1
Séminaire Palais du Luxembourg 4 juillet 2005
« Quel programme pour les secondes rencontres internationales
AFRIQUE 2006
CIDEGEF / Ville-Management
Intervention sur le thème « Démocratie et Management local »
à partir des Rencontres nationales de Nancy et de Bayonne
et des Premières Rencontres internationales de Québec
Gérald Orange
Professeur de Sciences de gestion
Directeur de l’IAE - Université de Rouen
Membre du bureau de la CIDEGEF
Il est difficile de résumer en quelques minutes la richesse de trois Rencontres
Nancy en novembre 2000, Bayonne en septembre 2001 et Québec en mai 2003 -
toutes les trois consacrées au thème de la « Démocratie et du Management local ».
J’avais le choix entre deux voies. La première consistait à reprendre le contenu de
plus de 100 contributions publiées 109 exactement -, article par article, mais la
litanie n’aurait pas été de votre goût.
J’ai choisi une seconde voie, une vue diagonale : je chercherai à dégager une
opinion générale, non pas sur la qualité de ces travaux dont je ne peux me faire juge,
ces derniers ayant déjà été appréciés par un conseil scientifique et publiés, mais sur
leur originalité et leur richesse.
Je m’essaierai donc à formuler des remarques transversales sur les différentes
communications en prenant en compte deux éléments d’appréciation :
- d’une part, les objectifs choisis par les fondateurs de Ville-Management ;
- d’autre part, la relation entre la démocratie et le management local.
I - Première interrogation - Quels étaient les objectifs des fondateurs de Ville-
Management ? Ont-ils été atteints ?
Nous ferons de la rationalisation a posteriori ; c’est une démarche que je qualifierai
avec un peu d’audace de démocratique puisqu’elle permet de s’entendre sur une
interprétation du passé. Tout individu qui la fait sienne accroît la cohésion du
groupe. Mais ce choix n’est pas sans danger.
Le préfixe « inter » nous servira de fil conducteur avec, pour commencer, l’adjectif
interdisciplinaire, que nous appliquerons au fruit de ces Rencontres.
C’est un fait que ces Rencontres, véritable carrefour, ont réuni des chercheurs et des
praticiens travaillant dans plusieurs domaines scientifiques : des gestionnaires pour
la majorité certes, mais aussi des juristes, des économistes, des sociologues, des
politistes
1
, des géographes et des urbanistes-aménageurs - l’association APERAU et
le réseau des doyens juristes (Cifduf) sont d’ailleurs représentés dans la salle -, des
ethnologues et un ingénieur.
1
Chercheurs spécialistes des sciences politiques.
2
Parmi les praticiens, des maires, des élus et des cadres des collectivités locales ont
côtoyé un préfet et un ancien ministre.
L’idée et le terme de Rencontres ont été choisis à dessein par les fondateurs de
Ville-Management pour signifier que leur but premier était de favoriser l’échange
d’approches, de méthodes, d’outils en sciences sociales et d’organiser des débats.
L’organisation des Rencontres fut adaptée à cet objectif. Plusieurs formes
d’expression furent utilisées conjointement :
- des communications classiques, présentées dans des ateliers, en privilégiant
le débat sur l’exposé, les discutants prenant la responsabilité de poser des
questions et d’apporter par touche des conclusions ;
- des ateliers de libre expression, initiés à Québec, ont permis à plusieurs
institutions de présenter librement leurs actions, sur une plage horaire
importante ;
- des conférences ont nourri les préfaces des ouvrages : ce sont de vrais articles
d’ouverture, de synthèse et de conclusion des ateliers ;
- des tables rondes ont permis des débats.
Bien des styles d’exposition sont à l’œuvre dans ces Rencontres : de la leçon dite
d’agrégation à la rédaction dite juridique avec des citations, des annexes et des
renvois en note ; le style incantatoire du politique voisine avec le style hirsute du
sociologue ; enfin, pour faire bonne mesure, l’attitude roborative du gestionnaire y
trouve sa place également.
Alors s’agit-il d’une interdisplinarité, repoussée par les puristes, d’une
transdisciplinarité ou simplement d’une codisciplinarité ? Peu importe ! L’important
était dans l’échange qui s’est établi entre ces champs d’expérience scientifiques.
Les différents comités de lecture réunis pour la préparation des Rencontres ont
montré leur ouverture. Dans la sélection, on a pris ses distances avec certaines
habitudes scientifiques : pas de modèle mais la volonté d’encourager ceux qui se
lancent dans des sujets novateurs, qui souhaitent valoriser une thèse et surtout ceux
qui se proposent de rendre compte d’expériences menées dans des collectivités.
Ces choix eurent des résultats heureux puisqu’à présent les auteurs se citent
volontiers d’une Rencontre à l’autre ; ils reviennent sur des analyses pour les enrichir
ou, au contraire, en montrer les insuffisances. Bref, sous nos yeux était née une
véritable petite communauté scientifique d’auteurs fidèles, auxquels se sont joints
des auteurs de passage.
