Les limites respectives de la régulation par le
libre-marché et par l’Etat interventionniste
La dynamique d’extension progressive du marché a été le principal
moteur de la création de richesses dans le monde depuis plus de
deux siècles. Cependant, depuis l’origine, l’Etat a été très présent à
chaque étape.
Tout d’abord, le marché en général ne fonctionne que parce qu’il est
davantage qu’une simple organisation spontanée. Plus il est
important et plus il apparaît, à plusieurs égards, comme une
institution.
D’ailleurs, de nos jours les économistes s’accordent à observer que
croissance à long terme doit s’appuyer sur des institutions efficaces
qui favorisent l’enrichissement individuel et les forces du marché
(Etat de droit, sécurité des biens et des personnes, respect de la
propriété privée, droit des affaires, protection de la propriété
intellectuelle, etc.). On peut dire que cela fait partie de l’Etat
minimum, il n’empêche que la différence peut se faire sur la qualité
de cette intervention initiale.
De plus, historiquement, l’Etat (surtout en France) a souvent pris
l’initiative de piloter le développement économique (dès le XIXème
siècle en France par exemple avec les réformes du Second Empire,
le développement des canaux fluviaux, des voies ferrées…)
En dépit de son efficacité, nous avons observés une série de limites
dans les compétences autorégulatrices du libre-marché. Ces limites
ont justifié que les interventions de l’Etat ne se réduisent pas au
minimum (les principales limites étant l’existence indéniable de biens
collectifs (les ressources à préserver mais aussi les productions
nécessaires de biens et services non rivaux et/ou non exclusifs), et la
prise en compte des externalités (positives mais surtout négatives).
Depuis les années 70, on a assisté à la fois à une mondialisation
libérale (favorable au marché contre les effets pervers de la
régulation politique) et à une montée des préoccupations écologiques
qui ont rendu plus indispensables de nouvelles formes
d’interventionnisme institutionnel (favorable au politique face aux
effets pervers du libre-marché) pour réduire les externalités
négatives…
I/ La dynamique du marché et ses limites
1) Le moteur de dynamique du marché s’explique par le fait que
l’économie de marché est fondée sur le rôle de l’entrepreneur
(schumpétérien) qui prend des risques pour révolutionner les
structures du capitalisme et mettre en œuvre les innovations,
nécessaires à la croissance. La recherche du profit est le moteur de
l’activité économique dans la mesure où l’entrepreneur en utilise une
partie pour investir et augmenter la productivité et les capacités de
production. En effet, en théorie libérale, l’accumulation du capital doit
être fondée sur l’épargne préalable, qui est donc le stimulant de
l’investissement matériel et immatériel…
Mais cette théorie se heurte à des limites pratiques (voir plus loin le
point de vue keynésien) …
2) Les grands équilibres : Selon la doctrine libérale l’intégration
économique peut être cohérente s’il n’y a pas d’obstacle aux
interactions entre les situations des différents marchés présents sur
une zone d’échange. C’est l’idée de marché unique efficient à
condition de reposer sur la libre circulation des biens et services, des
hommes et des capitaux. (Complément nécessaire de la monnaie
unique). Il s’agit de « laisser faire les hommes et laisser passer les
marchandises ». La main invisible d’Adam Smith implique que la
recherche de l’intérêt individuel aboutit à l’intérêt général. Seul un
Etat- gendarme est toléré (limité aux fonctions régaliennes, comme la
défense, la police, la justice). L’Etat devrait se désengager de la
production : privatisations, ouverture à la concurrence…
Mais cette théorie se heurte à des limites pratiques dont les plus
éclatantes sont les crises qui deviennent plus fréquentes avec
l’autonomisation de la sphère financière …
3) L’emploi : Dans la même perspective, le plein emploi est assuré si
le marché du travail fonctionne sans perturbations : le travail est une
marchandise comme les autres et l’offre de travail et la demande de
travail s’équilibrent. Au salaire réel d’équilibre, le chômage ne peut
être que volontaire (les travailleurs qui acceptent le salaire d’équilibre
ont en un emploi). Par contre, le chômage peut persister en raison
d’un coût du travail trop élevé, du rôle néfaste des syndicats qui
réclament des hausses de salaires, des assurances chômage trop
généreuses, de la protection trop forte des salariés contre les
licenciements (rigidités institutionnelles).
