La politique monétaire se borne à résorber l`inflation

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CHAPITRE 7 – Cours de Terminale - Année 2004-2005 – Lycée de Luynes – E. CHARRIER
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CHAPITRE 7. INTEGRATION EUROPEENNE ET POLITIQUE ECONOMIQUE.
SECTION 1. L’EUROPE : UN MODELE ABOUTI D’INTEGRATION REGIONALE ?
A. La régionalisation : une fragmentation de l’espace mondial ?
1.
La régionalisation : définition et évolution.
a. L’intégration régionale : définition.
Processus qui conduit plusieurs économies distinctes à former un seul espace économique au sein duquel les obstacles aux
échanges tendent à être abolis. La constitution d’espaces régionaux constitue l’une des formes de cette intégration (la
mondialisation de l’économie peut être considérée comme l’étape ultime de l’intégration !)
b. La montée des blocs régionaux.
Depuis le premier choc pétrolier en 1973, on assiste à la multiplication d’accords régionaux de toutes sortes. Ainsi, à la fin
des années 90, on a pu dénombré plus d’une centaine d’unions économiques régionales, près de 70 ayant été mises en
place depuis 1990.
Parmi les plus importants :
- l’Union Européenne
- l’ALENA (Accord de Libre Echange Nord-Américain) signé par le Canada , les USA et le Mexique en 1992 et
appliqué depuis 1994
- l’ASEAM (Association of South-East Asian Nations) regroupant plusieurs pays d’Asie du Sud-Est (Brunei,
Indonésie, Malaisie, Philippines, Singapour, Thaïlande, Birmanie, Viêt-Nam, Laos) par un accord signé en 1993 et
prévoyant une zone de libre-échange en 2003 (AFTA ou Asean Free Trade Area)
- le MERCOSUR (Mercato Comùn Del Sur) réunissant le Brésil, l’Agentine, le Paraguay et l’Uruguay 1995 ( Chili et
Bolivie étant associés au Mercosur depuis 1996 par des accords de libre-échange)
- l’APEC (Asia Pacific Economic Coopération), née en 1989, comprenant 18 membres dont les USA, le Canada, le
Mexique, le Chili, l’Australie, la Nouvelle-Zélande, la Chine, le Japon, la Corée du Sud, Taïwan, Hong Kong,
l’Indonésie, la Malaisie, les Philippines, Singapour, la Thaïlande, et constituant un forum de discussion devant
déboucher dans les années 2010 sur la constitution d’une vaste zone de libre-échange consacrant le déplacement
du centre de gravité de l’économie mondiale vers le Pacifique et l’Asie.
L’observation de l’évolution des échanges internationaux laisse clairement apparaître la croissance de la part des échanges
intra régionaux au sein du commerce mondial. Celle-ci est passée globalement de 38,7% des exportations et des
importations mondiales en 1928 à 47% en 1968 et 50,4% en 1993. Pour l’Europe de l’Ouest cette part est passée de 50,7%
en 1928 à 69,9% en 1993, pour l’Amérique du Nord et le Mexique de 25% à 33% et pour l’Amérique Latine de 11,1% à
49,7%. La progression des échanges intra régionaux est à nuancer sur la période la plus récente.
4 grands blocs régionaux structurent le commerce mondial :
en 1996, l’ALENA réalisait 18,7% du commerce mondial, l’UE pesant pour 37,4% des échanges mondiaux , l’ASEAM et le
MERCOSUR représentant respectivement 7,3% et 1,5% des échanges de marchandises.
c.
Les différentes formes d’intégration régionale.
Suivant la classification établie par Bela Belassa, 5 formes d’intégration régionale sont distinguées :
Zone de libre-échange :
Exemple : ALENA
Union douanière :
Exemple : Communauté Andine (1995)
Marché commun :
Exemple : MERCOSUR
Union économique :
Exemple : UE avant 1999
Union économique et monétaire :
Exemple : UE depuis 1999
Caractéristiques : espace économique constitué par plusieurs pays qui tendent à
éliminer les barrières douanières faisant obstacle aux échanges de biens et
services au sein de cette zone.
Caractéristiques : ensemble de pays appartenant à une zone de L.E. adoptant une
politique commerciale commune, notamment un tarif extérieur commun.
Caractéristiques : pays d’une union douanière qui instituent la libre circulation des
capitaux et des hommes au sein de cette zone.
Caractéristiques : au marché commun s’ajoute la coordination des politiques
économiques.
Caractéristiques : l’union économique se trouve renforcée par une coopération
monétaire renforcée voire la création d’une monnaie commune.
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d. 3 modèles.
Parmi les blocs commerciaux qui semblent structurer l’économie mondiale, J.M. Siroën différencie trois modèles :
- un multilatéralisme régional dont le cas typique sera l’ALENA. Il s’agit de reproduire au niveau régional certaines
modalités de l’OMC ;
- une intégration confédérale dont le cas typique serait le MERCOSUR. L’accord autorise des exceptions dans la
libéralisation interne des échanges mais prévoit un certain nombre de structures politiques et administratives
intergouvernementales. Pour certains secteurs (automobile, agriculture), les politiques économiques sont
coordonnées ;
- une intégration fédérative dont l’exemple typique est l’UE. La démarche européenne s’accompagne d’un projet
d’intégration politique et dont témoignent l’existence de politiques communes, la création d’instances
supranationales, la mise en place d’un droit européen et l’instauration d’une monnaie unique.
2.
La régionalisation : protectionnisme larvé ou étape vers le libre échange ?
a.
Les dangers de la régionalisation.
■ Remise en cause du multilatéralisme et détournement de trafic
Si l’on s’en réfère à la vision classique et néoclassique des échanges internationaux, le libre-échange n’exerce ses effets
bénéfiques que si celui-ci est multilatéral. Les accords bilatéraux sont susceptibles de pénaliser un pays tiers plus
performant et remettent en cause le multilatéralisme et la clause de la nation la plus favorisée. Ce que redoutent les libéraux,
c’est le phénomène de détournement du trafic. Une union douanière, en supprimant les obstacles à l’échange entre pays
membres et en instaurant un tarif extérieur commun peut provoquer un détournement de trafic : les importations en
provenance d’un pays extérieur sont remplacées par des importations plus coûteuses en provenance d’un pays de la zone.
C’est ainsi que la Banque Mondiale a reproché au MERCOSUR de favoriser les exportations d’automobiles (premier poste
du commerce des 4 pays du MERCOSUR) pour lesquelles ces états n’auraient aucun avantage comparatif mais
bénéficieraient de la baisse des tarifs douaniers qu’ils se sont accordés à eux seuls (il faut noter toutefois que les
importations du MERCOSUR en provenance du reste du monde ont triplé malgré ces différences de tarifs). La communauté
européenne a souvent été mise au banc des accusés pour son manque d’ouverture sur l’extérieur : alors que la part des
échanges intracommunautaires dans le PIB a doublé de 1960 à 1993 passant de 6% à 13,5%, la part des exportations
extracommunautaires dans le PIB est passée de 8,7% à 8,5%, le taux d’ouverture de l’UE étant inférieur de moitié à celui
des pays membres. Certains ont qualifié l’Europe de « forteresse » pour fustiger cette tendance à se replier sur soi. Des
accusations que l’on peut récuser par les faits suivants : le taux d’ouverture de l’UE est très proche de celui des USA et du
Japon (environ 10%) et le niveau de protection externe de la Communauté a fortement baissé ce qui signifie que les pays
tiers n’ont pas eu à souffrir de l’intégration européenne.
■ La montée des conflits commerciaux entre les blocs régionaux
La difficulté de pénétration de certains marchés aurait tendance à provoquer l’élargissement de certaines pratiques
protectionnistes aux comportements des consommateurs, distributeurs, épargnants et à certaines formes de politiques
économiques. Selon Krugman (père de la P.C.S.), dans les négociations entre blocs régionaux, chacun tendrait à adopter un
comportement stratégique pour orienter les termes de l’échange à son profit. En 1991, il écrit : «L’analyse des zones de
libre-échange laisse penser que leur formation peut être préjudiciable à l’économie mondiale. Des distorsions de trafic
peuvent contrebalancer et annuler la création de nouveaux courants d’échange même sans relèvement des tarifs
extérieurs ; et l’augmentation du pouvoir sur le marché dont bénéficient les pays qui se constituent en blocs peut conduire
des gouvernements qui recherchent l’optimisation et non la coopération à relever leurs tarifs douaniers, ce qui accroît les
coûts […] Les zones de libre-échange peuvent causer beaucoup de torts à des pays plus petits qui, pour une raison ou une
autre, ne font pas partie des grands blocs. » La multiplication des conflits commerciaux entre les différents blocs régionaux,
les différents de plus en plus nombreux qu’a à traiter l’OMC, le « néo-mercantilisme » dans lequel semblent baigner les
gouvernants et les conseillers techniques chargés des négociations internationales sont là pour illustrer cette thèse.
■ L’intégration régionale à l’origine de conflits à l’intérieur des unions douanières.
Par exemple, plusieurs sources de conflits sont liées à l’intégration européenne :
- Conflits engendrés par la difficulté des régions les plus fragiles à s’adapter aux transformations de la production et
des conditions de la concurrence induites par la rapidité de l’intégration ; difficultés qui pourraient être atténuées
par des programmes d’ajustement ou par une augmentation du budget communautaire que certains trouvent très
insuffisants mais à propos desquelles d’autres dénoncent l’inefficacité des aides, les comportements opportunistes
des nations et plus généralement l’accroissement des dépenses publiques que cela entraînerait (on reconnaîtra là
les libéraux et en particulier l’école du Public choice)
- conflits engendrés par la mise en place de politiques communes (politique agricole ou politique sociale, par
exemple) que les libéraux jugent comme autant de contraintes et législations supplémentaires et insupportables et
que d’autres appellent de leurs vœux car elles pourraient être à l’origine d’un accroissement de la productivité de
la main d’œuvre des pays les moins favorisés et d’une dynamique économique durable
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conflits engendrés par l’élargissement de l’Europe (à qui, comment, sous quelles conditions, avec quelles
modifications des institutions européennes, etc.).
Pour autant, ces critiques ne doivent pas faire oublier les effets positifs attendus de l’intégration.
b.
Les effets positifs de l’intégration.
■ Création de trafic contre détournement de trafic.
En fait, les détournement de trafics peuvent être compensés, et au delà, par des créations de trafics (cas où une production
nationale est remplacée par une autre moins coûteuse en provenance d’un pays de la zone). Si les effets de création
l’emportent, alors les économistes diront qu l’on atteint un optimum de second rang. Plusieurs conditions peuvent aider à
cette création de trafic :
- niveau initial des droits de douane élevé
- tarif extérieur commun bas
- coûts de transport faibles
- taille importante de l’union
- proximité des structures productives des pays participants
- commerce intra zone plus fort avant création de l’union douanière
- circulation interne des facteurs de production…
■ L’intégration favorable à la croissance économique
Les mécanismes expliquant comment l’intégration conduit à la croissance sont les suivants :
- réalisation d’économies d’échelle
- stimulation de la concurrence
- baisse des coûts de transaction
- anticipations plus optimistes des entrepreneurs soutenant la croissance des marchés potentiels
- gains liés à l’existence d’une monnaie commune si celle-ci existe (cf. polycopié distribué).
