ARNALDEZ R. Etudes d’Orientalisme dédiées à la mémoire de Lévis-Provençal Tome II, G. P. Maisonneuve et Larose, 1962, Paris. Père 445 H.H. ABDUL WAHAB ET F. DACHRAOUI assujetties au paiement de l'aumene légale (gadaga). Quant aux bateaux qui viennent se ravitailler à Agrigente ils peuvent le faire légalement si la totalité ou la plupart des terres sont occupées par les habitants d'une manière légitime. Mais si elles sont tenues d'une manière blâ. mable, il est blâmable de s'y ravitailler. On lui dit: Doit-on laisser un port tel qu'Agrigente inhabité à cause de 1a suspicion ou de l'a illicéité» dont son statut est l'objet alors que c'est la plus importante cité du pays, la ville capitale et la plus prospère, et que certains de ses habitants n'y trouvent rien d'autre que de quoi calmer la faim et se couvrir décemment? Car s'il devient désert, la Sicile aussi deviendra sûrement déserte. Il répondit : S'il est prouvé qu'Agrigente doit appartenir aux gens qui avaient été expulsés et qu'on les connaisse, on leur proposera d'y retourner et on les réintégrera dans leurs droits, S'ils suffisent à la peupler et à • en occuper les régions abandonnées, on se contentera d'eux; sinon on y installera d'autres populations qui la mettront en valeur avec eux et auxquelles on attribuera les biens dont on ne. connaît pas les propriétaires et dont on dispose dans le meilleur intérêt des Musulmans. Mais si on ne connaît pas les gens qui en avaient été expulsés, la ville comme je I'ai exposé à ton intention u échoit n en fay' à l'ensemble de la Communauté musulmane et le souverain en disposera dans le meilleur intérêt des Musulmans. S'il est prouvé qu'on connaît les propriétaires de certaines terres mais non les propriétaires de certaines autres, il y a dans les terres dont on connaît les possesseurs matière à convaincre quiconque est soucieux de distinguer le licite de l'illicite. Quant aux vivres chargés parles propriétaires des bateaux ou emportés par toute autre personne j'ai déjà fait en traitant du statut d'Agrigente, la part de ce qui est permis et de ce qui est blâmable : quand d s'agit dune terre acquise d'une manière blâmable, il est blâmable d'en acheter les • produits, et quand il s'agit d'une terre acquise autrement, il est permis d'en acheter et d'en vendre les produits. Puisse Allah nous guider dans le droit chemin H.H. ABDUL WAHAB et F. DACHRAOUI (Tunis)LA GUERRE SAINTE SELON IBN HAZM DE CORDOUE Il y a dans les doctrines juridiques d'lbn Hazin une contradiction latente qui se résout par une sorte de défi à l'histoire. Ce juriste;âhiritea pour idéal de reconstituer ce qu'était à la lettre le droit musulman à l'époque du Prophète et des Compagnons. Il nie toute possibilité d'évolution du fiqh : c'est aux débuts de l'Islam qu'a éclaté la vérité de la Loi. Il y a donc lieu d'interroger l'histoire, qu'elle soit rapportée dans des traditions transmises d'homme à homme, ou livrée dans les connaissances générales que se passent les unes aux autres les générations successives. Mais quand il a déterminé ce qu'a dit ou fait le Prophète dans des circonstances données, quand il a précisé, relativement à ces circonstances, la signification et la portée des paroles, des actes, des silences de l'Envoyé de Dieu, Ibn Hazm répudie tous les contextes historiques sur lesquels il s'est appuyé, de peur qu'ils ne limitent la valeur des textes traditionnels à des particularités de temps et de lieux. Seul un texte peut en particulariser un autre. En effet, l'homme ne parle et n'agit que dans des situations particulières, qui peuvent jeter une lumière sur ce qu'il a voulu dire et faire, mais qui ne doivent pas borner l'intention de signification, sinon personne n'exprimerait jamais d'idées et de règles générales, et on ne pourrait énoncer de lois. En se tournant vers le passé, Ibn Hazm ne rêve donc pas de le faire revivre en tant que passé historique. Il sait, mieux peut-être que beaucoup de ses contemporains, qu'il se produit des changements, pour ne pas dire des évolutions. Il sait que l'islam de son temps, qui allait de l'Espagne aux Indes orientales, n'était plus à la même échelle que l'Islam du Prophète et des premiers califes. Il l'a reconnu à propos des problèmes du consensus de la Communauté. Ce qui l'intéresse dans le passé, c'est un moment privilégié de l'histoire où la Loi voulue éternellement par Dieu a été révélée en des formules universelles et définitives. En dépit de l'évidence la plus manifeste, les commandement •444 __. 445 447 LA GUERRE SAINTE SELON IBN HAZM reprises. L'opposition du Dar a1-Harb et du Dar al-Is1àm garde un -reflet de l'instabilité des limites entre les pâturages où des clans nomades rivaux faisaient paître leurs troupeaux. La question du partage du butin est l'objet d'un long développement. En un certain sens aussi, la défense de la terre d'Islam contre les infidèles ressemble par beaucoup de traits à la défense des populations citadines ou des colonies agricoles d'Arabie contre les pillards du désert. Là où on parle de villes frontières, il semble qu'on pense à ces citadelles qui, comme à Médine, protégeaient les sédentaires contre les nomades. C'est dans ce cadre étroit que sont étudiées les relations des musulmans avec les non musulmans. Il serait contraire à la pensée d'lbn Hazm de généraliser ce qu'il dit à ce propos et d'y voir les principes d'un droit capable de régir, d'un point de vue musulman, la complexité des relations internationales actuelles. Les conditions du Jihad, telles que les voit Ibn Hazm, ne sont certainement pas réalisées de nos jours, tant sur le plan militaire que sur le planéconomique et politique. Mais si elles se présentaient quelque part en un point particulier du monde, les prescriptions de la guerre saint devraient aussitôt entrer en jeu. Qu'en était-il du vivant d'Ibn Hazm? Sans parler de l'Orient, on peut penser qu'en Espagne la situation se prêtait