Jacques WOLFF (1988) : Les Pensées Economiques, Tome I, Paris, Montchrestien, pp. 24-37
Le fondateur reconnu
LA GRECE
I. Développement et crise
Un premier développement
Au VIIIe siècle avant J.C. a commencé la colonisation du bassin méditerranéen par les Grecs. En effet la terre étant
donné son régime juridique - propriété familiale et indivisible - et l'absence d'accroissement des rendements face à
l'augmentation de la population est devenue insuffisante pour assurer les subsistances nécessaires. A la fin du Ve
siècle la plupart des régions propices à l'établissement des hommes ont été repérées et occupées, principalement
dans la Méditerranée orientale.
D'un point de vue économique, la création de cités nouvelles et éloignées transforme le régime primitif des échanges
en réduisant l'autarcie et en étendant les marchés. Le commerce à longue distance se développe, l'échange de
produits bruts (matières premières et produits alimentaires) et d'un prix peu élevé contre des biens manufacturés
(tissage, céramique, métallurgie par exemple) se généralise ; l'usage de la monnaie s'étend et cela d'autant plus que
les gouvernements des cités possèdent seuls le droit de battre monnaie. Du point de vue social, une classe de
commerçants se forme et s'accroît rapidement, la fortune mobilière dont la monnaie facilite le maniement gagne en
importance, le pouvoir ne se fonde plus uniquement sur la possession d'un grand domaine. Le passage de la
propriété familiale à la propriété individuelle ayant permis l'aliénation des terres, la concentration des richesses
augmenta. Enfin l'organisation politique s'appuya sur le classement des citoyens suivant le niveau de leur fortune
(ploutocratie). Cette opposition riches-pauvres fut encore accentuée par la progression des emprunts et de l'usure
qui, souvent, aboutit à l'expulsion du paysan de sa terre. Les tensions sociales allèrent en s'aggravant.
Au VIe siècle prirent alors place des changements législatifs importants destinés à réduire ces tensions. Ainsi, à
Athènes, Solon procède-t-il à une refonte et à une dévaluation de la monnaie (594/593) ce qui permet de mieux
proportionner monnaie et transactions, crée une seule drachme ce qui facilite le commerce international, abolit les
dettes ce qui libère les débiteurs de leurs engagements, accorde la possibilité de tester ce qui favorise la mobilité et
la dispersion des capitaux et de la propriété foncière ainsi que le développement de la petite propriété dans les
campagnes et, ultérieurement, la formation d'une sorte de classe paysanne moyenne.
Au Ve siècle le bilan du développement économique des deux siècles précédents peut être aisément tracé. Au passif
on trouve l'agriculture - prédominance de la grande propriété dans une large partie du pays, assolement biennal,
absence d'amélioration des procédés techniques - et les communications terrestres : routes défectueuses entraînant
des coûts de transport élevés et amenant les terres intérieures à n'avoir qu'une industrie restreinte. A l'actif figurent le
commerce - les villes côtières connaissent une grande activité, Athènes est un marché international, assurances
maritimes et constructions navales présentent un grand essor - et l'industrie, entraînée par le commerce et basée sur
l'esclavage (100 000 esclaves industriels à Egine). De grandes entreprises existent (on voit apparaître la première
fabrique employant plusieurs dizaines de travailleurs), la monnaie est abondante, la drachme circule dans l'ensemble
du monde méditerranéen, des tributs sont payés par les peuples vaincus et dirigés vers Athènes, l'or est conservé
comme trésor, des banques se sont créées, le taux d'intérêt a diminué et s'est stabilisé autour de 12 %. Enfin on ne
peut ignorer la psychologie du temps et, si on s'en rapporte au discours prêté par Thucydide à Périclès, celui-ci loue
ses contemporains du fait que la fortune est pour eux non un motif d'orgueil mais un élément d'activité et qu'ils
considèrent comme une honte non d'être pauvres mais de ne rien faire pour s'enrichir. Deux Grèce coexistent donc,
l'une terrienne avec une minorité de grands propriétaires fonciers ; l'autre maritime avec un régime démocratique.
La crise du IVe siècle
En 431 commence une lutte longue et épuisante - la guerre du Péloponnèse - entre différentes cités afin de s'assurer
l'hégémonie. Athènes échoue dans sa tentative, Sparte lui succède (404) puis est vaincue et remplacé par Thèbes
(371-362), les alliés exploités se révoltent (355). Aucune cité ne s'avère capable d'organiser le monde grec
c'est-à-dire de trouver une formule conciliant unité et autorité. Le seul résultat fut de faire éclater la crise de la Cité.