Ainsi, le rapport Cecchini (1988) évaluait les avantages du marché unique européen à un supplément de PIB de l’ordre de
4,5% et à 1,8 millions d’emplois créés ; un enthousiasme que la réalité a quelque peu tempéré…
■ L’efficacité retrouvée de la politique économique
La mondialisation met en cause de plus en plus profondément la faculté des Etats nations à mener une politique
économique indépendante et efficace. Contrainte extérieure, tyrannie des marchés monétaires et financiers, pouvoirs
occultes des FMN, mobilité croissante des capitaux, paradis fiscaux, etc. sont des facteurs qui jouent contre les pouvoirs de
régulation économique des Etats. Aussi, l’intégration en allégeant la contrainte extérieure et en constituant des zones
économiques aux dimensions considérables en termes de production ou de consommation restaure les conditions pour
mener à bien politique économique et sociale efficace et indépendante, politique décidée en commun et donc prenant plus
ou moins en compte les objectifs poursuivis par chaque nation.
B. La dynamique de l’intégration européenne.
1.
Les étapes de la construction européenne.
a. De la CECA au marché commun.
 La CECA.
Une idée simple à l’origine de la CE : rendre la guerre impossible entre des pays qui seraient reliés par des solidarités
concrètes. Idée qui inspire le projet de J. Monnet et de son ministre des affaires étrangères R. Schuman : mettre en commun
la gestion de 2 branches industrielles symboliques càd le charbon et l’acier et qui donne naissance à la CECA en 1951
(RFA, Belgique, France, Italie, Luxembourg, Pays-Bas). La CECA préfigure déjà l’Europe communautaire par ses principes
(libre circulation des produits, mise en œuvre de politiques communes) et son architecture (une institution indépendante des
gouvernements, l’établissement d’un droit communautaire).
 La CE.
6 ans après, le 25 mars 1957 est signé le traité de Rome instituant le marché commun. Une ambition plus grande : créer une
véritable union douanière, mettre en place des politiques communes, fixer un cadre juridique et institutionnel de l’intégration.
L’union douanière a permis un développement des échanges intra zone : ceux-ci passent de 25% du commerce total de la
CEE en 1957 à 60% en 2000.
Les politiques communautaires mises en œuvre ont été :
- la PAC qui a permis de soutenir le développement de l’agriculture et la modernisation des exploitations
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- les fonds structurels càd fonds spécifiques destinés à la mise en œuvre d’actions de formation, de qualification et
d’insertion professionnelle – FSE créé en 1957-, au développement des régions en retard (FEDER, créé en 1975) et à la
modernisation de l’agriculture
- une politique de l’énergie avec la création d’Euratom.
b. Le marché unique ou l’approfondissement de l’intégration.
Malgré l’adhésion de nouveaux pays (GB., Eire et Danemark en 1973, Grèce en 1981), l’instauration du SME en 1979,
l’intégration européenne semble marquer le pas au cours des années 70 et au début des années 80 : épuisement des effets
positifs du désarmement douanier avec en particulier la baisse généralisée des droits de douane négociée dans le cadre du
GATT, médiocres performances économiques…
La relance de l’Europe va passer par la réalisation d’un objectif : supprimer toutes les entraves aux échanges non seulement
de marchandises mais aussi de capitaux et d’hommes en créant un marché unique. Après l’adhésion de l’Espagne et du
Portugal le 1er janvier 1986, est signé l’Acte Unique Européen en février 1986 prévoyant l’instauration du marché unique en
1993.
Une idée simple mais dont la réalisation est complexe du fait de nombreux obstacles à l’intégration et qui tiennent :
- à la diversité des normes techniques et sanitaires nationales
- aux réglementations professionnelles
- à la fiscalité
- à la législation sociale
- au partage entre sphère privée et sphère publique très différent d’une économie à une autre.
Le bon fonctionnement d’une économie de marché requiert l’existence de telles réglementations car sans cela le coût
d’accès à l’information serait prohibitif pour le consommateur et la concurrence entre producteurs ne serait pas équitable.
Pour autant, l’existence de règles nationales trop différentes risque de bloquer les échanges. Pour sortir de ce dilemme,
l’harmonisation des réglementations semble s’imposer. Cependant, celle-ci risque d’être l’occasion de discussions sans fin.
L’acte unique, sans véritablement résoudre le problème de l’harmonisation des règles sociales, techniques, sanitaires et
fiscales, met la machine en route en s’appuyant sur 2 innovations :
- la reconnaissance mutuelle qui impose à tous les signataires d’accepter tout produit qui sera reconnu comme
propre à la consommation dans l’un des pays de l’union
- le vote à la majorité qualifiée permettant d’éviter les blocages liés au vote à l’unanimité.
c. Un saut qualitatif décisif : le passage à l’UEM.
L’Europe des politiques macroéconomiques a été longtemps à la traîne par rapport à celle des marchés jusqu’à la création
du SME et surtout à son prolongement par l’UEM. Un retard compréhensible car il plus facile pour les Etats de supprimer
des obstacles aux échanges de marchandises ou de capitaux que d’accepter l’idée d’abandonner la maîtrise des grands
instruments de politique économique que sont la monnaie et le budget. A partir des années 80, 2 facteurs vont redonner vie
au projet d’une union monétaire :
- les initiatives de politiques économiques autonomes échouent, en particulier la tentative de relance de l’économie
française entamée après l’élection de Mitterrand en 1981 qui vient butter sur les déficits extérieurs et la dévaluation
- le succès du SME établi à la fin des années 70.
■ Le SME : Origines et principes – un bilan contrasté.
Le projet d’une coordination monétaire existait dès le traité de Rome mais il faut attendre les années 70 pour que les
européens prennent conscience de l’instabilité monétaire et de ses conséquences désastreuses après l’abandon du SMI mis
en place lors des accords de Bretton Woods. Une première tentative, le « serpent monétaire européen », échoue
rapidement. A la suite du sommet de Brême en juillet 1978 est instauré le SME qui se caractérise par 3 principes essentiels :
- le rattachement des monnaies européennes à un étalon unique, l’ECU (European Currency Unit) défini à partir des
monnaies des pays membres (panier de monnaies), la part de chaque monnaie étant pondérée par le poids
économique de chaque pays au sein de la CEE
- chaque banque centrale adhérant au système s’engage à maintenir le taux de change de sa monnaie dans des
marges situées de + 2,25 % à – 2,25 % autour du cours pivot
+ 2,25 %
Cours pivot
- 2,25 %
-
l’ECU est une unité de compte utilisée par les banques centrales et son émission est gérée par le Fonds Européen
de Coopération Monétaire (FECOM).
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Le bilan du fonctionnement du SME sera contrasté.
Les points forts :
- il se signale par un bon comportement lors des tempêtes monétaires des années 80 car les nombreux
réaménagements de parités (17 entre 1979 et 1994) s’avèrent d’ampleurs limitées par rapport aux fortes variations
du dollar et du Yen ;
- il est un succès en matière de lutte contre l’inflation et a agi dans ce domaine comme un facteur de convergence.
Les points faibles :
- les performances en matière d’emploi et de croissance sont médiocres, les politiques monétaires restrictives étant
à l’origine de cette médiocrité ;
- le fonctionnement du SME est « asymétrique » : l’influence de la politique monétaire allemande et le rôle central
joué par le D.M. sont tels que le SME est qualifié de « zone Mark » ;
- le SME n’est pas à l’abri des spéculations et crises monétaires puisqu’en 1993 les marges de fluctuations sont
portées à 15% pour maintenir artificiellement le système.
■ L’UEM : l’avènement de la monnaie unique.
En avril 1989, le plan Delors pose les jalons de l’intégration monétaire. Les propositions qui y sont faites servent de base au
traité de Maastricht qui est signé le 7 février 1992.
Le traité de Maastricht :
- définit le processus de transition vers l’UEM en 3 phases (cf. doc. page 384 du livre), l’entrée dans l’UEM étant
subordonnée au respect des fameux « critères de convergence » (voir plus loin) ;
- institue une coopération politique (en matière de politique étrangère) et juridique plus intense entre pays
membres ;
- définit les contours d’une citoyenneté européenne ;
- promeut le principe de « subsidiarité » qui stipule que l’intervention communautaire se substitue à l’action des
gouvernements nationaux si celle-ci ne permet pas la pleine réalisation des politiques et principes définis au
niveau européen.
Les 5 critères de convergence.
La possibilité d’adhérer à l’UEM dépend du respect des critères dits « critères de convergence » càd
d’objectifs macroéconomiques ayant pour but de réduire les disparités des pays européens.
Le taux d’inflation ne doit pas dépasser de plus de 1,5 point la hausse moyenne des prix des 3 pays
membres de l’UE les moins inflationnistes.
Le taux d’intérêt à long terme ne doit pas dépasser de plus de 2 points la moyenne des taux d’intérêt des 3
pays les moins inflationnistes.
Le déficit public ne doit pas excéder 3% du PIB.
L’endettement des administrations publiques doit être inférieur à 60% du PIB.
Durant 2 ans, le pays ne doit pas avoir procédé à des dévaluations de sa monnaie et doit avoir respecté les
marges de fluctuations du SME.
2.
Une intégration encore incomplète (source : manuel Bordas)
a.
Les réussites de la construction européenne
• Les réussites de l'Union européenne sont évidentes. Le Grand Marché, par définition, ouvre aux entreprises et aux
consommateurs européens un marché de bientôt 450 millions d'individus. Les économies d'échelle induites doivent
permettre une meilleure compétitivité, une baisse des prix, une plus grande capacité d'innovation. Ces avantages sont a priori
cumulatifs et devraient rendre la zone attractive pour les pays proches géographiquement. On observe ainsi que les pays
d'Europe centrale et orientale réalisent déjà aujourd'hui la majeure partie de leur commerce extérieur avec l'Union
européenne. La monnaie unique devrait normalement amplifier ces effets et apporter de nouveaux avantages :
disparition des risques liés aux variations des taux de change entre pays participant à la zone euro, réduction des coûts (de
conversion, d'information sur les prix)...
CF. documents 11 et 14 du livre pages 383 et 385 et document tiré du manuel de terminale ES La Découverte « Où
sont passés les gains du marché unique ? »
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• Mais l'Europe n'est pas qu'un grand marché. Elle a également, à travers des politiques économiques et sociales, pu
agir directement sur les économies nationales. Ainsi, de la Politique agricole commune, qui représente encore le premier
budget européen. Ou encore des fonds structurels, dont le but est de permettre un rattrapage des régions pauvres de
l'Europe vis-à-vis des pays riches. Dans les années 1990, l'Irlande a ainsi bénéficié d'une amélioration très nette de sa
situation, due en partie aux aides européennes.
Cf. document annexe sur les politiques communautaires « Quand Bruxelles décide » tiré du manuel de Terminale ES La
Découverte
b.
