Généalogie et Histoire de la Caraïbe numéro 197 : Novembre 2006 Page 5016
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Gottschalk pianiste et aventurier Notes de lecture par Guy Stéhlé
« Les voyages extraordinaires de L. Moreau
Gottschalk pianiste et aventurier » est un ouvrage de
524 pages paru, en 1985, aux éditions Pierre-Marie
Fabre.
Il s’agit de la « retraduction » en français, par
Serge Berthier, du livre « Notes of a pianist », paru en
1881, compilation en anglais de manuscrits, calepins
et lettres en français de Gottschalk.
Berthier a aussi utilisé toute une correspondance
inédite, retrouvée en 1983, couvrant la période sud-
américaine du compositeur, et ajouté de précieuses
notes issues de ses recherches personnelles.
L’ensemble, d’une lecture agréable, et émaillé de
réflexions souvent pertinentes, parfois surprenantes,
contient de nombreuses informations susceptibles
d’intéresser les lecteurs de GHC.
Ne pouvant être exhaustif, nous avons choisi de
ne retenir que les passages concernant la famille
proche de Moreau, en particulier sa famille maternelle
originaire de Saint-Domingue, ce qu’il nous dit de son
factotum guadeloupéen Firmin Moras, des extraits de
ses séjours en Guadeloupe et en Martinique, et, bien
sûr, une biographie sommaire.
Du fait de leur dispersion dans différentes lettres,
il nous a paru plus pratique de regrouper nos notes
sous forme de fiches thématiques.
Pour ceux qui souhaiteraient écouter des œuvres
du compositeur, nous indiquons les références de
quelques CD en principe disponibles sur le marché.
Biographie sommaire
- 8 mai 1829 : Naissance de Louis Moreau, à La
Nouvelle Orléans
- 1841 : « Très tôt il a révélé des dons pour la
musique et son père l’envoie à Paris pour faire des
études. »
- 1845 : Premier concert privé à Paris. Chopin le
félicite.
- 1847 : Sa mère vient le rejoindre avec ses enfants,
laissant son mari à La Nouvelle Orléans. Elle ne
retournera jamais aux Etats-Unis.
- 1849 : buts publics. Il éblouit les Parisiens avec
ses danses louisianaises : Bamboula, Le Bananier,
La Savane. Théophile Gautier le loue.
- Juin à décembre 1850 : Il séjourne en Suisse il
donne des concerts.
- 1850 : Il part pour l’Espagne. Il y reste 14 mois dont
5 à la Cour de Madrid.
- 1853 : Retour aux Etats-Unis. Il ne reviendra plus en
Europe et ne reverra pas sa famille à l’exception
d’Edouard et Gaston (ses jeunes frères).
- 11 février 1853 : Il donne son premier concert à New
York sans obtenir de triomphe. Par contre, il a
beaucoup de succès à La Nouvelle Orléans.
- 28 octobre 1853 : Mort de son père à La Nouvelle
Orléans. Il doit payer les dettes de la succession et
se trouve pratiquement ruiné.
- Fin 1853 : Premier voyage à Cuba « Je reçus
l’accueil le plus généreux et hospitalier qui soit ».
Son jeune frère l’accompagne. Il y reste jusqu’en
1857.
- 1857 : Il rencontre à New York Ada Clare, de son
vrai nom Mac Elhinney Jane (1835-1874), originaire
de Louisiane. Celle-ci s’embarque pour l’Europe à
la fin de l’année et elle accouche à Paris, en 1858,
d’un fils de Moreau, Aubrey, qui ne vivra que dix
ans.
- 7 février 1857 : Il s’embarque pour La Havane avec
Salvator Patti et sa fille Adelina qui n’a que 14 ans.
Il restera 5 ans dans les Antilles « il remplit sa
bourse ».
- 10 juillet 1857 : Il est à Saint-Thomas depuis 15
jours. De là, il va à Porto Rico.
