ARNALDEZ R. Etudes d`Orientalisme dédiées à la mémoire de

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ARNALDEZ R. Etudes d’Orientalisme dédiées à la mémoire de Lévis-Provençal Tome II, G.
P. Maisonneuve et Larose, 1962, Paris.
Père
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H.H. ABDUL WAHAB ET F. DACHRAOUI
assujetties au paiement de l'aumene légale (gadaga). Quant aux bateaux qui viennent se
ravitailler à Agrigente ils peuvent le faire légalement si la totalité ou la plupart des terres sont
occupées par les habitants d'une manière légitime. Mais si elles sont tenues d'une manière blâ.
mable, il est blâmable de s'y ravitailler.
On lui dit:
Doit-on laisser un port tel qu'Agrigente inhabité à cause de 1a suspicion ou de l'a illicéité»
dont son statut est l'objet alors que c'est la plus importante cité du pays, la ville capitale et la
plus prospère, et que certains de ses habitants n'y trouvent rien d'autre que de quoi calmer la
faim et se couvrir décemment? Car s'il devient désert, la Sicile aussi deviendra sûrement
déserte.
Il répondit :
S'il est prouvé qu'Agrigente doit appartenir aux gens qui avaient été expulsés et qu'on les
connaisse, on leur proposera d'y retourner et on les réintégrera dans leurs droits, S'ils suffisent
à la peupler et à
• en occuper les régions abandonnées, on se contentera d'eux; sinon on y installera d'autres
populations qui la mettront en valeur avec eux et auxquelles on attribuera les biens dont on
ne. connaît pas les propriétaires et dont on dispose dans le meilleur intérêt des Musulmans.
Mais si on ne connaît pas les gens qui en avaient été expulsés, la ville comme je I'ai exposé à
ton intention u échoit n en fay' à l'ensemble de la Communauté musulmane et le souverain en
disposera dans le meilleur intérêt des Musulmans. S'il est prouvé qu'on connaît les propriétaires de certaines terres mais non les propriétaires de certaines autres, il y a dans les terres
dont on connaît les possesseurs matière à convaincre quiconque est soucieux de distinguer le
licite de l'illicite. Quant aux vivres chargés parles propriétaires des bateaux ou emportés par
toute autre personne j'ai déjà fait en traitant du statut d'Agrigente, la part de ce qui est permis
et de ce qui est blâmable : quand d s'agit dune terre acquise d'une manière blâmable, il est
blâmable d'en acheter les
•
produits, et quand il s'agit d'une terre acquise autrement, il est permis d'en acheter et
d'en vendre les produits.
Puisse Allah nous guider dans le droit chemin
H.H. ABDUL WAHAB et F. DACHRAOUI
(Tunis)LA GUERRE SAINTE SELON IBN HAZM
DE CORDOUE
Il y a dans les doctrines juridiques d'lbn Hazin une contradiction latente qui se résout par une
sorte de défi à l'histoire. Ce juriste;âhiritea pour idéal de reconstituer ce qu'était à la lettre le
droit musulman à l'époque du Prophète et des Compagnons. Il nie toute possibilité d'évolution
du fiqh : c'est aux débuts de l'Islam qu'a éclaté la vérité de la Loi. Il y a donc lieu d'interroger
l'histoire, qu'elle soit rapportée dans des traditions transmises d'homme à homme, ou livrée
dans les connaissances générales que se passent les unes aux autres les générations
successives. Mais quand il a déterminé ce qu'a dit ou fait le Prophète dans des circonstances
données, quand il a précisé, relativement à ces circonstances, la signification et la portée des
paroles, des actes, des silences de l'Envoyé de Dieu, Ibn Hazm répudie tous les contextes
historiques sur lesquels il s'est appuyé, de peur qu'ils ne limitent la valeur des textes
traditionnels à des particularités de temps et de lieux. Seul un texte peut en particulariser un
autre. En effet, l'homme ne parle et n'agit que dans des situations particulières, qui peuvent
jeter une lumière sur ce qu'il a voulu dire et faire, mais qui ne doivent pas borner l'intention de
signification, sinon personne n'exprimerait jamais d'idées et de règles générales, et on ne
pourrait énoncer de lois.
En se tournant vers le passé, Ibn Hazm ne rêve donc pas de le faire revivre en tant que passé
historique. Il sait, mieux peut-être que beaucoup de ses contemporains, qu'il se produit des
changements, pour ne pas dire des évolutions. Il sait que l'islam de son temps, qui allait de
l'Espagne aux Indes orientales, n'était plus à la même échelle que l'Islam du Prophète et des
premiers califes. Il l'a reconnu à propos des problèmes du consensus de la Communauté. Ce
qui l'intéresse dans le passé, c'est un moment privilégié de l'histoire où la Loi voulue
éternellement par Dieu a été révélée en des formules universelles et définitives. En dépit de
l'évidence la plus manifeste, les commandement
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LA GUERRE SAINTE SELON IBN HAZM
reprises. L'opposition du Dar a1-Harb et du Dar al-Is1àm garde un -reflet de l'instabilité des
limites entre les pâturages où des clans nomades rivaux faisaient paître leurs troupeaux. La
question du partage du butin est l'objet d'un long développement. En un certain sens aussi, la
défense de la terre d'Islam contre les infidèles ressemble par beaucoup de traits à la défense
des populations citadines ou des colonies agricoles d'Arabie contre les pillards du désert. Là
où on parle de villes frontières, il semble qu'on pense à ces citadelles qui, comme à Médine,
protégeaient les sédentaires contre les nomades. C'est dans ce cadre étroit que sont étudiées
les relations des musulmans avec les non musulmans. Il serait contraire à la pensée d'lbn
Hazm de généraliser ce qu'il dit à ce propos et d'y voir les principes d'un droit capable de
régir, d'un point de vue musulman, la complexité des relations internationales actuelles. Les
conditions du Jihad, telles que les voit Ibn Hazm, ne sont certainement pas réalisées de nos
jours, tant sur le plan militaire que sur le planéconomique et politique. Mais si elles se
présentaient quelque part en un point particulier du monde, les prescriptions de la guerre saint
devraient aussitôt entrer en jeu.