Pour éviter le chômage, la réforme structurelle du marché du travail
est nécessaire en faveur de davantage de flexibilité : flexibilité
salariale pour améliorer l’ajustement entre l’offre et la demande de
travail. Flexibilité quantitative pour permettre aux entreprises d’avoir
recours aux formes particulières d’emploi (CDD, stages, missions
d’intérim, CNE, etc.) Flexibilité qualitative avec le recours aux heures
supplémentaires.
Mais cette théorie aussi se heurte à des limites pratiques dans la
mesure où il est difficile de soutenir que les modèles libéraux font
toujours beaucoup mieux que les modèles interventionnistes en
matière de régulation du marché du travail …
4) Sur le plan social :
Non seulement l’économie de marché peut atteindre l’équilibre
économique général mais celui-ci devrait être aussi un optimum
social au sens de Vilfredo Pareto : on ne peut améliorer la situation
d’un individu sans détériorer celle d’au moins un autre. Dans cette
situation, les consommateurs maximisent leur satisfaction et les
entrepreneurs maximisent leur profit.
En matière de théorie de la justice sociale, la perspective libérale
considère que l’Etat ne doit pas redistribuer les richesses car cela
décourage les plus performants au travail et à l’effort, à la création
d’entreprises, etc. La concurrence sur le marché sélectionne les
meilleurs projets, élimine les entreprises les moins efficaces, etc.
Ainsi, les inégalités économiques (répartition des revenus primaires)
reflètent une concurrence juste : elles sont le moteur du progrès. De
plus, les hauts revenus dégagent l’épargne nécessaire à
l’accumulation du capital productif. L’Etat doit veiller à limiter la
redistribution des richesses et réhabiliter la valeur- travail (crise de
légitimité de l’Etat- providence) : aux politiques d’assistance (welfare)
doivent se substituer des politiques fondées sur une contrepartie en
termes de travail (workfare), ce qui favorise l’intégration sociale.
L’Etat doit laisser un maximum de liberté aux entreprises et au
secteur privé et favoriser le dialogue social entre les partenaires
sociaux (patronat et syndicats).
Mais cette théorie aussi se heurte à des limites pratiques dans la
mesure où il est difficile de soutenir que les modèles libéraux font
toujours beaucoup mieux que les modèles interventionnistes en
matière de régulation du marché du travail …
5) Sur le plan des relations internationales :
Dans la même perspective, les Etats doivent veiller à promouvoir le
libre-échange : dans le domaine des échanges de biens et services,
favoriser la multinationalisation des firmes, et l’ouverture aux flux de
capitaux. Les barrières protectionnistes doivent être levées en vertu
des théories classiques de Smith et Ricardo : la spécialisation
internationale et l’ouverture aux échanges permettent une meilleure
allocation des ressources productives et donc un gain mutuel (le
libre-échange profite à tous les partenaires commerciaux). Dans la
théorie néoclassique du commerce international, les pays doivent se
spécialiser dans les productions qui incorporent le facteur de
production détenu en abondance (travail ou capital).
L’insertion dans le marché mondial permet une convergence des
niveaux de vie et un enrichissement de tous les pays.
L’Etat ne serait alors nécessaire que pour organiser la concurrence
et faire respecter des règles (régulation concurrentielle). Il devrait se
désengager en réduisant sa fiscalité et le coût du travail pour doper
la compétitivité- prix des entreprises nationales et attirer les IDE, les
investissements de portefeuille, etc.
L’Intégration économique européenne a d’abord été pensée comme
une zone de libre-échange qui s’appuie sur les principes du
libéralisme économique, et on devrait en rester à cette dynamique…
Mais cette théorie se heurte à des limites pratiques dont les plus
éclatantes sont les crises qui deviennent plus fréquentes avec
l’autonomisation de la sphère financière …
II/ La dynamique de l’Etat et ses limites
1) Le moteur : Face aux limites du libre-marché, on peut observer
que la croissance de long terme peut, voire doit, aussi s’appuyer sur
une mobilisation de la dépense publique capable de stimuler la
productivité des entreprises privées. Ll’Etat peut mettre en œuvre
des dépenses en matière de capital humain pour favoriser la
qualification de la main-d’œuvre, développer les infrastructures
publiques (réseaux de transport, de communication), et promouvoir la
recherche/ développement (technopôles, pôles de compétitivité, etc.).