IMAGES ET HISTOIRE La vision que nous avons de notre histoire est souvent le résultat d'un certain nombre d'images qui s'imposent à nous. Ces images ont été souvent réfléchies par ceux qui les ont produites, que ce soient les commanditaires, rois ou grands personnages, les exécutants, qui doivent trouver le meilleur moyen de glorifier leur modèle, ou les historiens, qui plusieurs années ou plusieurs siècles après créent une image d'un personnage ou d'une période historique. Des exemples ? La troisième république voulant montrer la supériorité de la république sur la monarchie créera dans les livres d'histoire le mythe des « rois fainéants », tels qu'on peut les voir aussi sur les deux tableaux de la salle du jubé du musée des beaux arts de Rouen. Louis XIV a fabriqué son image de roi soleil et incité les artistes à le représenter ainsi De nombreuses images de l'histoire de France datent en fait du 19è siècle, où la peinture d'histoire est très en vogue. Exemple : Luminais, les énervés de Jumièges http://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89nerv%C3%A9s_de_Jumi%C3%A8ges La liberté guidant le monde est ce qui nous reste de la révolution de 1830, un peu oubliée sinon. Le tableau de Delacroix, les massacres de Scio a beaucoup fait pour l'image de la lutte des Grecs contre les Turcs. Napoléon est un bon exemple également ; on pourra étudier les tableaux de David et de Gros. Napoléon III a voulu inscrire dans l'architecture son passage au pouvoir : toute la physionomie actuelle de Paris a été marqué de son empreinte. Che Guevara doit davantage à la photo de Korda qu'à son action politique effective. I. Image et prosélytisme religieux de l'Antiquité au 17è siècle 1. Comment le Christianisme l'a-t-il emporté sur la religion romaine ? Rappel De la persécution à la victoire finale, il s'écoule trois siècles. Au début, le Christianisme apparaît comme une secte juive, puis il prend de l'importance du fait du message qu'il apporte ; ce message passe par l'écrit et l'oral (prédication). Symboles visuels : le chrisme et l'ichtos (ἰχθύς ) (iesus christos theos yios soter) Les persécutions ne font que renforcer la nouvelle religion, qui se développe auprès des catégories populaires, en particulier les esclaves. En 313, Constantin se convertit au Christianisme et en 393, Theodose l'impose comme seule religion 2. Quel rôle pour l'image au Moyen Age ? Rappel : le Moyen Age occidental - Une société féodale, rurale, chrétienne une société fondée sur l'inégalité une société où les villes sont encore peu développées, malgré des exceptions (Flandres, Italie, Paris) une société encadrée par le christianisme - Approche de l'image médiévale un analphabétisme dominant impose le recours à l'image pour faire passer des messages, en particulier religieux une différence entre l'Orient et l'Occident et entre le monde chrétien et le monde musulman dans le domaine des images un important symbolisme, plus important que la recherche de la représentation du réel On doit donc pour analyser l'image médiévale, et l'art en général, ne pas la séparer de sa fonction dans la société : ainsi, la taille des personnages dans un tableau est proportionnée à leur rang social, de même leur place (devant ou derrière ), les gestes, les regards, les vêtements, les couleurs, sont souvent symboliques Le Christianisme va utiliser deux domaines, l'architecture et l'art Architecture : les églises médiévales sont en elles-même un programme religieux : orientation à l'Est (on passe de la mort à la vie en cheminant vers l'Est), forme de croix, chiffres symboliques taille des constructions à partir de l'époque gothique, les dimensions colossales des bâtiments impressionnent les foules (et montrent la puissance de l'église et des villes), voir par exemple la hauteur des voûtes Art Querelle des images dans l'empire d'Orient Querelle de la couleur entre Suger et Saint Bernard Un évènement clé pour l'histoire de l'art, l'absence de querelle des images en Occident Le rôle de l'icône a été défini au deuxième Concile de Nicée (787) En 726, l'empereur d'Orient Léon III s'opposa brutalement à la représentation des êtres divins (iconoclasme). Les icônes sont considérées comme porteuses d'énergie divine et de grâce, et leur réalisation obéit dès lors à un canon très strict : elles sont peintes par des prêtres qui ne signent pas leurs oeuvres et suivent des instructions précises concernant la représentation des personnages, le choix des sujets, les couleurs, le dessin. Au contraire, les artistes occidentaux n'ont pas été limités dans leur capacité d'invention d'images ou de techniques nouvelles. Ils ne sont pas tenus par des normes rigides, mais le pape Grégoire le Grand a tout de même assigné à l'image certaines fonctions : rappeler l'histoire sainte amener le pécheur au repentir édifier les illettrés. Ce sont des instruments de piété et de dévotion : prier devant elles peut permettre d'obtenir des indulgences ( Innocent III, 1216). Les artistes médiévaux ne recherchent pas le réalisme mais utilisent des codes symboliques. Ils ne cherchent pas seulement à illustrer un texte ou à le traduire en images pour les analphabètes : les représentations de la Bible sur les cathédrales ne répondent pas forcément à de type de préoccupation. Elles peuvent aussi avoir pour but de montrer la dévotion personnelle de l'artiste à Dieu, et peuvent se trouver alors dans des lieux