Les insuffisances actuelles
• Malgré ces réussites, les objectifs de l'Union ne sont pas tous atteints. Les espoirs qu'avaient porté le Grand Marché et
l'euro ne sont pas tous (encore ?) au rendez-vous. Lors de l'introduction de l'euro « papier » en 2002, beaucoup
d'Européens ont eu l'impression que celui-ci s'accompagnait de hausses des prix. L'harmonisation et la baisse des prix n'est
pas non plus réalisée. Dans le champ des politiques structurelles, la PAC, si elle a permis à l'Europe d'atteindre
l'autosuffisance alimentaire, n'a pas empêché et a même favorisé le « productivisme » et ses conséquences néfastes,
notamment sur la sécurité alimentaire, comme l'a montré l'affaire de la « vache folle ».
• En réalité, si l'Europe économique est quasiment achevée, l'Europe politique est encore insuffisante. Dans un espace
complètement ouvert, l'absence d'harmonisation des législations, notamment fiscales, peut se traduire par une
concurrence fiscale désastreuse. Ainsi, les États risquent d'être conduits à préférer taxer le travail plutôt que le capital,
puisque le second est plus mobile que le premier et qu'une fiscalité importante sur le capital pourrait se traduire par une
évasion fiscale de la part des entreprises. La question ici est moins celle de l'insuffisance de l'Europe que de l'insuffisance
de la construction européenne. Seule une harmonisation européenne peut éviter ce risque de dumping où seul le «
moins-disant » fiscal se trouve récompensé. Mais cette harmonisation se heurte aux spécificités nationales et au risque
d'un alignement par le bas des politiques nationales.
Sur les disparités européennes voir livre pages 386 et 387 plus document « Quand faut-il harmoniser ? » tiré du manuel de
Terminale ES La Découverte.
• Ce déficit de construction européenne se rencontre également au niveau de l'Europe sociale, terme un peu vague qui
recouvre à la fois la protection sociale et l'ensemble des questions sociales, par opposition aux problèmes économiques:
chômage, niveau de vie, protection des travailleurs et des citoyens... Certes, l'Europe sociale avance, mais plus lentement que
l'Europe économique. Là aussi, on se heurte à des spécificités nationales difficilement compatibles: diversité des salaires, des
modes de négociation salariale, des formes de syndicalisme. Le risque existe également d'un nivellement par le bas favorisé par
la concurrence. Seule une réelle volonté politique, mais aussi l'action de la « société civile » (citoyens, associations,
syndicats...) peuvent permettre de construire une véritable Europe, qui ne soit pas un géant économique et un nain politique et
social.
Cf. doc. livre pages 388 à 390 et article d’Alter Eco
L'Europe économique, si elle n'est pas achevée, est en tout cas bien avancée. Mais son avancement même souligne les
problèmes politiques et sociaux qu'elle soulève l'absence d'harmonisation des politiques économiques et de construction
d'une Europe sociale peut amener la victoire d'une « Europe des marchands », espace économique où la pression de
la concurrence risque d'aboutir à la remise en cause de l'autonomie politique des États et des conquêtes sociales de la socialdémocratie. D'autre part, la construction d'une Europe politiqué et sociale pose concrètement la question de l'abandon de
souveraineté des Etats nations : ayant déjà abandonné à l'Europe l'exercice de la politique monétaire, vont-ils accepter de lui
déléguer d'autres symboles de leur souveraineté ? L'Europe est aujourd'hui à un tournant : pour être autre chose qu'un
espace économique et disposer de la légitimité nécessaire aux avancées futures, elle doit s'appuyer sur une réelle
citoyenneté européenne, et celle-ci ne peut se faire sans les citoyens européens.
3.
Les enjeux de l’élargissement.
Cf. document distribué tiré du manuel de terminale ES La Découverte, dossier d’Alter Eco, documents du livre pages 391 à
393
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SECTION 2. LES NOUVEAUX CADRES DE L’ACTION PUBLIQUE.
A. Les politiques économiques : notions générales.
1. Définition.
La politique économique est constituée par l’ensemble des objectifs et des instruments mis en œuvre par les pouvoirs
publics afin d’agir sur les variables économiques.
La politique économique vise donc, par définition, à modifier l’évolution spontanée de l’économie et témoigne du refus, chez
les dirigeants politiques, du dogme du « laisser-faire » des économistes classiques selon lequel le libre jeu du marché est le
meilleur moyen de réguler la production, les échanges et la répartition des richesses.
Les politiques économiques peuvent se caractériser à partir de 4 composants : finalités, objectifs, instruments et contraintes.
De plus, on peut différencier les politiques économiques selon qu’elles concernent le court ou le long terme.
2.
les composants d’une politique économique.
a. Les finalités.
Elles sont essentiellement de nature politique et sociale. Elles reflètent les choix des citoyens qui s’expriment normalement
lors des consultations électorales. Il peut s’agir, par exemple, de la réduction des inégalités, du développement industriel…
b. Les objectifs.
Permettent de traduire les finalités à travers des grandeurs économiques mesurables. Une représentation des principaux
objectifs poursuivis par les pouvoirs publics est donnée par le célèbre « carré magique » mis au point par l’économiste
Kaldor (1971). Un schéma qui permet de caractériser les principaux objectifs de la politique : la croissance, le plein emploi, la
stabilité des prix, l’équilibre extérieur.
Ce carré permet non seulement de mettre en évidence les principales caractéristiques macroéconomiques d’un pays mais
aussi de faire ressortir les conflits d’objectifs, les choix et les contraintes qu’entraîne toute politique économique.
Contraintes des enchaînements macroéconomiques  choix à effectuer  hiérarchie des objectifs.
Ainsi, durant les années 60 et 70, les politiques économiques ont fonctionné selon le principe que l’on pouvait opérer un
arbitrage entre la croissance et l’inflation : soit on cherchait à favoriser la croissance et cela se payait par une légère
accélération de l’inflation, soit on cherchait à réduire l’inflation et cela se payait par une moindre croissance économique (cf.
courbe de Phillips).
c.
Les moyens d’action.
Les pouvoirs publics disposent d’un vaste ensemble d’instruments et de moyens d’action que l’on peut classer en 2 grands
sous-ensembles :
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 La politique conjoncturelle.
La politique conjoncturelle a une portée à court terme.
La conjoncture est déterminée par les fluctuations à court terme des variables macroéconomiques (PIB, niveau des prix,
emploi, etc.). La politique conjoncturelle cherche à agir essentiellement sur ces variables macroéconomiques càd, selon le
carré magique, la croissance économique, l’emploi, les prix et les échanges extérieurs. Les politiques monétaire et
budgétaire en sont les principaux instruments.
Suivant la « règle de Tinbergen », il doit exister autant d’instruments que d’objectifs à atteindre. Par exemple, on doit
s’appuyer sur la politique budgétaire pour agir sur le niveau de l’activité économique, sur la politique monétaire pour agir sur
le niveau des prix et sur la politique des changes pour rééquilibrer les échanges extérieurs.
 La politique structurelle.
La politique structurelle est une politique de long terme. Les structures sont les données fondamentales de l’économie qui
concourent à son fonctionnement. On peut envisager que ces structures soient la cause de certains dysfonctionnements. La
politique structurelle s’attache donc à infléchir ou modifier les structures en place afin d’améliorer les performances de
l’économie ou de supprimer ces dysfonctionnements.
Il y a deux conceptions de la politique structurelle. La conception libérale donne comme objectif à la politique structurelle
d’orienter le fonctionnement de l’économie afin que celle-ci s’approche le plus possible du modèle de la concurrence pure et
parfaite. Elle s’appuiera essentiellement sur des mesures de désengagement de l’Etat. La conception interventionniste
(keynésienne) qui remet en cause l’idée d’une organisation spontanée des structures économiques par le marché (la « main
invisible » d’A. Smith).
Production, répartition et échanges vont constituer les lieux d’intervention de la politique structurelle qui va comprendre : la
production industrielle qui agit sur le tissu industriel et économique (nationalisations, privatisations, etc.), l’aménagement du
territoire (politique urbaine, politique de reconversion des territoires ruraux, etc.), l’organisation des marchés (politique des
prix et de la concurrence, législation du travail, etc.), la politique des revenus, la politique de redistribution de l’Etat (sécurité
sociale, impôts, etc.).
d. Les contraintes.
Des contraintes de toute nature limitent la liberté d’action des Etats et les obligent à effectuer des choix. Ainsi, par exemple,
le degré d’ouverture d’une économie, sa spécialisation, le statut international de sa monnaie vont déterminer l’intensité de la
contrainte extérieure pesant sur le pays et la possibilité pour lui de mener ou non une politique économique autonome.
Ainsi, le triangle d’incompatibilité de Mundell combine trois éléments : le degré de rigueur de la règle de change (flottement
ou fixité des changes), le degré de mobilité des capitaux (de la mobilité parfaite à nulle), le degré de sensibilité des objectifs
de la politique monétaire aux contraintes extérieures (politique monétaire autonome ou commune).
Le théorème d’impossibilité = impossible de combiner changes fixes, mobilité des capitaux et politiques monétaires
indépendantes.
Ainsi, la stabilité des taux de change que suppose l’UEM et la mobilité des capitaux imposent la définition d’une politique
monétaire commune pour les pays européens.
Dans les contraintes, sont aussi à prendre en compte les délais de réalisation qui correspondent à chaque instrument.
B. Les politiques de régulation keynésiennes.
1.
Les soubassements théoriques.
a. l’analyse libérale : un bref retour en arrière.
De la fin du XVIIIième au début des années 30, la pensée économique a été dominée par le libéralisme (classique puis
néoclassique). Le marché et la concurrence, comme une « main invisible » (l’expression est d’A. Smith), en laissant chacun
poursuivre son intérêt individuel harmonisent les différentes activités économiques, assurent l’équilibre économique et
permettent à l’économie d’atteindre le bien-être maximum. Sur le marché du travail, la flexibilité des salaires assure
spontanément l’équilibre entre offre et demande (chômage inexistant). Conformément à la loi des débouchés de J.B. Say
selon laquelle l’offre crée sa propre demande, le marché des biens et services est toujours à l’équilibre. Enfin, sur le marché
des capitaux, la flexibilité du taux d’intérêt permet un ajustement automatique entre épargne et investissement. Autrement
dit, les lois de la concurrence assurent un équilibre général qui s’instaure spontanément et de manière durable. Dans ce
cadre là, toute intervention de l’Etat est inutile et ne peut être que facteur de dysfonctionnements. L’Etat doit s’en tenir à ses
fonctions régaliennes.
CHAPITRE 7 – Cours de Terminale - Année 2004-2005 – Lycée de Luynes – E. CHARRIER
9
b. Pour Keynes, la politique économique est nécessaire.
L’intensité de la crise de 1929, la forte montée du chômage, l’inefficacité voire le caractère aggravant des politiques
économiques inspirées du libéralisme vont pousser Keynes à rompre avec la pensée « classique », en particulier dans son
ouvrage « La théorie générale de l’emploi, de l’intérêt et de la monnaie » publié en 1936.
Pour Keynes, les mécanismes économiques ne peuvent être compris que par une approche macroéconomique considérant
les grandeurs économiques d’ensemble telles la production nationale, le revenu national, l’investissement, la
consommation… Les prix ne sont pas flexibles mais rigides à court terme. Les déséquilibres entre l’offre et la demande sont
possibles et les ajustements se font par les quantités.