Celle-ci se présentait comme une communauté - solidarité des citoyens les uns envers les autres et vis-à-vis de la
Cité, avantages et obligations équilibrés - dont la cohérence supposait la concorde entre les citoyens et l'absence de
trop grandes inégalités économiques. Le maintien de l'équilibre social nécessitait la présence d'un élément stable et
majoritaire, les paysans moyens propriétaires, et, à l'extérieur, la domination d'Athènes sur la Méditerranée orientale
et ses alliés.
La guerre du Péloponnèse entraîne le déclin de la Cité. Elle bouleverse l'organisation sur laquelle celle-ci reposait ;
elle amoindrit l'économie (ruine du territoire, diminution de la population et du revenu des individus, baisse de la
production des mines d'argent du Laurium, déficit des finances publiques). En même temps, de nombreux paysans
renoncent à exploiter leurs terres et émigrent vers les villes, ce qui pose le problème de leur entretien et aggrave le
déséquilibre financier, ou se mettent à travailler la terre d'autrui, d'où un nouveau développement de la grande
propriété. De son côté la production urbaine diminue également d'autant que le travail autre qu'agricole se trouve
discrédité et que le titre de citoyen ouvre des possibilités d'assistance. L'écart riches-pauvres s'accrut à nouveau.
Enfin, le monde " barbare ", jusque-là le meilleur client de l'industrie grecque connut une forte expansion et augmenta
son indépendance en diminuant ses liens avec Athènes ; sa monnaie imita ou supplanta les monnaies athéniennes,
la production locale se substitua aux produits grecs, les termes de l'échange évoluèrent au détriment de la Grèce.
Le déséquilibre est aussi politique. La dégradation de la vie civique s'accentua : diminution de la fréquentation de
l'assemblée populaire, tendance à la permanence et à la spécialisation des magistratures les financiers se mirent
à jouer le rôle principal, répugnance des citoyens au service militaire et accroissement du mercenariat, demandes
accrues des citoyens à la Cité amenant à imposer les citoyens les plus riches qui répondirent avec réticence et se
sentirent de moins en moins solidaires des affaires communes. Financée principalement de l'extérieur au Ve siècle, la
démocratie athénienne fonctionnait à la satisfaction générale ; financée principalement par les Athéniens au IVe
siècle, elle suscite la contestation.
La Fin de la Cité
La seconde moitié du IVe siècle porta à son terme l'évolution antérieure. Pourtant des tentatives d'adaptation à des
conditions nouvelles plus fortement ressenties chaque jour s'étaient manifestées à Athènes durant la première moitié
du IVe siècle : ainsi le droit commercial s'était-il transformé (importance nouvelle donnée à l'acte écrit, justice plus
rapide des litiges, plus grande personnalité juridique accordée à l'esclave en ce sens que celui-ci put témoigner
comme un homme libre et contracter pour son propre compte, égalité des citoyens et des étrangers quant à leur
présentation devant le même magistrat). En outre les jugements anciens contre l'activité économique n'avaient cessé
de perdre de leur autorité tandis que s'affermissaient de nouvelles valeurs économiques mettant l'accent sur le désir
illimité des richesses.
Une telle évolution n'alla pas sans difficulté. Les prêts autres que maritimes ne servirent pas toujours à créer des
entreprises nouvelles ou à améliorer les conditions de culture mais à financer des dépenses de prestige ; les
individus enrichis ne cherchèrent pas forcément à remplacer l'élite existante mais à assimiler ses valeurs et son
comportement, ce qui les conduisit à acheter des terres pour obtenir la respectabilité sociale du propriétaire foncier ;
les anciennes valeurs n'avaient pas totalement disparu et restaient encore vivaces ce qui fait que les jugements
hostiles à l'activité économique étaient toujours fréquents. Les deux mondes de la terre et de l'argent et du
commerce continuaient à coexister, le premier cédant difficilement la place au second.
Les changements politiques seront d'un tout autre ordre. Tandis que les cités grecques usaient leurs forces dans des
luttes pour l'hégémonie, d'autres Etats, telle la Macédoine, se développaient. On assista à la création d'un véritable
Etat territorial pourvu de finances (exploitation des mines du mont Pangée), d'une administration et d'une armée.
