Analyse du projet de programmes de philosophie pour les séries

publicité
Analyse du projet de programmes de philosophie pour les séries générales du GEPS II
par l’association “ Réflexion sur l’Enseignement de la Philosophie ” (R.E.P.) le 16/12/02
En guise de préalable, nous tenons à rappeler qu’à deux reprises les professeurs de philosophie ont approuvé deux projets de
programmes à plus de 80% ; l’un commis par le GTD Dagognet-Lucien en 1997, l’autre par le GEPS I Fichant en 2002. Le programme
Renaut actuellement en vigueur, et ce légalement seulement depuis le 1er septembre 2002 (cf. arrêté du Conseil d’Etat), a été quant à lui
désapprouvé à plus de 80 %. Le projet du GEPS II du 10 décembre 2002 provient de la mission acceptée par Michel Fichant le 12 juin
2002 : rédiger un programme de compromis afin d’apaiser les esprits. Vouloir apporter la paix entre les professeurs de philosophie par
la combinaison égalisatrice des satisfactions et des mécontentements de chacun est une solution à la mode libérale avancée. Préférer la
paix à la justice et s'imaginer l'atteindre en maquillant la justice avec une égalité obtenue par calcul (si tous les professeurs sont lésés à
égalité, chacun y retrouvera de quoi se taire) est une solution pour le moins idéologique. L'ahurissante absence de pensée philosophique
dont font preuve (au vu de ce projet) les membres du GEPS II a été comblée par un travail de gestion.
Nous sommes défavorables à ce projet pour trois raisons que nous voulons ici exposer.
1. Ce projet est philosophiquement contestable.
Il l’est d’abord formellement :
 Ce projet est déterminé et donc déterminant. Jamais il n’est écrit que le professeur est l’auteur de son cours. L’expression
" liberté philosophique " n’apparaît qu’une seule fois pour être en réalité contredite par l’esprit et la lettre du projet. Nous
sommes loin des instructions de 1925 (de Monzie) qui affirmaient que " la liberté préside à la conception de l’enseignement
philosophique " Loin d’être un compromis, ce projet intègre la doctrine de l’Acireph : la nécessité de la détermination. Or
un programme de philosophie n’a pas à être déterminé, car c’est précisément le professeur en faisant cours qui le détermine.
C’est ainsi seulement qu’il peut être l’auteur de son cours.

Ce projet n’est en rien semblable au programme de 1973 du fait de sa construction qui détermine par le jeu des champs, des
notions et des repères. " La liste des notions s’articule à partir de cinq champs (…) qui orientent les directions
fondamentales de la recherche. (…) L’intelligence et le traitement des problèmes que les notions permettent de poser
doivent être guidés par un certain nombre de repères explicites. " La présence des repères est philosophiquement
irrecevable. Des outils ( " distinctions lexicales et conceptuelles ") n’ont pas à figurer dans un programme sauf à avoir une
vision extérieure au programme. Si les professeurs de philosophie sont des professeurs de philosophie, ils n’ont nul besoin
d’être guidés parce qu’ils ne sont pas désorientés.
Il l’est ensuite matériellement :

Jamais il n'est écrit et donc pensé que la philosophie comme discipline est le moment privilégié où l'élève recherche la
vérité par l'exercice autonome de la pensée. La démarche questionnante pratiquée par l'élève comme acte de la
philosophie n'est pas appréhendée ni l'étonnement qui doit être sa disposition. Le recours répétitif, jusqu'à la caricature,
du terme de "culture" et de "culture philosophique" manifeste un tournant dans l'enseignement (Bildung). Il ne s'agit plus
de la philosophie comme telle, savoir le plus élevé dont tout tire son sens, mais d'une dilution dans la Kultur.

Il intègre la notion d’argumentation contraire à la démarche philosophique qui est démonstrative et fondatrice en raison.
L’exercice de l’explication de texte est déformée lorsqu’elle est appréhendée comme ce qui " décompose les moments de
l’argumentation " Elle rejoint la thèse du Président du GTD de Lettres, Alain Viala, qui donna dans L’école des lettres du
1er décembre 1999 une définition de l’argumentation : " … nous avons appelé la confrontation d’opinions
“ argumentation ”, parce que c’est le mot en usage." Il justifie ceci en ajoutant " … les textes en général, la langue, son
exercice et sa pratique, appartiennent à l’espace des opinions : tout y est affaire non pas de vérité – scientifique —, mais
de vraisemblance, donc d’opinion." Plus grave, il est dit dans le passage de " présentation " que " La culture
philosophique à acquérir durant l’année de terminale repose elle-même sur la formation scolaire antérieure, dont
l’enseignement de la philosophie mobilise de nombreux éléments, notamment pour la maîtrise de l’expression et de
l’argumentation … ". Comment l'élève en classe de philosophie pourra-t-il dès lors chercher à rendre compte du sens de
la pensée et à en dégager l'enjeu si tout incite à renforcer sa croyance à savoir que les philosophes ont des opinions comme
tout le monde.