Un autre puissant « inter » a façonné ces travaux :
L’intercommunalité, en effet, fut présente à chaque rendez-vous. En France, la
tenue des Rencontres a suivi la grande réforme particulièrement réussie de 1999,
due au ministre de l’Intérieur de l’époque : Jean-Pierre Chevènement. La loi simplifia
la carte des agglomérations en imposant au choix trois structures : communauté de
communes, communauté de villes et communauté urbaine. Il fut instauré dans la
seconde la taxe professionnelle unique, la fameuse TPU !
Il s’agit bien, avec cette loi, d’une leçon de démocratie qui dépasse la question de
savoir si les communautés de villes devraient élire ou non leur président au suffrage
universel direct, question qui donna lieu à un débat assez vif à Bayonne en 2001 sur
des avis diamétralement opposés. Entre les villes, des négociations ont nécessité
des débats, certes encouragés par une incitation financière de la loi, sous la forme
3
d’une augmentation de leur dotation globale de fonctionnement (DGF), si le vote
intervenait avant le 31 décembre de l’année de la promulgation de la loi.
Sur un autre continent, avant que Ville-Management ne nous emmène en Afrique, la
Ville de Québec a connu une curieuse, pour ne pas dire regrettable, expérience de
fusion forcée qui s’est traduite deux ans plus tard par une inextricable défusion ce
fut le terme qui fut utilisé - après, on s’en doute, un changement de
majorité intercommunale !
Le président Maurice Lemelin, qui a participé au comité d’experts de cette défusion
en est sorti impressionné. Une interférence entre la CIDEGEF et Ville-Management !
On peut tirer d’autres « inter » de la masse des travaux :
- l’intergénération dans le cadre de la projection dans le futur inhérente au
développement durable ;
- l’intermédiation dans le rôle joué par les institutions et les associations agissant
dans le social, le culturel, le domaine sportif ;
- l’interétablissement dans le cadre des coopérations et des réseaux.
Je voudrais cependant m’étendre sur le plus important des « inter » : l’interculturel.
Ce sera l’objet de ma deuxième partie et son interrogation.
II La démocratie est-elle soluble dans le management local ?
La réflexion sur le management, malgré ses tendances à l’universalité, prend
inévitablement une dimension culturelle. Si on peut certes distinguer des approches
et des méthodes du management qui se présentent sous ce signe de l’universel, la
diversité des situations met toujours leur emploi en concurrence ; la nécessaire
adaptation au terrain conduit à considérer à l’infini les contextes et à briser cet
universel.
D’où l’expression retenue de management local pour signifier à la fois le lieu de
l’exercice – la proximité - et l’adaptation au nom de la différence culturelle.
Le rôle du chercheur est alors de mettre en évidence des invariants et celui du
praticien de déceler des expériences reproductibles dont les résultats obtenus lui
semblent aller dans le sens souhaité. Le management ne peut pas toujours éviter les
recours aux « bonnes pratiques », l’essentiel étant que celles-ci ne constituent pas
un système unique. La démocratie est-elle aussi une question de culture ?
Il est aujourd’hui habituel de classer les droits en catégories :
- les droits classiques de la première génération : liberté de penser, liberté de
réunion, liberté d’élire les représentants de son choix ;
- les droits de créance de seconde génération, avec les droits sociaux : droit à un
travail, droit à un logement décent, droit de négociation, droit à l’accès aux
prestations sociales ;
- les droits dits de troisième génération, comme le droit à vivre dans un
environnement sain, le droit à la protection pour les consommateurs ; ces droits
se prêtent mieux à une mise en œuvre dans un cadre de proximité.
La démocratie présente de fortes tendances à l’universalité. Elle ne saurait être
qualifiée de locale. Les expressions « droits de l’homme », « biens premiers » de
Rawls, « droits fondamentaux » renvoient à une recherche permanente des
4
conditions de la liberté, de la justice, de l’équité et de l’épanouissement des hommes
tels qu’ils sont.
La cinquième proposition de Kant, dans son célèbre opuscule, Idée d’une histoire
universelle au point de vue cosmopolitique, énonçait en 1784 :
« Le plus grand problème pour l’espèce humaine, celui que la nature
contraint l’homme à résoudre, est l’établissement d’une société civile
administrant le droit universellement
2
. »
Mais si cette posture démocratique concerne les pays du Nord, qu’en pensent les
pays du Sud victimes de fléaux paralysants ? La démocratie est-elle un luxe des
pays riches incompatible avec un état de pauvreté ?
Le texte de l’affiche posée dans le hall d’entrée donne une réponse forte : il cite un
extrait de l’ouvrage d’Amartya Sen, Prix Nobel d’économie en 1998 : « La
démocratie des autres. Pourquoi la liberté n’est pas une invention de l’Occident. »
« Tout au long du XIXème siècle, les théoriciens de la mocratie
trouvèrent tout à fait naturel de débattre de la question de savoir si tel ou
tel pays était “mûr” pour la démocratie. Ce n’est qu’au XXème siècle que
cette attitude changea, lorsqu’il fut reconnu que la question était mal
posée : un pays ne doit pas être déclaré mûr pour la démocratie, mais il
doit plutôt parvenir à la maturité par la démocratie
3
. Il s’agit en vérité d’un
changement capital qui accroît la capacité potentielle de la démocratie à
atteindre des milliards d’individus avec des cultures et des passés divers,
ainsi que des niveaux différents de richesse économique
4
. »
« Parvenir à la maturité par la démocratie. » Mais de quelle mocratie s’agit-il ?
