
Malaise aux urgences
Aux urgences de l'Hôtel-Dieu, à Paris, l'heure ne tourne pas comme ailleurs. Pas
moyen de savoir quand la journée commence ni quand elle finit. Les médecins
surmenés font grève vendredi 10 mars
2000
QUOI qu'il arrive, Gilberte est déjà là. Aux urgences de l'Hôtel-Dieu, à Paris, Gilberte
est la patiente la plus assidue. La voilà, au petit matin, en train de dormir à poings
fermés sur un brancard. La revoilà, en fin d'après-midi, au centre d'un joyeux chahut
avec les infirmiers et les policiers rendus hilares par sa conversation ininterrompue.
Le lendemain matin, Gilberte est toujours là, dans la salle d'attente cette fois, assise
sagement, droite comme un « i », le sourire édenté, un gobelet de café à la main.
« Tout va bien, Gilberte ? », demande Martine, à l'accueil. Gilberte va très bien ce
matin. Comme d'habitude, la police l'a amenée là après l'avoir arrêtée en état d'ivresse
sur la voie publique. Une fois dégrisée, lavée, nourrie, souvent équipée de nouveaux
vêtements, elle repart dans la rue, sous le pont, c'est-à-dire chez elle. Six heures plus
tard, elle est de nouveau là. « Ça fait un moment que je ne suis pas venue, rectifie-t-
elle avec une grande courtoisie. J'aime voir leurs visages, bavarder avec eux. » « Elle
ne vient pas aux urgences, Gilberte, elle y habite, précise un médecin. C'était la
première patiente du Nouvel An. A minuit moins deux, elle était là. »
L'Hôtel-Dieu est en plein dans la ville : au centre de Paris, à deux pas des Halles, du
métro Châtelet, de la préfecture, du Palais de justice et de Notre-Dame. Au carrefour
des lignes de métro et de RER, l'hôpital n'est pas à proximité des seuls riverains des
quatre premiers arrondissements de Paris, mais aussi de l'ensemble des Franciliens.
Raymond Depardon les a filmés au plus près : aux urgences surgissent, pêle-mêle, les
passants en tout genre, riches et pauvres, célèbres et inconnus, habitants du quartier,
touristes, banlieusards, sans compter les détenus ou les gardés à vue envoyés là
parfois pour un examen plus approfondi par les urgences médico-judiciaires, situées
dans le local mitoyen, et que l'Hôtel-Dieu est le seul hôpital parisien à abriter. En tout,
cela fait plus de 40 000 consultations par an aux urgences médico-chirurgicales. «
Travailler aux urgences ? Disons que c'est une valeur, dit Lisette Mourot, cadre
supérieur infirmier. Au coeur de la cité, la mission de service public s'exerce de plein
fouet. Quels qu'ils soient, les patients sont appelés »monsieur« ou «madame». Déjà
ça, ça n'a pas de prix. »
Ici, à la différence des malades toujours au bord de l'agonie et des médecins survoltés
du feuilleton « Urgences », c'est à la fois le tout-venant médical et social. Les
urgences de l'Hôtel-Dieu sont un service « de proximité ». Ainsi en a-t-il été décidé à
la suite de la restructuration du dispositif hospitalier amorcée sous le gouvernement
d'Alain Juppé. Au transfert des hôpitaux parisiens vers la périphérie et à leur
spécialisation correspond désormais deux types de services d'urgences : les SAU
(service d'accueil des urgences), situés dans les grands centres hospitaliers, et les
urgences de proximité réservées aux hôpitaux qui, tel l'Hôtel-Dieu, sont dépourvus en
aval d'un plateau tec hnique de pointe (notamment en cardiologie, chirurgie
vasculaire, neurologie). On y accueille moins de cas graves, polytraumatisés de la