le siècle et leur règle être surtout intérieure.
Pourquoi la Compagnie de Jésus éclipsat-elle rapidement les autres sociétés de «prêtres
réformés» nées à peu près en même temps qu’elle? La raison première de son essor réside
certainement dans les Constitutions de l’ordre, dont le fondateur avait rédigé une première
ébauche dès 1539 et qui furent promulguées – mais sous une forme encore provisoire – en
1551. Elles prévoient pour le futur jésuite une formation extraordinairement longue, pouvant
s’étaler sur une dizaine d’années ou plus. Dans cette ligne, la vie de l’étudiant jésuite en
France comporte actuellement deux ans pour le noviciat que suivent les vœux perpétuels,
puis deux ou trois ans de philosophie – avec souvent une spécialisation en sciences
humaines ou exactes –, un stage de vie active (par exemple dans l’enseignement), quatre
années de théologie – l’ordination sacerdotale intervenant au cours de la troisième année de
théologie –, enfin un «troisième an», dit de probation, qui renoue par-delà les années de
formation intellectuelle avec celles de noviciat, d’où son nom. Alors seulement sont
prononcés les «grands vœux» qui intègrent le jésuite à la Compagnie, comme profès ou
comme coadjuteur spirituel suivant qu’il est admis ou non à prononcer le quatrième vœu,
spécial à l’ordre, d’obéissance au pape. La societas professa est le noyau de la
Compagnie. En imposant aux novices une mise à l’épreuve aussi longue, Ignace de Loyola
avait évidemment voulu assurer une formation solide, une intégration progressive et éviter
autant que possible de futures défections. Il rompit d’autre part avec le système décentralisé
et démocratique des ordres religieux du Moyen Âge. Bien que l’élection n’y ait pas été
abandonnée, la Compagnie de Jésus fut plutôt organisée comme une monarchie centralisée.
Certes, le supérieur général est élu par l’assemblée des pères provinciaux dont chacun est
assisté par deux pères profès, eux-mêmes élus par les religieux de la province. En outre, la
congrégation générale ainsi constituée nomme des assistants et un admoniteur chargés
d’aider le préposé général dans sa mission, mais aussi de le surveiller. Il existe encore une
autre assemblée, dite des procureurs – eux aussi sont élus par les congrégations
provinciales –, qui se réunit de droit régulièrement et décide s’il y a lieu de convoquer une
congrégation générale, celle-ci ayant pouvoir de déposer le préposé général. Il reste que
l’ordre est gouverné selon un principe monarchique par l’élu d’une aristocratie. Car le
préposé général est élu à vie et n’a en fait jamais été déposé. Il nomme les provinciaux qui,
eux, ne demeurent en fonctions qu’un temps limité. Impitoyable pour les inaptes, Ignace de
Loyola exigea de tous ceux qui étaient agrégés à la Compagnie l’obéissance la plus totale.
Assurément le fondateur était de tempérament autoritaire. Mais ce qu’il voulut obtenir de ses
disciples comme de lui-même, c’était une disponibilité totale à la volonté de Dieu. Ainsi mit-il
sur pied une milice qui, depuis le XVIe siècle, n’a pas cessé d’étonner amis et adversaires
par sa solidité et la solidarité interne de ses membres.
Le succès des Jésuites s’explique par la durable fortune des Exercices spirituels , guide
du directeur de retraite, que Pie XI proclama en 1922 le code spirituel «le plus sage et le plus
universel pour diriger les âmes sur le chemin du salut et de la perfection». Les
Exercices furent pour beaucoup de pénitents un moyen d’approfondir leur religion, mais ils
furent aussi une des voies d’accès à la Compagnie. Ignace de Loyola, dans les premiers
temps de l’ordre, songeait surtout à lui donner des activités missionnaires en Terre sainte ou
en pays protestant. Il envisageait aussi, comme autre tâche, l’éducation religieuse des
enfants et des illettrés. La demande des notables de Messine, qui sollicitèrent du fondateur
la création d’un collège dans cette ville (1548), modifia la vocation de la Compagnie de
Jésus. «On peut dire qu’à partir de cette année 1548 toute nouvelle implantation importante
de la Compagnie dans le monde se traduisit de manière concrète par la fondation d’un
collège» (A. Guillermou). Celui de Rome, le célèbre Collège romain, fut inauguré dès 1551.
Les Jésuites devinrent la principale congrégation enseignante du monde catholique.