluera l’initiative avec un certain intérêt tout en s’interrogeant sur les raisons qui ont amené l’Alliance à inviter certains pays et en exclure d’autres. Les pays maghrébins ont exprimé un intérêt dans des domaines variés. Par exemple, l’Algérie a fait une évaluation positive et encourageante du bilan du dialogue 317 Méditerranéen de l’OTAN lors de ses nombreux contacts avec l’Alliance. On peut noter à ce sujet la participation de M. Abdelaziz Belkhadem, Ministre d’Etat, ministre des Affaires étrangères, à Bruxelles, le 8 mars 2005, au dîner de travail offert par l’OTAN à l’occasion de la célébration du dixième anniversaire du Dialogue méditerranéen (MD) de l’Alliance atlantique. Cette rencontre a été l’occasion pour l’ensemble des partenaires de dresser un bilan de leur coopération au titre du Dialogue durant la décennie écoulée et de donner corps au nouveau partenariat auquel a été promu ce dialogue par les chefs d’Etat et de gouvernement, lors du sommet de l’OTAN tenu à Istanbul en juin 2004.a L’inventaire des activités communes inclut les points suivants26 : - la lutte contre le terrorisme, la sécurité frontalière, spécialement en rapport avec le terrorisme, le trafic d’armement illégal et autres activités illégales ; - la lutte contre les armements de destruction massive ; - le planning en cas de crise et désastres naturels ; - la médecine militaire incluant les mesures préventives concernant les armes nucléaires, biologiques, et chimiques (N.B.C) ; - la science et l’environnement incluant les activités dans les domaines de la désertification, la sècheresse, la gestion de l’eau et autres ressources naturelles et la pollution de l’environnement. La dimension politique inclut les rencontres avec les autorités locales pour la définition des objectifs et des priorités spécifiques de chaque partenaire. 26 In Revue de l’OTAN, op.cit, 318 Sur le plan de la dimension militaire, le Programme de Travail Annuel de l’OTAN inclut des invitations aux pays partenaires pour observer ou participer aux exercices militaires du PpP, pour assister aux activités académiques de l’Ecole de l’OTAN (SHAPE) à Oberammergau en Allemagne, et au Collège de Défense de l’OTAN à Rome, et pour visiter les corps militaires de l’OTAN. Le programme militaire de l’OTAN inclut aussi des visites portuaires par la Standing Naval Force de l’Alliance et des sessions d’entraînements par des équipes mobiles ( Mobile Training Teams). Sur le plan pratique, trois pays du Dialogue – l’Egypte, la Jordanie et le Maroc- ont coopéré militairement avec l’OTAN en Bosnie-Herzégovine ( IFOR-SFOR) et au Kosovo (SFOR). De plus, les rencontres de consultation de l’OTAN + 7 sur les programmes militaires implique la présence des représentants militaires de l’Alliance et des sept pays du Dialogue, cela sur la base d’une rencontre par an. A. La Realpolitik dans le choix des partenaires Chacun des partenaires de l’OTAN se savait être choisi du fait de sa politique extérieure, dite modérée ou réaliste, selon la perception occidentale, notamment au niveau de la politique régionale. On peut rappeler que l’Algérie avait été exclue du premier round des discussions de même que la Libye, le Liban et la Syrie qui à ce jour sont sujets à évaluation pour être considérés comme parties prenantes du processus de rapprochement de l’OTAN. Actuellement, il est entendu que tous les pays membres du dialogue doivent avoir des relations de travail entre eux et doivent partager une certaine vision sécuritaire des problèmes de la région. Le processus de paix au Moyen-Orient déterminera dans le futur la participation du Liban et de la Syrie au dialogue. Quant à la Libye, l’évolution de sa diplomatie montre son désir, ces dernières années, de se rapprocher de l’Occident. 319 B. Le choix des pays maghrébins Cependant pour les pays maghrébins, l’initiative de dialogue est visée par l’OTAN afin de pouvoir contrôler cette zone stratégique où les menaces venant des problèmes de flux de migration, de trafic de drogue et de terrorisme sont réelles. Il semble donc logique de constater que certains pays membres de l’OTAN, inclus dans l’Europe du Sud tels que l’Italie et l’Espagne sont plus engagés dans le processus de dialogue méditerranéen que des pays nordiques tels que le Canada ou la Norvège. Les perspectives sécuritaires des pays maghrébins membres du dialogue de l’OTAN se situent non pas à un niveau de danger extérieur mais à un niveau interne avec les risques d’instabilité politique, de subversion, de terrorisme ou de soulèvements dus aux problèmes socio-économiques et des problèmes de catastrophes naturelles27. En fait, l’initiative de l’OTAN demeure perçue par beaucoup de pays arabes comme l’initiative la plus récente des initiatives euro-méditerranéennes qui n’ont généralement mené nulle part. Cet état d’esprit sceptique a été exprimé dans une interview du ministre tunisien de la défense, Habib Benyahia, qui citera l’initiative de l’OTAN comme l’une des nombreuses initiatives lancées durant ces trente dernières années ; il notera que la majorité de ces dialogues ont été initiés par les Européens et que la plupart d’entre eux n’ont jamais rien accompli. Habib Benyahia précisera que ce scepticisme quant au dialogue de l’OTAN avec les pays arabes doit être considéré dans son contexte historique28. C. Domaines d’activités offerts par l’OTAN au Maghreb L’OTAN accorde actuellement une importance prioritaire à quatre domaines d’activités : information publique sur les activités de l’OTAN, visites et stages de formation, plan de secours civils d’urgence, gestion de crise, maintien et soutien à la paix. 27 Il faut rappeler que dans une lettre datée du 7 janvier 2005 au secrétaire général de l’ONU, Kofi Annan, le président Chirac a proposé la constitution d’une force internationale humanitaire. 28 Cité par Ian O’Lesser, Rand Corporation, op. cit. 320 - Information sur les activités de l’OTAN : L’objectif de l’OTAN est de multiplier les activités d’information auprès des membres du dialogue. Durant ces dernières années l’Alliance atlantique à travers son bureau d’information et de presse a essayé d’intervenir au niveau des décideurs et des centres de recherches des pays sud-méditerranéens. En 1997, le bureau d’information et de presse de l’OTAN avait impulsé l’organisation de deux conférences importantes : un séminaire international et une visite à l’OTAN de hauts responsable des pays membres du dialogue. L’OTAN tentera de familiariser avec les objectifs et les intentions de l’OTAN l’ensemble des pays du Maghreb. Ces derniers seront encouragés à développer les contacts entre l’Alliance et les membres de la société civile dont les journalistes, les universitaires et même les parlementaires, ainsi qu’avec les institutions les institutions de défense et de recherche. Le principe était de créer au Maghreb une « communauté de sécurité » afin d’améliorer la teneur du dialogue avec l’OTAN. La coopération scientifique avec l’OTAN paraît être utile au regard des pays du Maghreb, notamment dans le domaine de la recherche. Elle s’est concrétisée par l’octroi de bourses pour les chercheurs et universitaires dans des spécialités ayant trait aux questions stratégiques telles que le contrôle régional des armements, les problèmes de prolifération, l’impact des ventes d’armes sur la sécurité régionale en Méditerranée, etc. Des thématiques du domaine de la défense qui pouvaient intéresser les décideurs maghrébins ainsi que les stratèges nord-atlantiques, soucieux de la stabilité dans l’espace méditerranéen. Des échanges entre les chercheurs des pays partenaires du dialogue et ceux des Etats membres de l’OTAN ont pu être également organisés. - Visites et stages de formation. L’école d’Oberammergau de l’OTAN organisera des cours de maintien de la paix qui seront proposés aux pays membres du dialogue et qui pourront s’avérer intéressants pour la gestion des crises ; ces cours seront payants et non pris en charge par l’OTAN. Les écoles de défense de l’OTAN dont celle de Rome offriront des programmes académiques d’un haut niveau aux représentants des pays parties prenantes au dialogue. 321 - Plan de secours civil d’urgence. Des cours seront également organisés à l’école d’Oberammergau de l’OTAN dans le domaine de la gestion des crises (catastrophes naturelles, désastres divers, etc.). Dans ce domaine critique de la coopération, l’OTAN offrira un avantage comparatif par rapport aux autres institutions méditerranéennes du fait de sa longue expérience. - Activité de gestion de crise, de maintien de la paix et de soutient à la paix. On pourra constater une coopération des pays du Maghreb avec l’OTAN. Dans le domaine militaire, cette organisation offrira une expertise particulière. Il faut savoir que l’Algérie a déjà contribué à plusieurs opérations multinationales dans le passé. Pour rappel, elle a participé à la mission de vérification de l’ONU en Angola (UNAVEM) dès sa création en juin 1991. Ainsi, une vingtaine d’observateurs militaires Algériens ont été associés à l’UNAVEM II de 1995 à 1997, et à l’UNAVEM III de1999 à l’an 2000, cela dans le cadre de la vérification des accords d’Arusha et du protocole de Lusaka. N’oublions pas également que la police algérienne a participé également à l’opération de l’ONU (NINUBH) en Bosnie, elle a contribué à l’administration transitoire de l’ONU pour la Slovénie orientale en Croatie (opération ATNUSCO). Par ailleurs, l’Algérie a envoyé des unités militaires et des éléments de la police dans le cadre de l’APRONUC ou l’Autorité provisoire de l’ONU pour le Cambodge. Il est utile de rappeler aussi que des officiers Algériens ont participé à la mission de l’ONU chargée de surveiller le processus électoral en Haïti, et qu’une contribution algérienne a été apportée par la gendarmerie dans la formation de la police de cet Etat avec la mission d’appui de l’ONU en Haïti. On peut constater les exemples de l’Egypte, du Maroc et de la Jordanie qui ont acquis une certaine expérience en participant au opérations de l’IFOR/SFOR. Le Maghreb a envoyé en ce sens des observateurs dans les camps de formation et des exercices de maintien de la paix. Afin de mettre fin à une perception sécuritaire négative des opérations ou manœuvres de l’OTAN, cette dernière va préconiser d’envoyer des observateurs aux opérations ou 322 exercices à large échelle de l’OTAN, et leur donner également l’occasion d’assister aux briefings organisés par l’OTAN. - Coopération régionale L’OTAN recommandera également d’avoir une approche régionale de la coopération dans le domaine de la sécurité et de participer à des opérations conjointes avec les pays voisins, aussi bien du Maghreb qu’avec l’Espagne et l’Italie. Nous noterons que le dialogue de l’OTAN-UEO face aux initiatives euroméditerranéennes aura caractérisé la dernière décennie du XXe qui a été une période importante en développements stratégiques. Le fait nouveau est le rapprochement de l’Algérie de l’Alliance atlantique. Il faut savoir que le 16 février 2000, le Conseil de l’Atlantique Nord a invité l’Algérie a se joindre au dialogue ; l’Algérie a accepté l’invitation, et s’est intégrée dans le processus de coopération avec l’Alliance. L’avenir du dialogue entamé par l’OTAN avec les pays du Maghreb dépendra de certains facteurs dont le premier est celui du maintien du consensus entre les membres de l’Alliance sur le rôle dévolu à cette organisation, puis du niveau de convergence des politiques des membres de l’OTAN en Méditerranée et surtout de l’élément fondamental qu’est le processus de paix au Moyen-Orient. L’Alliance atlantique maintient les différentes phases de son initiative de dialogue avec la poursuite des entretiens organisés dans ce cadre avec les pays sud-méditerranéens. Le programme spécifique d’activités comprend des séries de pourparlers politiques avec chaque partenaire couvrant les domaines politiques, économiques et sécuritaires, et ceux des perspectives de coopération régionale, de maintien de la paix et aussi d’information sur le rôle des initiatives de l’OTAN en Méditerranée29. 29 Il faut noter à ce sujet le cinquième séminaire international de recherche organisé par le ministère algérien des affaires étrangères et le collège de défense de l’OTAN, à Rome, du 27 au 30 octobre 2002. Cette rencontre a réuni des experts des pays méditerranéens et des pays membres de l’Alliance pour engager une réflexion collective sur le thème de la sécurité en Méditerranée et du concept de sécurité collective. 323 Il comprend également des offres de participation aux programmes scientifiques et d’information de l’Alliance ainsi que des échanges de visites et des programmes de cours sur les questions sécuritaires. On peut noter que depuis 1997, un mouvement de visites de haut niveau de l’OTAN a été déployé dans la région sud sous la direction du Secrétaire Général de l’organisation. Il y a eu également l’organisation de visites portuaires menées par la force navale permanente de l’OTAN en Méditerranée. On peut noter à ce sujet la visite, première de son genre, organisée le 13 septembre 1996 par les navires de l’OTAN au Maroc, à l’occasion de l’escale de la force navale permanente de la Méditerranée, à Casablanca, puis à Alger, en mars 2005. Le rapprochement de l’OTAN avec l’Algérie, depuis 1998, est également à souligner dans le cadre de la coopération en Méditerranée (visites multiples des responsables du commandement de l’OTAN, manœuvres conjointes, etc.). N’oublions pas que le dialogue méditerranéen inclut également « la Charte de stabilité » pour un lac de paix qui s’inscrit dans le cadre euro-méditerranéen. Ainsi, on peut signaler à ce propos la réunion ad hoc qui s’est ouverte à Bruxelles le 17 octobre 2000, et qui a rassemblé des hauts fonctionnaires de l’Union Européenne et des pays du sudméditerranéen. Leur tâche était de préparer un avant-projet devant être soumis aux différentes réunions se faisant sous le signe de la conférence de Barcelone de 1995, telle celle des ministres des Affaires étrangères qui a eu lieu le 16 novembre 2000 à Marseille, et qui prendra l’initiative de renforcer le dialogue avec les parties adverses.. L’objectif était de donner un caractère politique à la Charte de stabilité, appelée à devenir le fruit d’un consensus sur les mécanismes de stabilité et de sécurité en zone euroméditerranéenne. Nous pouvons citer, à ce sujet, cette remarque réaliste de l’ancien Secrétaire général de l’OTAN, et président de la Commission des Affaires extérieures de l’Union européenne, M. Javier Solana : « L’OTAN développe de façon progressive l’initiative concernant la Méditerranée et applique le principe de complémentarité avec les activités d’autres 324 organisations … Des propositions visant des formes de coopération de type « partenariat pour la paix » ou la mise en place de mesures de confiance ne pourrant être examinées que lorsque le dialogue sera à un stade plus avancé30 ». 30 Recommandations de politique générale adoptée en 1999 par l’Assemblée de l’Atlantique Nord, Internet 2003. 325 Chapitre VI Le positionnement des pays du Maghreb 326 Chapitre VI Le positionnement des pays du Maghreb L’Alliance atlantique a ainsi acquis une vocation nouvelle hors de son champ d’intervention habituel et de ses frontières1. Le Sommet d’Istanbul, de juin 2004, a abouti à la conclusion d’approfondir le Dialogue méditerranéen ayant pour finalité la construction d’un système de sécurité régionale basé sur l’expérience acquise avec le Partenariat pour la Paix (PpP), en élaborant un cadre de travail pour une série de mesures de confiance pour la stabilité de la région méditerranéenne, cela en mettant en exergue les questions sécuritaires et économiques soulevées par les pays du Sud. D’après la vision stratégique euro-atlantique, aucun État ne peut, par lui-même, réaliser une sécurité absolue. Cela semble aller de soi. Mais l’affirmer est une option qui débouche sur des options explicites, elles-mêmes générant un ensemble de conséquences. Tout d'abord, dans cette optique, les problèmes de sécurité nationale paraîtront avoir un caractère forcément interactif. Les défenses nationales ne seront donc pensées qu’en corrélation avec leurs capacités à s’insérer dans des entités multinationales intégratives. L’OTAN, bien sûr, aura postulé au premier rang de ces entités. En second lieu, la Méditerranée demeurera sans conteste un centre de gravité essentiel dans la nouvelle architecture sécuritaire de l’Occident ; son importance géostratégique ne s’est au demeurant jamais démentie; car, faut-il le rappeler, les points d’application des forces militaires euro-atlantiques sont situés actuellement au niveau de la totalité continentale eurasienne et de son espace maritime stratégique. 1 Nouvelle Force de Réaction rapide et Force d’assistance à la sécurité (ISAF) en Afghanistan ; Opération de paix avec l’Union africaine au Darfour soudanais, etc. 327 Face à l’unilatéralisme américain et dans un contexte de globalisation généralisée, les pays du Sud vont intégrer de manière accrue l’environnement international. Pour les pays du Maghreb, leur insertion régionale et internationale va se caractériser par la signature d’accords d’association avec l’Union Européenne2, la décision d’adhérer à l’OMC (Organisation Mondiale du Commerce), et l’intégration au Dialogue méditerranéen de l’OTAN, initié en 1994. Au niveau de ces États, la nécessité d’une vision commune est fondamentale pour l’instauration d’un partenariat avec les alliés euro-atlantiques. Partenariat à la dimension à la fois bilatérale et régionale, et qui converge avec l’initiative de dialogue méditerranéen de l’UEO de 1992, et celui de l’OSCE lancé en 1994, à Budapest. Par ailleurs, point de focalisation de l’Alliance atlantique depuis le début de la guerre froide, notamment avec le redéploiement des forces militaires euro-atlantiques du front central vers le flanc Sud, la Méditerranée sera l’objet, durant ces dernières années, de manœuvres permanentes des forces militaires euro-atlantiques auxquelles sont associées, rappelons-le, des unités de certains pays maghrébins (Algérie, Maroc, Tunisie). Le renforcement de la présence de l'OTAN en Méditerranée avec la mise sur pied par l’AFSOUTH, commandement Sud de l’OTAN, d’une escadre de navires américains en activité permanente et l’initiative du « Dialogue sur la Méditerranée » amènent, tout naturellement, à tenter d’en saisir la finalité. Par ailleurs, il y a nécessité de s’interroger sur les objectifs spécifiques que vise le dialogue que l’OTAN essaie de développer en direction du Maghreb : s’agirait-il de parvenir, à terme, à une intégration des organes de défense des pays maghrébins dans l’OTAN ? D’aboutir à un alignement sur les normes technologiques et les doctrines nordatlantiques ? D’arriver ainsi à une diversification de partenariat de manière complémentaire à celui du processus de Barcelone 3 ? 2 Il faut rappeler la signature à Valence, le 22 avril 2002, de l’accord d’association avec l’Union européenne, de l’Algérie. Cet accord a été ratifié par l’Algérie le 31 mars 2005. 3 Il faut noter que les moments forts du Dialogue Algérie-OTAN ont été les deux visites du président Bouteflika au quartier général de l’OTAN en 2001 et 2002, ainsi que les escales des forces navales de l’OTAN au port d’Alger, notamment les 19 et 20 mars 2005. 328 Section 1. Le Maghreb, une sous région périphérique ayant son importance géostratégique Le syndrome de la guerre du Golfe de 1990 avait suscité une large restructuration des forces militaires atlantiques sous contrôle américain. Depuis les attentats anti-américains, le même processus de restructuration des forces euro-atlantiques se produit, avec pour nouvelles cibles le terrorisme international, et certains Etats dits ou considérés comme proliférants (cas de l’Iran entre autres). Le mois de septembre 2002 aura été une période chaude en débats dans les médias occidentaux sur la légitimité ou l’irrationalité de nouvelles frappes aériennes contre l’Irak. Rappelons que la décision de nouveaux bombardements contre ce pays avait été prise par l’administration de G. W. Bush en accord avec son allié traditionnel, la Grande-Bretagne, et cela face à l’opposition de tous les membres du Conseil de sécurité des Nations Unis. Les États-Unis ont repensé leur stratégie avec pour principe de demeurer une puissance de première grandeur, ou « First magnitude », et le seul pôle de régulation internationale. En fait, le planning de défense de l’Administration Clinton avait déjà statué que le premier objectif américain est de prévenir l’apparition de puissances majeures, que cela soit sur le territoire russe ou en Europe Occidentale, qui puissent présenter une menace semblable à celle qui fut posée par l’ex-URSS. Le renforcement des mécanismes propres à dissuader tout compétiteur potentiel à un rôle régional plus large ou mondial sera assuré. Une nouvelle forme de leadership de la gestion des affaires internationales sera mise en place avec un nouveau schéma de participation internationale basé sur la coopération. C’est en fait, rappelons-le, l’idée d’un consensus mondial américain dont le principe cardinal serait de penser globalement, et d’agir localement. Agir localement voudra dire aussi agir unilatéralement comme cela fut le cas en Irak. Dans le contexte de l’après-guerre froide et de l’après septembre 2001, la Méditerranée et tous les pays riverains ou périphériques vont par conséquent paraître, nécessairement, comme un arc de crise potentiel. Il s’agira dans la terminologie nord-atlantique de délimiter un théâtre méditerranéen d’opérations allant du Maghreb aux Balkans, de la 329 Turquie au Golfe arabo-persique, soit par conséquent un espace élargi même à des pays africains tels que le Rwanda ou le Zaïre. La géostratégie nord-atlantique en Méditerranée va ainsi inclure non seulement le stationnement des troupes américaines en Méditerranée mais également le pré positionnement en mer d’une brigade de marines et la multiplication des exercices communs. En ce sens, on peut rappeler l’organisation des nouvelles forces armées mises sur pied en Méditerranée, notamment, la création de la STANAVFORMED (Standing Naval Forces Mediterranean) qui comprendra une escadre de navires américains déployée dans la Méditerranée. Comme nous l’avons déjà mentionné, à l’ancien concept de Hard security ou coopération de défense va s’ajouter celui de Soft security ou coopération économico-culturelle. La perception des menaces venant des pays du Sud (problèmes socio-économiques, instabilité politique, problèmes religieux, terrorisme, trafic de drogue, flux d’émigration, etc.) va mettre en exergue l’interdépendance et l’interaction des enjeux sécuritaires de défense avec ceux des domaines politico-économiques. C’est dans ce nouveau contexte que va s’élaborer la néostratégie de l’OTAN et des ÉtatsUnis en Méditerranée et au Maghreb avec, d’une part, une restructuration des forces militaires stratégiques, et d’autre part le lancement de projets économiques d’intégration régionale. Compte tenu de ces données, le Maghreb apparaît comme une sous-région périphérique dont l’intérêt stratégique tient à sa situation dans l’ensemble MENA ou Middle-East North Africa (Moyen-Orient/Afrique du Nord). Ce n’est que dans la perspective d’un sousensemble régional qu’il revêt un intérêt particulier au regard nord-atlantique et américain. Paragraphe 1. Le réalignement du Maghreb Dans l’après-guerre froide, la Méditerranée en général et le Maghreb en particulier vont susciter une rivalité euro-atlantique entre les États-Unis et l’Europe. Le processus de Barcelone, en excluant les États-Unis aura attisé les tensions liées à cette rivalité euroaméricaine. Si le rôle de puissance de First Magnitude [ou de première grandeur] est admis 330 pour les États-Unis au niveau mondial, il semble qu’au niveau régional il suscite une polarisation parfois conflictuelle. Cependant le rôle de puissance mondiale unique a permis aux États-Unis d’imposer leur propre stratégie aussi bien au niveau de l’ensemble régional méditerranéen que de celui, sous-régional, maghrébin. Au niveau de la Méditerranée, les États-Unis détiennent des leviers de pressions énormes au niveau des structures multilatérales euro-atlantiques (OTAN-OSCE). En témoignent le refus américain de déléguer l’autorité du commandement Sud-Europe alors que la France aimerait en bénéficier ainsi que le maintien de la VIe flotte américaine en Méditerranée. En témoignent également le rôle principal joué par les États-Unis dans le processus de paix au Moyen-Orient, et les initiatives économiques en direction du Moyen-Orient et du Maghreb. Enfin, la deuxième guerre en Irak a largement prouvé le danger que représente l’unilatéralisme américain face aux enjeux stratégiques de demain. A. Des stratégies maghrébines économiques convergentes Le nouvel ordre économique international est celui de la globalisation, c’est à dire d’une économie mondiale s’étendant au delà des frontières dans tous les domaines du commerce, de la finance, de l’information et de la communication. Les instruments d’insertion des pays dans ce processus de mondialisation vont être le FMI (Fonds Monétaire International) et l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC). Les pays du Maghreb vont négocier cette insertion de manière dispersée sur une base individuelle et avec des moyens limités. En fait, les stratégies de développement des pays maghrébins ont été marquées par des différences profondes tant au niveau des conceptions que des structures économiques et sociales : l’Algérie à expérimenté une planification centralisée dans le cadre de l’économie socialiste4 ; la Tunisie a opté pour une voie libérale ajustée aux normes du marché ; le Maroc a dès le début de son indépendance orienté son économie vers une économie capitaliste basée sur l’initiative privée avec une large ouverture vers l’étranger. 4 L’Algérie va se convertir au libéralisme économique et va multiplier els privatisations. En raison du manque de main d’œuvre qualifiée, le gouvernement algérien va favoriser les partenariats. On peut noter que de nombreux groupes européens étudient actuellement une éventuelle implantation dans le pays. 331 Cependant quelles que soient les différences de modèles de développement économique, ces trois pays vont connaître des déséquilibre économiques et financiers dès les années 1980 ; ces crises vont les conduire vers un choix de réformes d’ajustement structurel et donc vers des stratégies économiques convergentes. Sur le plan politique, les crises politiques de 1988 en Algérie, et de 1987, en Tunisie où l’on vit des émeutes à la suite de l’augmentation des prix de certains produits de première nécessité, vont amener ces deux pays à une certaine ouverture et à une reconnaissance d’un pluralisme relatif. Il s’agira en fait d’un véritable réalignement idéologique, politique et économique des trois pays maghrébins, car le Maroc aussi s’oriente vers un multipartisme de fait qui aboutira au succès de l’opposition dans des élections législatives qui installèrent, dans les années 1990, Youssoufi au poste de Premier Ministre. B) L'atout pétrolier de l'Algérie Les découvertes pétrolières faites en 1994 et 1995 en Algérie ont mis dans de meilleures dispositions à son endroit des décideurs internationaux tels que le FMI, la Banque Mondiale et les compagnies pétrolières. Au niveau des États-Unis, elles ont fait ressortir la crédibilité financière de l’Algérie et permis à la Sonatrach un accès imprévu à de nombreux financements extérieurs. L’Algérie, assurément consciente de l’atout que représente sa diplomatie pétrolière, si l’on peut dire, semble ainsi vouloir utiliser au mieux les perspectives du partenariat maghrébo-américain. On peut souligner l’analyse que fera, en mai 1996, Richard Jackson, Directeur des Affaires égyptiennes et nord-africaines au Département d’Etat sur l’intérêt américain pour l’Algérie : « Economiquement, l’Algérie est un important acteur […] , elle est un producteur significatif de pétrole et de gaz de haute qualité […], l’Algérie était en 1994 le pays qui a eu les plus importantes découvertes dans le monde5 ».Les principales découvertes de pétrole et de gaz seront surtout réalisées par la société américaine Anadarco Petroleum près de Hassi-Messaoud6. En 1995, l’Algérie signera un projet de 1 milliard de dollars avec la firme U.S.-ARCO. 5 Washington Files, US Information Agency, 30 march 1999. L’Algérie et la Libye dispose de réserves prouvées de pétrole de plus de 5 milliards de tonnes et quelques 5000 milliards de m 3 en ressources gagières. L’Algérie est le 5e producteur et 4e exportateur de gaz naturel. 6 332 Les États-Unis sont à présent le deuxième fournisseur et le deuxième client de l’Algérie. Les échanges entre les deux pays se sont élevés à un montant total d’environ 3 milliards de dollars en 1997. Les flux commerciaux entre les deux pays connaissent une croissance soutenue avec un volume des échanges atteignant 8,5 milliards de dollars en 2004. Les produits offerts par l’Algérie sont essentiellement constitués par les hydrocarbures. Ceux des Etats-Unis comprennent des équipements industriels, informatiques, des produits alimentaires, des services dont ceux concernant la réforme bancaire et la gestion d’entreprise. Les investissements américains faits en Algérie deviennent en ordre de valeur les plus importants faits au Maghreb. Cela mérite d’être souligné. L’Algérie avait traditionnellement opté pour une politique de diversification de ses exportations depuis les premières années de l’indépendances du pays. Ce n ‘est que vers les années 90 qu’elle orientera une bonne part de ses exportations vers les États-Unis. On constate aussi que les importations s’accroissent également en provenance de ce pays, puisqu’elles passent de 10% à 15%, et les exportations avoisinent les 20%. Pour les États-Unis, il s’agira d’un immense enjeu économique ou « large economic stake » en Algérie. Les importations américaines en gaz montent à 1,700 milliard de dollars ; quant aux exportations, elles sont d’environ un milliard de dollars : ces deux chiffres méritaient d’être rapprochés7. Cependant malgré cette embellie énergétique, l’Algérie refuse de ne voir dans l’initiative d’Eizenstat8 qu’une affaire juteuse dans des investissements largement lucratifs, car limités au secteur des hydrocarbures. Il faut rappeler à ce propos les critiques adressées par Eizenstat aux pays maghrébins lors d'une d’une rencontre financière sur le Maghreb, à Washington9, le 30 avril 1999. Ces critiques concernent les points suivants : 7 Il ne nous a pas été possible d’obtenir des chiffres définitifs pour l’année 2002 et l’année 2003. Mais ceux qui nous ont été avancés, sous réserve, s’alignent sur ces deux valeurs. 8 Sous-Secrétaire d’Etat U.S. ayant initié un partenariat maghrébo-américain à Tunis à la fin des années 1990. 9 Middle East Review, no 1, january 1997. 333 1. La nature des relations politiques au sein de la région bloquent la coopération économique. Qui en douterait ?10 2. La limite des réformes entreprises qui ont certes réalisé la stabilité macro- économique, mais n’ont pas assumé les réformes nécessaires pour assurer la libre entreprise, réaliser des marchés publics transparents et alléger les charges de l’entreprise ; 3. Le rôle du secteur privé qui doit avoir sa place légitime dans la formulation de la politique économique (investissements, libre concurrence, augmentation des exportations). Les États-Unis privilégieront la formulation des joint-ventures en lieu et place de la relation traditionnelle d’assistance. La Chambre de Commerce algéro-américaine, fondée en 1997 et installée à Alger, sera favorable aux propositions de crédits ouverts tous les ans sur la base des propositions d’affaires qu’elle fera dans le futur. Actuellement, excepté le secteur de l’énergie, l’Algérie offre des possibilités d’investissements dans les secteurs des produits pharmaceutique, du bâtiment, du tourisme, de l’industrie légère et des télécommunications. Il faut cependant savoir que, en phase avec la volonté des autorités économiques algériennes de diversifier leur partenariat, les compagnies américaines s’implantent en Algérie. Ainsi, en 2001, Burlington Resources et Anadarko ont décroché des licences de prospection pétrolière en Algérie11. Il faut noter que durant sa visite à Washington en novembre 2001, le président Bouteflika a évoqué avec les hauts responsables américains les moyens d’intensifier le partenariat entre les deux pays. Deux thèmes ont été développés : en premier, la fourniture à l’Algérie de systèmes de défense destinés au renforcement de la sécurité et au maintien de l’ordre ; en deuxième lieu, le développement de la coopération bilatérale en matière d’hydrocarbures. En fait, l’Algérie veut attirer davantage d’investissements directs en provenance des ÉtatsUnis. Les compagnies pétrolières américaines sont intéressées par un sous-sol qui serait 10 En ce mois de décembre 2003, le Sommet des Chefs d’Etat de l’UMA qui devait se dérouler à Alger a été annulé. Aucune raison n’avait alors été avancée pour justifier ou expliquer cette annulation. 11 In Salama, Pétrole, première étape, janvier-février 2003, no 29, pp. 28-29. 334 encore sous exploité. Ainsi, selon les évaluations officielles, l’Algérie disposerait d’un potentiel d’environ 9 milliards de barils12. Cependant, les compagnies américaines considèrent cette évaluation comme inférieure aux réserves réelles. Il faut noter que la production algérienne se situe autour de 1,1 million de barils/jour, malgré le quota plafond de 741 000 barils/jour fixé par l’Opep. L’Algérie voudrait augmenter sa capacité de production à 1,5 million de barils/jour. De plus, l’Algérie voudrait augmenter les investissements dans le secteur du gaz naturel sous la supervision de la Sonatrach et doubler le nombre d’opérateurs présents sur le terrain, d’ici à l’année 2007. L’Algérie possède les huitièmes plus grandes réserves de gaz du monde, le pays est actuellement le troisième plus grand exportateur du GNL et fournit plus de 1 /5 des besoins gaziers de l’Union européenne. On peut remarquer de nouveau qu’ici joue encore la rivalité franco-américaine, car les compagnies américaines redoutent un marché algérien contrôlé par les entreprises françaises d’autant plus que la France est présente dans ce domaine de manière traditionnelle. Il faut aussi rappeler que d’autres secteurs intéressent les États-Unis, ainsi les secteurs des banques, des finances, des télécommunications, de l’aéronautique et des nouvelles technologies. Le montant total des investissements directs américains en Algérie a atteint, en 2003, le chiffre de 5 milliards de dollars. Il devrait s’accroître au vu des nouveaux engagements constatés dans les secteurs non pétroliers. 