Dans un ouvrage général sur le théâtre de Jean Duvignaud et

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COMPTE-RENDU ET CORRECTION : BAC BLANC SERIES GENERALES ET TECHNOLOGIQUES
OBJET D’ETUDE : LE THEATRE : TEXTE ET REPRESENTATION
(G. Zaneboni)
Barème :
Séries technologiques
6 POINTS, 14 POINTS
Séries générales
4 POINTS, 16 POINTS
DOCUMENTS
A. Marivaux (1688-1763), La Colonie, scène 13, 1750, Bibliothèque de la Pléiade, N.R.F.
B. Beaumarchais (1732-1799), Le Mariage de Figaro, Acte V, scène 3, 1784, Editions Garnier-Flammarion.
C. Pochette du DVD présentant Le Cid de Pierre Corneille, dans la mise en scène flamenco de Thomas Le Douarec.
D. Extrait de l'interview de Jorge Lavelli, metteur en scène du Roi se meurt de Ionesco, par Christine Géray
Compte rendu général
En moyenne : la dissertation a été choisie 2 fois + que les 2 autres types de sujets ; grand délaissé, le commentaire,
catastrophiquement raté. Ne pas oublier que cet exercice doit être absolument maîtrisé pour l’oral.
Problèmes encore ! de présentation, d’orthographe et d’expression, de délimitation du sujet et de méthodologie
I. VOUS RÉPONDREZ D’ABORD À LA QUESTION SUIVANTE (4 ou 6 POINTS) :
Pouvez-vous analyser, à travers ces quatre documents, les intentions des différents dramaturges ou metteurs en scène ? Vous
rédigerez une réponse organisée et synthétique.
A priori, on peut penser que dramaturges et metteurs en scène ont des intentions communes, ou en tout cas complémentaires :
en fait, le metteur en scène est censé servir les intentions dramatiques de l’auteur, notamment quand celui-ci les verbalise dans les
didascalies ou dans des préfaces, des avant-propos. Mais l’on peut souvent se rendre compte que le metteur en scène tient parfois à
exprimer sa propre lecture et un point de vue tout à fait personnel.
Ainsi, nous pouvons percevoir ces objectifs semblables et multiples, qui parfois se croisent dans notre corpus, deux extraits
de comédies du XVIIIème siècle, l’une de Marivaux, La Colonie, scène 13, parue en 1750, l’autre de Beaumarchais (Le Mariage de
Figaro, Acte V, scène 3), un document iconographique, la pochette du DVD présentant Le Cid de Pierre Corneille, dans la mise en
scène flamenco de Thomas Le Douarec et enfin un extrait de l'interview de Jorge Lavelli, metteur en scène du Roi se meurt de
Ionesco, par Christine Géray. Ces deux auteurs et ces deux metteurs en scène suggèrent des intentions aussi bien dramatiques et
esthétiques qu’argumentatives ou philosophiques.
Les deux dramaturges affichent d’emblée des intentions satiriques, voire polémiques, et utilisent pour cela des procédés à la
fois comiques et dramatiques dans le dialogue entre les personnages de La Colonie, comme dans le monologue de Figaro, porte-parole
de Beaumarchais. Tous ces personnages expriment critique et revendications : les femmes réclament d’être associées à la vie de la cité
et de pouvoir pratiquer tous les métiers, Figaro dénonce avec emphase l’arbitraire des nobles, l’injustice des privilèges de la
naissance, la censure qui frappe les écrivains, une société corrompue où le mérite n’est jamais reconnu : il réclame une certaine
égalité, la liberté, d’expression notamment.
Les deux autres documents axés sur la mise en scène suggèrent la façon dont Thomas Le Douarec et Jorge Lavelli conçoivent
leur travail et comment ils vont « recréer » la pièce des auteurs qu’ils ont choisi de représenter. L’affiche du Cid en flamenco d’une
grande sensualité et beauté plastique, très dramatique dans sa composition, montre deux ombres sur un fond de feu, celle d’une femme
nue élancée les deux bras levés tenant une épée dirigée vers la tête d’un homme situé plus bas qu’elle et s’offrant à la mort ; la
recherche graphique rejoint la recherche musicale et chorégraphique du flamenco et insistent sur les intentions essentiellement
esthétiques d’un metteur en scène pensant ainsi moderniser la pièce de Corneille et montrer que les valeurs qu’il défend - honneur et
devoir- ne sont pas forcément désuètes. Le modernisme de sa création a quand même dû faire fuir quelques puristes.
Plus fidèle à ce que proposait Ionesco, pas avare de didascalies et d’essais sur le théâtre, Lavelli conçoit un décor délabré,
insalubre une musique solennelle et parfois grinçante, et des costumes en loques, des accessoires qui traduisent bien la volonté
déconstructrice du dramaturge, son intention métaphysique en même temps que burlesque, son désir de démythifier en même temps
que la tragédie, les personnages royaux pour montrer qu’ils sont grotesques, dérisoires, comme la vie est dérisoire, absurde, minée
qu’elle est par l’omniprésence de la mort, ces personnages symboles de l’homme, qui s’illusionne sur son pouvoir sur les choses et sur
le monde, qui croit pouvoir échapper au lot de tous et qui vit cette « Comédie humaine » qui s’achèvera dans le néant.