- Septembre 1857 : Il est à Porto Rico. Il reste à
Ponce plus de 6 mois. Il y est encore en février
1858.
- Vers juillet 1858 : Il est à la Barbade dont il nous dit,
en anglais : « There never was such a dull place in
the world as Barbados. » Il y donne un concert.
- 1er août 1858 : Il arrive à Trinidad.
- 1er septembre 1858 : Il écrit avoir donné 6 concerts
« avec beaucoup de succès. » Son espoir d’aller au
Venezuela s’évanouit et il se tourne vers les Antilles
françaises.
- Févriermars 1859 : Il est à Saint Pierre de la
Martinique.
- Printemps 1859 : il est en Guadeloupe. « Ce fut lors
de son long séjour en Guadeloupe, au printemps de
1859, qu’il composa sa première symphonie qu’il
intitula La nuit des tropiques » (R.O. 255).
- 10 novembre 1859 : Il est à Saint Pierre et les fêtes
à l’occasion de l’inauguration de la statue de
Joséphine sont terminées.
- Fin novembre 1859 : Gottschalk arrive à La Havane
venant de la Martinique.
A propos de la Martinique, il note (p. 62) : « J’ai
quitté la Martinique avec grand regret. J’y avais
noué des relations d’amitié trop chaudes (!!!) et il
m’en coûta beaucoup le jour je quittai cette
bonne petite île, si charmante par sa simplicité et
son hospitalité, qui me rendit presque toutes les
joies que je n’avais plus rencontrées depuis que
j’avais quitté ma famille. »
- Janvier 1862 : Il quitte Cuba, il vient de passer 2
ans et arrive à New York. « Après 5 ans d’absence,
cinq années jetées au vent comme si la vie était
sans fin et la jeunesse éternelle » (p. 77).
- 11 février 1862 : Concert à New York. Date choisie
en commémoration de son premier concert.
- Juillet 1862 : Il donne des concerts au Canada
(Montréal, Québec, Toronto, etc.)
- 23 septembre 1863 : Gottschalk est à New York ;
son frère Edouard meurt entre ses bras.
- Entre 1863 et 1864, il est en tournée aux Etats-Unis.
- Avril 1864 : Il est au Canada (Montréal), puis
retourne aux Etats-Unis.
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Gottschalk pianiste et aventurier
- 3 avril 1865 : Il part en bateau pour la Californie en
passant par Panama et son chemin de fer.
- 27 avril 1865 : Il arrive à San Francisco.
- 18 septembre 1865 : Il s’embarque pour Panama à
la suite d’une cabale. On l’accuse tort, semble-t-
il), d’avoir débauché une jeune pensionnaire d’un
collège de la ville de San Francisco.
- 1er octobre 1865 : Arrivée à Panama.
- 10 octobre 1865 : Départ pour Lima il arrive le 18
octobre ; il assiste à une révolution (6-8 novembre)
et séjourne 6 mois au Pérou. Il en profite pour
visiter le pays en donnant des concerts.
- 12 mai 1866 : Arrivée à Valparaiso (Chili).
- 30 avril 1867 : Il quitte le Chili pour Montevideo il
s’installe faisant la navette entre l’Uruguay et
l’Argentine.
- Mai 1869 : Arrivée au Brésil.
- 18 décembre 1869 : Il meurt près de Rio.
N.B. « R.O. » sont les initiales de Robert
Offergeld auteur de « Centenial catalogue of the
published and unpublished of Louis Moreau
Gottschalk » Editions Ziff-Davis, 1970.
Les frères et sœurs de Louis Moreau
- Célestine née en 1833.
- Edouard en 1836. Mort à New York le 28
septembre 1863. Il accompagne Moreau lors de son
premier voyage à Cuba, puis retourne à Paris faire
des études de droit. « Il deviendra une sorte de
précepteur en charge des comptes de la famille en
réglant avec Moreau tous les problèmes que ne
pouvait manquer de poser une telle maisonnée ».