12 Ibidem. 335 Paragraphe 2 : Les relations Algérie-Maghreb/États-Unis Les relations entre l’Algérie et les pays Maghrébins, notamment la Tunisie, le Maroc et la Libye ont été, selon la conjoncture, conflictuelles, chaque État accusant l’autre d’accueillir sur son territoire ou ses régions frontalières des groupes insurrectionnels. Depuis les années 80, la nouvelle orientation idéologique, politique et économique de l’Algérie a permis un certain rapprochement et une convergence sur des intérêts régionaux communs. Du point de vue chronologique, une tentative de création d’une communauté économique en 1964 avait abouti à un échec. Ce n’est que dans les années 80 que la réalisation d’une union politique et économique a pris forme sous l’appellation d’Union du Maghreb Arabe. En 1989, l’accord de Marrakech réunira l’ensemble des pays maghrébins dans le cadre d’une coopération régionale. Le traité de Marrakech était issu de la rencontre au Sommet à cinq de Zéralda, en Algérie, tenue le 10 juin 1988. Le Traité garantira à chaque pays maghrébin le respect de sa souveraineté nationale et le non recours à la force pour régler des contentieux diplomatiques. A. Le contentieux algéro-marocain La politique algérienne qui appuie le Front Polisario dans son option fondée sur le principe du droit à l’autodétermination a été une source de blocage parfois latent et parfois explicite de la construction de l’Union maghrébine. En août 1994, un acte terroriste mené par un groupe déclaré d’origine ou de nationalité algérienne contre des touristes à Marrakech a constitué un prétexte pour le Maroc pour imposer aux Algériens l’obtention d’un visa pour entrer sur son territoire ; cette décision marquera un abandon total d’un acquis important de l’UMA. L'enchaînement des réactions entre les deux pays frontaliers aboutira à une fermeture des frontières. Le conflit du Sahara Occidental précédé par la guerre des sables en 1963 a bloqué toute tentative réelle de renforcer l’UMA. Ces cycles conflictuels ont complété les crises existant entre les pays voisins de la région maghrébine : crise algéro-libyenne, tuniso-libyenne, maroco-mauritanienne. A ajouter à cela, la crise intervenue entre l’Algérie et le Maroc 336 suite porté contre ce dernier pays d’accorder son soutien aux terroristes algériens de la région de Béchar (le sud marocain étant supposé servir d’arrière base pour ces derniers). Il semble évident que parfois l’absence de communication politique entre les pays maghrébins et la défaillance dans le contrôle sécuritaire a donné à tout incident une proportion complexe. Les pays membres de l’UMA doivent réactiver le projet de communauté régionale. L’UMA demeure un acquis vital, il lui faut trouver des espaces de coopération solidaire, de création d’un partenariat inter-maghrebin sur la base d’avantages comparatifs, fondé sur une division du travail à l’échelle régionale. Il y va de la survie de la région maghrébine et de la stabilité de chacun des cinq pays de l’UMA, au vu des implications de la globalisation de l’économie mondiale. Il faut savoir que d’autres groupes ont marqué la scène internationale : l’ALENA (NAFTA) en Amérique du Nord, le MERCOSUR en Amérique latine, l’ASEAN et le SAARC en Asie, la CEFTA en Europe Centrale, le Conseil de Coopération des pays du Golfe (CCG), etc. L’Algérie, comme ses pays voisins, en maîtrisant ses contentieux, peut jouer un rôle moteur pour redynamiser l’UMA. Les pays intégrés dans les groupement régionaux ont réussi leur insertion dans l’économie mondiale, l’UMA peut s’inspirer de ces modèles, car elle a sans doute le soutien moral de l’ensemble des peuples et des sociétés civiles de l’espace maghrébin. B. L’Algérie et les États-Unis L’Algérie représente un intérêt particulier pour les Etats-Unis car sa diplomatie est essentiellement pétrolière par rapport aux autres Etats maghrébins ; elle représente un pays aux potentialités particulières. Pour la stratégie de sécurité énergétique des États-Unis en Méditerranée, le cadre géopolitique et géostratégique a été défini au lendemain de la guerre du Golfe. Pour l’Amérique, l’approvisionnement énergétique est une question vitale pour leur système économique national. Bernard Ravenel, politologue français, écrivait à ce sujet des propos pertinents : « La vraie affaire stratégique américaine des années 90 et du XXIe siècle est la maîtrise des enjeux énergétiques. Important déjà 50% de ses besoins en pétrole, l’économie américaine 337 est destinée à dépendre de plus en plus de ses importations de matières premières et en particulier du pétrole. Cette dépendance de nature stratégique contraint les États-Unis à définir une géostratégie globale de maîtrise des enjeux énergétiques. Cette stratégie concerne l’action combinée des sociétés du secteur énergique liées à des sociétés d’investissement et de crédit (oil-gas arms business) et soutenues par l’Etat américain. Face à leurs concurrents (Europe, Japon) eux-mêmes sans ressources énergétiques propres, les États-Unis veulent contrôler en première instance la ressource énergétique stratégique du système industriel. Or l’espace concerné par cet objectif est l’ensemble sud-méditerranéen à partir du Maroc jusqu’au Golfe et la Caspienne. Ce qui amène à penser comme un ensemble unique le Maghreb et le Machrek jusqu’au Caucase et par extension la Méditerranée…13 C. L’ensemble maghrébin L’importance stratégique du Maghreb notamment dans la sécurité des livraisons de gaz vers l’Europe est soulignée par les crises qui ont marqué récemment les livraisons de gaz russe à certains pays européens, la crise nucléaire iranienne, la guerre en Irak, les perturbations qui frappent les livraisons nigérianes. L’Algérie, la Libye et l’Egypte ont pris des mesures encourageant les compagnies étrangères à augmenter leurs investissements dans l’exploration et l’augmentation de la production14. Marten S. Indyk, Sous-Secrétaire d'État pour les Affaires du Proche-Orient définissait comme suit la situation de l’ensemble maghrébin : « Le Maroc et la Tunisie ont une histoire caractérisée par des institutions stables et efficaces. L’Algérie est en train d’essayer de mettre de nouvelles institutions en place pour assurer la stabilité. Les trois Etats bénéficient d’une croissance économique solide et de relations internationales pacifiques. Les États-Unis partagent avec ces trois États maghrébins un engagement commun et ancien à la paix, la stabilité et la prospérité dans la région. Notre vision est celle d’une Afrique du Nord dont le futur sera distingué par des États prospères intégrés dans l’économie mondiale, développant des relations commerciales avec l’Europe et l’Amérique, attirant de hauts niveaux d’investissements locaux et étrangers, et créant des emplois. 13 Bernard Ravenel, L'Algérie entre la France et les États-Unis, Naqd, Revue d'Etudes et de Critique sociale, no 12, été 1999. 14 El Watan du 5 mars 2006 citant le quotidien britannique Financial Times. 338 Notre vision inclut aussi une participation politique accrue de la population. L’Afrique du Nord en tant qu’exemple de prospérité et de participation devrait servir à la fois comme influence stabilisatrice dans l’ensemble du Moyen-Orient et comme moteur aidant à introduire de manière pacifique cette région, perturbée, dans le 21è siècle…15 ". Au demeurant, Martin. S. Indyk réaffirmera l’orientation suivante : « Pour les États-Unis, il s’agira de maintenir un engagement actif avec le Maroc, la Tunisie et l’Algérie dans les domaines des reformes politiques et économiques, du commerce et de l’investissement, de la sécurité et de l’aide au développement. Ce partenariat est important non seulement pour les peuples du Maghreb mais pour les États-Unis également. Il est d’un intérêt stratégique et économique d’encourager des taux de croissance et des niveaux de vie élevés à travers le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord afin d’obtenir des bénéfices en termes de commerce et de stabilité régionale. La stabilité macro-économique de l’Algérie, du Maroc et de la Tunisie est bonne puisqu’elle se manifeste positivement au niveau des taux de croissance annuels des quatre dernières années (8,5%), des budgets et d’une inflation contrôlés, ainsi que des réserves de changes extérieurs qui ont été stabilisées. Une croissance soutenue et des politiques économiques adéquates ont permis aux États-Unis d’effectuer des investissements importants. L’Algérie est le cinquième partenaire américain sur le plan commercial, par ordre d'importance, du monde arabe ; et les États-Unis sont parmi les cinq partenaires commerciaux importants de l’Algérie en termes d’exportations et d’importations. L’investissement américain y totalise plus de 2 milliards de dollars. Au Maroc, les États-Unis étaient, en 1998, le deuxième investisseur étranger le plus important avec plus de 90 entreprises américaines en opération dans ce pays. En Tunisie, les investissements américains ont dépassé 450 millions de dollars faisant des Etats-Unis le troisième investisseur le plus important durant ces cinq dernières années16 ». Il apparaît cependant au niveau des statistiques que l’Union européenne tient la place la première dans les échanges économiques maghrébins ; les États-Unis lancent un challenge à l’égard des pays maghrébins et évoquent des investissements lucratifs dans ces trois pays 15 16 In Bertrand Ravenel, op.cit. Idem. 339 frontaliers. C’est dans ce contexte que le partenariat américano-maghrébin se situe ainsi que l’initiative de dialogue méditerranéen de l’OTAN. Il semble évident que l’administration américaine voudra infléchir le processus engagé lors de la conférence de Barcelone, en novembre 1995, qui visait à placer le Maghreb dans le giron européen. En ce sens, il est intéressant de voir à présent la perception des trois États maghrébins concernés par l’initiative de l’OTAN, vis-à-vis du nouveau partenariat de défense dans le flanc sud de la Méditerranée17. Section 2 : Les pays de l’UMA partenaires du dialogue de l’OTAN Il faut rappeler que le nouveau concept stratégique de l’Alliance atlantique adopté à Bonn en 1991 était basé sur les principes de dialogue, de coopération et de maintenance d’une capacité de défense collective. Il faut rappeler aussi qu’en décembre 1994, sur l’initiative de l’Europe du sud, l’OTAN va décider en ce sens l’établissement de contacts dans une démarche établie au cas par cas avec les pays du Moyen-Orient et du Maghreb non membres de l’OTAN.. L’OTAN voudra développer une coopération militaire avec l’ensemble des pays sudméditerranéens et étendre le dialogue à l’Algérie, mais la situation interne de ce pays sur le plan sécuritaire aura relégué son intégration à l’an 2000. Le problème de la Libye, quoique étant d’une nature différente et lié, entre autres, à la décision libyenne de mettre fin à son programme d’armements de destruction massive, aurait provoqué le même type de réserve quant à son inclusion dans le processus d’intégration régionale. La visite à Alger de l’Amiral Lopez, commandant des forces navales et aériennes de l’OTAN en 1998, ainsi que celle du commandant de la VIe flotte américaine en 17 Il faut souligner qu’un programme de travail du Dialogue méditerranéen est préparé chaque année par le staff de l’OTAN à partir des données adressées par les institutions de l’Alliance et les pays méditerranéens. Une fois agréé par le Conseil Nord Atlantique (CAN), il est soumis aux pays méditerranéens pour un éventuel enrichissement. 340 Méditerranée en 1999, vont traduire la volonté américaine d’un rapprochement avec les États pivots de la région Sud. La littérature politique nord-atlantique soulignera l’importance de l’intégration régionale des pays de la périphérie méditerranéenne. Ce processus sera mis en œuvre avec le redéploiement de l’essentiel des forces navales des alliés atlantiques dans le Flanc sud de l’Otan. Cette démarche va inclure l’ensemble du Bassin méditerranéen avec les pays d’Europe du sud (Italie, Espagne, Grèce, France, Portugal), les pays maghrébins et les zones pétrolières du Moyen-Orient. Paragraphe 1 : L’intégration régionale des pays maghrébins Comme nous l’avions déjà exposé dans les pages précédences, le Maghreb apparaît comme une sous région périphérique dans l’ensemble régional du Proche-Orient. Néanmoins, dans la perception américaine d’un système mondial soumis à l’hégémonie des États-Unis et structuré par les Etats pivots, les Etats maghrébins ont une place privilégiée sur le flanc sud de la Méditerranée. L’Algérie se voit dotée d’un statut particulier dans l’ensemble sous-régional maghrébin car elle apparaît comme un pôle énergétique potentiellement important émergent au regard américain. En effet, le sud de la Méditerranée est devenu, de façon sensible, le centre de gravité de l’Alliance atlantique, et cela depuis la définition d’un nouveau concept stratégique, celui de l’élargissement du champ d’intervention de l’Alliance atlantique sous la forme d’une coopération multinationale. Ce nouveau concept avait été mis en relief lors des sommets de Londres (juillet 1990) et de Rome (décembre 1991). Trois facteurs avaient justifié cet intérêt plus marqué pour la rive sud du Bassin méditerranéen qui n’avait pas été, jusque là, l’un d’espaces centraux des préoccupations otaniennes : la montée de l’islamisme, tout d’abord, avec les développements politique qui avaient suivi les émeutes d’octobre 88 en Algérie, tout particulièrement ; la guerre du Golfe et ses répercussions ; enfin, les pressions de certains pays membres de l’OTAN, entre autres, l’Espagne et l’Italie. 341 Le sud de la Méditerranée est ainsi perçu, désormais, comme une source de danger pour ses membres même, et un concept stratégique nouveau se fonde sur la prolifération des armes de destruction massive et des missiles balistiques pouvant atteindre jusqu’aux territoires européens. Il est également fait état du terrorisme, du sabotage, et des menaces, avérées ou supposées, sur le flux des ressources vitales. A. L’ambiguïté du dialogue méditerranéen de l’OTAN L’Alliance s’est ainsi cantonnée, jusqu’ici, dans une approche purement militaire des questions de sécurité et de défense, pour cette région du monde. Il y a une différence notable avec l’approche faite des pays de l’Est européen qui s’est voulue, elle, davantage marquée par une politique fondée sur les intentions affichées de rapprochement, de consultation, voire d’élargissement. C’est William Claes, alors Secrétaire général de l’OTAN, qui évoquait en 1995 la prolifération des armes et la montée de l’intégrisme comme étant les dangers à mettre en exergue. Aussi cette organisation entendait –elle engager un dialogue avec les pays du Sud de la Méditerranée. Les intentions de l’OTAN apparaîtront suspectes aux pays arabes concernés. Les réactions critiques de la France, de la Grèce, de l’Espagne et de la Grande-Bretagne aux propos du Secrétaire général avaient toutefois permis d’atténuer la portée de ce que l’on avait voulu faire passer, du côté de l’OTAN, pour un malentendu. Cela avait permis, par la suite, au Conseil de l’Atlantique nord, réuni à Bruxelles, d’adresser une invitation officielle, le 8 février 1995, à la Tunisie, au Maroc, à l’Egypte, à la Mauritanie ainsi qu’à Israël pour le lancement d’un dialogue. L’Algérie, tout comme la Libye, n’avait pas été conviée à cette rencontre. L’exclusion de l’Algérie du dialogue avait été justifiée par l'OTAN, rappelons-le, par le souci de ne pas prendre parti ouvertement en faveur du gouvernement algérien face aux islamistes dans un conflit interne. On se souvient de l’information donnée par le quotidien londonien Asharq el Awsat selon laquelle un accord secret avait été conclu entre ces cinq pays et l’OTAN, qui aurait prévu 342 la constitution d’une force d’action rapide méditerranéo-atlantique ; mais le Maroc, on s’en souvient également, s’était empressé de démentir cette information. Les questionnements soulevés plus haut prennent ainsi toute leur acuité : les pays arabes se méfieraient d’une coopération qui impliquerait l’État israélien, davantage encore quand celle-ci s’inscrit dans le cadre d’une organisation demeurant encore pour longtemps un instrument, même passé, de la guerre froide. D’autre part, tout dialogue avec l’OTAN en matière de sécurité ne suppose-t-il pas des menaces à prévenir ? Des Etats comme le Soudan et la Syrie sont connus comme ayant à faire face à une très sérieuse opposition politique islamiste pouvant déboucher sur une contestation armée du pouvoir comme c’est le cas en Algérie. Ils peuvent, à juste titre, se sentir visés par un rapprochement entre, d’un côté, l’OTAN, et de l’autre, certains pays arabes ainsi qu’Israël. Il faut, par ailleurs, souligner que l’implication de l’OTAN dans le processus de coopération pour la sécurité en Méditerranée fait concurrence à des tentatives de l’UEO allant dans le même sens. Ainsi donc, non seulement le Sud de la Méditerranée peut inquiéter le Nord (France, Italie, Espagne), mais il fait l’objet également d’une lutte d’influence vive entre deux organisations politico-militaires ici concurrentes, l’une d’obédience américaine, l’autre plutôt sous influence française. B. Des cas spécifiques : Maroc, Tunisie, Mauritanie, Libye Il y a lieu de voir à présent ce que représente pour les pays de l’UMA, membres du dialogue méditerranéen, les perspectives sécuritaires offertes par l’Alliance atlantique dans le cadre du dialogue méditerranéen. On pourra constater ici que l’ensemble maghrébin francophone a considéré l’initiative de l’OTAN dans une perspective différente de celle des pays de la Méditerranée orientale d’influence anglophone.18 Les pays du Maghreb dont l’Algérie, la Tunisie et le Maroc sont les banlieues virtuelles de l’Europe, cette proximité géographique doublée de liens historiques et culturels précise les centres d’intérêt de ces derniers et détermine leur 18 Cf. Rand Corporation, op. cit. 343 perception sécuritaire. A titre d’exemple, on pourra étudier successivement les cas du Maroc, de la Tunisie et de la Mauritanie qui apparaissent comme des cas spécifiques car ayant été les premiers invités aux cycles de discussions politiques de l’OTAN. Nous aborderons dans une deuxième étape le cas particulier et, par certains aspects, inédit de l’Algérie. Le cas de la Libye sera enfin à son tour évoqué. Les États maghrébins inclus dans la stratégie américaine de l’OTAN ont des liens différents avec les membres de l’Alliance atlantique et, conséquemment, ils ont des attentes différentes, engendrées selon leurs particularités historiques, leurs intérêts et leurs aspirations propres. Nous constaterons que leurs perceptions des initiatives euro-atlantiques apparaissent nuancées au vu de leurs intérêts nationaux. 1. Le Maroc Ce pays a appuyé sans réserves les volets politiques et sécuritaires du partenariat euroméditerranéen où il peut faire jouer les liens militaires privilégiés qu’il a développés avec la France, l’Espagne, l’Italie et le Portugal : accords de défense, assistance technique, exercices combinés, formation des cadres, divers échanges militaires dont le renseignement, constitution d’une force basée sur l’interopérabilité, observation des manœuvres Euroforce, etc.). L’idée lancée par Edouard Balladur, alors Premier Ministre français, d’un pacte de stabilité parut séduisante à feu Hassan II. Le Maroc a été inclus sur la base d’une initiative multilatérale et réciproque dans l’initiative de dialogue de l’OTAN, dès 1994. Le Maroc considère l’initiative de l’OTAN comme une occasion positive pour renforcer ses relations avec les puissances occidentales et sa propre sécurité nationale. Les préoccupations sécuritaires marocaines sont essentiellement d'ordre interne, soit la pérennité de la monarchie alaouite. Ce pays attend plus essentiellement davantage de soutien politique et d’aide économique à un niveau de Soft security. Le problème du Sahara occidental devant être réglé par un référendum, il demeure l’objet d’une préoccupation particulière de la part des autorités marocaines. Par tradition, le Maroc a toujours fait jouer les liens militaires privilégiés qu’il a développés avec les pays d’Europe du sud. Comme nous l'avons déjà mentionné, son intégration dans l’initiative de 344 dialogue va dans ce sens : accords de défense, assistance technique, formation des cadres, observation des manœuvres, etc. Le point de vue du Maroc sur l’initiative de dialogue de l’OTAN demeure semblable à celui des autres partenaires. Comme nous l’avons exposé, d’un côté le Maroc veut engager tout genre de relations politiques, diplomatiques ou économiques avec ses voisins du nord afin de renforcer ses relations avec l’Europe. Ce pays n’apparaît pas ainsi comme simplement un pays islamique, arabe et africain, mais également comme un pays sur lequel l’Europe peut compter. Cependant, des problèmes de type développementaliste se posent au niveau sécuritaire, notamment au niveau de son flux d’émigration important du fait des opportunités économiques encore faibles au niveau local. D’un autre côté, le Maroc considère l’initiative de l’OTAN comme une occasion d’améliorer de nouveau ses relations avec un groupe d'États puissants. Le Maroc n’a pas de besoins sécuritaires extérieurs que l’OTAN pourrait aider à résoudre. Cependant, des arrangements stratégiques avec l’Europe créeraient des liens étroits avec ce continent et pourraient l’aider à contenir les enjeux internes ou les risques d’instabilité. La préoccupation première du Maroc est d’éviter l’émergence au niveau interne d’un mouvement public insurrectionnel basé sur le courant islamiste et dont l’objectif serait de renverser la monarchie marocaine actuelle et de la remplacer par une république islamiste. La solution à ce problème ne serait pas militaire mais socio-économique ; elle passerait par l’amélioration du développement local. Pour le Maroc, le concept de sécurité inclut une bonne capacité de gouvernance afin de satisfaire les besoins de sa population19. Le Maroc attend du dialogue de l’OTAN une répercussion positive sur sa sécurité interne avec une aide politique et économique afin de promouvoir la sécurité nationale. Ce qui est défini comme sécurité nationale actuellement par le Maroc, mais ce n’est pas là une attitude qui lui est propre, c’est la capacité de satisfaire les besoins de la population en matière de logement, de nutrition, de santé, de transport, d’électrification, et de justice 19 In Rand Corporation, op. cit. 345 civile et pénale, ainsi que de faire face à toutes demandes de la population en matière d’évolution de la politique intérieure publique. Aussi le Maroc demeure assez sceptique sur les capacités et la volonté de l’OTAN à répondre à ce genre de besoin sécuritaire. ♦ Le Maroc et le programme d’assistance américain. Vers un nouveau partenariat économique Dans les années 80, les États-Unis avaient offert au Maroc un programme d’assistance au développement pour des raisons stratégiques. Au début des années 90, l’aide américaine au Maroc dépassait les 100 millions de dollars ; elle passera à 38,5 millions de dollars en 1995, pour descendre de nouveau à 27,8 millions de dollars pour les années 1996/199720. Des relations de défense et de sécurité étaient intégrées au créneau de la réduction de la dette. L’Amérique voulait montrer son appréciation positive de la position modérée du roi Hassan II dans son positionnement quant au conflit arabo-israélien. Actuellement, les États-Unis aident le Maroc en favorisant les investissements dans des secteurs favorables à la croissance et à la création d’emplois. Le Maroc voit dans le partenariat maghrébo-américain des perspectives d’investissements dans les secteurs de l’énergie et de la télécommunication, dans le secteur de la haute technologie, le domaine pharmaceutique, le secteur industriel et le transfert de la technologie (know how, et capacité technique) 21. A souligner le fait que le Maroc a abrité le Sommet économique de Casablanca de 1994 et a développé des échanges de missions commerciales avec Israël. 2. La Tunisie Ce pays est intégré dans le partenariat euro-méditerranéen et le dialogue avec l’OTAN et on connaît l’appréciation positive qu’en ont les partenaires européens. 20 21 Cf. Middle East Review, op. cit. In Eizenstat, Worldnet on US-North African partnership, june 1999. 346 La fragilité relative du système tunisien le rend néanmoins dépendant de l’Europe occidentale et des arrangements sécuritaires mis en place par les alliés transatlantiques. La Tunisie est plus proche de l’Italie que de l'Égypte. Elle ne peut donc qu’être constamment consciente de sa dépendance vis à vis de l’Europe. Située aux frontières de la Libye et de l’Algérie, elle se sent vulnérable également au vu de l’évolution des politiques intérieures (Algérie) ou parfois extérieures de ses voisins (Libye). C’est dans ce contexte que l’on peut situer l’élaboration de la politique étrangère tunisienne. La Tunisie a participé avec beaucoup d’intérêt à tous les dialogues euro-méditerranéens, et cela au niveau le plus élevé, dans la région. On pourra noter ici l’intervention du président Zine Al Abidine Ben Ali à la session spéciale de l’Assemblée nationale tunisienne en décembre 1996, dans laquelle il exposera les priorités de développement que le gouvernement tunisien a mis en application durant la décennie. La Tunisie perçoit sa participation au dialogue de l’OTAN dans la même perspective que son association avec l’Union européenne ; ce ne sont pas les volets purement sécuritaires et militaires qui l’intéressent mais plutôt les volets sociaux et économiques. On pourra cependant souligner la participation de la Tunisie aux cours de maintien de paix et de planning de crise organisés par l’OTAN, ainsi que l’organisation de manœuvres conjointes entre l’OTAN et des brigades maritimes tunisiennes en Méditerranée. La Tunisie a été le premier État membre du dialogue avec l’OTAN, et elle demeure partie prenante de toutes les commissions et discussions, de tous les groupes de travail et de rapports organisés dans ce cadre-là aujourd’hui encore. Au regard américain, la Tunisie apparaît comme le pays le plus développé de la région maghrébine. Sa capacité à négocier des accords avantageux avec l’Europe serait des plus performantes. Ce pays observe cependant une réserve quant à l’efficacité du dialogue mis en œuvre par l’Alliance atlantique du fait des attentes des pays du sud et de leur perception sécuritaire complètement différente de celles de l’Occident. 347 ♦ La Tunisie et la libéralisation de son économie Le Président Bénali a répondu aux attentes américaines et procédé à une libéralisation des entreprises d’Etat. Le gouvernement tunisien a doublé le nombre d’entités privatisées durant ces cinq dernières années. Il a également unifié le code des investissements pour faciliter les investissements et les diriger vers des industries prioritaires. La Chambre de Commerce tuniso-américaine a, la première, fait connaître ses suggestions concernant le partenariat maghrébo-américain ; nous trouvons ici quatre propositions fondamentales22: 1. Elaborer une convention permanente pour remplacer le changement de statut juridique des investissements et des transactions commerciales ; 2. Favoriser la répartition des investissements en provenance d’Outre-atlantique selon les points forts de chaque pays maghrébin ; 3. Opérer un recyclage de la dette au profit d’un Fonds de financement des investissements ; 4. Développer la coopération professionnelle dans les domaines de l’informatique, de l’électronique, et de l’environnement. L’ensemble des propositions faites par les Chambres de Commerce mixtes de chaque pays maghrébin sont discutées et entérinées lors des conférences de l’investissement régional à Washington. Leur tâche prioritaire sera de définir selon les projets d’investissements à soumettre, les secteurs potentiels pouvant favoriser une croissance durable, et la création d’emplois. 4. La Mauritanie La faiblesse de la Mauritanie, membre de l’UMA, rend vitale pour elle tout processus d’insertion régionale. Elle demeure un point de stabilisation des régions frontalières sudsahariennes qui n’est pas moindre. Ce pays a été impliqué ans le dialogue amorcé avec 22 In A. A. Ounnaies, op. cit. 348 l’OTAN, dès 1994, dans le cadre de toutes les initiatives visant à l’encouragement du processus sous-régional. La Mauritanie a un statut d’observateur au sein du dialogue OTAN-Méditarranée depuis novembre 1995. En septembre 1999, une délégation de l’OTAN comprenant des représentants du Commandement européen venus dans le cadre du dialogue méditerranéen et des membres du commandement atlantique, basé aux États-Unis, s’est rendue à Nouakchott pour des entretiens avec les autorités mauritaniennes. Quoique étant l'État le plus faible et le plus éloigné parmi les membres du dialogue, la Mauritanie a une façade atlantique importante et apparaît comme une passerelle entre le Maghreb et le sud Sahara ; de ce fait, elle est un pays relativement important du point de vue stratégique, au regard américain. Les États-Unis lui ont accordé la clause de la nation la plus favorisée au niveau maghrébin. De plus, la découverte de mines d’or et de diamant dans le nord du pays a suscité l’intérêt des compagnies américaines désireuses d’investir dans l'exploitation de ces secteurs d'activité économique. Le 28 octobre 1999, la Mauritanie est devenue le troisième pays membre de la Ligue arabe à nouer des relations diplomatiques avec Israël (après l’Egypte, en 1979, et la Jordanie, en 1994). Pour les États-Unis, la normalisation des relations entre les pays maghrébins et Israël sera d’une importance stratégique. Il faut souligner que la désignation de Ehoud Barak, à l’époque, à la tête du gouvernement de l’Etat israélien avait amélioré les relations qu’entretenait cet État de façon plus ou moins discrète avec certains pays maghrébins (essentiellement la Mauritanie, le Maroc et la Tunisie). Ces pays avaient déjà accepté l’ouverture de section d’intérêts de l’Etat hébreu sur leurs territoires. Cependant, à l’instar de l’Algérie, le Maroc et la Tunisie lient la normalisation diplomatique avec Israël au règlement global de la question palestinienne. Il faut noter que depuis l'intifadha des mois de novembre et décembre 2000, ces États ont de nouveau bloqué toute relation avec Israël. La perception du dialogue méditerranéen de l’OTAN par la Mauritanie est semblable à celle du Maroc et de la Tunisie et s’exprime par le souhait d’un rapprochement 349 eurotlantique et méditerranéen qui s’inscrirait non pas dans une relation sécuritaire classique mais plutôt dans un processus d’assistance économique et de développement. Le rapprochement de la Mauritanie avec l’Alliance atlantique, les États-Unis et Israël a cependant une portée politique importante du point de vue de la sécurité nationale de cet État. Du fait de sa proximité géographique avec le Maroc, du problème du Sahara Occidental, de la faiblesse de ses ressources et de ses moyens, la Mauritanie face à son voisin marocain, plus grand et plus puissant peut se sentir sans cesse menacée dans son intégrité territoriale. De plus, à la différence des autres pays maghrébins, la Mauritanie est frontalière du Sénégal dans son côté sud. Elle fait partie en effet d’une ceinture frontalière qui inclut le Mali, le Niger, le Tchad et la Somalie. Ce sont là des régions qui au demeurant ont connu des périodes de troubles politiques importants, et qui de part leur sous-développement profond n’offrent pas les meilleures garanties de stabilité régionale pour le futur. Du fait de cet ensemble de facteurs, la Mauritanie a une perception très positive du dialogue OTAN/Méditerranée dont elle espère une aide financière pour réaliser ses objectifs de développement et d’intégration régionale. Il faut souligner que ce que constateront en premier lieu les décideurs nord-atlantiques, c’est que la Mauritanie, tout comme le Maroc et la Tunisie, a eu des relations pacifiques avec Israël ; la preuve avait fini par en être donnée par l’ouverture d’une section d’intérêts israélienne à Nouakchott comme nous l’avons évoqué déjà et, plus tard, l’établissement de relations diplomatiques entre la Mauritanie et Israël. Comme nous l’avons également indiqué plus haut, l’intérêt de la Mauritanie pour l’initiative de dialogue de l’OTAN n’entre pas dans le schéma traditionnel de la sécurité ; ses motivations essentielles sont de renforcer ses relations avec l’Occident afin de promouvoir l’aide économique et le développement23. Une des attentes de la Mauritanie semble par conséquent de recevoir des dividendes de sa participation au dialogue de l’OTAN dans le cadre d’une aide financière qui pourrait la 23 Cf. Washington files, op. cit. 350 stabiliser et l’aider à sortir d’un sous-développement auquel elle ne parvient pas à faire face par ses seules ressources. 4. La Libye Du fait de l’embargo qui lui fut imposé par les pays occidentaux, la Libye est demeurée exclue de toute démarche d’intégration régionale. Cependant, le partenariat sera amené à ne plus ignorer cet État. Une recommandation des groupes de Travail Euromesco, d’avril 1997, préconisait qu’à défaut d’une participation pleine, non envisageable en ce moment, un statut d’observateur soit suggéré pour la Libye malgré les blocages qui persistaient encore au niveau des Etats. Cet embargo imposé par l’ONU depuis 1992 fait suite à l'affaire Lockerbie (attentat contre un avion de la PANAM au-dessus de la ville écossaise de Lockerbie, en décembre 1988, supposé avoir été mené par deux suspects libyens). La Libye est le seul pays maghrébin à vivre une relation particulièrement complexe, conflictuelle, avec les États-Unis depuis 1969. Sa mise au ban s’achève actuellement avec les pressions des communautés arabes et africaines pour intégrer ce pays dans le processus de réalignement régional24, et la décision de la Libye à mettre fin à son programme d’armements de destruction massive après l’invasion de l’Irak. La condition fixée par l’ONU pour la levée de l’embargo était l’extradition et le procès des ressortissants libyens impliqués dans l’attentat de Lockerbie. L’embargo avait limité l’État libyen à la vente de son pétrole pour l’achat de la nourriture et des médicaments, des sanctions économiques qui ont fortement isolé ce pays et bloqué son développement. L'État libyen semble avoir décidé de tourner la page au terrorisme international et a été l’objet d’une levée de sanctions de la part du Conseil de sécurité des Nations Unies le 12 septembre 2003. On sait qu’il a donné suite à la demande de voir juger deux de ses ressortissants par la justice écossaise. Par ailleurs, il faut rappeler que l’industrie pétrolière libyenne est de conception américaine dans la mesure où ce sont les sociétés américaines qui ont été les premières à 24 Cf. Jeune Afrique du 30 mars au 5 avril 1999, no 1994. 