Ainsi, tous ces documents supposent des intentions qui peuvent être fort variées mais qui se rejoignent pour offrir au public
un véritable spectacle destiné à l’éclosion de toutes les émotions.
II. ECRITURE : VOUS TRAITEREZ ENSUITE L'UN DE CES TROIS SUJETS AU CHOIX (14 ou 16 POINTS)
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1. COMMENTAIRE ORGANISE
Vous commenterez l'extrait du Mariage de Figaro, du début jusqu'à « Chiens de chrétiens », (pour les séries technologiques, à partir
du parcours de lecture suivant :
- Montrez combien la mise en scène pourrait être importante pour cette scène.
- Cette pièce a été en partie censurée lors de sa création en 1784. Analysez quels éléments dans l'extrait ont pu entraîner cette
interdiction.)
La suite ne répond pas tout à fait au sujet proposé que nous traiterons ensemble à l’oral mais constitue un support pour la
lecture analytique du texte dans les objets d’étude argumentation et courant des Lumières
(Cours parfois inspiré par des propositions d'autres professeurs)
INTRODUCTION GENERALE
Suite du Barbier de Séville, Le Mariage de Figaro en reprend les personnages. Cependant, la situation a bien changé : le
Comte, qu’on avait connu passionnément épris de Rosine, s’est détaché d’elle. Il entreprend de conquérir la fiancée de Figaro,
Suzanne, qui l’a avoué à la Comtesse. Pour le démasquer, la Comtesse demande à Suzanne de donner rendez-vous au Comte, afin d’y
aller à sa place, déguisée. Figaro, qui a intercepté le billet fixant le rendez-vous, croit à la trahison de Suzanne. Il s’y rend pour
démasquer les coupables. En avance, il laisse éclater sa jalousie, son chagrin, mais surtout sa colère.
"Le Mariage de Figaro, c'est la révolution en action" a-t-on pu déclarer à propos de la pièce de Beaumarchais publiée en
1784 après de multiples retards et interdictions. Effectivement, même si l'auteur s'est montré parfois plus modéré, son œuvre présente
des critiques et des revendications d'une grande violence. C'est le cas dans la scène 3 de l'Acte V qui nous présente un monologue
dramatique, véritable "parabase" (arrêt dans l'action) particulièrement long et difficile à jouer.
Nous montrerons comment le long discours de Figaro, véritable performance d'acteur, permet à Beaumarchais d'introduire
sur un ton très emphatique et parfois comique, après une critique traditionnelle des femmes, en même temps qu'un rappel de sa vie
passée, une critique sociale acerbe aux accents pré-révolutionnaires.
COMPOSITION DETAILLEE DE L'ENSEMBLE DE LA SCENE
I. Du début jusqu'à "benêt"
Introduction centrée sur la critique des femmes et leur tromperie prétendument traditionnelle. Emphase dans l'exclamation répétitive
du début. Après une espèce de proverbe, image d'une "nature" spécifiquement féminine (cliché) : "tromperie instinctive".
Généralisation conventionnelle insistant sur des défauts qui induisent une image négative mythique de la femme (Figaro s'oppose ici
comiquement au parti pris "féministe" de Beaumarchais qui défend les droits de la femme et, en refusant les généralisations,
revendique le relativisme comme tous les penseurs du XVIIIème siècle). Ce développement est comique car en contradictions directe
avec tous les discours précédents des Figaro. Comique de caractère accentué par l'emphase dérisoire du ton.
II. De "Non Monsieur le Comte" jusqu'à "jouter"
Virulente critique sociale contre la noblesse. F. met en parallèle le manque de mérite des classes dirigeantes qui ont obtenu tous les
privilèges sans aucune peine et la "débrouillardise" nécessaire des gens issus d'un milieu modeste pour sortir de leur condition
misérable.
C'est une critique des privilèges de classe que reprendront les révolutionnaires.
F. se lance dans un monologue imaginaire adressé au Comte qu'il considère comme un adversaire opposé à lui puisque non préparé à
lutter à cause des privilèges de sa naissance ("et vous voulez jouter" ? = se battre, se mesurer comme dans un tournoi). Le ton est très
vif en même temps que rhétorique (importance des exclamations, des pauses, des jurons, énumérations, quaternaires, notamment,
hyperboles)
III. De "on vient" jusqu'à "Il s'assied sur un banc"
Transition qui nous replonge dans l'action. Fausse alerte, ce qui permet de rompre le risque de monotonie du monologue et de le
relancer. Humour de Beaumarchais : "sot métier de mari" : celui de surveiller son épouse adultère.
IV. De "est-il rien de plus bizarre" jusqu'à "désabusé"
Reprise allongée du monologue que Figaro a tenu Comte qu'il venait de retrouver à l'Acte I scène 2 du Barbier de Séville. Long retour
en arrière sur sa vie trépidante et picaresque (tradition née en Espagne : picaro, personnage d'origine modeste élevé par des bandits et
qui va vivre mille aventures souvent centrées autour du voyage).
1. 1ère ligne : introduction
2. jusqu'à "repoussé" : les "enfances du héros" : typiques débuts picaresques
3. Le premier métier, vétérinaire : (mais des études scientifiques. Prototype du bourgeois du XVIIIème siècle, curieux de
tout).
