ARNALDEZ R. Etudes d`Orientalisme dédiées à la mémoire de

ARNALDEZ R. Etudes d’Orientalisme dédiées à la mémoire de Lévis-Provençal Tome II, G.
P. Maisonneuve et Larose, 1962, Paris.
Père
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H.H. ABDUL WAHAB ET F. DACHRAOUI
assujetties au paiement de l'aumene légale (gadaga). Quant aux bateaux qui viennent se
ravitailler à Agrigente ils peuvent le faire légalement si la totalité ou la plupart des terres sont
occupées par les habitants d'une manière légitime. Mais si elles sont tenues d'une manière blâ.
mable, il est blâmable de s'y ravitailler.
On lui dit:
Doit-on laisser un port tel qu'Agrigente inhabité à cause de 1a suspicion ou de l'a illicéité»
dont son statut est l'objet alors que c'est la plus importante cité du pays, la ville capitale et la
plus prospère, et que certains de ses habitants n'y trouvent rien d'autre que de quoi calmer la
faim et se couvrir décemment? Car s'il devient désert, la Sicile aussi deviendra sûrement
déserte.
Il répondit :
S'il est prouvé qu'Agrigente doit appartenir aux gens qui avaient été expulsés et qu'on les
connaisse, on leur proposera d'y retourner et on les réintégrera dans leurs droits, S'ils suffisent
à la peupler et à
• en occuper les régions abandonnées, on se contentera d'eux; sinon on y installera d'autres
populations qui la mettront en valeur avec eux et auxquelles on attribuera les biens dont on
ne. connaît pas les propriétaires et dont on dispose dans le meilleur intérêt des Musulmans.
Mais si on ne connaît pas les gens qui en avaient été expulsés, la ville comme je I'ai exposé à
ton intention u échoit n en fay' à l'ensemble de la Communauté musulmane et le souverain en
disposera dans le meilleur intérêt des Musulmans. S'il est prouvé qu'on connaît les proprié-
taires de certaines terres mais non les propriétaires de certaines autres, il y a dans les terres
dont on connaît les possesseurs matière à convaincre quiconque est soucieux de distinguer le
licite de l'illicite. Quant aux vivres chargés parles propriétaires des bateaux ou emportés par
toute autre personne j'ai déjà fait en traitant du statut d'Agrigente, la part de ce qui est permis
et de ce qui est blâmable : quand d s'agit dune terre acquise d'une manière blâmable, il est
blâmable d'en acheter les
produits, et quand il s'agit d'une terre acquise autrement, il est permis d'en acheter et
d'en vendre les produits.
Puisse Allah nous guider dans le droit chemin
H.H. ABDUL WAHAB et F. DACHRAOUI
(Tunis)LA GUERRE SAINTE SELON IBN HAZM
DE CORDOUE
Il y a dans les doctrines juridiques d'lbn Hazin une contradiction latente qui se résout par une
sorte de défi à l'histoire. Ce juriste;âhiritea pour idéal de reconstituer ce qu'était à la lettre le
droit musulman à l'époque du Prophète et des Compagnons. Il nie toute possibilité d'évolution
du fiqh : c'est aux débuts de l'Islam qu'a éclaté la vérité de la Loi. Il y a donc lieu d'interroger
l'histoire, qu'elle soit rapportée dans des traditions transmises d'homme à homme, ou livrée
dans les connaissances générales que se passent les unes aux autres les générations
successives. Mais quand il a déterminé ce qu'a dit ou fait le Prophète dans des circonstances
données, quand il a précisé, relativement à ces circonstances, la signification et la portée des
paroles, des actes, des silences de l'Envoyé de Dieu, Ibn Hazm répudie tous les contextes
historiques sur lesquels il s'est appuyé, de peur qu'ils ne limitent la valeur des textes
traditionnels à des particularités de temps et de lieux. Seul un texte peut en particulariser un
autre. En effet, l'homme ne parle et n'agit que dans des situations particulières, qui peuvent
jeter une lumière sur ce qu'il a voulu dire et faire, mais qui ne doivent pas borner l'intention de
signification, sinon personne n'exprimerait jamais d'idées et de règles générales, et on ne
pourrait énoncer de lois.
