mal. Misérable puérilité qui était un faible lénitif à sa douleur, quoiqu'elle servît d'aliment à son
orgueil »
.
Puéril, arrogant et maladroit comédien, le sage stoïcien feint l’apathie interdite à
l’humaine nature de par sa sensibilité. Inspiré du christianisme, le thème de l’impossible
impassibilité est un lieu commun de l’interprétation du stoïcisme à l’âge classique et au siècle
des Lumières : on le retrouve notamment chez Descartes, Fontenelle ou Casanova
. L’historien
de la philosophie aura beau jeu de rectifier l’interprétation. D’après la doctrine stoïcienne,
l'impassibilité de la sagesse n’est pas insensibilité mais joie, plénitude et jouissance d'une
affectivité gouvernée par la raison : l’apathie est inséparable des « eupathies », qui désignent les
états affectifs de l’âme rationnelle. Par ailleurs, si Sénèque affirmait le sage invulnérable à la
passion, il admettait sa vulnérabilité à l'émotion, réaction naturelle, éphémère et irréductible à la
raison de la sensibilité aux chocs qui l’affectent. Il opposait ainsi au mégarique le sage stoïcien,
qui n’aurait pas un « coeur de pierre », froid et insensible
. Mais si Diderot interprète sévèrement
un Sénèque qu'il connaissait par ailleurs admirablement bien, il partage cette interprétation avec
la plupart des exégètes de son temps : ce serait anachronisme que de lui en tenir rigueur. L'article
"Immobile" de l'Encyclopédie reprend la condamnation de l’impassibilité dans un style lyrique :
« L'immobilité de l'apathie stoïcienne n'était qu'apparente. Le philosophe souffrait comme un
autre homme, mais il gardait, malgré la douleur, le maintien ferme et tranquille d'un homme qui
ne souffre pas. Le stoïcisme pratique caractérisait donc des âmes d'une trempe bien
D. DIDEROT, art. « Insensibilité », op. cit., pp. 222-223.
FONTENELLE, Oeuvres complètes, 3 vol., Paris, 1818, t. 2, p. 379 : "Quoi qu'en disent les fiers
Stoïciens, une grande partie de notre bonheur ne dépend pas de nous. Si l'un d'eux, pressé par la goutte,
lui a dit : Je n'avouerai pourtant pas que tu sois un mal ; il a dit la plus extravagante parole qui soit jamais
sortie de la bouche d'un philosophe. (...) N'ajoutons pas à tous les maux que la nature et la fortune peuvent
nous envoyer, la ridicule et inutile vanité de nous croire invulnérables". DESCARTES, Discours de la
méthode, I : "souvent ce qu'ils ("les païens", mais en fait les stoïciens sont visés) appellent d'un si beau
nom (la vertu) n'est qu'une insensibilité ou un orgueil". Cf. CASANOVA, Histoire de ma vie, IV, c. 13 :
"Je croirai tout Zénon lorsqu'il me dira d'avoir trouvé le secret d'empêcher la nature de pâlir, de rougir, de
rire et de pleurer".
Sur les eupathies ou « bonnes affections » de l’âme rationnelle, cf. DIOGENE LAERCE, Vies et
doctrines des philosophes illustres, VII, 116. D’après SENEQUE, le sage stoïcien connaît l’émotion s’il
n’est pas affecté par les passions (Cf. Lettres à Lucilius, 45, 9 ; 72, 3-5). Contrairement aux insensibles
Mégariques, le stoïcien « sent » les disgrâces s’il a pour vertu de les surmonter (ibid, 9, 3).