4. jusqu'à "sans emploi" : Les métiers de plume (Figaro écrivain)
 1ère tentative : l'auteur dramatique (pièce inspirée par les goûts orientalistes de l'époque, cf. les Lettres persanes
des Montesquieu).  Débat comique caricatural qui entraîne une critique de la censure (cf. Barbier de Séville).
 2ème tentative : les écrits économiques et l'emprisonnement  2ème critique de la censure et revendication de la
liberté d'expression. L'emprisonnement (cf. Bastille ou Château de Vincennes)
 3ème tentative : "le journal inutile" paradoxe comique  3ème critique de la censure
Beaucoup d'humour et d'esprit dans ces différentes critiques. Beaumarchais règle ses comptes comme il l'avait déjà fait dans Le
Barbier de Séville
5. Le joueur de cartes après des tentatives désespérément infructueuses : Banquier de pharaon
3
 Les gens n'obtiennent pas un emploi pour leur qualification mais par recommandation. ("piston")
 Seule la richesse est reconnue ; peu importe la provenance de l'argent.
S'assortit d'une critique sur la malhonnêteté foncière des gens même "comme il faut". Corruption généralisée.
6. Après la tentation du suicide, le retour à l'ancien métier : barbier (il s'occupait également de médecine  vétérinaire
 ligne 83 "cuivre anglais" : permet d'aiguiser les rasoirs.).
7. Résumé éclair du Barbier de Séville et du Mariage de Figaro  + indications scéniques qui relancent chaque fois le
monologue.
8. Méditation conclusive sur la destinée humaine, profondément imprégnée de la philosophie du XVIIIème siècle :
Problème du hasard, du déterminisme, mais aussi échos des préoccupations scientifiques dans une série d'interrogations sans
réponses. Interrogation sur le "Moi" : énumération des différents personnages qui se succèdent dans la vie tour construire l'individu.
Egalement, auto-analyse du personnage : éloge de la paresse, hédonisme, comme cela apparaissait déjà dans la scène 2 de l'Acte I du
Barbier de Séville
V. De "Suzon" jusqu'à la fin : le retour à la situation présente avec l'allusion à son désabusement qui lui rappelle son inforune
ANALYSE COMPOSEE RAPIDE DE L'ENSEMBLE DU MONOLOGUE
I. Du désespoir à la révolte
La colère de Figaro, qui parle " du ton le plus sombre ", introduit d’emblée le spectateur dans un univers en totale rupture avec celui,
vif et plein de gaieté, des actes précédents. L’invocation initiale situe la scène à la fois dans la généralité et dans un rapport étroit avec
l’intrigue : Figaro entame son monologue sur un commentaire de sa situation. Emu, comme le montrent les répétitions et les coupures
du discours, il est d’abord plongé dans une sorte de fatalisme à peine mis en doute par la tournure interrogative : " nul animal créé ne
peut manquer à son instinct : le tien est-il donc de tromper ? " Son indignation se transforme vite en révolte, cependant, le fatalisme
cède la place à la colère quand le valet cesse d’envisager Suzanne pour penser à son maître, et par là à lui-même.
II. Un conflit irrésolu
Le texte commence à prendre sa véritable allure, en effet, lorsqu’au lieu de s’adresser à l’éternel féminin, Figaro s’adresse au comte.
L’apostrophe dynamise le discours, tout comme l’absence du comte autorise le valet à dire tout ce qu’il a sur le cœur. Cette
conjonction entre la deuxième et la troisième personne permet au conflit de se dire, enfin, à découvert. En son absence, et sans
déguiser son discours, Figaro peut enfin dire non à son maître. Un refus dramatisé par la répétition : " Non, monsieur le Comte, vous
ne l’aurez pas... vous ne l’aurez pas ". La détermination qui s’affiche ici signale un passage de la soumission (au destin, à la nature des
femmes, au pouvoir du comte) à la révolte. C’est sur la base d’une émotion violente que se joue ce changement de posture, qui prend
la forme d’une véritable conversion : Figaro biaisait et jouait, jusque-là ; à présent, il lutte.
III. Elargissement du débat
Ce changement de posture a pour corollaire une remise en cause de toutes les données de la vie de Figaro. L’autobiographie arrive,
mais avant de dire " je ", le valet accomplit une libération théorique et politique vis-à-vis de toutes les hiérarchies dans lesquelles il est
pris. Quitter la soumission, c’est nécessairement remettre en question le pouvoir du comte, et par là sa valeur, dans un monde où le
pouvoir se fonde théoriquement sur la valeur. De là cette scandaleuse redistribution de la valeur, définitivement déconnectée du
système ancien (valeur = naissance) pour donner naissance au système moderne : la valeur, ce sont le talent, l’effort, le travail, la
science et les calculs. Figaro assoit sa révolte sur la ruine de ce qui fondait sa soumission. C’est au moment où le destin l’écrase, où la
fatalité semble devoir l’emporter, qu’il accomplit l’effort théorique qui le libérera définitivement de toute fatalité, qu’elle soit sociale
ou biologique.