Si les mécanismes de marché ne permettent pas l’équilibre entre l’offre et la demande, les entreprises ne sont jamais sûres
de pouvoir écouler toute leur production. Elles décident du volume de celle-ci en fonction d’anticipations sur la demande.
C’est la fameuse « demande effective ». Tant que la demande effective est supérieure à l’offre, les entreprises sont incitées
à développer leur activité. C’est la demande effective qui détermine le niveau de la production et de l’emploi. Rien n’assure
que celui-ci correspondra au niveau du plein-emploi. Autrement dit, le chômage involontaire existe et s’explique par une
insuffisance de la demande. Pour réduire le chômage, seul l’Etat, en agissant sur la demande càd sur la consommation,
l’investissement ou les dépenses publiques, va pouvoir relancer l’activité. En effet, si on laisse fonctionner les mécanismes
de marché, il y a toujours des chances que la situation de sous-emploi perdure voire même s’aggrave.
Sous-emploi et faible activité  faiblesse de la demande effective  révision à la baisse des plans de production dans les
entreprises  baisse de l’emploi et de l’investissement  moins de revenus distribués  moins d’activité  …
C’est sur la base d’une telle théorie que l’Etat va intervenir dans la conjoncture économique essayant de la réguler en
agissant sur les différentes composantes de la demande.
2.
Mécanismes et instruments de la régulation keynésienne.
a. les politiques de demande : une définition.
Les politiques de demande ont pour but d’agir sur les composantes de la demande afin soit de l’augmenter dans le cas où
l’activité économique connaîtrait un fort ralentissement, le but étant d’assurer à terme le plein-emploi, soit de la réduire dans
le cas d’une surchauffe de l’économie.
b. Les instruments utilisés.
La politique budgétaire = instrument privilégié des politiques de relance. L’augmentation des dépenses publiques permet de
distribuer des revenus supplémentaires. La hausse de la consommation qui en résulte a pour résultat un accroissement de
la production et de l’emploi. Le mécanisme du multiplicateur est à l’origine d’une augmentation plus forte de l’activité
économique par rapport à l’accroissement initial des dépenses publiques.
( Si les dépenses publiques = +100 et soi c = 0,8, alors le multiplicateur des dépenses publiques = m = 1/1-c = 5 et
l’accroissement de l’activité économique résultant de l’accroissement des dépenses publiques = 5 x 100 = 500 en économie
fermée. Revoir le multiplicateur d’investissement).
L’Etat peut agir aussi sur le revenu disponible des ménages en diminuant les impôts (cf. politique Jospin) et en augmentant
les revenus de transfert.
Il peut agir sur l’investissement des entreprises par des subventions ou des allégements fiscaux.
Il peut enfin, par le biais d’une politique fiscale adéquate, alléger les impôts sur les bas revenus (mesure de justice fiscale et
sociale) dont la propension à consommer est la plus forte.
Le solde budgétaire peut jouer le rôle de stabilisateur automatique de la conjoncture.
Le solde budgétaire provenant d’une différence entre les recettes et les dépenses est le produit de deux éléments : l’action
délibérée de l’Etat et l’évolution de la conjoncture. En cas de récession et si l’Etat ne modifie pas sa politique de dépenses,
le creusement du déficit exerce un effet de relance sur l’activité économique (on dira qu’on laisse jouer les stabilisateurs
automatiques). En cas de forte croissance, c’est l’effet inverse qui se produira.
La préférence pour l’outil budgétaire vient du fait que les effets de la politique monétaire sont jugés par les
keynésiens comme plus incertains.
La politique monétaire. Pour stimuler l’investissement privé, l’Etat peut abaisser les taux d’intérêt en offrant davantage de
monnaie. Le problème est que si les anticipations des entreprises sur l’évolution de la demande sont pessimistes, la reprise
de l’investissement risque de ne pas se produire malgré la baisse des taux d’intérêt (phénomène de la « trappe à liquidité »).
Cependant la politique monétaire doit accompagner la politique budgétaire car l’augmentation de la demande de la monnaie
due à la reprise économique peut engendrer des tensions sur les taux d’intérêt ce qui freinerait l’investissement.
c. Courbe de Phillips et « fine tuning ».
La courbe de Phillips : résultat d’études empiriques menées par Phillips mettant en évidence une relation inverse entre taux
de chômage et taux d’inflation
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10
Tx d’inflation
Tx de chômage
Plusieurs lectures sont possibles.
1ière lecture : c’est le taux de chômage qui est le facteur premier de cette relation. Le niveau du chômage indique quelle est la
position des salariés sur le marché du travail car suivant celui-ci ils sont en mesure ou non d’imposer des augmentations de
salaire qui ont une influence déterminante sur le niveau d’inflation par le mécanisme de l’inflation par les coûts.
2ième lecture : c’est l’inflation qui est le moteur de cette relation. Elle est un facteur limitatif du chômage car plus elle est forte,
plus elle induit une baisse du taux de salaire réel (w/p) ce qui favorise l’embauche, du moins tant que les salariés sont
victimes de l’illusion monétaire et n’intègrent pas bien la hausse des prix dans leurs anticipations économiques.
La courbe de Phillips va être à la base des politiques économiques conjoncturelles d’inspiration keynésienne devant
permettre un « réglage fin » (« fine tuning ») de l’activité économique. En cas de récession, la relance par la demande réduit
le chômage au prix d’une inflation un peu plus forte et d’un déficit extérieur. Instrument privilégié, la politique budgétaire
contracyclique permet d’accélérer (ou de ralentir) la croissance en modulant les dépenses publiques, les recettes fiscales et
le déficit budgétaire. La politique monétaire accompagne la politique budgétaire ce qui limite les effets d’éviction par des taux
d’intérêt élevés, les politiques de dévaluation permettant de rétablir l’équilibre extérieur. En cas de surchauffe de l’économie,
le gouvernement procède à un freinage de l’activité économique en pesant sur la demande. Le terme de « stop and go » est
souvent utilisé pour désigner la succession des politiques de relance et de freinage.
La période des années 60 s’est révélée être particulièrement propice à ce type de politique :
- respect possible de la règle de Tinbergen
- ouverture des économies modérée
- changes fixes
- gains de productivité élevés.
Annexe :
11
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3.
Limites et effets pervers des politiques d’inspirations keynésiennes.
a. Un nouveau type de crise.
La crise économique qui s’ouvre par les deux chocs pétroliers se traduit par un phénomène inédit : la stagflation càd la
conjonction d’une forte inflation et d’une croissance économique très faible. Elle est à la croisée de plusieurs processus :
- effet dépressif classique joué par les chocs pétroliers qui opèrent une ponction sur le revenu mondial et font chuter
la demande et se traduisent par une augmentation des coûts de production (inflation par les coûts)
- crise « souterraine » et plus profonde du fordisme qui se traduit par une baisse des gains de productivité et de la
norme de consommation
- crise du SMI qui se traduit par l’abandon des changes fixes instauré à Bretton Woods en 1945.
b. L’inefficacité relative des politiques keynésiennes.
Assez rapidement (10 ans tout de même !), les politiques d’inspiration keynésienne s’avèrent inefficaces face à la crise, voire
pire : elles semblent aggraver l’inflation sans réduire le chômage ce qui peut se traduire par un déplacement de la courbe de
Phillips.
Graphique : déplacement de la courbe de Phillips
Tx
d’inflation
Tx de chômage
Cette inefficacité s’explique de différentes manières.
- En cas de relance par la demande, si l’offre ne s’adapte pas à cet accroissement en raison d’une trop grande
inertie du système productif ou d’une rentabilité insuffisante (cas de la politique de relance menée en 1981), ce
n’est pas l’activité économique qui augmente mais l’inflation.
- L’ouverture croissante des économies se traduit en particulier par une moindre sensibilité des importations aux
variations des prix (élasticités prix en baisse). De ce fait, les politiques de dévaluation nécessaires pour
contrebalancer les effets négatifs de l’inflation s’avèrent inefficaces. Les déficits extérieurs tendent à se creuser,
l’inflation à s’accélérer (augmentation des coûts par le biais de l’augmentation des prix des produits importés) et le
pays à perdre du pouvoir d’achat. La courbe en J des effets d’une dévaluation se transforme en une courbe en W.
Graphique : de la courbe en J à la courbe en W
Solde balance
commerciale
X=M
Temps
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Solde balance
commerciale
X=M
Temps
-
-
L’abandon des changes fixes, la circulation de plus en plus libre des capitaux à l’échelle de la planète réduisent
encore un peu plus l’autonomie des nations en termes de politique économique. Ainsi, la politique de baisse des
taux d’intérêt devant accompagner la politique budgétaire de relance n’est plus possible au risque de provoquer
des sorties de capitaux et un effondrement de la monnaie (cf. échec politique Mauroy en 1981). L’effet
multiplicateur de la politique budgétaire est réduit par la contrainte extérieure.
L’effet d’éviction
Politique de relance  augmentation de la production et de la demande  augmentation de la demande de
monnaie (demande de monnaie de transaction)  hausse des taux d’intérêt  baisse des investissements.
L’effet d’éviction traduit le fait que l’Etat, pour financer son déficit, draine une part croissante de l’épargne qui ne va
plus au financement de l’économie et de l’investissement privés.
L’effet « boule de neige » de la dette publique
Si jusqu’au début des années 70 la forte croissance économique et le niveau élevé de l’inflation permettent aux
agents économiques, y compris l’Etat, de financer leur activité économique par l’emprunt (économie
d’endettement), le ralentissement de la croissance économique et l’augmentation des taux d’intérêt réels posent le
problème de la « soutenabilité » de la dette publique. En effet, dans ce contexte économique, les dettes de l’Etat
prennent un caractère explosif (effet boule de neige) et ce, en particulier, à cause des écarts entre taux d’intérêt
réels et taux de croissance. On peut montrer que si taux d’intérêt  taux de croissance, le poids de la dette
publique s’accroît même si le déficit budgétaire est uniquement constitué par les intérêts.
Aussi, tout accroissement du déficit budgétaire risque de provoquer une envolée des taux d’intérêt qui va en retour
freiner les investissements, donc la croissance ce qui aura pour effet d’alourdir encore un peu plus le déficit (du fait
de la baisse des rentrées fiscales et de la hausse des dépenses) et donc le poids de la dette ce qui engendrera
une nouvelle récession… C’est l’effet « boule de neige » !!!
C. Les politiques économiques d’inspiration libérale.
1.
La politique de l’offre et ses limites.
a. Trop d’Etat est nocif à l’économie.
Pour les économistes de l’offre comme A. Laffer, c’est la trop grande intervention de l’Etat qui est responsable de la crise
économique et cela pour au moins 5 raisons.
Le niveau de la protection sociale alourdit le coût du travail et incite les entreprises à substituer du capital au travail.
Le partage de la valeur ajoutée trop favorable aux salariés et le poids croissant des charges sociales réduisent le profit des
entreprises et freinent l’investissement. Or, c’est l’épargne et l’investissement, et non la demande, qui déterminent le niveau
de l’activité économique.