Qu'en était-il du vivant d'Ibn Hazm? Sans parler de l'Orient, on peut penser qu'en Espagne la
situation se prêtait assez bien au Jihad, avec une frontière mobile entre les pays conquis par
les musulmans et le reste du territoire chrétien, avec des expéditionsannuelles et des guérillas,
avec des alternatives de trêves et d'engagements. Mais déjà deux éléments, qui sans doute ont
toujours existé, même du temps du Prophète, mais qui ont pris une singulière importance,
altèrent le schéma idéal de la théorie de la guerre sainte. D'une part le Dar al-Islam n'est plus
uni: il y a des guerres entre musulmans et, pis encore, des musulmans s'allient parfois avec
des infidèles contre leurs frères en religion. D'autre part, la guerre revêt un caractère plus
décidément politique, 'et si on la fait toujours au nom de motifs religieux, sa réalité
d'entreprise humaine prend nettement le dessus. Mais n'est-ce pas parce que les musulmans
ont altéré la pureté originelle de l'Islam? C'est ce que pense à coup sûr Ibn Hazm. Pour ce
réformateur devant qui aucune déviation, si minime soit-elle, ne trouve grâce, il faut retrouver
l'authen. ticité-de la religion prêchée par l'Envoyé de Dieu. S'il y a des transformations
inéluctables dont Ibn Hazm prend aisément son parti, d'autres, et ce sont les plus graves, sont
dues à l'infidélité des musulmans -qui ont innové en empruntant aux civilisations étrangères,
qui ont trop oublié les droits de Dieu et se sont comportés comme une nation parmi les autres,
qui ont abdiqué les vertus arabes auxquelles l'Islam avait ouvert une si magnifique carrière, et
qui, en perdant la tension intérieure de la Umma, qui les plaçait loin au-dessus des autres
peuples, ont donné des armes à leurs ennemis. L'attachement d'Ibn Hazm à la dynastie
Umayyade a des motivations profondes. Malgré ses fautes, elle représente l'esprit arabe, et par
là elle est plus proche du Prophète
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Ce qui l'intéresse dans le passé, c'est un moment privilégié de l'histoire où la Loi voulue
éternellement par Dieu a été révélée en des formules universelles et définitives. En dépit de
l'évidence la plus manifeste, les commandement
donnés au Prophète ne sont pas, à ses yeux, relatifs à l'époque du Prophète, de telle sorte qu'il
faille les adapter, pour les appliquer, aux ézigences des autres époques. Ce sont des
commandements valables tels quels pour tous les temps. Or l'une des conséquences les plus
graves du {ahirisme hazmien, c'est que le sens général des jugements
de la Loi est tout entier contenu dans la valeur des mots et la construcA" tion.des
phrases arabes qui l'expriment. Si donc les langues évoluent', ce qü Ibn Hazm a explicitement
reconnu, il est nécessaire, pour com- prendre la volonté de Dieu, de s'en tenir à l'arabe du
Coran et du Prophète. Mais il est indéniable qu'à une étape donnée de l'histoire d'une langue,
les possibilités d'expression sont toujours liées à un exprimable qui, à son tour, est en rapport
étroit avec une civilisation particulière. C'est là qu'apparaît la contradiction. Les exégètes qui
admettent un sens spirituel que chaque génération approfondit selon les exigences de son
propre esprit, parviennent aisément à détacher les textes de leur arrière-fond historique. Mais
les partisans du sens littéral sont irrémédiablement liés au milieu contingent hors duquel la
lettre n'a plus de sens précis.
Par suite, quoi qu'il prétende, Ibn Hazm, en définissant tout par préférence aux premiers
temps de l'Islam, en cherchant ce que signifiaient les révélations pour le Prophète et ses
Compagnons, ne pouvait saisir qu une législation qui reflétait les caractères de cette société
ancienne.. (Gomment alors la considérer comme valable pour tous les temps et pour tous les
lieux?
a: A vrai dire. Ibn Hazm ne s'est pas posé directement la question. Cependant il fournit tous
les éléments de la réponse. La Loi n'est applicable que là où la réalité, en permet l'application,
Un pays qui ne produirait que du riz dont aucun texte authentique ne fait mention, échapperait
à la zakal sur les denrées agricoles. Quand l'évolution a rendu impossible la mise en pratique
d'une prescription, cette prescription tombe d'elle-même (sans être pour autant abrogée), car
l'homme
g -'
na pas je droit de la modifier pour l'accorder à une forme nouvelle
de vie. Seul un texte peut apporter une obligation.
Attitude dangereuse sans aucun doute. Mais Ibn Hazm pouvait-il prévoir que la société
humaine se transformerait au point que la presque totalité du droit musulman ainsi conçu se
trouverait sans application? C'est peu probable. Quoi qu il en soit, l'inapplicabilité d'une loi la
rend en fait caduque, bien qu elle garde toute sa valeur de loi, et qu il faille la remettre en
ouvre dès que les circonstances le permettent.
° En ce qui concerne la guerre sainte, on ne trouve évidemment chez Ibn Hazm aucune
tentative pour en spiritualiser la notion. Le Jihad reste bien pour lui essentiellement le guerre
par les armes, encore qu'il connaisse un sens plus général du terme. Seulement c'est une
r guerre qui conserve les caractères archaïques des razzias entre tribus bédouines. Dans les
textes qu il cite, le
e revient à plusieurs
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LA GUERRE SAINTE SELON IBN HAZM
que toutes celles qui ont laissé l'Islam s'altérer sous des influences nom
arabes, tant en Orient qu'en Occident. Le gâhirisme conduit logiquement à l'arabisme. Aussi
pensons-nous que dans ce traité archaisant • surie ÿihad, le but d'lbn Hazm n'a pas été
essentiellement de définir les prescriptions relatives à la guerre sainte comme si elles étaient
encore immédiatement applicables, mais qu'il a été plutôt de rappeler ce qu'aurait dû être la
conduite de la Communauté musulmane, depuis le siècle d'or de Muhammad, d'Abû Bakr et
de 'Umar, pour rester digne de son fondateur et pour garder l'élan qui lui avait fait conquérir
lamoitié du monde connu. Espérait-il qu'un jour, grâce peut-être à son rappel, les conditions
d'un gihàd véritable renaîtraient et que l'Islam. achèverait la conquête de l'univers? Il n'en dit
rien. Mais on est fondé à penser que sa triste expérience des hommes et de la politique, l'issue
lamentable de l'action qu'il avait menée, le laissaient trop désabusé. A l'époque où il écrit le
Kilab al-Mukalla, il est devenu un homme qui dit imperturbablement ce qui doit être, se
refusant avec fierté à. prendre en considération ce qui est ou ce qui peut être. Aussi son
oeuvre juridique tout entière et en particulier son traité du Jihad peuvent. s'interpréter comme
l'implacable condamnation des hommes et de l'histoire. Tant pis pour les hommes et pour
l'histoire, puisque en définitive c'est la Loi telle qu'il la trouve dans les textes, telle qu'il
l'explique par les textes, qui jugera le monde.