COMMENTAIRE COMPOSE DU RETOUR EN ARRIERE DE FIGARO SUR SA VIE PASSEE
I - Un picaro
A. L’origine sociale
Figaro a passé toute sa jeunesse sans connaître ses parents. Il n’avait donc pas de statut social, puisqu’il n’a pas d’état civil, encore
moins de naissance. Comme ses modèles espagnols, l’ignominie sociale le caractérise. Toutefois, contrairement à Pedro del Rincon, il
refuse de verser dans l’illégalité : il se " dégoûte " des mœurs des bandits et veut " courir une carrière honnête ". Il affirme donc sa
liberté de conscience.
B. Les activités
En bon picaro, Figaro a enchaîné les activités. Tout l’extrait est construit sur une parataxe, qui, en supprimant les liaisons temporelles,
crée une forte impression d’accumulation. Ainsi, Figaro est d’abord " bandit ", puis étudiant, puis " vétérinaire ", puis auteur
dramatique et philosophique, puis rédacteur, et enfin " banquier de pharaon ", le tout en passant par la prison. Cette variété des
activités, et la rapidité avec laquelle elles s’enchaînent montrent l’habileté de Figaro et sa capacité à s’adapter. Le motif de l’écrivain
suggère une forte parenté entre le personnage fictif et son créateur, il suffit pour cela de lire une biographie de Beaumarchais, pour y
sentir l’âme de l’aventurier.
C. La quête de la subsistance
Lorsque Figaro mentionne ses différentes activités, il en explicite souvent les motivations. Or, elles sont très concrètes, il s’agit de
survivre : " et, comme il faut dîner (...), je taille encore ma plume ".
De même, la peur de l’expulsion force à produire un essai économico-philosophique : " Mes joues creusaient, mon terme (pour son
loyer N. D. P.) était échu ; je voyais de loin arriver l’affreux recors " (espèce d'huissier N. D. P.). Enfin, devenu banquier de pharaon,
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Figaro constate amèrement sa réussite d’alors : " alors, bonnes gens ! je soupe en ville ". On voit donc que l’accumulation des
activités ne s’est pas forcément faite par goût du changement, mais plutôt par nécessité économique.
II - L’obstacle social
A. Le talent
Figaro a tous les talents. Il a d’abord une bonne nature : " élevé par des bandits ", il refuse de suivre leur voie. Il est intelligent, ce que
montrent ses études : " J’apprends la chimie, la pharmacie, la chirurgie ". On remarque qu’il n’évoque pas de difficultés, et le présent
de narration allié à la brièveté de la phrase et à l’asyndète donne une impression de rapidité, synonyme ici d’aisance. Ensuite, il est
motivé : il se " jette à corps perdu dans le théâtre ". Enfin, il n’est pas contrariant, " auteur espagnol ", il choisit un sujet qui ne remet
pas en question la société espagnole : " je crois pouvoir y fronder Mahomet sans scrupules ".
B. Mérite et Société
Son mérite ne permet pas à Figaro de réussir. Talentueux médecin, on lui donne tout juste une " lancette vétérinaire ", alors qu’il
bénéficiait de " tout le crédit d’un grand seigneur ". Chacune de ses entreprises rencontre un obstacle : " partout je suis repoussé ". Le
participe passif suggère une force s’opposant à lui, mais qu’il ne précise pas. Cette force, c’est le conservatisme social, qui ne
reconnaît pas le mérite individuel, mais la naissance. Finalement, cette société pousse les hommes mal nés à la malhonnêteté,
puisqu’elle les empêche de réussir honnêtement. Dès lors, Figaro devient " banquier de pharaon ", entrant dans le domaine de la triche
professionnelle. Or, c’est cette activité qui lui donne de la reconnaissance : " les personnes dites comme il faut m’ouvrent poliment
leur maison ".
La critique sociale est donc assez virulente.
C. Critique politique
Ce sont aussi les pouvoirs politiques qui empêchent Figaro de réussir. Il dénonce tout d’abord la complaisance du pouvoir à l’égard de
la religion. Ainsi, sa comédie est " flambée pour plaire aux princes mahométans ".
Il dénonce aussi le pouvoir politico-économique. Son essai lui vaut d’être envoyé en prison, sans que les causes lui en soient
précisées. L’injustice des détentions arbitraires, des lettres de cachet, est ainsi évoquée : " ces puissants (...), si légers sur le mal qu’ils
ordonnent ".
Enfin, la censure est plaisamment attaquée, par antiphrase : " il s’est établi un système de liberté ", suivi par la liste des interdictions,
si longue qu’elle finit par réduire à néant la liberté évoquée plus haut, ce qui n’empêche une vérification finale par " deux ou trois
censeurs ". Non seulement Figaro dénonce, mais il montre l’absurdité.
III - La distance
A. La colère
Figaro n’est pas détruit par ce système, il se révolte contre lui, comme le montre sa colère : " Que je voudrais bien tenir un de ces
puissants ". L’origine de sa colère, c’est bien sûr la jalousie, la colère, contre un homme, socialement mieux placé que lui, qui cherche
à lui enlever son bien. Mais, cette situation devient emblématique d’une situation plus générale, celle de l’écrasement du faible par le
fort, celle de l’abus de pouvoir. Figaro éprouve donc une envie de violence presque physique, il voudrait " tenir " le comte, mais cette
violence, il la cantonne au langage : " je lui dirais... "
B. Grandeur de l’homme dans son langage
Figaro montre sa grandeur et sa dignité par son style. Il donne ainsi une véritable leçon à ses destinataires absents (" ces puissants de
quatre jours "), en enchaînant les maximes, comme l’indiquent les présents de vérité générale : " je lui dirais ... que les sottises
imprimées n’ont d’importance qu’aux lieux où on en gêne le cours ; que sans la liberté de blâmer... ". Le rythme donne l’impression
d’une envolée lyrique, montrant l’inspiration de Figaro, et sa maîtrise du langage qui lui permet de ridiculiser les " petits hommes ".
