Généalogie et Histoire de la Caraïbe numéro 197 : Novembre 2006 Page 5016 Gottschalk pianiste et aventurier Notes de lecture par Guy Stéhlé « Les voyages extraordinaires de L. Moreau Gottschalk pianiste et aventurier » est un ouvrage de 524 pages paru, en 1985, aux éditions Pierre-Marie Fabre. Il s’agit de la « retraduction » en français, par Serge Berthier, du livre « Notes of a pianist », paru en 1881, compilation en anglais de manuscrits, calepins et lettres en français de Gottschalk. Berthier a aussi utilisé toute une correspondance inédite, retrouvée en 1983, couvrant la période sudaméricaine du compositeur, et ajouté de précieuses notes issues de ses recherches personnelles. L’ensemble, d’une lecture agréable, et émaillé de réflexions souvent pertinentes, parfois surprenantes, contient de nombreuses informations susceptibles d’intéresser les lecteurs de GHC. Ne pouvant être exhaustif, nous avons choisi de ne retenir que les passages concernant la famille proche de Moreau, en particulier sa famille maternelle originaire de Saint-Domingue, ce qu’il nous dit de son factotum guadeloupéen Firmin Moras, des extraits de ses séjours en Guadeloupe et en Martinique, et, bien sûr, une biographie sommaire. Du fait de leur dispersion dans différentes lettres, il nous a paru plus pratique de regrouper nos notes sous forme de fiches thématiques. Pour ceux qui souhaiteraient écouter des œuvres du compositeur, nous indiquons les références de quelques CD en principe disponibles sur le marché. Biographie sommaire - 8 mai 1829 : Naissance de Louis Moreau, à La Nouvelle Orléans - 1841 : « Très tôt il a révélé des dons pour la musique et son père l’envoie à Paris pour faire des études. » - 1845 : Premier concert privé à Paris. Chopin le félicite. - 1847 : Sa mère vient le rejoindre avec ses enfants, laissant son mari à La Nouvelle Orléans. Elle ne retournera jamais aux Etats-Unis. - 1849 : Débuts publics. Il éblouit les Parisiens avec ses danses louisianaises : Bamboula, Le Bananier, La Savane. Théophile Gautier le loue. - Juin à décembre 1850 : Il séjourne en Suisse où il donne des concerts. - 1850 : Il part pour l’Espagne. Il y reste 14 mois dont 5 à la Cour de Madrid. - 1853 : Retour aux Etats-Unis. Il ne reviendra plus en Europe et ne reverra pas sa famille à l’exception d’Edouard et Gaston (ses jeunes frères). - 11 février 1853 : Il donne son premier concert à New York sans obtenir de triomphe. Par contre, il a beaucoup de succès à La Nouvelle Orléans. - 28 octobre 1853 : Mort de son père à La Nouvelle Orléans. Il doit payer les dettes de la succession et 5016 se trouve pratiquement ruiné. - Fin 1853 : Premier voyage à Cuba « Je reçus l’accueil le plus généreux et hospitalier qui soit ». Son jeune frère l’accompagne. Il y reste jusqu’en 1857. - 1857 : Il rencontre à New York Ada Clare, de son vrai nom Mac Elhinney Jane (1835-1874), originaire de Louisiane. Celle-ci s’embarque pour l’Europe à la fin de l’année et elle accouche à Paris, en 1858, d’un fils de Moreau, Aubrey, qui ne vivra que dix ans. - 7 février 1857 : Il s’embarque pour La Havane avec Salvator Patti et sa fille Adelina qui n’a que 14 ans. Il restera 5 ans dans les Antilles où « il remplit sa bourse ». - 10 juillet 1857 : Il est à Saint-Thomas depuis 15 jours. De là, il va à Porto Rico. - Septembre 1857 : Il est à Porto Rico. Il reste à Ponce plus de 6 mois. Il y est encore en février 1858. - Vers juillet 1858 : Il est à la Barbade dont il nous dit, en anglais : « There never was such a dull place in the world as Barbados. » Il y donne un concert. - 1er août 1858 : Il arrive à Trinidad. - 1er septembre 1858 : Il écrit avoir donné 6 concerts « avec beaucoup de succès. » Son espoir d’aller au Venezuela s’évanouit et il se tourne vers les Antilles françaises. - Février–mars 1859 : Il est à Saint Pierre de la Martinique. - Printemps 1859 : il est en Guadeloupe. « Ce fut lors de son long séjour en Guadeloupe, au printemps de 1859, qu’il composa sa première symphonie qu’il intitula La nuit des tropiques » (R.O. 255). - 10 novembre 1859 : Il est à Saint Pierre et les fêtes à l’occasion de l’inauguration de la statue de Joséphine sont terminées. - Fin novembre 1859 : Gottschalk arrive à La Havane venant de la Martinique. A propos de la Martinique, il note (p. 62) : « J’ai quitté la Martinique avec grand regret. J’y avais noué des relations d’amitié trop chaudes (!!!) et il m’en coûta beaucoup le jour où je quittai cette bonne petite île, si charmante par sa simplicité et son hospitalité, qui me rendit presque toutes les joies que je n’avais plus rencontrées depuis que j’avais quitté ma famille. » - Janvier 1862 : Il quitte Cuba, où il vient de passer 2 ans et arrive à New York. « Après 5 ans d’absence, cinq années jetées au vent comme si la vie était sans fin et la jeunesse éternelle » (p. 77). - 11 février 1862 : Concert à New York. Date choisie en commémoration de son premier concert. - Juillet 1862 : Il donne des concerts au Canada (Montréal, Québec, Toronto, etc.) - 23 septembre 1863 : Gottschalk est à New York ; son frère Edouard meurt entre ses bras. - Entre 1863 et 1864, il est en tournée aux Etats-Unis. - Avril 1864 : Il est au Canada (Montréal), puis retourne aux Etats-Unis. Généalogie et Histoire de la Caraïbe numéro 197 : Novembre 2006 Page 5017 Gottschalk pianiste et aventurier - 3 avril 1865 : Il part en bateau pour la Californie en passant par Panama et son chemin de fer. - 27 avril 1865 : Il arrive à San Francisco. - 18 septembre 1865 : Il s’embarque pour Panama à la suite d’une cabale. On l’accuse (à tort, semble-til), d’avoir débauché une jeune pensionnaire d’un collège de la ville de San Francisco. - 1er octobre 1865 : Arrivée à Panama. - 10 octobre 1865 : Départ pour Lima où il arrive le 18 octobre ; il assiste à une révolution (6-8 novembre) et séjourne 6 mois au Pérou. Il en profite pour visiter le pays en donnant des concerts. - 12 mai 1866 : Arrivée à Valparaiso (Chili). - 30 avril 1867 : Il quitte le Chili pour Montevideo où il s’installe faisant la navette entre l’Uruguay et l’Argentine. - Mai 1869 : Arrivée au Brésil. - 18 décembre 1869 : Il meurt près de Rio. N.B. « R.O. » sont les initiales de Robert Offergeld auteur de « Centenial catalogue of the published and unpublished of Louis Moreau Gottschalk » Editions Ziff-Davis, 1970. Les frères et sœurs de Louis Moreau - Célestine née en 1833. - Edouard né en 1836. Mort à New York le 28 septembre 1863. Il accompagne Moreau lors de son premier voyage à Cuba, puis retourne à Paris faire des études de droit. « Il deviendra une sorte de précepteur en charge des comptes de la famille en réglant avec Moreau tous les problèmes que ne pouvait manquer de poser une telle maisonnée ». (Note de Berthier). - Clara née en 1837. Elle se mariera tardivement avec son beau-frère Peterson pour élever les enfants de sa sœur. - Augusta née en 1839. - Blanche née en 1842. Elle se marie en 1876 avec « un ancien officier, Peterson, ayant le double de son âge » (note de Berthier page 167). Elle meurt en 1879 laissant 2 enfants. - Gaston né en 1847. Le père de Moreau De son prénom Edward, né à Londres. Il descend d’une lignée de juifs espagnols. C’est un homme d’affaires d’une grande érudition et qui parlait quatre langues. Il meurt le 23 octobre 1853 à La Nouvelle Orléans, criblé de dettes. Louis Moreau Il naît à la Nouvelle Orléans le 8 mai 1829 et meurt le 18 décembre 1869 près de Rio de Janeiro. On ne peut mieux présenter Louis Moreau qu’en reproduisant l’opinion du critique musical Richard Freed : « C’est une des figures les plus colorées de l’histoire de la musique américaine […] et aussi le premier grand musicien américain […] Il fut un compositeur qui, non seulement a introduit de nouveaux accents dans la musique de son temps, mais a réellement anticipé beaucoup de tendances du futur. […] Il fut le premier à montrer en Europe que l’Amérique pouvait produire des musiciens aussi bien que des locomotives. » La Mère de Moreau et sa famille maternelle Le nom de jeune fille de sa mère est Aimée de BRUSLÉ. Elle est née en 1808 à Saint-Domingue et décédée à Paris en 