351 explorer et produire le pétrole libyen. Le savoir-faire et le matériel nécessaire à l’exploitation du pétrole ont toujours été américains25. En janvier 1986, le président Ronald Reagan avait décidé de rompre ses relations diplomatiques avec la Libye, de bloquer ses avoirs aux États-Unis et d’interdire tout commerce avec ce pays ; une décision suivie de sanctions économiques qui vont faire subir de graves pertes à l’État libyen : le quota OPEP de la Libye passera de 4 millions de barils/jour à 1,1 million. Le positionnement des responsables libyens vis à vis des initiatives de dialogue méditerranéen se rapproche de celui de l’Algérie. La Libye voudra non seulement mettre fin à son isolement mais également se rapprocher des États-Unis. La rencontre des chefs d'État et de gouvernement participant au 45e Sommet extraordinaire de l’OUA, du 9 septembre 1999, aura permis à la Libye de réémerger sur la scène continentale et de renforcer son ancrage africain. Le projet d’une union africaine proposé par le président Kaddafi et qui, depuis, a vu le jour, peut être perçu comme une volonté de se préserver par l’union de toutes formes d’ingérence extérieure et d’affirmer l’identité culturelle régionale face à la mondialisation. Du point de vue international, la représentation possible de l’Afrique avec l’OUA (aujourd’hui, l’Union Africaine) au sein du Conseil de Sécurité (après son élargissement à d’autres membres permanents disposant du droit de veto) pourrait devenir chose possible. La Libye, lassée par son isolement passé, ne pouvait manquer de regarder une telle perspective comme un retour diplomatique de taille sur le plan régional. Du point de vue du dialogue OTAN/Méditerranée, rappelons que l'exclusion du rapprochement sécuritaire avait concerné dans un premier temps non seulement la Libye mais également l’Algérie, le Liban et la Syrie. Ce qui révélait une faiblesse de taille dans l’architecture sécuritaire mise en place par les États-Unis. Du point de vue conceptuel, la stratégie d’intégration régionale de l’OTAN dans son flanc sud périphérique montrera ses limites : l’absence de ces pays dans le dialogue où ont été 25 Ibidem. 352 invités d’autres pays arabes sera d’autant plus frappante qu’Israël avait été inclue dans l’Initiative de l’Alliance. Il semble évident que le dialogue OTAN/Méditerranée posera un problème aux Etats arabes qui en sont parties prenantes dans la mesure où d’autres pays arabes stratégiquement importants dans la région ne sont pas concernés par cette tentative de coopération régionale. L’exclusion de la Libye (pays maghrébin membre de l’UMA, de la Ligue arabe et de l’OUA) dès le début, de l’initiative de dialogue est un indicateur objectif de la nature de ce processus qui théoriquement visait la stabilité et la sécurité régionale. Soulignons l’initiative de la Libye qui a proclamé solennellement, au mois de décembre 2003, qu’elle renonçait à tout programme de production d’armes de destruction massive. Cela a été un coup d’éclat grâce auquel elle pouvait espérer se voir de nouveau admettre dans le concert des nations avec un statut moins spécial que celui qu’elle avait endossé depuis près de 20 ans. Paragraphe 2. Le rapprochement inédit de l’Algérie de l’OTAN Considérant que l’enjeu stratégique américain du XXIe siècle demeure le contrôle des ressources énergétiques, il faut souligner le fait que depuis la guerre du Golfe,et des attentats du 11 septembre 2001 suivis de la deuxième guerre en Irak,, une nouvelle étape est apparue dans les relations internationales, dont l’objectif prédominant est la protection et la maîtrise de l’approvisionnement énergétique. Il faut rappeler que l’économie américaine importe 50% de ses besoins en pétrole ; cette dépendance tendra à s’accroître dans les décennies futures. Comme nous l'avons déjà souligné, l’économie va ainsi déterminer l’orientation et le choix géopolitique et géostratégique des États-Unis ; les entreprises d’exploitation pétrolières et gazières américaines associées aux sociétés de crédit seront renforcées grâce au soutien prioritaire de l’Etat américain qui, rappelons-le, dénomme ce processus interactif « Oil Gas Arms Business ». 353 Le dialogue méditerranéen de l ‘OTAN s’inscrit pour la cas de l’Algérie dans cette perspective stratégique. Les États-Unis sont en concurrence avec les pays européens et le Japon qui n’ont pas de ressources énergétiques propres. Cette concurrence s’exerce dans une zone sud-méditerranéenne allant du Maroc jusqu’au Golfe arabo-persique et à la mer Caspienne. En Méditerranée Occidentale, les États-Unis vont s’impliquer d’avantage dans la recherche d’un règlement du problème du Sahara occidental en initiant la signature de l’accord de Houston entre les parties adverses et en obtenant la nomination de James Baker, ancien Secrétaire d’Etat américain, comme médiateur des Nations Unies. En avril 1996, Robert Pelletreau, Secrétaire adjoint pour les Affaires du Proche-Orient, va définir devant la Commission des affaires étrangères du Sénat la politique officielle américaine à l’égard de l’Algérie. Il mettra en exergue l’importance croissante accordée par le gouvernement américain à l’avenir de l’Algérie dans sa stratégie globale en Méditerranée et le futur rôle régional méditerranéen de l’Algérie. A. Le « Background » de la guerre froide L’exclusion de l’Algérie aux rencontres organisées par l’Alliance atlantique, en décembre 1994, pour initier un Partenariat de la Paix pour la Méditerranée (PEP ou partnership for peace) avec le Maroc, la Tunisie, la Mauritanie, l’Egypte et Israël sera motivée par deux raisons : au niveau interne, l’opposition violente islamiste posait le problème de la sécurité en Afrique du Nord et allait influer sur la perception américaine d’une menace venant du Sud de la Méditerranée, soit une vision nord-atlantique différente de la gestion sécuritaire et politique (contre-terrorisme et problème du respect des Droits de l’Homme)26. Au niveau externe, le deuxième facteur d’exclusion de l’Algérie du processus de dialogue sera le positionnement de ce pays quant à la coopération avec Israël ; il faut rappeler qu’à la différence de ses voisins maghrébins, l’Algérie n’ouvrira pas de section d’intérêts 26 Ce sera dans une logique de stabilité régionale et subrégionale que les États-Unis cesseront d'accorder leur soutien aux mouvements islamistes du Moyen-Orient et du Proche-Orient, et tenteront d'intégrer les États de la région dans leur néostratégie d'après-guerre froide. 354 d’Israël à Alger. Par ailleurs, il faut noter qu’Israël a toujours été présent dans les réunions multilatérales du PPP (Partenariat pour la paix) et dans celles organisées dans le cadre de l’Initiative de dialogue de l’Alliance atlantique avec les pays du sud-méditerranéen. Le positionnement de l’Algérie par rapport à l’OTAN était au départ marqué par la perception algérienne de l’institution nord atlantique comme une organisation instrumentale de la guerre froide par excellence. Cette vision algérienne était renforcée au vu du redéploiement militaire de l’Alliance en Méditerranée à un moment où aucun défi majeur de la taille de l’ex-URSS ne se posait aux alliés euro-atlantiques. Cependant, tout en n’étant point opposée au principe d’un partenariat pour la paix, l’Algérie semblera observer une certaine réserve quant à une coopération élargie à l’OTAN dans les domaines de la sécurité et de la défense, et demeurera principalement concernée par ceux de la soft security ou coopération politique et économique. La cause principale est qu’à l’instar de ses voisins maghrébins, le problème sécuritaire de l’Algérie se pose plus au niveau de la perspective économique et développementaliste (emploi, logement, santé, éducation, comme défis majeurs de la stabilité locale) qu’au niveau de celui du domaine de la Défense. L’Algérie semblera néanmoins favorable à un rapprochement avec toutes les institutions euro-atlantiques à même de faire avancer les principes de coopération, de prospérité et de paix durable dans la région méditerranéenne. C’est sous cet angle que nous pouvons appréhender l’intégration de l’Algérie dans le processus de partenariat euro-méditerranéen initié en 1995 par la Conférence de Barcelone, un processus dans lequel sont intégrés également des volets politiques et sécuritaires, ainsi que les premiers pas effectués par l’OTAN en direction de l’Algérie : exercices de sauvetage et de recherche en mer conjointement opérés avec la marine américaine à la même période ; visite à Alger du Commandant chef de la VIe flotte US en septembre 1999 ; visite du secrétaire général de l’OTAN à Alger en 2004 ; coopération militaire entre l’ANP et le commandement des forces américaines en Europe après une coopération dans le passé pour des manœuvres militaires baptisées Flintlock 2005, cela avec la participation d’autres pays dont la Tunisie, le Maroc, la Mauritanie, le Mali, le Niger, le Nigéria et le Sénégal 355 L’ensemble de tous ces éléments entre dans la nouvelle grille sécuritaire algérienne et ont permis d’entrevoir l’intégration régionale de l’Algérie dans le cadre de la sécurité et de la paix. B. Pour des avantages comparatifs avec l’OTAN L’approche sécuritaire de l’Algérie est basée sur la nécessité d’établir une convergence pour le règlement des conflits dans le cadre de la légalité internationale. Les positions algériennes sont les suivantes : - améliorer le dialogue des cultures ; - mettre fin au terrorisme transnational et local ; - parachever la transition politique et les réformes économiques. Les choix stratégiques de l’Algérie tiennent compte de sa dimension géographique et géopolitique, de ses repères historiques et de ses caractéristiques culturels ainsi que de l’ensemble des enjeux économiques et politiques. Pour l’Algérie, son insertion dans l’environnement régional et mondial est stratégique. Trois principes politiques fondamentaux fondent sa position : - le principe de souveraineté nationale et d’indivisibilité géographique ; - interaction entre la stabilité interne et la nécessité de développement économique et social ; - dialogue politique continu dans le cadre régional et international. Ces principes politiques tiennent compte de l’interaction entre les affaires internes et externes des pays et le rôle accru des organisations internationales et de la communauté internationale. L’objectif du gouvernement algérien est de promouvoir un apport substantiel et diversifié des domaines militaire, civil, scientifique et technologique. En ce sens, l’adhésion de l’Algérie au Dialogue méditerranéen de l’OTAN est une option stratégique exprimant la volonté du gouvernement algérien d’encourager les rapports de coopération et de partenariat dans l’espace méditerranéen. Il faut noter à ce sujet que l’initiative de dialogue de l’Alliance atlantique avec les pays du sud-méditerranéen s’est faite pendant une certaine période sur une base bilatérale car la 356 majorité des partenaires de l'OTAN refuseront une relation multilatérale tant que le conflit israélo-arabe ne sera pas résolu et entraînera toujours une tension dans les relations avec Israël. La situation politique et économique du pays était évaluée de manière critique par les décideurs nord atlantiques qui ne trouvaient pas le régime politique algérien légitime et considéraient les efforts faits dans le domaine des réformes très timorés, ce sera surtout sous les pressions de l’Espagne qu’une ouverture sera faite en faveur l’Algérie. L’argumentation des gouvernants espagnols était que l’Algérie était le pays le plus grand du Maghreb et demeurait un exportateur important de gaz et de pétrole vers l’Europe, notamment l’Europe du Sud. Il paraissait donc illogique d’entamer un dialogue sérieux sur la sécurité méditerranéenne sans l’inclure27. L’évolution de la politique intérieure et extérieure algérienne pouvait affecter fortement l’équation sécuritaire en Méditerranée. Outre cela, l’Algérie était un membre important du dialogue méditerranéen avec l’UEO et était également partie prenante du processus de Barcelone. Au niveau de l’Algérie, nous l'avons déjà mentionné, l’OTAN a été ordinairement perçue comme l’institution par excellence de la guerre froide cherchant un nouvel ennemi, cela au vu de son déploiement militaire de l’après-guerre froide. L’Algérie qui n’était pas opposée au principe d’un partenariat pour la Paix demeurait cependant méfiante quant à une coopération trop étroite dans le domaine de la sécurité et de la défense. Cela tient également à deux causes principales : la crainte d’une réaction hostile de la classe politique et d'une opinion publique longtemps conditionnée par une vision en rapport à la politique traditionnelle de non-alignement, et par ailleurs, une préférence à se concentrer sur un dialogue de soft security, soit sur les questions économiques, cela dans un premier temps. Cependant, le problème de la sécurité énergétique, qui est actuellement intégré dans l’agenda sécuritaire de l’Occident, aura posé réellement la problématique de l’intégration régionale de l’Algérie dans le cadre des arrangements sécuritaires de la Méditerranée. 27 In Rand Corporation, op. cit. 357 Au niveau frontalier, la Libye et le Maroc apparaissent comme des États potentiellement versatiles : la Libye dans le cadre des frontières avec le Niger et le Mali joue cycliquement la carte de la manipulation des populations sahariennes ; ce pays est supposé avoir développer une politique d’armes de destruction massive avec l’acquisition de missiles Scud B portant à 300 km, et l’exploitation d’un potentiel d’armes chimiques. Les dépenses militaires y sont traditionnellement importantes. Dans l’ouest algérien, le Sahara occidental est devenu un enjeu géopolitiquement important pour l’avenir de la région. Le Maroc reçoit, depuis l’époque de l’administration Reagan, des livraisons massives d’armements militaires américains. Ses dépenses de défense sont passées de 4% à plus de 4,4% entre 1994 et 199628. Ce pays, d'autre part, ne semble pas prêt à accepter le résultat d’un référendum d'autodétermination qui lui soit défavorable. Il peut alors continuer à opter pour une politique d’usure avec le Polisario ou encourager une forme mixte de développement économique du Sahara occidental, mais sans concession territoriale réelle. On peut imaginer qu'il espère contraindre l’Algérie, à plus ou moins long terme, à des concessions qui lui seraient avantageuses. L’inverse n’est pas moins vrai. L’ensemble des éléments cités entrent dans la grille sécuritaire de l’Algérie. L’inclusion d’un volet sécuritaire plus fonctionnel dans le processus du partenariat euro méditerranéen éclairera la vision algérienne du dialogue avec l’OTAN, et relativisera le déploiement militaire occidental en Méditerranée. Le Conseil de l’Atlantique Nord décidera le 16 février 2000 d’intégrer l’Algérie dans le dialogue. En fait, en mars 1999, l’ambassadeur d’Algérie à Bruxelles avait déjà rencontré le Secrétaire général de l’Alliance au siège de l’organisation. Les premiers contacts avaient été noués en 1998 ; ils prépareront la visite à Alger de l’amiral Joseph Lopez, commandant en chef du commandement sud de l’OTAN. Le 26 octobre 2000 a eu lieu la première rencontre officielle entre les deux parties à Bruxelles29. 28 29 Idem. Cf. El Watan, 27 octobre 2000. 358 Le but de cette nouvelle coopération sera d’établir la stabilité et la sécurité en Méditerranée et de développer des échanges dans des domaines divers comme la formation et de la recherche militaire sur la base d’avantages comparatifs Après les attentats du 11 septembre 2001, l’agenda méditerranéen de l’OTAN va etre réévalué en concertation avec les pays du sud de la Méditeranée sur une base d’adhésion volontaire et consensuelle. La volonté des différentes parties sera de donner au Dialogue un caractère durable et continu sur la base des principes de flexibilité et d’engagement politique. Au demeurant, les décideurs nord-atlantiques recommanderont à leurs partenaire maghrébins une action de coordination dans leurs efforts d’intégration régionale avec d’autres institutions euro-méditerranéennes. Les activités de l’OTAN devraient compléter et renforcer ces efforts en considérant la nature socio-économique des problèmes sécuritaires du Maghreb. L'OTAN pensera alors agir en convergence avec l’Union européenne et s’occupera du volet sécuritaire militaire où le principe de l’avantage comparatif peut être appliqué. Pour l’Alliance atlantique, il s’agira finalement d’établir une coordination avec l’Union européenne et l’UEO afin d’éviter une similarité dans les types d’activités (on peut noter que les dialogues militaires et politiques menés par l’U.E.O concernant les mêmes pays sud-méditerranéens ont pratiquement les mêmes objectifs que ceux de l’OTAN). Section 3. La « Soft security » américaine mise en œuvre au Maghreb Depuis 1945, la présence américaine dans le monde a été motivée par le besoin de contrer l’expansionnisme soviétique d’où la théorie du containment qui visait à limiter le communisme international. Les Administrations de Bush et de Clinton vont développer dès le début des années 90, période de fin de la guerre froide, de nouveaux principes justifiant l’interventionnisme américain à l’étranger. Un conseiller à la Sécurité nationale, Anthony Lake, exprimera de la manière qui suit le consensus émergeant parmi l’élite de la politique étrangère américaine quand il écrira : « Ce qui doit succéder à la doctrine du 359 containement est une stratégie d’élargissement de la communauté libérale mondiale des démocraties du marché 30». Paragraphe 1. La néostratégie américaine au Maghreb En d’autres termes, les considérations commerciales et économiques et la promotion de la démocratie seront suggérées à la place des déterminants classiques de la politique et du domaine militaire qui guidaient jusque là la politique étrangère américaine. L’objectif essentiel est au regard américain de sécuriser le maximum d’avantages pour le capital américain qui a un grand besoin d’avoir accès aux marchés et matières premières extérieurs. Les impératifs de la globalisation et de la transnationalisation du capital amèneront les États-Unis à opérer des changements dans l’environnement politique du Tiers-Monde pour le rendre plus favorable à l’ouverture au capital international31. A l’instar de l’offensive commerciale menée par les États-Unis en Afrique, notamment dans l’ancien pré-carré français de l'Afrique francophone, celle qui est menée à l’échelle maghrébine montre que la politique étrangère américaine dans l’avenir sera fondée essentiellement sur l’économie et le business. A. Historique des relations américano-maghrébines L’histoire moderne des relations américano-maghrébines a réellement débuté en novembre 1942 avec le débarquement des troupes nord-américaines en Afrique du Nord. Ces opérations militaires avaient pour objectif d’éjecter l’armée de l’axe Nazi avec à sa tête Rommel, de la région. Durant l’après guerre, les États-Unis vont développer une politique extérieure prudente à l’égard des pays maghrébins, notamment pendant la période de décolonisation,. Leur attitude est fondée sur trois principes : ♦ Assurer une position de leadership dans une région qui était un élément important du jeu géopolitique mondial (lutte contre les puissances de l’Axe durant la deuxième guerre mondiale et contre le bloc soviétique durant la deuxième guerre froide) ; ♦ Favoriser le processus de décolonisation dans cette région sans porter préjudice aux alliés occidentaux ; 30 31 Middle East Report, fall 1998, no 208, p. 9. Idem. 360 ♦ Créer les conditions nécessaires à de bonnes relations post-coloniales entre le Maghreb et le camp de l’Ouest. Pour les pays maghrébins nouvellement indépendants, il s’agira de réduire une dépendance lourde par rapport à l’ex-puissance coloniale en développant de nouveaux liens avec l’Amérique, alliée de la France, et aménager ainsi une liberté de manœuvre par rapport à l’Ouest en général. Il faut noter cependant que, outre les affinités ou les divergences idéologiques américano-maghrébines, les relations entre les États-Unis et le Maghreb seront essentiellement basées sur les échanges commerciaux et le business. Comme cela a été exposé dans les pages précédentes, à la fin de la période de la guerre froide entre les deux superpuissances , nord-américaine et soviétique, et selon l’Exécutif américain, le préalable d’une stratégie constructive avec le Maghreb en général et l’Algérie en particulier, deviendra fonction de ce qui sera appelée le « réalisme » : cette notion de Real Politik impliquera le partage d’intérêts rationnels, la nécessité d’un partenariat étroit avec les pays industrialisés dans le domaine de l’assistance technique et des arrangements sécuritaires. Les États-Unis œuvreront pour le développement de l’économie de marché fondée sur les principes classiques de l’offre et de la demande. Les anciennes revendications d’un Nouvel Ordre Economique International (NOEI), cher à l’Algérie des années 1970, seront rejetées définitivement. L’exception sera faite cependant pour les pays du tiers monde dotés de ressources énergétiques (pétrole et gaz) dont l’Algérie, avec qui des accords spécifiques seront recommandés et signés. Il s’agira de ceinturer progressivement toutes les ressources énergétiques du monde, allant du Bassin Méditerranéen à la mer Caspienne en passant par le Golfe Arabo-Persique. La région du Maghreb en Méditerranée occidentale offrira un intérêt géostratégique particulier du fait de plusieurs facteurs dont notamment son insertion particulière dans un ensemble géographique dense par ses composantes socio-démographiques et caractérisé par une ambivalence sur le plan de la dimension politique. Elle est la passerelle entre l’Occident, l’Afrique et le Moyen-Orient ; ses ressources matérielles et énergétiques et l’importance de son marché (quasiment une centaine de millions de consommateurs au total dans l’espace maghrébin). 361 C’est ainsi qu’au printemps 1998, les États-Unis décideront d’entreprendre la mise en œuvre d’un partenariat économique avec le Maghreb en excluant la Libye provisoirement. Pour débloquer la situation au Sahara Occidental, il vont soutenir l’idée d’un référendum devant décider du devenir de ce territoire situé aux frontières du sud algérien et marocain et devenu objet de litige entre les deux pays voisins. L’idée d’un partenariat américain avec les pays maghrébins se fera suite à la conférence de Barcelone de novembre 1995. La mondialisation ou globalisation de l’économie mondiale ayant entraîné une interdépendance économique, financière et commerciale, le corollaire immédiat sera celui de l’idéologie de l’économie libérale dans le cadre de grands ensembles régionaux. C’est face à ce phénomène d’universalisation des économies que l’Union Européenne voudra se repositionner à l’instar du Japon, des États-Unis, du Canada et du Mexique. Elle proposera donc aux pays du Sud et de l’Est méditerranéens un partenariat comportant plusieurs volets [ politique, sécuritaire et social ] afin de faciliter leur ouverture et de les mener vers un projet de zone de libre-échange pour l’horizon 2010. Après le processus du Sommet de Barcelone, les États-Unis vont lancer une offensive économique vers le Maghreb avec le vice-secrétaire d'État américain aux affaires étrangères, Stuart Eizenstat ; cette offensive, rappelons-le, visera le Maroc, la Tunisie et l'Algérie. Eizenstat, chargé des dossiers économiques et de l’agriculture, exposera ce projet devant la chambre de commerce tuniso-américaine, en juin 1998. L’objectif américain sera de développer un partenariat à long terme avec les pays maghrébins, en intégrant la Libye progressivement. Les États-Unis souhaiteront la construction de l’Union Maghrébine Arabe (UMA) afin de favoriser l’intégration des économies de la région et de renforcer les relations politiques des pays frontaliers32. B. La stratégie maghrébine des États-Unis A l’exception du Maroc et de la Tunisie qui ont traditionnellement développé des relations positives avec les États-Unis, l’Algérie des années 70 et la Libye des années 80-90 ont été longtemps regardées comme des Etats soucieux de se forger une réputation de pays révolutionnaires, désireux de faire reculer l’impérialisme. Un document d’un rapport 32 Cité par Nicole Grimaud in « Le Maghreb entre l'Europe et les Etats-Unis », Revue d'études internationales, Tunis, no 70, 1/ 1999. 362 du ministère de la Défense américain sur l’Algérie paru sur Internet en 1993 définissait la politique étrangère de notre pays comme suit : « La tradition révolutionnaire de l’Algérie et son engagement à l’autodétermination et au nationalisme ont influencé historiquement sa politique étrangère. L’Algérie s’était engagée à faire avancer la révolution contre l’impérialisme. Elle a été un leader important aussi bien dans le Maghreb que dans les pays en voie de développement. Durant ces dernières années, les ambitions idéologiques de l’après indépendance ont été subordonnées à des intérêts économiques plus pressants : durant les années austères de Boumediene, les facteurs économiques ont joué un rôle important dans la détermination de la politique étrangère vis à vis de l’Est et de l’Ouest. Vers la fin des années 80, les problèmes politiques et économiques propres à l’Algérie, le changement de la situation globale et de l’économie internationale ont restreint la politique étrangère de l’Algérie. Le nouveau régime a modifié les engagements idéologiques de l’Algérie et s'est rapproché de l’Ouest. Les initiatives stratégiques politiques et économiques de l’Algérie dans les affaires régionales ont commencé à prendre le pas sur l’engagement idéologique vis à vis de l’Afrique et des PVD (pays en voie de développement) en général. La charte nationale de 1976 à redéfini les objectifs de politique étrangère en abrogeant l’engagement à la révolution socialiste et en se déplaçant vers le non-alignement dans l'arène mondiale. La situation interne avec l’agitation populaire, les revenus du gouvernement et un niveau de vie général en régression ont limité la liberté du gouvernement à s’engager sur le plan extérieur… La priorité sera accordée aux questions ayant trait directement à l’économie nationale. De même, le soulèvement des mouvements populaires et les partis d’opposition ont accru les contraintes politiques pour les acteurs de politique étrangère, comme le revirement dramatique de la position du gouvernement algérien lors de l’invasion du Koweït par l’Irak en 1990 »33. Le cas de la Libye est demeuré longtemps litigieux, quoique la levée de l’embargo imposé par l’Ouest, et qui a frappé ce pays pendant plus de sept années ait eu lieu. Le 19 mars 1999, le Président libyen Maâmar Kadhafi avait annoncé devant le Congrès Général du Peuple en présence de Nelson Mandela, la remise au Secrétaire Général de 33 Document du Pentagone, États-Unis, Internet, 1993. 363 l’ONU, Kofi Annan, des deux suspects accusés d’avoir fomenté l’attentat contre un avion de la PANAM au dessus de la ville écossaise Lockerbie, le 21 décembre 198834. Depuis l’affaire Lokerbie, la Libye, rappelons-le, avait été inscrite sur la liste noire des Etats terroristes et ce, jusqu’à ce mois de décembre 2003 quand elle a signé un accord avec les Etats-Unis et la Grande-Bretagne pour le démantèlement de son programme d’armes de destruction massive. En 1992, le Conseil de sécurité de l’ONU avait imposé ses propres sanctions, notamment, l’interdiction de survol du territoire libyen qui avait entraîné la fermeture des aéroports. Quoique la situation de la Libye soit actuellement en voie d’évolution, le rejet de l’impérialisme restera le fondement de l’idéologie libyenne ; elle sera la force motrice du régime en place ; son évolution idéologique récente va induire dans l’avenir bien des changements. Le Sous-Secrétaire d’Etat libyen aux affaires européennes, Abdellatif alObeïdi avait déclaré qu’après le vote du Conseil de sécurité sur les sanctions en 1992, Kaddafi avait créé une Haute Commission chargée de rétablir les canaux de communication avec Washington35. La Libye avait alors multiplié les ouvertures à l’intention des États-Unis, directement et par l’intermédiaire d’alliés comme l’Egypte, le Maroc, l’Italie et l’Afrique du sud avec Nelson Mandela. Abdellatif al-Obeïdi exprimera la position officielle de la Libye vis à vis des États-Unis dans les termes suivants : « La résolution des Nations-Unies est très ambiguë. Elle indique que les sanctions seront suspendues lorsque le Secrétaire Général fera savoir au Conseil de Sécurité que les suspects sont bien arrivés aux Pays-Bas pour passer en jugement. Elle ne parle pas de les lever. Quel genre de pressions les États-Unis exerceront-ils sur le Secrétaire ? Bien que nos compatriotes ne meurent pas de faim comme les Irakiens, nous ne voulons pas que l’affaire traîne interminablement en longueur comme avec l’Irak. Ce que nous voulons c’est tourner définitivement la page Lockerbie. Ce que souhaitent le guide et le peuple libyen, c’est normaliser les relations avec les Etats-Unis »36. Le dénouement final de l’affaire de Lockerbie a permis la réintégration de la Libye dans le processus de construction régionale. Le tribunal écossais siégeant aux Pays-Bas, selon la 34 Il a été signalé plus haut que cet épisode a été en partie clos par le jugement des deux Libyens accuses d’être responsable de cet attentat. 35 Cf. Middle East Report, op. cit. 36 Jeune Afrique, op. cit. 364 juridiction écossaise, avait rendu le 31 janvier 2001 son verdict dans le procès de Lockerbie, l'un des accusés, Abd-el-Basset Ali el Magrabi, avait été considéré coupable et condamné à la prison à perpétuité. L'autre avait été acquitté. Les juges avaient estimé que la conception, la planification et l'exécution de l'attentat étaient d'origine libyenne. Washington et Londres avaient demandé que la Libye reconnaisse ses responsabilités : « Kadhafi est menacé de poursuites judiciaires en France37 ». On peut être tenté de se poser des questions sur la crédibilité de ce tribunal qui n’empêchera pas la Libye, en 2003, de voir s’opérer la levée des sanctions imposées à son encontre. Par ailleurs, Robin Lynn Rapher, ambassadeur des États-Unis à Tunis, définissait comme suit la place du Maghreb dans la stratégie américaine : « Les États-Unis reconnaissent depuis longtemps l’importance stratégique et politique du Maghreb. Comme vous le savez, l’Afrique du Nord occupe une position stratégique en Méditerranée – une région d’une importance capitale pour les intérêts américains. Il est certain qu’il s’agit d’une région du monde où l’instabilité pourrait avoir un impact sur les alliés les plus importants et sur les ressources naturelles vitales. Pendant des siècles, le Maghreb a été un carrefour entre l’Afrique, et l’Europe (…). A l’aube du 21e siècle, les États-Unis sont actuellement certains que les pays du Maghreb vont continuer à avancer dans la voie du développement et de la prospérité (…) Les États-Unis ont trois objectifs mondiaux – promouvoir la sécurité, la prospérité économique obtenue et les gouvernements démocratiques – objectifs, qui je sais, sont partagés par les pays du Maghreb. Notre objectif à l’échelle mondiale est de promouvoir la prospérité économique, et la manière dans laquelle elle se trouve liée à la région du Maghreb, résume l’initiative d’Eizenstat. Cette initiative est régie par trois principes : soutenir le rôle du secteur privé et encourager encore plus un commerce entre les États-Unis, la Tunisie, le Maroc et l’Algérie ; promouvoir une réforme structurale plus importante parmi les pays de l’Afrique du nord ; et enfin, encourager une coopération économique et une intégration dans le Maghreb et ce, à long terme »38 Au regard américain, le Maghreb est considéré comme une sous-région de l’ensemble Middle-East-North Africa ou MENA, dans lequel le Machrek a une place stratégique et 37 38 Le Monde, 2 février 2001. Robyn Lynn Raphel, Anniversaire de l’UMA, Revue d’Etudes internationales, n°71, Tunis, 2/1999 365 centrale, la région du Golfe arabo-persique et la zone maghrébine étant des espaces périphériques. Sur le plan économique, le Maghreb à la différence de l’Afrique noire ne vit pas un « dédéveloppement ». L’espace maghrébin est appréhendé comme un espace riche en potentialités. William Zartman le décrivait en ces termes : « L’Algérie est riche de ses hydrocarbures et dispose d’une base industrielle réelle. La Tunisie se présente comme un futur tigre. C’est un parti intéressant à suivre. Et le Maroc continue à se développer à son rythme, qui est lent, une classe moyenne s’y développe, comme en Tunisie. Au total la région progresse. »39 Le Maghreb joue un rôle sub-régional dans la stratégie américaine et s’inscrit dans une géostratégie globale plus vaste en Méditerranée. Pour les États-Unis, La VIe flotte américaine et les bases de l’OTAN assurent la sécurité en Méditerranée, une sécurité, selon eux, indispensable pour garantir la liberté de navigation, les activités et opérations militaires de l’OTAN ainsi que l’approvisionnement en ressources énergétiques de l’Occident. Au regard américain, la Méditerranée est principalement le flanc sud de l’OTAN, elle constitue un élément majeur de la sécurité d’Israël. La place du Maghreb dans la stratégie américaine intègre celle plus globale d’un espace s’étendant du Maroc à la Turquie et au Golfe Arabo-Persique. Le Maghreb présente néanmoins un intérêt différencié pour les États-Unis. Par exemple, le Maroc et la Tunisie offrent de bonnes opportunités d’investissements dans un environnement plus stable et plus sécurisé que celui de l’Algérie (cela, vu la persistance de la violence et le manque de transparence dans le domaine des relations d’affaires). Cependant, l’Algérie conserve une situation privilégiée dans la stratégie américaine du fait des perspectives économiques intéressantes. Le pétrole algérien demeure un atout fondamental dans le partenariat américano-maghrébin car il permettra de financer un marché de taille en termes d’infrastructures. 