En se tournant vers le passé, Ibn Hazm ne rêve donc pas de le faire revivre en tant que passé
historique. Il sait, mieux peut-être que beaucoup de ses contemporains, qu'il se produit des
changements, pour ne pas dire des évolutions. Il sait que l'islam de son temps, qui allait de
l'Espagne aux Indes orientales, n'était plus à la même échelle que l'Islam du Prophète et des
premiers califes. Il l'a reconnu à propos des problèmes du consensus de la Communauté. Ce
qui l'intéresse dans le passé, c'est un moment privilégié de l'histoire où la Loi voulue
éternellement par Dieu a été révélée en des formules universelles et définitives. En dépit de
l'évidence la plus manifeste, les commandement
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reprises. L'opposition du Dar a1-Harb et du Dar al-Is1àm garde un -reflet de l'instabilité des
limites entre les pâturages où des clans nomades rivaux faisaient paître leurs troupeaux. La
question du partage du butin est l'objet d'un long développement. En un certain sens aussi, la
défense de la terre d'Islam contre les infidèles ressemble par beaucoup de traits à la défense
des populations citadines ou des colonies agricoles d'Arabie contre les pillards du désert. Là
où on parle de villes frontières, il semble qu'on pense à ces citadelles qui, comme à Médine,
protégeaient les sédentaires contre les nomades. C'est dans ce cadre étroit que sont étudiées
les relations des musulmans avec les non musulmans. Il serait contraire à la pensée d'lbn
Hazm de généraliser ce qu'il dit à ce propos et d'y voir les principes d'un droit capable de
régir, d'un point de vue musulman, la complexité des relations internationales actuelles. Les
conditions du Jihad, telles que les voit Ibn Hazm, ne sont certainement pas réalisées de nos
jours, tant sur le plan militaire que sur le planéconomique et politique. Mais si elles se
présentaient quelque part en un point particulier du monde, les prescriptions de la guerre saint
devraient aussitôt entrer en jeu.
Qu'en était-il du vivant d'Ibn Hazm? Sans parler de l'Orient, on peut penser qu'en Espagne la
situation se prêtait assez bien au Jihad, avec une frontière mobile entre les pays conquis par
les musulmans et le reste du territoire chrétien, avec des expéditionsannuelles et des guérillas,
avec des alternatives de trêves et d'engagements. Mais déjà deux éléments, qui sans doute ont
toujours existé, même du temps du Prophète, mais qui ont pris une singulière importance,
altèrent le schéma idéal de la théorie de la guerre sainte. D'une part le Dar al-Islam n'est plus
uni: il y a des guerres entre musulmans et, pis encore, des musulmans s'allient parfois avec
des infidèles contre leurs frères en religion. D'autre part, la guerre revêt un caractère plus
décidément politique, 'et si on la fait toujours au nom de motifs religieux, sa réalité
d'entreprise humaine prend nettement le dessus. Mais n'est-ce pas parce que les musulmans
ont altéré la pureté originelle de l'Islam? C'est ce que pense à coup sûr Ibn Hazm. Pour ce
réformateur devant qui aucune déviation, si minime soit-elle, ne trouve grâce, il faut retrouver
l'authen. ticité-de la religion prêchée par l'Envoyé de Dieu. S'il y a des transformations
inéluctables dont Ibn Hazm prend aisément son parti, d'autres, et ce sont les plus graves, sont
dues à l'infidélité des musulmans -qui ont innové en empruntant aux civilisations étrangères,