1856. D’une beauté remarquable, elle faisait partie d’une famille française aristocratique de SaintDomingue, venue s’installer à la Nouvelle Orléans, lors de la révolte des esclaves. Elle part s’installer à Paris en 1847 avec les frères et sœurs de Moreau. Dans ses notes de voyage, Moreau donne un certain nombre de détails sur cette famille (p. 38 et 39) : « Tout dans cette sombre nature [les côtes de Saint-Domingue] parle à mon imagination et me rappelle les épisodes sanglants de cette lutte dans laquelle presque toute ma famille succomba lors de la terrible insurrection des nègres. Mon aïeul, le Comte de Bruslé, gouvernait alors le quartier de Petite– Rivière. Sa famille fut naturellement l’une des premières contre lesquelles s’acharnèrent les bandes de Biassou. Mes grands-oncles furent tous massacrés. Leurs femmes et leurs filles tombées aux mains de leurs anciens esclaves furent mises à mort après avoir subi les pires outrages ; mon aïeul s’échappant sous les vêtements d’une vielle mulâtresse vaudou (magicienne), sa nourrice, courant, malgré ses soixante-dix ans, se mettre à la tête des troupes coloniales où il se fit tuer héroïquement ; ma grand-mère, s’échappant à demi nue, errant plusieurs jours dans les bois, enfin recueillie, mourant de faim et de frayeur, par un vaisseau anglais qui mit le cap sur la Jamaïque […]. Nos plantations saccagées, nos maisons dévastées, notre immense fortune anéantie, tels furent pour nous les premiers effets de cette guerre d’extermination entre deux races, qui n’avaient en commun que la haine implacable qu’elles nourrissaient l’une pour l’autre. […]. Ma grand-mère, alors très jeune, et la plupart des colons émigrèrent à la Nouvelle Orléans. » Berthier ajoute, en note : « Camille de Bruslé, grand-père de Gottschalk. La noblesse ancienne de la famille de Bruslé semble corroborée par le fait que le père de Camille était chevalier de Saint Louis. Gottschalk aura peu de contacts avec sa famille maternelle bien qu’il soit certain que les relations de sa mère à Paris facilitèrent son introduction dans les salons. » 5017 Généalogie et Histoire de la Caraïbe numéro 197 : Novembre 2006 Page 5018 Gottschalk pianiste et aventurier Firmin Moras Gottschalk le rencontre en 1858 lors de son séjour aux Antilles Françaises. Voici comment il le décrit (p. 61 et 62) : « Né à la Guadeloupe d’une mère négresse et d’un père européen, il développa dès son jeune âge un goût prononcé pour la musique apprenant à lire et à jouer du piano seul, et dès l’âge de huit ans jouant du violon. Malheureusement pour lui, c’était en 1848 et l’esclavage existait encore dans les colonies françaises. Il apprit rapidement que, victime des préjugés de caste, la sphère dans laquelle il devait évoluer était des plus limitées. C’était un grand homme gâché, un exemple frappant du rôle que les circonstances ont dans la formation d’un homme de génie. L’étincelle était en lui mais le destin en avait décidé autrement. Il écrit des vers, lit Voltaire, Rousseau et les philosophes. Ce compagnon dont la douce folie est inoffensive se prend pour le plus grand génie de la terre. Il souffre, dit-il, d’une gigantesque dent (c’est à ce trait que je reconnus sa folie car les autres symptômes sont en fait communs à trop d’individus pour être considérés comme un trait anormal de l’esprit humain.), une dent monstrueuse qui périodiquement pousse et menace d’envahir la mâchoire entière. Tourmenté par le désir de régénérer l’humanité, il partage son temps entre l’étude de l’art dentaire (dans le but de combattre les progrès de sa fantastique molaire) et une volumineuse correspondance avec le Pape, son frère, et l’Empereur, son cousin, correspondance dans laquelle il défend les intérêts de l’humanité, s’appelant lui-même le prince de la Pensée et m’élevant à la dignité d’illustre ami et mécène. Au milieu de cette ruine intellectuelle, une seule chose survit, son amour de la musique (chose singulière, quoique fou il ne comprend rien à la musique du futur.) En dépit de cette lacune, je me le suis attaché. » Ailleurs, en