En 358 s'ouvre une première guerre qui permet à Philippe d'intervenir et, après une première phase de luttes, se
termine par une paix temporaire (346). La reprise des hostilités aboutit à la défaite grecque de Chéronée (338). Au
congrès de Corinthe la Grèce est réorganisée : l'Etat territorial remplace la Cité ; la Grèce libre, mais divisée, fait
place à une Grèce dominée, mais unifiée. Philippe entre ensuite en guerre contre la Perse. Ses objectifs seront repris
par Alexandre qui jusqu'à sa mort (323) s'efforcera d'organiser économiquement les immenses espaces conquis. Les
bases de la production, l'échange, la distribution et la consommation des richesses à une échelle incomparablement
plus grande que par le passé étaient jetées. La crise de la Cité était terminée du fait de sa disparition. Un autre
système d'organisation l'avait remplacé.
II. Plusieurs contributions ; une École
II est possible de distinguer dans le temps trois ordres de contributions : celles antérieures à Socrate, celles inspirées
par ses idées, celles relevant de la fin de la société hellénique.
Pour la première on peut retenir les noms d'Homère et d'Hésiode ainsi que celui de Pythagore mais on ne trouve que
des traces d'idées économiques. Il n'en est plus de même quand on en arrive à la sophistique : les œuvres
semblent s'être multipliées et il n'est à cet égard que de citer le Traité sur les salaires de Protagoras ou les plans de
répartition des biens de Hippodamos de Milet ou de Phileas de Chalcédoine. Cette école est caractérisée par une
réaction contre les vieilles conceptions sociales. Elle est en lutte avec les traditions de la cité aristocratique et
militaire et vise à les remplacer par des principes démocratiques comportant nécessairement un programme nouveau
d'économie. Celui-ci trouvera son expression la plus complète dans les œuvres de Thucydide qui n'était pas un
sophiste et où les aperçus sur les causes de la prospérité matérielle de la Cité et sur l'utilité du travail présentent une
netteté qu'on ne retrouve nulle part ailleurs.
Ce sont les Socratiques qui ont donné des œuvres ou des parties d'oeuvres exclusivement consacrées à
l'économie. Socrate a insisté sur son mépris pour les richesses matérielles et sur l'idée qu'il n'existe pas de véritable
bien en dehors de la modération morale. Xénophon, le plus immédiat de ses disciples, est le premier à avoir
consacré à l'économie des travaux spéciaux : l'Economique il expose les règles de bonne gestion d'une grande
propriété foncière, les Revenus il présente ses idées financières en ce qui concerne Athènes. Platon accorde à
l'économie une place considérable tant dans la République que dans les Lois. Aristote, enfin, dans la Politique et
l'Ethique de Nicomaque (ainsi que dans la Constitution d'Athènes) observe la vie de son temps et montre
l'importance des phénomènes économiques.
Même si survient ensuite une période de décadence, celle-ci ne doit pas être pour autant négligée et l'on peut citer
les noms de Théophraste d'Ephones, de Plutarque et même de Polybe. Ceci étant, les idées les plus importantes
sont celles de l'école Socratique et elles peuvent être regroupées sous différents thèmes.
Économie et morale
Economie, politique et morale ne sont pas isolées mais étroitement liées. Dans les civilisations orientales les
problèmes économiques avaient toujours été confondus dans les dogmes d'une éthique religieuse absorbant
l'ensemble de la vie intellectuelle. La philosophie morale des Grecs étant une héritière de ces traditions, l'économie
est une partie de l'éthique.
D'où la question de savoir quelle est la nature du lien existant entre morale et société. La morale grecque ne repose
pas exclusivement sur le sir de subordonner l'individu à l'Etat. Socrate exalte la liberté morale de l'homme mais
signale qu'elle s'égare toutes les fois qu'elle ne le conduit pas aux vertus civiques ; pour lui la philosophie doit
amener les individus, c'est-à-dire ses contemporains, aux mêmes dévouements sociaux que ceux des temps
anciens. Mais il est contradictoire de demander, au nom de l'utilité et de la justice, un esprit de sacrifice raisonné de
l'individu envers l'Etat quand la Cité est injuste et soumise aux antagonismes sociaux. Par contre pour Platon et
Aristote, toute restauration de la morale civique ne peut passer que par une rénovation de l'Etat : la conception d'un
Etat idéal est à la base même de la morale politique. Ainsi l'individu pourra-t-il, dans toute la liberté de sa raison,
revenir aux sentiments des patriotes anciens vis-à-vis de l'Etat ; la collectivité disposera d'une autorité indiscutable et
pourra imposer de grands sacrifices ; chacun aura conscience du fait que le bien de la Cité est l'intérêt de tous. Une
telle conception fait de la justice dans l'Etat la première condition du progrès moral des individus.