qui ont trop oublié les droits de Dieu et se sont comportés comme une nation parmi les autres,
qui ont abdiqué les vertus arabes auxquelles l'Islam avait ouvert une si magnifique carrière, et
qui, en perdant la tension intérieure de la Umma, qui les plaçait loin au-dessus des autres
peuples, ont donné des armes à leurs ennemis. L'attachement d'Ibn Hazm à la dynastie
Umayyade a des motivations profondes. Malgré ses fautes, elle représente l'esprit arabe, et par
là elle est plus proche du Prophète
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Ce qui l'intéresse dans le passé, c'est un moment privilégié de l'histoire où la Loi voulue
éternellement par Dieu a été révélée en des formules universelles et définitives. En dépit de
l'évidence la plus manifeste, les commandement
donnés au Prophète ne sont pas, à ses yeux, relatifs à l'époque du Prophète, de telle sorte qu'il
faille les adapter, pour les appliquer, aux ézigences des autres époques. Ce sont des
commandements valables tels quels pour tous les temps. Or l'une des conséquences les plus
graves du {ahirisme hazmien, c'est que le sens général des jugements
de la Loi est tout entier contenu dans la valeur des mots et la construc- A" tion.des
phrases arabes qui l'expriment. Si donc les langues évoluent', ce qü Ibn Hazm a explicitement
reconnu, il est nécessaire, pour com- prendre la volonté de Dieu, de s'en tenir à l'arabe du
Coran et du Prophète. Mais il est indéniable qu'à une étape donnée de l'histoire d'une langue,
les possibilités d'expression sont toujours liées à un exprimable qui, à son tour, est en rapport
étroit avec une civilisation particulière. C'est là qu'apparaît la contradiction. Les exégètes qui
admettent un sens spirituel que chaque génération approfondit selon les exigences de son
propre esprit, parviennent aisément à détacher les textes de leur arrière-fond historique. Mais
les partisans du sens littéral sont irrémédiablement liés au milieu contingent hors duquel la
lettre n'a plus de sens précis.
Par suite, quoi qu'il prétende, Ibn Hazm, en définissant tout par préférence aux premiers
temps de l'Islam, en cherchant ce que signifiaient les révélations pour le Prophète et ses
Compagnons, ne pouvait saisir qu une législation qui reflétait les caractères de cette société
ancienne.. (Gomment alors la considérer comme valable pour tous les temps et pour tous les
lieux?
a: A vrai dire. Ibn Hazm ne s'est pas posé directement la question. Cependant il fournit tous
les éléments de la réponse. La Loi n'est applicable que là où la réalité, en permet l'application,
Un pays qui ne produirait que du riz dont aucun texte authentique ne fait mention, échapperait
à la zakal sur les denrées agricoles. Quand l'évolution a rendu impossible la mise en pratique
d'une prescription, cette prescription tombe d'elle-même (sans être pour autant abrogée), car
l'homme
g -' na pas je droit de la modifier pour l'accorder à une forme nouvelle
de vie. Seul un texte peut apporter une obligation.
Attitude dangereuse sans aucun doute. Mais Ibn Hazm pouvait-il prévoir que la société
humaine se transformerait au point que la presque totalité du droit musulman ainsi conçu se
trouverait sans application? C'est peu probable. Quoi qu il en soit, l'inapplicabilité d'une loi la
rend en fait caduque, bien qu elle garde toute sa valeur de loi, et qu il faille la remettre en
ouvre dès que les circonstances le permettent.