Nous ne croyons pas forcer la pensée d'Ibn Hazm en concluant que pour lui la Loi ne peut
s'appliquer que si la Communauté musulmane est fondée sur une obéissance stricte aux ordres
de Dieu, c'est-à-dire une obéissance Fàhirite. Là où il n'y a plus de véritables musulmans, il ne
peut y avoir de véritable jihad. Par conséquent le ÿihMd suppose que les musulmans sont, non
seulement en droit mais en fait,. autres que leurs adversaires, sur un autre plan qu'eux, et
inaccessibles au moindre compromis. La guerre sainte est réglée comme un rituel
religieux.
Le jihad est une obligation qui pèse sur tous les musulmans. Mais quand certains d'entre eux
s'en acquittent, repoussent l'ennemi et portent la guerre (gazwa) dans ses foyers, quand ils
défendent les villes frontères, les autres sont déchargés de cette obligation. C'est donc un fart
kifaga. Néanmoins, en cas de danger pressant, tout fidèle qui n aucun empêchement majeur,
peut être appelé à combattre. Celui qui, dans le Dar al-Harb, reçoit l'ordre de combattre, doit
obéir, à moins qu'il n'ait une excuse valable. Ibn Hazm n'entend pas que les musulmans,
même déchargés en fait de l'obligation, se désintéressent du jihad sous. prétexte qu'il n'est pas
au premier chef une prescription personnelle (fard ayn). Les textes qu il cite sont
caractéristiques de ce souci de maintenir les fidèles en haleine. Le Coran, dans de nombreux
versets, insiste sur ce devoir.: Apportez votre aide, que vous ayez peu ou beau-. coup de poids, faites le Jihad en engageant vos biens et vos personnes.
448.Or. dit Ibn Hazm, c'est là un ordre (C général», car il n'y a personne qui ne soit «ou léger
ou lourd». Selon un hadü. «« celui qui meurt sans avoir fait la guerre (wa [am gagzu) ou sans
avoir r entretenu l'espoir de la faire (wa lem yuhaddit bihi nafsahu), meurt dans une sorte
d'hypocrisie)). Selon un autre, le Prophète a déclaré : ((Pas d'abandon après la conquête, mais
jihad et ferme propos (nigya). Et si on vous appelle, venez à l'aide», Il semble donc qu'à côté
de la guerre proprement dite, il y ait comme une préparation psychologique permanente à la
guerre. Sous cette forme latente, le ,Jihad ne doit pas cesser,
Cependant il n'est pas permis de faire la guerre sans l'autorisation du père et de la mère, sauf
si l'ennemi a envahi le territoire musulman. C'est alors une obligation, pour tous ceux qui le
peuvent, de porter
secours à ceux qui sont attaqués, que les parents le permettent ou non,
à moins que le départ de leur fils ne les mette en danger de périr,
soit tous les deux, soit l'un d'eux. Un hadj( confirme cette prescription.
Abù Têbit a entendu dire à Abû 1-'Abbas qu'il avait entendu de `Abd Allâh b. 'Amr ce récit :
« Un homme alla trouver le Prophète ét lui demanda la permission de faire la guerre sainte.
Le Prophète lui dit : Ton père et ta mère sont-ils vivants? Oui, répondit l'homme. C'est donc
envers eux, dit le Prophète, qu'il te faut faire le gihad n. Ce texte est intéressant parce qu'il
montre l'ancienneté d'une conception très large du Jihad, qui consiste à s'engager à fond dans
l'obéissance à Dieu en toutes choses. Dans le livre du Pèlerinage, Ibn Hazm cite une autre
tradition où le bail lui aussi est qualifié, relativement à la 'umra, de jihad. C'est que tout culte
de Dieu dans l'obéissance est un service ('ibâda) comparable an service privilégié des armes.
La guerre contre les infidèles fait du croyant qui y laisse sa vie, un martyr à qui est promis le
Paradis. Cependant ce n'est pas en elle-même qu'elle comporte un tel avantage : il faut que le
jihad soit juste, c'est-à-dire qu'il soit un vrai Jihad entièrement dans la voie de Dieu, soumis à
la totale observance des Commandements divins. Par suite ce vrai Jihad, au sens fort du mot,
ne saurait être exclusif d'autres devoirs, d'autres
Jihad-s au sens large, qui peuvent, sauf en cas d'urgence, prendre le
pas. tels les devoirs envers les parents. Obéir au chef qui appelle à la guerre sainte sans tenir
compte d'autres exigences de la Loi, ce n'est donc pas faire preuve d'une obéissance valable.
Ecouter un ordre et y obéir, dit un badil, est juste tant qu'il ne commande pas la rébellion
contre Dieu ; s'il la commande, il n'y a ni à écouter ni à obéir. `Ali b. Abi TAlib a dit qu'il n'y
a d'obéissance que dans la bienfaisance. Par ces traditions et d'autres encore, Ibn Hazm, après
avoir exalté la guerre sainte, montre qu'elle ne saurait normalement dispenseï ses devoirs
imposés Dieu et quelle ne peut être une excuse pour celui qui les négligerait. Ce n'est pas le
Jihad qui consacre le bon musulman, mais ce n'est que le bon musulman qui peut faire un vrai
jihad. Ibn
Hazin la brutalité des, hommes, leurs instincts belliqueux et
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montés sur des ânes. Lui est-il permis de fuir devant eux? De
même,
et expérimentés,
vont-ils
mille cavaliers d'élite, bien armés, nobles
la fuite devant un ramassis de trois mille chrétiens à pied et
prendre
affaiblis?
On rapporte qu'al-Hasan a dit que la fuite devant une armée
ennemie
fautes (min al-Rabbis), sauf dans le
n'est pas au nombre des grandes
de la bataille de Badr. C'est là, explique Ibn Hazm, une
cas particulier
sans preuve. Au contraire, selon une tradition recevable,
particularisation
'Utmân a dit à Ibn Abbas que la Sourate du Butin a été révélée
une
donc la bataille de Badr. Un hadit du
des premières à Médine,
avant
Prophète nous apprend d'ailleurs qu'il y a sept périls à éviter,
parmi
lesquels la fuite un jour d'engagement. Cette parole du Prophète a
une
générale et montre indiscutablement la gravité de la fuite. Un
portée
autre récit rapporte qu'il a dit : u O hommes, ne désirez pas la rencontre avec rennemi... Mais si vous le rencontrez, tenez bon, et
sachez
que le Paradis est à l'ombre des épées».