(Note de Berthier).
- Clara née en 1837. Elle se mariera tardivement
avec son beau-frère Peterson pour élever les enfants
de sa sœur.
- Augusta née en 1839.
- Blanche née en 1842. Elle se marie en 1876 avec
« un ancien officier, Peterson, ayant le double de son
âge » (note de Berthier page 167). Elle meurt en
1879 laissant 2 enfants.
- Gaston né en 1847.
Le père de Moreau
De son prénom Edward, à Londres. Il descend
d’une lignée de juifs espagnols. C’est un homme
d’affaires d’une grande érudition et qui parlait quatre
langues.
Il meurt le 23 octobre 1853 à La Nouvelle
Orléans, criblé de dettes.
Louis Moreau
Il naît à la Nouvelle Orléans le 8 mai 1829 et
meurt le 18 décembre 1869 près de Rio de Janeiro.
On ne peut mieux présenter Louis Moreau qu’en
reproduisant l’opinion du critique musical Richard
Freed : « C’est une des figures les plus colorées de
l’histoire de la musique américaine […] et aussi le
premier grand musicien américain […] Il fut un
compositeur qui, non seulement a introduit de
nouveaux accents dans la musique de son temps,
mais a réellement anticipé beaucoup de tendances
du futur. […] Il fut le premier à montrer en Europe que
l’Amérique pouvait produire des musiciens aussi bien
que des locomotives. »
La Mère de Moreau et sa famille maternelle
Le nom de jeune fille de sa mère est Aimée de
BRUSLÉ. Elle est née en 1808 à Saint-Domingue et
décédée à Paris en 1856.
D’une beauté remarquable, elle faisait partie
d’une famille française aristocratique de Saint-
Domingue, venue s’installer à la Nouvelle Orléans,
lors de la révolte des esclaves.
Elle part s’installer à Paris en 1847 avec les frères
et sœurs de Moreau.
Dans ses notes de voyage, Moreau donne un
certain nombre de détails sur cette famille (p. 38 et
39) : « Tout dans cette sombre nature [les côtes de
Saint-Domingue] parle à mon imagination et me
rappelle les épisodes sanglants de cette lutte dans
laquelle presque toute ma famille succomba lors de la
terrible insurrection des gres. Mon aïeul, le Comte
de Bruslé, gouvernait alors le quartier de Petite
Rivière. Sa famille fut naturellement l’une des
premières contre lesquelles s’acharnèrent les bandes
de Biassou. Mes grands-oncles furent tous
massacrés. Leurs femmes et leurs filles tombées aux
mains de leurs anciens esclaves furent mises à mort
après avoir subi les pires outrages ; mon aïeul
s’échappant sous les vêtements d’une vielle
mulâtresse vaudou (magicienne), sa nourrice,
courant, malgré ses soixante-dix ans, se mettre à la
tête des troupes coloniales il se fit tuer
héroïquement ; ma grand-mère, s’échappant à demi
nue, errant plusieurs jours dans les bois, enfin
recueillie, mourant de faim et de frayeur, par un
vaisseau anglais qui mit le cap sur la Jamaïque […].
Nos plantations saccagées, nos maisons dévastées,
notre immense fortune anéantie, tels furent pour nous
les premiers effets de cette guerre d’extermination
entre deux races, qui n’avaient en commun que la
haine implacable qu’elles nourrissaient l’une pour
l’autre. […]. Ma grand-mère, alors très jeune, et la
plupart des colons émigrèrent à la Nouvelle
Orléans. »
Berthier ajoute, en note : « Camille de Bruslé,
grand-père de Gottschalk. La noblesse ancienne de
la famille de Bruslé semble corroborée par le fait que
le père de Camille était chevalier de Saint Louis.