difficiles à atteindre. La relative liberté des artistes a pour conséquence des différences d'appréciation qui peuvent créer des courants artistiques, desquels va naître l'art occidental. Ainsi, au 13è siècle, Suger et St Bernard s'opposent sur la couleur et le décor : la couleur est lumière et mène à Dieu, de même que le décor, d'où l'ouverture de verrières à St Denis pour amener la lumière (et la couleur) dans le choeur, alors que les cisterciens veulent des bâtiments épurés, une image intérieure et rejettent la couleur comme matière et non lumière. La multiplication des images est cependant en marche au 13è siècle, liée au développement du culte de la Vierge et des saints. De plus, le développement d'une piété plus individuelle entraîne le recours à des images transportables et donc plus petites que les images destinées aux lieux de cultes : peintures sur bois à l'imitation des icônes byzantines, que l'on importe en Italie, manuscrits, orfèvrerie. Le succès des livres d'heures au 15è siècle en est un exemple. La culture laïque a besoin d'images : tapisseries, blasons, sceaux, monnaies, portraits Analyse d'images Statues de l'Église et de la Synagogue sur la cathédrale de Strasbourg Portail St Jean à Rouen Représentations de l'Arche de Noé L'Enfer et le Paradis au portail des Libraires à Rouen 3. L'image dans la lutte entre catholiques et protestants aux 16è-17è siècles A la suite de plus d'un siècle de lutte religieuses entre catholicisme et protestantisme, le Concile de Trente (1545-1563) confirme la plupart des dogmes dénoncés par le protestantisme : autorité du magistère dans l'interprétation de l'Écriture, autorité de la tradition comme source de la Révélation, transsubstantiation des espèces dans l'eucharistie, culte de la Vierge et des saints. Il met en place des mesures répressives : reconstitution du tribunal de l'Inquisition, création de l'Index, qui publia, dès 1559, la première liste d'ouvrages prohibés Il renforce les structures de l'Église -congrégations de la Curie romaine (Saint Office, par exemple) -nouvelle édition de la Vulgate latine (1592), l'accès direct aux textes restant interdit, édition d'un catéchisme, du bréviaire, du missel romain, pour fixer le dogme et la liturgie -fondation de collèges, universités et séminaires pour mieux former le clergé -missions dans les nouveaux mondes, en particulier en Asie. -Diffusion de la religion catholique par un art monumental qui s'opposera au dépouillement des temples protestants et réaffirmera les principes du catholicisme, l'art baroque En 1539 Ignace de Loyola crée la compagnie de Jésus, soumise directement au pape, qui va en faire un instrument de la contre réforme : ils créent des collèges (éducation), des missions en Asie et en Amérique latine (extension du catholicisme) et luttent contre le protestantisme. Ils deviennent très puissants, souvent confesseurs des rois, et s'attirent l'opposition des philosophes des Lumières. C'est le marquis de Pombal qui le premier interdit l'ordre au Portugal en 1758 (ce qui permet d'interdire l'ordre au Brésil), suivi par la plupart des pays européens (la France en 1764). b) les conséquences dans le domaine artistique L'expansion du baroque est lié à la propagande des jésuites en faveur de ce style. Le point de départ est l'église du Gesu à Rome. C'est surtout l'intérieur qui est nouveau, du fait de l'importance du décor. Le concile pense que l'œuvre d'art (provoquée par le théâtre ou la musique aussi bien que par la peinture) peut aider à persuader le fidèle. L'Église va donc favoriser les artistes qui exaltent la foi catholique, mettre en scène la messe avec le décor baroque et la musique, les processions, tout en développant des thèmes iconographiques nouveaux comme les anges (putti), l'enfant Jésus, plus accessible aux fidèles. Analyse d'images Le plafond de l'église Saint Ignace à Rome Andrea Pozzo (1642-1709), frère jésuite et peintre, théoricien de la perspective dans la peinture et l'architecture, il réalisa la voûte de St Ignace à Rome en 1685. Le triomphe de Saint Ignace est peint en trompe l'oeil sur la voûte de l'église, l'illusion d'optique est visible à partir d'un point précis de la nef. L'argument vient d'une citation de l'évangile de St Luc Ignem veni mittere in terram, et quid volo nisi ut accendatur ? (je suis venu jeter le feu sur la terre et que veux-je sinon qu'il s'enflamme ?) (phrase visible sur la fresque) Ce feu (qui est celui de la Foi) s'allume à la croix du Christ et atteint Saint Ignace au coeur, et du personnage partent des rayons vers les quatre parties de la Terre : Asie (chameau), Afrique (crocodile), Europe (cheval) et Amérique (jaguar). Un autre rayon part du Christ vers un bouclier où se trouve le monogramme de la Compagnie de Jésus (les Jésuites). Autour du Christ, les élus du Paradis et les anges. Interprétation : les Jésuites sont les intermédiaires de la parole du Christ ; ils l'envoient aux quatre coins du monde (missions) ; l'intercession des saints permet d'être sauvé La fresque correspond au programme religieux du catholicisme de la contre-réforme : réaffirmation de l'intercession des saints, missions jésuites pour évangéliser les autres continents, décor foisonnant du baroque pour impressionner les fidèles. Les protestants de leur côté refusent le culte des saints, prônent un accès direct au Christ par la lecture de la Bible, rejettent le décor des églises.