L'exercice de la dissertation est tout aussi incorrectement saisi. Il est clairement écrit qu'un même intitulé est susceptible
de contenir plusieurs problèmes qu'il appartiendrait à l'élève d'analyser. C'est oublier qu'une question (celle du sujet) n'est
philosophiquement bien posée, ainsi n'est proprement philosophique et n'appelle une interrogation et une analyse qu'en
tant qu'elle contient un problème ou questionnement constitué de plusieurs questions logiquement ordonnées. Cette
univocité est la garantie d'une évaluation objective et équitable d'une copie par le correcteur. La dissertation n'est pas
pensée et donc décrite comme exercice scolaire de la pensée commençant par l'étonnement de l'élève face à la question
du sujet et ayant pour but la vérité en procédant à la mise en place d'un questionnement qui permette l'analyse
conceptuelle et la compréhension.

Ce projet est contestable par la présence de certaines notions qui témoignent d’une défaillance scientifique. En effet,
parmi les notions figure la responsabilité — comme si elle n’était déjà pas implicite dans les notions de liberté et de
devoir. Les notions d’interprétation et de démonstration manifestent quant à elles une confusion entre la notion comme
problème et la sous-notion comme moyen d’examen du problème énoncé par la notion. L'interprétation se rencontre à
plusieurs occasions en interrogeant l'art, la vérité ou l'inconscient, alors pourquoi en faire une notion à part entière si ce
n'est parce qu'elle est comprise en un sens exclusivement herméneutique ? De même la notion de démonstration est
incluse dans celle de raison. Ces exemples illustrent l'imperfection de l'architecture de ce projet. La cause en est que son
organicité et sa cohérence sont mal pensées. Les notions sont des jalons constitutifs du programme comme champ du
philosopher élémentaire. C’est en ce sens qu’il délimite et a valeur réglementaire. C'est là que nous nous étonnons que la
notion de philosophie ne soit pas présente alors que la philosophie est la seule forme du savoir à se penser elle-même.
Serons-nous désormais hors programme en septembre puisque nous commençons nos cours par l'acte d'interroger ce
qu'est la philosophie ?

Les repères d’un point de vue purement philosophique sont eux aussi des stupidités. Le repère actuel/virtuel est sans
pertinence et n'est qu’un abâtardissement de la première version de ce repère acte/puissance. Celui de
principe/conséquence ne présente pas davantage de pertinence alors que nous aurions pu comprendre principe/cause ou

2.
cause/effet. De même cause/fin n'a philosophiquement aucun sens car la distinction se fait entre fin et moyen. Tout
comme fait/norme ne veut rien dire alors que en droit/en fait est curieusement absent.
La liste des auteurs appelle comme remarque qu'elle ne tient pas compte de l'élémentarité d'un programme de terminales.
Les auteurs tels Sextus Empiricus, Plotin, Averroes, Anselme, Ockham, Bacon, Vico, Malebranche, Berkeley, Condillac,
Durkheim, Russell, Wittgenstein, Lévinas, Foucault n'ont pas leur place à ce titre. Pourquoi dès lors une liste si elle doit
être aussi pléthorique, et quelle injustice pour le philosophe qui n'y figure pas. La présence des auteurs comme Alain,
Bachelard, Sartre et Freud aujourd'hui ne s'explique plus. De même que la réintroduction de l'astérisque n'a pas de sens.
Que signifie donc ce retour à une hiérarchie de philosophes majeurs et mineurs ? L'astérisque pour Wittgernstein
implique qu'un élève de TS ou de TES pourrait n'avoir étudié que cet auteur. Personne ne semble s'interroger sur
l'introduction de la "philosophie analytique" dans un programme de philosophie alors qu'elle se veut négation de la
philosophie elle-même. Sur ce point aussi, ce projet ne va pas.
Ce projet est idéologiquement orienté.
Ce programme est une philosophie officielle tout comme le programme Renaut l’est. Ce programme est néo-kantien. S’il
est sans doute difficile pour un groupe d'experts de ne pas tomber dans le travers d’imposer sa philosophie en concevant
un programme, cela n’est nullement inévitable. Mais pour cela il faut d’autres qualités philosophiques.

Cinq champs pourquoi cinq ? Pourquoi ces cinq là ? Il est écrit et avec justesse qu’il y a une cohérence et une organicité :
précisément, une cohérence moderne et subjectiviste. Ranger la liberté sous la morale et non avec l’Etat témoigne d’un
parti pris. De même, choisir comme champ le sujet c’est se placer dans la modernité – ce qu’illustrent les notions de
conscience, de perception, d’inconscient etc… Pourquoi cette insistance sur la modernité ? Les Anciens ne devraient-ils
plus être enseignés ? La phénoménologie du Dasein serait-elle impossible ?