Gottschalk aura peu de contacts avec sa famille
maternelle bien qu’il soit certain que les relations de
sa mère à Paris facilitèrent son introduction dans les
salons. »
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Gottschalk pianiste et aventurier
Firmin Moras
Gottschalk le rencontre en 1858 lors de son
séjour aux Antilles Françaises.
Voici comment il le décrit (p. 61 et 62) : «à la
Guadeloupe d’une mère négresse et d’un père
européen, il développa dès son jeune âge un goût
prononcé pour la musique apprenant à lire et à jouer
du piano seul, et dès l’âge de huit ans jouant du
violon. Malheureusement pour lui, c’était en 1848 et
l’esclavage existait encore dans les colonies
françaises. Il apprit rapidement que, victime des
préjugés de caste, la sphère dans laquelle il devait
évoluer était des plus limitées.
C’était un grand homme gâché, un exemple
frappant du le que les circonstances ont dans la
formation d’un homme de génie. L’étincelle était en lui
mais le destin en avait décidé autrement. Il écrit des
vers, lit Voltaire, Rousseau et les philosophes. Ce
compagnon dont la douce folie est inoffensive se
prend pour le plus grand génie de la terre. Il souffre,
dit-il, d’une gigantesque dent (c’est à ce trait que je
reconnus sa folie car les autres symptômes sont en
fait communs à trop d’individus pour être considérés
comme un trait anormal de l’esprit humain.), une dent
monstrueuse qui périodiquement pousse et menace
d’envahir la mâchoire entière. Tourmenté par le désir
de régénérer l’humanité, il partage son temps entre
l’étude de l’art dentaire (dans le but de combattre les
progrès de sa fantastique molaire) et une volumi-
neuse correspondance avec le Pape, son frère, et
l’Empereur, son cousin, correspondance dans
laquelle il défend les intérêts de l’humanité,
s’appelant lui-même le prince de la Pensée et
m’élevant à la dignité d’illustre ami et mécène. Au
milieu de cette ruine intellectuelle, une seule chose
survit, son amour de la musique (chose singulière,
quoique fou il ne comprend rien à la musique du
futur.) En dépit de cette lacune, je me le suis
attaché. »
Ailleurs, en décembre 1863 (p.168), Gottschalk
écrit : « Sommes de nouveau de sortie. Mes
compagnons de tournée sont cette fois […] Firmin
mon domestique, majordome, secrétaire, factotum et
confident qui est mon alter ego depuis des années et
me tyrannise avec cette familiarité bonhomme qui est
l’apanage des serviteurs qui ont volontairement pris
soin de votre personne pendant des années. »
Berthier ajoute en note : « Firmin restera dévoué
à Gottschalk et nous le retrouverons partageant les
aventures de son maître jusqu’au soir du 18
décembre 1869. » De même, il précise : « Par
contrat, Firmin s’engagea à rester 10 ans au service
de Gottschalk moyennant quoi celui-ci devra lui
verser à la fin de son service 10.000 dollars. Ce
contrat expirant au début de 1869, Firmin le prolonge
d’une année. Malheureusement, le pauvre Firmin se
retrouvera sans maître en décembre 1869, mais
aussi sans son dû, Clara refusant de verser les
gages. Firmin était encore à Rio en 1871 puis nous
perdons sa trace. Il fut enfin dédommagé, non sans
avoir intenté un procès à Clara Gottschalk. Cet
épisode malheureux qui aurait révolté Gottschalk dont
les dernières volontés ne furent guère respectées
nous dévoile sous son aspect le plus sordide le
caractère de Clara Gottschalk. »
Impressions sur la Martinique et la Guadeloupe
« Mon premier concert a eu lieu hier soir 18 février
[1859]. Très grand succès avec rappels, bouquets et
bis. Après demain le second concert et dans cinq ou
six jours le troisième et dernier.
D’ici, je me rendrai en vapeur à Basse Terre,
seconde ville (en importance commerciale et en
population) de l’île de la Guadeloupe, mais de droit la
capitale puisque le gouvernement y siège.