39 William Zartman, in Le Monde, 13 janvier 1998 366 Paragraphe 2. le partenariat maghrébo-américain et ses implications pour l’Algérie Les États-Unis voudraient intégrer davantage l’Algérie dans la sécurité régionale. Cette coopération va inclure des consultations entre les secteurs de la défense de chacun des deux États, des exercices de formation en opération conjointe tels que ceux qui ont été effectués avec la marine algérienne (recherche et sauvetage en mer). La coopération sécuritaire ne paraît pas être l’élément central de la politique américaine en Algérie, elle est plutôt intégrée dans une approche globale visant à changer les circonstances actuelles qui bloquent toujours une solution définitive de la crise algérienne. A. Une stratégie régionale américaine Pour les États-Unis, une telle stratégie exige une participation des institutions américaines (Gouvernement, Business, Société civile) ayant chacune un rôle à jouer. Il s’agirait d’assurer une véritable promotion de l’économie de marché et de la libre entreprise (free market economy) en donnant plus d’initiative à l’entreprise privée, d’encourager l’utilisation la plus productive du capital et des ressources humaines et d’insérer l’économie algérienne dans le marché mondial. L’initiative du Sous-Secrétaire d'État Eizenstat aurait pour objectif de promouvoir le secteur privé et de soutenir les réformes structurelles. Sur le plan politique, les États-Unis déclarent encourager la promotion des institutions démocratiques, notamment la liberté de presse et le principe d’élections libres et justes. Le gouvernement américain a financé en ce sens un programme de soutien pour l’Assemblée nationale algérienne et un programme de formation des syndicalistes algériens avec la centrale syndicale américaine AFL-CIO40. Les États-Unis déclarent également vouloir promouvoir l'État de droit et demandent à l’Algérie de remplir ses obligations internationales en autorisant la Croix Rouge internationale à un accès sans entrave dans les prisons algériennes (cas d’abus dans le traitement des prisonniers par les forces de sécurité devant répondre de leurs responsabilités devant le système judiciaire). 40 Cf. Middle East Review, op. cit. 367 Une autre initiative américaine sera l’idée d’une formation conjointe de la police telle qu’elle s’est effectuée en Bosnie et à Haïti afin qu’au niveau local, les activités des services de police soient transparentes et justes, en accord avec l'État de droit. En tout état de cause, la stratégie américaine demeure globale et concerne l’ensemble du Maghreb. L’Amérique compte réaliser un partenariat économique à long terme avec l’Algérie, la Tunisie et le Maroc en les souhaitant intégrés dans un Maghreb uni ; l’intégration économique pourrait avoir un impact positif sur la nature des relations politiques de ces pays frontaliers. Aussi, les États-Unis œuvrent depuis les années 90 à un tel rapprochement intermaghrébin, ils vont donc établir une relation nouvelle avec l’Algérie qui répondra surtout à un souci stratégique non seulement régional mais aussi mondial du fait de la stratégie américaine en matière de ressources énergétiques. On peut noter à ce sujet les fais chronologiques récents suivants : - le 17 mars 1997 : nomination de l’ancien Secrétaire d'État, James Baker, comme représentant personnel du Secrétaire Général des Nations Unies pour le Sahara Occidental ; - invitation faite à l’Algérie pour siéger avec le Maroc et la Tunisie dans les rencontres organisées par l’Union de l'Europe Occidentale (UEO) et par l’Organisation de la sécurité et de la coopération en Europe (OSCE) ; - Visite officielle en Algérie de l’Amiral Commandant en chef des forces navales des États-Unis en Europe ; - Le 4 octobre 1998, les forces de la marine de guerre des États-Unis et de l’Algérie organisent en coopération des exercices navals de sauvetage en mer au large de SidiFredj (Alger) ; - En octobre 99, visite du commandant de la VIè flotte américaine en Algérie ; - Envoi en stages de formation aux États-Unis des officiers de l'armée nationale populaire algérienne durant les années 2000-2004. 368 - En décembre 2001, visite officielle du président algérien de la république au siège de l’OTAN complétée par l’entrevue avec son secrétaire général, Lord Roberston. - Du 12 au 16 mai 2002, coopération avec l’OTAN dans le cadre de la conduite d’activités militaires renforcées avec l’ANP. - Présence de l’Algérie à la réunion ministérielle de Bruxelles (2004), à celle des chefs d’Etats-majors (2004-2005), à la session parlementaire de l’OTAN en mai 2005 ; - Visite en Algérie du secrétaire général de l’OTAN, M. Jaap de Hoop Scheffer, en novembre 2004 ; - Exercices militaires conjoints en haute mer des forces navales de l’Alliance avec celles de l’ANP, le 21 mars 2005 ; - Trois escales navales de l’OTAN au port d’Alger en 2002, 2003 et 2004 ; - Participation de l’Algérie à l’opération maritime antiterroriste baptisée « Active Endeavour » de l’OTAN ; - Recherche scientifique et protection civile ; - Lutte contre le terrorisme. L’ensemble de ces faits prouvent une volonté de rapprochement des États-Unis vis à vis du Maghreb en général et de l’Algérie en particulier ; une volonté qui explique l’initiative de partenariat du sous-secrétaire d'État américain, Stuart Eizenstat, de juin 1998. On peut considérer également que le fait que les États-Unis n’aient pas participé au processus de Barcelone en tant que partie prenante de l’intégration euro-méditerranéenne ainsi que l’échec du sommet économique MENA (Middle East-North Africa) aient pu inspirer cette nouvelle impulsion américaine en Méditerranée Occidentale. 1. L’INITIATIVE EIZENSTAT Le Maghreb paraît donc important au regard américain du fait qu’il occupe une position stratégique sur le flanc sud de la Méditerranée et qu’il sert d’ancrage vers le Moyen-Orient. Ces deux régions sont d’un intérêt sécuritaire vital pour les États-Unis. 369 Le partenariat économique avec le Maghreb est apparu d’opportunité pour le Département d'État américain parce qu’il coïncide avec la fin de la guerre froide et, symboliquement, avec le début d’un nouveau millénaire. Pour les États-Unis, la question des réformes économiques et une participation politique citoyenne renforcée sont des éléments critiques pour le futur de la région. La proposition de loi sur la croissance et les débouchés en Afrique incluant les pays maghrébins, soumise à la Commission sénatoriale des finances, le 26 janvier 1999, montre l’évolution de la perception américaine des potentialités de cette région. Il apparaît que l’administration américaine veut lancer un processus d’association qui semble à la fois complémentaire et concurrentiel au processus de partenariat euroméditerranéen mis en œuvre à la Conférence de Barcelone, en 1995. Du 12 au 18 juin 1998, le Sous-Secrétaire d'État chargé de l’économie, des affaires et de l’agriculture au Département d'État américain, fera une tournée officielle en Israël et à Gaza, puis successivement à Tunis et à Rabat. Il avait été précédé par le deuxième Secrétaire d'État, Martin Indyk qui, le 14 mars 1998, avait annoncé dans une conférence de presse à Alger que tant que l’Algérie continuait ses réformes économiques, il y aurait de bonnes opportunités pour les compagnies américaines de participer en partenariat avec les compagnies algériennes au développement de la vie économique de l’Algérie. Il faut souligner le fait que, pour les États-Unis, ce partenariat ne devait pas être un arrangement effectué sur la base de relations bilatérales économiques séparées mais plutôt une dynamique multilatérale visant le renforcement des liens économiques au sein du Maghreb. L'initiative de Stuart Eizenstat a été annoncée officiellement lors d'une conférence de presse donnée par le Sous-Secrétaire d'État américain à Tunis, le 17 juin 1998. Ce dernier avait déclaré que les États-Unis proposaient l’établissement d’un partenariat économique avec trois pays du Maghreb : l’Algérie, la Tunisie, et le Maroc. L’éventuelle association de la Libye à ce partenariat n’avait reçu aucune objection de principe dans la mesure où elle demeurait liée au respect des résolutions du Conseil de Sécurité en rapport. La Mauritanie n’avait pas été 370 mentionnée par Eizenstat ce jour-là, mais elle fut évoquée par le Sous-Secrétaire d'État chargé des Droits de l’Homme lors d’une visite à Nouakchott en septembre 1998. L’objectif de l’initiative était d’instaurer un dialogue de haut niveau et de faire du Maghreb une région économique intégrée. IL s’agissait donc d’insuffler une double dynamique : un partenariat maghrébo-américain puis un partenariat intermaghrébin susceptible de faire de la région un ensemble régional partie prenante au grand processus de globalisation. Deux préalables apparaissaient nécessaires à cette deuxième dynamique : - L’unification des mécanismes de gestion économique des pays maghrébins ; - Le règlement du dossier Sahraoui ; - Le règlement du contentieux diplomatique opposant l’Algérie au Maroc. Dans cette optique, une réunion ministérielle avait été organisée avec trois des cinq États maghrébins (Maroc, Algérie, Tunisie) à la fin de l’année 1998. Tout en étant exclusivement économique, l’initiative de partenariat maghrébo-américain visera par le biais de la promotion du commerce et du libre-échange à améliorer les relations politiques entre les trois pays maghrébins. Le projet d’Eizenstat avait été présenté devant la Chambre de Commerce tunisoaméricaine et exposé précédemment, le 17 juin 1998, à Rabat. Eizenstat avait critiqué le modèle de partenariat euro-méditerranéen en considérant que cette approche de développement était basée sur l'assistance et qu’elle sous-estimait le rôle crucial du secteur privé ; pour Eizenstat, il s’agira de favoriser la promotion des relations commerciales entre les États-Unis et la région maghrébine : les États-Unis viseront à encourager la réduction des barrières internes entre les pays d’Afrique du Nord et la promotion du secteur privé dans le commerce et, et plus généralement, dans l’investissement. Le Sous-Secrétaire d'État américain avait déclaré dans l’émission « Dialogue » de la chaîne Worldnet (6 juin 1999) que son pays travaillait avec l’Overseas Private Invesment Corporation (OPIC) pour promouvoir plus d’investissements américains au Maghreb. Il avait évoqué le fait que son initiative avait été encouragée au niveau le plus important du Département d'État et que l’événement historique se situait bien au niveau des rencontres inédites entre des hauts fonctionnaires du Département d'État et ceux des pays maghrébins. 371 Pour les trois pays maghrébins concernés (Maroc, Algérie, Tunisie), il sera exigé une plus grande ouverture de leurs économies pour créer un environnement favorable aux investissements (dérégulation, privatisation, transparence, protection de la propriété intellectuelle, etc.) Les institutions algériennes travailleront avec le gouvernement américain pour élaborer des projets d’investissements d’une valeur de deux milliards de dollars avec une garantie de protection de ses avoirs41. Pour Eizenstat, le partenariat économique Etats-Unis/Maghreb sera constitué de quatre éléments42 : 1) Promotion d’un dialogue entre les autorités américaines et celles de la Tunisie, de l’Algérie et du Maroc sur une base plus régulière ; 2) Traitement du Maghreb non pas sur une base bilatérale mais plutôt régionale pour une meilleure coopération économique. Il s’agira d’encourager l’UMA et toute autre structure d’intégration de la région à abattre les barrières entre les pays maghrébins car elles apparaissent être un blocage au développement du commerce ; 3) Mis en valeur du rôle central du secteur privé en tant que moteur d’une croissance soutenue à long terme pour la région ; 4) Mise en relief de l’importance que pourront avoir les gouvernements 5) dans les réformes structurelles économiques pour créer le terrain favorable au secteur privé dans le cadre du partenariat économique envisagé. Le planning mis au point par Stuart Eisenztat consistera en l’organisation de rencontres entre les représentants de trois pays maghrébins (Algérie, Maroc, Tunisie) pour l’élaboration d’un plan d’action sur la manière dont les États-Unis pourraient promouvoir leurs investissements au Maghreb et aider à la promotion du secteur privé. 41 42 In dossier consacré à cette question par le magazine Arabies dans son numéro de septembre 1999. Idem. 372 C’est dans cette perspective que les trois chambres de commerce (tuniso-américaine, maroco-américaine et algéro-américaine) se sont réunies à Casablanca, les 20 et 21 avril 1999, et continuent depuis à avoir des contacts réguliers. Le gouvernement américain avait annoncé des mesures entrant dans le cadre du partenariat mis en œuvre et qui prévoyait le déblocage de nouveaux fonds de l’Overseas Private Investment Corporation (OPIC), une aide technique et une réduction de la dette. Il établira une coordination entre les agences spécialisées pour le développement dans les secteurs du commerce et de l’investissement (U.S.-AID, Export-Import Bank, Trade Development Agency). A travers ce projet de partenariat avec les pays maghrébins, les États-Unis voudront cibler non seulement les 100 millions potentiels de consommateurs maghrébins mais également ceux du continent africain. Dans la concurrence menée avec le partenariat euro méditerranéen, l’initiative américaine au Maghreb montrera que les États-Unis voudront apparaître comme des interlocuteurs crédibles ou comme la partie battante du processus d’intégration régionale des pays d’Afrique du Nord43. Il apparaît néanmoins au niveau des statistiques que l’Union européenne tient une place première dans les échanges économiques maghrébins. L’Algérie est le premier pays importateur de produits agricoles de l’Union européenne avec un volume de 1,2 milliards d’euros44. « La croissance des économies du Maghreb est largement dépendante des marchés extérieurs. L’Algérie et la Tunisie réalisent environ 40% de leur PIB à l’exportation (respectivement 38,3% et 43,8% en 2003). Le Maroc est moins dépendant avec 27,9% du PIB réalisé à l’exportation. En termes géographiques, le commerce extérieur du Maghreb est très largement orienté vers l’Union européenne. S’agissant des exportations, l’Union est un partenaire essentiel, les pays du Maghreb y ont réalisé plus des deux tiers de leur commerce en 2003, ce taux atteignant même 80% pour la Tunisie. Résultats des liens historiques, c’est avec les pays de l’Union riverains de la Méditerranée que les échanges sont les plus intenses. La France, l’Italie, l’Espagne et le Portugal absorbent plus de 50% des exportations du 43 44 Cf. A. A. Ounnaies, op. cit. In Mahmoud Mamart, Le Maghreb face à une Europe tournée vers l’Est, La Tribune, 5 mai 2004. 373 Maghreb »45. Les indicateurs qui suivent représentent les tendances lourdes des années 1995-1997. Nous les avons sélectionnés de manière détaillée du fait de leur caractère représentatif de l’importance des échanges maghrébins effectués avec les pays de l’Union européenne riverains de la Méditerranée. Ces tendances demeurent de manière globale semblables à celles de cette décennie. Pour le cas de l’Algérie, et à titre d’exemple, ses partenaires principaux ont été l’Italie (18%), la France (11,8%), l’Espagne (8%), l’Allemagne (7,9%) et les États-Unis (14,8%), cela selon les estimations 1995-1996 en matière d’exportations46. La valeur totale des exportations algériennes est d'environ 13,1 milliards de dollars (estimations de 1997). Les matières premières sont constituées essentiellement à 97% de pétrole et de gaz naturel. Les importations algériennes ont une valeur totale de 10 milliards de dollars (estimation de 1997). Les produits importés sont surtout des biens de productions, de consommation et des produits alimentaires. Les partenaires de l’Algérie sont, dans ce domaine, la France (29%), l’Espagne (10,5%), l’Italie (8,2%), les États-Unis (8%), l’Allemagne (5,6%), selon les estimations de l’année 1995. La Tunisie a une valeur totale de 7,4 milliards de dollars en matière d’exportations, selon les estimations faites en 1997. Les produits exportés étaient essentiellement les hydrocarbures, le textile, les produits agricoles, le phosphate et les produits chimiques. 45 Pierre Bryuas, Visage socio-économique du Maghreb, EUROSTAT, 4/2005, (Internet). Les échanges entre pays maghrébins, pendant près de dix ans, sont demeurés très faibles. On a comptabilisé, pour l’année 2002, des échanges d’un montant total des plus dérisoires entre l’Algérie et la Libye : environ 10 millions de dollars. En février 2003, M’barek Abdellah Echamekh, premier ministre libyen, en visite à Alger, faisait part de son souhait de voir s’élever ces échanges à quelque 500 millions de dollars. En 2002, un accord sur la promotion, le renforcement et le développement des échanges avait été signé entre les deux pays. L’Algérie a fait valoir, maintes fois, son souhait de voir sa dette auprès de la Libye convertie en investissements et en prises d’actions dans le capital d’entreprises nationales. Cette dette contractée à la fin des années 1980, s’élevait à 350 millions de dollars. Grevée d’un intérêt de 6% l’an, elle doit dépasser aujourd’hui les 400 millions de dollars. Une partie de celle-ci a toutefois été transformée en investissements dans trois hôtels à Alger, Oran et Hassi-Messaoud. Voir, à ce sujet, entre autres, Le Quotidien d’Oran du 21 avril 2003 : « Algérie-Lybie. La dette, l’eau et le reste ». 46 374 Ses partenaires commerciaux prépondérants sont l’Union européenne (80%), les pays d’Afrique du Nord (6%), l’Asie (4%) et les États-Unis (seulement 1% selon les estimations de 1996). La valeur totale de ses importations est de 7,4 milliards de dollars selon les estimations de 1997. Les produits importés sont constitués par les biens d’équipement industriels (5%), les hydrocarbures (13%), les produits alimentaires (13%) et les biens de consommation. Les partenaires étrangers de la Tunisie sont, dans ce domaine, l’Union européenne (80%), les pays d’Afrique du Nord (5,5%), l’Asie, les États-Unis (5%), selon les estimations de 1996. En ce qui concerne le Maroc, les exportations ont pratiquement doublé en une année passant de 2 milliards de dollars US en 1990 à 4 milliards de dollars en 1991, cela est dû à l’application du programme d’ajustement structurel. Ces exportations sont constituées à 50% de biens semi-industriels et de biens de consommation avec une réduction importante des exportations de minéraux et de produits agricoles. Les échanges commerciaux du Maroc sont à l’instar de ses voisins maghrébins tournés essentiellement vers la communauté européenne. Ainsi donc, on peut considérer, de manière globale, que les gouvernements maghrébins peuvent être tentés de considérer que le principe du partenariat maghrébo-américain peut être complémentaire au partenariat euro-méditerranéen. En ajoutant également la Libye et la Mauritanie, il permettrait une meilleure participation de ces pays au mouvement d’intégration régionale. 2. Le projet du Grand Moyen Orient Le projet du Grand Moyen Orient est une initiative prise lors du Sommet du G8 à Sea Island, en Georgie, aux Etats-Unis, en mai 2004. L’objectif est de rassembler les Étatsunis, l’Europe et le Moyen Orient dans un projet de transformation de la région sur le plan économique et social avec des réformes régionales. Le projet inclut non seulement le monde arabe mais l’Afghanistan, l’Iran, le Pakistan et la Turquie. Le principe est de développer un élément complémentaire pour combattre le terrorisme en favorisant la 375 bonne gouvernance, la démocratie et le développement des possibilités économiques avec des programmes d’aide promis par les membres du G8. Ces programmes comprennent la promotion des droits de la femme, la lutte contre la corruption, la réforme de l’éducation et la réforme des secteurs financiers et commerciaux. Ces projets vont développer le libéralisme économique pour promouvoir le potentiel productif des nations concernées. George W. Bush va affirmer la nécessité d’un leadership des États-Unis passant par la réduction de 75% en 20 ans de la dépendance pétrolière de son pays du Proche et Moyen Orient47. Il faut noter que la version initiale du projet du Grand Moyen Orient a repris les concepts développés par l’Union européenne dont l’idée d’une zone de libre-échange et la constitution d’une banque de développement régional. La France avait proposé la rédaction d’un contre-projet peu de temps avant la tenue du Sommet en affirmant que le Moyen Orient n’avait pas besoin de missionnaires de la démocratie et que le préalable du règlement de la question israélo-palestinienne était fondamental dans toute tentative de réorganisation régionale48. En fait, les enjeux objectifs des politiques économiques européennes et américaines du Grand Moyen Orient sont l’intégration commerciale régionale, ces politiques vont dessiner l’équilibre futur entre rivalité et coopération transatlantique dans la région. B. La coopération algérienne avec l’OTAN Paul Kennedy, politologue et historien américain, avait évoqué la perception américaine d’un système mondial hégémonisé par le États-Unis et structuré à l’aide d’États pivots. L'Algérie se voyait obtenir ainsi un statut premier dans la région maghrébine, car elle apparaîtrait comme un pôle énergétique émergent. Cependant, l’insertion américaine au Maghreb dans le cadre d’un dialogue sécuritaire incluant le volet coopération militaire évoluera du point de vue de la Hard Security 47 Discours sur l’état de l’Union, Washington AFP, 1 février 2006. A cela s’ajoute les accusations portées contre la Syrie d’être à l’origine de l’attentat contre Rafik Hariri pour déstabiliser le Liban : un prétexte américain pour sanctionner et attaquer la Syrie pour faire oublier les problèmes en Irak. 48 376 (Défense) à la Soft security ( Coopération économique). Le dialogue méditerranéen de l’OTAN illustrera ce point de vue malgré les limites d’une concertation commune sur la perception des menaces et la résolution des conflits, cela notamment depuis les attentats du 11 septembre 2001. On assistera donc, ces dernières années, à un redéploiement des forces euro-atlantiques en Méditerranée, redéploiement auquel seront associés certains pays maghrébins49. Au Maroc, des bases militaires ont été aménagées par les États-Unis pour être utilisées en cas de conflit (exemple de la guerre du Golfe). La Tunisie a ouvert des bases également pour des exercices en commun et participe à des manœuvres en Méditerranée. Elle bénéficiera d’une aide à l’achat d’armements américains d’un million de dollars50 . La Tunisie fera également partie d’une force africaine d’intervention rapide, l’African Crisis Response Initiative (ACRI) mise sur pied par les États-Unis. Cette force devrait opérer dans le cadre d’opérations d’interposition au début d’une crise, cela sous le mandat de l’ONU ou de l’O.U.A. L’Algérie, quant à elle, rappelons-le, a amorcé un début de coopération en octobre 1998 avec l’organisation de manœuvres navales bilatérales. La visite du commandant en chef de la VIe flotte U.S. le 28 septembre 1999, fera entrevoir la perspective d’un projet de coopération militaire entre l’Algérie et les ÉtatsUnis. Lors de la conférence de presse tenue par le vice-amiral Daniel J. Murpy, commandant en chef de la VIe flotte américaine, devant les officiers supérieurs algériens, les perspectives d’un rapprochement dans le domaine militaire entre les États-Unis et l’Algérie ont été clairement exprimées notamment dans le domaine de manœuvres et d’exercices communs dans le cadre déclaré de la confiance et du respect mutuels. Des possibilités d’actions communes dans le domaine de la défense stratégique et de la sécurité seront programmées et seront le corollaire du partenariat lancé par Eizenstat. Ainsi, depuis 1999 et la première visite officielle algérienne au siège de l’OTAN, plusieurs manœuvres militaires avec des forces combinées ont eu lieu en Méditerranée avec la participation de l’Algérie. Le volet de coopération militaire inclura des programmes d’assistance et de formation militaire. 49 50 Arabies, op. cit. Idem. 377 Il y a lieu de relever que des manœuvres ont été organisées par l’OTAN avec l’Algérie et l’Égypte, du 13 au 20 septembre 2003, à Split, en Croatie, et dans la mer Adriatique. Ces manœuvres ont impliqué plus de 500 hommes, 14 navires et 4 avions avec pour but de s’entraîner au déminage et aux opérations de recherche et se sauvetage. L’exercice devait montrer la capacité de l’OTAN à intégrer complètement des forces partenaires sur le plan multinational dans les procédures de manœuvres et de communication51. Il faut noter aussi la visite du général algérien Gaid Salah, chef de l’état-major des forces armées algériennes au siège de l’OTAN, à Bruxelles, à la fin novembre 2004 qui fait suite, il faut le rappeler, à celle du président Bouteflika, du 10 novembre 2002, dont l’objectif demeure une meilleure coopération avec l’OTAN dans le domaine de la défense (professionnalisation de l’armée) et la lutte contre le terrorisme. - La démarche de l’OTAN Le Dialogue méditerranéen a reçu moins d’attention que le Partenariat pour la Paix (PpP) avant les attentats terroristes du 11 septembre 2001 sur le sol américain. Avant cette date, la focalisation sur le PpP venait en fait de la volonté des anciens pays de l’Est à développer des liens plus étroits avec l’OTAN. Les pays sud-méditerranéens demeuraient sceptiques car l’OTAN, il faut le rappeler, était perçu comme l’instrument de la guerre froide, et donc comme un agresseur potentiel. De plus, la politique unilatéraliste des Etats-Unis depuis les attentats du 11 septembre 2001 suivie des guerres menées contre l’Afghanistan et l’Irak, ainsi que la politique américaine de soutien à Israël seront des éléments qui donneront un aspect incertain à l’évolution du Dialogue otanien. - 1994 : initiative du Dialogue méditerranéen de l’OTAN avec cinq pays non membres de l’Alliance : Egypte, Israël, Mauritanie, Maroc, Tunisie ; - 1995 : participation de la Jordanie ; - 1997 : conférence en novembre 1997 à Rome sur « L’avenir du Dialogue méditerranéen » qui a porté sur les dimensions pratiques de la coopération ; 51 Voir El Watan du 13 septembre 2003, selon un communiqué de l’OTAN- AFSOUTH (base des forces alliées dans le sud de l’Europe) publié par l’AFP. 378 - invitation par l’OTAN des pays partenaires pour participer à des programmes de bourses institutionnalisées ; établissement du Groupe de Coopération Méditerranéen (GCM). Ce dernier a été établi au Sommet de Madrid sous la supervision du Conseil Nord Atlantique, il sera suivi de rencontres entre les différentes parties sur une base régulière ; - 1999 : série de visites conduites par l’assistant du secrétaire général pour les affaires politiques et de son député aux sept pays du Dialogue méditerranéen ; participation de l’Algérie au Dialogue ; décision de l’OTAN de tenir compte sur la base du cas par cas des demandes d’aide financière pour soutenir la participation des partenaires méditerranéens au Dialogue ; - de l’an 2000 à ce jour : visites au siège de l’OTAN par des responsables, des parlementaires, des leaders d’opinion, des universitaires et des journalistes des pays du Dialogue ; série de séminaires organisée sous les auspices du Groupe Spécial Méditerranée avec la participation des pays de l’OTAN, des partenaires du Dialogue et des représentants d’organisations internationales ; suivi par les pays partenaires de cours portant sur les plans civils d’urgence à l’Ecole d’Oberammergau (Allemagne) de l’OTAN ; participation des scientifiques des pays partenaires à des ateliers parrainés par l’OTAN dans le cadre du programme scientifique de l’Alliance ; observation des exercices terrestres et maritimes de l’OTAN et du Partenariat pour la Paix (PpP) ; visites à des institutions de l’OTAN ; participation à des ateliers et des conférences ; programme annuel de travail de l’OTAN avec les pays partenaires dans les domaines d’activités de l’information, du planning de gestion de crises, de science et éducation, des opérations menées par l’OTAN en Bosnie-Herzégovine et KFOR au Kosovo ; séminaires organisés en Egypte, en Italie et en Espagne, portant sur les activités où l’OTAN peut apporter une valeur ajoutée dans le domaine de l’avantage comparatif ; - 2002 : rencontre au Sommet des chefs d’États et de Gouvernements de l’OTAN, à Prague, pour décider de donner une consistance aux dimensions politiques et pratiques au Dialogue ; élaboration d’un document intitulé « Upgrading the 379 mediterranean Dialogue », ou comment faire avancer le contenu et la pratique de coopération du Dialogue méditerranéen ; organisation par la délégation italienne de l’Assemblée parlementaire de l’OTAN en coopération avec le bureau de l’information de l’Alliance et l’Institut italien des affaires internationales, d’une conférence sur le thème « Du Dialogue au Partenariat de la sécurité avec l’OTAN en Méditerranée : perspectives futures » ; proposition de l’OTAN à l’Union européenne de la tenue de briefings réguliers et d’échanges d’informations sur les activités de chaque organisation dans les domaines sécuritaires en Méditerranée ; rencontre à Reykjavik, en mai 2002, des ministres des affaires étrangères de l’OTAN, qui vont décider de renforcer les dimensions politiques et pratiques du Dialogue méditerranéen en incluant une consultation régulière avec les pays partenaires ; rencontre des responsables diplomatiques et militaires algériens avec ceux de l’OTAN, le 10 juin 2002, pour tracer les grandes lignes de coopération, l’Algérie participera à cette rencontre en compagnie des six autres partenaires du Dialogue, cette rencontre sera suivie d’une série de réunions, d’ateliers, de conférences d’officiers, de civils et de scientifiques pour aboutir à la rencontre entre le président Bouteflika et le secrétaire général de l’OTAN,le 10 décembre 2002 ; organisation d’un séminaire international co-parrainé par l’Algérie et l’OTAN, par le Collège de Défense de l’OTAN à Rome et l’Institut Diplomatique et des Relations Internationales du Ministère des Affaires Etrangères d’Alger ,du 27 au 30 octobre 2002, cela dans le cadre de la cinquième rencontre internationale de recherche du Dialogue ; - 2003-2004 : visites à AFSOUTH (Naples) par le Groupe Spécial Méditerranée (GSM) où 16 membres du GSM et cinq partenaires du Dialogue ( Algérie, Maroc, Mauritanie, Jordanie et Tunisie) ont visité le quartier général des forces alliées d’Europe du Sud. La gravité de l’impact sur les pays arabes de la guerre américaine contre l’Irak met en exergue l’importance du Dialogue de l’OTAN pour les pays du Sud. Du point de vue socio-économique, il est utile d’évaluer les coûts au niveau des pays du Maghreb. 380 Paragraphe 3 : L’impact de la guerre irakienne sur le Maghreb Les observateurs occidentaux s’accordent à dire que la guerre américaine contre l’Irak aurait un impact surtout sur les États-Unis et la zone euro avec une perte de 0,4 du produit intérieur brut (PIB). Le risque pour le monde arabe varie d’une région à l’autre52. Pour l’Algérie, un boom pétrolier pourrait aider ce pays à réduire sa dette extérieure, mais avec une stagnation au niveau d’une croissance longtemps attendue. Une envolée des prix des hydrocarbures permettrait une amélioration de son économie, vu que le PIB algérien dépend à 80% du pétrole et du gaz. Il faut savoir que les recettes de la Sonatrach ont atteint 18 milliards de dollars en 2002, les réserves en devises ont dépassé 22 milliards pour la même année. Donc, une augmentation des prix du pétrole réduirait la dette extérieure de l’Algérie, ainsi que le service de la dette et le déficit budgétaire. Pour le Maroc, l’impact de la guerre irakienne serait tout autre, elle représenterait une menace au niveau socio-économique du fait que la relance des projets socio-économiques serait interrompue. Une hausse des prix du pétrole affecterait l’économie marocaine avec un recul du taux de croissance. Le Maroc miserait, en fait, sur une aide américaine du style de celle accordée à l’Egypte, ainsi que sur l’accélération de la mise en place d’une zone de libre-échange afin d’atténuer les pressions socio-économiques. Pour la Tunisie, un déficit budgétaire est prévu. Il devait être en moyenne de l’ordre de 2,6% du PIB global. En ce sens, le gouvernement tunisien a retenu de doubler le volume des exportations en devises afin de combler le recul de 13% des revenus touristiques, et le manque à gagner des échanges avec l’Irak et les pays du Golfe. En fait, dans le cadre des accords « Pétrole contre nourriture », la Tunisie exportait plus d’un milliard de dollars de produits tunisiens. Il a été prévu également un recul des investissements en provenance de l’Arabie saoudite et du Koweït, que la Tunisie compte compenser par plus d’échanges avec la Libye et l’Algérie. En ce qui concerne la Libye, ce pays serait moins concerné par les répercussions de la guerre contre l’Irak. En effet, avec un budget excédentaire depuis 1995, il cumulerait les 52 Voir Samir Sobh, Répercussions inégales d’une guerre inévitable, Arabies, mars 2003. 381 rentrées dues aux hydrocarbures, estimées à 21 milliards de dollars en 2002, et multiplierait ses investissements à l’étranger, notamment en Afrique. De manière globale, les répercussions de la guerre menée contre l’Irak par les États-Unis et ses alliés pourraient affecter la stabilité de la région avec une montée du terrorisme si les mesures de coopération sécuritaire entre les pays occidentaux et les pays du sud de la Méditerranée ne sont pas menées à bon terme et n’incluent pas les données socioéconomiques, sources de base des conflits éventuels53. 53 Il faut noter que le Conseil de l’OTAN est parvenu à un accord, le 22 septembre 2004, en vue de la création d’un centre de formation des officiers irakiens qui a été implanté dans la banlieue de Bagdad. L’aide de l’OTAN se concentre sur l’entraînement des forces de sécurité irakiennes mais aussi sur leur équipement et sur une assistance technique, dans le but de rétablir la sécurité dans la région. 382 Conclusion de la deuxième partie La vision prospective des alliés euro-atlantiques a donc été marquée le nouveau concept de « guerre préventive » inspiré des nouvelles doctrines militaires américaines, cela comme nous l’avons vu malgré bien des divergences au niveau tant des membres de l’Alliance atlantique que de ceux de l’Union européenne. Une période marquée par un élargissement des opérations de l’OTAN et l’extension de son champ d’intervention, ainsi que du renforcement de la politique européenne de défense. On peut souligner également la nouvelle programmation militaire de la France qui inclut le principe d’action « préventive » et de recours à la dissuasion nucléaire contre un État terroriste prouvé être une menace pour la sécurité et la stabilité de la région. Cependant, John Wolfstahl du Center for Strategic Studies de Washington exprimait le point de vue suivant : « L’extension du rôle des armes nucléaires prônées par la France ne peut qu’affaiblir les arguments invoqués par les Européens pour contester à l’Iran le droit de s’en doter 54». Par ailleurs, il est intéressant de relever la réflexion du Général français Lucien Poirier sur le devenir des forces nucléaires après la fin de la guerre froide55. Ce dernier préconisait en matière de prolifération une approche nuancée tendant à la mise en œuvre d’une stratégie des intérêts partagés fondés sur l’émergence d’une « culture nucléaire universelle » et une « posture d’attente stratégique », soit en d’autres termes, le développement des principes qui sous-tendent la doctrine française de la dissuasion et qui font l’objet d’un large consensus national : une doctrine qui rend compte des exigences de la sécurité pendant le processus d’européanisation de la défense. Une option pour une stratégie de sécurité coopérative fondée sur la détention d’une capacité de dissuasion minimale dans un monde où la menace nucléaire reste latente puisque l’arme nucléaire ne peut être « désinventée 56». 