Le rosé avait un effet soporifique et euphorisant sur Lerbo qui n’avait pas la
résistance de Jack. Ses pensées se perdirent dans des souvenirs scolaires lointains où se
mêlaient des images de livres et la voix monocorde du maître. Des mots puisés dans
les phrases de Jack faisaient remonter des images et des sensations à la surface. Il
revoyait ces gravures scolaires d’hommes anciens soumis aux éléments et à la peur en
train de faire du feu, Prométhée enchaîné à son rocher…des souvenirs d’enfance aussi.
Jack, imperturbable continuait à débiter sa litanie avec la passion et la lucidité du
désespoir. Lerbo avait perdu pied, transporté qu’il était dans une époque lointaine où il
était enfant, se rappelant ses années d’insouciance à lui, lorsqu’il partait en vacances à
l’océan, la pêche aux crabes dans les eaux froides d’un canal conduisant au port, un
masque collé sur le visage et un tuba en bouche. Le camping aussi, l’odeur des pins et
du sable sombre des sous-bois, des frites et du poulet grillé que le marchand mettait
dans des poches en papier renforcé par un film d’aluminium. Ce détail était cocasse et
avait son importance. Il se souvenait de cette fois où il faisait une cueillette de
crustacés hors du commun, des crabes verts par dizaines qu’il s’empressait d’entasser
dans la poche renforcée, une multitude de crabes dont certains étaient étrangement
mutilés de la pince gauche, uniquement. Ce détail avait fini par éveiller ses soupçons
sur le pochon jugé indestructible mais hélas troué par les bestioles. Point de cueillette
miraculeuse, les mêmes crabes passaient invariablement du sac au canal et du canal au
sac sans que jamais ils ne puissent remplir sa besace.
Jack poursuivait lorsque Lerbo refit surface.
- Le progrès économique est un processus trompeur et global. Il n’a pas grand-
chose à voir avec la richesse personnelle ou la recherche du bonheur car l’objectif de
l’économie n’est pas de rendre les gens plus heureux.