Le pays est fort beau mais pauvre et triste comme
toutes les colonies françaises. La Martinique, tout en
étant aussi mal administrée, est plus pittoresque
quant à ses paysages. Rien n’est aussi beau que les
environs de Saint-Pierre, la première ville de la
Martinique pour son commerce. Rien d’aussi animé
que ses rues étroites et montueuses dans lesquelles
s’y agitent, dansent et chantent en s’accompagnant
sur la bamboula les traditionnelles mulâtresses dont
le type déjà effacé pour nous ne se retrouvait plus
que dans les livres. Je ne saurais vous donner une
idée de l’effet piquant et des costumes, de ces
mœurs toutes coloniales, de cette désinvolture, de
ces allures primitives.
C’est, sauf les serpents qui abondent dont la
piqûre est mortelle et qui, comme les minotaures,
prélèvent un tribut annuel sur la population, un petit
paradis terrestre.
Les femmes, lorsqu’elles ne sont pas effarou-
chées, sont charmantes. Je dis lorsqu’elles ne sont
pas effarouchées, parce que, comme toutes les
créoles dont en général l’éducation est négligée, elles
se méfient des étrangers dont elles redoutent les
critiques et se tiennent dans une réserve dont on ne
triomphe que par le temps.
Le succès que j’ai obtenu comme homme et
comme artiste est incroyable. On m’a chanté en
prose et en vers. Il est dans les habitudes des nègres
et des mulâtres d’adapter sur 4 ou 5 mesures d’un
rythme connu des paroles qui aient un rapport à
quelque événement du jour ou qui servent à ridicu-
liser quelque individu qui ait encouru leur inimitié. Je
fus chanté sur tous les tons et, deux jours avant mon
départ, on n’entendait dans toutes les rues qu’une
nouvelle chanson sur un rythme mélancolique dont
les paroles peignaient, non sans quelque poésie, les
regrets de ces braves gens en me voyant partir. » (
pages 53 et 54)
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Gottschalk pianiste et aventurier
Les fêtes de Joséphine
Saint Pierre de Martinique, 10 novembre 1859 (page
56).
« Les fêtes de Fort de France, à l’occasion de
l’inauguration de la statue de l’Impératrice Joséphine,
ont été très brillantes. Pendant plusieurs jours, la ville
a été littéralement assiégée par les étrangers attirés
de toutes les Antilles par le programme de la fête que
la commission d’organisation avait fait publier deux
mois à l’avance dans les îles voisines. La grande
affaire de tous était de trouver un gîte […]. Les
nègres des habitations, descendus avec leurs
orchestres assourdissants de bamboulas, de razas et
de tams-tams, parcouraient sans cesse la ville en
dansant et en chantant ; les fusées, les pétards, mais
surtout la bamboula n’ont pas donné pendant trois
jours un seul instant de répit aux malheureux
voyageurs campés en plein air […].
Au souper, l’enthousiasme s’éleva à la hauteur de
la température, surtout après un toast très heureux,
prononcé en français, par le gouverneur anglais de
Sainte-Lucie. Les élèves du séminaire-collège placés
dans une galerie supérieure firent entendre, à un
signal du gouverneur de la Martinique, l’air national
« God save the Queen » que les officiers français
eurent la courtoisie de faire répéter au milieu
d’applaudissements prolongés. Après l’hymne
anglais, les élèves exécutèrent, sous la direction de
leur habile professeur, don J. Ruiz, un guitariste
distingué, le Miserere du Travatore, arrangé pour
musique militaire avec solos de saxophone ; le
programme annonçait, pour clore la fête, un concert
donné par moi. Le Conseil Général avait voté une
subvention de douze cent dollars, je m’étais adjoint
Mme Budan, cantatrice distinguée plus connue, dans
le monde artistique, sous le nom de Koska, et à
Bordeaux surtout, elle obtint, il y a dix ans, de
brillants succès au théâtre. Le concert fut très beau.