54 Financial Times, Londres, 20 janvier 2006. Voir Lucien Poirier, La crise des fondements, Economice, Paris, 1994, et Lucien Poirier et François Géré, La réserve et l’attente, l’avenir des armes nucléaires françaises, Economica, Paris, 2001. 56 Jean Klein, in Le Monde Diplomatique, mars 2006, op.cit. 55 383 On peut constater donc une convergence dans la perception sécuritaire des alliés euroatlantiques depuis les attentats du 11 septembre 2001, cela à l’exception de leurs positions respectives quant à la deuxième guerre en Irak. Aujourd’hui le dossier du Moyen-Orient conserve son importance première notamment avec les pressions exercées sur les responsables politiques en Palestine au vu de la victoire du Hamas, parti islamiste, aux élections législatives de janvier 2006, sur la Syrie au vu des risques de grande instabilité au Liban, sur l’Iran au vu de la radicalisation de sa politique extérieure et de son programme nucléaire, sur l’Irak qui est menacée d’éclatement ethnique. Cela face à la force militaire la plus puissante du Moyen Orient : Israël, qui en tant qu’État belligérant qui quoique condamné par une vingtaine de résolutions de l’ONU ne paraît pas devoir s’en inquiéter. Il est vrai que ces condamnations ne sont que le fait de l’Assemblée générale, Israël comptant sur un veto des États-Unis pour échapper à une condamnation par le Conseil de sécurité même. Fort de cette protection, cet État continue à élargir le fossé entre ses propres capacités militaires et son pouvoir de dissuasion et celles de ses voisins. « Depuis la guerre d’octobre 1973, Washington a fourni à Israël un soutien en diminuant celui qui était donné aux autres États. Israël a été le grand bénéficiaire de l’aide économique directe et de l’assistance militaire annuelles depuis 1976, et est au total le plus grand bénéficiaire depuis la seconde guerre mondiale, pour un montant de plus de 140 milliards de dollars (en 2004). Israël reçoit environ 3 milliards de dollars par an en aide directe, soit environ un cinquième du budget de l’aide étrangère, et une somme d’environ 500 dollars par an par israélien…D’ailleurs, les États-Unis ont fourni à Israël presque 3 milliards de dollars pour le développement des systèmes d’armements, et lui ont donné l’accès à des armements top niveau comme les hélicoptères Blackhawk et les jets-F16. En conclusion, les États-Unis donnent à Israël l’accès aux renseignements qu’ils refusent à leurs alliés de l’OTAN et ferment les yeux sur l’acquisition par Israël d’armes nucléaires 57». On peut constater que la mise à l’index de certains pays arabes par les alliés euroatlantiques qui, dans certains cas précis, semblent converger avec les États-Unis dans la manière de diaboliser les parties qui refusent le statu quo imposé par Israël dont les forces conventionnelles sont également supérieures à celles de leurs voisins : les palestiniens n’ont pas d’armée, l’Égypte et la Jordanie ont signé des traités de paix, l’Arabie saoudite aurait aussi offert de le faire, la Syrie ne bénéficie plus de la protection que représentait 57 John Mearsheimer et Stephen Walt, Le lobby israélien, Le Quotidien d’Oran, 28 mars 2006, p.7. 384 l’ex-Union soviétique, l’Irak est en voie d’éclatement après trois guerres destructives, l’Iran se situe géographiquement à des milliers de kilomètres…Ces éléments montrent la subjectivité de la perception sécuritaire des alliés euro-atlantiques face à la supposée « menace » venant du sud. En termes de « menace », il serait plutôt indiqué de s’interroger sur la manière dont les États-Unis gèrent le véritable problème sécuritaire de l’ensemble méditerranéen : depuis 1982, les États-Unis ont mis leur veto à 32 résolutions du Conseil de sécurité critiquant Israël et bloquent les efforts des États arabes pour mettre l’arsenal nucléaire israélien sur l’agenda de l’AIEA, « les États-Unis viennent à la rescousse en temps de guerre et prennent le parti d’Israël dans les négociations de paix 58». La perception occidentale des menaces est unique et indivisible quand il s’agit des pays arabes en particulier, et musulmans, en général, elles posent le faux- problème d’un « choc des civilisations » que l’on veut créer dans l’imaginaire des opinions publiques, mais qui ne repose sur aucune argumentation stratégique ou morale. 58 Idem. Il y a lieu de mentionner que John Mearsheimer est professeur émérite à Science Politique à l’Université de Chicago et est l’auteur de “ The tragedy of the great power politics”, Stephen Walt est professeur émerite des relations internationals à la Kennedy School of government de Havard, il est l’auteur de “Timing American Power » et de « The global response to US primacy ». 385 Conclusion générale Conclusion générale Selon certains commentateurs, le rôle politique et militaire unique des États-Unis dans le domaine de la sécurité euro-atlantique subsistera et continuera de conforter les alliés dans leur volonté de rechercher des solutions communes1. Le Sommet des Chefs d’Etats et de Gouvernements des membres de l’OTAN d’Istanbul, en juin 2004, a marqué un tournant dans le rapport de l’Alliance avec les pays sudméditerranéens. « La Méditerranée », notait à ce sujet, Fernand Braudel, […] est telle que la font les hommes et se jauge à ses rayonnements »2. Ainsi, l’Initiative de Dialogue méditerranéen de l’OTAN est étendue au Moyen Orient, et prélude de ce que pourra être l’application de l’idée d’un « Grand Moyen Orient », chère au président américain, George W. Bush. Des projets qui, comme cela a été observé, se font dans une dialectique de rivalité et de convergence entre alliés euro-atlantiques. En fait, les changements importants qui se sont produits durant cette dernière décennie ont prouvé que la guerre froide était terminée, une étape historique des relations internationales qui aura marqué la période 1945 1989, et influé sur l’état des rapports de force au niveau mondial. La décennie 1990-2000 aura été caractérisée par la restructuration et l’articulation des forces euro-atlantiques en Méditerranée sous le contrôle prédominant des États-Unis et le développement de leur politique au Moyen Orient (conflit israélo-palestinien avec le soutien américain à Sharon, deuxième guerre irakienne, etc.). Elle a vu se faire une recomposition des rapports de force au niveau international par un jeu serré entre grandes puissances s’opposant sur la question de la guerre contre l’Irak, sans oublier les potentiels de crise future entre les Etats-Unis, l’Union européenne et l’Iran sur la question du désarmement : les États-Unis sont en passe de substituer à la doctrine de la dissuasion nucléaire (« je montre ma puissance pour ne pas avoir à l’utiliser ») un corps de principes justifiant l’action préventive ( « j’utilise ma 1 Michael Ruhle, Imaginer l’OTAN en 2011, Revue de l’OTAN, Vol.49, no 3, autômne 2001, pp.18-21. Fernand Braudel, La Méditerranée et le monde méditerranéen à l’époque de Philipe II, Paris, 5e édition, 1982, p.155 2 387 puissance pour qu’un ennemi potentiel n’utilise pas la sienne »). Or, les diverses composantes de ce qui est dénommé l’ « axe du mal » ne sont pas comparables à la menace que représentait l’URSS durant la guerre froide. « Quand la menace est fluide, déterritorialisée et non repérable, la réplique elle- même devient globale, au risque d’intensifier la spirale de la violence qui est une première victoire de la terreur »3. Une Europe en crise, une Amérique impériale, ainsi les débats de l’Union européenne auront été marqués durant ces dernières années par le continuel dilemme : une Europe américaine ou une Europe européenne partenaire des États-Unis d’Amérique avec d’énormes divisions parmi les alliés euro-atlantiques qui auront contribué à l’échec de l’adoption de la Constitution de l’Europe, élargie à 25 en 2004. Face à l’unilatéralisme des États-Unis, l’Europe croit en un monde multipolaire. Il faut noter à ce sujet le message à la Nation américaine adressé par le président G. W. Bush, le 21 janvier 2004, dans lequel il annoncera que dorénavant les États-Unis ne demanderont l’avis de personne quand il s’agira de la sécurité de ses citoyens dans le monde « Les États-Unis n’ont pas besoin d’autorisation pour assurer la sécurité de leurs citoyens » ». Il précisera que les États-Unis n’ont pas l’intention de créer un empire mais plutôt de défendre la liberté dans le monde. Le 11 septembre a changé la vision américaine stratégique, le président américain affirmera : « Nous reconnaissons maintenant que les océans ne nous protègent plus et nous sommes vulnérables aux attaques ».4La stratégie de sécurité nationale américaine est donc désormais basée sur l’idée que la politique de dissuasion et de containment n’est plus suffisante pour protéger les États-unis et qu’il est désormais nécessaire de développer une action préventive. En effet, la nécessité de recomposition des rapports de force entre les puissances occidentales s’imposera face aux tensions qui ont persisté dans le monde avec l’émergence des défis sécuritaires tels que les problèmes socio-économiques, la course aux armements, 3 4 Olivier Mongin, op. cit. Discours à l’état de l’Union du président Georges W. Bush, septembre 2002. 388 le terrorisme, les trafics de drogue, les mouvements insurrectionnels et les replis identitaires. Aujourd’hui, la sécurité a également une dimension politique. On observe un glissement sémantique de la notion de « défense » vers la notion de « sécurité ». Cela signifie qu’il n’y a pas que des ennemis à cibler, mais aussi des risques multidimensionnels à régler. Le mot « sécurité » recouvre à présent différentes dimensions allant de l’aspect économique au phénomène du terrorisme, car ce qui tient lieu d’adversaire devient transnational. Cela concerne également les domaines scientifique, technologique, culturel où les réseaux d’échange révèlent des vulnérabilités qui influent sur la notion de sécurité. Il faut rappeler à ce sujet le nouveau concept stratégique de l’OTAN qui constitue une sorte de compromis entre la vision américaine et celle des États européens en raison des risques liés à la prolifération des missiles balistiques et des armes de destruction massive. Les États-Unis voudraient voir l’Alliance assumer un rôle mondial. Certains États européens plus sensibles aux instabilités, tels ceux de la zone des Balkans, voudraient faire de l’OTAN, en premier lieu, l’instrument de la sécurité du continent. Adopté en mars 1999, dans le contexte de la guerre du Kosovo, à l’occasion du 50e anniversaire de l’OTAN, le nouveau concept laisse la voie ouverte aux interprétations de chacun en fonction de ce que sera sa capacité d’agir et d’influencer. La répartition des responsabilités entre l’OTAN et l’ONU ne reçoit pas de réponse précise. De manière globale, pour rappel, on constate une perception occidentale divisée : - d’une part, on distingue une zone d’influence anglosaxonne, qui semble s’exercer à dessein avec pour finalité la légitimation de toute forme d’intervention future faite au nom de la paix. Les expériences successives de la guerre du Golfe, de la deuxième guerre irakienne, des interventions en Afrique, de la guerre en exYougoslavie, et en Afghanistan, montrent les nouveaux contours de la forme des interventions futures, à savoir les interventions de type F.A.R ou forces d’action rapide, ainsi que les opérations de maintien ou de rétablissement de la paix (en anglais « Peace keeping/Peace making ») ; 389 - d’autre part, certains alliés euro-atlantiques, membres de l’Union Européenne, dont la France et l’Allemagne, demeurent désireuses de gérer les crises non seulement par des opérations de maintien de la paix, mais aussi par le dialogue politique5. Quoique comme cela a été observé, certains pays européens dont la France n’excluent plus l’idée d’une action préventive en cas de menace grave. Les opérations de maintien de la paix dans le cadre de la coopération militaire ont mis en exergue certains préalables dans le futur , tels que la mise en œuvre de moyens adéquats sur la base d’une coopération renforcée politique et militaire, le respect strict des préceptes des Nations Unies, une interprétation restrictive du droit d’ingérence « qui ne doit en aucun cas être perçu comme un droit de regard exclusif des Etats occidentaux dans les affaires intérieures des pays du Tiers Monde 6», de manière à ce que toute action ayant pour objectif d’assurer la sécurité des populations sur l’espace méditerranéen ne devrait être menée qu’avec l’accord des pays du Sud, et la participation des forces militaires des pays concernés. Il y a lieu de rappeler que la nouvelle doctrine stratégique rendue donc publique le 20 septembre 2002 par l’administration américaine suscite bien des interrogations quant à ce sujet. En effet, ce document de 33 pages expose la stratégie de sécurité nationale des États-Unis. Comme nous l’avons déjà souligné, il explique le lancement d’actions militaires préventives contre les Etats dits « voyous » (en anglais : rogue states). « Les États-Unis doivent maintenir et maintiendront leur capacité de faire échec à toute tentative par un ennemi, que cela soit un Etat ou non, d’imposer sa volonté sur les États-Unis, nos alliés ou nos 5 La guerre des médias (il conviendrait mieux de parler de l’assistance apporté par les médias US à la cause de la guerre) est indiscutablement importante. Les armes de persuasion massive que sont les différentes chaînes de télé américaines, relais souvent à peine masqués de l’administration US ont beaucoup fait pour donner l’impression que les forces armées américaines secondées par les troupes qui se sont associées à elles (Grande Bretagne, Australie…) allaient connaître d’immenses difficultés de terrain dans un combat dont l’issue n’ était pas encore pleinement connue. Le titre du quotidien Le Monde daté du 27 mars : « Bagdad va être le haut lieu de la résistance », montre à quel point les capacités et le désir de résistance des Irakiens avaient été surévalués, à dessein, par la puissante machine communicative américaine constituée par les relais combinés des porte-parole, déclarants officiels, communiqués officiels et médias indépendants de l’administration d’État mais cependant extrêmement alignés sur les vues de celle-ci. Cela fait penser à la fameuse et dérisoire « quatrième armée de la planète » irakienne qui devait, théoriquement, donner du fil à retordre aux forces coalisées contre l’Irak lors de l’offensive engagée en janvier 1991 contre l’Irak après son occupation du Koweït. 6 Jean-François Daguzan, La sécurité en Méditerranée : une approche globale, in La Méditerranée occidentale : quelles stratégies pour l’avenir ? éd. Publisud, 1994, pp.159-172 390 amis(…). Nos forces seront assez fortes pour dissuader tous les adversaires potentiels de s’engager dans une course aux armements dans l’espoir de surpasser ou égaler la puissance des États-Unis »7. Déjà, le 31 janvier 2002, Donald Rumsfeld, secrétaire américain à la Défense, avait exposé la nouvelle doctrine américaine devant les officiers stagiaires de l’Université de Défense nationale, à Washington. Il avait déclaré que l’Amérique agirait pour avoir une capacité de dissuasion sur quatre théâtres d’opérations importants afin de vaincre deux cibles en même temps, tout en menant une contre-offensive majeure et d’occuper la capitale du pays ciblé pour y installer un nouveau régime.8 La perception américaine des menaces futures concerne non seulement le terrorisme, mais également des attaques contre le potentiel spatial américain, les cyber-agressions contre les systèmes de communication, les missiles de croisière, les missiles balistiques, les armements chimiques et les armes biologiques. A ce titre, les États-Unis confirment leur volonté d’une domination unique au niveau planétaire. Ainsi, les six objectifs majeurs de la nouvelle politique de défense américaine sont les suivants 9: la protection du territoire national américain et des bases américaines à l’étranger ; la projection de forces vers des théâtres d’opération lointains ; la destruction des sanctuaires des pays ciblés, la sécurité des systèmes d’information et de communication ; le développement de l’utilisation des techniques nécessaires aux opérations combinées sur le terrain ; la protection de l’accès à l’espace. Ainsi la stratégie post-guerre froide est désormais suivie d’une stratégie qui s’appuie sur l’idée d’action préventive : « Couplé à la dissuasion nucléaire, le containment fut le principe organisateur de la stratégie américaine durant toute la guerre froide. Face au nouvel ennemi de l’Amérique, la nébuleuse du terrorisme islamique et les gouvernements susceptibles de les appuyer, l’administration Bush veut forger une nouvelle doctrine : l’action préventive. »10 7 Cité par Le Monde des 22- 23 septembre 2002 Voir Le Monde Diplomatique, Mars 2002 9 Idem. 10 Alain Frachon, « Les États-Unis, de la dissuasion à l’action préventive », Le Monde, 9 juillet 2002. 8 391 Par ailleurs, les États-Unis ont demandé au commandement des forces spéciales américaines (l’Ussocom)11 de proposer une série de plans au terme desquels, les commandos américains détiendraient des responsabilités accrues dans la lutte contre le terrorisme international, notamment, en matière d’actions clandestines à l’étranger12. De la même manière, George W. Bush a obtenu la résolution du Congrès, le 11 octobre 2002, lui accordant l’autorisation d’intervenir en Irak, au cas où ce pays refuserait une inspection musclée de ses sites militaires13. Cela nous amène à nous poser une question vitale aujourd’hui : celle du principe de souveraineté nationale et de la notion d’Etat qui ont tous deux tendance à disparaître. Il faut souligner le fait que la disparition du rôle des Etats peut faire le jeu des forces de déstabilisation comme le terrorisme, le crime organisé, les réseaux économiques et circuits financiers illicites, et les flux incontrôlables d’immigration. Ainsi, les forces qui combleraient ce vide seraient celles des « méga-entreprises globales – dix entreprises géantes ont un chiffre d’affaires supérieur à l’addition du PNB de 164 membres des Nations Unies, ou même le crime organisé dont le chiffre d’affaires mondial équivaut au PNB de l’Italie 14». De plus, le droit de se faire justice est de plus en plus revendiqué par d’autres puissances telles que la Chine, l’Inde, ou de petits Etats comme Israël, car les institutions internationales semblent de plus en plus instrumentalisées par les États-Unis pour servir leurs intérêts nationaux pour nombre d’observateurs. Ainsi, les attentats contre le World Trade Center et le Pentagone, ayant prévalu le 11 septembre 2001, ne symbolisent pas un évènement fondateur en termes de géostratégie comparable à l’effondrement de l’URSS. Il y a plutôt une sorte de continuité de la guerre froide avec des cibles différentes, et un monde international faisant face aux États-Unis15. « Le spectacle de notre monde appelle une comparaison. Le Moyen Age aussi est né de la mort des anciens Empires et surtout du plus remarquable d’entre eux, celui qui marqua tout le destin de l’Occident, l’Empire romain. Il a vu aussi se déliter les empires successeurs, celui de l’Occident d’abord et plus tard 11 L’Ussocom a été créé en 1987, il réunit aujourd’hui entre 45.000 et 50.000 hommes. Son état-major est installé à Tampa (Californie), où est basé le commandement des opérations pour le Proche-0rient et l’Asie centrale (US Central Command), chargé de l’Afghanistan. 12 In Le Monde, 20 septembre 2002 13 In Le Monde, 12 Octobre 2002 14 Hubert Védrine, Refonder la Politique étrangère française, Le Monde Diplomatique, Décembre 2002, p. 3 15 Voir Pascal Boniface, L’Année Stratégique 2002, IRIS, Paris, 2002 392 celui d’Orient. Et tous ceux qui suivirent tentèrent de reconstruire un ordre international nouveau à l’encontre des déchirements incessants dont l’Europe médiévale était le théâtre. Aucun n’y parvint. Il n’y eut pas, au Moyen Age, d’ordre commun. Mais il existait une référence commune : la chrétienté, avec sa douceur et ses lumières. Elle n’imposa pas la paix partout où elle s’étendait et fut impuissante devant l’interminable série des querelles sanglantes qui déchirèrent l’Europe, alors que celle-ci se disait toute entière chrétienne. Mais, la chrétienté s’identifiait à la charité consentie aux plus pauvres, à la science entretenue dans les monastères, à la culture qu’on y enseignait et qui s’y développait…Notre nouveau Moyen Age a vu, lui aussi, la mort des anciens empires et il voit maintenant se déliter les Etats successeurs et s’approfondir le fossé qui sépare les sociétés et les nations. Mais, il y a, à son tour, une référence commune : la démocratie, même avec les limites qui en réduisent le champ, et ses richesses, même avec leurs répartitions impitoyablement inégales, et ses libertés, même quand elles sont insuffisamment pratiquées. L’autre Moyen Age a duré des siècles : le nôtre restera-t-il longtemps comme il est, avec l’Empire qui le domine et les tempêtes qui se déchaînent autour de lui ? ». 16 Le refus de l’administration Bush de ne pas soumettre le protocole de Kyoto, sur le réchauffement de la planète, à la ratification du Sénat américain, cela malgré l’indignation de la communauté internationale, de vouloir mener une politique belliqueuse contre les États du Sud, notamment celle d’attaquer l’Irak quelles que soient les décisions de l’ONU, notamment du Conseil de sécurité (dont la majorité des membres ont tenu à faire prévaloir le dialogue sur l’action militaire), apparaissent comme des caractéristiques dangereuses de l’hyperpuissance américaine pour la paix de demain. Le monde d’aujourd’hui demeure marqué par la globalisation et l’interdépendance. Ce qui se passe au Moyen-Orient affecte tout le bassin méditerranéen, et pèse sur les processus de dialogues initiés dans la région. Il y a dans la pratique américaine, une érosion du soft power, c'est-à-dire la relation basée sur la négociation et la coopération, ce qui tend à limiter la capacité d’attraction de l’idéologie américaine. Cela produit un nouvel antiaméricanisme aussi bien au Sud, dans le monde arabo-musulman, qu’au Nord, au niveau de l’opinion publique occidentale. Donald Rumsfield, secrétaire américain à la défense, affirmait récemment : « Nous nous battons pour la survie de notre mode de vie, dans une guerre sans champ de bataille. Il s’agit d’abord d’un 16 Paul- Marie de la Gorce, « Le dernier empire sera-t-il américain ? », éd. Grasset, Paris, 1996, pp.240-241 393 choc de volontés. La lutte sera renforcée ou perdue devant le tribunal de l’opinion publique. Certes, l’ennemi est habile dans la manipulation des médias et l’utilisation des outils de communication moderne à son profit, mais nous avons un avantage : la vérité est de notre côté, et elle finit toujours par triompher »17. L’exemple du Moyen-Orient illustre bien l’état des rapports de force en Méditerranée, car en principe trois mesures prises à temps auraient pu éviter l’intensité de la crise vécue par cette région. Ces mesures sont notamment : l’envoi d’une force d’interposition des Nations Unies en Palestine, la réhabilitation du rôle de l’Assemblée Générale des Nations Unies qui pourrait se substituer au Conseil de Sécurité en cas de veto, ou l’envoi d’une force européenne qui concrétiserait l’idée de la Politique Extérieure et de Défense Commun de l’Union européenne.e.18 Cependant, on peut noter que malgré un certain anti-américanisme des opinions publiques arabes, les relations Etats-Unis/Moyen Orient demeurent empreintes de ce que la terminologie anglosaxonne nomme la Real Politik. Cela a été observé au niveau de la coopération militaire en Méditerranée, du fait du rapprochement effectif entre les pays du Sud et les alliés euro-atlantiques dans le cadre de l’Initiative de Dialogue de l’OTAN. Plus récemment, dans le cas particulier de l’Algérie, dans le cadre de manœuvres militaires conjointes, on a pu signaler la présence de six navires de type frégate et destroyer, appartenant à l’Alliance atlantique qui ont fait une escale navale à Alger, en juin 2002, sans compter celles mars 2004. Ces manœuvres sont les troisièmes du genre depuis que l’état-major de l’Alliance atlantique a décidé d’intensifier ses relations avec l’Algérie. Il faut noter aussi la visite en Algérie du général Charles F. Wald, commandant adjoint des forces américaines en Europe19, suivie de celle du général américain James L. Jones, commandant suprême des forces alliées en Europe à la tête d’une importante délégation pour des perspectives de développement des relations de coopération bilatérale, le 18 décembre 200520, et celle de Donald Rumsfeld, secrétaire d’Etat à la Défense, le 12 février 17 Donald Rumsfield, La guerre contre le terrorisme est aussi médiatique, Le Figaro, 1 mars 2006. Voir Monique Chemillier- Gendreau, Face à la force, le droit international, Le Monde Diplomatique, Janvier 2002 19 EUCOM, stationné à Stuttgart, en Allemagne. 20 El Watan, 18 décembre 2005. 18 394 200621, et auparavant l’accord intergouvernemental de coopération militaire entre la Turquie et l’Algérie, signé en octobre 2003. Le 20 décembre 2001, le président Bouteflika déclarait lors d’une conférence de presse à Bruxelles : « Notre dialogue avec l’OTAN est une option stratégique et seuls le dialogue et la coopération peuvent garantir la paix en Méditerranée »22. L’inventaire des domaines de coopération offerts par l’OTAN est multiple, il se focalise cependant sur la lutte contre le terrorisme international. Ainsi, pour rappel, l’Alliance veut : - démembrer les cellules terroristes, les priver de refuges et développer une approche préventive au terrorisme international ; - renforcer l’ISAF (forces en Afghanistan) en hommes et matériel en étendant ses forces au Pathan (sud de l’Afghanistan) : - augmenter l’équipement de l’OTAN et sa diplomatie internationale pour mettre fin à la diffusion des ADM (armes de destruction massive) dans la région ; - développer des frappes préventives contre les installations nucléaires des pays n’adhérant pas aux normes internationales de non-prolifération ; - jouer un rôle dans l’endiguement des conflits et des règlements politiques dans la région subméditerranéenne ; - coopérer dans le domaine du maintien de la paix et établir des briefings pour la formation dans le cadre du maintien de la paix ; - développer des contacts avec les Nations Unies et l’OSCE ; - faciliter une solution négociée entre les parties adverses du conflit au Moyen Orient ; - maintenir la mission en Irak pour le soutien au nouveau gouvernement irakien et restaurer l’unité du pays ; - maintenir la Libye dans sa décision de renoncer aux ADM ainsi que le Pakistan. Du point de vue des relations algéro-américaines, on aura constaté également un accroissement de la coopération dans le domaine du commerce, avec la vente des 21 22 El Watan, 12 février 2006. Le Quotidien d’Oran, 11 juin 2002. 395 hydrocarbures par l’Algérie, et la vente d’armes accompagnée d’investissements par les États-Unis. Le président algérien avait déclaré lors de sa visite aux Etats-Unis, en 2001 : « Nous cherchons des équipements spécifiques qui nous permettraient de maintenir la paix, la sécurité et la stabilité en Algérie. Les américains étudient notre demande avec un esprit ouvert…23 ». Par ailleurs, le département d’Etat américain a précisé que « les contacts entre les armées américaine et algérienne se sont accélérés au cours des deux dernières années. L’Algérie a hébergé des navires de guerre américains en visite et a commencé une série d’exercices navals conjoints. Les échanges de personnel entre les deux parties sont fréquents et l’Algérie a accueilli des responsables américains de haut niveau »24. Durant l’année 2006, les délégations américaines se sont succédées à Alger avec le développement des échanges commerciaux algéro-américains enregistrant un volume record de 8,3 milliards de dollars en 2004 contre 5,2 milliards de dollars en 2003 et 3,3 milliards de dollars en 2002. Cela sans compter les visites de hauts responsables ministériels, sénateurs et organismes américains de 2004 à 2005. Au niveau des relations entre grandes puissances, le dialogue russo-américain a été hissé au plus haut point avec le nouveau traité signé entre les deux pays, qui permet dorénavant à la Russie de régler ses problèmes internes ou de voisinage (Tchétchénie) sans ingérence extérieure, en échange du déploiement américain dans le Caucase et l’Asie centrale, et l’entrée des pays baltes dans l’OTAN. De même, les relations sino-américaines semblent s’améliorer et perdent de leur caractère de divergence idéologique, avec l’entrée de la Chine dans l’OMC (Organisation Mondiale du Commerce), et son soutien aux États-Unis dans sa lutte contre les Talibans. Une nouvelle configuration s’est développée avec notamment l’Europe communautaire et l’avènement d’ensemble régionaux qui montrent une recomposition des relations internationales soulignant non plus l’antagonisme Est-Ouest, mais plutôt Nord-Sud , SudSud et Nord-Nord. Cela implique une situation de déséquilibre qui nécessite le renforcement des tentatives de coopération menées jusqu’à présent. 23 24 Arabies, juillet-août 2002. Idem. 396 « La Méditerranée est interpellée en tant qu’espace de rencontre et d’échange, et en tant que limite, et en tant que frontière maritime marquant la séparation nette entre deux ensembles, voire même, entre deux mondes »25. Par rapport à la coopération nord-atlantique dans le sud de la Méditerranée , celle menée par l’Union européenne dans la région demeure au ralenti, on peut constater qu’après plusieurs années de coopération, les propositions retenues à la Conférence de Barcelone, en 1995, sont loin d’atteindre l’objectif 2010, fixé pour créer une zone de libre échange. Il y a eu un échec dans l’application du programme MEDA I (1995- 2000) dans lequel les quinze pays de l’Union européenne s’engageaient dans une aide au développement des douze partenaires du sud-méditerranéen. Sur le plan de la rivalité économique, une étude prospective de l’IFRI (Institut français des Relations internationales) conclut à un retard grandissant de l’Union européenne, même élargie à l’Est, dans son désir de devancer les USA. Dans une projection faite sur la première moitié du 21e siècle26, cet organisme conclut au déclin annoncé de l’Europe face à l’Amérique du Nord. Si les tendances de l’économie relevées aujourd’hui perdurent, la croissance moyenne de l’Union européenne ne dépassera pas le plafond de 2,3% jusqu’en 2020, et chutera tendanciellement à partir de cette année-là à 1,1%, et ce jusqu’en 2050. Dans le même temps, sa place dans la production mondiale passerait de 23% actuellement à 21% en 2020, et 12% seulement en 2050. Il s’agit là d’une division par deux de la puissance économique de l’Europe intégrée, et cela en un demi-siècle. Si l’Europe tendait à peser de moins en moins sur le processus de mondialisation, on assisterait à une montée en puissance inexorable de l’Asie avec, à sa tête, la Chine. Cette étude prospective de l’IFRI retient, pour ce qui concerne l’évolution des PIB, que celui des États-Unis restera stable (25% en 2000 ; 23% en 2050), que celui de l’Asie progressera très manifestement (passant de 35% en 2000 à 43% en 2020, puis à 45% en 2050), alors que celui de l’Europe stagnera puis chutera spectaculairement (23% en 2000 ; 21% en 2020 ; 15% seulement en 2050). Voilà un déclin annoncé pour l’Europe qui reste 25 Nadji Safir, Logique identitaire et mutation du système international, Communication présentée au colloque d’Alger sur la dérive du droit, Mars 1991. 26 Le commerce mondial au 21e siècle, étude prospective de l’IFRI, avril 2003. 397 néanmoins, encore aujourd’hui, le premier pôle du commerce mondial avec près de 40% des échanges. Une démographie défaillante et une productivité du travail insuffisante expliqueraient cette tendance déclinante qui poursuit en fait un mouvement qui a commencé au début du siècle dernier, la prépondérance européenne ayant connu son apogée entre 1870 et 1914, la montée en puissance des États-Unis ayant pris leur essor après la seconde guerre mondiale. Sur un autre plan, le taux de fécondité européen est trop faible (1,4 enfant par femme actuellement) pour permettre le renouvellement de la population en Europe(le seuil de renouvellement étant de 2,1), et cela contrairement aux pays de l’Alena (États-Unis, Canada, Mexique) qui bénéficieront d’un taux de fécondité proche de celui garantissant le renouvellement et d’un apport de migrants important (50 millions) jusqu’en 2050. Cela, alors que l’importance de l’immigration vers l’Europe ne lui permettra pas de sortir de son « hiver démographique », pour reprendre l’expression consacrée dans l’étude. Mais des possibilités de riposter à cette perspective négative pour l’Europe existent. L’un des éléments de cette riposte passe par une meilleure croissance démographique pour pallier au vieillissement de ses populations, ce qui ne saurait se faire, du fait de la baisse durable du taux de fécondité, sans l’ouverture relative des frontières. Cela suppose donc une rupture avec les approches idéologiques de la question migratoire, rupture qui prospecterait le long terme en matière de vision politique27. Un regain européen en matière de puissance économique et politique face à la puissance américaine ne pourrait qu’être avantagé et servi, enfin, passerait par un ancrage favorisant un ensemble Europe-Russie-Méditerranée. Dans cette optique, l’Allemagne drainerait avec elle le potentiel des pays de l’Est, la France faisant de même avec les pays du sud de la Méditerranée. 