Venant par derrière dans la foule, elle toucha son manteau.
Car elle se disait : si je touche au moins ses vêtements, je serai sauvée.
Et aussitôt la source d’où elle perdait le sang fut tarie, et elle sentit dans son corps qu’elle était
guérie de son infirmité.
Si je touche au moins ses vêtements
Dans l’Orient ancien, le vêtement est le symbole de la personnalité. Toucher le vêtement de
quelqu’un, c’est l’atteindre lui-même. L’Antiquité pratique aussi le contact physique du malade
avec le corps du guérisseur. Ici, ce contact réussit, l’hémorragie cesse instantanément.
Aussitôt Jésus eut conscience de la force qui était sortie de lui, et, s’étant retourné dans la foule, il
disait : Qui a touché mes vêtements ?
Qui a touché mes vêtements ?
La vivacité de sa question, de son regard, modifie le récit. Il n’est plus question de guérisseur, mais
du Maître. Il veut savoir qui a eu cette audace. Il s’arrête aussitôt pour dialoguer avec cette femme.
Jésus ne se laisse pas gagner par l’anxiété de Jaïre qui craint pour son enfant.
Les disciples lui disaient :
Tu vois la foule qui te presse de tous côtés, et tu dis : qui m’a touché ?
Jésus regardait autour de lui pour voir celle qui avait fait cela.
Alors la femme, craintive et tremblante, sachant bien ce qui lui était arrivé, vint se jeter à ses pieds
et lui dit toute la vérité.
Craintive et tremblante.
La femme se jette aux pieds de Jésus, non sans crainte, à cause de la Loi. Mais Jésus ne pense pas à
la Loi. Il entend le cœur de cette femme et la portée de ce qui vient de se passer : la foi, sa foi, l’a
sauvée.
Elle est guérie, mais, surtout, elle est sauvée.
Jésus dit à la femme : ma fille, ta foi t’a sauvée ;
va en paix et sois guérie de ton infirmité.
Va en paix et sois guérie de ton infirmité.
Cette femme va retourner à sa vie discrète, anonyme, Mais aussi à une autre histoire.
Car sa foi au Christ, la confiance qu’elle lui a fait, ont provoqué, à l’insu de Jésus, sa guérison et
son salut. Elle est délivrée de tout mal, celui de l’infirmité, mais aussi celui qui la tenait loin des
siens.
Elle est désormais vivante, pleinement.
Ouvrir un passage.
Deux récits enchâssés. Pour une unique finalité : raconter le salut.
Si notre Dieu n’est pas au cœur de la souffrance humaine, alors, il n’y a rien à dire de Lui.
Jaïre est le chef de la Synagogue, autrement dit le président du conseil des anciens. Lui est sa fille
appartiennent à l’élite, une famille tout à fait convenable, pieuse et bien pensante.
Ils sont au sommet de la société civile et religieuse. Mais sa fille est malade.
Alors plus rien n’existe de cette respectabilité. Il est, comme tout un chacun, perdu.
Comme cette pauvre femme ; elle tout tenté, en vain, depuis qu’elle est atteinte d’une perte de sang
qui prend sa vie, toute sa vie.
Le sang porte une symbolique redoutable. Le perdre inutilement, c’est, dans la tradition juive, être
exclue de la communauté. Car cette perte évoque la mort.
Il lui est donc interdit d’apparaître en public, de se mêler à la foule, pire encore, de toucher, de
toucher un homme – surtout un rabbi. Elle est doublement rejetée : à cause de sa maladie et de son
comportement jugé scandaleux par nombre de ceux qui sont là.
Jaïre et cette femme : deux douleurs insoutenables
La douleur est une impasse, elle clôt l’existence, l’étouffe, l’encercle. Elle est absurde.
Vouloir lui donner une explication, lui trouver une raison, est une souffrance infligée en plus.
La douleur nous déloge de nous-mêmes tout en nous séquestrant en même temps.
Pas de tri ou de hiérarchie dans les souffrances. Perdre son enfant ou sentir ses forces disparaître les
unes après les autres, sans ami ni appui, est une unique souffrance de l’être, jusqu’en son âme.