Mais un musulman doit-il risquer sa vie contre des forces trop
considérables? Abû Ayytb al-Anyâri et Abù Mùsâ al-Aé'ari ne
désavouent pas l'homme qui attaque seul une armée nombreuse et bien
équipée (al-`as(tar al-ifarrai), et qui résiste ferme jusqu'à la mort.
Là
contre, on fait valoir un hadit, transmis par al-Hasan, dans lequel
le
Prophète dit à un homme qui voulait se lancer contre une troupe
ennemie : «Penses-tu les tuer tous? Reste tranquille. Si tes
compagnons
se lèvent, lève-toi; s'ils attaquent, attaque». Mais ce hadit n'est pas
recevable parce qu'il est mursal. En revanche un récit authentique ''''
nous
apprend qu'un homme de l'entourage du Prophète-lui demanda ce
qui
plaisait le plus à Dieu de la part de ses serviteurs. — Qu'il
j i_
s'enfonce
dans les rangs ennemis sans casque ni cuirasse, répondit l'Envoyé.
Alors l'homme ôta sa cotte de mailles et pénétra dans les
formations
ennemies jusqu'à ce qu'il fût tué.
l
'
lbn Hazm n'irait sans doute pas jusqu'à l'exhortation au martyre,
puisqu'il admet, avec les textes, la retraite stratégique. Mais, en
accord
avec les textes également, il n'interdit pas ces actes de pure
bravoures
gui, remettant à Dieu l'issue du combat, n'hésitent pas devant le
sacrice inutile, réminiscence à n'en pas douter des obligations
I"
d'honneur
des anciens Arabes. Transposées dans les cadres de l'Islam,
comme
tant d'autres vertus bédouines, elles devaient exalter, chez les
Croyants,
le sentiment d'une valeur qu'aucun infidèle ne saurait partager
avec eux.
Après la -réglementation de la conduite au combat, vient celle
des'
actes de guerre. En pays ennemi, il est permis de brûler les
produits
de la terre, les arbres et les cultures. On peut aussi incendier les
maisons
ou les démolir. Le Prophète a mis le feu aux palmeraies des
~J...
Banül-Nadir, tribu juive de Médine. Et cependant le Prophète savait que
ces
palmiers reviendraient aux musulmans le jour même ou le lendemain. Pourtant on rapporte
qu'Abù Bakr en a jugé autrement Ne coupez
451.;.
t
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cupides, et il a voulu marquer, dès le début de son étude, qu'il ne suffit- pas d'être un soudard
déchaîné pour entrer au Paradis.
Suivent des règles générales concernant la conduite au combat. Il. est à remarquer qu'Ibn
Hazin ne fait ici appel à aucune vertu guerrière:: Il pourrait louer le courage; il n'en dit mot.
C'est que les vertus humaines ne comptent que si elles sont encadrées par l'obéissance,' Aussi
est-ce la prescription divine qu'il met en avant. Il n'est absolu.-ment pas permis à un
musulman de fuir devant un infidèle associateur (mulrik) non plus que devant plusieurs,
même si leur nombre est très grand. Cependant il a le droit de reculer si c'est pour revenir à
l'attaque ou pour rallier le gros des forces musulmanes. Celui qui ne se propose que de fuir en
tournant le dos à l'ennemi, est un infâme qui s écarte des préceptes de Dieu et qui doit faire
repentance, sous peine d'aller en enfer. lbn Hum s'appuie sur la Sourate du Butin, VIII, v. 15
et 16.
Certains prétendent qu'il est permis à un homme seul de fuir devant trois ennemis ou plus. Ils
tirent leur argument de la même sourate, v. 66.'a Maintenant Dieu allège votre fardeau ; Il sait
qûil y a en vous de la faiblesse. Si cent d'entre vous sô t—capables de tenir, ils vaincront deux
cents ennemis ; s'ils sont mille, ils vaincront deux mille ennemis avec l'aide de Dieu; Dieu est
avec ceux qui soutiennent l'effort». Ibn 'Abbâs a dit : a Quiconque fuit devant deux hommes
est un fuyard; qui fuit devant trois n'est pas un fuyard)).
Ibn Hazin fait bon marché du hadil d'Ibn 'Abbâs auquel il n'accorde aucun crédit, Quant au
verset, il ne contient rien, dit-il, qui soit en
rapport avec ce que prétendent ses adversaires, car il n'offre ni texte
ni indication (dalil) sur le caractère licite de la fuite devant tel nombre d'ennemis. Il déclare
simplement que Dieu connaît la faiblesse humaine et qu'Il allège les fardeaux qu'Il impose,
car Il est miséricordieux. Avec son secours, cent croyants capables de soutenir l'effort
(eabirùn) viendront à bout de deux cents adversaires. Mais le verset ne dit pas qu ils n'en
vaincront pas davantage ou moins. La méthode qû Ibn Hazin met ici en ouvre s inspire de sa
critique de l'argument rhétorique Mali! al-Jhilah) qui consiste à admettre que tout jugement
lié à une détermination de temps, de lieu, de nombre ou autre, n'est plus vrai en dehors de
cette détermination. On se croit alors autorisé à tirer de ce qui est dit textuellement ce qui n'est
pas dit, et c'est une erreur. Ainsi dire. que cent l'emporteront sur deux cents n'implique en rien
qu'ils ne l'emporteront pas sur cent cinquante ou sur trois cents. D'ailleurs Ibn Hazm appuie
comme toujours son argument de raison par un argument textuel. Dieu a dit, en effet : a
Combien de fois une troupe peu nombreuse a vaincu une troupe nombreuse avec la permission de Dieu 1 n. ici -il n'est pas question de nombre.
Puis Ibn Hazm ironise. 11 interroge ses adversaires sur le cas d'un
cavalier musulman, brave et fort, armé de pied en cap, qui rencontre trois ennemis juifs,
vieillards décrépits, malades, sans armes, à pied ou
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ter ,
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froid (éabr°"; l'expression qutila gabr" s'emploie en parlant de quel- qu'un qui n'a pas été tué
au combat, mais massacré après, être tombé au pouvoir du. vainqueur). Ajoutons, parmi
d'autres traditions citées, cette r mise en garde du Prophète : ((N'imitez pas les bêtes fauves ».