27 Une question subsidiaire au centre de la politique intérieure française par exemple, est celle du financement des retraites du fait du vieillissement de la population et du nombre grandissant des retraités, sans cesse plus important dans la pyramide des âges. 398 Il se trouve que cette option conforterait les pays de la rive sud qui aspirent à une véritable association à l’espace européen, cela afin de donner corps concrètement aux projets développés par la conférence de Barcelone de 1995.28 Dans cet esprit, on peut retenir le voyage d’Etat du Président Chirac en Algérie, et toutes les perspectives de coopération que ce voyage a générées29. En fait, la perception occidentale des problèmes du Sud n’est pas uniforme, elle recèle des divergences et se traduit par des stratégies antagonistes depuis la perspective d’une deuxième guerre irakienne. De plus, les conditions imposées à la Libye, l’interruption du processus de paix au Moyen Orient, et l’après-11 septembre 2001 suivi de l’occupation de l’Irak par les Etats-Unis et leurs alliés ont été autant de facteurs pesant sur le contenu des réunions entre les parties Nord-Sud-méditerranéennes. Il en est de même pour le MEDA II (2000-2006) qui ne connaîtra aucun développement particulier. En cinq années, seulement 35% des cinq milliards d’euros de crédit disponible seront réellement alloués.30 Le processus de réalisation des projets proposés par les pays du Sud peut être encore ralenti du fait de l’élargissement de l’Union européenne à l’Est. L’espace méditerranéen demeure de manière globale l’objet de convoitise et a été, pendant longtemps, marqué par la confrontation stratégique sur les plans politique, économique, social,culturel et religieux. Du fait des profonds changement qu’il a vécus, il est amené à jouer un rôle fondamental dans l’articulation des rapports entre l’Europe et les pays de la rive Sud. Les nouveaux partenariats engagés durant cette dernière décennie sont porteurs de beaucoup d’espoir, car la volonté de travailler ensemble a été prouvée par les pays de l’arc latin ( France, Italie, Espagne, Portugal, Malte) et les pays du Maghreb. Il faut relever le fait que les attaques du 11 septembre 2001 ont modifié les paramètres du débat euro-atlantique, vu que les pays européens ont appuyé le combat mené par les États-Unis contre le terrorisme international en évoquant l’article 5 du Traité de l’Atlantique Nord. Il faut rappeler que lors du Sommet de Nice et du Conseil de l’OTAN 28 On sait que le Maroc a demandé son intégration à l’Union européenne voici des années déjà… Un traité de coopération entre l’Algérie et la France avait été, rappelons-le encore, signé en cette circonstance. 30 Voir Sébastien Sadek, « Barcelone vue par les Arabes », Arabies, Décembre 2000, p. 19 29 399 en décembre 2000, il avait été décidé d’établir des canaux de communication étroits entre l’Union européenne et l’OTAN afin d’éviter tout découplage tout en essayant de définir un concept stratégique pour la PESD ou politique européenne de sécurité et de défense31. Par ailleurs, l’OTAN maintient son projet de construction d’un partenariat sécuritaire avec Israël et les pays arabes notamment sur le plan de la lutte contre le terrorisme. Ce plan inclut une formation militaire et des exercices communs, et il sera l’objet, reppelons-le, du Sommet de l’OTAN à Istanbul, en juin 2004. Le Secrétaire général de l’OTAN, Jaap de Hoop Scheffer avait déclaré à cette occasion : « Il est clair que le dialogue méditerranéen est pris au sérieux par l’OTAN et par moi. Je m’investirai personnellement dans le dialogue avec Israël et les six autres partenaires, et je ne serais pas surpris que cela soit un élément important du Sommet d’Istanbul »32. En fait, l’OTAN cherche à trouver la voie qui donnerait une forme consistante au dialogue méditerranéen, mais il faut souligner le fait que le non règlement du conflit israélo-palestinien demeure un facteur de blocage dans l’avancement des perspectives offertes par ce dialogue excepté l’intérêt commun de coopération que représente la lutte contre le terrorisme. L’OTAN perçoit en fait ce dialogue sécuritaire comme un complément au processus de partenariat euro-méditerranéen de Barcelone qui offre aux États méditerranéens un cadre de coopération économique et politique. Pour l’Algérie, les perspectives du Dialogue méditerranéen doivent évoluer dans le sens suivant : - développer une convergence politico-militaire notamment dans le volet lié à la menace terroriste qui doit être l’axe prioritaire de l’OTAN ; - suggérer la constitution d’une identité maghrébine de sécurité et de défense ; 31 Il faut rappeler qu’après les attentas de Madrid du 11 mars 2004, l’Union européenne avait procédé à une mise à jour de son plan d’action contre le terrorisme qu’elle avait adopté au lendemain des attentas du 11 septembre 2001 sur le sol américain. Ce plan s’est traduit par la constitution d’une unité spéciale contre le terrorisme au sein de l’organe de coopération policière Europol et la mise en place du mandat d’arrêt européen. 32 International Herald Tribune, Friday, January 23, 2004. 400 - concevoir un système de sécurité régionale euroméditerranéen ; - mettre en place un programme de type Partenariat pour la Paix (PpP) ; - promouvoir le Dialogue méditerranéen renforcé. Ces perspectives tiennent compte également des contraintes liées au contexte international, notamment l’interaction entre le volet économique et sécuritaire, la lutte contre les causes du terrorisme avec l’échange d’informations à caractère opérationnel. L’accent est mis aussi sur la complémentarité entre le processus de Barcelone et celui de l’OSCE. Il faut souligner en conclusion générale que le côté soft de la sécurité avec les problèmes socio-économiques des pays du Sud demeure le véritable défi sécuritaire du XXIe siècle. Cependant, il n’en demeure pas moins que la problématique de la sécurité collective comme corollaire de la mondialisation est à l’ordre du jour et exige des actions continues, sérieuses et pratiques. Le monde va-t-il changer pour devenir un monde sans guerre ? La guerre va-t-elle changer pour devenir une guerre sans armements ? La réponse à ces deux questions a peut-être été donnée avec une très grande justesse par Baghirath Lal Das : « Au début du XXIe siècle, les territoires ne seront pas gagnés ou perdus par des armées en campagne , mais par des agents économiques. Et les pays qui méconnaissent le danger pourraient bien avoir le sort des soldats faits prisonniers pendant leur sommeil (…)33 ». Les différents dialogues méditerranéens engagés depuis une décennie par les pays occidentaux avec les pays sud-méditerranéens témoignent des nouvelles stratégies occidentales de l’après-guerre froide. Leur succès déterminera l’évolution de la paix et de la sécurité en Méditerranée et, cela ne sera possible que si les perspectives de développement socio-économique se concrétisent dans des termes de performance réelle pour les pays de l’ensemble sud-méditerranéen. On peut noter à ce sujet les préoccupations des pays tiers-méditerranéens qui ne sont pas tout à fait celles des pays membres de l’OTAN, quoique le non règlement de certaines questions fondamentales 33 Baghirath Lal Das, « A la recherche d’une nouvelle place pour les pays en voie de développement à l’OMC », Revue Coopération Sud, no 2, 1998. 401 aient des répercussions sur la stabilité régionale, ainsi le maintien de relations bilatérales avec l’Alliance peut par le biais du Dialogue continu amener avec l’aide des Nations Unies à une solution au processus de paix au Moyen Orient, et au règlement de la question du Sahara Occidental. Par ailleurs, les pays sud-méditerranéens soulignent la nécessité pour les pays membres de l’OTAN de tenir compte des aspects éthiques et légaux dans le cadre de ses opérations de maintien de la paix, cela avec l’obligation de tenir compte de la responsabilité collective des pays de la région concernée, et de la communauté internationale qui ont à se positionner sur toute forme d’intervention future au nom des opérations de paix. De plus, l’OTAN doit coopérer avec l’Union européenne pour promouvoir des capacités de riposte en cas de catastrophes naturelles et de missions humanitaires, et favoriser la formation des ressources humaines locales dans ces domaines. Par ailleurs, dans le cadre de ses stratégies de coopération avec les partenaires maghrébins, l’Alliance doit tenir compte des aspects culturels de la sécurité qui inclut aujourd’hui la promotion des valeurs démocratiques, des droits de l’homme, de l’avancement des sociétés du Sud vers le progrès et la modernité. On peut noter à ce sujet la réflexion controversée de Zbigniew Brzezinski : « Quelle sera la hiérarchie probable de la puissance en 2025 ? Il me paraît honnête de dire que, tout au sommet, il y aura toujours les États-Unis. Pas très loin derrière, il y aura l’Europe, si elle progresse sur la voie de son unification politique et si elle acquiert un certain degré de capacité militaire. A la troisième place, il y aura la Chine, le Japon, à la quatrième place et, à la cinquième, l’Inde. Ce sera un dispositif beaucoup plus complexe, avec une seule superpuissance mondiale34 et un énorme écart entre le numéro 1 et le numéro 2 ».35 En fait, les États-Unis veulent établir des « Etats pivots » dans les pays du Sud, indispensables pour les futurs déploiements militaires dans la région, notamment de la Méditerranée, selon la conception géostratégique américaine du « Grand Moyen 34 Les Etats-Unis ont décidé les développement d’appuis militaires dans les pays du Sud : ils ont ainsi installé un contingent militaire de 2000 soldats à Djibouti, base militaire française depuis la période coloniale, mais ils projettent la création d’une douzaine des bases dans la région : Sénégal, Mali, Mauritanie, Niger, Tchad, Ghana, Maroc, Tunisie et possiblement en Algérie (non loin de Tamnarasset). 35 In « Zbigniew Brzezinski passe au crible la diplomatie de Jacques Chirac », Le Monde », 13 juillet 2004, p. 2. 402 Orient »36. Il est à craindre pour l’avenir des pays du sud de la Méditerranée, que la notion de souveraineté nationale face à tous ces défis et enjeux, ne devienne qu’un pieux désir des anciennes guerres d’indépendance. Et, que au nom de la sécurité et de la lutte antiterroriste, ces nations deviennent à leur tour des nations guerrières, alignées sur la géostratégie américaine37, cela au détriment des besoins réels de leurs populations. Le salut des nations du Sud se situera dans le jeu de rivalité et de convergence entre les alliés euro-atlantiques, cela dans la mesure où ils sauront mettre à profit la dialectique des contradictions entre l’Union européenne, l’Alliance atlantique et les États-Unis, et les utiliser au mieux des intérêts de leurs populations. 36 Voir Le Monde Diplomatique , février 2005, p. 5. Au printemps 2004, les Etats-Unis ont augmenté de 7 à 125 millions de dollars, le budget concernant l’initiative Pan-Sahel, afin d’augmenter leurs ventes d’armes aux pays de la région. 37 403 Bibliographie Générale 1. Ouvrages Abran, Chayes & Antonia Handeler, The new sovereignty, compliance with international regulatory agreements, Havard University Press, Cambridge,USA, 1995, 147p. Alberto Bin, International relations in the post-cold war- Global and regional perspectives, Mediterranean Accademy of Diplomatic Studies, Malte, 1995. Amine Samir (sous la direction de), Le Maghreb: enlisement ou nouveau départ? Éd. L’Harmattan, Paris, 1996, 233 p. Aron Raymond, Penser la guerre : Clausewitz, éd. Gallimard, Paris, 1976. Balta Paul (sous la direction de), La Méditerranée réinventée, Paris, éd. La Découverte, 1992. Blix Hans, Irak, les armes introuvables, Paris, Fayard 2004. Boutoul Gaston, Essais de polémologie, guerre ou paix ? Éd. Denoël Gontier, Paris, 1976. Bowen Wyn P. & David M. 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Conventions relatives au désarmement dont l’Algérie est signataire. 10. Communiqué du Sommet de l’OTAN à Istanbul, 28-29 juin 2004 415 Annexe 1 Extrait du document de clôture de la réunion de Madrid 1980 des représentants des Etats ayant participé à la Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe tenue conformément aux dispositions de l’Acte final relatives aux suites de la conférence Questions relatives à la sécurité et la coopération en Méditerranée Les Etats participant, considérant que la sécurité en Europe, envisagée dans le contexte plus large de la sécurité mondiale, est étroitement liée à la sécurité dans la région méditerranéenne toute entière, affirment à nouveau leur intention de contribuer à la paix, à la sécurité et à la justice dans la région méditerranéenne. Ils expriment en outre leur volonté ; - de prendre des mesures constructives pour réduire les tensions et renforcer la stabilité, la sécurité et la paix dans la région méditerranéenne et, à cet effet d’intensifier leurs efforts pour apporter, par des moyens pacifiques, des solutions justes, viables et durables aux problèmes majeurs qui subsistent, sans recourir à la force ou à d’autres moyens incompatibles avec les principes de l’Acte final, de façon à promouvoir la confiance et la sécurité et à faire régner la paix dans la région ; - de prendre des mesures destinées à accroître la confiance et la sécurité ; - de développer des relations de bon voisinage avec tous les Etats de cette région, compte dûment tenu de la réciprocité, et en s’inspirant des principes contenus dans la Déclaration de l’Acte final sur les principes régissant les relations mutuelles des Etats participants ; - de continuer à étudier la possibilité de tenir des réunions ad hoc d’Etats méditerranéens visant à renforcer la sécurité et à intensifier la coopération dans la région méditerranéenne. 416 - En outre, les Etats participants examineront dans le cadre de la mise en œuvre du rapport de la Valette, les possibilités offertes par de nouveau progrès en matière d’infrastructure des transports propres à faciliter de nouveaux échanges commerciaux et industriels, ainsi que par l’amélioration des réseaux de transports existant et par une plus large coordination des investissements dans le secteur des transports entre les parties intéressées. A cet égard, ils recommandent qu’une étude soit entreprise, dans le cadre de la Commission économique pour l’Europe, en vue de déterminer les mouvements actuels et potentiels des transports en Méditerranée intéressant les Etats participants et d’autres Etats de cette région, compte tenu des travaux en cours dans ce domaine. Ils examineront davantage les possibilités d’introduire ou d’étendre, conformément à la réglementation existante de l’OMI, l’utilisation de techniques appropriées en matière d’aide à la navigation maritime, principalement dans les détroits. En outre, ils prennent acte avec satisfaction des résultats de la Réunion d’experts qui s’est tenue à la Valette concernant la coopération économique, scientifique et culturelle, dans le cadre du chapitre de l’Acte final ayant trait aux questions relatives à la Méditerranée. Ils réaffirment les conclusions et les recommandations contenues dans le rapport de cette réunion et conviennent de s’y conformer. Ils prennent également acte des efforts qui sont actuellement faits pour les mettre en œuvre de manière appropriée. A cet fin, les Etats participant conviennent de convoquer du 16 au 26 octobre 1984 un séminaire qui se tiendra à Venise, à l’invitation du gouvernement de l’Italie, afin de passer en revue les initiatives déjà prises ou envisagées, dans tous les secteurs définis dans le rapport de la Réunion de la Valette et de stimuler le cas échéant, des actions plus amples dans ces secteurs. - Des représentants des organisations internationales compétentes et des représentant des Etats méditerranéens non participants seront invités conformément aux règles et pratiques adoptées à la réunion de la Valette. ----------------------------------------------------------------------------------------- Annexe 2 Déclaration des Neuf sur le dialogue et la coopération en Méditerranée Occidentale (Rome, 10 octobre 1990) Les Ministres des Affaires étrangères de l’Algérie, d’Espagne, de France, d’Italie, de la Jamahiria Arabe Libyenne, du Maroc, de Mauritanie, du Portugal et de Tunisie, ainsi que le Ministre des Affaires étrangères de Malte, en sa qualité de pays 417 associé, se sont réunis le 10 octobre 1990 à Rome, à l’invitation du Gouvernement italien. La réunion des Ministres des Affaires étrangères a été précédée le 8 octobre d’une réunion préparatoire au niveau des hauts fonctionnaires. 1) Les Ministres des Affaires étrangères des pays membres de l’UMA et des quatre pays européens, membres de la CEE, ainsi que de Malte, se sont félicités de la tenue de cette première réunion qui constitue l’aboutissement d’un processus interne de concertation. Ils considèrent que les évolutions positives intervenues en Europe et au Maghreb ont directement contribué à l’aboutissement de leurs efforts communs. Ils ont estimé qu’il est d’une grande importance de mettre à profit les potentialités offertes par le nouveau contexte régional en Méditerranée occidentale pour intensifier davantage leurs efforts pour asseoir un cadre de dialogue et de coopération sur des bases durables. 2) Les Ministres ont exprimé l’attachement de leurs pays aux principes de la globalité et de l’indivisibilité de la sécurité en Méditerranée et ont convenu d’inscrire leurs actions dans le cadre de la promotion de la paix et de la coopération dans toute la région. Ils estiment que la question de la sécurité en Méditerranée doit être considérée dans le contexte plus large de la sécurité internationale et qu’elle est étroitement liée à celle de la région toute entière. Compte tenu des processus favorables en matière de sécurité et coopération qui se développent en Europe, les pays méditerranéens devraient en bénéficier. Les Ministres des Affaires étrangères ont dûment pris en considération les caractéristiques et les spécificités de la Méditerranée Occidentale et ont décidé de les valoriser pour faire de cette région une aire de paix, de coopération et stabilité. Ils sont convaincus que les avantages qui en résultent pour chaque pays et pour la sous région de la Méditerranée Occidentale en termes de stabilité politique et de progrès économique, social et culturel pourront contribuer à la transformation de la Méditerranée en une zone de paix et de coopération. 3) Ils ont souligné que les processus d’intégration de l’Europe des douze et celui engagé au sein de l’UMA constituent des facteurs de nature à contribuer à la réduction des tensions, au renforcement du bon voisinage et à l’expansion du progrès social et culturel. 4) Ils ont constaté que ces processus recèlent de grandes potentialités pour l’approfondissement des liens de coopération entre les pays de la Méditerranée Occidentale d’une part et entre l’UMA et le CEE, d’autre part. Dans cette perspective, ils ont été d’avis que le dialogue et la coopération qu’ils projettent au niveau de leur sous-région sont de nature à renforcer, mais sans s’y substituer, aux futures relations CEE-UMA et au dialogue euroarabe. 5) Les Ministres ont considéré que les grands écarts actuels dans les niveaux de développement entre le Nord et le Sud de la Méditerranée, y compris la Méditerranée Occidentale, introduisent des déséquilibres générateurs de graves dangers pour la stabilité et le bien-être de toute la région. A cet égard, ils ont fait 418 montre d’une grande détermination pour créer une solidarité régionale en vue de résorber les disparités de développement. Les Ministres ont exprimé leur conviction que cette solidarité régionale permettra d’éviter la marginalisation de cette région ; ils veilleront à cet effet à ce que les processus d’intégration entamés en Europe s’accompagnent d’un effort simultané et similaire en matière de coopération en direction de la région de la Méditerranée. Ils ont estimé à cet égard que cette solidarité pourrait être réalisée à partir d’un noyau stable en Méditerranée Occidentale. 6) Dans cette perspective, ils ont exprimé leur conviction que, pour être effective, cette solidarité requérait la mise en œuvre de moyens et d’instruments efficaces de dialogue et de coopération. 7) Partant de ces convictions communes, les Ministres des Affaires étrangères des pays participants : - Conviennent de mettre en place un cadre approprié destiné à renforcer le dialogue politique et promouvoir la concertation et à engager un effort collectif de promotion du développement économique, culturel et social au niveau de la Méditerranée occidentale. Ce cadre est destiné à entretenir une dynamique de dialogue au niveau des Ministres des Affaires étrangères. Les Ministres se rencontreront au moins une fois par an et s’il en était besoin, pour procéder à un échange de vue sur les questions d’intérêt commun notamment celles relatives à la région. La présidence des réunions ministérielles sera tournante en suivant l’ordre alphabétique des pays. Des groupes de travail avec participation maltaise seront établis par un mécanisme de coordination des Neuf pour développer des actions de coopération dans des domaines d’intérêt commun. - Soulignant que la dynamique de dialogue, de concertation et de coopération qu’ils engagent revêtira un caractère global, intégrant les paramètres politiques, de sécurité, économiques, culturels, humains et écologiques. - Conviennent que la coopération économique reposera sur le concept de partenariat et complètera, sans s’y substituer, la coopération bilatérale et celle arrêtée dans le cadre de la CEE ainsi que le cadre de relations qui seront établies entre la CEE et l’UMA. - Cette coopération se traduira par : a) l’adoption de programmes et projets méditerranéens spécifiques. 419 b) l’encouragement du développement économique ainsi que du dialogue culturel, politique et de sécurité entre lesdits pays. c) des échanges de vue et d’informations susceptibles de conduire à la concertation des politiques et des programmes de coopération afin d’en assurer une meilleure cohérence et efficacité. 8) La coopération méditerranéenne fera appel à la participation active des entreprises, des partenaires sociaux, des investisseurs privés, des collectivités territoriales et des institutions culturelles, tandis que les Gouvernements s’engageront à créer un climat politique favorable et à stimuler l’intérêt des milieux économiques, culturels et scientifiques concernés. Une coopération entre les Parlements des pays concernés pourra aussi être envisagée et encouragée. 9) Les neuf pays ainsi que Malte ont décidé de promouvoir le dialogue et la concertation en vue de contribuer à la solution des questions politiques et de sécurité d’intérêt commun. Ils ont décidé en outre de développer leur coopération sur une base équilibrée et mutuellement avantageuse dans les domaines prioritaires suivants : A) Economique - Promotion des échanges commerciaux (dont la coopération en matière des normes de contrôle des produits et des systèmes de certification) - Relations industrielles Partenariat et investissements Energie Transport Agriculture et autosuffisance alimentaire Tourisme et artisanat Transfert technologique B) Ressources humaines -Affaires sociales et en particulier l’immigration - Education et formation - Recherche scientifique - Communication 420 - Affaires culturelles et sauvegarde du patrimoine - Affaires sportives B) Ressources naturelles - Environnement (et en particulier la lutte contre la pollution, la désertification et les fléaux naturels) - Protection civile - Préservation et sauvegarde des ressources halieutiques 10) A cet effet, les Ministres conviennent d’exploiter les possibilités offertes par la coopération régionales en adoptant les programmes et projets spécifiques suivants : a) Création d’une banque de données méditerranéennes reliant leurs pays et permettant les échanges et la communication d’informations dans tous les domaines d’intérêt commun, notamment dans le domaine industriel et commercial. b) Coopération plus étroite dans les domaines social et Humain - Action en faveur d’une meilleure connaissance, respect et compréhension des peuples et des cultures des deux rives de la Méditerranée - Etude des questions migratoires en vue de favoriser la recherche des solutions mutuellement acceptables dans les cadres compétents, notamment en ce qui concerne les conditions de vie, de séjour, de circulation et de travail c) Le développement de la solidarité régionale par une gestion commune des équilibres naturels dans le Bassin Occidental 11) Dans ce même esprit, les Ministres conviennent : a) De favoriser la construction d’une institution multilatérale financière à vocation méditerranéenne. 421 b) De promouvoir des solutions adéquates pour résoudre les problèmes de la dette extérieure des pays du Maghreb et d’inciter dans les cadres compétents la recherche de mécanismes pour résoudre ce problème en favorisant la création d’emplois et en prenant en considération les divers initiatives récentes. c) De promouvoir par les cadres juridiques et les institutions financières appropriées la réalisation des projets dans les pays du Maghreb (promotion du partenariat, de la sous-traitance, du transfert de technologie,etc.). d) D’enrichir le dialogue et la coopération culturelle, scientifique et technique entre les pays d’Europe du Sud et du Maghreb par des programmes d’action méditerranéens, permettant le développement de la coopération entre les universités, les institutions scientifiques, culturelles et éducatives, (formation des cadres, promotion des échanges des jeunes, sauvegarde et réhabilitation du patrimoine). 12) Les Ministres considèrent que le lancement effectif d’un tel processus de coopération régionale représentera une manifestation supplémentaire de l’intérêt de l’Europe méridionale vis-à-vis du Maghreb, sans pour autant que cette coopération prenne la forme de réunions ou de mécanismes de négociations préalables. 422 Annexe 3 Déclaration ministérielle d’Alger (5+5) (27 octobre 1991) Les Ministres des Affaires étrangères d’Algérie, d’Espagne, de France, d’Italie, de la Jamhiria arabe libyenne, de Malte, du Maroc, de Mauritanie, du Portugal et de Tunisie se sont réunis les 26 et 27 octobre à Alger à l’invitation du Gouvernement algérien. Le représentant de la Commission des Communautés européennes a assisté en qualité d’observateur. Cette réunion a été précédée d’une réunion préparatoire au niveau des hauts fonctionnaires. Les ministres ont accueilli avec satisfaction la participation de Malte à leurs travaux en qualité de membre à part entière. Dialogue politique 1) Les Ministres se sont félicités de la relance de leur dialogue et de leur coopération dans l’esprit des orientations et des principes de la Déclaration de Rome du 10 octobre 1990. Ils ont exprimé leur conviction que le cadre ainsi formé comporte de grandes potentialités pour l’intensification de leur dialogue, de leur concertation politique et de l’évolution qualitative de leur coopération économique. 2) Les Ministres ont réitéré la volonté de leurs pays d’œuvrer à la réduction des écarts existant dans les niveaux de développement en Méditerranée Occidentale. Ils ont estimé à cet égard que l’action collective que leurs pays entreprennent dans ce cadre contribuera à les réduire et à engendrer une dynamique de coopération mutuellement avantageuse. 3) Les Ministres sont convaincus que l’affermissement de la démocratie et des libertés politiques et économiques contribuera à l’amélioration de leurs relations mutuelles et au-delà, des conditions de la stabilité et de la sécurité régionale. 4) Les Ministres ont estimé que leurs communautés respectives ainsi que l’échange des personnes entre les rives de la Méditerranée, dans le respect des lois et des règlements en vigueur, contribuent au développement des liens d’amitié et de coopération entre leurs pays. Ils ont souligné l’importance qu’ils attachent au respect de la dignité et de la sécurité de leurs ressortissants, ainsi qu’à la qualité de leur condition de séjour, de travail et de circulation. 5) Les Ministres ont réitéré leur volonté d’inaugurer une nouvelle ère de solidarité qui réponde aux aspirations de leurs peuples, par l’établissement des objectifs communs et des principes nécessaires à l’instauration d’un cadre global et permanent de paix, de liberté et de prospérité. 6) Dans cet esprit, ils ont retenu les objectifs suivants : 423 - préserver la sécurité des pays de la région et contribuer à une plus grande stabilité régionale ; - promouvoir un développement économique et social qui permette de réduire, dans un esprit de solidarité, les déséquilibres existant dans la région ; - construire des relations de bon voisinage permettant le développement d’un dialogue entre les différentes cultures dans un esprit de tolérance et de compréhension et dans le respect des droits de l’homme : 7) Afin de réaliser ces objectifs, les Ministres ont réaffirmé leur attachement aux buts et principes de la Charte des Nations Unies, notamment le non recours à la force, le règlement pacifique des différents, le respect de la souveraineté, l’intégrité territoriale des Etats et la non-ingérence dans leurs affaires intérieures : 8) Les Ministres ont réitéré leur attachement aux principes de la globalité et de l’indivisibilité de la sécurité de la Méditerranée et en Europe, et sont convenus d’inscrire leurs actions dans le cadre de la promotion de la paix et de la coopération dans toute la région méditerranéenne : Désireux de prendre en compte les spécifités de leurs sous région, ils ont conféré une nouvelle dimension à leur concertation en instituant des consultations sur les moyens d’accroître leur confiance mutuelle. Ces consultations prendront la forme de réunions entre responsables de ministres des Affaires étrangères concernés. Le mandat du Comité politique sera de débattre les questions politiques et de sécurité d’intérêt commun, en particulier l’ensemble des principes qui doivent régir leur dialogue et leur coopération ; 9) Les Ministres ont évoqué les mesures restrictives à l’encontre d’un pays membre. Ils considèrent que le dialogue ainsi entamé permettra d’approfondir la compréhension des points de vue des pays de la CEE et de l’UMA, en vue d’instaurer les conditions propres à surmonter tout obstacle au développement harmonieux de leur coopération ; 10) Les Ministres ont constaté que les changements historiques qui se sont produits sur le continent européen, notamment dans le cadre de la CSCE, ont créé un climat international plus favorable et ouvert des perspectives nouvelles de paix et de coopération en Europe ; 11) Les Ministres ont également noté avec satisfaction l’évolution positive intervenue dans la région du Maghreb arabe et des perspectives qu’elle offre pour le développement de la coopération entre l’UMA et la Communauté européenne : 424 12) Les Ministres ont exprimé l’espoir que la conférence de paix au Moyen Orient, qui doit s’ouvrir prochainement à Madrid, aboutisse à un règlement définitif, global et juste du conflit arabo-israélien sur la base des résolutions 242 et 338 du Conseil de sécurité prévoyant, en particulier, le retrait d’Israël des territoires occupés, et permette de garantir la sécurité et la stabilité de tous les Etats de la région ainsi que la réalisation par le peuple palestinien de son droit à l’autodétermination ; La Conférence aura d’autant de plus de chance d’aboutir que des mesures propres à créer un climat de confiance seront prises par les parties, notamment en ce qui concerne les implantations : 13) Les Ministres ont exprimé leur satisfaction face à l’évolution de la situation au Liban et soutiennent leurs efforts déployés pour consolider la paix retrouvée. Ils ont réitéré leur attachement à la mise en oeuvre complète des Accords de Taef afin de permettre à l’Etat libanais d’étendre son autorité à l’ensemble du territoire national et de consolider l’indépendance et l’intégrité territoriale de ce pays. Ils soulignent dans ce contexte, la nécessité de l’application de la Résolution 425 du Conseil de sécurité : 14) Considérant que l’évolution de la situation internationale est de nature à favoriser les conditions pour une coopération globale dans le bassin méditerranéen, les ministres réaffirment l’appel lancé à Rome dans leurs déclarations sur la conférence sur la sécurité et la coopération en Méditerranée, et décident de conjuguer leurs efforts pour sa réalisation comme contribution à la stabilité et au développement : 15) Dans le domaine du désarmement, ils ont accueilli avec intérêt les efforts visant à généraliser le contrôle des armements et le désarmement dans diverses régions du monde. Ils ont exprimé à cet égard leur attachement au respect du droit égal de tous les pays à la sécurité conformément aux buts et principes de la Charte des Nations Unies. Ils ont appelé à la conclusion rapide de la Convention sur les armes chimiques en négociation à la Conférence du Désarmement à Genève. […] Coopération 18) Les Ministres considèrent que le renforcement de la coopération économique, financière, scientifique, culturelle et sociale entre les pays concernés doit permettre l’affirmation progressive de la Méditerranée Occidentale comme espace de développement et de solidarité. A cet égard, ils ont pris note avec satisfaction des travaux des huit groupes qui ont abouti à l’identification des projets et actions concrets dans différents secteurs de coopération. Ils retiennent les priorités suivantes : - la protection et l’exploitation rationnelle des ressources naturelles ; 425 - le développement des infrastructures et l’interconnexion des réseaux de communication et de télécommunication ; - le développement économique dans les secteurs productifs agricole, industriel et des services ; - la définition de mécanismes et de moyens nouveaux de financement : Pour chacun de ces grands axes, des projets ont été suggérés. Ils ont en commun de favoriser l’intégration régionale et de favoriser le développement des partenaires de la région. Les Ministres ont insisté sur la nécessité de doter la coopération régionale de nouvelles ressources correspondant aux projets mis en œuvre et qui tiennent compte de sa spécificité et de son caractère stratégique. […] -------------------------------------------------------------------------------------------- Annexe 4 Extrait de la Déclaration de la neuvième conférence des chefs d’Etat ou de gouvernement des pays non-alignés à Belgrade relatif à la sécurité internationale, au désarmement et à la Méditerranée (4-7 septembre 1989) Les documents politiques La sécurité internationale et le désarmement Concernant les positions adoptées aux précédentes conférences des chefs d’Etat ou de gouvernement des pays non-alignés, réaffirmant la validité du document final de la première session spéciale de l’Assemblée générale de l’ONU sur le désarmement, et rappelant la Déclaration finale de la réunion ministérielle du Bureau de coordination du mouvement des non alignés, tenue à la Havane en mai 1988, la première à avoir été consacrée exclusivement au désarmement, à avoir examiné soigneusement la situation dans le désarmement et à avoir élaboré plus amplement les positions des pays non alignés. 