L'idée était bonne, mais elle manquait de finesse. La
pensée cladistique la perfectionna, et donna du même
coup un nouvel essor à la science de l'évolution. Apparue
dans les années 60, elle mit près de vingt ans à s'imposer
dans le monde. Au plan conceptuel, son approche était
radicalement nouvelle : refusant de considérer a priori une
espèce comme l'ancêtre de telle ou telle autre, elle
proposait de traduire l'histoire des êtres vivants par un
ensemble d'« hypothèses réfutables, et donc scientifiques,
sur les relations de parenté des organismes ou des
groupes ».
Au plan méthodologique, elle apportait un changement
essentiel dans la manière de comparer les espèces entre
elles. « La cladistique vise à identifier les liens de parenté
entre les espèces, ou les groupes d'espèces, à partir de
l'identification des caractères évolués qu'elles partagent,
précise Pascal Tassy, paléontologue au Muséum national
d'histoire naturelle de Paris, alors que jusqu'à maintenant
on plaçait dans un même groupe des espèces qui
partageaient n'importe quel type de caractère ». On
regroupait ainsi le chimpanzé et l'orang-outan, qui se
ressemblent beaucoup morphologiquement, dans la
famille des pongidés. Mais si on s'intéresse exclusivement
aux caractères évolués partagés par les grands singes (en
l'occurrence des caractères génétiques, révélés par
l'analyse de leur ADN), on découvre que le chimpanzé est
plus proche de l'homme que de l'orang-outan… « Ce qui
est essentiel dans cette approche, c'est de faire le tri entre
caractères primitifs et évolués », insiste ce cladiste
convaincu. Dans un certain nombre de cas, il est vrai, ce
tri avait déjà été fait par la systématique traditionnelle. Si
cela n'avait pas été le cas, on aurait pu affirmer que
l'homme était plus proche de la tortue que du cheval, sur
le simple fait que le pied des deux premiers compte cinq
doigts, quand le pied du cheval n'en a qu'un… Ce
rapprochement est évidemment erroné : en effet, le
caractère « cinq doigts » est un caractère primitif hérité
des tétrapodes, et tous ceux qui l'ont conservé ne sont pas
pour autant étroitement apparentés.
Au-delà de cet exemple presque caricatural, la distinction
entre caractères primitifs et évolués n'est pas toujours
facile à faire. Mais certains indices morphologiques aident
parfois aux rapprochements. « On peut observer que les
oiseaux comme les crocodiles ont un trou dans la
mâchoire inférieure, qu'on ne retrouve pas chez d'autres
espèces comme les lézards, poursuit Pascal Tassy. On ne
retrouve pas non plus ce caractère chez des espèces plus
primitives comme les amphibiens et les poissons : il s'agit
donc d'un caractère évolué, qui est apparu à un moment
de l'histoire, chez l'ancêtre commun des crocodiles et des