Communication interculturelle 17
Les pratiques du langage dans les
entreprises interculturelles
跨文化交际第十七讲
跨文化企业中的语言使
1. Introduction
Au cours d’une enquête portant sur le management interculturel
sino-français et réalisée lors de l’été 1999
1
, nous nous sommes
interrogés sur les rôles que jouent la parole et l’écriture dans les
entreprises à capitaux mixtes ou qui sont culturellement mixtes.
L’analyse des données nous montre que l’usage de ces modes de
communication entre les deux cultures est à l’origine de certains
malentendus interculturels. Pour introduire la problématique,
entendons le directeur d’une entreprise chinoise coopèrent experts
français et ingénieurs chinois : « Les Français d’ici ont une habitude :
ils aiment écrire, que ce soit pour une grande chose ou une petite
chose, et ils en écrivent long. Ce n’est pas du tout concis. Or, les
1
Cette enquête a été réalisée par le Centre des Recherche sur l’Interculturel
(CERSI) de l’Université des Etudes Etrangères du Guangdong dirigé par M.
ZHENG Lihua. Ont participé à cette enquête M. CAO Yongqiang, Mlle XIANG
Jing, Mlle CHEN Ying, Mlle OUYANG Junyi et Mlle Séverine ENJOLRAS.
2
Chinois, surtout les ingénieurs, n’aiment pas du tout lire ». Ce
commentaire semble nous fournir la clé du problème : en effet, si les
uns aiment écrire alors que les autres n’aiment pas lire, cela risque non
seulement de conduire à une pure perte d’énergie, mais aussi à la
frustration de ceux qui écrivent. Mais la vraie cause de tout ceci
réside-t-elle dans le fait que les Français aiment écrire alors que les
Chinois n’aiment pas lire ? Et peut-on aller plus loin pour distinguer, à
partir de cela, deux types de cultures différentes, à savoir la culture
écrite et la culture orale (J. Bazin, A. Bensa, in Goody, 1979 : 24) ?
Ce serait selon nous à la fois une explication simpliste et une
distinction hasardeuse. En fait, il se pourrait que le commentaire de ce
directeur chinois nous entraîne plus avant dans notre réflexion. On se
rend compte tout d’abord que la représentation selon laquelle les
Français aiment écrire est en réalité dépendante du rapport
qu’entretiennent les uns et les autres à l’écriture, à savoir que par
rapport aux Chinois, les Français aiment écrire ; ensuite, il y a le fait
que « aimer écrire » paraît bizarre aux Chinois, car s’il est normal
d’aimer une chose qui procure du plaisir comme les voyages, le sport,
les films, ce serait une étrangeté, voire une excentricité que d’aimer la
douleur, le goût amer ou ici l’acte d’écrire qui demande un effort plus
ou moins important. Il s’agit donc d’une différence relative, à la fois
qualitative et quantitative, puisque pour ce directeur, les Français ne
font pas trop de distinction entre les « grandes choses » et les « petites
choses » et qu’ils en écrivent long ; c’est-à-dire que pour lui, il ne
faudrait ni écrire pour « une petite chose » ni en écrire beaucoup pour
une « grande chose ». Un constat important semble se dégager de ces
différentes remarques : il s’agit en fait des attentes culturelles générées
par des contextes sociaux différents. Autrement dit, les Français
écrivent les Chinois ne s’y attendent pas car pour ces derniers, il
s’agit d’une « petite chose » qui n’exige pas de document écrit ; il y a
aussi le cas où les Français fournissent un texte long quand leurs
interlocuteurs en attendent un plus court. Or, nous voyons bien que les
termes grande chose, petite chose, court et long sont flous et que
chaque culture peut en avoir des représentations différentes. Dans ce
chapitre, nous essayerons d’expliciter les implications sociales de la
parole et de l’écriture dans la culture chinoise et dans la culture
française en nous appuyant sur l’enquête mentionnée ci-dessus. Notre
hypothèse est que la parole et l’écriture sont deux modes de
communication autant utilisés par les Chinois que par les Français,
mais qu’ils répondent à des contraintes de contextes sociaux en termes
d’efficacité, de sécurité, de possibilité de recours, etc. qui peuvent
varier d’une culture à l’autre ; en outre, il nous apparaît que la
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différence réside moins dans l’opposition entre la parole et l’écriture
que dans la structuration des contextes culturels dans lesquels
s’inscrivent leurs usages respectifs.