1- Depuis la première conférence à Belgrade, le renforcement de la sécurité internationale par le biais du désarmement est resté l’objectif principal de la politique de la pratique des non-alignés. Le Mouvement a contribué de façon constructive au processus de désarmement en encourageant le dialogue entre les deux 426 superpuissances, en s’attachant à mettre au point un consensus dans les forums sur le désarmement multilatéral et en sensibilisant davantage l’opinion publique sur la menace de guerre, et tout particulièrement la guerre nucléaire. Les chefs d’Etat ou de gouvernement ont constaté avec satisfaction que le changement dans les positions des superpuissances pouvait être considéré comme une réponse aux appels répétés du Mouvement. Ils ont également exprimé leur espoir profond de voir les futures négociations entre les superpuissances porter sur le bien être pour tous les pays, conformément aux principes d’une équité souveraine à la charte des Nations Unies : 2- Les chefs d’Etat et de gouvernement ont constaté que d’importants changements étaient intervenus depuis le dernier sommet à Hararé, changements qui ont influé sur la sécurité internationale, établissant des nouvelles tendances dans les relations internationales. Les conflits et les hostilités cèdent la place, dans un grand nombre d’instances, à la pratique des négociations, à la compréhension et à la coopération. Ils ont souligné les responsabilités et les obligations de tous les Etats à accélérer ce processus naissant et à le canaliser dans une direction bénéfique pour tous. Une paix et une sécurité durables ne peuvent être assurées que grâce aux efforts conjoints de toute la communauté internationale, tous les pays y participant et y contribuant sur un pied d’égalité : 3- Ils ont noté, cependant, que la détente entre les superpuissances, ne saurait résoudre d’elle-même les conflits qui existent dans différentes parties du monde. En fait, ces conflits peuvent même s’aggraver à moins d’être réglés rapidement sur la base des principes de la Charte des Nations- Unies : 4- Le désarmement, le relâchement de la tension internationale, le respect des objectifs et des principes contenus dans la charte des Nations Unies, notamment l’égalité souveraine des Etats, le règlement pacifique des litiges et l’injonction à s’abstenir du recours ou à la menace du recours à la force dans les relations internationales ; le respect du droit à l’autodétermination et à l’indépendance nationale, le développement économique et social, l’éradication totale du colonialisme, l’apartheid et de toutes les autres formes de racisme et de discrimination raciale, d’agression et d’occupation ; le respect des droits humains et le renforcement de la paix et de la sécurité internationale sont intimement liés : 5- Les chefs d’Etat ou de gouvernement ont souligné en particulier, que de par sa nature, le désarmement général et complet, sous contrôle international efficace, ne saurait être réalisé que si tous les Etats s’engagent à sa mise en œuvre. Ils ont souligné que les armements nucléaires pourraient entraîner l’extinction de la vie sur terre. Vu que la guerre nucléaire menace le droit même de vivre, toutes les nations ont le devoir égal de l’empêcher. Ils sont tombés d’accord sur ce que le processus en cours de désarmement pouvait être accéléré et élargi à travers les efforts communs de toute la communauté internationale. Cependant, il est clair que le processus de désarmement ne saurait être réalisé sans une contribution de tous les Etats, et notamment des grandes puissances et de leurs alliances militaires qui ont exprimé la ferme détermination de leurs pays à continuer à encourager le désarmement de manière constructive. Ils ont souligné que le renforcement de la sécurité internationale par le biais du désarmement, refrènement de l’escalade qualitative et quantitative de la course aux armements, reste l’un des objectifs les plus importants et des mobiles de l’engagement permanent du Mouvement. Partant de la conception du désarmement en tant que partie organique de la détente et de la 427 sécurité, y compris la sécurité nationale des pays non-alignés dans leur ensemble et de chacun de ces pays en particulier, ils ont précisé notamment que, dans la politique et la pratique du non-alignement, le désarmement figure comme la forme la plus concrète de la négation de la puissance militaire et de l’usage de la force dans les relations internationales : 6- Les chefs d’États ou de gouvernement sont convaincus de la nécessité pour leur pays, de participer activement à tout processus visant à la réalisation d’un désarmement général et total. En tant que moyen d’éviter des dépenses inutiles sur les armements et de contribuer à la paix et à la sécurité, ils se sont engagés à contribuer au désarmement et à l’arrêt et au renversement de la course aux armements : 7- Les chefs d’État ou de gouvernement ont souligné de même que l’objectif de la paix et de la sécurité universelle ne sauraient être atteint sans le développement harmonieux de toute la communauté internationale. L’aggravation des problèmes relevant du développement, notamment dans les pays en développement, risque de compromettre les acquis positifs des relations internationales et constitue le danger latent le pus grave pour la stabilité mondiale. Soulignant le lien étroit entre le désarmement et le développement , ils ont réaffirmé le programme d’action adopté à la conférence internationale sur l’interdépendance entre le désarmement et le développement, tenue en 1987, et ont constaté qu’il offre un cadre important pour l’action future : 8- Ils ont souligné que les circonstances sont aujourd’hui plus favorables au désarmement et cela pour plusieurs raisons. Les cinq sommets américanosoviétiques de ces quatre dernières années ont contribué à une évolution positive dans le monde entier. Pour la première fois dans l’histoire, l’URSS et les Etats-Unis ont conclu un accord sur l’élimination de certaines armes nucléaires existantes. Les chefs d’État ou de gouvernement se sont félicités de cette mesure et réitéré l’espoir qu’elle sera le précurseur de l’adoption de mesures de désarmement concrètes conduisant à l’élimination complète des armements nucléaires. Dans ce contexte, ils ont accordé une importance particulière aux négociations qui sont en cours entre les Etats-Unis et l’URSS sur la réduction considérable des arsenaux nucléaires stratégiques offensifs et ont émis l’espoir que le retard actuel sera surmonté et que le traité sera signé dans les plus brefs délais. Ce processus devrait être suivi par l’intégration d’autres États dotés d’armements nucléaires dans le processus de désarmement nucléaire. Ils ont tenu à préciser plus spécialement que le monde contemporain, mais aussi celui de demain exigera que les doctrines reposant sur la politique de force soient remplacées par une politique de coopération qui répondrait aux attentes justifiées de toute la communauté internationale : 9) Les chefs d’État ou de gouvernement ont cependant constaté qu’en dépit d’un climat international favorable, il reste beaucoup à faire pour arrêter la course aux armements. Même si les objectifs actuels des négociations Est-Ouest en matière d’armements sont réalisés, les deux blocs conserveront d’importants arsenaux d’armements nucléaires et conventionnels. Ils ont insisté sur l’extrême urgence qu’il y a à adopter des mesures destinées à réaliser le désarmement nucléaire dans le cadre d’un programme à délai fixe en vue d’éliminer les armements nucléaires. Entre temps, ils ont réitéré la nécessité que les États non dotés d’armes nucléaires soient assurés contre l’usage ou la menace de recourir à l’usage des armes nucléaires et 428 appelé à la conclusion rapide d’un accord international à cette fin. Qui plus est, ils ont fait ressortir la nécessité d’empêcher la course aux armements dans l’espace, celui-ci devant être utilisé exclusivement à des fins pacifiques. Ils ont également relevé l’importance du désarmement naval et la nécessité de prévenir une course aux armements qualitative : 10) Les chefs d’État ou de gouvernement ont souligné que la suspension immédiate et l’interdiction complète des essais nucléaires demeurait une des priorités du désarmement nucléaire. Ils ont constaté que le monde devenait de plus en plus conscient qu’il convenait de régler cette question une fois pour toutes. Ils ont salué l’action entreprise par les quarante États parties au Traité sur l’interdiction partielle des essais nucléaires en vue de la convocation d’une conférence qui modifierait ce Traité pour en faire un Traité sur l’interdiction complète des essais nucléaires début 1990 et de convoquer la conférence dés que possible en 1990 : 11) […] 12. Ils ont manifesté leurs préoccupations devant l’acquisition par Israël et l’Afrique du Sud de la capacité nucléaire et condamné la coopération existante entre ces deux pays dans le domaine du développements des armements nucléaires et de leurs système de lancement qui représente une grave menace pour la sécurité et la paix en Asie, en Afrique et dans le monde. Ils ont condamné Israël pour continuer à développer ses programmes nucléaires militaires et les armes de destruction massive et pour refuser de mettre en œuvre les résolutions des Nations Unies et de l’Agence internationale de l’énergie atomique à cet égard : 13. Les chefs d’État ou de gouvernement ont réitéré que les Nations devraient avoir le rôle central et la responsabilité primaire en matière de désarmement, dont elles doivent s’acquitter avec toute l’autorité dont elles été investies. Ils considèrent aussi que le renforcement des efforts multilatéraux dans le développement pourrait être accompli, entre autres, par l’établissement d’un système de vérification multilatéral unique, au sein des Nations Unies. Aussi ont-ils exprimé leur conviction qu’il y aurait lieu, dans l’avenir, de convoquer périodiquement des sessions extraordinaires de l’Assemblée générale des Nations Unies sur le désarmement lorsque les conditions nécessaires seront réunies : 14) Ils ont fait remarquer que la Conférence de Genève sur le désarmement, l’unique forum de négociations internationales multilatérales, est la confirmation de la vue de la communauté internationale que le désarmement ne saurait être le fief des puissants. Cependant, ils ont constaté avec regret que la Conférence n’a pas présenté jusqu’ici à l’Assemblée Générale de projets d’accords sur les questions faisant l’objet des négociations à Genève. Ils ont considéré notamment que rien ne saurait justifier l’ajournement de l’amorce de négociations substantielles sur toutes les questions du désarmement nucléaire et sur la prévention de la course aux armements dans l’espace. Ils ont, de plus, réaffirmé que les négociations multilatérales et bilatérales doivent se compléter mutuellement et exprimé l’espoir que la décision d’augmenter le nombre des membres, élargir la Conférence sur le désarmement puissent être mises en application bientôt : 15) Les chefs d’État ou de gouvernement se sont félicités du travail accompli par l’Institut des Nations Unies pour la recherche sur le désarmement et mis l’accent sur la nécessité de lui assurer une viabilité continue en lui garantissant le soutien financier à partir du budget régulier des Nations Unies et des contributions 429 volontaires. De même qu’ils ont souligné leur satisfaction pour les progrès réalisés par le Programme de bourse d’études des Nations Unies sur le désarmement dans la formation des responsables des pays en développement ; 16) Les Chefs d’État ou de gouvernement se sont déclarés satisfaits des progrès enregistrés dans les négociations sur l’élimination complète des armes chimiques à la Conférence du Désarmement. C’est là un domaine du désarmement multilatéral où un progrès concret a été accompli vers une convention. A cet égard, ils se sont félicités du succès qui a couronné la Conférence internationale sur l’interdiction des armes chimiques, tenue à Paris du 7 au 11 juin 1989 en présence des Etats parties au Protocole de Genève de 1925 et d’autres États intéressés et ont souscrit à la déclaration finale de ladite conférence. Ils ont noté que cette impulsion devait être exploitée pour conclure un accord complet et global sur l’interdiction du développement, de la production, du stockage et de l’utilisation des armes chimiques et sur leur destruction. Toute mesure provisoire pour la non-prolifération n’aurait aucune efficacité et devrait, par conséquent, être rejetée : 18) Ils ont mis en relief le fait que les attaques dirigées contre l’indépendance et l’intégrité des pays sont plus souvent menées avec les armes conventionnelles. Le perfectionnement de cet armement par plus puissants prend des proportions alarmantes. Ils ont souligné que le désarmement conventionnel constitue un élément du désarmement général et complet et que les grandes puissances et leurs alliances respectives assument des responsabilités spéciales à cet égard aussi. C’est aussi pourquoi, les pays non-alignés ont exprimé leur disposition à contribuer à l’ouverture du processus du désarmement conventionnel à un niveau global, régional et sous-régional. Dans ce contexte, ils ont souligné que grâce à la cessation de tous les actes d’agression contre les pays non-alignés, au respect strict des principes de non-intervention et non-ingérence dans les affaires internes des États à l’absence de recours ou de menace de recours à la force dans les relations internationales, au règlement, par voie pacifiques, des conflits et questions relatives à l’autodétermination et l’autodéfense, et grâce à l’élimination des pressions économiques et politiques contre les pays non-alignés, que ces des derniers pourraient être à même de contribuer efficacement au processus de désarmement. 19) Les chefs d’État ou de gouvernement, rappelant la résolution 618 du Conseil de sécurité et la résolution 38/41 de l’Assemblée Générale des Nations Unies, ont réaffirmé les positions adoptées lors des conférences précédentes du Mouvement non-aligné sur les attaques militaires des Etats-Unis contre la Libye et la destruction d’un avion de ligue iranien : 20) Les chefs d’État ou de gouvernement ont reconnu les conséquences négatives que comportent les fournitures d’armes dans les régions de tension, notamment le phénomène du trafic illicite d’armes qui aggrave les tensions, la sécurité des certains États et la sécurité régionale et consolide les forces opposées au processus du désarmement. La question des transferts d’armements internationaux doit être abordée en liaison avec les questions relatives à la réduction des tensions internationales, à la promotion de la confiance et du règlement pacifique des conflits, à l’arrêt de la course aux armements et à la réalisation d’un désarmement sous contrôle international efficace : 21) Ils ont souligné tout particulièrement que la création et la consolidation de zones dénucléarisées et de zones de paix et coopération dans diverses parties du monde, 430 proposées entre autre par quelques pays non-alignés, pourraient contribué considérablement à la consolidation de la sécurité internationale. Dans ce contexte, ils ont réitéré l’importance des positions pertinentes adoptées par le Mouvement, dans le passé ainsi que les paragraphes pertinents contenus dans le document final de la première session spéciale consacrée au désarmement. De même que la réalisation d’objectifs communs de dénucléarisation pourrait renforcer les perspectives de paix et de sécurité : 22) Les chefs d’État ou de gouvernement ont exprimé leur appui total à la Déclaration sur l’Océan Indien à Colombo, prévue en juillet en 1979. Ils ont réitéré les positions précédemment adoptées par le Mouvement, dans le passé ainsi que les paragraphes pertinents contenus dans le document final de la première session spécial consacrée au désarmement. De même que la réalisation d’objectifs communs de dénucléarisation pourrait renforcer les perspectives de paix et de sécurité : 22) Les chefs d’État ou de gouvernement ont exprimé leur appui total à la Déclaration sur l’Océan Indien en tant que zone de paix. Ils ont réaffirmé la détermination des États non-alignés à continuer leurs efforts pour réaliser les objectifs contenus dans la Déclaration comme convenu à la réunion des États du littoral et de l’arrière-pays tenue en juillet 1979. Ils ont réitéré les positions précédemment adoptées aux Sommets et Réunions ministérielles des pays nonalignés. Ils ont noté que les efforts déployés par les pays non-alignés et autres en vue de convoquer la conférence sur l’Océan Indien à Colombo, prévue en juillet 1990, se heurtent à des obstacles malgré les progrès importants réalisés dans le cadre du comité ad hoc de l’Océan Indien, créé au sein des Nations Unies. Les chefs d’États ou de gouvernement ont appelé les grands utilisateurs de la mer et les membres permanents du Conseil de sécurité à participer pleinement et activement à la Conférence, dans la mesure où leur coopération est essentielle au succès de celle-ci, et ont demandé au Secrétaire général de l’ONU de fournir l’assistance nécessaire à ce comité pour faciliter l’accomplissement du travail préparatoire et permettre la tenue de la conférence : 23) Les chefs d’États ou de gouvernement ont pris note avec satisfaction des initiatives sur la Déclaration faisant de l’Atlantique Sud une zone de paix et coopération, y compris l’adoption par l’Assemblée générale des Nations Unies des résolutions 42/16 et 43/23 relatives à cette question. A cet égard, ils ont réitéré leur soutien aux actions entreprises par les États de la zone dans le sens de la réalisation des objectifs de la Déclaration, notamment par le biais de l’adoption et de la mise en œuvre de programmes spécifiques : 24) Ils ont rappelé que le Mouvement a invité à maintes reprises les grandes puissances à procéder à un désengagement militaire sur les territoires des pays tiers, à renoncer aux manœuvres militaires dans le voisinage des pays non-alignés et à démanteler leurs bases militaires sur les territoires étrangers. Les chefs d’État ou de gouvernement ont souligné l’importance des négociations sur le désarmement conventionnel ainsi que ainsi que sur les mesures de renforcement de la confiance et de la sécurité en Europe, dont les implications sur les plans politique et militaire, devraient avoir un impact positif, notamment sur les régions avoisinantes et sur les relations internationales dans leur ensemble. Ils ont exprimé leur vœu que cela puisse conduire au démantèlement des deux grandes alliances militaires : 431 25) Les chefs d’État ou de gouvernement ont réaffirmé les positions et déclarations adoptées précédemment par les conférences au Sommet et les réunions ministérielles du Mouvement, apportant leur soutien à la transformation de la région méditerranéenne en une zone de paix, de sécurité et de coopération, libérée de tout conflit et confrontation. Ils ont noté avec satisfaction la conscience de plus en plus grande de la nécessité de déployer des efforts en commun, telle que reflétée dans l’adoption à l’unanimité, au sein de l’Assemblée générale de l’ONU de la résolution 43/84 ainsi que dans la contribution constructive des pays neutres et non-alignés d’Europe dans le cadre de la Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe. Ils ont réaffirmé énergiquement que la sécurité de la Méditerranée est intimement liée à la sécurité en Europe et à la paix et la sécurité internationale. Dans ce contexte, ils ont salué la disposition des pays méditerranéens d’Europe à engager le dialogue et la coopération avec les pays méditerranéens appartenant au Mouvement des nonalignés et souhaité que la réunion de la CSCE sur la Méditerranée, prévue à Palma de Majorque en 1990, contribue au renforcement de la confiance et de la sécurité dans la région méditerranéenne. De même qu’ils ont salué la décision de tenir la prochaine réunion ministérielle des pays méditerranéens membres du Mouvement des non-alignés à Alger au début de 1990 : 26) Les chefs d’État ou de gouvernement ont tenu à préciser que le monde a la rare occasion de pouvoir élargir et renforcer tous les aspects positifs des relations internationales actuelles. Ils estiment qu’il faut consolider et élargir les perspectives du désarmement et assurer un champ plus large pour la participation de tous les membres de l’ONU à l’accélération du processus entamé. Ils ont souligné notamment que le monde contemporain a besoin d’une action réaliste, constructive et universelle. Ils ont déclaré que le moment est venu de substituer à la course aux armements une compétition des efforts déployés en vue de contribuer à la cause commune et à tout ce qui peut conduire tous les pays vers un avenir plus sûr. ------------------------------------------------------------------------------------------------------ Annexe 5 : Déclaration de Barcelone Adoptée lors de la conférence euro-méditerranéenne (27-28 novembre 1995) - Le Conseil de l’Union européenne, représenté par son Président, M. Javier Solana, Ministre des Affaires étrangères d’Espagne, La Commission européenne, représentée par M. Manuel Marin, Vice-Président, l’Allemagne, représentée par M. Klaus Kinkel, Vice-Chancelier et Ministre des Affaires étrangères, l’Algérie, représentée par M. Mohamed Salah DEMBRI, Ministre des Affaires étrangères, l’Autriche, représentée par Mme Bénita Ferrero-Waldner, Secrétaire d’État au Ministère des Affaires étrangères, la Belgique, représentée par M. Erick Dericke, Ministre des Affaires étrangères, 432 - - Chypre, représentée par M. Alecos Michaelides, Ministre des Affaires étrangères, le Danemark, représenté par M. Ole Loensmann Poulsen, Secrétaire d’État au Ministère des Affaires étrangères, l’Egypte, représentée par M. Amr Moussa, Ministre des Affaires étrangères, l’Espagne, représentée par M. Carlos Westendorp, Secrétaire d’État aux relations avec la communauté européenne, la Finlande, représentée par Mme Tarja Halonen, Ministre des Affaires étrangères, la France, représentée par M. Hervé de Charrette, Ministre des Affaires étrangères, la Grèce, représentée par M. Carlos Papoulias, Ministre des Affaires étrangères, l’Irlande, représentée par M.Dick Spring, Vice-Premier Ministre des Affaires étrangères Israël, représenté par M. Ehud Barak, Ministre des Affaires étrangères, l’Italie, représentée par Mme Susanna Agnelli, Ministre des Affaires étrangères, la Jordanie, représentée par M. Abdelkrim Kabariti, Ministre des Affaires étrangères, le Liban, représenté par M. Fares Bouez, Ministre des Affaires étrangères, le Luxembourg, représenté par M. Jacques F. Poos, Vice-Premier Ministre et Ministre des Affaires étrangères, du Commerce et de commerce extérieur et de la Coopération, Malte, représentée par M. le Prof. Guido de Marco, Vice-Premier Ministre et Ministre des Affaires étrangères, le Maroc, représenté par M. Abdellatif Fillali, Premier Ministre et Ministre des Affaires étrangères, les Pays-Bas, représentés par M. Hans van Mierlo, Vice-Premier Ministre et Ministre des Affaires étrangères, le Portugal, représenté par M . Jaime Gama, Ministre des Affaires étrangères, la Suède, représentée par Mme Lena Hjelm-Wallen, Ministre des Affaires étrangères, la Tunisie, représentée par M. Habib Ben Yahia, Ministre des Affaires étrangères, la Turquie, représentée par M. Denis Baykal, Vice-Premier Ministre et Ministre des Affaires étrangères, l’Autorité Palestinienne, représentée par Yassir Arafat, Président de l’Autorité Palestinienne, Participant à la Conférence euro-méditerranéenne de Barcelone : - - - soulignant l’importance stratégique de la Méditerranée et animés par la volonté de donner à leurs relations futures une dimension nouvelle, fondée sur une coopération globale et solidaire, qui soit à la hauteur de la nature privilégiée des liens forgés par le voisinage et l’histoire ; conscients que les nouveaux enjeux politiques, économiques et sociaux de part et d’autre de la Méditerranée constituent des défis communs qui appellent une approche globale et coordonnée ; décidés de créer à cet effet, pour leurs relations, un cadre multilatéral et durable, fondé sur un esprit de partenariat, dans le respect des caractéristiques, des valeurs et des spécificités propres à chacun des participants ; 433 - - considérant que ce cadre multilatéral est complémentaire d’un renforcement des relations, qu’il est important de sauvegarder en accentuant leur spécificité ; soulignant que cette initiative euro-méditerranéenne n’a pas vocation à se substituer aux autres actions et initiatives entreprises en faveur de la paix, de la stabilité et du développement de la région, mais qu’elle contribuera à favoriser leur succès. Les participants appuient la réalisation d’un règlement de paix, juste, global et durable au Moyen Orient, basé sur les résolutions pertinentes du Conseil de sécurité des Nations Unies et les principes mentionnés dans la lettre d’invitation à la Conférence de Madrid sur la paix au Moyen Orient, y compris le principe « des territoires contre la paix », avec tout ce que cela implique ; convaincus que l’objectif général consistant à faire du bassin méditerranéen une zone de dialogue, d’échanges et de coopération qui garantisse la paix, la stabilité et la prospérité exige le renforcement de la démocratie et le respect des droits de l’homme, un développement économique et social et équilibré, la lutte contre la pauvreté et la promotion d’une meilleure compréhension entre les cultures, autant d’éléments essentiels du partenariat. Conviennent d’établir entre les participants un partenariat global- partenariat euroméditerranéen- à travers un dialogue politique renforcé et régulier, un développement de la coopération économique et financière et une valorisation accrue de la dimension sociale, culturelle et humaine, ces trois axes constituant les trois volets du partenariat euro-méditerranéen. Partenariat Politique et de sécurité : Définir un espace commun de paix et de stabilité Les participants expriment leur conviction que la paix, la stabilité et la sécurité de la région méditerranéenne sont un bien commun qu’ils s’engagent à promouvoir et à renforcer par tous les moyens dont ils disposent. A cet effet, ils conviennent de mener un dialogue politique renforcé et régulier, fondé sur le respect des principes essentiels du droit international et réaffirment un certain nombre d’objectifs commun en matière de stabilité interne et externe. Dans cet esprit, ils s’engagent, par la déclaration de principes suivante, à : - - - agir conformément à la charte des Nations Unies et à la Déclaration universelle des droits de l’homme, ainsi qu’aux autres obligations résultant du droit international, notamment celles qui découlent des instruments régionaux et internationaux auxquels ils sont parties ; développer l’État de droit et la démocratie dans leur système politique tout en reconnaissant dans ce cadre le droit de chacun d’entre eux de choisir et de développer librement son système politique, socioculturel, économique et judiciaire ; respecter les droits de l’homme et les libertés fondamentale, ainsi que garantir l’exercice effectif et légitime de ces droits et libertés, y compris la liberté d’expression, la liberté d’association à des fins pacifiques et la liberté de pensée, de conscience et de religion, individuellement ainsi qu’en commun avec d’autres membres du même groupe, sans aucune discrimination exercée en raison de la race, la nationalité, la langue, la religion et le sexe ; 434 - - - - - - - - - - considérer favorablement, à travers le dialogue entre les parties, les échanges d’informations sur les questions relatives aux droits de l’homme, aux libertés fondamentales, au racisme et à la xénophobie ; respecter et faire respecter la diversité et le pluralisme dans leur société et promouvoir la tolérance entre ses différents groupes et lutter contre les manifestations d’intolérance, le racisme et la xénophobie. Les participants soulignent l’importance d’une formation adéquate en matière de droits de l’homme et de libertés fondamentales ; respecter leur égalité souveraine ainsi que tous les droits inhérents à leur souveraineté et exécuter de bonne foi leurs obligations assumées, conformément au droit international ; respecter l’égalité des droits des peuples et leur droit à disposer d’eux-mêmes, en agissant à tout moment conformément aux buts et aux principes de la Charte des Nations Unies et aux normes pertinentes du droit international, y compris celles qui ont trait à l’intégrité territoriale des États, tels qu’ils figurent dans des accords entre parties concernées ; s’abstenir, en conformité avec les normes du droit international, de toute intervention directe ou indirecte dans les affaires intérieures d’un autre partenaire ; respecter l’intégrité territoriale et l’unité de chacun des autres partenaires ; régler leurs différends par des moyens pacifiques, inviter tous les participants à renoncer à la menace ou à l’emploi de la force contre l’intégrité territoriale d’un autre participant, y compris l’acquisition de territoires par la force, et réaffirmer le droit d’exercer pleinement la souveraineté par des moyens légitimes, conformément à la charte des Nations Unies et au droit international ; renforcer leur coopération pour prévenir et combattre le terrorisme, notamment par la ratification et l’application d’instruments internationaux auxquels ils ont souscrit, par l’adhésion à de tels instruments ainsi que par toute autre mesure appropriée ; lutter ensemble contre l’expansion et la diversification de la criminalité organisée et combattre le fléau de la drogue dans tous ses aspects ; promouvoir la sécurité régionale et, à cet effet, œuvrer, entre autres, en faveur de la non-prolifération nucléaire, chimique et biologique en adhérant et se conformant à une combinaison de régimes internationaux et régionaux de non-prolifération, et d’accords de limitation des armements et de désarmement, tels que le TNP, le CWC, la BWC, le CTBC, et/ou à des arrangements régionaux, comme des zones exemptes d’armes, y compris leurs systèmes de vérification, ainsi qu’en respectant de bonne foi leurs engagements au titre des conventions de limitation des armements, de désarmement, et de non-prolifération : Les parties s’emploieront à faire du Moyen Orient une zone exempte d’armes de destruction massive, nucléaire, chimique et biologique et de leurs vecteurs, qui soient mutuellement et effectivement contrôlable. En outre, les parties : envisageront des mesures pratiques afin de prévenir la prolifération d’armes nucléaires, chimiques et biologiques, ainsi qu’une accumulation excessive d’armes conventionnelles ; s’abstiendront de développer une capacité militaire qui aille au-delà de leurs besoins légitimes de défense, tout en réaffirmant leur détermination de parvenir au 435 - - même niveau de sécurité et d’instaurer la confiance mutuelle avec la quantité la moins élevée possible de troupes et d’armements et d’adhérer à la CCW ; favoriseront les conditions susceptibles de permettre l’établissement de relations de bon voisinage entre eux et soutenir les processus visant la stabilité, la sécurité et la prospérité ainsi que la coopération régionale et sous-régionale ; étudier les mesures de confiance et de sécurité qu’il conviendrait d’adopter en commun entre les participants en vue de la consolidation d’un « espace de paix et de stabilité en Méditerranée », y compris la possibilité de mettre en œuvre à cet effet un pacte euro-méditerranéen. PARTENARIAT ECONOMIQUE ET FINANCIER : CONSTRUIRE UNE ZONE DE PROSPERITE PARTAGEE Les participants soulignent l’importance qu’ils attachent au développement économique et social durable et équilibré dans la perspective de réaliser leur objectif de construire une zone de prospérité partagée. Les partenaires reconnaissent les difficultés que la question de la dette peut entraîner pour le développement économique des pays de la région méditerranéenne. Ils conviennent, compte tenu de l’importance de leurs relations, de poursuivre le dialogue afin de parvenir à des progrès dans les enceintes compétentes. Constatant que les partenaires ont à relever des défis communs, bien que se présentant à des degrés différents, les participants se fixent les objectifs à long terme suivants : - accélérer le rythme d’un développement socio-économique durable ; améliorer les conditions de vie des populations, augmenter le niveau d’emploi et réduire les écarts de développement dans la région euro-méditerranéenne ; promouvoir la coopération et l’intégration régionale. En vue d’atteindre ces objectifs, les participants conviennent d’établir un partenariat économique et financier qui, en tenant compte des différents degrés de développement, sera fondé sur : a) l’instauration progressive d’une zone de libre-échange ; la mise en œuvre d’une coopération et d’une concertation économique appropriées dans les domaines concernés ; l’augmentation substantielle de l’assistance financière de l’Union européenne à ses partenaires. Zone de libre-échange La zone de libre-échange sera réalisée à travers les nouveaux accords euroméditerranéens et des accords de libre-échange entre les partenaires de l’Union européenne. Les participants ont retenu l’année 2010 comme date objectif pour 436 instaurer progressivement cette zone qui couvrira l’essentiel des échanges dans le cadre des obligations découlant de l’OMC. En vue de développer le libre-échange graduel dans cette zone : les obstacles tarifaires et non tarifaires aux échanges des produits manufacturés seront progressivement éliminés selon des calendriers à négocier entre les partenaires ; en partant des flux traditionnels et dans la mesure permise par les différentes politiques agricoles et en respectant dûment les résultats atteints dans le cadre des négociations du GATT, le commerce des produits agricoles sera progressivement libéralisé par l’accès préférentiel et réciproques entre les parties ; les échanges de service y compris le droit d’établissement seront progressivement libéralisés en tenant dûment compte de l’accord GATT. Les participants décident de faciliter l’établissement progressif de cette zone de libreéchange en : - - b) adoptant des dispositions adéquates en matière de règles d’origine, de certification, de protection des droits de propriété intellectuelle et industrielle en concurrence ; poursuivant et développant des politiques fondées sur les principes de l’économie de marché et de l’intégration de leurs économies en tenant compte de leurs besoins et niveaux de développement respectifs ; procédant