3. L’émancipation par l’éducation
D’où l’importance accordée au peuple : « le peuple c’est lui qui paie, il a donc le
droit de révoquer ceux qui en font mauvais usage ». Avant même d’être un radical
ou un républicain, il est un démocrate, soucieux des droits de l’homme, de la
souveraineté populaire et de son expression dans les formes démocratiques (->
attachement au parlementarisme). Alain ne voit pas une crise des élites, mais un
manque de démocratie : sa réflexion sur la nature de la démocratie le conduit à
penser qu’elle ne consiste pas en l’organisation des pouvoirs, mais plutôt en leur
limitation. C’est pourquoi il défend les revendications salariales et l’action des
syndicats qu’il interprète comme les réalisations de ces limitations. A cette
conception s’ajoute un anticléricalisme fort (il prend d’ailleurs part à la séparation
de 1905 à travers des articles et des conférences), que l’on retrouve dans son
enseignement. L’exemple des universités populaires l’illustre bien : tenues à
Lorient, Rouen et Paris, elles avaient pour but d’enseigner aux couches populaires
éloignées de l’enseignement secondaire dans un esprit républicain et anticlérical.
(Lui-même s’est émancipé grâce à l’éducation). Le ton est militant tout en montrant
qu’Alain n’est pas fait pour l’embrigadement politique, mais qu’il est plutôt un
homme engagé, non enrôlé. Le lieu de cet engagement est le journal, qui apparaît
dès lors comme une étape dans l’évolution des intellectuels français se définissant
comme lié à un modèle universitaire de savoir spécialisé (philosophe), un modèle
professoral (il enseigne en khâgne dans différents lycées, notamment Henri IV) et
un modèle intellectuel (l’engagement).
II. Le pacifiste
1. L’engagement en 1914
Alain est reconnu comme un pacifiste convaincu, allant même jusqu’à l’extrême ; il
faut pourtant revenir sur cette idée répandue. Il énonce bien en 1904 son horreur
des discours bellicistes : la guerre est un mal, et la paix un bien fondamental à
toute société par la concorde entre les citoyens qu’elle suppose. Il est un des
premiers à s’inquiéter de la « brutalisation » des sociétés avant 1914, càd de ce
mélange d’incitation à la violence patriotique. Cependant, le conflit mondial de 1914
vient complexifier cette opinion : il décide de s’engager, demande expressément à
être envoyé au front, alors même qu’il a dépassé l’âge de l’enrôlement. De cette
manière voulait-il accomplir son devoir de citoyen et pouvoir parler la guerre en
connaissance de cause : « instruire la pacifisme pour l’amener à faire face à la
réalité, càd aux causes réelles de la guerre ». Il revient blessé au pied, et tire de son
expérience une de ses œuvres majeures Mars ou la guerre jugée.
2. L’Entre-Deux
Cette période est pour tous les pacifistes l’occasion d’un engagement profond, d’où
l’expression de pacifisme intégral qui est souvent employé. Il est d’autant plus fort
que certains ont vécu la guerre de 1914, comme Alain, c’est donc à travers une
attitude de rejet qu’il s’exprime. Preuve en est le choc de l’invasion de la Ruhr : le
gouvernement français veut faire plier l’Allemagne pour récupérer les réparations
du traité de Versailles, ce qui signe la fin de l’idée d’une Europe réglée par des
rapports de droit et compromet définitivement un plaidoyer pour les rapports de
paix.