Différentes méthodes d'analyse
Induction et déduction ont été employées simultanément par un même auteur. On ne peut parler de spécialisation.
Ainsi Socrate est-il l'un des premiers, sinon le premier, à utiliser la méthode inductive ; toutefois il s'agit surtout de
discours à forme inductive et il fait, par des déductions logiques, dériver l'action de principes supérieurs. Platon use
principalement de la déduction mais il étudie certaines formes contingentes de civilisation et se sert de ses
observations de même qu'il critique certains phénomènes sociaux. Il est, comme Socrate, un dialecticien, ce qui
permet " en écartant les hypothèses d'aller droit au principe pour l'établir solidement " (La République.) Quant à
Aristote, il a pris soin de présenter sa méthode en déclarant que si le fait était toujours connu avec une suffisante
clarté il n'y aurait guère besoin de remonter à sa cause, ajoutant que, une fois obtenue la connaissance complète du
fait, on possède ses principes ou, tout au moins, on est en voie de les acquérir. Sans doute peut-on le considérer
comme le plus grand analyste mais il supporte le poids du passé en ce sens qu'il utilise, malgré l'étroitesse de son
champ d'observation et en l'absence d'éléments comme la statistique ou l'histoire, des démonstrations longuement
raisonneuses aussi bien que la dialectique car les dialogues tiennent chez lui une place importante.
La production
Même si Aristote a avancé que les dieux ont donné aux hommes leurs moyens d'existence et qu'il n'y a pas à les
créer mais seulement à les utiliser il reste que nombreuses ont été les réflexions conduisant à une compréhension
des conditions de la production même si on ne se trouve pas toujours en présence d'un système complet. La terre, le
travail et le capital sont nettement vus comme étant les sources de la richesse. La terre est reconnue comme le
facteur principal de la production. Pour Xénophon la richesse sociale dépend entiè-rement de la prospérité du sol ;
Platon et Aristote, n'ajouteront rien à cette liaison. En outre on trouve l'idée, chez Xénophon, que la terre peut fournir
des rendements plus ou moins élevés en fonction du soin qui lui est accordé. Le travail a été longuement étudié mais
davantage jugé qu'analysé. Le phénomène de la division du travail et ses conséquences sur la productivité a été bien
mis en valeur tant par Xénophon (par corps de métier et par profession) que par Platon (la différenciation des
fonctions constitue la base de la constitution de la République) et Aristote. La division du travail permet à chacun de
choisir la profession convenant le mieux à ses prédispositions naturelles ; l'individu effectuant la même tâche acquiert
une plus grande dextérité et travaille plus rapidement ; les divers biens peuvent être fournis en plus grande quantité
et avoir une meilleure qualité ; les besoins peuvent être plus complètement et plus vivement satisfaits. Enfin la
division du travail accroît les liens économiques entre individus et peut être plus grande là où la population est la plus
dense (Platon). Cependant il est une attitude, une prise de position dominante : le travail est une forme d'activité
méprisée. Xéno-phon fait ressortir les infériorités du travail industriel : les ouvriers des arts mécaniques sont, de par
leur vie sédentaire, mal préparés aux cessités des luttes militaires. De même Platon entend réserver le
gouvernement de la Répulique aux guerriers et aux magistrats (La République) ou bien encore souhaite que la Cité
soit située loin de la mer (Les Lois) pour éviter les tentations procurées par le commerce maritime tandis que les
magistrats s'efforceront d'écarter les hommes libres des professions ouvrières. Aristote, quant à lui, énonce la
nécessité d'exclure les artisans de la Cité. D'autres attitudes vis-à-vis du travail ne peuvent être négligées. Certes
l'école socratique constitue une réaction d'ordre à la fois moral et social à rencontre des activités du commerce et de
l'industrie, mais il convient de noter que la démocratie mercantile et laborieuse a trouvé avec les sophistes ses
partisans les plus résolus : le problème du " salaire des leçons " est le symbole d'une conception d'ensemble de la
valeur du travail et la justice de ses rémunérations ; de même, Thucydide a compris les forces de son temps et le
discours qu'il prête à Périclès constitue un témoignage en faveur du travail.