décembre 1863 (p.168), Gottschalk écrit : « Sommes de nouveau de sortie. Mes compagnons de tournée sont cette fois […] Firmin mon domestique, majordome, secrétaire, factotum et confident qui est mon alter ego depuis des années et me tyrannise avec cette familiarité bonhomme qui est l’apanage des serviteurs qui ont volontairement pris soin de votre personne pendant des années. » Berthier ajoute en note : « Firmin restera dévoué à Gottschalk et nous le retrouverons partageant les aventures de son maître jusqu’au soir du 18 décembre 1869. » De même, il précise : « Par contrat, Firmin s’engagea à rester 10 ans au service de Gottschalk moyennant quoi celui-ci devra lui verser à la fin de son service 10.000 dollars. Ce contrat expirant au début de 1869, Firmin le prolonge 5018 d’une année. Malheureusement, le pauvre Firmin se retrouvera sans maître en décembre 1869, mais aussi sans son dû, Clara refusant de verser les gages. Firmin était encore à Rio en 1871 puis nous perdons sa trace. Il fut enfin dédommagé, non sans avoir intenté un procès à Clara Gottschalk. Cet épisode malheureux qui aurait révolté Gottschalk dont les dernières volontés ne furent guère respectées nous dévoile sous son aspect le plus sordide le caractère de Clara Gottschalk. » Impressions sur la Martinique et la Guadeloupe « Mon premier concert a eu lieu hier soir 18 février [1859]. Très grand succès avec rappels, bouquets et bis. Après demain le second concert et dans cinq ou six jours le troisième et dernier. D’ici, je me rendrai en vapeur à Basse Terre, seconde ville (en importance commerciale et en population) de l’île de la Guadeloupe, mais de droit la capitale puisque le gouvernement y siège. Le pays est fort beau mais pauvre et triste comme toutes les colonies françaises. La Martinique, tout en étant aussi mal administrée, est plus pittoresque quant à ses paysages. Rien n’est aussi beau que les environs de Saint-Pierre, la première ville de la Martinique pour son commerce. Rien d’aussi animé que ses rues étroites et montueuses dans lesquelles s’y agitent, dansent et chantent en s’accompagnant sur la bamboula les traditionnelles mulâtresses dont le type déjà effacé pour nous ne se retrouvait plus que dans les livres. Je ne saurais vous donner une idée de l’effet piquant et des costumes, de ces mœurs toutes coloniales, de cette désinvolture, de ces allures primitives. C’est, sauf les serpents qui abondent dont la piqûre est mortelle et qui, comme les minotaures, prélèvent un tribut annuel sur la population, un petit paradis terrestre. Les femmes, lorsqu’elles ne sont pas effarouchées, sont charmantes. Je dis lorsqu’elles ne sont pas effarouchées, parce que, comme toutes les créoles dont en général l’éducation est négligée, elles se méfient des étrangers dont elles redoutent les critiques et se tiennent dans une réserve dont on ne triomphe que par le temps. Le succès que j’ai obtenu comme homme et comme artiste est incroyable. On m’a chanté en prose et en vers. Il est dans les habitudes des nègres et des mulâtres d’adapter sur 4 ou 5 mesures d’un rythme connu des paroles qui aient un rapport à quelque événement du jour ou qui servent à ridiculiser quelque individu qui ait encouru leur inimitié. Je fus chanté sur tous les tons et, deux jours avant mon départ, on n’entendait dans toutes les rues qu’une nouvelle chanson sur un rythme mélancolique dont les paroles peignaient, non sans quelque poésie, les regrets de ces braves gens en me voyant partir. » ( pages 53 et 54) Généalogie et Histoire de la Caraïbe numéro 197 : Novembre 2006 Page 5019 Gottschalk pianiste et aventurier Les fêtes de Joséphine Saint Pierre de Martinique, 10 novembre 1859 (page 56). « Les fêtes de Fort de France, à l’occasion de l’inauguration de la statue de l’Impératrice Joséphine, ont été très brillantes. Pendant plusieurs jours, la ville a été littéralement assiégée par les étrangers attirés de toutes les Antilles par le programme de la fête que la commission d’organisation avait fait publier deux mois à l’avance dans les îles voisines. La grande