Tous les gouverneurs y assistaient avec leurs états-
majors. J’ai joué la première partie de l’andante de la
symphonie en ut mineur de Beethoven, le Banjo, ma
transcription du Miserere du Travatore et le Siège de
Saragosse […].
Je reviens à mon concert et à mon major [il s’agit
d’un major anglais qui s’est endormi pendant le
concert]. Au lieu de finir le Siège de Saragosse par
l’hymne espagnol, j’attaquai gaillardement le « God
save the Queen » que je combinai assez adroitement,
le pit aidant, avec « Partant pour la Syrie ». Mon
belliqueux auditoire applaudit. Mon gros major,
réveillé en sursaut, reconnaît son « national anthem »
et, enchanté de la rencontre, applaudit aussi ; tout le
monde est content, excepté vous, qui ne me
pardonnez pas cette interminable lettre. J’allais
oublier de vous dire que madame Budan a chanté
l’air de Charles VI d’Halevy, et la polacca de
Jérusalem, de Verdi, de manière à se faire rappeler
de toute la salle. »
Berthier reproduit (page 60) l’information suivante,
à propos de Gottschalk : « Il vient d’ajouter le Canal
Geydon, composé au milieu de nous et ce sera l’un
des souvenirs qu’il emportera de la Martinique. »
Jusqu’à présent, je n’ai trouvé aucune trace
d’enregistrement de cette pièce.
Séjour au Matouba, en Guadeloupe
« Fatigué, découragé, doutant des hommes (et
des femmes), saisi d’un profond goût des autres et
de moi-même, j’allai me réfugier dans les jungles du
volcan éteint de Matouba ; je vécus plusieurs mois
comme un cénobite avec pour seul compagnon
Firmin qui s’est attaché à ma personne, me suivant
partout et m’adorant avec cette absurde et touchante
constance qu’on ne rencontre que chez les chiens et
les fous.
Perchée sur le bord du cratère, au sommet même
de la montagne, ma cabane dominait le pays. Le
rocher sur lequel elle avait été bâtie surplombait un
précipice dont le fonds était caché par les cactus,
volubilis et bambous qui le recouvraient. Celui qui
m’avait précédé avait construit autour du rez-de-
chaussée un parapet nivelé en terrasse devant ma
chambre qui y ouvrait de plein-pied. Ce bâtisseur
avait demandé à être enterré et la nuit, je pouvais
voir de mon lit, à quelques mètres de ma fenêtre, sa
pierre tombale éclairée par la lune. Chaque jour je
poussais mon piano sur cette terrasse et là, devant la
vue la plus extraordinaire du monde, je jouais pour
moi-même tout ce que cette scène grandiose
m’inspirait. Et quelle scène ! Imaginez un amphi-
théâtre gigantesque qu’une armée de Titans aurait
taillé dans la montagne, entouré à droite et à gauche
par une forêt vierge remplie d’harmonies sauvages et
assourdies qui étaient comme la voix du silence.
Devant moi s’étendaient 80 kilomètres de terre dont
la perspective magique était mise en valeur par la
transparence de sereine et limpide atmosphère des
Tropiques ; au-dessus, un ciel d’azur, au-dessous, les
contreforts dominés par les montagnes, descendaient
progressivement vers la plaine ; plus loin la savane
verte et puis plus bas un point gris, la ville ; et plus
loin encore, l’immensité de l’océan dont la ligne d’un
bleu profond constituait l’horizon. Derrière moi se
trouvait un rocher sur lequel se fracassait les eaux de
neige fondue d’un torrent qui, tournant brusquement,
s’engouffrait dans les profondeurs abyssales qui
s’ouvraient sous ma fenêtre.