C. L’humour
Malgré toutes ses mésaventures, Figaro peut encore rire et faire rire de l’injustice. Ainsi, le séjour en prison devient, par euphémisme,
une " retraite économique ", ce qui montre qu’il ne se laisse pas abattre. De même, pour dénoncer les injustices, il a recours à
l’hyperbole et à l'accumulation, qui montre l’absurdité des situations : on "se plaint que j’offense dans mes vers la Sublime Porte, la
Perse, une partie de la presqu’île de l’Inde (...)". Tout cela permet d’attirer la sympathie du spectateur, d’autant plus que le personnage
possède un véritable art du récit qu’il rend vivant par les présents de narration, l’enchaînement rapide des événements, un sens du
détail concret, du trait, comme la peinture caricaturale de " l’affreux recors, la plume fichée dans sa perruque ".
Personnage plein d’humour, d’esprit, se caractérisant jusqu’alors par sa légèreté de ton, Figaro devient dans ce monologue un virulent
contestateur, tout en gardant un ton humoristique, qui lui conserve la sympathie de tous les publics (la pièce fut jouée à la Cour de
Louis XVI par la Reine et le frère du Roi). Ce monologue montre aussi pourquoi la pièce a été longtemps interdite par décision royale.
CONCLUSION SUR L'ENSEMBLE DE LA SCENE
Ainsi cette scène, ce "morceau de bravoure", qui se présente comme une gageure et qui est fondée sur la convention du monologue
dramatique, parvient, malgré sa longueur à maintenir notre intérêt. Ce n'est certes pas du point de vue de l'action, puisque, loin de la
faire progresser, elle l'arrête. Mais c'est grâce à son humour fondé sur la vivacité, l'exagération, les mots d'auteur, les paradoxes ; c'est
grâce à l'éclairage qu'elle confère à la personnalité de Figaro, en même temps que sur celle de son créateur dont l'existence
mouvementée a fortement influencé celle de son personnage ; c'est enfin grâce à la critique sociale fortement polémique :
revendication de la liberté d'expression, crique de la censure, de la corruption, des mœurs sociales ("piston", cupidité) et des privilèges
de l'aristocratie qui ne sont fondées sur aucun mérite. Figaro, dépassant en ceci son auteur, est le prototype de cette bourgeoisie
conquérante qui renversera l'Ancien Régime.
Autre conclusion proposée par un autre professeur :
Cette longue tirade n'apporte rien à la dramaturgie, mais constitue un extraordinaire règlement de comptes avec la société. Ce brûlot
lancé contre l'Ancien Régime reprend les grands combats menés tout au long du XVIII ème siècle par les philosophes et les
5
Encyclopédistes : les atteintes à la liberté d'expression et de pensée, à la création littéraire sont ici dénoncées ; la condition de l'artiste
et de l'homme de génie, dans une société qui ne reconnaît que le nom et la naissance, est aussi remis en question ; l'arbitraire royal, les
pouvoirs exorbitants des privilégiés, ces "puissants de quatre jours", la censure sont évoqués avec des accents d'indignation qui
annoncent le ton des futurs révolutionnaires. L'injustice de cette société apparaît plus puissamment encore dans le destin de Figaro,
traversé des expériences de Beaumarchais lui-même. En faisant de son personnage son porte-parole, l'auteur affirme son humanisme.
Des idées novatrices, certes il en a, mais pour l'homme qui, seul, justifie son engagement ; pour l'homme, le respect de ses droits
naturels - selon les aspirations des penseurs du XVIIIème siècle - pour son épanouissement, son bonheur, notion nouvelle que chacun
des philosophes a cherché à redéfinir.
Au-delà du règlement de comptes d'un personnage, d'un auteur, avec une société inégalitaire, il faut percevoir dans cette
longue tirade que Beaumarchais "retailla" mais refusa de supprimer, l'expression d'un état d'esprit qui faisait alors son chemin dans le
peuple ; l'écrivain devient alors, par le biais de son héros, l'interprète de la nation.
2. DISSERTATION
(Sujet et corrigé adaptés et complétés à partir des propositions d'un collègue)
Sujet : Dans un ouvrage général sur le théâtre de Jean Duvignaud et Jean Lagoutte, il est écrit que le vrai public est celui qui va au
théâtre pour « passer une soirée ».
Pensez-vous aussi que le théâtre est un divertissement ? Peut-il présenter d’autres fonctions ?
Vous répondrez à cette question en un développement composé, prenant appui tout à la fois sur les textes qui vous sont
proposés, ceux que vous avez étudiés en classe, vos lectures personnelles et votre expérience de spectateur.