affaire de tous était de trouver un gîte […]. Les nègres des habitations, descendus avec leurs orchestres assourdissants de bamboulas, de razas et de tams-tams, parcouraient sans cesse la ville en dansant et en chantant ; les fusées, les pétards, mais surtout la bamboula n’ont pas donné pendant trois jours un seul instant de répit aux malheureux voyageurs campés en plein air […]. Au souper, l’enthousiasme s’éleva à la hauteur de la température, surtout après un toast très heureux, prononcé en français, par le gouverneur anglais de Sainte-Lucie. Les élèves du séminaire-collège placés dans une galerie supérieure firent entendre, à un signal du gouverneur de la Martinique, l’air national « God save the Queen » que les officiers français eurent la courtoisie de faire répéter au milieu d’applaudissements prolongés. Après l’hymne anglais, les élèves exécutèrent, sous la direction de leur habile professeur, don J. Ruiz, un guitariste distingué, le Miserere du Travatore, arrangé pour musique militaire avec solos de saxophone ; le programme annonçait, pour clore la fête, un concert donné par moi. Le Conseil Général avait voté une subvention de douze cent dollars, je m’étais adjoint Mme Budan, cantatrice distinguée plus connue, dans le monde artistique, sous le nom de Koska, et à Bordeaux surtout, où elle obtint, il y a dix ans, de brillants succès au théâtre. Le concert fut très beau. Tous les gouverneurs y assistaient avec leurs étatsmajors. J’ai joué la première partie de l’andante de la symphonie en ut mineur de Beethoven, le Banjo, ma transcription du Miserere du Travatore et le Siège de Saragosse […]. Je reviens à mon concert et à mon major [il s’agit d’un major anglais qui s’est endormi pendant le concert]. Au lieu de finir le Siège de Saragosse par l’hymne espagnol, j’attaquai gaillardement le « God save the Queen » que je combinai assez adroitement, le dépit aidant, avec « Partant pour la Syrie ». Mon belliqueux auditoire applaudit. Mon gros major, réveillé en sursaut, reconnaît son « national anthem » et, enchanté de la rencontre, applaudit aussi ; tout le monde est content, excepté vous, qui ne me pardonnez pas cette interminable lettre. J’allais oublier de vous dire que madame Budan a chanté l’air de Charles VI d’Halevy, et la polacca de Jérusalem, de Verdi, de manière à se faire rappeler de toute la salle. » Berthier reproduit (page 60) l’information suivante, à propos de Gottschalk : « Il vient d’ajouter le Canal Geydon, composé au milieu de nous et ce sera l’un des souvenirs qu’il emportera de la Martinique. » Jusqu’à présent, je n’ai trouvé aucune trace d’enregistrement de cette pièce. Séjour au Matouba, en Guadeloupe « Fatigué, découragé, doutant des hommes (et des femmes), saisi d’un profond dégoût des autres et de moi-même, j’allai me réfugier dans les jungles du volcan éteint de Matouba ; où je vécus plusieurs mois comme un cénobite avec pour seul compagnon Firmin qui s’est attaché à ma personne, me suivant partout et m’adorant avec cette absurde et touchante constance qu’on ne rencontre que chez les chiens et les fous. Perchée sur le bord du cratère, au sommet même de la montagne, ma cabane dominait le pays. Le rocher sur lequel elle avait été bâtie surplombait un précipice dont le fonds était caché par les cactus, volubilis et bambous qui le recouvraient. Celui qui m’avait précédé là avait construit autour du rez-dechaussée un parapet nivelé en terrasse devant ma chambre qui y ouvrait de plein-pied. Ce bâtisseur avait demandé à être enterré là et la nuit, je pouvais voir de mon lit, à quelques mètres de ma fenêtre, sa pierre tombale éclairée par la lune. Chaque jour je poussais mon piano sur cette terrasse et là, devant la vue la plus extraordinaire du monde, je jouais pour moi-même tout ce que cette scène grandiose m’inspirait. Et quelle scène ! Imaginez un amphithéâtre gigantesque qu’une armée de Titans aurait taillé dans la montagne, entouré à droite et à gauche par une forêt vierge remplie d’harmonies sauvages et assourdies qui étaient comme la voix du silence. Devant