Comme au sujet des devoirs envers les parents, on voit ici que le jihad ne supprime pas les
autres commandements de Dieu. La seule chose qui puisse momentanément les suspendre,
c'est l'urgence. Mais l'urgence concerne l'intérêt direct et immédiat des musulmans; elle n'a
rien à voir avec des calculs stratégiques.
Quant au porc, on le tuera. Ibn Hazm se réfère à ce sujet à une curieuse tradition sur le retour
du Messie. 'Isâ descendra duciel, se rendra à Jérusalem, fe'a derrière l'imam la prière
musulmane, puis il tuera le porc, brisera la croix et détruira toutes les églises.
Il faut laisser la vie aux femmes et aux enfants, à moins qu'ils ne •combattent dans les rangs
des hommes. S'ils sont atteints au cours d'une attaque de nuit (bayat) ou dans la mêlée du
combat sans intention, il n'y a pas de crime. Ces deux exceptions mises à part, il est permis de
tuer tous les infidèles, qu'ils combattent ou non : commerçants, serviteurs à gages ou hommes
de peine, vieillards, paysans, évêques, prêtres ou moines, aveugles ou infirmes, sans en
excepter un seul. Certains citent différents badil-s en faveur d'autres exceptions : vieillards,
moines, marchands. Ibn Hazm les rejette tous. Il n'admet pas non plus que la permission de
tuer se limite aux combattants. Comme justification de sa thèse, il rappelle l'extermination par
le Prophète de tous les hommes de la tribu juive des Banù Qurayza, qui furent mis à mort sans
exception, tandis que les femmes et les enfants étaient vendus comme esclaves. Quant aux
grands vieillards, ils ne jouissent d'aucun traitement de faveur, ainsi que le montre le récit de
la mort du poète arabe Durayd b. al-Simma. Très avancé en âge, au point que sa raison
chancelait, il n'avait pas fait islam et il fut tué par Rabi' après la bataille de Hunayn. Le
Prophète ne désavoua pas le meurtrier : silence qui fait loi.
Quelles doivent être les qualités du chef qui mène la guerre sainte 7 Il n'est pas nécessaire
qu'il soit un bon musulman, pourvu qu'il n'ordonne rien de contraire à la Loi de Dieu, et le
croyant doit combattre sous un tel chef comme il combattrait sous les ordres de l'Imam. Dieu
peut fort bien affermir l'islam en se servant d'un libertin. L'essentiel est donc que le but du
gihad soit atteint, et ce but est de détruire l'infidélité (kufr). Ibn Hazm ne cache pas qu'il est
inévitable pour cela de tuer les infidèles, de détruire leurs demeures et leurs cultures,
d'emmener leurs femmes et leurs enfants en captivité. Personne ne peut s'exempter de ce
devoir en prétextant la mauvaise vie d'un chef qui aura seul à en rendre compte à Dieu. Mais,
on le voit, l'ennemi à abattre est moins l'infidèle que l'infidélité. Ce qu'il faut se proposer, par
delà les ruines
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5
e.
d
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452
aucun arbre fruitier et ne dévastez pas les contrées cultivées,
recommandait-il. C'est, réplique Ibn Hazm, par une libre décision
qu'il a
fait cette interdiction, et il en avait le droit, car la
N'
destruction des
récoltes n'est pas prescrite, elle est simplement permise.
LeProphète
lui-même n'a pas coupé les palmiers de Ijaybar. Toutes ces
conduites
sont également bonnes.
En revanche, il n'est permis ni de blesser ni de tuer les
animaux
qu'élèvent les infidèles, chameaux, boeufs, moutons,
chevaux, poules,
pigeons, oies, canards, à moins que ce ne soit pour les
besoins de la
nourriture. Il y a une exception pour le porc : qu on le tue.
Le cheval
qui sert à la guerre peut aussi être tué. On ne doit pas noyer
les abeilles
ni brûler les ruches. Les Hanéfites et les Malékites
autorisent la mise
à mort de tous ces animaux. Les chameaux, les boeufs et les
moutons
seront tués et brûlés, car les infidèles, quand ils les trouvent
morts,
les mangent (alors que les musulmans ne se nourrissent que
de viandes
d'animaux égorgés rituellement). Les chevaux, les mulets et
les ânes,
que les infidèles ne mangent pas, seront simplement tués.
On devine
ce qui a inspiré ces mesures : la guerre doit porter la
destruction chez
l'ennemi, et tout ce qui n'est pas consommé par
l'envahisseur musulman
doit être mis hors d'usage.
La réponse d'Ibn Hazm est double. Sur la division du bétail
en
deux catégories, il ironise pour montrer son manque de
fondement.
Quand donc, demande-t-il, les chrétiens, les. zoroastriens et
les adorateurs des idoles se sont-ils abstenus de l'âne et du mulet et
se sont-ils
bornés au boeuf et au mouton? Leur loi leur permet de
manger des
viandes « mortes,)' et aucun animal ne leur est interdit.
Quant aux juifs.
ils ne touchent à rien de ce qui a été tué par un non juif,
Toutes ces
spécifications qui ne reposent sur aucun texte, sont donc
vaines, Mais
c est sur le fond même qu éclate la divergence entre Ibn
Hazm et ses
adversaires. Pour lui, le lihàd•n'est pas une guerre ordinaire
dont le
but unique est de détruire la puissance et les ressources de
l'ennemi.
Il a une fin plus haute et ne doit employer que les moyens
que Dieu
veut. Nous retrouvons l'idée que la guerre sainte ne justifie
pas tout.
Ibn Hazm le fait sentir en posant une question qui porte à
ses extrémités
logiques le point de vue des écoles qu'il critique. Si vous
voulez nuire
aux ennemis, que ne tuez-vous aussi leurs femmes et leurs
enfants?
Ce sera bien pire pour eux que la perte de leur bétail. Force
est de
lui
répondre que Dieu a interdit le massacre des enfants et des
femmes.
Mais, réplique-t-il alors, il a également interdit de tuer les
animaux si
ce n est pour les manger. D'après un hadit, le Prophète a dit
: ((Aucun
homme ne tue un moineau ou une bête plus importante hors
de leur
droit, sans que Dieu lui en demande compte. On l'interrogea
sur ce
qu'était leur droit. C'est, dit-il, d'être égorgés rituellement et
mangés».