Introduction
Si le dernier tiers du vingtième siècle a cultivé le loisir et multiplié les formes de divertissement (sports, cinéma, télévision),
il existe encore un public pour un genre fort ancien, le théâtre. On peut se demander pourquoi. Peut-on penser, comme Jean
Duvignaud et Jean Lagoutte, qui l’écrivent dans un ouvrage général, que le vrai public est celui qui va au théâtre pour « passer une
soirée », revendiquant ainsi la fonction surtout divertissante du genre dramatique ? Ne doit-on pas cependant distinguer des types de
théâtre, avec des objectifs et des fonctions multiples qui parfois se conjuguent ?
I. Le théâtre ne paraît-il pas avant tout un spectacle visant au divertissement ?
A. Le théâtre est une fête
1. Un décor inhabituel et festif
Velours de la salle, pompe et faste.
Habits du spectateur
2. Sur la scène : costume, fards, décor, lumières, musique  mise en scène
3."Le théâtre n'est pas un théorème mais une fête" Giraudoux : il ne cherche pas à démontrer ; il cherche à montrer.
B. Tout spectacle crée une évasion, déconnecte, crée une illusion.
Echapper au quotidien
Monde de l'imaginaire, du factice, de la convention (double énonciation, a parte…)
C. Mais aussi proximité des comédiens  spectacle vivant, donc plus divertissant
D. Les spectacles à vocation avant tout divertissante
1. Les procédés
Caricatures humaines, comique de situation, quiproquo, coup de théâtre, dénouement heureux, miraculeux
2. Les registres et les exemples : se divertir c’est souvent rire, mais aussi pleurer, vibrer
 Toutes les variétés du comique
Le théâtre de foire au Moyen Age, qui s’adresse à un public très populaire, les farces, tout le vaudeville, le théâtre de Boulevard avec
l’histoire ridicules des petites gens (Labiche, Feydeau) le café-théâtre sont surtout divertissants
Certaines comédies de Molière, Achard, Guitry
 Le mélodramatique : Les deux orphelines
 Le pathétique : La dame aux camélias (immense succès au XIXème siècle du roman de Dumas fils monté pour le théâtre)
 « Happening »: défoulement collectif.
II. Ne doit-on pas cependant distinguer des types de théâtre, avec des objectifs multiples qui parfois se conjuguent ?
A. La fonction « cathartique » du théâtre, et surtout de la tragédie antiques
Liée au départ au rituel dionysiaque, (Dionysos, puis Bacchus, dans la culture latine : dieux du vin, célébrés par de grandes fêtes
orgiaques) ; elle a pour but de susciter la terreur et la pitié chez le spectateur : en montrant les conséquences catastrophiques des
passions, la tragédie purge l’âme de ces mêmes passions, c’est la « catharsis ».
B. Le théâtre au Moyen Âge : "mystère" = représentation de la vie des Saints, en même temps que les farces
populaires
Dimension métaphysique et populaire
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C. La définition du théâtre classique qui avoue ses objectifs (cf. Boileau) : « plaire et instruire » pourrait
s’appliquer à nombre d’autres œuvres et projets dramatiques.
1. La tragédie : thème et héros nobles avec un but moral.
Ex : les conflits cornéliens : celui entre l’amour et le devoir dans Le Cid
2. La satire
Dans la comédie, le rire n'est pas toujours le but unique ou n'est qu'un moyen d'agir sur les spectateurs ; Il vise la critique sociale :
plaire et toucher, toucher pour dénoncer, porter à la conscience.
 Cf. Molière dont tout le théâtre propose une satire psychologique (L’Avare, Le Malade imaginaire) et surtout sociale (Le
bourgeois gentilhomme, les faux dévots avec Tartuffe et Dom Juan)
 Le théâtre de Marivaux, qui, s’il joue la comédie de l’amour, se fait aussi l’écho des rapports entre les classes sociales et
notamment les relations maître-valet (L’île des esclaves), ou comme dans le texte du corpus, entre les hommes et les femmes.
 La trilogie de Beaumarchais : critique de l’arbitraire des classes dominantes, de la censure, de l’absence de liberté, d’égalité
sociale
 De nos jours, beaucoup de pièces satiriques aussi : le théâtre de Yasmina Réza (Art qui critique les snobs amoureux aveugles d’un
certain art contemporain), Le Vagin qui donnant la parole à l’organe féminin revendique pour la condition féminine
D. Le théâtre moderne qui refuse la distinction des genres et des registres poursuit aussi plusieurs objectifs : politique,
philosophique ou métaphysique
1. Le théâtre à thèse
Défense d'une idée, support d'une philosophie, d’une position politique (cf. le théâtre de Brecht)
2. Un certain théâtre d'avant-garde
qui montre et ne raconte pas, pose des problèmes et ne résout rien, tient le spectateur en éveil, lui propose même plusieurs
dénouements.
3. Les « farces tragiques »
La nouveauté des « farces tragiques » de Ionesco ou de Beckett réside dans une interpénétration si étroite des registres comique et
tragique qu'il devient impossible de les distinguer. Comme l’écrit Ionesco dans Notes et contre notes : « Le comique étant l'intuition
de l'absurde, il me semble plus désespérant que le tragique. [...] Le comique est tragique et le tragique de l’homme, dérisoire ».