Celle des régimes présidentiels, des référendums qui provoquent un clivage entre
des partisans et des adversaires, du cumul des mandats, du non-respect de la parité
hommes-femmes, de l'abstentionnisme... ?
Pour Sen, comme pour Tocqueville autrefois, « la démocratie a des exigences qui
transcendent l’urne électorale », c’est le « débat en soi » ; Sen cite à ce propos
Rawls : « En définitive, le concept fondamental d’une démocratie fondée sur la
délibération est le concept du débat en soi. Lorsque les citoyens débattent,
ils échangent leurs opinions et discutent de leurs propres idées sur les
principales questions d’ordre public et politique
5
»
Ce questionnement de Rawls va me permettre de présenter deux remarques.
La première me conduit à me faire « l’interprêtre » d’une sainte trinité démocratique.
Pierre Rosanvallon dans Le Monde du 21 juin 2004, reprend ces idées à propos de
l’abstention :
« On peut même constater que le recul de la participation électorale a
souvent été accompagné d’un développement plus général de l’activité
démocratique (…) Pour le dire d’un mot, nous passons peu à peu d’une
2
Muglioni J-M (1988), traduction et commentaire, Bordas, p.15.
3
Souligné par nous.
4
Sen A. [1999] (2005), La démocratie des autres Pourquoi la liberté n’est pas une invention de l’Occident,
Payot, p. 51.
5
Op. cit. p. 12.
5
démocratie politique « polarisée » [et souvent introuvable dans les pays du
Sud] à des formes de démocratie civile
6
. »
Plus loin l’auteur constate que :
« Le vote est la forme la plus visible et la plus institutionnelle de la
citoyenneté. Il est l’acte qui a longtemps cristallisé et symbolisé l’idée de
participation politique et d’égalité civique. »
Il ajoute : « Mais cette notion de participation est complexe. Elle mêle en effet trois
dimensions de l’interaction entre le peuple et la sphère politique :
l’expression, l’implication, l’intervention. »
Ce chercheur propose de voir la vie mocratique articulée autour de trois formes
d’activité politique :
- la mocratie d’expression qui correspond à la prise de parole de la société, à
la formulation du jugement sur les gouvernants et leur action ou encore à la
revendication ;
- la démocratie d’implication qui englobe l’ensemble des moyens par lesquels les
citoyens se concertent et s’unissent pour produire un monde commun ;
- la démocratie d’intervention, enfin, qui est constituée de toutes les formes
d’action collective pour obtenir le résultat désiré.
Ces trois formes, inséparables de la vie démocratique, n’ont pas un caractère local
particulier mais le management y trouve largement sa place. On peut les énoncer
d’une manière plus classique avec les qualificatifs de représentatif, de consultatif et
de participatif, qui rejoignent la distinction de Rosanvallon.
Les débats sur la mocratie représentative intéressent les élus. Alain
Lamassoure, ancien ministre, président de la Communauté d’agglomération
Bayonne-Anglet-Biarritz (BAB) a préfacé l’ouvrage des Actes de Bayonne avec un
article intitulé « Démocratie et développement local. »
La constitution d’une communauté de communes et de villes a eu des conséquences
managériales importantes : réorganisation des services, remise à plat des contrats
de délégation, reformulation de la politique des compétences transférées, autant
d’objets d’observation pour les chercheurs en stratégie, en communication, en
finances locales, en ressources humaines.
La démocratie consultative est en plein développement avec la loi sur la
démocratie de proximité de 2002, qui a permis la mise en place des conseils de
quartier dans les villes de plus de 80 000 habitants, alors que le projet de loi
prévoyait un seuil de 20 000 habitants ! On a pris aussi, avec les conseils consultatifs
et les conseils des sages, une initiative dont Kofi Yamgnane, maire d’une petite ville
du Finistère en Bretagne de 1989 à 1995 Saint-Coulitz, 400 habitants - et candidat
à la présidence de son pays, le Togo, avait donné l’exemple.
Nombre de communications portaient sur cette dimension démocratique. Le soutien
apporté par le Conseil des Pouvoirs Locaux et Régionaux en Europe (CPLRE) à
Ville-Management et la lecture de ses propositions nous ont aidé dans notre
réflexion.
6
Souligné par nous.
1 / 9 100%
La catégorie de ce document est-elle correcte?
Merci pour votre participation!

Faire une suggestion

Avez-vous trouvé des erreurs dans linterface ou les textes ? Ou savez-vous comment améliorer linterface utilisateur de StudyLib ? Nhésitez pas à envoyer vos suggestions. Cest très important pour nous !