Enfin, pour ce qui est des types de travail, les auteurs grecs, vivant dans une société esclavagiste, n'ont pas cherché
à comparer le travail libre et le travail servile et à proclamer la supériorité de l'un sur l'autre. Toutefois Platon se
révèle partisan d'un interventionnisme puisqu'il propose (Les Lois) de réglementer le travail agricole et le travail
industriel (surveillance de l'État et règles précises à appliquer).
La notion de capital a été reconnue de même que son importance. Ainsi Aristote signale-t-il que, à côté des biens de
consommation existent des biens de production et distingue-t-il les moyens naturels et les moyens artificiels
d'acquisition de la richesse ; de même Xénophon fait-il apparaître un lien entre investissement et accroissement de la
production. Également la condamnation du prêt à intérêt par Aristote n'est rien d'autre que la reconnaissance, a
contrario, de l'importance productive du capital.
En outre, les relations pouvant exister entre ces facteurs de production ont été précisées. Pour Xénophon la terre ne
peut produire sans travail. Pour Platon et Aristote le travail s'effectue avec des outils. Même l'idée de substitution
existe puisque Aristote avance qu'une " mécanisation " de la production aboutirait à supprimer les esclaves.
Échange et monnaie
L'économie est une économie d'échange. Ce dernier est dû au fait que les individus ont des besoins, recherchent les
biens pour " vivre bien ", mais ne peuvent produire tous les biens dont ils ont besoin.
Par suite les biens ont une valeur d'usage et une valeur d'échange. La première est celle venant satisfaire à un
besoin déterminé chez un individu, la seconde celle lui permettant d'obtenir un autre bien par l'échange.
La monnaie permet de procéder aux échanges de manière plus simple et plus rapide. Ses propriétés ont été
énoncées par Aristote : elle est un instrument d'échange, fonction résultant du développement de la division du
travail et des échanges, un instrument de mesure des valeurs et un instrument de conservation des valeurs.
Un bien déterminé doit-il servir de monnaie ? Deux thèses sont en présence qu'on ne cessera de retrouver par la
suite. Pour l'une tout bien peut servir de monnaie pourvu qu'il soit revêtu d'un sceau officiel ; le pouvoir politique
confère à ce bien la qualité de monnaie ; on a la thèse de la monnaie, signe faisant que la monnaie tire sa qualité
et sa valeur de l'estampille légale. Pour l'autre la monnaie est formée par des métaux précieux, l'or ou l'argent qui
réunissent des qualités (divisibilité, conservation, etc.) que les autres biens ne possèdent pas ou ne possèdent pas
au même degré ; la thèse est ici celle de la monnaie-marchandise. Aristote soutiendra l'une et l'autre dans la
Politique et dans l'Éthique à Nicomaque.
La monnaie peut changer de valeur : ainsi Xénophon pense-t-il que l'argent possède une valeur intrinsèque et que
celle-ci dépend non seulement du rôle monétaire du métal mais aussi de l'ensemble des usages qu'on peut en faire :
ainsi une trop grande abondance risque-t-elle d'en abaisser le prix.
L'échange pose un double problème. L'un est celui de la réciprocité des prestations. Les marchandises vendues sont
par elles-mêmes " sans égalité et sans mesure " (Platon) ; comme elles s'échangent suivant des proportions définies,
c'est que toutes contiennent une qualité commune susceptible d'être mesurée. Pour Aristote il faut qu'à la prestation
fournie par l'un corresponde une prestation fournie par l'autre et, aussi, que chacune présente pour celui à qui elle
est faite la même somme d'utilité. Pour qu'il en soit ainsi les choses doivent être comparables. La valeur d'échange
dérivant de la valeur d'usage, cette dernière a pour cause le besoin. L'échange mesure alors le besoin respectif des
échangistes ; la qualité commune à toutes choses, et qui les rend comparables, consiste dans leur aptitude à
satisfaire les besoins.