2. C’est plus clair, mais pour qui ?
Au cours de l’enquête, nous avons noté deux remarques
contradictoires concernant la parole et l’écriture : un cadre chinois
nous dit, quand il insiste sur l’importance du contact entre les gens
pour résoudre des problèmes : « On se voit, on parle, c’est plus clair ».
Un expert français, lui, préfère l’écrit quand il est question de préciser :
« Je donne mes conseils soit par oral soit par écrit. Quand je veux
préciser, c’est par écrit. C’est plus clair ». L’un comme l’autre,
utilisent l’expression « c’est plus clair », mais en faisant référence,
l’un à la parole et l’autre, à l’écriture. Nous verrons qu’ils ont tous
deux raison pour autant que nous arrivions à répondre à la
question suivante : « C’est plus clair, mais pour qui ? »
Pour apporter une réponse à cette question, il est nécessaire de
rappeler les propriétés majeures inhérentes à la parole et à l’écriture.
D’abord, en ce qui concerne le contexte de sa production, la parole
prend nécessairement place dans une situation sociale, c’est-à-dire
qu’elle implique la présence minimale de deux personnes, alors que
l’auteur de l’écriture peut se retrouver tout seul devant sa feuille de
papier ou devant son ordinateur. De cette première caractéristique
résulte la deuxième ayant trait au mode de production de ces deux
activités : la parole est co-produite par le locuteur et l’interlocuteur,
avec des questions et des réponses ou même avec des réactions
imperceptibles, tandis que l’écriture est le produit de la réflexion
individuelle de son auteur. Quant à leur mode de réception, la parole
est destinée à être écoutée dans un contexte limité dans le temps et
dans l’espace, contrairement à l’écriture qui peut être lue hors
contexte, à n’importe quel moment et dans n’importe quel endroit, du
moins théoriquement. On voit par que la possibiliest offerte à
l’auteur de l’écriture de mettre en ordre ses idées, de revoir et de
réorganiser son travail, de reclasser ce qu’il a déjà classé et de rectifier
l’ordre des mots, des phrases et des paragraphes, tout cela autant de
fois qu’il le souhaite. Ces opérations sont facilitées par l’utilisation
d’une machine à écrire électronique ou d’un ordinateur personnel et ce,
jusqu’à ce qu’il juge que ses idées sont clairement énoncées sur papier
ou sur écran. L’écriture est par conséquent synonyme de clarté pour
l’auteur. Or, celle-ci n’est pas nécessairement aussi évidente pour le
lecteur, cela pour trois raisons : d’abord, le texte est le produit d’une
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communication que l’auteur a élaborée avec lui-même et non avec
d’autres personnes, c’est-à-dire que ces dernières ne participent pas au
processus de clarification du texte ; ensuite, « Comme l’a constaté
Platon, le texte ne peut se répondre à lui-même quant aux questions
que nous pourrions lui poser, contrairement aux êtres humains avec
lesquels nous dialoguons » (in Goody, 1986 : 134). En outre, comme
l’a souligné J. Goody, « Le texte est souvent plus difficile à
comprendre puisque le contexte qu’apporte la parole lui fait défaut,
parce qu’il peut se présenter sous une forme abrégée, sibylline et plus
générale, et qu’il peut ne pas se rapporter du tout de manière directe
au présent » (ibid.). Contrairement à l’écriture, la parole est issue des
va et vient entre deux personnes. Si elle est claire, elle l’est pour les
deux personnes. Il semble donc que la « clarté » à laquelle on fait
référence ici soit dans le cas de l’écriture, plutôt laissée à
l’appréciation individuelle et à tendance centripète, alors qu’elle est
plutôt laissée à l’appréciation collective et orientée vers l’autre dans le
cas de la parole.