Je composais pons moi, la Marche des
Gibaros, Polonia, Columbia, Pastorella e Cavaliere,
Jeunesse. » (Pages 78 et 79)
Une note de Berthier (page 79) indique : « C’est
aussi au cours de ce long séjour, en Guadeloupe au
printemps de 1859, qu’il composa sa première
symphonie qu’il intitula La nuit des Tropiques (R.O.
255), Polonia ou Grand Caprice de Concert (R.O.
210) fut publié en 1861. Columbia (R.O. 61) ou
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Gottschalk pianiste et aventurier
Caprice américain, fut publié en 1860. Pastorella e
Cavaliere (R.O. 190) fut publié en 1862. Jeunesse
(R.O. 129) est une mazurka publiée en 1860.
Une note de Jeremy Nicholas, dans le livret de
présentation du volume 7 des enregistrements de
Philipp Martin, nous apprend que « Cette pièce [Fairy
land], charmante, quoique légère fut l’une des trois
danses que Gottschalk écrivit durant l’été de 1859,
alors qu’il vivait à Matouba, une retraite isolée et
montagneuse de la Guadeloupe. Les deux autres
étaient Amour chevaleresque et Hurrah galop.
Accessibles à des pianistes amateurs, ces trois
pièces furent conçues, en bref, pour faire de
l’argent. »
Références d’enregistrements d’œuvres de
Gottschalk
- « A Gottschalk Festival » Vox Box CDX-509.
Eugène List au piano, Berlin Symphony Orchestra,
conduit par Igor Buketoff & Samuel Adler. Contient,
entre autres « La Nuit Des Tropiques », composée
en Guadeloupe. Est joint, un intéressant livret
rédigé par Richard Freed. Deux disques.
- « Gottschalk » Piano Music for 2 and 4 hands par
Alan Marks et Nerine Barett. Nimbus Records NI
7045/6. Contient, entre autres: “Le Bananier,
chanson nègre”, “Le Banjo”, “Le Manceniller”.
- « Gottschalk Piano Music » par Philippe Martin chez
Hyperion.
A ma connaissance il y a au moins huit CD, chacun
accompagné de "Notes en français" commentant
les œuvres :
1. Volume 1 : " An American composer, bon Dieu !"
CD A66459. Contient, entre autres : "Le Banjo",
"Le Manceniller", "Souvenir de Porto Rico,
marche des Gibaros", "Columbia Caprice
américain" composé en Guadeloupe.
2. Volume 2, CD A66697. Contient, entre autres :
"La Savane Ballade créole", "Miserere du
Trovatore", joué lors des fêtes de Joséphine.
3. Volume 3, CD A66915. Contient, entre autres :
"Andantee, premier mouvement de la symphonie
N° 1 "Nuit des Tropiques"
4. Volume 4, CD A67118. Contient, entre autres :
"Polonia Grand caprice de concert", composé en
Guadeloupe.
5. Volume 5, CD A67248. Contient, entre autres :
"El Cocoyé, grand caprice cubain di bravura" et "
Polka de salon", opus N°1 de Gottschalk,
composé à quatorze ans.
6 Volume 6, CD A67349. Contient, entre autres :
"Marche funèbre", composé en mémoire de son
père, "Jeunesse", composé en Guadeloupe.
7. Volume 7, CD A67478. Contient entre autres :
"God save the Queen", joué en Martinique lors
des fêtes de Joséphine, "La Gallina, danse
cubaine" ainsi que les trois danses "Fairy land",
"Hurrah Galop", "Amour chevaleresque",
composées en Guadeloupe.
8. Volume 8, CD A67536. Contient, entre autres :
"Pastorella e cavaliere", composé en
Guadeloupe.
- « Gottschalk Piano Works » joués par Noël Lee.
Apex 256461183-2 Warner Classics. Contient les
dix oeuvres les plus connues du compositeur, avec
entre autres : "Le Bananier", "Bamboula", "Souvenir
de Porto Rico", "Union : Paraphrase sur les airs
nationaux".
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