L'autre est celui de l'enrichissement. L'acquisition des biens dépend, certes, du motif de vivre bien, mais on ne peut
négliger le motif de l'enrichissement l'argent est recherché pour lui-même et apparaît comme une fin et non plus
seulement comme un moyen. Il est donc deux modes d'obtention des richesses, l'économique et la chrématistique
(Aristote). La première a pour objet la prise de possession directe ou la transformation, par le travail, des richesses
(fruits, animaux, esclaves) que la nature destine aux usages de l'individu ; elle a pour but la satisfaction des besoins
essentiels ; elle rencontre des limites en ce sens que les instruments qu'elle utilise n'existent pas en quantité illimitée
; elle est légitime ; elle comprend l'agriculture, l'élevage, la chasse et la pêche. La seconde présente des
caractéristiques totalement opposées : elle transforme en sources de gains des choses - la monnaie et les facultés
de l'âme - auxquelles la nature n'avait pas donné cette destination ; elle a pour but l'accroissement infini de la
richesse ; les moyens qu'elle utilise - le prêt à intérêt (la monnaie engendre la monnaie), le louage de travail manuel,
le négoce (qui produit de la richesse en déplaçant de la richesse) - lui permettent de poursuivre ce but ; elle est
illégitime, et condamnable en ce sens qu'elle résulte d'une perversion de la vente ; elle manifeste son activité par
l'accumulation incessante de la monnaie qui ne rencontre aucun obstacle.
Les jugements sont allés de pair avec l'analyse. Si, pour Xénophon, l'enrichissement individuel paraît un but
souhaitable, il est loin d'en être ainsi pour Platon et Aristote. Aristote ne propose pas, comme le fera Platon,
d'abandonner les monnaies employées, facteur de dissolution de la Cité, mais condamne l'acquisition des biens "
imaginaires " comme but de toute activité : estimant que les matières d'or et d'argent n'ont pas de valeur par
elles-mêmes, il pense qu'il est absurde de rechercher leur possession.
Par extension le crédit est condamné. Ainsi Platon souhaite-t-il interdire les prêts gratuits et les ventes à terme.
Quant au commerce, si Xénophon préconise l'octroi de primes aux navires et Platon la liberté du commerce, mais
assortie de prohibitions complètes d'entrée pour certains produits (ceux destinés à la consommation) ou de sortie,
Aristote, de son côté pense à une réglementation destinée à prévenir l'excessif développement du commerce
internationale, et spécialement maritime, par la désignation limitative des citoyens ayant le droit de s'y livrer.
L'évolution
Outre le fonctionnement de l'économie, son évolution a été étudiée et ses facteurs ainsi que son sens dégagés. Les
premiers sont d'ordre économique mais aussi psychologique, sociologique et même mographique. Chacun
influence les autres et, en retour, se trouve influencé par eux. Comme le montre Platon (La République) les besoins
des individus augmentent et se diversifient, la dimension de la Cité s'accroît, le nombre de produits fabriqués hausse
ainsi que la richesse, la psychologie des individus se transforme, la répartition de la richesse entre les individus se
modifie.
Le sens de l'évolution est simple. Un cycle doit être parcouru. Les régimes politiques se succèdent dans un certain
ordre - aristocratie, démocratie, oligarchie, démocratie, tyrannie - et, une fois terminé, le cycle est prêt à
recommencer.
Une telle évolution peut être considérée comme le fruit du hasard, de l'incertitude, de l'imprévoyance des individus et
de la difficulté à se faire obéir des magistrats de la Cité. En effet, dans la Cité idéale chaque individu possède des
aptitudes particulières qui conduisent à lui assigner une place au sein d'un groupe (dirigeants, gardiens, artisans et
laboureurs). Si une telle affectation se trouve parfaitement réalisée, la Cité fonctionne sans heurts, mais comme il ne
peut en être ainsi pour les raisons indiquées, elle sera soumise à une évolution remplie de vicissitudes et s'exprimant
par le cycle précédemment mentionné.
La répartition
Ici également on trouve des vues partielles. Plus exactement les auteurs se sont intéressés à la légitimité et à l'utilité
de la propriété individuelle et à la recherche des différents systèmes qui pourraient la remplacer.
D'une part, il existe des propositions visant à restreindre la propriété. Pythagore et ses disciples ont le dédain des
biens matériels poussé au plus haut point et il s'en est suivi une sorte d'abandon de l'idée de propriétaire (mais dans
leur secte la communauté des biens n'était pas établie). Hippodamos de Milet aurait d'après Aristote, proposé une
cité divisée en trois classes (artisans, laboureurs et soldats), un territoire divisé en trois parts (terres réservées au
culte, terres publiques destinées à l'entretien des guerriers, lot des laboureurs, ces dernières terres étant seules
susceptibles d'appropriation individuelle), mais, en même temps, il borne la tâche de l'État à assurer la sécurité
matérielle et morale des individus. Platon, dans la République, avance que guerriers et magistrats ne doivent rien
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