assez bien au Jihad, avec une frontière mobile entre les pays conquis par les musulmans et le reste du territoire chrétien, avec des expéditionsannuelles et des guérillas, avec des alternatives de trêves et d'engagements. Mais déjà deux éléments, qui sans doute ont toujours existé, même du temps du Prophète, mais qui ont pris une singulière importance, altèrent le schéma idéal de la théorie de la guerre sainte. D'une part le Dar al-Islam n'est plus uni: il y a des guerres entre musulmans et, pis encore, des musulmans s'allient parfois avec des infidèles contre leurs frères en religion. D'autre part, la guerre revêt un caractère plus décidément politique, 'et si on la fait toujours au nom de motifs religieux, sa réalité d'entreprise humaine prend nettement le dessus. Mais n'est-ce pas parce que les musulmans ont altéré la pureté originelle de l'Islam? C'est ce que pense à coup sûr Ibn Hazm. Pour ce réformateur devant qui aucune déviation, si minime soit-elle, ne trouve grâce, il faut retrouver l'authen. ticité-de la religion prêchée par l'Envoyé de Dieu. S'il y a des transformations inéluctables dont Ibn Hazm prend aisément son parti, d'autres, et ce sont les plus graves, sont dues à l'infidélité des musulmans -qui ont innové en empruntant aux civilisations étrangères, qui ont trop oublié les droits de Dieu et se sont comportés comme une nation parmi les autres, qui ont abdiqué les vertus arabes auxquelles l'Islam avait ouvert une si magnifique carrière, et qui, en perdant la tension intérieure de la Umma, qui les plaçait loin au-dessus des autres peuples, ont donné des armes à leurs ennemis. L'attachement d'Ibn Hazm à la dynastie Umayyade a des motivations profondes. Malgré ses fautes, elle représente l'esprit arabe, et par là elle est plus proche du Prophète 447 c/ n v R. ARNALDEZ I r... ,y.. 446 Ce qui l'intéresse dans le passé, c'est un moment privilégié de l'histoire où la Loi voulue éternellement par Dieu a été révélée en des formules universelles et définitives. En dépit de l'évidence la plus manifeste, les commandement donnés au Prophète ne sont pas, à ses yeux, relatifs à l'époque du Prophète, de telle sorte qu'il faille les adapter, pour les appliquer, aux ézigences des autres époques. Ce sont des commandements valables tels quels pour tous les temps. Or l'une des conséquences les plus graves du {ahirisme hazmien, c'est que le sens général des jugements de la Loi est tout entier contenu dans la valeur des mots et la construcA" tion.des phrases arabes qui l'expriment. Si donc les langues évoluent', ce qü Ibn Hazm a explicitement reconnu, il est nécessaire, pour com- prendre la volonté de Dieu, de s'en tenir à l'arabe du Coran et du Prophète. Mais il est indéniable qu'à une étape donnée de l'histoire d'une langue, les possibilités d'expression sont toujours liées à un exprimable qui, à son tour, est en rapport étroit avec une civilisation particulière. C'est là qu'apparaît la contradiction. Les exégètes qui admettent un sens spirituel que chaque génération approfondit selon les exigences de son propre esprit, parviennent aisément à détacher les textes de leur arrière-fond historique. Mais les partisans du sens littéral sont irrémédiablement liés au milieu contingent hors duquel la lettre n'a plus de sens précis. Par suite, quoi qu'il prétende, Ibn Hazm, en définissant tout par préférence aux premiers temps de l'Islam, en cherchant ce que signifiaient les révélations pour le Prophète et ses Compagnons, ne pouvait saisir qu une législation qui reflétait les caractères de cette société ancienne.. (Gomment alors la considérer comme valable pour tous les temps et pour tous les lieux? a: A vrai dire. Ibn Hazm ne s'est pas posé directement la question. Cependant il fournit tous les éléments de la réponse. La Loi n'est applicable que là où la réalité, en permet l'application, Un pays qui ne produirait que du riz dont aucun texte authentique ne fait mention, échapperait à la zakal sur les denrées agricoles. Quand l'évolution a rendu impossible la mise en pratique d'une prescription, cette prescription tombe d'elle-même (sans être pour autant abrogée), car l'homme g -' na pas je droit de la modifier pour l'accorder à une forme nouvelle de vie. Seul un texte peut apporter une obligation. Attitude dangereuse sans aucun doute. Mais Ibn Hazm pouvait-il prévoir que la société humaine se transformerait au point que la presque totalité du droit musulman ainsi conçu se trouverait sans application? C'est peu probable. Quoi qu il en soit, l'inapplicabilité d'une loi la rend en fait caduque, bien qu elle garde toute sa valeur de loi, et qu il faille la remettre en ouvre dès que les circonstances le permettent. ° En ce qui concerne la guerre sainte, on ne trouve évidemment chez Ibn Hazm aucune tentative pour en spiritualiser la notion. Le Jihad reste bien pour lui essentiellement le guerre par les armes, encore qu'il connaisse un sens plus général du terme. Seulement c'est une r guerre qui conserve les caractères archaïques des razzias entre tribus bédouines. Dans les textes qu il cite, le e revient à plusieurs 446 4` Is• •.