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Chinois, surtout les ingénieurs, n’aiment pas du tout lire ». Ce
commentaire semble nous fournir la clé du problème : en effet, si les
uns aiment écrire alors que les autres n’aiment pas lire, cela risque non
seulement de conduire à une pure perte d’énergie, mais aussi à la
frustration de ceux qui écrivent. Mais la vraie cause de tout ceci
réside-t-elle dans le fait que les Français aiment écrire alors que les
Chinois n’aiment pas lire ? Et peut-on aller plus loin pour distinguer, à
partir de cela, deux types de cultures différentes, à savoir la culture
écrite et la culture orale (J. Bazin, A. Bensa, in Goody, 1979 : 24) ?
Ce serait selon nous à la fois une explication simpliste et une
distinction hasardeuse. En fait, il se pourrait que le commentaire de ce
directeur chinois nous entraîne plus avant dans notre réflexion. On se
rend compte tout d’abord que la représentation selon laquelle les
Français aiment écrire est en réalité dépendante du rapport
qu’entretiennent les uns et les autres à l’écriture, à savoir que par
rapport aux Chinois, les Français aiment écrire ; ensuite, il y a le fait
que « aimer écrire » paraît bizarre aux Chinois, car s’il est normal
d’aimer une chose qui procure du plaisir comme les voyages, le sport,
les films, ce serait une étrangeté, voire une excentricité que d’aimer la
douleur, le goût amer ou ici l’acte d’écrire qui demande un effort plus
ou moins important. Il s’agit donc d’une différence relative, à la fois
qualitative et quantitative, puisque pour ce directeur, les Français ne
font pas trop de distinction entre les « grandes choses » et les « petites
choses » et qu’ils en écrivent long ; c’est-à-dire que pour lui, il ne
faudrait ni écrire pour « une petite chose » ni en écrire beaucoup pour
une « grande chose ». Un constat important semble se dégager de ces
différentes remarques : il s’agit en fait des attentes culturelles générées
par des contextes sociaux différents. Autrement dit, les Français
écrivent là où les Chinois ne s’y attendent pas car pour ces derniers, il
s’agit d’une « petite chose » qui n’exige pas de document écrit ; il y a
aussi le cas où les Français fournissent un texte long quand leurs
interlocuteurs en attendent un plus court. Or, nous voyons bien que les
termes grande chose, petite chose, court et long sont flous et que
chaque culture peut en avoir des représentations différentes. Dans ce
chapitre, nous essayerons d’expliciter les implications sociales de la
parole et de l’écriture dans la culture chinoise et dans la culture
française en nous appuyant sur l’enquête mentionnée ci-dessus. Notre
hypothèse est que la parole et l’écriture sont deux modes de
communication autant utilisés par les Chinois que par les Français,
mais qu’ils répondent à des contraintes de contextes sociaux en termes
d’efficacité, de sécurité, de possibilité de recours, etc. qui peuvent
varier d’une culture à l’autre ; en outre, il nous apparaît que la