Le poids excessif des impôts décourage l’initiative individuelle et pousse les agents économiques à diminuer leur production
ou à frauder. Ainsi trop d’Etat tuerait l’Etat. Cette idée a été formalisée par A. Laffer sous la forme d’une courbe dite « courbe
de Laffer » :
13
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Recettes
fiscales
0%
100%
Taux de prélèvements obligatoires
L’Etat opère un effet d’éviction sur le secteur privé. Pour les tenants de l’école du Public choice, toutes les disponibilités en
travail et en capital utilisées par l’Etat seraient mieux employées par le secteur privé supposé plus efficace car soumis à la
concurrence et à la réalité du marché.
L’Etat, par ses aides multiples, ses allocations, peut inciter les individus à l’oisiveté (cf. théories du chômage volontaire, du
job-search, etc. ).
Autrement dit, la trop grande intervention de l’Etat provoque une crise de l’offre. La baisse de la rentabilité et de l’épargne
est à l’origine d’une décroissance de l’investissement ce qui provoque un ralentissement de l’activité économique et une
hausse du chômage.
b. Principes et mécanismes des politiques de l’offre (« supply side politics »).
Les politiques de l’offre ont comme objectifs principaux :
- la restauration des profits et la reprise de l’investissement afin de stimuler la production càd l’offre
- un désengagement massif de l’Etat de l’économie.
■
Les principales mesures des politiques de l’offre
Accroissement de la part des profits dans la valeur ajoutée par la modération des salaires et la baisse des impôts sur les
entreprises
Baisse des taux d’imposition et en particulier des taux d’imposition marginaux touchant les plus hauts revenus avec un
double objectif : baisser les prélèvements obligatoires afin d’encourager les individus à travailler et à produire d’avantage et
favoriser les hauts revenus et donc l’épargne.
■ La déréglementation
Seul le marché est efficace. L’Etat doit veiller à son bon fonctionnement et corriger les éventuelles imperfections. Il ne doit
pas se substituer à lui. Tout règlement visant à encadrer l’économie perturbe le bon fonctionnement du marché et est
préjudiciable à l’ensemble de l’économie. Or, durant les Trente Glorieuses, l’Etat est plus en plus intervenu pour encadrer
l’économie : contrôle de la manière dont se fixait un nombre important de prix, intervention dans la fixation des salaires
(SMIC, indexation sur les prix et la productivité), monopoles accordés à certaines entreprises (téléphone, distribution de
l’électricité, etc.), développement du droit du travail, des affaires, réglementations diverse
Aussi, face à cet Etat jugé tentaculaire, et dès le début des années 80, les gouvernements acquis aux principes du
libéralisme (Reagan, Thatcher) vont imposer une déréglementation :
- disparition de certains monopoles (voir déréglementation aérienne aux USA)
- assouplissement du droit du travail avec, par exemple, la suppression de l’autorisation administrative de
licenciement en 1986 ou la loi quinquennale sur l’emploi en 1993
- plus généralement, un désarmement des règlements encadrant les entreprises afin que le marché retrouve les
conditions de la concurrence pure et parfaite (voir l’affaiblissement des lois sociales en Grande-Bretagne après
l’échec de la grève des mineurs sous Thatcher)
- libéralisation des prix entamée par R. Barre dès 1976, désindexation des salaires par rapport aux prix inaugurée
par les socialistes en 1983, encadrement du crédit progressivement abandonné.
■ Les privatisations
Privatisation : un aspect important du désengagement de l’Etat.
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14
Les libéraux considèrent que pour être efficaces les entreprises doivent être soumises aux lois du marché : les entreprises
privées seraient plus efficientes et plus dynamiques que les entreprises publiques ne serait-ce que parce que la gestion de
ces dernières obéit à des considérations sociales ou électorales (théorie du Public Choice). De plus, la vente des entreprises
publiques permet de réduire les déficits sans avoir à augmenter les impôts.
Le mouvement de la privatisation débute au Royaume-Uni et au Canada en 1979. Depuis cette date, le secteur public
anglais a été réduit des ¾ et une quarantaine de sociétés publiques a été vendue.
En France, on peut distinguer 3 périodes :
- 1986-1988 : le gouvernement de J. Chirac prévoit la privatisation de 65 entreprises publiques (TF1, St Gobain,
Suez, Paribas, etc.) mais le mouvement est ralenti par le krach boursier de 1987
- 1988- 1993 : politique du «ni-ni » (càd ni privatisation, ni nationalisation). En dépit de cette règle, l’Etat opère des
privatisations partielles
- à partir de 1993, les gouvernements Balladur et Juppé relancent un programme de privatisation (BNP, RhônePoulenc, Renault, etc.). Le gouvernement de Jospin continue la privatisation mais à un rythme plus lent.
c. Les effets pervers des politiques de l’offre.
L’expérience montre que les politiques de l’offre n’ont pas réussi à replacer les économies sur les rails d’une croissance
durable. Si elles ont permis de lutter contre l’inflation, elles ont eu aussi pour effet de replonger les économies dans la
récession après la brève euphorie de la fin des années 80 (cf. bilan contrasté de la politique économique menée par
Reagan). Un facteur essentiel à cela : la concurrence exacerbée entre les entreprises qui les a conduit à des plans de
licenciements massifs et à des réductions de salaire freinant la demande et donc l’activité économique.
Les privatisations peuvent être aussi à la source de certains dysfonctionnements :
- si l’épargne n’est pas suffisante, les privatisations assèchent le marché financier engendrant des tensions sur les
taux d’intérêt ce qui peut freiner l’investissement
- un éparpillement de la propriété des ex-entreprises nationalisées les rendant plus fragiles
- une atteinte au service public si la gestion des entreprises ne s’effectue que suivant des critères privés (d’où
parfois, la nécessité d’établir des cahiers des charges, càd de réglementer, pour maintenir certaines obligations de
service)
- des risques de difficultés budgétaires accrus pour l’Etat à qui ne sont laissées que les entreprises non rentables
(les profits sont privatisés et les pertes sont nationalisées).
2.
La politique de désinflation compétitive.
a.
b.
c.
Pourquoi lutter contre l’inflation ?
Les moyens mis en œuvre.
Les résultats.
D. Les Contraintes de la politique économique en Europe.
Travail sur texte de F. Milewski in Manuel de Terminale Es, La Découverte , 3ième édition.
Annexes :
Document 1.
Le retour des politiques keynésiennes
par Jacques ADDA.
Le dogmatisme des années 80 a fait place, dans le domaine budgétaire comme dans le domaine monétaire, à un
pragmatisme qui tend à se généraliser dans les pays développés.
Keynes est de retour. Il suffit de prêter attention aux débats de politique économique des deux côtés de l'Atlantique et du
Pacifique pour sentir que quelque chose a changé. L'activisme budgétaire, décrié depuis plus de vingt ans, est clairement à
l'ordre du jour aux Etats-Unis, où l'expansion budgétaire programmée pour 2002 pourrait être la plus forte depuis 1983.
Quant à l'Europe, elle cherche par tous les moyens à desserrer les contraintes du pacte de stabilité (qui borne le déficit
public à 3 % du PIB) pour laisser jouer les stabilisateurs économiques. Autrement dit, pour laisser l'accroissement spontané
du déficit+ public jouer sont rôle d'amortisseur conjoncturel en période de crise.
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15
Le Japon, qui n'a pas hésité à manier l'arme budgétaire à des fins conjoncturelles au cours des dix dernières années,
s'interroge sur les moyens de maximiser l'effet expansif de la dépense publique. De façon significative, la persistance de la
crise n’est pas mise sur le compte d'une politique budgétaire trop active, mais sur l'orientation inadéquate de la dépense
publique et sur les changements de cap inopportuns, comme la décision de relever les impôts en 1997, qui a étouffé dans
l'oeuf la reprise engagée un an plus tôt. Lorsque l'instrument budgétaire a été utilisé avec détermination et efficience, comme
en 1995, les résultats ne se sont pas fait attendre (1).
Une orientation contracyclique...
Dans le domaine monétaire, le tableau est plus clair encore. L'orientation contracyclique(a) de la politique monétaire est
devenue évidente aux Etats-Unis dès la fin des années 80, dès l'entrée en fonction d'Alan Greenspan à la tête de la banque
centrale américaine, en 1987. A quatre reprises - à la suite du krach+boursier d'octobre 1987, lors du retournement
conjoncturel du second semestre 1990, lors de la crise financière de l'automne 1998 et depuis la fin 2000 -, la politique
monétaire a été délibérément et systématiquement mise au service de la stabilisation conjoncturelle, parfois à titre
clairement préventif, comme fin 1987 et fin 1998. La dernière phase d'assouplissement monétaire est particulièrement
impressionnante. Au cours de l'année 2001, la Fed, la Réserve fédérale américaine, a fait passer son taux d'intérêt de 6 % à
1,75 %, dont trois points de baisse avant le 11 septembre. Jamais la Fed+ n'a été aussi agressive dans un tel soutien de
l'activité. A moins de 2 %, les taux courts américains sont à leur plus bas niveau depuis le début des années 60. Ils sont
aussi négatifs en termes réels pour la première fois depuis le milieu des années 70.
En Europe, les réticences de la Banque centrale+ européenne (BCE) à utiliser l'arme monétaire à des fins conjoncturelles
n'ont pas résisté au retournement de la conjoncture, et notamment à l'entrée en récession de l'économie allemande au
printemps 2001. A la suite du 11 septembre, la BCE mettait un peu de côté son discours stéréotypé sur la nécessité de
ramener l'inflation en dessous de l'objectif officiel de 2 % et baissait à deux reprises son taux directeur d'un demi-point, de
façon à enrayer la dégradation rapide de l'activité. Bien que timide au regard de l'action déterminée de la Fed, la lente
acceptation par la BCE de ses responsabilités en matière conjoncturelle témoigne d'un changement de cap par rapport à
l'orthodoxie quantitativiste en vigueur pendant ses deux premières années d'activité. La Banque d'Angleterre, de son côté,
faisait preuve, de moins de timidité, abaissant son taux d'intérêt de deux points en 2001, soit à 4 %, son plus bas niveau
depuis 1964, malgré un taux de croissance+ qui place le Royaume- Uni en tête du G7(b) en 2001.
Le cas du Japon est, là encore, particulier. Avec un taux d'intérêt+ ramené pratiquement à zéro depuis 1995, le Japon fait
figure, en apparence, de cas extrême en matière d'activisme monétaire. Les choses sont toutefois plus complexes qu'elles
n'y paraissent. Confrontée à des tendances déflationnistes marquées, la Banque du Japon a épuisé ses marges de
manoeuvre en matière de taux, sans réussir à relancer l'offre de crédit bancaire. Les bilans des banques sont en effet
encombrés d'une masse considérable de créances douteuses, qui va en grossissant avec la chute de la Bourse, et les
dissuade de prêter à des entreprises elles-mêmes surendettées (2). Ne pouvant aller jusqu'à rémunérer les emprunts par
des taux négatifs, la banque centrale n'a d'autre choix, pour élever la liquidité de l'économie, que de monétiser le déficit
public, c'est-à-dire de le financer par la création monétaire, un pas qun'a pas encore osé franchir.