~' JÔr"7 ~. ~•v PCp~~(1-~G)~/Ç ci 4 448 R. ARNALDEZ LA GUERRE SAINTE SELON IBN HAZM que toutes celles qui ont laissé l'Islam s'altérer sous des influences nom arabes, tant en Orient qu'en Occident. Le gâhirisme conduit logiquement à l'arabisme. Aussi pensons-nous que dans ce traité archaisant • surie ÿihad, le but d'lbn Hazm n'a pas été essentiellement de définir les prescriptions relatives à la guerre sainte comme si elles étaient encore immédiatement applicables, mais qu'il a été plutôt de rappeler ce qu'aurait dû être la conduite de la Communauté musulmane, depuis le siècle d'or de Muhammad, d'Abû Bakr et de 'Umar, pour rester digne de son fondateur et pour garder l'élan qui lui avait fait conquérir lamoitié du monde connu. Espérait-il qu'un jour, grâce peut-être à son rappel, les conditions d'un gihàd véritable renaîtraient et que l'Islam. achèverait la conquête de l'univers? Il n'en dit rien. Mais on est fondé à penser que sa triste expérience des hommes et de la politique, l'issue lamentable de l'action qu'il avait menée, le laissaient trop désabusé. A l'époque où il écrit le Kilab al-Mukalla, il est devenu un homme qui dit imperturbablement ce qui doit être, se refusant avec fierté à. prendre en considération ce qui est ou ce qui peut être. Aussi son oeuvre juridique tout entière et en particulier son traité du Jihad peuvent. s'interpréter comme l'implacable condamnation des hommes et de l'histoire. Tant pis pour les hommes et pour l'histoire, puisque en définitive c'est la Loi telle qu'il la trouve dans les textes, telle qu'il l'explique par les textes, qui jugera le monde. Nous ne croyons pas forcer la pensée d'Ibn Hazm en concluant que pour lui la Loi ne peut s'appliquer que si la Communauté musulmane est fondée sur une obéissance stricte aux ordres de Dieu, c'est-à-dire une obéissance Fàhirite. Là où il n'y a plus de véritables musulmans, il ne peut y avoir de véritable jihad. Par conséquent le ÿihMd suppose que les musulmans sont, non seulement en droit mais en fait,. autres que leurs adversaires, sur un autre plan qu'eux, et inaccessibles au moindre compromis. La guerre sainte est réglée comme un rituel religieux. Le jihad est une obligation qui pèse sur tous les musulmans. Mais quand certains d'entre eux s'en acquittent, repoussent l'ennemi et portent la guerre (gazwa) dans ses foyers, quand ils défendent les villes frontères, les autres sont déchargés de cette obligation. C'est donc un fart kifaga. Néanmoins, en cas de danger pressant, tout fidèle qui n aucun empêchement majeur, peut être appelé à combattre. Celui qui, dans le Dar al-Harb, reçoit l'ordre de combattre, doit obéir, à moins qu'il n'ait une excuse valable. Ibn Hazm n'entend pas que les musulmans, même déchargés en fait de l'obligation, se désintéressent du jihad sous. prétexte qu'il n'est pas au premier chef une prescription personnelle (fard ayn). Les textes qu il cite sont caractéristiques de ce souci de maintenir les fidèles en haleine. Le Coran, dans de nombreux versets, insiste sur ce devoir.: Apportez votre aide, que vous ayez peu ou beau-. coup de poids, faites le Jihad en engageant vos biens et vos personnes. 448.Or. dit Ibn Hazm, c'est là un ordre (C général», car il n'y a personne qui ne soit «ou léger ou lourd». Selon un hadü. «« celui qui meurt sans avoir fait la guerre (wa [am gagzu) ou sans avoir r entretenu l'espoir de la faire (wa lem yuhaddit bihi nafsahu), meurt dans une sorte d'hypocrisie)). Selon un autre, le Prophète a déclaré : ((Pas d'abandon après la conquête, mais jihad et ferme propos (nigya). Et si on vous appelle, venez à l'aide», Il semble donc qu'à côté de la guerre proprement dite, il y ait comme une préparation psychologique permanente à la guerre. Sous cette forme latente, le ,Jihad ne doit pas cesser, Cependant il n'est pas permis de faire la guerre sans l'autorisation du père et de la mère, sauf si l'ennemi a envahi le territoire musulman. C'est alors une obligation, pour tous ceux qui le peuvent, de porter secours à ceux qui sont attaqués, que les parents le permettent ou non, à moins que le départ de leur fils ne les mette en danger de périr, soit tous les deux, soit l'un d'eux. Un hadj( confirme cette prescription. Abù Têbit a entendu dire à Abû 1-'Abbas qu'il avait entendu de `Abd Allâh b. 'Amr ce récit : « Un homme alla trouver le Prophète ét lui demanda la permission de faire la guerre sainte. Le Prophète lui dit : Ton père et ta mère sont-ils vivants? Oui, répondit l'homme. C'est donc envers eux, dit le Prophète, qu'il te faut faire le gihad n. Ce texte est intéressant parce qu'il montre l'ancienneté d'une conception très large du Jihad, qui consiste à s'engager à fond dans l'obéissance à Dieu en toutes choses. Dans le livre du Pèlerinage, Ibn Hazm cite une autre tradition où le bail lui aussi est qualifié, relativement à la 'umra, de jihad. C'est que tout culte de Dieu dans l'obéissance est un service ('ibâda) comparable an service privilégié des armes. La guerre contre les infidèles fait du croyant qui y laisse sa vie, un martyr à qui est promis le Paradis. Cependant ce n'est pas en elle-même qu'elle comporte un tel avantage : il faut que le jihad soit juste, c'est-à-dire qu'il soit un vrai Jihad entièrement dans la voie de Dieu, soumis à la totale observance des Commandements divins. Par suite ce vrai Jihad, au sens fort du mot, ne saurait être exclusif d'autres devoirs, d'autres Jihad-s au sens large, qui peuvent, sauf en cas d'urgence, prendre le pas. tels les devoirs envers les parents. Obéir au chef qui appelle à la guerre sainte sans tenir compte d'autres exigences de la Loi, ce n'est donc pas faire preuve d'une obéissance valable. Ecouter un ordre et y obéir, dit un badil, est juste tant qu'il ne commande pas la rébellion contre Dieu ; s'il la commande, il n'y a ni à écouter ni à obéir. `Ali b. Abi TAlib a dit qu'il n'y a d'obéissance que dans la bienfaisance. Par ces traditions et d'autres encore, Ibn Hazm, après avoir exalté la guerre sainte, montre qu'elle ne saurait normalement dispenseï ses devoirs imposés Dieu et quelle ne peut être une excuse pour celui qui les négligerait. Ce n'est pas le Jihad qui consacre le bon musulman, mais ce n'est que le bon musulman qui peut faire un vrai jihad. Ibn Hazin la brutalité des, hommes, leurs instincts belliqueux et 449 W v' U~`i i -moi /i ° —f; s '' 450 LA GUERRE SAINTE SELON IBN HAZM montés sur des ânes. Lui est-il permis de fuir devant eux? De même, et expérimentés, vont-ils mille cavaliers d'élite, bien armés, nobles la fuite devant un ramassis de trois mille chrétiens à pied et prendre affaiblis? On rapporte qu'al-Hasan a dit que la fuite devant une armée ennemie fautes (min