Ainsi, les personnages d’En attendant Godot (1953), de Beckett, sont des clowns qui se lèvent et s'assoient mécaniquement, en
échangeant des plaisanteries parfois grossières. Mais ces procédés, dignes de la farce, accompagnent ou expriment des réflexions
inquiétantes sur la déchéance physique, la vie, la mort. De même, La Cantatrice chauve (1950), de Ionesco, multiplie les incohérences
verbales. Mais ces incohérences traduisent une « tragédie du langage », celle qui consiste à user du langage, même de manière
grammaticalement correcte, pour ne rien dire, pour s'éviter de penser. La pièce exprime ainsi le grand problème de
l’incommunicabilité.
Quant au Roi se meurt, pantin grotesque, pitre tragique aux gesticulations dérisoires, il exprime toute l’angoisse de l’homme devant
l’inéluctabilité de sa mort.
Le comique peut ainsi être tragique. Les notions se confondent. En effet, face à la mort, il y a deux attitudes possibles : la prendre au
sérieux, et c'est le registre tragique ou la tourner en dérision. Au metteur en scène, au lecteur, et au spectateur de trancher.
Conclusion
Ainsi, la fonction divertissante du théâtre est-elle indéniable. Toutefois, l’expression « passer une soirée » de Jean Duvignaud
et Jean Lagoutte qui caractériserait le « vrai public » est bien réductrice. On continue, certes, à aller au théâtre pour échapper à la
réalité, rire, pleurer, s’émouvoir dans un décor inhabituel, parfois fastueux en tout cas, conventionnel, comme l’est toute la relation du
spectateur au spectacle dramatique. Toutefois, la sollicitation des émotions est rarement gratuite. Souvent, le dramaturge poursuit un
autre but : informer, dénoncer, interroger, réveiller, inquiéter.
Cela étant, de nos jours, le théâtre est concurrencé par de multiples formes de divertissement. Ce n’est pas un spectacle si
facile à appréhender, ni aussi populaire qu’il le fut. Beaucoup de gens, d’élèves, avouent s’y ennuyer. Mais, il reste un spectacle prisé
par un public important, comme le témoignent le succès permanent du festival d’Avignon et la prolifération d’autres manifestations
culturelles espérant l’exceptionnelle réussite du grand aîné créé par Jean Vilar.
3. INVENTION
Vous rédigerez la critique de la pièce de Ionesco, Le Roi se meurt, que vous avez vue en vidéo dans la mise en scène de Jorge Lavelli.
Cf. : 2 travaux d’élèves, ceux d’Emmanuelle Bambara, 1ère BIO 2, et de Sylvain Laugier 1ère S2 que l’on améliorera en groupes.
Au théâtre de l’Odéon,
Le Roi se meurt de Ionesco, par Jorge Lavelli
23 novembre 1976 : Les Parisiens sont nombreux à pénétrer avec moi dans cette salle de l’Odéon
pour assister à la première du Roi se meurt dans une mise en scène dirigée par Jorge Lavelli de La
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Comédie Française, après la création de Jacques Mauclair en 1962, qui l’a triomphalement reprise en
1966. Lavelli rencontrera-t-il autant de succès ?
Au moment de prendre place, nous nous retrouvons face à une vaste scène jonchée de détritus.
Dans le décor sombre et délabré signé par Max Brignens, murs humides, tentures moyenâgeuses, portes
gothiques démesurées, se détachent une échelle sur le côté et les « trônes royaux », en fait un fauteuil
surélevé de trois marches et de part et d'autre de la scène, deux rustiques chaises de cuisine. Une
grande cloche surplombant la scène diffuse une lumière très blanche, comme celle d'une salle
d'opération. Cet éclairage variera tout au long de la pièce pour accompagner la dégradation du décor, des
personnages et de la situation.
Une musique discordante et décalée, composée par André Chamoux, dans ce décor dérisoirement
royal signale le début de la pièce. Annoncées solennellement par un Garde, pas très frais, coiffé d'un
béret noir très enfoncé, bras en écharpe et soutenant une hallebarde, les apparitions successives,
brèves, mais néanmoins significatives, des personnages : d’abord le Roi, curieusement vêtu d'un vieux
manteau de mouton sans manches, qui se prolonge par une longue traîne rouge garnie de franges dorées à
moitié déchirées découvrant un pyjama trop grand, rayé et délavé. Il a des pantoufles, un semblant de
sceptre à la main et une couronne en tôle. Suit un étrange cortège, deux en réalité : la reine Marguerite,
marchant majestueusement dans sa robe noire très abîmée à traîne rouge, porte de longs gants noirs sur
lesquels se détache une montre. Sa perruque est écarlate ; elle est escortée par Juliette, suivante de
parodie, femme de ménage et infirmière, qui arbore une robe grise à petites rayures et un tablier en
jean, des gants de caoutchouc d’un jaune éclatant (ils seront rouges, plus tard avec son costume
d’infirmière). Paraissant de l'autre côté de la scène, par la porte opposée, montrant ainsi symboliquement
son opposition avec la reine Marguerite, suivie elle aussi de Juliette, la reine Marie traverse la scène
dans une robe de dentelle grise à traîne rouge ; on croirait une danseuse de bastringue drapée dans un
vieux rideau qui laisse entrevoir un bustier rouge et des bas noirs ; sa perruque est blonde. Les deux
reines sont coiffées d'une couronne en tôle semblable à celle du roi.