... après trente ans d'orthodoxie libérale
Au total, la récession aidant, la politique économique+ a pris en 2001 une orientation contracyclique dans les trois pôles de
la Triade (Etats-Unis, Europe, Japon). Cette évolution témoigne d'un revirement profond des conceptions
macroéconomiques, à l'issue d'un long règne quasiment sans partage de l'orthodoxie libérale. Comment comprendre un tel
aggiornamento ? Il faut pour cela se remémorer les conditions de la crise du modèle keynésien de régulation conjoncturelle
dans les années 70. Cette crise s'est développée, à l'époque, au niveau empirique et au niveau théorique. Au niveau
empirique, le modèle n'a pas résisté à la double mutation que constituaient l'irruption de la stagflation - combinaison d'un
chômage et d'une inflation élevés - et l'accélération du processus de globalisation+. L'irruption de la stagflation a fait voler en
éclats, au moins dans un premier temps, l'idée de l'existence d'un arbitrage inflation-chômage, qui fondait l'action
conjoncturelle depuis les travaux de Phillips. Les tentatives de relance budgétaire menées à l'issue du choc pétrolier dans
différents pays, dont les Etats-Unis et la France, n'ont pas toujours réussi à résorber le chômage, tandis que l'inflation
demeurait élevée et que la dette publique gonflait dangereusement.
L'intensification de l'effort à l'exportation+, nécessaire au règlement de la facture pétrolière, révéla par ailleurs l'existence
d'une contrainte de compétitivité, largement négligée jusque-là, que la concurrence nouvelle des pays à bas salaires
exacerba. Les économies s'ouvrant rapidement, la gestion de la demande devint plus hasardeuse, comme la France en fit
l'expérience amère en 1981-1982. Faute de pouvoir canaliser le surcroît de demande vers l'offre intérieure, la relance
budgétaire n'avait pour effet que de creuser le déficit+ extérieur. Quant à la politique monétaire, elle faisait l'apprentissage
des limites posées à son autonomie par les progrès d'une intégration financière internationale dynamisée par le recyclage
des excédents pétroliers et les premiers pas de la libéralisation+ financière aux Etats-Unis.
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Au niveau théorique, le modèle keynésien fut soumis à une attaque en règle par des économistes classiques revigorés par
l'impasse dans laquelle se trouvait désormais la politique conjoncturelle. La courbe de Phillips fut déconstruite par Milton
Friedman, qui, en réintroduisant des hypothèses classiques sur la formation de l'offre et la demande de travail, montra que le
taux de chômage était indépendant du taux d'inflation à long terme. Selon cette analyse, l'existence d'un arbitrage apparent
entre inflation et chômage à court terme ne résulterait que d'une information imparfaite des agents économiques et du
caractère adaptatif des anticipations d'inflation. Plus radical, Robert Lucas développait un modèle d'anticipations rationnelles
qui ôtait toute efficacité à la politique monétaire en matière de lutte contre le chômage, y compris à court terme.
Dans le domaine budgétaire, Robert Barro présenta son fameux théorème d'équivalence(c), qui prétend démontrer que, quel
que soit son mode de financement, l'accroissement du déficit public n'a aucune incidence sur la demande agrégée, donc sur
la production et l'emploi. Parce que, dans tous les cas, que le déficit soit financé par l'emprunt ou par la création monétaire,
les agents privés relèveront leur taux d'épargne de façon à se prémunir contre l'érosion monétaire de leur patrimoine
financier ou à se protéger des impôts qui seront vraisemblablement levés à l'avenir pour rembourser l'accroissement de la
dette publique. Plus simplement, l'idée s'imposait à la fin des années 70 que l'inefficacité des politiques de relance
budgétaire découlait de l'importance des effets d'éviction de la demande privée, dans la mesure où la demande de
financement+ émanant du secteur public suscite une hausse des taux d'intérêt à long terme qui exerce un effet dépressif sur
la demande privée. Loin de prendre le relais de la demande privée dans les phases de creux conjoncturel, la demande
publique se substitue à elle.
La politique monétaire se borne à résorber l'inflation
Ayant vidé de sa substance le modèle keynésien de régulation de la demande, les nouveaux classiques réorientèrent
l'analyse de la politique économique vers les conditions d'offre dans le cadre de modèles parfaitement dichotomiques, où la
sphère réelle de l'économie (production, emploi, salaires réels, profits, etc.) et la sphère monétaire évoluent de façon
complètement indépendante l'une de l'autre. La politique monétaire se vit assigner la tâche exclusive de résorber l'inflation
par une politique de contrôle de l'offre de monnaie, l'incidence des variations du taux d'intérêt nominal sur la demande
agrégée étant jugée insignifiante.
De façon logique, l'accent fut progressivement mis sur la nécessaire indépendance institutionnelle des banques centrales,
de façon à les protéger de toute interférence politique et à éliminer toute possibilité de financement monétaire des déficits
budgétaires. La politique budgétaire fut investie, en Europe et au Japon surtout, de la mission de résorber les stocks de
dette publique accumulés dans les années 70 et de réduire autant que faire se peut le niveau des prélèvements obligatoires,
jugés incompatibles avec l'incitation au travail, à l'épargne et à l'investissement. La reprise de l'emploi et la résorption du
chômage devaient résulter de la libération des conditions d'offre, autrement dit de la déréglementation des marchés du
travail (flexibilité des salaires et réduction de l'influence syndicale), des marchés financiers (développement de la finance
directe) et des marchés de biens et services (ouverture à la concurrence internationale, privatisations).
Le modèle néoclassique se fissure
Largement dominant dans les années 80, le modèle classique a commencé à se fissurer dans le domaine monétaire. Le
monétarisme en vogue à l'époque de Paul Volcker (le prédécesseur d'Alan Greenspan à la tête de la Fed) supposait que les
agrégats monétaires(d) puissent être contrôlés, autrement dit que leurs définitions soit claires et leurs évolutions prévisibles.
La déréglementation des marchés de titres et les innovations financières qu'elle a suscitées sont venues à bout de cette
idée. Face à la volatilité des agrégats et au flou des définitions, la Fed revenait, à la fin des années 80, à une politique de
régulation monétaire par les taux d'intérêt. Par ailleurs, les progrès rapides de la désinflation restituaient une certaine
autonomie à la politique monétaire en ce qui concerne la définition de ses objectifs. Avec le contre-choc pétrolier de 1986
(l'effondrement des prix du pétrole), le taux d'inflation retombait aux environs de 3 % aux Etats-Unis. Ayant largement
accompli sa mission, la politique monétaire pouvait être remise au service de la stabilisation conjoncturelle. Dès 1988, son
orientation devient clairement contracyclique aux Etats-Unis. Elle l'est restée jusqu'à ce jour.
L'utilisation conjoncturelle de la politique monétaire+ suppose toutefois qu'elle soit débarrassée de tout objectif de change.
Ce qui est vrai des Etats-Unis et du Japon - la flexibilité du taux de change - ne l'était pas de l'Europe, à l'exception de
l'Allemagne, jusqu'en 1999. Vingt ans durant, de la création du système monétaire européen (SME) en 1979 à l'union
monétaire en 1999, les politiques monétaires européennes ont été accaparées par la défense des taux de change. L'inflation
étant plus faible en Allemagne que dans tous les autres pays participant au système ou presque, la fixité des taux de change
était synonyme d'appréciation du change réel par rapport au deutschemark. L'affectation de la politique monétaire au respect
d'une règle de change a ainsi servi de fondement aux politiques de désinflation en Europe, stratégie qui a reçu en France le
nom de désinflation compétitive.
CHAPITRE 7 – Cours de Terminale - Année 2004-2005 – Lycée de Luynes – E. CHARRIER
17
Avec le passage à l'euro, la politique monétaire européenne retrouve, au niveau collectif, une autonomie dont elle hésite
encore à faire usage. N'ayant pas à se soucier de la parité de l'euro, la BCE est désormais libre de se mettre à l'école de la
Fed en matière de régulation monétaire, ce qui suppose seulement qu'elle s'affranchisse de cadres de pensée dépassés.
L'autonomie monétaire requiert aussi l'absence de contrainte extérieure. Inexistante dans le cas du Japon (pour cause de
surplus chroniques) et aux Etats-Unis (en raison du statut de monnaie internationale du dollar), la contrainte extérieure est
désormais transcendée, pour les différents pays de la zone euro, par l'union monétaire. Globalement, les transactions
courantes de la zone sont équilibrées, ce qui laisse toute latitude à la BCE en matière de régulation conjoncturelle. Le degré
élevé d'introversion commerciale de la zone euro, désormais comparable à celui des Etats-Unis ou du Japon, lui assure un
degré de liberté en matière de politique économique dont ne disposaient pas les économies nationales avant l'union
monétaire.
Mobiliser l'arme budgétaire devient possible
Les marges de manoeuvre des politiques monétaires sont toutefois limitées par leur succès passé. Avec des taux d'inflation
pratiquement nuls, quand ils ne sont pas franchement négatifs, comme au Japon, et des taux d'intérêt nominaux désormais
proches de (ou égaux à) zéro, la politique monétaire+ a pratiquement épuisé ses munitions. En cas de déflation, comme au
Japon, la réduction des taux nominaux à leur niveau minimal n'empêche pas la montée des taux d'intérêt réels. Avec un taux
nominal+ ramené à 1,75 % aux Etats-Unis, la Fed n'est pas sûre de pouvoir empêcher une remontée des taux réels en cas
de poursuite du mouvement désinflationniste. Rançon de sa frilosité, la BCE a conservé plus de marges d'action. Mais il
n'est pas sûr qu'elle soit disposée à les utiliser. Dans tous les cas, qu'elle soit objectivement ou subjectivement au bout de
ses possibilités, la politique monétaire ne peut que passer le relais à l'action budgétaire pour enrayer la logique dépressive.
Or, dans ce domaine, les marges de manoeuvre ont été reconstituées de façon spectaculaire dans les années 90. Aux
Etats-Unis, la rigueur budgétaire des années Clinton, les dividendes de la fin de la guerre froide et la croissance rapide des
années 1996-2000 ont transformé le déficit massif de la fin des années 80 en excédent non moins imposant à la veille de
l'actuelle récession(3). Dans une moindre mesure en Europe, la rigueur des années Maastricht et le retour de la croissance
à la fin des années 90 ont permis de ramener les finances publiques à l'équilibre en 2000 dans la zone euro et en position
excédentaire dans l'Union européenne, compte tenu des excédents britanniques. Le Japon, de son côté, a mis à profit la
bonne santé de ses finances publiques à la fin des années 80 pour mobiliser l'arme budgétaire, malheureusement à mauvais
escient.