moi s’étendaient 80 kilomètres de terre dont la perspective magique était mise en valeur par la transparence de sereine et limpide atmosphère des Tropiques ; au-dessus, un ciel d’azur, au-dessous, les contreforts dominés par les montagnes, descendaient progressivement vers la plaine ; plus loin la savane verte et puis plus bas un point gris, la ville ; et plus loin encore, l’immensité de l’océan dont la ligne d’un bleu profond constituait l’horizon. Derrière moi se trouvait un rocher sur lequel se fracassait les eaux de neige fondue d’un torrent qui, tournant brusquement, s’engouffrait dans les profondeurs abyssales qui s’ouvraient sous ma fenêtre. Je composais là Répons moi, la Marche des Gibaros, Polonia, Columbia, Pastorella e Cavaliere, Jeunesse. » (Pages 78 et 79) Une note de Berthier (page 79) indique : « C’est aussi au cours de ce long séjour, en Guadeloupe au printemps de 1859, qu’il composa sa première symphonie qu’il intitula La nuit des Tropiques (R.O. 255), Polonia ou Grand Caprice de Concert (R.O. 210) fut publié en 1861. Columbia (R.O. 61) ou 5019 Généalogie et Histoire de la Caraïbe numéro 197 : Novembre 2006 Page 5020 Gottschalk pianiste et aventurier Caprice américain, fut publié en 1860. Pastorella e Cavaliere (R.O. 190) fut publié en 1862. Jeunesse (R.O. 129) est une mazurka publiée en 1860. Une note de Jeremy Nicholas, dans le livret de présentation du volume 7 des enregistrements de Philipp Martin, nous apprend que « Cette pièce [Fairy land], charmante, quoique légère fut l’une des trois danses que Gottschalk écrivit durant l’été de 1859, alors qu’il vivait à Matouba, une retraite isolée et montagneuse de la Guadeloupe. Les deux autres étaient Amour chevaleresque et Hurrah galop. Accessibles à des pianistes amateurs, ces trois pièces furent conçues, en bref, pour faire de l’argent. » Références d’enregistrements d’œuvres de Gottschalk - « A Gottschalk Festival » Vox Box CDX-509. Eugène List au piano, Berlin Symphony Orchestra, conduit par Igor Buketoff & Samuel Adler. Contient, entre autres « La Nuit Des Tropiques », composée en Guadeloupe. Est joint, un intéressant livret rédigé par Richard Freed. Deux disques. - « Gottschalk » Piano Music for 2 and 4 hands par Alan Marks et Nerine Barett. Nimbus Records NI 7045/6. Contient, entre autres: “Le Bananier, chanson nègre”, “Le Banjo”, “Le Manceniller”. - « Gottschalk Piano Music » par Philippe Martin chez Hyperion. A ma connaissance il y a au moins huit CD, chacun accompagné de "Notes en français" commentant les œuvres : 1. Volume 1 : " An American composer, bon Dieu !" CD A66459. Contient, entre autres : "Le Banjo", Retour au sommaire Révision 21/10/2007 5020 "Le Manceniller", "Souvenir de Porto Rico, marche des Gibaros", "Columbia Caprice américain" composé en Guadeloupe. 2. Volume 2, CD A66697. Contient, entre autres : "La Savane Ballade créole", "Miserere du Trovatore", joué lors des fêtes de Joséphine. 3. Volume 3, CD A66915. Contient, entre autres : "Andantee, premier mouvement de la symphonie N° 1 "Nuit des Tropiques" 4. Volume 4, CD A67118. Contient, entre autres : "Polonia Grand caprice de concert", composé en Guadeloupe. 5. Volume 5, CD A67248. Contient, entre autres : "El Cocoyé, grand caprice cubain di bravura" et " Polka de salon", opus N°1 de Gottschalk, composé à quatorze ans. 6 Volume 6, CD A67349. Contient, entre autres : "Marche funèbre", composé en mémoire de son père, "Jeunesse", composé en Guadeloupe. 7. Volume 7, CD A67478. Contient entre autres : "God save the Queen", joué en Martinique lors des fêtes de Joséphine, "La Gallina, danse cubaine" ainsi que les trois danses "Fairy land", "Hurrah Galop", "Amour chevaleresque", composées en Guadeloupe. 8. Volume 8, CD A67536. Contient, entre autres : "Pastorella e cavaliere", composé en Guadeloupe. - « Gottschalk Piano Works » joués par Noël Lee. Apex 256461183-2 Warner Classics. Contient les dix oeuvres les plus connues du compositeur, avec entre autres : "Le Bananier", "Bamboula", "Souvenir de Porto Rico", "Union : Paraphrase sur les airs nationaux".