al-Rabbis), sauf dans le n'est pas au nombre des grandes de la bataille de Badr. C'est là, explique Ibn Hazm, une cas particulier sans preuve. Au contraire, selon une tradition recevable, particularisation 'Utmân a dit à Ibn Abbas que la Sourate du Butin a été révélée une donc la bataille de Badr. Un hadit du des premières à Médine, avant Prophète nous apprend d'ailleurs qu'il y a sept périls à éviter, parmi lesquels la fuite un jour d'engagement. Cette parole du Prophète a une générale et montre indiscutablement la gravité de la fuite. Un portée autre récit rapporte qu'il a dit : u O hommes, ne désirez pas la rencontre avec rennemi... Mais si vous le rencontrez, tenez bon, et sachez que le Paradis est à l'ombre des épées». Mais un musulman doit-il risquer sa vie contre des forces trop considérables? Abû Ayytb al-Anyâri et Abù Mùsâ al-Aé'ari ne désavouent pas l'homme qui attaque seul une armée nombreuse et bien équipée (al-`as(tar al-ifarrai), et qui résiste ferme jusqu'à la mort. Là contre, on fait valoir un hadit, transmis par al-Hasan, dans lequel le Prophète dit à un homme qui voulait se lancer contre une troupe ennemie : «Penses-tu les tuer tous? Reste tranquille. Si tes compagnons se lèvent, lève-toi; s'ils attaquent, attaque». Mais ce hadit n'est pas recevable parce qu'il est mursal. En revanche un récit authentique '''' nous apprend qu'un homme de l'entourage du Prophète-lui demanda ce qui plaisait le plus à Dieu de la part de ses serviteurs. — Qu'il j i_ s'enfonce dans les rangs ennemis sans casque ni cuirasse, répondit l'Envoyé. Alors l'homme ôta sa cotte de mailles et pénétra dans les formations ennemies jusqu'à ce qu'il fût tué. l ' lbn Hazm n'irait sans doute pas jusqu'à l'exhortation au martyre, puisqu'il admet, avec les textes, la retraite stratégique. Mais, en accord avec les textes également, il n'interdit pas ces actes de pure bravoures gui, remettant à Dieu l'issue du combat, n'hésitent pas devant le sacrice inutile, réminiscence à n'en pas douter des obligations I" d'honneur des anciens Arabes. Transposées dans les cadres de l'Islam, comme tant d'autres vertus bédouines, elles devaient exalter, chez les Croyants, le sentiment d'une valeur qu'aucun infidèle ne saurait partager avec eux. Après la -réglementation de la conduite au combat, vient celle des' actes de guerre. En pays ennemi, il est permis de brûler les produits de la terre, les arbres et les cultures. On peut aussi incendier les maisons ou les démolir. Le Prophète a mis le feu aux palmeraies des ~J... Banül-Nadir, tribu juive de Médine. Et cependant le Prophète savait que ces palmiers reviendraient aux musulmans le jour même ou le lendemain. Pourtant on rapporte qu'Abù Bakr en a jugé autrement Ne coupez 451.;. t R. ARNALDEZ 450 cupides, et il a voulu marquer, dès le début de son étude, qu'il ne suffit- pas d'être un soudard déchaîné pour entrer au Paradis. Suivent des règles générales concernant la conduite au combat. Il. est à remarquer qu'Ibn Hazin ne fait ici appel à aucune vertu guerrière:: Il pourrait louer le courage; il n'en dit mot. C'est que les vertus humaines ne comptent que si elles sont encadrées par l'obéissance,' Aussi est-ce la prescription divine qu'il met en avant. Il n'est absolu.-ment pas permis à un musulman de fuir devant un infidèle associateur (mulrik) non plus que devant plusieurs, même si leur nombre est très grand. Cependant il a le droit de reculer si c'est pour revenir à l'attaque ou pour rallier le gros des forces musulmanes. Celui qui ne se propose que de fuir en tournant le dos à l'ennemi, est un infâme qui s écarte des préceptes de Dieu et qui doit faire repentance, sous peine d'aller en enfer. lbn Hum s'appuie sur la Sourate du Butin, VIII, v. 15 et 16. Certains prétendent qu'il est permis à un homme seul de fuir devant trois ennemis ou plus. Ils tirent leur argument de la même sourate, v. 66.'a Maintenant Dieu allège votre fardeau ; Il sait qûil y a en vous de la faiblesse. Si cent d'entre vous sô t—capables de tenir, ils vaincront deux cents ennemis ; s'ils sont mille, ils vaincront deux mille ennemis avec l'aide de Dieu; Dieu est avec ceux qui soutiennent l'effort». Ibn 'Abbâs a dit : a Quiconque fuit devant deux hommes est un fuyard; qui fuit devant trois n'est pas un fuyard)). Ibn Hazin fait bon marché du hadil d'Ibn 'Abbâs auquel il n'accorde aucun crédit, Quant au verset, il ne contient rien, dit-il, qui soit en rapport avec ce que prétendent ses adversaires, car il n'offre ni texte ni indication (dalil) sur le caractère licite de la fuite devant tel nombre d'ennemis. Il déclare simplement que Dieu connaît la faiblesse humaine et qu'Il allège les fardeaux qu'Il impose, car Il est miséricordieux. Avec son secours, cent croyants capables de soutenir l'effort (eabirùn) viendront à bout de deux cents adversaires. Mais le verset ne dit pas qu ils n'en vaincront pas davantage ou moins. La méthode qû Ibn Hazin met ici en ouvre s inspire de sa critique de l'argument rhétorique Mali! al-Jhilah) qui consiste à admettre que tout jugement lié à une détermination de temps, de lieu, de nombre ou autre, n'est plus vrai en dehors de cette détermination. On se croit alors autorisé à tirer de ce qui est dit textuellement ce qui n'est pas dit, et c'est une erreur. Ainsi dire. que cent l'emporteront sur deux cents n'implique en rien qu'ils ne l'emporteront pas sur cent cinquante ou sur trois cents. D'ailleurs Ibn Hazm appuie comme toujours son argument de raison par un argument textuel. Dieu a dit, en effet : a Combien de fois une troupe peu nombreuse a vaincu une troupe nombreuse avec la permission de Dieu 1 n. ici -il n'est pas question de nombre. Puis Ibn Hazm ironise. 