à l’ajustement et à la modernisation des structures économiques et sociales, la priorité étant accordée à la promotion et au développement du secteur privé, à la mise à niveau du secteur productif et à la mise en place d’un cadre institutionnel et réglementaire approprié pour une économie de marché. De même, ils s’efforceront d’atténuer les conséquences négatives qui peuvent résulter de cette ajustememnt au plan social en encourageant des programmes en faveur des populations les plus démunies ; promouvant les mécanismes visant à développer les transferts de technologie. Coopération et concertation économique : La coopération sera développée en particulier dans les domaines énumérés cidessous et à cet égard les participants : - - reconnaissent que le développement économique doit être soutenu à la fois par l’épargne interne, base de l’investissement, et par des investissements étrangers directs. Ils soulignent qu’il importe d’instaurer un environnement qui leur soit propice notamment par l’élimination progressive des obstacles à ces investissements, ce qui pourrait conduire aux transferts de technologies et augmenter la production et les exportations ; affirment que la coopération régionale, réalisée sur une base volontaire, notamment en vue de développer les échanges entre les partenaires eux-mêmes, constitue un facteur clé pour favoriser l’instauration d’une zone de libre-échange ; 437 - - - - - - - encourageant les entreprises à conclure des accords entre elles et s’engagent à favoriser cette coopération et la modernisation industrielle, en offrant un environnement et un cadre règlementaire favorable. Ils considèrent nécessaire l’adoption et la mise en œuvre d’un programme d’appui technique aux PME ; soulignent leur interdépendance en matière d’environnement, qui impose une approche régionale et une coopération renforcée, ainsi qu’une meilleure coordination des programmes multilatéraux existants, en confirmant leur attachement à la Convention de Barcelone et au PAM. Ils reconnaissent qu’il importe de concilier le développement économique avec la protection de l’environnement, d’intégrer les préoccupations environnementales dans les aspects pertinents de la politique économique et d’atténuer les conséquences négatives qui pourraient résulter du développement sur le plan de l’environnement. Ils s’engagent à établir un programme d’actions prioritaires à court terme, y compris en matière de lutte contre la désertification, et à concentrer des appuis techniques et financiers appropriés sur ces actions ; reconnaissant le rôle clé des femmes dans le développement et s’engageant à promouvoir la participation active des femmes dans la vie économique et sociale dans la création d’emplois ; soulignent l’importance de la conservation et de la gestion rationnelle des ressources halieutiques et de l’amélioration de la coopération dans le domaine de la recherche sur les ressources, y compris l’aquaculture, et s’engagent à faciliter la formation et la recherche scientifiques et à envisager la création d’instruments communs ; reconnaissant le rôle structurant du secteur de l’énergie dans le partenariat économique euro-méditerranéen et décident de renforcer la coopération et d’approfondir le dialogue dans le domaine des politiques énergétiques. Décident de créer les conditions-cadres adéquates pour les investissements et les activités des compagnies d’énergie, en coopérant pour créer les conditions permettant à ces compagnies d’étendre leurs réseaux énergétiques et de promouvoir les interconnexions ; reconnaissent que l’approvisionnement en eau ainsi qu’une gestion appropriée et un développement des ressources constituent une question prioritaire pour tous les partenaires méditerranéens et qu’il importe de développer la coopération en ces domaines ; conviennent de coopérer en vue de moderniser et de restructurer l’agriculture et de favoriser le développement rural intégré. Cette coopération sera axée notamment sur l’assistance technique et la formation, sur le soutien aux politiques mises en œuvre par les partenaires pour diversifier la production, sur la réduction de la dépendance alimentaire et sur la promotion d’une agriculture respectueuse de l’environnement. Conviennent également de coopérer en vue de l’éradication de cultures illicites et pour le développement des régions éventuellement affectées. Les participants conviennent également de coopérer dans d’autres domaines, et à ce égard : - soulignent l’importance d’un développement et d’une amélioration des infrastructures, y compris par la création d’un système efficace de transport, le 438 développement des technologies de l’information et la modernisation des télécommunications. A cet effet, ils conviennent d’élaborer un programme de priorités. - - c) s’engagent à respecter les principes de droit maritime international et en particulier la libre prestation de services dans le domaine du transport international et le libre accès aux cargaisons internationales. Les résultats des négociations commerciales multilatérales sur les services de transport maritime menées actuellement dans le cadre de l’OMC seront pris en compte une fois convenus ; s’engagent à encourager la coopération entre les collectivités locales en faveur de l’aménagement du territoire ; reconnaissant que la science et la technologie ont une influence significative sur le développement socio-économique, conviennent de renforcer les capacités propres de recherche scientifique et développement, de contribuer à la formation du personnel scientifique et technique, de promouvoir la participation à des projets de recherche conjoints à partir de la création de réseaux scientifiques ; conviennent de promouvoir la coopération dans le domaine statistique afin d’harmoniser les méthodes et d’échanger les données. Coopération financière Les participants considèrent que la réalisation d’une zone de libre échange et le succès du partenariat euro-méditerranéen reposent sur un accroissement substantiel de l’assistance financière qui doit favoriser avant tout un développement endogène et durable et la mobilisation des acteurs économiques locaux. Ils constatent à cet égard : - - - que le Conseil européen de Cannes est convenu de prévoir pour cette assistance financière des crédits d’un montant de 4.685 millions d’écus pour la période 19951999, sous forme de fonds budgétaire communautaires disponibles. A cela s’ajoutera l’intervention de la BEI sous forme de prêts d’un montant accru, ainsi que les contributions bilatérales des États membres ; qu’une coopération financière efficace, gérée dans le cadre d’une programmation pluriannuelle tenant compte des spécificités de chacun des partenaires est nécessaire ; qu’une gestion macro-économique saine revêt une importance fondamentale pour assurer le succès de leur partenariat. A cette fin, ils conviennent de favoriser le dialogue sur leurs politiques économiques respectives et sur la manière d’optimiser la coopération financière. 439 PARTENARIAT DANS LES DOMAINES SOCIAL, CULTUREL ET HUMAIN : DEVELOPPER LES RESSOURCES HUMAINES, FAVORISER LA COMPREHENSION ENTRE LES CULTURES ET LES ECHANGES ENTRE LES SOCIETES CIVILES Les participants reconnaissent que les traditions de culture et de civilisation de part et d’autre de la Méditerranée, le dialogue entre ces cultures et les échanges humains , scientifiques et technologiques sont une composante essentielle du rapprochement et de la compréhension entre leurs peuples et d’amélioration de la perception mutuelle. Dans cet esprit, les participants conviennent de créer un partenariat dans les domaines social, culturel et humain. A cet effet : - - - - - - - - ils réaffirment que le dialogue et le respect entre les cultures et les religions sont une condition nécessaire au rapprochement des peuples. A cet égard, ils soulignent l’importance du rôle que peuvent jouer les médias dans la connaissance et la compréhension réciproque des cultures, en tant que source d’enrichissement mutuel ; ils insistent sur le caractère essentiel du développement des ressources humaines, tant en ce qui concerne l’éducation et la formation notamment des jeunes que dans le domaine de la culture. Ils manifestent leur volonté de promouvoir les échanges culturels et la connaissance d’autres langues, respectant l’identité culturelle de chaque partenaire, et de mettre en œuvre une politique dura ; ils soulignent l’importance du secteur de la santé pour un développement et manifestent leur volonté d’encourager la participation effective de la collectivité aux actions de promotion de la santé et du bien-être de la population ; ils reconnaissent l’importance du développement social qui, à leur avis, doit aller de pair avec tout développement économique. Ils attachent une priorité particulière au respect des droits sociaux fondamentaux, y compris le droit au développement ; ils reconnaissent la contribution essentielle que peut apporter la société civile dans le processus de développement du partenariat euro-méditerranéen et en tant que facteur essentiel d’une meilleure compréhension et d’un rapprochement entre les peuples ; en conséquence, ils conviennent de renforcer et/ou de mettre en place les instruments nécessaires à une coopération décentralisée pour favoriser les échanges entre les acteurs de développement dans le cadre des législations nationales : responsables de la société politique et civile, du monde culturel et religieux, des universités, de la recherche, des médias, des associations, les syndicats et les entreprises privées et publiques ; sur cette base, ils reconnaissent qu’il importe de promouvoir les contacts et les échanges entre les jeunes dans le cadre de programmes de coopération décentralisée ; ils encourageront les actions de soutien en faveur des institutions démocratiques et du renforcement de l’État de droit et de la société civile ; 440 - - - - ils reconnaissent que l’évolution démographique actuelle représente un défi prioritaire auquel il convient de faire face par des politiques appropriées pour accélérer le décollage économique ; ils reconnaissent le rôle important que jouent les migrations dans leurs relations. Ils conviennent d’accroître leur coopération pour réduire les pressions migratoires au moyen, entre autres, de programmes de formation professionnelle et d’assistance à la création d’emplois. Ils s’engagent à garantir la protection de l’ensemble des droits reconnus par la législation existante des migrants légalement installés sur leurs territoires respectifs ; dans le domaine de l’immigration clandestine, ils décident d’établir une coopération plus étroite. Dans ce contexte, les partenaires, conscients de leur responsabilité pour la réadmission, conviennent d’adopter par la voie d’accords ou arrangements bilatéraux les dispositions et les mesures appropriées pour la réadmission de leurs ressortissants en situation illégale ; ils conviennent de renforcer la coopération par diverses mesures visant à prévenir et à combattre ensemble de façon plus efficace le terrorisme ; de même, ils estiment nécessaire de lutter ensemble et efficacement contre le trafic de drogues, la criminalité internationale et la corruption ; ils soulignent l’importance de lutter résolument contre les phénomènes racistes et xénophobes et contre l’intolérance et conviennent de coopérer à cette fin […]. -----------------------------------------------------------------------------------------------ANNEXE 6 EUROFOR- EUROMARFOR : DES CAPACITES EUROPEENNES EN MEDITERRANEE A. 1. L’AMBITION EUROPEENNE D’UNE CAPACITE TERRESTRE ET AEROMARITIME Une force régionale adaptée aux nouvelles missions C’est le 15 mai 1995, à Lisbonne, que les ministres des affaires étrangères et les ministres de la défense de l’Espagne, de la France et de l’Italie ont décidé de créer une force multinationale du niveau d’une division, dénommée « Euroforce opérationnelle rapide » (EUROFOR). Parallèlement à cette unité terrestre, fut simultanément décidée la mise en place d’une force maritime multinationale, préstructurée et non-permanente, avec des capacités aéronavales et amphibies : la Force maritime européenne (Euromarfor). Un protocole annexe, joint à la déclaration de Lisbonne, a pris acte du souhait du Portugal de participer à ces deux forces, qui fut entériné le 7 mai 1996 à Birmingham, lors d’une réunion des ministres des affaires étrangères et de défense, de ces quatre pays. 441 - La coopération militaire entre l’Italie, l’Espagne et la France est, au demeurant, antérieure à ces initiatives. Celles-ci sont en quelque sorte l’aboutissement de plusieurs exercices effectués en commun depuis de nombreuses années ainsi que de participations communes à des engagements extérieurs. La création des euroforces est directement lié à la volonté exprimée par l’UEO, lors de la réunion ministérielle de Petersberg en 1992, de pouvoir faire appel à des unités militaires, dans un ensemble varié de situations, et de donner ainsi un premier contenu concret à l’identité européenne de sécurité européenne de défense. La déclaration franco-italo-espagnole de Lisbonne relative à la création des euroforces précise que celles-ci « agissant indépendamment ou de manière combinée avec d’autres forces, peuvent être employées pour : des missions humanitaires ou d’évacuation de ressortissants, des missions de maintien de la paix, des missions de forces de combat pour la gestion des crises, y compris des opérations de rétablissement de la paix ». Cette référence explicite aux missions définies dans la déclaration de Petersberg illustre le lien fort entre les euroforces et l’UEO, dont elles relèvent en priorité, ce qui n’exclut pas pour autant la participation aux initiatives d’autres organisations internationales dans le domaine du maintien de la paix et du développement et de la sécurité. Toutefois, l’accomplissement de ces missions ne doit pas compromettre la participation des unités des euroforces au devoir de défense mutuel en application des traités de l’UEO et de l’Atlantique-Nord. Ainsi, la création de ces forces ne saurait amoindrir le niveau des engagements pris par les États participants au titre de la défense commune, afin de ne pas réduire les capacités opérationnelles de l’OTAN et de l’UEO. La déclaration n’assigne aucune limite à la zone géographique d’action des euroforces, celle-ci étant définie, pour chaque opération, en fonction de l’origine de la crise. De par les préoccupations communes aux trois pays fondateurs, leur vocation méditerranéenne est évidente mais leur champ d’intervention ne se limite pas à la Méditerranée. 2. Un cadre d’emploi souple L’emploi des euroforces, quel que soit leur cadre ou le type de mission, ne peut résulter que d’une décision commune des États participants. Sous réserve de ce préalable, plusieurs cadres d’emploi sont envisagés par la Déclaration de Lisbonne. Si l’on ne peut exclure l’emploi de la force dans un cadre purement quadrilatéral, à l’initiative des seuls États participants, telle n’est cependant pas l’hypothèse privilégiée. Les euroforces ont en effet principalement vocation à agir au profit d’organisations internationales, et en premier l’UEO ainsi que l’OTAN. Comme indiqué dans la déclaration de Lisbonne, les euroforces ont été déclarées « forces relevant de l’UEO » et seront employées prioritairement dans ce cadre. 442 Ce lien privilégié avec l’UEO implique l’association d’Eurofor et Euromarfor au processus de planification de l’UEO. Des liaisons étroites sont ainsi établies entre le commandant de chaque force et la cellule de planification de l’UEO. Elles ont pour but de définir les capacités susceptibles d’être mises à la disposition de l’UEO, mais aussi d’harmoniser et de coordonner la préparation des exercices et les structures de commandement. En cas d’opération conduite sous l’égide de l’UEO, le commandement opérationnel, ou le contrôle opérationnel des unités, sera assuré soit par le commandant de chacune des deux forces si l’UEO en décide ainsi, soit par le commandant de l’opération désigné par l’UEO. Les euroforces pourront également être employées dans le cadre de l’OTAN pour renforcer le pilier européen de l’Alliance, sur décision des États participants. Dans ce cas, les conditions de la participation des euroforces sont définies par le comité interministériel de haut niveau (CIMIN), après échange d’informations avec le Conseil de l’Atlantique Nord. L’évaluation des capacités militaires, l’élaboration des options militaires envisageables et la définition de la structure de commandement adaptée résulteront de contacts au niveau militaire entre les autorités militaires des États participants (incluant les éventuellement les commandants de l’une ou l’autre euroforce) et les autorités militaires de l’OTAN. Il est prévu que les États participants aux euroforces soient associés dés le départ à la planification des opérations, la planification opérationnelle finale étant approuvée d’un commun accord entre le Conseil de l’Atlantique Nord et le CIMIN. Le principe d’unicité de commandement devant être respecté, le commandant de l’Euromarfor et/ou celui de l’Eurofor assumera ses responsabilités opérationnelles définies dans le plan d’opérations et, le cas échéant, il exécutera les transferts d’autorité opportuns vers les commandants qui auront été désignés. En tout état de cause, la définition du volume de la force engagée, la nature de son articulation avec les forces de l’OTAN et les conditions d’emploi des euroforces sont décidées en dernier ressort par les États participants. La possibilité de participer à une action de l’OTAN implique une interopérabilité totale des euroforces avec l’ensemble des unités de l’Alliance. Celle-ci est d’ores et déjà garantie pour l’Euromarfor par l’emploi ancien des procédures et des standards de l’OTAN par les marines concernées, y compris le Marine française. En dehors de l’UEO et de l’OTAN, les Euroforces pourront être employées en application des résolutions du Conseil de sécurité de l’ONU et des décisions de l’OSCE ou, éventuellement, d’autres organisations internationales. 3. Le Comité Interministériel de Haut Niveau (CIMIN) - C’est en effet à cette instance, réunissant des responsables des affaires étrangères et de la défense de chacun des États participants qu’il revient : d’assurer la coordination politico-militaire, de fixer les conditions d’emploi de la force, de donner les directives à son commandant. De même, sera-t-il chargé de définir les conditions d’emploi de la force par l’UEO, l’OTAN et les autres organisations internationales. 443 Le Comité interministériel est composé des chefs d’états-major des armées et des directeurs politiques des ministères des affaires étrangères des États participant aux forces. IL siège une fois par an, en même temps que se tient le Conseil des Ministres de l’UEO. Par ailleurs, il peut de réunir à la demande d’au moins un État participant. Sa présidence est exercée par rotation, d’une durée d’un an, entre les 4 États participants. Le Comité interministériel dispose pour préparer et exécuter ses décisions, d’un groupe de travail politico-militaire, composé de représentants des ministères des affaires étrangères et de la défense. Ce groupe de travail est également chargé d’effectuer la synthèse des activités de trois sous-groupes de mise en œuvre : le sous-groupe Eurofor, le sous-groupe Euromarfor et les sous-groupe des experts juridiques. -------------------------------------------------------------------------------------------- Annexe 7 Activités relevant des opérations de « maintien de la paix » Activité militaires - - Déploiement préventif d’observateurs ou de forces militaires Surveillance et respect d’une zone d’exclusion aérienne, d’un embargo et de certains accords de paix Négociation de cessez-le-feu, et/ou d’une trêve Surveillance des zones démilitarisées, supervision d’un échange de prisonniers de guerre Interposition, surveillance et vérification de la séparation, du retrait et du nonretour des forces Assistance, vérification, surveillance ou supervision à l’occasion d’un regroupement, d’un cantonnement, d’une réduction et d’une démobilisation de troupes régulières et irrégulières, modernisation des forces militaires Activités de contrôle des armements et déminage (y compris formation et sensibilisation, surveillance de l’arrêt d’un soutien militaire extérieur) Activités liées à la sécurité : . contrôle des frontières et contrôle des mouvements ; . protection du personnel de l’ONU et de ses institutions ; . instauration et maintien de la sécurité des ports, aéroports et lignes de communication nécessaires à l’acheminement de l’aide humanitaire ; protection des convois humanitaires ; . aide pour la démarcation des frontières. 444 ACTIVITES DE POLICE - Surveillance et encadrement de la police locale Mise sur pied d’une nouvelle force de police Surveillance de la formation de la police Surveillance de la neutralité de la police ACTIVITES D’AIDE HUMANITAIRE - Approvisionnement ou coordination de l’approvisionnement en eau, électricité, aide médicale d’urgence, nourriture, courrier Dénonciation des violations importantes du droit humanitaire international Rapatriement et adaptation Assistance économique et aide au développement ACTIVITES EN MATIERE ELECTORALE - Observation, surveillance et vérification du déroulement du scrutin Assistance technique pour l’organisation d’un scrutin Identification et enregistrement des électeurs Organisation d’élections libres et régulières -----------------------------------------------------------------------------------------------------ANNEXE 8 Les principaux traités internationaux Nucléaire - - - Traité de non-prolifération (TNP) : signé en 1968 par 62 pays, il oblige les États ne possédant pas l’arme nucléaire à renoncer à sa production ou à son acquisition. Le traité a été prorogé en 1994. Accords SALT (Strategic Arms Lilitation Talks) : cette première série de négociations entre les États-Unis et la Russie aboutit en 1972, avec la signature de documents limitant les armes stratégiques offensives. Un traité SALT II , devant remplacer SALT I, est signé en 1979, mais jamais ratifié. Traité ABM (antiballistic missile) : limitant les systèmes de défense anti-missile, il est également signé entre les États-Unis et la Russie en 1972. Accords START (Strategic Arms Reduction Talks) signé en 1991, ils portent sur le nombre de têtes nucléaires que chaque pays s’engage à réduire. START II réduisant davantage le nombre de têtes nucléaires est signé en 1993. 445 - Traité d’interdiction complète des essais, TICE (Comprehensive Test Ban Treaty : CTBT), conclu en 1995, il a été signé par 165 États dont la Russie et les États-Unis. Mais seuls 92 pays l’ont ratifié, les États-Unis n’en faisant pas partie. Armes Biologiques et chimiques - Convention d’interdiction des armes biologiques : signée en 1972. 144 États l’ont ratifiée. Convention d’interdiction des armes chimiques : signée le 13 janvier 1993 par 125 États, elle interdit les armes chimiques et en impose la destruction. 145 États l’ont ratifiée à ce jour. Armes conventionnelles - - La convention d’Ottawa : signée en février 1997 , elle interdit les mines antipersonnel. Elle devait entrer en vigueur le 1er mars 1999. Les États-Unis ont refusé de la ratifier. La Convention de Genève en 1980 : elle interdit certains types d’armes (armes incendiaires, lasers aveuglant, mines antichar et antipersonnel). Les États peuvent signer l’un ou l’autre des quatre protocoles. Les États-Unis ont refusé de signer le protocole sur les armes incendiaires (napalm). Les Arrangements (sans valeur juridique contraignante) - - L’Arrangement de Wassenaar : signé en décembre 1995, il unit 33 pays producteurs d’armes de haute technologie et définit celles qui ne doivent pas être exportées vers certains pays. Le Missile Technology Control Regime : signé en 1987, il définit les technologies balistiques qui ne doivent pas être exportées. ------------------------------------------------------------------------------------------------------ANNEXE 9 CONVENTIONS RELATIVES AU DESARMEMENT AUXQUELLES L’ALGERIE EST PARTIE - - Protocole concernant la prohibition d’emploi de gaz asphyxiants, toxiques ou similaires et moyens bactériologiques, signés à Genève le 17 juin 1925 ; Adhésion : décret présidentiel no 91-341 du 28 septembre 1991, Publication : Journal officiel no 47 du 9/10/1991, Entrée en vigueur pour l’Algérie : 08/01/ 1992. (Dépositaire : France) ; Traité interdisant de placer des armes nucléaires et d’autres armes de destruction massive sur le fond des mers et des océans ainsi que dans leur sous-sol, signé à Genève le 18 mai 1977 ; 446 - - - - - Adhésion : décret présidentiel no 91-343 du 28/09/1991. (Dépositaire : LondresWashington- Moscou) ; Convention sur l’interdiction d’utiliser des techniques de modification de l’environnement à des fins militaires ou toutes fins hostiles, signée à Genève le 18 Mai 1977 ; Adhésion : décret présidentiel no 91-344 du 28-09-1991, Publication : Journal officiel no 47 du 09/10/1991, Entrée en vigueur pour l’Algérie : 19/12/1991. (Dépositaire S.G- ONU ; Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires, signé à NewYork le 1er Juillet 1968 ; Adhésion : décret présidentiel no 94-287 du 21/09/1994, Publication : Journal Officiel no 62 du 02/10/1994, (Dépositaire : USA- Grande Bretagne -URSS) ; Convention sur l’interdiction de la mise au point, de la fabrication, du stockage et de l’emploi des armes chimiques et sur leur destruction, signée le 13/01/1993 à Paris ; Ratification : Décret présidentiel no 95/157 du 03 juin 1995, Publication : Journal officiel no 31 du 07/06/1995, Entrée en vigueur pour l’Algérie : 17/08/1995. (Dépositaire : S/G ONU) ; Traité sur la zone exempte d’armes nucléaires en Afrique (Traité de PELINPADA), signé au Caire le 11/04/1996 ; Traité d’interdiction complète des essais nucléaires : signé le 24 septembre 1996 à New York. Signé par l’Algérie : le 06/10/1996 ; Convention sur les mines anti-personnel : Signé à Ottawa, les 03 et 04 décembre 1997. Signée par l’Algérie le 04 Octobre 1997. ------------------------------------------------------------------------------------------------- ------------------------------------------------------------------------------------------------Annexe 10 Communiqué du Sommet de l’OTAN à Istanbul, 28-29 juin 2004 1. Nous, Chefs d’Etats et de Gouvernements des pays membres de l’Alliance Nord Atlantique, ont réaffirmé aujourd’hui la valeur du lien transatlantique et de l’OTAN comme la base de notre défense collective et comme forum essentiel de consultation sécuritaire entre l’Europe et l’Amérique du Nord. Nos 26 nations sont unies dans la démocratie, la liberté individuelle et l’état de droit. Ils sont fidèles aux objectifs et aux principes des Nations Unies. Inspirés par la vision commune illustrée par le Traité de Washington, nous sommes pleinement engagés à la défense collective de nos populations, de nos territoires et de nos forces. La coopération transatlantique est essentielle pour défendre nos valeurs et pour faire face aux menaces et défis d’où qu’ils viennent. 2. Lors du dernier Sommet à Prague, en 2002, nous avons accepté de transformer notre Alliance avec l’adhésion de nouveaux membres, de nouvelles capacités, et de nouvelles relations avec nos partenaires. Il y a 447 - - quelques mois, le plus important round d’élargissement a eu lieu avec l’adhésion de sept nouveaux pays – la Bulgarie, l’Estonie, la Latvie, la Roumanie, la Slovaquie et la Slovénie. Aujourd’hui, à notre Sommet d’Istanbul, nous avons donné une meilleure direction à cette transformation afin d’adapter les structures, les procédures et les capacités de l’OTAN aux défis de ce siècle. Nous soulignons le fait que ces efforts ne devraient pas être perçus comme une menace par n’importe quel pays ou organisation. Notre Alliance prend en charge une série de missions pour promouvoir la stabilité là où il est nécessaire de défendre notre sécurité et nos valeurs. 3. Nous avons décidé, aujourd’hui : - d’étendre la force d’aide à la sécurité internationale menée par l’OTAN en Afghanistan (International Security Assistance Force – ISAF), en incluant les équipes de reconstruction locales et en encourageant la tenue des élections ; - de terminer l’opération de la SFOR en Bosnie-Herzgovine et d’acceuillir positivement la décision de l’Union européenne de déployer une nouvelle mission dans le pays, mandatée par le chapitre VII des Nations Unies et basée sur les arrangements de Berlin développés entre les deux organisations : il est confirmé que la présence substantielle de la KFOR est essentielle pour renforcer la sécurité et promouvoir le processus politique au Kosovo ; il est décidé de renforcer la contribution de notre opération maritime en Méditerranée contre le terrorisme avec l’Operation Active Endeavour ; il est décidé de donner une aide au Gouvernement en Irak avec la formation de ses forces de sécurité, en conformité avec la déclaration concernant l’Irak ; d’adopter une série de mesures pour renforcer notre contribution individuelle et collective à la lutte de la communauté internationale contre le terrorisme : de faire avancer la transformation de nos capacités militaires pour les rendre plus modernes, plus fonctionnelles, et plus déployables ; de réaffirmer que la porte de l’OTAN reste ouverte aux nouveaux membres, et d’encourager les réformes entreprises par l’Albanie, la Croatie et l’ancienne république yougoslave de Macédoine pour progresser vers l’adhésion à l’OTAN ; de renforcer le Partenariat euoatlantique notamment dans les régions stratégiquement importantes du Caucase et d’Asie Centrale ; de renforcer le Dialogue méditerranéen et d’offrir une coopération étendue au grand Moyen Orient à travers l’Initiative de Coopération d’Istanbul. 4. La priorité clé de l’OTAN est de contribuer à la paix et à la stabilité en Afghanistan. La direction par l’OTAN de la Force d’Aide à la Sécurité Internationale démontre la décision du Conseil Nord Atlantique de lancer des opérations pour assurer la sécurité commune. L’objectif de l’OTAN est d’aider à l’émergence d’un Afghanistan sécurisé et stable avec un gouvernement représentatif de la population et intégré à la communauté internationale, coopérant avec ses voisins. L’établissement d’une paix soutenue en Afghanistan est essentielle au bien être du peuple afghan et à notre lutte contre le terrorisme. Nous demeurons engager à contribuer aux forces de l’ISAF pour compléter notre mission avec succès en Afganistan. 5. Nous continuerons en consultation avec le gouvernement Afghan à étendre 448 l’ISAF par étapes à travers l’Afghanistan par l’établissement d’équipes supplémentaires de reconstruction locale. Nous contribuerons à coordonner et coopérer avec l’Operation Enduring Freedom comme prévu. L’organisation d’élections au niveau national d’élections sera fondamentale pour le développement de la démocratie et de la paix en Afghanistan. En réaction à la demande du président Karzai, l’ISAF soutient le processus d’inscription des électeurs et fournira une aide aux autorités afghanes en assurant la sécurité durant les élections avec tous ses moyens et toutes ses capacités. Après les élections, il reviendra au gouvernement afghan de développer un plan à long terme qui réponde à l’accord de Bonn, pour promouvoir la réconciliation nationale, la stabilité et le respect des droits de l’homme. L’ISAF a contribué au des milices et à la protection des armements. Le processus de Bonn est en voie et des institutions politiques légitimes se développent. Les projets de reconstruction, la réforme du secteur de la sécurité et d’autres initiatives améliorent la vie quotidienne de nombreux citoyens. Nous condamnons fermement les attaques menées contre les employés civils d’aide qui font un travail important pour le futur de l’Afghanistan. 6. Nous demandons aux autorités afghanes de poursuivre le désarmement, la démobilisation et le processus de réintégration, avec en particulier, le retrait des unités militaires de Kaboul et des autres centres urbains. Nous accorderons une aide appropriée aux autorités afghanes, dans le cadre de l’ISAF, dans la lutte contre la production et le trafic des narcotiques. Nous sommes préparés à aider le gouvernement afghan à construire un meilleur futur à l’Afghanistan en coopération avec l’Operation Enduring Freedom, la mission d’aide des Nations Unies, l’Union européenne et autres organisations internationales sur le terrain. Nous demandons aux voisins de l’Afghanistan de contribuer à cet effort en conformité avec les souhaits des autorités afghanes. Nous attendons un rôle futur de l’Eurocorps dans cet effort de reconstruction. 7. L’environnement sécuritaire, dans la région stratégiquement importante des Balkans, est stable mais demeure fragile. L’Alliance demeure engagée à défendre la paix et la stabilité dans les Balkans, l’intégrité territoriale et la Souveraineté de tous les pays dans la région. Nous resterons engagés jusqu’à ce que la paix et la sécurité soient fermement établies et que l’intégration progressive de tous les pays des Balkans dans les structures euroatlantiques soit achevée. Tous les pays de la région doivent appliquer les réformes pressantes. Une coopération plus étroite dans leur propre région amènera la stabilité et la prospérité. Nous soulignons également le fait que tous les pays concernés doivent coopérer pleinement avec le Tribunal International pour l’ancienne Yougoslavie et poursuivre en justice notamment Rodovan Karadzic et Ratko Mladic, ainsi que Ante Gotovina en accord avec les résolutions 1503 et 1534 du Conseil de sécurité des Nations Unies 8. Comme la situation sécuritaire en Bosnie et en Herzégovine a évolué positivement, nous avons décidé de mettre fin à l’opération menée avec succès de la SFOR d’ici la fin de l’année. L’engagement politique et à long terme de l’OTAN en Bosnie et en Herzégovine demeure inchangé et l’établissement de quartiers généraux de l’OTAN constituera une présence militaire. Le quartier général de l’OTAN à Sarayevo a pour principale tache de donner 449 des conseils sur la réforme de la défense, d’organiser le contre-terrorisme en assurant une force de protection, de soutenir le Tribunal International contre les crimes de guerre. Les accords de Dayton et de Paris demeurent la base pour la paix et la sécurité en Bosnie et en Herzégovine. 9. Au Kosovo, une présence solide de la KFOR demeure essentielle pour renforcer la sécurité et promouvoir le processus politique. Nous réaffirmons notre engagement à un Kosovo sécurisé, stable et multi-ethnique sur la base de l’application complète de la résolution 1244 du Conseil de Sécurité des Nations Unies.1 1 Texte traduit de l’anglais par l’auteur de la thèse. 450