Selon un autre récit, il a interdit de tuer des bêtes de somme
de sang
452
-
-
I
454-455
R. ARNALDEZ
r
0
de la guerre, c'est « de faire sortir le kâfir des ténèbres du ltufr, pour l'amener à la lumière de
l'Islam». Cette expression signifie-t-elle que pour Ibn Hazm la fin ultime du Jihàd est
missionnaire et se rapporte au bien des âmes? Il ne semble pas que ce soit. là sa pensée. Il
songe plutôt au triomphe de l'islam: pour que les ténèbres de l'infidélité soient vaincues, il est
nécessaire que la lumière de la Loi musulmane s'étende sur un nombre d'hommes toujours
plus grand, ou du moins que ceux qui résistent disparaissent. Le Jihad est au service de Dieu
plus qu'au service des hommes.
La réglementation des rapports entre les infidèles du Dar al-Ï,arb les Ahl al-kufr, et les
musulmans est des plus simples. L'infidèle n'a pratiquement aucun droit; le musulman a tous
les droits (les droits pour les uns et pour les autres, étant ceux que définit la Loi de l'Islam) Le
non musulman qui accepte de payer tribut (fizya), reçoit le statut de protégé (dimmi) et la
Communauté musulmane lui reconnaît des droits qu'elle lui garantit. Ainsi les musulmans
peuvent-ils avoir des devoirs qui sont sacrés envers de non musulmans qu'ils protègent,
Les infidèles ne peuvent jamais posséder en propriété les biens d'un musulman ou d'un
dimmi, sauf à la suite d'une vente valide d'une donation valide, de l'héritage d'un dimmi, ou,
en général, d'une transaction reconnue par la religion musulmane. Le butin qu'ils font des
biens d'un dimmi ou d'un musulman, l'esclave d'un musulman qui s'enfuit chez eux, restent
propriété de leur premier maître, et dès qu il est possible de les reprendre par la guetre, ils
retournent à leur propriétaire légitime, avant ou après le partage du butin dont ils font
matériellement partie sans constituer en droit une partie de ce butin, qu ils aient été ou non
transportés dans le Dar a1-Harb, Le propriétaire qui les récupère na pas à en donner de
compensation ni à en. payer le prix. Mais le chef dédommage celui dans le lot duquel ils
étaient tombés lors du partage, en prélevant ce qui est nécessaire sur les avoirs de la
Communauté. La qualification juridique de ces biens partagés avec le butin alors qu'ils ont un
propriétaire, est celle de biens usurpes qu un musulman a enlevés par la violence à un autre
musulman, Telle est la doctrine d'Ibn Hazm qu'il partage avec l'Imâm al-SAfi'i et Ab ti
Sulaymân.
On compte chez les anciens trois autres doctrines sur cette question D'après la première, il n'y
a pas de retour : le bien appartient à celui' qui, lors du partage du butin, le reçoit dans son lot.
Un hadit rapporte que'Ali b. Abi Tàlib estimait qu'un bien musulman conservé en bon état par
un infidèle du Dar al-iarb, compte parmi les biens de cet infidèle. Al-Hasan al-Bari jugeait
selon ce principe. Qatàda raconte qu un muk&tab fut fait prisonnier par un ennemi de l'Islam.
Un musulman l'achats et consulta 'Ali à ce sujet. 'Ali lui dit : a Si son maître l'a racheté de
captivité, cet esclave se retrouve dans les conditions de
454
LA GUERRE SAINTE SELON IBN HAZM
son contrat de. rachat (Ititdba)', mais s'il refuse de le racheter,•il appartient à celui qui l'a
acheté». Par conséquent, en tombant aux mains de l'ennemi, le mukâtab redevient un simple
esclave appartenant
",.
à un nouveau maître avec lequel il n'a passé aucun contrat pour se
racheter. Si ce nouveau maître le vend, il appartient légitimement à l'acheteur, Mais si le
premier maître le rachète, le contrat ancien rentre en vigueur. Ibn Hazm cite plusieurs
traditions que les tenants de cette
'.'
doctrine allèguent : u Ce que l'ennemi a conservé en bon état (ma ahrazahu) est butin
des musulmans et ne retourne pas à son prénier propriétaire u. Et encore : u Ce que les infidèles ont conservé en
•
bon état, quand les musulmans réussissent à le reprendre, c'est à eux,
• à moins qu'il ne s'agisse d'un homme libre au d'un allié» (qui aurait été fait prisonnier et
réduit en esclavage par les ennemis ; il ne fait pas partie du butin quand il est repris par les
musulmans).
Selon la seconde doctrine, si le propriétaire légitime peut saisir son bien avant le partage du
butin, ce bien lui fait retour. Mais après le partage, il appartient à celui dans le lot de qui il est
tombé. Il ne retourne pas à son premier propriétaire, même si celui-ci en donne le prix.
Évidemment il peut toujours intervenir un arrangement à l'amiable. Cette doctrine est
intéressante parce qu'elle montre l'importance que les musulmans accordaient au partage du
butin sur toute autre considération. Un Itadit qui remonte à 'Umar b. al-Hattâb va dans ce
sens. Si quelqu'un retrouve son bien propre avant que les lots soient distribués, il est plus
désigné que tout autre pour en prendre possession (fahuwa ahagqu bihi), sinon, après le
partage, il n'a plus aucun droit. Notons qu il n'est question que de son bien propre (bi'aynihi),
retrouvé tel quel après la victoire sur un ennemi qui l'a conservé en bon état. Personne ne peut
songer à se dédommager sur le butin, d'un bien que les infidèles lui auraient pris, mais qui
aurait péri ou disparu, ou encore qu il retrouverait en mauvais état.
Une tradition rapporte qu'une serve, appartenant à un musulman,
s'enfuit chez l'ennemi, puis quelle tomba dans le butin des Croyants. Abu 'Ubayda b,
al-Carràh écrivit à'Umar à son sujet. 'Umar lui répondit que si elle n'a pas encore été mise
dans les cinquièmes (le butin étant reparti en cinq parts), ni attribuée en partage, elle
retournera à son maître. ((Sinon, laisse-la aller son chemin ».
Selon la troisième doctrine, avant le partage, le bien retourne à
• son premier propriétaire. Après le partage, celui-ci a plus de droit que quiconque à le
posséder, à condition d'en payer la valeur. Plusieurs hadif-s sont avancés pour justifier ce
point de vue, Ibn I;lazm n'en donne que les transmetteurs sans citer les textes.