11 interroge ses adversaires sur le cas d'un cavalier musulman, brave et fort, armé de pied en cap, qui rencontre trois ennemis juifs, vieillards décrépits, malades, sans armes, à pied ou 450 ter , 453 LA GUERRE SAINTE SELON IBN HAZM froid (éabr°"; l'expression qutila gabr" s'emploie en parlant de quel- qu'un qui n'a pas été tué au combat, mais massacré après, être tombé au pouvoir du. vainqueur). Ajoutons, parmi d'autres traditions citées, cette r mise en garde du Prophète : ((N'imitez pas les bêtes fauves ». Comme au sujet des devoirs envers les parents, on voit ici que le jihad ne supprime pas les autres commandements de Dieu. La seule chose qui puisse momentanément les suspendre, c'est l'urgence. Mais l'urgence concerne l'intérêt direct et immédiat des musulmans; elle n'a rien à voir avec des calculs stratégiques. Quant au porc, on le tuera. Ibn Hazm se réfère à ce sujet à une curieuse tradition sur le retour du Messie. 'Isâ descendra duciel, se rendra à Jérusalem, fe'a derrière l'imam la prière musulmane, puis il tuera le porc, brisera la croix et détruira toutes les églises. Il faut laisser la vie aux femmes et aux enfants, à moins qu'ils ne •combattent dans les rangs des hommes. S'ils sont atteints au cours d'une attaque de nuit (bayat) ou dans la mêlée du combat sans intention, il n'y a pas de crime. Ces deux exceptions mises à part, il est permis de tuer tous les infidèles, qu'ils combattent ou non : commerçants, serviteurs à gages ou hommes de peine, vieillards, paysans, évêques, prêtres ou moines, aveugles ou infirmes, sans en excepter un seul. Certains citent différents badil-s en faveur d'autres exceptions : vieillards, moines, marchands. Ibn Hazm les rejette tous. Il n'admet pas non plus que la permission de tuer se limite aux combattants. Comme justification de sa thèse, il rappelle l'extermination par le Prophète de tous les hommes de la tribu juive des Banù Qurayza, qui furent mis à mort sans exception, tandis que les femmes et les enfants étaient vendus comme esclaves. Quant aux grands vieillards, ils ne jouissent d'aucun traitement de faveur, ainsi que le montre le récit de la mort du poète arabe Durayd b. al-Simma. Très avancé en âge, au point que sa raison chancelait, il n'avait pas fait islam et il fut tué par Rabi' après la bataille de Hunayn. Le Prophète ne désavoua pas le meurtrier : silence qui fait loi. Quelles doivent être les qualités du chef qui mène la guerre sainte 7 Il n'est pas nécessaire qu'il soit un bon musulman, pourvu qu'il n'ordonne rien de contraire à la Loi de Dieu, et le croyant doit combattre sous un tel chef comme il combattrait sous les ordres de l'Imam. Dieu peut fort bien affermir l'islam en se servant d'un libertin. L'essentiel est donc que le but du gihad soit atteint, et ce but est de détruire l'infidélité (kufr). Ibn Hazm ne cache pas qu'il est inévitable pour cela de tuer les infidèles, de détruire leurs demeures et leurs cultures, d'emmener leurs femmes et leurs enfants en captivité. Personne ne peut s'exempter de ce devoir en prétextant la mauvaise vie d'un chef qui aura seul à en rendre compte à Dieu. Mais, on le voit, l'ennemi à abattre est moins l'infidèle que l'infidélité. Ce qu'il faut se proposer, par delà les ruines 453 5 e. d 9 R. ARNALDEZ 452 aucun arbre fruitier et ne dévastez pas les contrées cultivées, recommandait-il. C'est, réplique Ibn Hazm, par une libre décision qu'il a fait cette interdiction, et il en avait le droit, car la N' destruction des récoltes n'est pas prescrite, elle est simplement permise. LeProphète lui-même n'a pas coupé les palmiers de Ijaybar. Toutes ces conduites sont également bonnes. En revanche, il n'est permis ni de blesser ni de tuer les animaux qu'élèvent les infidèles, chameaux, boeufs, moutons, chevaux, poules, pigeons, oies, canards, à moins que ce ne soit pour les besoins de la nourriture. Il y a une exception pour le porc : qu on le tue. Le cheval qui sert à la guerre peut aussi être tué. On ne doit pas noyer les abeilles ni brûler les ruches. Les Hanéfites et les Malékites autorisent la mise à mort de tous ces animaux. Les chameaux, les boeufs et les moutons seront tués et brûlés, car les infidèles, quand ils les trouvent morts, les mangent (alors que les musulmans ne se nourrissent que de viandes d'animaux égorgés rituellement). Les chevaux, les mulets et les ânes, que les infidèles ne mangent pas, seront simplement tués. On devine ce qui a inspiré ces mesures : la guerre doit porter la destruction chez l'ennemi, et tout ce qui n'est pas consommé par l'envahisseur musulman doit être mis hors d'usage. La réponse d'Ibn Hazm est double. Sur la division du bétail en deux catégories, il ironise pour montrer son manque de fondement. Quand donc, demande-t-il, les chrétiens, les. zoroastriens et les adorateurs des idoles se sont-ils abstenus de l'âne et du mulet et se sont-ils bornés au boeuf et au mouton? Leur loi leur permet de manger des viandes « mortes,)' et aucun animal ne leur est interdit. Quant aux juifs. ils ne touchent à rien de ce qui a été tué par un non juif, Toutes ces spécifications qui ne reposent sur aucun texte, sont donc vaines, Mais c est sur le fond même qu éclate la divergence entre Ibn Hazm et ses adversaires. Pour lui, le lihàd•n'est pas une guerre ordinaire dont le but unique est de détruire la puissance et les ressources de l'ennemi. Il a une fin plus haute et ne doit employer que les moyens que Dieu veut. Nous retrouvons l'idée que la guerre sainte ne justifie pas tout. Ibn Hazm le fait sentir en posant une question qui porte à ses extrémités logiques le point de vue des écoles qu'il critique. Si vous voulez nuire aux ennemis, que ne tuez-vous aussi leurs femmes et leurs enfants? Ce sera bien pire pour eux que la perte de leur bétail. Force est de lui répondre que Dieu a interdit le massacre des enfants et des femmes. Mais, réplique-t-il alors, il a également interdit de tuer les animaux si ce n est pour les manger. D'après un hadit, le Prophète a dit : ((Aucun homme ne tue un moineau ou une bête plus importante hors de leur droit, sans que Dieu lui en demande compte. On