COMMENT PRENDRE EN CHARGE
LES BACTÉRIES VRAIMENT
MULTI-RÉSISTANTES
Jean Carlet
Chef de Service en Réanimation Polyvalente. Fondation Hôpital Saint-
Joseph Paris, 185 rue Raymond Losserand, 75674 Paris cedex 14.
INTRODUCTION
Les bactéries sont devenues, au fil des années, de plus en plus résistantes
aux antibiotiques. Notre utilisation débridée de ce type de médicaments n’est
pas étrangère à ce phénomène [1]. Chez certains patients, il ne reste plus grand
chose pour traiter les infections, graves ou non, et les cliniciens commencent
à être vraiment inquiets.
1.
QU’EST CE QU’UNE BACTÉRIE «VRAIMENT» MULTI-RÉSISTANTE ?
Il n’existe pas de définition consensuelle d’une bactérie multi-résistante. Cer-
tains exigent une résistance à trois classes d’antibiotiques, par des mécanismes
différents. Cependant, les niveaux de résistance et donc la difficulté thérapeuti-
que, peuvent être très différents en appliquant cette définition. Pour le clinicien,
il existe en effet une différence majeure entre le traitement d’une infection liée
à un Enterobacter cloacae résistant à pipéracilline - tazobactam, aux céphalospo-
rines de troisième génération, et à la gentamicine, mais sensible au céfépime,
à l’imipénème et à l’amikacine et le traitement d’une infection à Pseudomonas
aeruginosa résistant à tous les antibiotiques testés, sauf la colimycine. Dans ce
dernier cas, tous les nouveaux antibiotiques à large spectre, en particulier les
carbapénèmes, dernier rempart de notre armement thérapeutique sont devenus
inopérants (Tableau I). Il s’agit alors d’une souche « vraiment multi-résistante ».
On peut dans ce cas parler de retour à l’ère « pré-antibiotique ».
Tableau I
Résistance des bacilles à Gram négatifs « multi-résistants »
Cefotaxime Cefepime Tazocilline Imipeneme Tigecycline Colistine
E. Coli avec BLSE R R S S S S
E. cloacae avec
céphalosporinases R S* S/R* S S S
P. aeruginosa
Multi R R R S/R* R** R S
Acinetobacter
Multi-R R R S/R* R** S S
* suivant les souches
** si présence d’une métallo-enzyme ou d’une imipénémase
BLSE : ßlactamases à spectre étendu
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2. NIVEAUX ACTUELS DE RÉSISTANCE AUX ANTIBIOTIQUES
La France était dans une position peu enviable il y a une dizaine d’années.
Des efforts considérables ont été faits depuis et ont porté leurs fruits. La résis-
tance du staphylocoque à la méticilline diminue, lentement (28 % en 2005
contre 33 % en 2003) alors qu’elle explose dans d’autres pays (Royaume Uni,
USA…) [2]. Les souches de staphylocoques intermédiaires aux glycopeptides
(GISA) ne se sont pas installées durablement, et il n’y a que quelques souches
résistantes à la vancomycine aux USA (VRSA). Par contre, les épidémies liées à
des entérocoques résistants à la vancomycine (VRE) se développent dans notre
pays, jusque là respecté [3].
La sistance aux bacilles à gram négatif (BGN) est encore plus préoccupante.
Les colibacilles sont assez souvent résistants aux quinolones (15 à 20 %), et
certains sont porteurs de ßlactamases à spectre étendu (ßLSE) [2], ce qui les
rend résistants aux phalosporines de troisième nération. C’est une évolution
extrêmement problématique car le colibacille est porté par l’ensemble de la race
humaine et reste responsable de la majorité des infections graves.
Des souches « vraiment multi-résistantes » ne sont pas rares chez Entero-
bacter cloacae, Acinetobacter spp, Stenotrophomonas maltophilia, Pseudomonas
aeruginosa. Dans certains cas, heureusement encore assez rares, il ne reste
plus pour traiter ces bactéries qu’un « vieil » antibiotique, la colimycine, et
parfois la fosfomycine, la minocycline et plus rarement le sulfaméthoxazole-
triméthoprime.
3. DE QUELS ANTIBIOTIQUES «VRAIMENT» NOUVEAUX DISPO-
SONS-NOUS ?
D’assez nombreux nouveaux antibiotiques ont été commercialisés ces der-
nières années contre les cocci à gram positif résistants. Il s’agit de l’association
quinupristine - dalfopristine, du linézolide, des ketolides, de la daptomycine
(Tableau II).