L La Prélevé sur son. pécule, meia ce e ~ng~geant è servir son usa ire jusqu à ce qu'il se
soit entièrement acquitté. Cet esclave pope le nom de mubatDb
455
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I
R. ARNALDEZ
LA GUERRE SAINTE SELON IBN HAZM
Dans sa critique, ibn Hazm commence Par contester'la valeur des traditions sur lesquelles ces
trois doctrines s'appuient. Nous n'y insisterons pas. Relevons simplement un badif allégué par
les partisans de la
première : M4' sri D.L+1t a}y.l L . Ici Ibn f{azm s'attaque au
main lui-même. Nous ne saisissons pas, dit-il, la signification de fahmua Id'iz. Peut-être le
sens est-il qu'il est permis à son propriétaire légitime de reprendre un bien a quand il met la
main dessus n (Ida zafira bihif. Cela réduirait la portée de la doctrine : si, au cours d'un
combat, un musulman peut personnellement se saisir d'un bien qui lui avait été enlevé, il en a
le droit. Ce bien n'entre pas dans le butin, ce qui rejoint par un biais particulier le point de vue
d'Ibn Hazm, pour qui la loi du butin, aussi sacrée qu'elle soit, doit céder le pas à la loi de la
propriété individuelle, fondamentale en Islam et tout particulièrement dans le ;àhirisme
bazmien.
Après la critique des traditions, vient la critique rationnelle. L'auteur la dirige d'abord contre
la troisième doctrine qui est celle de Malik. De' deux choses l'une : ou bien les guerriers
ennemis possèdent en propriété légitime ce qu'ils ont pris aux musulmans, ou bien ils n'en ont
paspropriété légitime. S'ils ne l'ont pas, et c'est la thèse d'Ibn Hazm, il est nécessaire que le
bien revienne à son seul vrai
propriétaire, cela •en toutes circonstances, après comme . avant le partage, et sans paiement d'aucun prix. Si au contraire ils ont ce bien en propriété légitime, celui
à qui il a été enlevé n'a aucun recours :
il ne peut le récupérer ni avant ni après le partage, ni en payant ni
sans payer, puisqu alors ce bien est au même rang que le reste du butin. Unraisonnement
analogue s'applique au musulman qui reçoit ce bien dans sa part de butin. Ou bien il n'en est
pas propriétaire, et il doit le rendre à celui qui en a été dépouillé. Ou' il en est propriétaire, et
alors il n'est pas permis de le contraindre à s'en séparer, comme le veut la doctrine, contre
remboursement de son prix. Personne ne peut être exproprié, même moyennant
dédommagement, sans son agrément.
Contre la deuxième doctrine, Ibn Hazm se contente de dire qu elle n a pour elle aucune
preuve qui lui donne autorité. En revanche, il s étend sur la critique de la première. C'est celle
qui se contredit le moins des trois. Son principe est que les ennemis possèdent en toute
propriété les biens qu'ils ont arrachés à des musulmans. Si on leur accorde ce principe, leur
thèse sera la vérité même. Mais peut-on admettre que les infidèles s'emparent légitimement
des biens des musulmans? Dieu les autorise-t-il à se les approprier? Sont-ils justes ou injustes
quand ils s'en rendent maitres ? Suivent-ils alors les ordres de Dieu et du Prophète. ou s'en
écartent-ils? Ou bien est-ce que la Loi musulmane ne les oblige pas? Ne seront-ils pas
éternellement en enfer pour s en être détournés? Ce serait de toute évidence un acte de kafr
que de soutenir qu ils agissent là de façon juste et qu'ils ne sont pas
456
q.: ajusticiables de l'Islam. Ce qui est très important dans ces réactions indignées, c'est qu'lbn
Hazm affirme qu'il n'y a que la Loi musulmane qui compte, même quand il s'agit de non
musulmans,
Sa conclusion mérite aûssi d'être notée. Il y a accord de tous en
i
Islam pour reconnaître que l'homme libre, fait prisonnier par un infidèle, ne
devient pas légitimement son esclave et donc qu'il ne saurait
t'tl entrer dans le butin des musulmans. Or quelle différence y a-t-il, demande Ibn Fiazm,
entre s'approprier un homme libre croyant, et s'approprier un bien musulman? Cet étroit
parallélisme entre le cas des personnes et le cas des biens, montre jusqu ou va, chez Ibn
Hazm.
--~
la conception personnaliste de la propriété.
Dans les questions qui suivent, l'auteur tire les conséquences de sa propre doctrine et les
applique à toutes sortes de situations. Nous ne nous y étendrons pas, quel qu'en soit l'intérêt.
Si des infidèles conviennent avec un prisonnier musulman de lui rendre la liberté à condition
qu'il paie rançon, il n'est pas permis à ce
;..r; musulman de retourner chez eux ni de leur donner quoi que ce soit. Le pacte et le
serment n'ont aucune valeur, d'abord parce qu'il est injuste de retenir un croyant prisonnier,
ensuite parce qu'on doit considérer qu'il y a eu contrainte. Mais s'il n'y a pas d'autre moyen
d'arracher un fidèle à la captivité dans le Dâr al-l'larb que de payer sa rançon, c'est un devoir
de le faire, en vertu de ce hadif du Prophète
a Nourrissez l'affamé et procurez la liberté au captif». En outre il est abominable qu'un
musulman reste parmi les infidèles, exposé à leurs lois et coutumes pernicieuses. C'est comme
s'il était retenu chez un peuple. qui se comporte à la façon du peuple de Loth. Pourrait-on le
,,laisser vivre dans ces souillures?
li Il n'est permis de racheter un captif musulman qu'avec un bien ou un captif infidèle. Mais il
est interdit de renvoyer dans le Dar al-liarb un prisonnier jeune, non majeur, car la Loi de
l'Islam stipule que les musulmans ont un droit sur lui, et il en est de lui comme des enfants des
musulmans, sans aucune différence.
Les infidèles ont la propriété de leurs biens tant qu'il s'agit de biens qui n'ont jamais été
musulmans. Ils peuvent donc les vendre ou en faire donation, et un musulman peut les acheter
ou les recevoir. La question se pose pour les marchands qui se rendent dans le territoire
infidèle, ou pour les ambassadeurs qui y sont envoyés et peuvent accepter
des cadeaux. Mais Dieu n'a institué la propriété des infidèles sur leurs biens, qu'en vue de
l'institution du butin pour les musulmans.
