nation spécifiquement exceptionnelle. Et seul l’enseignement primaire a pu amorcer son
entreprise de « nationalisation », ce qui, il est vrai, promettait à terme une génération de bons
patriotes et de vrais républicains. Pour le reste, la communauté nationale désagrégée ne s’est
sentie liée que par des sentiments négatifs : après 1800, elle s’est repliée sur soi et sur le foyer
domestique ou s’est tournée vers un passé dont elle pouvait se féliciter : le Siècle d’Or
. Le
patriotisme alors s’est orienté vers la petite patrie où seraient cultivées les vertus privées, dans
l’attente de la résurrection de la grande. Ce repli sur soi et cette mélancolie ne sont certes pas
l’apanage de tous les peuples déçus par la Révolution : ainsi, sur la rive droite du Rhin, Fichte
adopte dès 1806 un ton illuminé pour chanter la résurgence prochaine du grand peuple
allemand : la Teutsche Nation. A cette date, il est pourtant encore seul à y croire.
Si la nationalisation a été pour une grande part un échec et l’étatisation une réussite
certaine, mais limitée - puisqu’elle n’est pas parvenue à subtiliser toutes leurs prérogatives
aux Etats ou aux provinces -, les révolutions ont inventé et pratiqué durant plusieurs années
une culture républicaine et démocratique, qui laissera des traces dans l’imaginaire des
peuples. Que ce soit la participation populaire, perceptible dans les clubs et les sociétés ou
dans les assemblées primaires; que ce soient les élections fréquentes et tumultueuses ; la
presse et l’imprimé politiques ; les fêtes et les cérémonies ; les monuments et les musées ; les
manifestations et les insurrections : l’école de la révolution est un apprentissage à la fois
républicain et démocratique. Mais ces avancées sont-elles semblables d’un bord à l’autre de
l’Atlantique ?
Républicanisme ou constitutionnalisme ?
Alors que se raffermit la grande république américaine, dans les années 1800, c’est un
mouvement inverse qui se produit sur le continent – Suisse excepté, ce qui dit bien dans
quelle estime elle est tenue par les grandes puissances. La France donne le ton en 1804 quand
elle adopte une monarchie héréditaire et confère le titre d’empereur à Napoléon Bonaparte ; la
Hollande suit en 1806 quand, sur les instances du même Napoléon, est proclamé dans une des
plus anciennes républiques modernes le royaume de Hollande. Qu’en 1813, il ne soit
aucunement question de restaurer la république des Provinces-Unies suggère que le système
monarchique avait eu le temps de s’implanter et de séduire les esprits. Le républicanisme
batave était-il définitivement mort et enterré ? Et s’il l’était, quelle pouvait en être la raison ?
L’idée républicaine ne date pas de la révolution, mais la précède. En 1750, le marquis
d’Argenson se plaignait déjà du « républicanisme » qui hantait les esprits et qui discréditait le
« monarchisme »
. Dès lors, on a vu Européens et Américains défendre les principes qui en
auraient été à la base : liberté; égalité; vertu civique, amour de la patrie et souci du bien
général ; gouvernement des lois et non des hommes. Les Lumières en vérité étaient toutes
imprégnées d’un républicanisme classique, enrichi par l’apport des philosophes écossais, dont
on a dit l’impact chez des hommes comme Roederer et Sieyès
. Contre les abus constatés
N.C.F. van Sas, De metamorfose van Nederland… Après Waterloo, il en ira autrement. Les Pays-Bas rejettent
en bloc toutes les institutions étrangères et se flattent de tout reconstruire, conformément au « génie national » -
ce qui ne veut pas dire que ne subsistent des emprunts étrangers. Voir M. van der Burg, ouvrage cité.
Sur les frustrations vécues dans le présent et le mythe de l’âge d’or à venir, M. Levinger & P.F. Lytle, « Myth
and Mobilisation : the triadic structure of nationalist rhetoric », Nations and Nationalism, 7, 2001, pp. 175-194.
R. Monnier, « Républicanisme et Révolution française », French Historical Studies, 26, 1, 2003 et K.M.
Baker, « Transformations of Classical Republicanism in Eighteenth Century France », The Journal of Modern
History, 73, 2001, pp. 32-53. Pour Baker, le langage républicain sous l’Ancien Régime est oppositionnel. Ce
n’est pas un modèle à imiter, mais un diagnostic critique. Cela se peut, mais la création de la république
américaine met fin à cet état de chose. Elle démontre qu’une république moderne est possible.
Rodgers, op.cit., p.36 et J. Isaac, « Republicanism vs. Liberalism : A reconsideration», op.cit., p. 359 et
article cité de Kloppenberg.