Reconstruire la gouvernance
financière mondiale ?
Olivia Montel-Dumont
In « Découverte de l'économie / vol. 2
Questions et débats contemporains »
Cahiers français n°347 Novembre-décembre 2008
Au-delà des mesures à mettre en œuvre pour venir à bout
de la crise, celle-ci pose plus généralement la question de
la « gouvernance » du système financier mondial.
Les événements des dix-huit derniers mois ont en effet mis
en évidence plusieurs failles dans le dispositif de
régulation, notamment pour ce qui concerne la gestion des
risques.
Réformer la régulation du secteur bancaire et des
activités financières
Tout d'abord, les règles prudentielles imposées aux
banques par les accords de Baie I n'ont pas permis de
contenir le risque de crédit. Grâce au mécanisme de
titrisation, les banques ont pu contourner leurs obligations
relatives à la tention de fonds propres. Elles ont ainsi
transféré une grande partie du risque qu'elles prenaient
vers d'autres agents. Ce mécanisme d'externalisation des
pertes éventuelles a favorisé de leur part des
comportements risqués. Le nouveau dispositif de
régulation du secteur bancaire, Baie II (4), prévoit une
meilleure prise en compte des opérations de transfert du
risque. Cette amélioration du dispositif initial semble
toutefois insuffisante à plusieurs économistes. De façon
générale, les propositions en faveur d'une régulation
accrue du secteur bancaire et des opérations financières
sont nombreuses. Michel Aglietta suggère d'étendre toutes
les règles de contrôle aux opérations hors-bilan des
banques et aux institutions financières non régulées. Le
périmètre d'application du dispositif de Baie (I et II) est en
effet restreint au secteur bancaire. Plusieurs institutions
financières ne sont donc pas assujetties aux règles de
prudence, bien qu'elles participent à la création et à la
circulation des risques. Artus et al. (2008) (5) affirment
pour leur part la nécessité de combler les « trous » de la
réglementation financière, en réintégrant par exemple
l'ensemble des opérations de titrisation ainsi qu'une partie
du «private equity » dans le champ réglementaire. Le
caractère « procyclique » des normes de Baie II ainsi que
l'insuffisante prise en compte, dans le dispositif de
régulation, du risque de liquidité, sont également dénoncés
(6). En outre, la crise des subprimes semble sonner le glas
de l'organisation américaine du secteur bancaire, qui
différencie les banques d'investissement des banques
commerciales. Cette spécialisation a fait peser sur les
mêmes agents les risques liés aux activités
d'investissement, et les plus grandes banques
d'investissement américaines ont soit changé de statut,
soit fait faillite, soit été absorbées. Le modèle européen de
la banque universelle, aux activités diversifiées, est
désormais mis en avant.
Doter les banques centrales d'outils contracycliques
Ensuite, la politique expansionniste de la Fed dans les
années succédant à l'éclatement de la bulle Internet et au
11 septembre 2001, a favorisé la crise de 2007-2008. La
baisse appuyée des taux d'intérêt-de 5,25 points entre
janvier 2001 et mars 2003 -, destinée à maintenir le niveau
d ' activité par un soutien à la consommation et à
l'investissement immobilier, aurait abouti à un endettement
excessif engendrant toutes sortes de débordements, dont
les crédits subprimes. Michel Aglietta propose ainsi de
doter les banques centrales d'outils permettant de pré
venir la formation de bulles : « Dans la phase euphorique
du cycle, elles doivent pouvoir freiner l'expansion du crédit
par des exigences en capital qui augmentent avec la
croissance du crédit. Il s'agit d'un outil contracyclique qui
accompagnerait le taux d'intérêt à la poursuite d'un double
objectif de stabilité financière et monétaire (7) ».
Réguler le comportement des agents intervenant sur
les marchés financiers
Enfin, au niveau microéconomique, plusieurs catégories
d'agents intervenant sur les marchés financiers sont
accusées d'avoir favorisé la crise. Comme pour les crises
précédentes, les agences de notation ont mal anticipé les
risques. En notant bien les titres adossés à des crédits
subprimes, elles ont permis leur dissémination dans tout le
système financier. Leur comportement s'est une fois de
plus révélé procyclique : elles ont encouragé la circulation
de certains titres en sous-estimant leur risque, puis ont
amplifié la méfiance envers ces titres en baissant leur
note, une fois le risque avéré. Or, les agences de notation
détiennent un le-clef dans le dispositif de gouvernance
financière : censées améliorer la transparence de
l'information sur les marchés, leurs notes servent de
référence pour l'appréciation du risque pris par les
banques. Outre leur modèle d'évaluation du risque, qui est
aujourd'hui remis en cause, la question de la rémunération
de leurs services se pose à nouveau. Le mode de
rémunération des agences de notation crée en effet un
conflit d'intérêts potentiellement dommageable pour la
collectivité, car la production de notes est payée par
l'institution qui émet les titres (8). Les normes de
rémunération des traders sont également évoquées par
certains économistes. Gunther Capelle-Blancard dénonce
ainsi un système qui distribue d'énormes primes à des
agents qui n'assument pas personnellement les risques
qu'ils font encourir à d'autres, et ce d'autant plus que les
bonus ne sont pas distribués sur la durée mais sur une
année (9).
(4) Les règles de Baie II s'appliquent aux établissements de
crédit dans l'Union européenne depuis janvier 2008 et
devraient entrer en vigueur pour les grandes banques
internationales américaines en janvier 2009.
(5) Cf. Artus P., Betbèze J.-P., de Boissieu Ch.. Capelle-
Blancard G. (2008), La crise des subprimes. Rapport du CAE
n° 78, Paris, La Do¬cumentation française.
(6) Idem. Sur le risque de liquidité, cf. notamment Couppey-
Soubeyran J. (2008), « Baie II face aux lons de la crise des
subprimes », complément à Artus P. et al. (2008).
(7) Cf. « Le retour de l'État, la solution aux dérapages du
marché ? Six économistes répondent ». Le Monde. 18
octobre 2008
(8) Sur les propositions de réforme concernant les agences
de notation, voir Artus P. et al. (2008).
(9) « Le retour de l'État, la solution aux dérapages du marché
? Six économistes répondent », op. cit.
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