Quand un infidèle du Dâr al-Haro fait islam, soit qu'il le fasse dans le Dar al-Harb (qu'il y
demeure ou qu'il vienne ensuite dans le Dar al-Islam), soit qu'il vienne d'abord en terre
d'Islam pour y devenir musulman, tous ces cas sont équivalents. Ses biens, en quelque lieu
qu'ils soient, de quelque nature qu'ils soient (pourvu que leur possession soit licite selon la loi
de Dieu), sont tous à lui sans exception,
457
i
P
â~.
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R. ARNALDEZ
LA GUERRE SAINTE SELON IBN HAZM
1
et personne n'a de droit sur eux. Ils ne peuvent être un butin pour les musulmans. Ses héritiers
les héritent à sa mort. Ses enfants, s'ils sont encore jeunes, non majeurs, sont musulmans, de
même que l'enfant quesa femme porte encore dans son sein. Mais sa femme et ses enfants
majeurs, s'ils sont faits prisonniers, fontpartie du butin. Il reste marié
avec sa femme et elle devient l'esclave de celui dans le lot de qui elle
est tombée.
En effet, le mariage des infidèles est valide puisque le Prophète l'a reconnu. Il est né lui-même
d'un mariage entre infidèles et il ne pouvait naître que d'un mariage valide. Par conséquent les
deux époux
restent mariés.
La thèse d'ibn Hazm s'oppose particulièrement à celle d'Abù Hanifa qui introduit des
distinctions inadmissibles du point de vue des textes comme du point de vue du bon sens.
Voici ce qu'enseigne Abù Uanifâ : si cet homme fait islam dans le Dar al-Harb et qu il y
demeure, jusqu'au moment où les musulmans l'occupent, il reste libre et toutes ses richesses
sont à lui. On ne peut en faire du butin. Ses enfants mineurs sont musulmans et libres. Mais il
y a exception pour sa terre et pour l'enfant que sa femme porte dans son sein, bien que le
foetus soit musulman. Cela entre dans le butin. S'il fait islam dans le Dar al-Harb et qu'il entre
ensuite dans le Dar al-1slrim, tout ce qu'il laisse derrière lui dans le Dar al-Hart, terres,
immeubles, mobilier, bétail, tout cela est Jay et peut être pris comme butin par les musulmans.
Il en est de même de l'enfant que sa femme porte dans son sein, bien qu'il soit musulman. S'il
entre en terre d'Islam étant infidèle, et s'il s'y fait musulman, il est libre et musulman. Mais
tout ce qu'il a laissé dans le Dar al-Ilarb. terres, immeubles, mobilier, bétail, enfants mineurs,
est objet de butin. Ces enfants et ces biens ne deviennent pas musulmans par le fait de son islam.
Cette doctrine, objecte Ibn Hazm, est contraire à la raison, puis-quelle 'équivaut à avantager
celui qui reste au milieu des infidèles, ce qui est aussi absurde qti abominable, étant bien
établi qu'on doit toujours arracher les croyants à l'ambiance des pays de ftufr. En outre, elle
est contraire à l'igmâ' , car personne ne doute que les Compagnons du Prophète furent de
diverses catégories ; les uns firent islam à La Mecque puis s'enfuirent de cette ville, tels Abù
Bakr, 'Umar et 'Utman ; d'autres quittèrent La Mecque comme infidèles puis devinrent musul.
Mans, tel 'Amr b. al-'Âtyi qui fit islam chez le Négus, et tel Abù Sufyàn tjtti fit îsIam dans
l'armée du Prophète , Certains firent islam et restèrent k â Mecque, comme la totalité des
femmes qu on avait jugées trop faible* pour partir. Et pourtant quand le Prophète s'empara de
La Mectpé;.tous ces gens-là retrouvèrent ou conservèrent leurs biens sans sxcejion
-Toute femme qui se fait musulmane et qui a un mari kà,6r ou manage est dissous au moment
même où elle fait islam,
,...r
458.
'même si le mari fait islam après elle à un intervalle d'un clin d'oeil. Une fois musulman, il
peut revenir à elle par un nouveau mariage à la suite d'un libre consentement. S'ils font islam
ensemble, ils restent
mariés. Si le mari d'une )titâbiyya se fait musulman, son mariage reste
valide. Mais si sa femme n'est pas kitâbigya, son mariage est dissous à l'instant même où il
fait islam. La thèse que soutient ici Ibn Hazm est celle de presque tous les juristes musulmans.
Cependant il lui donne une forme extrêmement tranchante, ce qui l'amène à rompre des lances
contre des adversaires moins rigides. Mais nous n'insisterons pas sur .ces querelles dont la
complexité exigerait une étude spéciale.
Pour terminer, signalons le même rigorisme concernant le traitement de ceux qui refusent
l'Islam. Sauf pour les gens du Livre, c'est la mort, et sur ce point il y a igmë . Les juifs, les
chrétiens et les zoroastriens ont la vie sauve s'ils consentent à payer le tribut. Mais Ibn Hazm
précise qu'on ne peut accepter la izya que de gens qui reconnaissent que Muhammad est
l'Envoyé de Dieu aux Arabes et à ceux qui font islam. C'est, dit-il, la doctrine de Mâlik : o Les
protégés qui disent que Muhammad a été envoyé à nous mais non à eux, ne subiront aucune
peine. Ceux qui disent qu'il n'est pas prophète seront mis à mort».
Telles sont quelques-unes des questions traitées dans le Kitdb al-Gih&l. On y reconnaît la
méthode inflexible du juriste cordouan, sa
rigueur, sa passion, ses colères, ses indignations, son ironie, son intrépidité qu'aucune conclusion, si extrême° soit-elle, n'arrête jamais. Nous
avons là une spéculation juridique certes, et très vigoureuse. Mais elle
ne semble pas tournée vers les institutions. Perdue dans la reconstitution et la méditation d'un
droit éternel, la pensée d'Ibn Hazm reste pourtant sur terre où elle lance ses invectives à la
manière de l'ancienne diatribe. Effectivement, le but qu'il poursuit n'est-il pas de secouer un
monde musulman qu'il estime en pleine décadence religieuse et auquel il semble vouloir faire
entendre par avance quelque écho de ce que sera la trompette du Jugement, plutôt que de faire
oeuvre de science sereine, ou de mettre sur pied un système de législation pour une société
qui lui inspirait, dans son état actuel, le plus profond dégoût?
R. ARNALDEZ
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