3. Liens entre les modes de pensée et les modes de
communication
L’analyse ci-dessus nous conduit à faire la distinction entre deux
modes de raisonnement, à savoir le raisonnement déductif souvent
attribué aux Occidentaux et le raisonnement inductif généralement
considéré comme caractéristique du peuple chinois. K-H Liou, par
exemple, après avoir fait une étude sérieuse sur les anciens penseurs
chinois au travers de leurs textes majeurs, affirme que l’esprit chinois
est essentiellement synthétique par opposition à l’esprit occidental qui
est principalement analytique (Liou, 1961 : 1). D’après lui, « L’esprit
analytique de l’Occident se révèle dans un tout abstrait alors que
l’esprit synthétique de la Chine s’opère dans un tout concret » (ibid.).
Et l’une des conséquences évidentes du tout abstrait dans les
opérations logiques d’un esprit typiquement occidental est le mode de
raisonnement par déduction, s’opérant au sein de notions abstraites
alors qu’une des formes principales du tout concret dans les opérations
logiques d’un esprit purement chinois est l’induction : « Le tout
concret dans sa profondeur ontologique prépare le type chinois de
raisonnement pénétrant, selon lequel le sondage d’un cas particulier de
l’expérience suffit à révéler la vérité génératrice de tous les cas réels
ou possibles de l’univers. » (ibid. : 12). Notre réflexion se veut plus
nuancée. Il nous semble que les deux modes de pensée, en tant que
modes de raisonnement humain, existent aussi bien dans la société
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chinoise que dans la société occidentale et que la différence qui les
oppose n’est que relative : à l’échelle de l’observation micro sociale
2
,
tant du côté chinois que du côté occidental, il est toujours des gens qui
ont plutôt tendance à privilégier la déduction au détriment de
l’induction et des gens plus inductifs que d’autres. A l’échelle macro
sociale, on note pourtant une tendance générale orientée vers la
déduction du côté occidental et une tendance assez nette à l’induction
du côté chinois. Cette différence de mode de raisonnement semble être
encore plus évidente dans le domaine industriel, car la déduction
occidentale est étroitement liée aux sciences exactes et aux
mathématiques, comme l’affirme Liou : « L’idéal de la science
occidentale peut se ramener à la déduction suivante : certaines
conditions étant posées, quelque chose d’autre en découle
nécessairement. Une pareille déduction qui imite de près une
déduction mathématique sait inspirer une grande foi rationnelle aux
penseurs occidentaux des temps modernes » (ibid. : 12). En outre, le
discours de ce directeur chinois qui confie : « Les Français d’ici ont
une habitude : ils aiment écrire, que ce soit pour une grande chose ou
une petite chose, et ils en écrivent long » nous conduit à une
hypothèse : les Français ayant une formation d’ingénieur semblent
plus déductifs que les Français qui n’ont pas suivi ce type de
formation, alors que cette différence n’apparaît pas significative en ce
qui concerne les Chinois, à voir si l’inverse ne serait pas plus proche
de la vérité comme le laisse entendre ce directeur chinois : « Les
Chinois, surtout les ingénieurs, n’aiment pas du tout lire ». Cette
tendance des ingénieurs français à privilégier le déductif semble nous
fournir une clé d’explication en ce qui concerne les conflits entre
ingénieurs français et ingénieurs chinois.
Passons maintenant au lien qui peut exister entre modes de
pensée et modes de communication. Au travers des analyses proposées
ci-dessus nous voyons bien que la déduction qui s’opère dans
l’abstrait implique un raisonnement rationnel et individuel, élaboré en
dehors du contexte social, puisqu’il s’agit d’un tout qui « se trouve
affranchi de toute condition d’expérience concrète » (ibid.: 4). Quant à
l’induction qui prend sa source dans le concret, elle est indissociable
de la situation et des personnes qui y participent, car ce tout concret
consiste à « Effacer la distinction fondamentale entre l’image
particulière et l’idée générale, le moyen pratique et la fin idéale, la
personne humaine vivant dans un espace, dans un temps et la véri
ontologique située en dehors de l’espace net du temps » (ibid. :
2
L’idée d’ « échelles d’observation » est le fait de D. Desjeux (1998).
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