Adapter aussi les relations Nord-Sud
D'une façon générale, le dogmatisme des années 80 a laissé place, dans le domaine budgétaire comme dans le domaine
monétaire, à un pragmatisme qui tend à se généraliser dans les pays développés. Si les défauts de la politique budgétaire+
ne sont pas ignorés - délais importants d'émergence d'un consensus parlementaire sur les mesures à prendre, interférences
massives de considérations partisanes dont témoigne l'actuel débat budgétaire aux Etats-Unis -, les critiques purement
théoriques mises en avant dans les années 70 ne sont plus de mise. L'esthétique du théorème d'équivalence de RicardoBarro, par exemple, ne peut masquer son caractère irréaliste. De même, si des effets d'éviction peuvent jouer, ils ne sont
pas de nature à annuler l'impact de la dépense publique, en particulier en période de récession.
Avec le recul du temps, il apparaît de plus en plus clairement que les considérants théoriques des politiques économiques
n'étaient en général qu'un habillage visant à mieux justifier un changement des priorités dans le cadre d'un environnement
international en pleine mutation. Reste que ce pragmatisme, en vigueur désormais dans le monde développé, tarde à
s'imposer dans le domaine des relations Nord-Sud, où l'orthodoxie libérale, certes contestée désormais de l'intérieur même
des organisations financières internationales, sert toujours de cadre de référence aux politiques d'ajustement, structurelles
comme conjoncturelles.
(a) Orientation contracyclique : politique économique visant à contrecarrer l'évolution spontanée de l'économie. Exemple :
faire une politique budgétaire expansive pour soutenir la demande dans un contexte de récession+.
(b) G7 : Etats-Unis, Japon, Canada, France, Allemagne, Royaume-Uni et Italie.
(c) Théorème de Ricardo-Barro : comportement de précaution des ménages, qui épargnent au lieu de consommer, en
prévision d'une augmentation des impôts, quand le gouvernement accroît le déficit budgétaire.
(d) Agrégats monétaires : grandeur statistique mesurant un ensemble déterminé de moyens de paiement ou d'actifs
monétaires : espèces, comptes courants, comptes d'épargne...
(1) Voir " Restauring the Fiscal Option ", The Economist, 19 janvier 2002.
(2) Voir " Japon : le piège de la déflation+ ", Alternatives Economiques n° 194, juillet-août 2001.
(3) Voir " Etats-Unis : la fin des excédents budgétaires ", Alternatives Economiques n° 197, novembre 2001.
CHAPITRE 7 – Cours de Terminale - Année 2004-2005 – Lycée de Luynes – E. CHARRIER
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Alternatives économiques, n° 052 (04/2002)
Page 42
Auteur : Jacques ADDA.
Document 2.
Les vraies lois de l'économie : "Rien ne vaut une bonne politique"
par Jacques GENEREUX.
Longtemps considérée nécessaire au bon fonctionnement de l'économie, la politique économique a été durement attaquée
par les monétaristes depuis 1975. Mais leurs préceptes n'ont jamais été réellement mis en oeuvre. Avec raison.
Jusqu'aux années 20-30, la politique économique existe de fait, sans dire son nom. Mais c'est alors seulement qu'elle
devient une branche à part entière de l'analyse économique. Dès l'origine, celle-ci va emprunter deux pistes qui caractérisent
aujourd'hui encore la ligne de démarcation entre les libéraux et les interventionnistes. La première, initiée par Arthur Cecil
Pigou et son Economie du bien-être, croit en l'équilibre général spontané d'une économie de marché libre. Elle identifie
cependant quelques défaillances microéconomiques des marchés, qui appellent la mise en place de règles juridiques et
fiscales incitant les individus à corriger leur calcul économique dans un sens conforme à l'optimum social.
Du consensus keynésien...
Le choc de la grande dépression des années 30 rappelle pourtant la tendance séculaire des marchés à engendrer aussi des
crises macro-économiques durables. Il favorise l'émergence et la promotion d'une seconde voie de recherche, ouverte par la
Théorie générale de l'intérêt, de l'emploi et de la monnaie, de John Maynard Keynes (1936). A sa suite, les keynésiens
contestent la capacité des marchés à garantir spontanément un équilibre général et le plein-emploi. Aux défaillances
microéconomiques du marché, il faut ajouter une défaillance macro-économique, qui appelle des politiques monétaires et
budgétaires discrétionnaires. La victoire de la vision keynésienne est rapide et très large, sur le plan politique comme sur le
plan théorique. Avec les rapports Beveridge (à partir de 1942), l'Angleterre, berceau de la pensée classique et néoclassique
libérale, confie à l'Etat la responsabilité de protéger la population contre les risques économiques et d'assurer le pleinemploi. La plupart des pays industriels suivront cette démarche dans les années 40.
Un consensus théorique plus ambigu s'instaure aussi à la suite des travaux de John Richard Hicks (1937), Franco Modigliani
(1944), Paul Anthony Samuelson (1947) et Alvin Harvey Hansen (1947). Ces derniers formalisent l'apport incontesté de
Keynes, de manière à l'intégrer dans un modèle général compatible avec les outils d'analyse de l'économie néoclassique.
Cette démarche, qualifiée de " synthèse néoclassique ", a le défaut majeur d'évacuer tout ce qui distinguait radicalement
l'approche keynésienne (l'incertitude et le rôle des anticipations, des conventions sociales, de la distribution du revenu,
notamment). Mais son résultat premier est aussi d'offrir un cadre à la recherche d'une combinaison optimale des politiques
budgétaires et monétaires, dont presque personne ne remet plus en cause la nécessité.
En 1966, trente ans après la publication de la Théorie générale, William Heller, ancien président du Comité des conseillers
économiques du président Kennedy, peut écrire : " Nous sommes unanimes à penser que l'économie ne peut pas trouver
son rythme d'elle-même. Il semble maintenant tout naturel que le gouvernement intervienne pour maintenir l'emploi et la
croissance économique à des taux élevés, tâche essentielle que les mécanismes du marché ne sauraient effectuer
spontanément " ((1)).
... à la fable monétariste
Moins de dix ans plus tard, pourtant, ce beau consensus commence à voler en éclats. La rupture durable du rythme de
croissance économique en 1974-1975, l'apparition simultanée du chômage de masse et de l'inflation (la " stagflation ") et
l'impuissance apparente des politiques monétaires et budgétaires à contrecarrer ces évolutions néfastes sèment le doute. La
politique économique semble perdre le contrôle de la situation. D'autant que les pays découvrent alors les effets de la
contrainte extérieure : des économies nationales ouvertes et interdépendantes ne peuvent plus être gérées selon les
priorités souveraines de leurs gouvernements.
Dans une atmosphère générale de remise en cause de l'interventionnisme étatique, la droite libérale remporte les élections
au Royaume-Uni, aux Etats-Unis et en Allemagne. Et si l'Europe reste néanmoins dominée par des majorités socialdémocrates, ces dernières semblent se ranger à l'idée d'un nécessaire désengagement de l'Etat. Le climat est alors propice
au retour en force du monétarisme, développé depuis les années 50, en marge du consensus keynésien, par Milton
Friedman et l'école de Chicago.
CHAPITRE 7 – Cours de Terminale - Année 2004-2005 – Lycée de Luynes – E. CHARRIER
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Pour Friedman, dans le long terme, conformément au modèle néoclassique, une économie de marchés libres est
spontanément équilibrée et assure le plein-emploi dans un sens bien particulier : le chômage existant est un chômage
" naturel ", qui reflète des imperfections structurelles du marché du travail. Dans une économie qui emploie déjà
spontanément au mieux tous les facteurs de production disponibles et employables, une politique discrétionnaire de relance
de l'activité visant la réduction du chômage ne peut, en fin de compte, qu'engendrer de l'inflation sans modifier le chômage
" naturel ".
L'entêtement des gouvernements keynésiens à relancer l'économie s'explique par le fait qu'il est toujours possible de faire
baisser le chômage temporairement. En effet, si les individus n'anticipent pas qu'une hausse des allocations familiales, par
exemple, entraînera un jour ou l'autre de nouveaux prélèvements obligatoires, ils se croient plus riches et augmentent leurs
dépenses. Pour répondre à cette demande, les entreprises doivent convaincre des chômeurs " naturels " de travailler : elles
augmentent donc les salaires. Si les chômeurs n'anticipent pas l'inflation provoquée par la relance de l'économie, ils croient
que les salaires réels ont augmenté et acceptent plus volontiers de travailler : à court terme, la production augmente et le
chômage diminue.
Mais cela ne dure que le temps nécessaire aux individus pour réaliser leur méprise et adapter leurs anticipations à la réalité.
Ainsi, quand les travailleurs comprennent que la hausse des salaires nominaux a été mangée par l'inflation et que le salaire
réel est inchangé, ceux qui avaient " accepté " de ne plus être au chômage y retournent sur-le-champ, et le chômage
retrouve son niveau naturel. A terme, donc, la relance keynésienne produit seulement de la stagflation : davantage d'inflation
et autant de chômage.
La seule régulation qui ait grâce aux yeux des monétaristes est une règle quasi constitutionnelle de croissance régulière de
la masse monétaire compatible avec la stabilité des prix. Mais ce n'est pas une politique ; c'est une routine technique mise
en oeuvre par une banque centrale indépendante du pouvoir et dont c'est le seul objectif. Le modèle monétariste initial est
parachevé dans les années 70 par la théorie des anticipations rationnelles - ou encore la nouvelle macroéconomie
classique, initiée par Robert Lucas, Leonard Rapping, Thomas Sargent et John Wallace. Ces derniers observent que, dans
la variante friedmanienne du modèle néoclassique, la politique économique n'a des effets à court terme qu'en raison des
anticipations adaptatives des acteurs qui tardent à comprendre ce qui se passe. Ils introduisent alors dans ce modèle
l'hypothèse d'anticipations rationnelles formulée en 1961 par John Muth : des agents rationnels utilisent toute l'information
disponible et comprennent le fonctionnement de l'économie, si bien que, en moyenne, leurs anticipations correspondent à la
réalité.
Avec des anticipations rationnelles, dès l'instant où le gouvernement annonce une politique de relance, les décideurs savent
que celle-ci sera inflationniste et sans effet sur le chômage. Les salaires nominaux sont alors relevés pour compenser
l'inflation et, comme le salaire réel reste inchangé, l'emploi et le chômage ne bronchent pas. Les ménages qui bénéficient de
transferts sociaux plus élevés ne consomment pas davantage : ils épargnent pour faire face à la hausse prévisible des
prélèvements. Bref, la politique keynésienne est totalement inutile et sans effet, même à très court terme.
Et pourtant, elle marche !
Tout à leur joie d'avoir " démontré " un résultat aussi radical et portés par l'humeur du temps, les "Chicago Boys " pourront
exercer dans les deux décennies suivantes une arrogante et hallucinante domination dans les départements de
macroéconomie. Hallucinante, car tout ce qu'ils ont démontré, à grand renfort d'équations simultanées, n'est qu'une
gigantesque lapalissade. En somme, ils nous apprennent que, dans une économie en situation d'équilibre général et de
plein-emploi, une politique économique qui vise à rétablir l'équilibre et le plein-emploi est inefficace ! Keynes aurait pu le dire,
et sa concierge aussi. Point n'est besoin d'être médecin pour savoir qu'en administrant mille piqûres à un patient qui n'est
pas malade, on ne va pas le guérir, mais le tuer peut-être !