l'interrogea sur ce qu'était leur droit. C'est, dit-il, d'être égorgés rituellement et mangés». Selon un autre récit, il a interdit de tuer des bêtes de somme de sang 452 - - I 454-455 R. ARNALDEZ r 0 de la guerre, c'est « de faire sortir le kâfir des ténèbres du ltufr, pour l'amener à la lumière de l'Islam». Cette expression signifie-t-elle que pour Ibn Hazm la fin ultime du Jihàd est missionnaire et se rapporte au bien des âmes? Il ne semble pas que ce soit. là sa pensée. Il songe plutôt au triomphe de l'islam: pour que les ténèbres de l'infidélité soient vaincues, il est nécessaire que la lumière de la Loi musulmane s'étende sur un nombre d'hommes toujours plus grand, ou du moins que ceux qui résistent disparaissent. Le Jihad est au service de Dieu plus qu'au service des hommes. La réglementation des rapports entre les infidèles du Dar al-Ï,arb les Ahl al-kufr, et les musulmans est des plus simples. L'infidèle n'a pratiquement aucun droit; le musulman a tous les droits (les droits pour les uns et pour les autres, étant ceux que définit la Loi de l'Islam) Le non musulman qui accepte de payer tribut (fizya), reçoit le statut de protégé (dimmi) et la Communauté musulmane lui reconnaît des droits qu'elle lui garantit. Ainsi les musulmans peuvent-ils avoir des devoirs qui sont sacrés envers de non musulmans qu'ils protègent, Les infidèles ne peuvent jamais posséder en propriété les biens d'un musulman ou d'un dimmi, sauf à la suite d'une vente valide d'une donation valide, de l'héritage d'un dimmi, ou, en général, d'une transaction reconnue par la religion musulmane. Le butin qu'ils font des biens d'un dimmi ou d'un musulman, l'esclave d'un musulman qui s'enfuit chez eux, restent propriété de leur premier maître, et dès qu il est possible de les reprendre par la guetre, ils retournent à leur propriétaire légitime, avant ou après le partage du butin dont ils font matériellement partie sans constituer en droit une partie de ce butin, qu ils aient été ou non transportés dans le Dar a1-Harb, Le propriétaire qui les récupère na pas à en donner de compensation ni à en. payer le prix. Mais le chef dédommage celui dans le lot duquel ils étaient tombés lors du partage, en prélevant ce qui est nécessaire sur les avoirs de la Communauté. La qualification juridique de ces biens partagés avec le butin alors qu'ils ont un propriétaire, est celle de biens usurpes qu un musulman a enlevés par la violence à un autre musulman, Telle est la doctrine d'Ibn Hazm qu'il partage avec l'Imâm al-SAfi'i et Ab ti Sulaymân. On compte chez les anciens trois autres doctrines sur cette question D'après la première, il n'y a pas de retour : le bien appartient à celui' qui, lors du partage du butin, le reçoit dans son lot. Un hadit rapporte que'Ali b. Abi Tàlib estimait qu'un bien musulman conservé en bon état par un infidèle du Dar al-iarb, compte parmi les biens de cet infidèle. Al-Hasan al-Bari jugeait selon ce principe. Qatàda raconte qu un muk&tab fut fait prisonnier par un ennemi de l'Islam. Un musulman l'achats et consulta 'Ali à ce sujet. 'Ali lui dit : a Si son maître l'a racheté de captivité, cet esclave se retrouve dans les conditions de 454 LA GUERRE SAINTE SELON IBN HAZM son contrat de. rachat (Ititdba)', mais s'il refuse de le racheter,•il appartient à celui qui l'a acheté». Par conséquent, en tombant aux mains de l'ennemi, le mukâtab redevient un simple esclave appartenant ",. à un nouveau maître avec lequel il n'a passé aucun contrat pour se racheter. Si ce nouveau maître le vend, il appartient légitimement à l'acheteur, Mais si le premier maître le rachète, le contrat ancien rentre en vigueur. Ibn Hazm cite plusieurs traditions que les tenants de cette '.' doctrine allèguent : u Ce que l'ennemi a conservé en bon état (ma ahrazahu) est butin des musulmans et ne retourne pas à son prénier propriétaire u. Et encore : u Ce que les infidèles ont conservé en • bon état, quand les musulmans réussissent à le reprendre, c'est à eux, • à moins qu'il ne s'agisse d'un homme libre au d'un allié» (qui aurait été fait prisonnier et réduit en esclavage par les ennemis ; il ne fait pas partie du butin quand il est repris par les musulmans). Selon la seconde doctrine, si le propriétaire légitime peut saisir son bien avant le partage du butin, ce bien lui fait retour. Mais après le partage, il appartient à celui dans le lot de qui il est tombé. Il ne retourne pas à son premier propriétaire, même si celui-ci en donne le prix. Évidemment il peut toujours intervenir un arrangement à l'amiable. Cette doctrine est intéressante parce qu'elle montre l'importance que les musulmans accordaient au partage du butin sur toute autre considération. Un Itadit qui remonte à 'Umar b. al-Hattâb va dans ce sens. Si quelqu'un retrouve son bien propre avant que les lots soient distribués, il est plus désigné que tout autre pour en prendre possession (fahuwa ahagqu bihi), sinon, après le partage, il n'a plus aucun droit. Notons qu il n'est question que de son bien propre (bi'aynihi), retrouvé tel quel après la victoire sur un ennemi qui l'a conservé en bon état. Personne ne peut songer à se dédommager sur le butin, d'un bien que les infidèles lui auraient pris, mais qui aurait péri ou disparu, ou encore qu il retrouverait en mauvais état. Une tradition rapporte qu'une serve, appartenant à un musulman, s'enfuit chez l'ennemi, puis quelle tomba dans le butin des Croyants. Abu 'Ubayda b, al-Carràh écrivit à'Umar à son sujet. 