Cet effet est accentué par la subsomption des notions sous les champs. Il ne suffit pas de d'écrire : " Les notions figurant
dans l’une et l’autre colonnes ne constituent pas nécessairement, dans l'économie du cours élaboré par le professeur, des
têtes de chapitre. L'ordre dans lequel les notions sont abordées, leur articulation entre elles et avec l'étude des œuvres,
relèvent de la liberté philosophique et de la responsabilité du professeur, pourvu que toutes soient examinées." pour que
ce projet ne soit pas un carcan. Si cette architecture en champs, notions et repères n'était pas le moyen de déterminer le
programme alors pourquoi l'avoir choisie ? Pourquoi ce projet n'a-t-il plus la structure d'une liste de notions et d'une liste
d'auteurs ? Si le nouveau projet était la répétition du projet du printemps dernier, il ne serait pas conforme à la commande
du ministre. Il n'y aurait pas de solution apportée au problème de la détermination. Si dans ce projet, il y a bien une chose
qui ne fasse pas problème, c'est la conviction d'une nécessaire détermination du programme de philosophie. C'est bien
pour cette simple raison que ce projet n'est pas un compromis, mais la preuve de la capitulation du GEPS de juin dernier
devant les thèses ACIREPH. Pour ce qui est de l'élaboration d'un programme de philosophie, la notion de compromis n'a
pas de sens. Quand l'équivalent du ministère public fit à Hegel la remontrance qu'il fallait être plus nuancé dans ses cours
sur la religion et sur le catholicisme en particulier parce que des étudiants catholiques s'étaient plaints, il redoubla sa
critique. Nous en concluons que n'est pas philosophe et homme libre qui veut.

Les acteurs de la refonte du programme de philosophie se donnent encore une fois pour charge de limiter le nombre de
combinaisons possibles dans l’examen d’une liste de notions, utilisant pour cela différents stratagèmes dans la
présentation de cette "liste de notions". Le postulat initial reste acquis : le programme de philosophie en terminale aurait
souffert du caractère aléatoire de son contenu. La maladie étant ainsi diagnostiquée, le remède devient la réduction forcée
des chemins de pensée envisageables pour construire ce parcours notionnel.

3.



Ce projet est dangereux pour l’avenir.
La liberté philosophique du professeur et de l'élève ne sont plus le principe de l'enseignement.
Ce texte s’appuie pour la première fois sur la pratique de l’argumentation en français.
Mais le plus grave tient à la présence de ces repères qui font partie du programme. Or tout ce qui est dans le programme
est réglementaire. Ces repères comme tels seront aussi à enseigner si le projet est adopté. De là au fil des années, avec l’air
du temps : les éditeurs scolaires avides en opuscules, les parents qui réclament du prêt-à-penser et le recrutement
insatisfaisant des professeurs, il y a risque de ce qu’ils deviennent la vulgate philosophique. Faut-il rappeler que le GEPS
n’est pas compétent en matière d’épreuves mais que cela relève du ministère et qu’il n'est par conséquent guère difficile
d’introduire un nouveau sujet au baccalauréat, cheval de Troie, pour ruiner dissertation et explication de texte. Le français
en a fait l'expérience. Ce n’est peut-être pas l’intention du GEPS, cependant une association d'enseignement de la
philosophie a la responsabilité de l'avenir de cet enseignement. Aussi devons-nous nous situer par rapport à ce qu’un
programme rend possible. Nul aujourd’hui ne peut affirmer que, dans quelques années sous la pression des parents
d’élèves, les repères ne deviendront pas matière à sujets de bac parce qu’ils figureront déjà dans le programme. Nul ne
peut garantir la pérennité de la phrase qui aujourd'hui l'empêche. Ce projet est un maillon qui s’inscrit dans un processus.
D’ailleurs, c’est ce qu’énonçait le Directeur de l'enseignement scolaire à propos des programmes. A partir de là, les
programmes ne sont pas voués à la fixité mais au mouvement perpétuel. Car c'est bien une honte qu’un programme –
celui de 1973 - ait duré aussi longtemps croient les réformateurs.
Pour ces trois raisons essentielles, la R.E.P. juge pour le moins inopportune l'adoption de ce projet qui sous le couvert de compromis
prépare une mise au pas de l'enseignement de la philosophie. Sans doute, si le GEPS était compétent en matière d'enseignement de la
philosophie dans le secondaire, aurait-il pu élaborer un vrai programme de philosophie élémentaire. La R.E.P. ne saurait accepter un
projet de programme médiocre pour remplacer un autre mauvais programme en vigueur. Elle invite les collègues à réfléchir aux
conséquences d'un tel projet.
Téléchargement