Dans le monde réel, et dans les seuls cas où l'on a besoin d'une intervention politique pour soutenir l'activité (récession et
sous-emploi) ou de la contenir (accélération de l'inflation), les bonnes vieilles politiques keynésiennes restent d'une
remarquable efficacité. Que les anticipations soient rationnelles ou non ne change pas grand-chose à l'affaire. Si l'économie
fonctionne déjà parfaitement, toute politique économique sera inutile et nuisible, que les agents l'anticipent ou non. Si, au
contraire, il existe des capacités de production efficaces mais inutilisées faute de demande, une relance de cette dernière
améliore la production et l'emploi, quelles que soient les anticipations. Et si les anticipations sont rationnelles, elles
renforcent l'efficacité de la relance, parce que tous les acteurs prévoyant ses effets bénéfiques reprennent confiance.
Le Royaume-Uni et les Etats-Unis, qui furent, dans les années 80, les premiers à embrasser officiellement la nouvelle
religion monétariste, furent heureusement pour eux les derniers à l'appliquer vraiment en matière de politique
macroéconomique. Ils n'ont quasiment jamais cessé d'utiliser la politique des taux d'intérêt et les déficits publics, avec
pragmatisme et en parfaite conformité avec les préceptes du modèle keynésien ((2)). Avec un succès certain en matière de
CHAPITRE 7 – Cours de Terminale - Année 2004-2005 – Lycée de Luynes – E. CHARRIER
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croissance et d'emploi. D'autres pays européens (la France, notamment) démontrèrent, pour leur part, les effets sociaux
désastreux d'une politique monétaire trop rigoureuse appliquée en période de désinflation (années 1990-1995). Bref, quels
que soient les pays observés, et en dépit de la fameuse " réduction des marges de manoeuvre " causée par la non moins
fameuse mondialisation, tous les pays ont continué à manoeuvrer allègrement, avec succès quand ils suivaient une politique
discrétionnaire guidée par la réalité, et sans succès quand ils se laissèrent guider par des dogmes intangibles.
La récurrence des crises financières internationales, l'aveu d'échec des politiques libérales menées dans le tiers monde par
le FMI et la Banque mondiale sont aujourd'hui en passe de retourner le consensus néolibéral. Plus personne n'oserait
affirmer aujourd'hui que les politiques économiques sont totalement inutiles. On n'est sans doute plus très loin du moment où
la phrase de W. Heller citée plus haut sera à nouveau d'actualité.
L'intermède monétariste des années 80 et 90 aura néanmoins été utile à quelque chose. Dans les années 60, on n'était pas
loin de penser que les gouvernements n'avaient qu'à appliquer les résultats objectifs d'une science économique neutre.
Désormais, tout le monde sait que des économistes peuvent vendre comme scientifiques des dogmes théologiques, et que
des gouvernements qui affichent une religion peuvent mener des politiques réelles opposées s'ils les jugent opportunes. En
un mot, on sait à présent que ce n'est pas la politique qui est économique, mais l'économie qui est politique.
(1) Cité par M. Beaud et G. Dostaller, La pensée économique depuis Keynes, éd. du Seuil, 1996, page 93. Ce dernier
ouvrage constitue par ailleurs une excellente référence pour aller plus loin sur le sujet traité ici.
(2) Voir l'historique de ces politiques dans La facture sociale, par Hoang Ngoc Liêm, éd. Arléa, 1999.
Alternatives économiques, n° 192 (05/2001)
Page 78
Auteur : Jacques GENEREUX.
Document 3.
La croissance, l'emploi et la politique économique
par Pierre-Alain MUET.
Ces dernières années montrent que, malgré la mondialisation, les gouvernements disposent encore de marges de
manoeuvre pour une politique économique volontariste.
Quelles sont les marges de manoeuvre d'un gouvernement en matière de croissance et d'emploi ? Le volontarisme est-il
possible en macroéconomie, dans un contexte de mondialisation ? Ces questions relevaient de l'abstraction avant que cinq
années de gouvernement de gauche ne changent radicalement les perspectives.
La rupture de 1997
En 1997, la question du plein-emploi ne se posait pas. Contenir la hausse du chômage et commencer à en inverser
l'évolution apparaissaient déjà comme des objectifs ambitieux. Le terme même de plein-emploi avait disparu du vocabulaire
économique et politique, tant la montée puis la persistance du chômage de masse, qui avaient marqué la France comme
d'ailleurs d'autres nations européennes, semblaient être devenues la norme. Une croissance de 3 % paraissait hors
d'atteinte sur une période de plusieurs années, sauf à bénéficier d'une conjoncture mondiale exceptionnelle.
En cinq ans, la France a pourtant changé de visage, non seulement au regard des années qui précédaient, mais plus encore
au regard de la longue période. La croissance a doublé par rapport aux années antérieures, passant de 1,5 % à 3 %.
Surtout, jamais au cours du siècle écoulé, notre économie n'aura créé autant d'emplois en si peu de temps. Sur les 5 millions
d'emplois créés depuis un siècle, 2 millions l'ont été depuis 1997. Avec respectivement 540 000 et 580 000 créations nettes
d'emplois, 1999 et 2000 resteront comme les années records du XXe siècle. Seule l'année 1969 - avec 430 000 emplois aura approché cette performance, mais dans un contexte de croissance exceptionnelle (une relance et une dévaluation
massives engendrant une croissance de 7 %).
Ce changement ne doit rien à la conjoncture+ internationale. La croissance française est passée de 1,5 % en moyenne
pendant les années Balladur-Juppé à 3 % en moyenne dans les années Jospin, alors que, dans le même temps, la
croissance mondiale ralentissait de 3,2 % à 2,7 %. Ni l'Allemagne, ni l'Italie, ni le Royaume-Uni n'ont connu une accélération
de leur croissance depuis 1997.
CHAPITRE 7 – Cours de Terminale - Année 2004-2005 – Lycée de Luynes – E. CHARRIER
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Que la conjoncture internationale ne soit pour rien dans le changement de régime de croissance qu'a connu la France
depuis 1997 se comprend aisément lorsqu'on analyse les moteurs de cette accélération. Ils sont tous strictement internes :
une consommation dopée par des créations d'emplois exceptionnelles ; un investissement stimulé par une consommation
très dynamique. Sous les gouvernements Balladur et Juppé, les créations d'emplois étaient faibles, le chômage progressait,
la consommation augmentait à peine ( 0,9 % par an) et l'investissement stagnait. Depuis l'été 1997, en revanche, la
consommation a gagné 3 % par an et l'investissement 5,3 %.
Un volontarisme rendu possible par l'euro
Si chance il y a eu, ce fut d'arriver à un moment de la construction européenne où la perspective de l'union monétaire rendait
possible un volontarisme politique en matière économique. Pour la première fois depuis l'éclatement du système de Bretton
Woods, le gouvernement français retrouvait, avec l'euro, la possibilité de conduire un policy mix(a) adapté à la dimension
qu'avait pris notre espace économique : l'Europe. Pour la première fois, les nations européennes pouvaient conduire des
politiques nationales à l'abri des crises de change.
L'union monétaire permettait une politique volontariste ; elle ne saurait pour autant expliquer les résultats obtenus dans notre
pays. Car le changement qui s'est produit depuis quatre ans en termes de croissance et d'emploi ne s'est retrouvé ni en
Italie ni en Allemagne, alors même que ces deux pays baignaient dans le même environnement international et monétaire.
En 1997, la France souffrait d'un déficit+ de demande considérable. Les politiques de rigueur conduites dans les années 80
et au début des années 90 avaient en grande partie restauré la compétitivité de notre économie et engendré une profitabilité
élevée, mais au prix d'un déficit de demande massif qui se traduisait par une économie " bloquée ". Si le diagnostic était
simple (ranimer la demande), sa mise en oeuvre l'était moins à l'été 1997, car il fallait simultanément réduire le déficit public
pour entrer dans l'union monétaire.
Les choix initiaux furent déterminants. En faisant porter l'ajustement budgétaire sur la seule variable susceptible de ne pas
peser sur la demande (une hausse transitoire de l'impôt sur les sociétés, dans un contexte où les profits des entreprises
étaient élevés et l'investissement limité par les débouchés), en favorisant la hausse de la masse salariale par une politique
ambitieuse de créations d'emplois (les emplois-jeunes) et par une politique fiscale audacieuse (transfert en une fois des
cotisations sur la CSG), la politique économique engendra la reprise de la consommation, de la confiance et de
l'investissement. Les deux moteurs d'une croissance autonome étaient alors allumés.
Une autre croissance
Mais le changement le plus fondamental a concerné la nature même de la croissance. Pendant plus de deux décennies, la
croissance française s'est traduite pour l'essentiel en hausse des revenus individuels avec un emploi stagnant ; elle n'a donc
bénéficié qu'à ceux qui avaient un emploi. Voyant, dans cette répartition de la croissance, le choix implicite de la société
française pour le chômage, le rapport Minc plaidait, en 1995, pour la poursuite d'une stratégie de désinflation compétitive
dont les résultats en termes d'emplois n'étaient pourtant guère convaincants.
L'approche fut radicalement différente à partir de 1997. En s'appuyant sur l'expérience de certains pays européens
(notamment les Pays-Bas), le gouvernement a voulu, par la négociation sur la réduction du temps de travail, que s'établisse
en France un nouveau contrat social mettant l'emploi au coeur de la négociation collective. Dans la RTT, la modération
salariale avait une double contrepartie visible et tangible pour les salariés : du temps libre gagné pour ceux qui avaient un
emploi, des emplois créés dans l'entreprise pour ceux qui étaient au chômage.
Si la croissance française a été au cours de ces cinq années exceptionnellement riche en emplois (3 % de croissance qui se
sont décomposés en 2 % d'augmentation de l'emploi et 1 % de progression du salaire individuel), c'est que, pour la première
fois à une échelle qui ne relevait plus de l'expérimentation locale comme la loi Robien, les salariés et les chefs d'entreprise
ont fait le choix de l'emploi, sous l'impulsion et avec le soutien financier de l'Etat. Ce changement de régime de croissance
constitue également la plus ambitieuse des politiques de redistribution jamais réalisée. Aucune mesure fiscale n'aurait été à
même de redistribuer chaque année 2 points de masse salariale à ceux qui en étaient exclus.
Ces cinq années ont contribué à effacer l'héritage de deux décennies de crise. Elles ont aussi permis de retrouver l'ambition
trop longtemps oubliée du plein-emploi. Pour l'atteindre, un effort comparable doit être réalisé au cours des cinq prochaines
années. Il faut conjuguer la même attention portée à la politique macroéconomique et de nouveaux instruments, adaptés à
cette nouvelle étape, comme la formation tout au long de la vie et des dispositifs plus complets et plus personnalisés pour la
politique de l'emploi.
(a) Policy mix : coordination des politiques budgétaire et monétaire.
CHAPITRE 7 – Cours de Terminale - Année 2004-2005 – Lycée de Luynes – E. CHARRIER
Alternatives économiques, n° 053 (07/2002)
Page 26
Auteur : Pierre-Alain MUET.
Documents à travailler tirés du manuel La Découverte sur les services publics et l’Europe et sur la
déréglementation.
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