'Umar lui répondit que si elle n'a pas encore été mise dans les cinquièmes (le butin étant reparti en cinq parts), ni attribuée en partage, elle retournera à son maître. ((Sinon, laisse-la aller son chemin ». Selon la troisième doctrine, avant le partage, le bien retourne à • son premier propriétaire. Après le partage, celui-ci a plus de droit que quiconque à le posséder, à condition d'en payer la valeur. Plusieurs hadif-s sont avancés pour justifier ce point de vue, Ibn I;lazm n'en donne que les transmetteurs sans citer les textes. L La Prélevé sur son. pécule, meia ce e ~ng~geant è servir son usa ire jusqu à ce qu'il se soit entièrement acquitté. Cet esclave pope le nom de mubatDb 455 456-457 I R. ARNALDEZ LA GUERRE SAINTE SELON IBN HAZM Dans sa critique, ibn Hazm commence Par contester'la valeur des traditions sur lesquelles ces trois doctrines s'appuient. Nous n'y insisterons pas. Relevons simplement un badif allégué par les partisans de la première : M4' sri D.L+1t a}y.l L . Ici Ibn f{azm s'attaque au main lui-même. Nous ne saisissons pas, dit-il, la signification de fahmua Id'iz. Peut-être le sens est-il qu'il est permis à son propriétaire légitime de reprendre un bien a quand il met la main dessus n (Ida zafira bihif. Cela réduirait la portée de la doctrine : si, au cours d'un combat, un musulman peut personnellement se saisir d'un bien qui lui avait été enlevé, il en a le droit. Ce bien n'entre pas dans le butin, ce qui rejoint par un biais particulier le point de vue d'Ibn Hazm, pour qui la loi du butin, aussi sacrée qu'elle soit, doit céder le pas à la loi de la propriété individuelle, fondamentale en Islam et tout particulièrement dans le ;àhirisme bazmien. Après la critique des traditions, vient la critique rationnelle. L'auteur la dirige d'abord contre la troisième doctrine qui est celle de Malik. De' deux choses l'une : ou bien les guerriers ennemis possèdent en propriété légitime ce qu'ils ont pris aux musulmans, ou bien ils n'en ont paspropriété légitime. S'ils ne l'ont pas, et c'est la thèse d'Ibn Hazm, il est nécessaire que le bien revienne à son seul vrai propriétaire, cela •en toutes circonstances, après comme . avant le partage, et sans paiement d'aucun prix. Si au contraire ils ont ce bien en propriété légitime, celui à qui il a été enlevé n'a aucun recours : il ne peut le récupérer ni avant ni après le partage, ni en payant ni sans payer, puisqu alors ce bien est au même rang que le reste du butin. Unraisonnement analogue s'applique au musulman qui reçoit ce bien dans sa part de butin. Ou bien il n'en est pas propriétaire, et il doit le rendre à celui qui en a été dépouillé. Ou' il en est propriétaire, et alors il n'est pas permis de le contraindre à s'en séparer, comme le veut la doctrine, contre remboursement de son prix. Personne ne peut être exproprié, même moyennant dédommagement, sans son agrément. Contre la deuxième doctrine, Ibn Hazm se contente de dire qu elle n a pour elle aucune preuve qui lui donne autorité. En revanche, il s étend sur la critique de la première. C'est celle qui se contredit le moins des trois. Son principe est que les ennemis possèdent en toute propriété les biens qu'ils ont arrachés à des musulmans. Si on leur accorde ce principe, leur thèse sera la vérité même. Mais peut-on admettre que les infidèles s'emparent légitimement des biens des musulmans? Dieu les autorise-t-il à se les approprier? Sont-ils justes ou injustes quand ils s'en rendent maitres ? Suivent-ils alors les ordres de Dieu et du Prophète. ou s'en écartent-ils? Ou bien est-ce que la Loi musulmane ne les oblige pas? Ne seront-ils pas éternellement en enfer pour s en être détournés? Ce serait de toute évidence un acte de kafr que de soutenir qu ils agissent là de façon juste et qu'ils ne sont pas 456 q.: ajusticiables de l'Islam. Ce qui est très important dans ces réactions indignées, c'est qu'lbn Hazm affirme qu'il n'y a que la Loi musulmane qui compte, même quand il s'agit de non musulmans, Sa conclusion mérite aûssi d'être notée. Il y a accord de tous en i Islam pour reconnaître que l'homme libre, fait prisonnier par un infidèle, ne devient pas légitimement son esclave et donc qu'il ne saurait t'tl entrer dans le butin des musulmans. Or quelle différence y a-t-il, demande Ibn Fiazm, entre s'approprier un homme libre croyant, et s'approprier un bien musulman? Cet étroit parallélisme entre le cas des personnes et le cas des biens, montre jusqu ou va, chez Ibn Hazm. --~ la conception personnaliste de la propriété. Dans les questions qui suivent, l'auteur tire les conséquences de sa propre doctrine et les applique à toutes sortes de situations. Nous ne nous y étendrons pas, quel qu'en soit l'intérêt. Si des infidèles conviennent avec un prisonnier musulman de lui rendre la liberté à condition qu'il paie rançon, il n'est pas permis à ce ;..r; musulman de retourner chez eux ni de leur donner quoi que ce soit. Le pacte et le serment n'ont aucune valeur, d'abord parce qu'il est injuste de retenir un croyant prisonnier, ensuite parce qu'on doit considérer qu'il y a eu contrainte. Mais s'il n'y a pas d'autre moyen d'arracher un fidèle à la captivité dans le Dâr al-l'larb que de payer sa rançon, c'est un devoir de le faire, en vertu de ce hadif du Prophète a Nourrissez l'affamé et procurez la liberté au captif». En outre il est abominable qu'un musulman reste parmi les infidèles, exposé à leurs lois et coutumes pernicieuses. C'est comme s'il était retenu chez un peuple. qui se comporte à la façon du peuple de Loth. Pourrait-on le ,,laisser vivre dans ces souillures? li Il n'est permis de racheter un captif musulman qu'avec un bien ou un captif infidèle. Mais il est interdit de renvoyer dans le Dar al-liarb un prisonnier jeune, non majeur, car la Loi de l'Islam stipule que les musulmans ont un droit sur lui, et il en est de lui comme des enfants des musulmans, sans aucune différence. Les infidèles ont la propriété de leurs biens tant qu'il s'agit de biens qui n'ont jamais été musulmans. Ils peuvent donc les vendre ou en faire donation, et un musulman peut les acheter ou les recevoir. La question se pose pour les marchands qui se rendent dans le territoire infidèle, ou pour les ambassadeurs qui y sont envoyés et peuvent accepter des cadeaux. Mais Dieu n'a institué la propriété des infidèles sur leurs biens, qu'en vue de l'institution du butin pour les musulmans. Quand un infidèle du Dâr al-Haro fait islam, soit qu'il le fasse dans le Dar al-Harb (qu'il y demeure ou qu'il vienne ensuite dans le Dar al-Islam), soit qu'il vienne d'abord en terre d'Islam pour y devenir musulman, tous ces cas sont équivalents. Ses biens, en quelque lieu qu'ils soient, de quelque nature qu'ils soient (pourvu que leur possession soit licite selon la loi de Dieu), sont tous à lui sans exception, 457 i P â~. 