Le Médecin, chirurgien, bactériologue, bourreau et astrologue à la Cour, mystérieux dans son long
manteau noir, ses lunettes et son haut-de-forme, achève ce défilé bizarre qui ressemble davantage à une
parade de cirque.
D’entrée donc, anachronismes, burlesque et dérision vont permettre la démythification de la
tragédie pourtant suggérée par le titre de la pièce.
Le Roi se meurt : ce titre annule d’emblée tout suspens et toute dimension dramatique. Le compte
à rebours vient de commencer. « Tu vas mourir dans une heure et demie. Tu vas mourir à la fin du
spectacle », assène froidement la reine Marguerite à un roi incrédule. Nous allons assister à la lente
agonie de Bérenger Ier, tiraillé entre les deux reines - deux figures à la fois antagonistes et
complémentaires de la mère, aimante et terrible qui donne la mort en même temps que la vie, - à ses
refus terrifiés, sa longue résistance, sa résignation à sa mort inéluctable.
Christine Fersen, en reine Marguerite, et Tania Torrens, en reine Marie attentive et quelque peu
agaçante (Mais qu’elle se taise !), vont s'opposer continuellement. Marguerite, impitoyable, tend
inexorablement vers un seul but : réussir La Cérémonie : mener le Roi vers sa mort. Marie, inconsciente,
tente de le retenir dans la vie alors même que cela risque d’entraîner la disparition définitive d’un
royaume déjà bien dévasté et que, de toute façon, tout est joué. Béranger va être manipulé, infantilisé,
sénilisé. Il va passer par des crises d'égoïsme, de régression, de solipsisme, de résignation, pour
finalement tomber en transes et « disparaître dans une sorte de brume ».
Le thème est morbide, désespérant, désespéré, et pourtant on rit : Le Roi se meurt révèle
rapidement sa dimension métaphysique et symbolique de farce tragique. On trouve ainsi, accompagnées
d’airs grinçants de boîtes à musique, de comptines, de cantiques ou d’incantations, mêlées au tragique, au
pathétique, au fantastique, des scènes comiques, farcesques, burlesques et dérisoires et aussi des
scènes de pure poésie et de profond lyrisme. Oui, car si la mort est un sujet d’angoisse existentielle - et
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essentielle - de l'être humain, Ionesco n'a pas hésité à glisser dans son œuvre des passages loufoques,
provoquant irrémédiablement l'hilarité.
Ainsi, quand Bérenger Ier, le Roi, se lance dans son cantique au soleil, son égoïsme et son refus de
mourir atteignent leur paroxysme, lui refusant la pitié du public. Quand il tente maintes fois, en vain, de
prouver sa force à la fois physique et psychologique, il déchaîne les rires. Et quand enfin Marguerite
l'entraîne sur le chemin de la mort dans un monologue tout à la fois poétique et fantastique, son attitude
émeut profondément le spectateur.
Jorge Lavelli, même s’il a souvent tronqué le texte initial, condensant encore la crise tragique,
sert ainsi admirablement les intentions de Ionesco telles qu’elles se dévoilent dans les didascalies très
nombreuses et précises de la pièce. Sa mise en scène va plus loin encore dans le contraste burlesque.
Mais c’est dans la distribution et la direction d’acteurs qu’il a réussi à imposer sa marque. Si certaines
interprétations sont parfois inattendues - celles de Marguerite qu’on aurait imaginée physiquement
différente, sans âge, presque sans sexe, ou de Juliette, Catherine Hiégel, que l’on préfèrerait parfois
moins emphatique, plus légère, plus cocasse - le garde, Michel Duchaussoy, dans son ahurissement, le
médecin, François Chaumette, dans sa froideur inhumaine et inquiétante derrière ses lunettes noires
sont tout à fait dans la note ionesquienne, même si notre académicien les présentait autrement dans ses
indications scéniques. Toutefois, la trouvaille, c’est Michel Aumont ! Terrifié, lâche, piteux, monstrueux
d’égoïsme, pantin dérisoire, clown tragique au masque blanchi, irrésistible de drôlerie, burlesque et
pathétique, ce comédien au visage lunaire qui geint, pleurniche, tombe, se relève, gesticule, hurle, excelle
dans son rôle. Il incarne ainsi, à travers le roi, toute la « comédie humaine », toute l’angoisse de l’individu,
enfin désillusionné sur son pouvoir sur les choses et lui-même, face à sa mort et au néant inévitables.
Cette représentation, fidèle donc au dramaturge et pourtant originale, parvient en une soirée à
susciter rire et pitié, surprise, angoisse et horreur grâce à un mélange complexe et savant des registres,
une mise en scène inspirée, un jeu remarquable des acteurs, et l’authentique performance de Michel
Aumont.
Une pièce véritablement dérangeante...
Sylvain Laugier (1
ère
Méli-mélo (organisé) des critiques de
S2), Emmanuelle Bambara (1ère BIO2), et G. Zaneboni
Jorge Lavelli reçut, en 1977, le Prix de la meilleure mise en scène pour ce spectacle.
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