Tableau II
Nouveaux antibiotiques actifs sur le Staphylococcus aureus
résistant à la méticilline
Nom
commercial DCI Famille GISA/
MRSA VRE Non actif
sur
Synercid® Dalfopristine
Quinupristine
Synergistines + + BGN
Zyvoxid® Linézolide Oxazolidinones + + BGN
Daptomycine Lipopeptides + + BGN
Tigecycline Glycylcyclines + + Pseudomonas,
Proteus
Ceftobiprole Céphalosporines + + Pseudomonas
Acinetobacter
BGN bacille à Gram négatif
ERV Entérocoque résistant à la vancomycine
« GISA » Staphylococcus aureus intermédiaire aux glycopeptides
« VRSA » Staphylococcus aureus résistant à la vancomycine
Pathologie infectieuse 591
On peut ainsi maintenant éviter la monotonie antibiotique par les glycopep-
tides, qui était la règle dans les années 90. Des médicaments nouveaux sont
attendus : le ceftobiprole est une céphalosporine très active sur les SARM. Elle
a un spectre par ailleurs grossièrement identique à celui du cefotaxime. La tigé-
cycline, une nouvelle glycylcycline, très active sur tous les cocci à gram positif
y compris les MRSA, GISA, VRSA, VRE, et active sur la plupart des BGN sera
disponible probablement prochainement [4].
Par contre, les nouveaux produits sont rares contre les BGN multi-
résistants.
Les nouveaux carbapénèmes (meropenem, doripenem) n’ont pas un spec-
tre beaucoup plus large que l’imipénème, chef de file. Le seul produit vraiment
nouveau est la tigécycline [4]. Outre son activité sur les cocci à gram positif, ce
produit est actif sur les entérobactéries multi-résistantes, les Acinetobacter spp.
Par contre ce produit n’a pas d’activité sur le pseudomonas, ce qui rendra son
emploi en empirique assez difficile (Tableau I).
4. QUELS SONT LES ANTIBIOTIQUES QUI RISQUENT DE DISPA-
RAÎTRE, ET QUI SONT POURTANT INDISPENSABLES ?
De nombreuses firmes pharmaceutiques ont tendance à abandonner des
antibiotiques considérés comme très utiles par les cliniciens. C’est le cas du
sulbactam, inhibiteur des ßlactamases bien actif sur les souches d’Acinetobacter,
de la cefoxitine, cephamycine active sur les entérobactéries porteuses d’une
ßLSE, du céfépime, céphalosporine récente active sur les céphalosporinases
chromosomiques inductibles dites « déréprimées » (Enterobacter cloacae, E.
aerogenes, Citrobacter freundii…), du sulfaméthoxazole-triméthoprime. Ces
antibiotiques étant des « niches thérapeutiques », ils ne représentent pas un
intérêt financier pour les firmes et il faudra se battre pour les conserver.
5. STRATÉGIES THÉRAPEUTIQUES
D’une façon générale, mais particulièrement lorsqu’un microorganisme n’est
plus sensible qu’à quelques antibiotiques, il est particulièrement important de
respecter certaines règles [5] : essayer d’obtenir le plus vite possible des taux
plasmatiques et tissulaires élevés, utiliser une bithérapie, mais uniquement en
fonction du germe en cause (colimycine + fosfomycine par exemple pour un
pseudomonas, imipénème seul sur pour un acinetobacter), surveiller les taux
plasmatiques pour optimiser la pharmacocinétique et réduire la toxicité, surveiller
la bactérie visée par des prélèvements sans traitement.
Pour certains produits ayant un effet « temps dépendant », il est utile d’uti-
liser une perfusion continue, après un bolus initial. Les deux produits les plus
souvent utilisés de cette façon sont la vancomycine et la ceftazidime. Les taux
plasmatiques recherchés doivent être assez élevés 30 à 40 µg.ml-1 pour éliminer
les bactéries rapidement et éviter de sélectionner des bactéries encore plus
résistantes [6].
Dans certains cas de pneumopathies, en particulier nosocomiales, on peut
également utiliser certains produits par aérosol ultrasonique. C’est le cas des
aminosides (nebcine, amikacine) [7] et de la colimycine. Les taux pulmonaires
obtenus paraissent particulièrement élevés chez l’animal [8]. Des études sont
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en cours pour apprécier l’efficacité exacte de cette voie d’administration chez
l’homme en particulier sous ventilateur.
6. LA COLIMYCINE : ANCIEN MAIS PARFOIS DERNIER ANTIBIOTI-
QUE DES BACTÉRIES «VRAIMENT» RÉSISTANTES
Dans de rares cas, certains BGN (Pseudomonas, Enterobacter, Acineto-
bacter…) peuvent être résistants à tous les antibiotiques à l’exception de la
colimycine.
Le produit est alors utilisé par voie intraveineuse, à la dose classique de
2 millions d’unités toutes les 8 heures.
La toxicité paraît paradoxalement très modérée à cette dose et des succès
intéressants ont été notés dans plusieurs études [9, 10]. On pourrait sans doute,
avec prudence, tester des doses supérieures. Le produit peut également être
employé en aérosol.
CONCLUSION
Certaines bactéries, aussi bien Gram + que Gram - sont devenues extrê-
mement résistantes aux antibiotiques, forçant parfois à revenir à des très vieux
produits comme la colimycine.
De nouveaux produits sont impératifs et la recherche pharmaceutique, en
chute libre ces dernières années, doit être favorisée et facilitée.
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
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[4] Rello J. Pharmacokinetics, pharmacodynamics, safety and tolerability of tigecycline. J Che-
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