458-459 R. ARNALDEZ LA GUERRE SAINTE SELON IBN HAZM 1 et personne n'a de droit sur eux. Ils ne peuvent être un butin pour les musulmans. Ses héritiers les héritent à sa mort. Ses enfants, s'ils sont encore jeunes, non majeurs, sont musulmans, de même que l'enfant quesa femme porte encore dans son sein. Mais sa femme et ses enfants majeurs, s'ils sont faits prisonniers, fontpartie du butin. Il reste marié avec sa femme et elle devient l'esclave de celui dans le lot de qui elle est tombée. En effet, le mariage des infidèles est valide puisque le Prophète l'a reconnu. Il est né lui-même d'un mariage entre infidèles et il ne pouvait naître que d'un mariage valide. Par conséquent les deux époux restent mariés. La thèse d'ibn Hazm s'oppose particulièrement à celle d'Abù Hanifa qui introduit des distinctions inadmissibles du point de vue des textes comme du point de vue du bon sens. Voici ce qu'enseigne Abù Uanifâ : si cet homme fait islam dans le Dar al-Harb et qu il y demeure, jusqu'au moment où les musulmans l'occupent, il reste libre et toutes ses richesses sont à lui. On ne peut en faire du butin. Ses enfants mineurs sont musulmans et libres. Mais il y a exception pour sa terre et pour l'enfant que sa femme porte dans son sein, bien que le foetus soit musulman. Cela entre dans le butin. S'il fait islam dans le Dar al-Harb et qu'il entre ensuite dans le Dar al-1slrim, tout ce qu'il laisse derrière lui dans le Dar al-Hart, terres, immeubles, mobilier, bétail, tout cela est Jay et peut être pris comme butin par les musulmans. Il en est de même de l'enfant que sa femme porte dans son sein, bien qu'il soit musulman. S'il entre en terre d'Islam étant infidèle, et s'il s'y fait musulman, il est libre et musulman. Mais tout ce qu'il a laissé dans le Dar al-Ilarb. terres, immeubles, mobilier, bétail, enfants mineurs, est objet de butin. Ces enfants et ces biens ne deviennent pas musulmans par le fait de son islam. Cette doctrine, objecte Ibn Hazm, est contraire à la raison, puis-quelle 'équivaut à avantager celui qui reste au milieu des infidèles, ce qui est aussi absurde qti abominable, étant bien établi qu'on doit toujours arracher les croyants à l'ambiance des pays de ftufr. En outre, elle est contraire à l'igmâ' , car personne ne doute que les Compagnons du Prophète furent de diverses catégories ; les uns firent islam à La Mecque puis s'enfuirent de cette ville, tels Abù Bakr, 'Umar et 'Utman ; d'autres quittèrent La Mecque comme infidèles puis devinrent musul. Mans, tel 'Amr b. al-'Âtyi qui fit islam chez le Négus, et tel Abù Sufyàn tjtti fit îsIam dans l'armée du Prophète , Certains firent islam et restèrent k â Mecque, comme la totalité des femmes qu on avait jugées trop faible* pour partir. Et pourtant quand le Prophète s'empara de La Mectpé;.tous ces gens-là retrouvèrent ou conservèrent leurs biens sans sxcejion -Toute femme qui se fait musulmane et qui a un mari kà,6r ou manage est dissous au moment même où elle fait islam, ,...r 458. 'même si le mari fait islam après elle à un intervalle d'un clin d'oeil. Une fois musulman, il peut revenir à elle par un nouveau mariage à la suite d'un libre consentement. S'ils font islam ensemble, ils restent mariés. Si le mari d'une )titâbiyya se fait musulman, son mariage reste valide. Mais si sa femme n'est pas kitâbigya, son mariage est dissous à l'instant même où il fait islam. La thèse que soutient ici Ibn Hazm est celle de presque tous les juristes musulmans. Cependant il lui donne une forme extrêmement tranchante, ce qui l'amène à rompre des lances contre des adversaires moins rigides. Mais nous n'insisterons pas sur .ces querelles dont la complexité exigerait une étude spéciale. Pour terminer, signalons le même rigorisme concernant le traitement de ceux qui refusent l'Islam. Sauf pour les gens du Livre, c'est la mort, et sur ce point il y a igmë . Les juifs, les chrétiens et les zoroastriens ont la vie sauve s'ils consentent à payer le tribut. Mais Ibn Hazm précise qu'on ne peut accepter la izya que de gens qui reconnaissent que Muhammad est l'Envoyé de Dieu aux Arabes et à ceux qui font islam. C'est, dit-il, la doctrine de Mâlik : o Les protégés qui disent que Muhammad a été envoyé à nous mais non à eux, ne subiront aucune peine. Ceux qui disent qu'il n'est pas prophète seront mis à mort». Telles sont quelques-unes des questions traitées dans le Kitdb al-Gih&l. On y reconnaît la méthode inflexible du juriste cordouan, sa rigueur, sa passion, ses colères, ses indignations, son ironie, son intrépidité qu'aucune conclusion, si extrême° soit-elle, n'arrête jamais. Nous avons là une spéculation juridique certes, et très vigoureuse. Mais elle ne semble pas tournée vers les institutions. Perdue dans la reconstitution et la méditation d'un droit éternel, la pensée d'Ibn Hazm reste pourtant sur terre où elle lance ses invectives à la manière de l'ancienne diatribe. Effectivement, le but qu'il poursuit n'est-il pas de secouer un monde musulman qu'il estime en pleine décadence religieuse et auquel il semble vouloir faire entendre par avance quelque écho de ce que sera la trompette du Jugement, plutôt que de faire oeuvre de science sereine, ou de mettre sur pied un système de législation pour une société qui lui inspirait, dans son état actuel, le plus profond dégoût? R. ARNALDEZ (Lyon) 459 son 7 - ;lJ^,~ — N,L9 Vil...,V,~,.~F/J °i vi =`'~`J °i ,L(7 ~J..-'v'i'