° En ce qui concerne la guerre sainte, on ne trouve évidemment chez Ibn Hazm aucune
tentative pour en spiritualiser la notion. Le Jihad reste bien pour lui essentiellement le guerre
par les armes, encore qu'il connaisse un sens plus général du terme. Seulement c'est une
r guerre qui conserve les caractères archaïques des razzias entre tribus bédouines. Dans les
textes qu il cite, le e revient à plusieurs
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que toutes celles qui ont laissé l'Islam s'altérer sous des influences nom
arabes, tant en Orient qu'en Occident. Le gâhirisme conduit logiquement à l'arabisme. Aussi
pensons-nous que dans ce traité archaisant • surie ÿihad, le but d'lbn Hazm n'a pas été
essentiellement de définir les prescriptions relatives à la guerre sainte comme si elles étaient
encore immédiatement applicables, mais qu'il a été plutôt de rappeler ce qu'aurait dû être la
conduite de la Communauté musulmane, depuis le siècle d'or de Muhammad, d'Abû Bakr et
de 'Umar, pour rester digne de son fondateur et pour garder l'élan qui lui avait fait conquérir
lamoitié du monde connu. Espérait-il qu'un jour, grâce peut-être à son rappel, les conditions
d'un gihàd véritable renaîtraient et que l'Islam. achèverait la conquête de l'univers? Il n'en dit
rien. Mais on est fondé à penser que sa triste expérience des hommes et de la politique, l'issue
lamentable de l'action qu'il avait menée, le laissaient trop désabusé. A l'époque où il écrit le
Kilab al-Mukalla, il est devenu un homme qui dit imperturbablement ce qui doit être, se
refusant avec fierté à. prendre en considération ce qui est ou ce qui peut être. Aussi son
oeuvre juridique tout entière et en particulier son traité du Jihad peuvent. s'interpréter comme
l'implacable condamnation des hommes et de l'histoire. Tant pis pour les hommes et pour
l'histoire, puisque en définitive c'est la Loi telle qu'il la trouve dans les textes, telle qu'il
l'explique par les textes, qui jugera le monde.
Nous ne croyons pas forcer la pensée d'Ibn Hazm en concluant que pour lui la Loi ne peut
s'appliquer que si la Communauté musulmane est fondée sur une obéissance stricte aux ordres
de Dieu, c'est-à-dire une obéissance Fàhirite. Là où il n'y a plus de véritables musulmans, il ne
peut y avoir de véritable jihad. Par conséquent le ÿihMd suppose que les musulmans sont, non
seulement en droit mais en fait,. autres que leurs adversaires, sur un autre plan qu'eux, et
inaccessibles au moindre compromis. La guerre sainte est réglée comme un rituel
religieux.
Le jihad est une obligation qui pèse sur tous les musulmans. Mais quand certains d'entre eux
s'en acquittent, repoussent l'ennemi et portent la guerre (gazwa) dans ses foyers, quand ils
défendent les villes frontères, les autres sont déchargés de cette obligation. C'est donc un fart
kifaga. Néanmoins, en cas de danger pressant, tout fidèle qui n aucun empêchement majeur,
peut être appelé à combattre. Celui qui, dans le Dar al-Harb, reçoit l'ordre de combattre, doit
obéir, à moins qu'il n'ait une excuse valable. Ibn Hazm n'entend pas que les musulmans,
même déchargés en fait de l'obligation, se désintéressent du jihad sous. prétexte qu'il n'est pas
au premier chef une prescription personnelle (fard ayn). Les textes qu il cite sont
caractéristiques de ce souci de maintenir les fidèles en haleine. Le Coran, dans de nombreux
versets, insiste sur ce devoir.: Apportez votre aide, que vous ayez peu ou beau-
-. coup de poids, faites le Jihad en engageant vos biens et vos personnes.
448.Or. dit Ibn Hazm, c'est là un ordre (C général», car il n'y a personne qui ne soit «ou léger
ou lourd». Selon un hadü. «« celui qui meurt sans avoir fait la guerre (wa [am gagzu) ou sans
avoir r entretenu l'espoir de la faire (wa lem yuhaddit bihi nafsahu), meurt dans une sorte
d'hypocrisie)). Selon un autre, le Prophète a déclaré : ((Pas d'abandon après la conquête, mais
jihad et ferme propos (nigya). Et si on vous appelle, venez à l'aide», Il semble donc qu'à côté
de la guerre proprement dite, il y ait comme une préparation psychologique permanente à la
guerre. Sous cette forme latente, le ,Jihad ne doit pas cesser,
Cependant il n'est pas permis de faire la guerre sans l'autorisation du père et de la mère, sauf
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