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L’aide de la mémoire sensible
L’aide de la mémoire sensible
Robin Renucci, acteur
« Le premier geste de la mémoire, la posture de la mémoire, c’est l’œil. L’œil qui va, en effet, re-décrypter,
décrypter des graphes, des signes qu’un autre a fait sur du papier. C’est ce qui nous laisse, puisque les
supports techniques, les hypomnématas, c’est comme ça que ça s’appelle, grecs, c’est à dire les supports
de mémoire qu’étaient les plaquettes de cire ou bien le livre depuis Gutenberg, ces graphes que l’homme a
posés sur du papier sont relevés par la pensée et par la voix haute. La lecture à voix haute, c’est essentiel.
Lire à voix haute, c’est retrouver le sens. Etre le premier auditeur de sa lecture et que la parole couchée là
est amenée à ce que celui qui en est le premier bénéficiaire, c’est celui qui lit. La mémoire s’inscrit déjà
comme ça. C’est une sorte de rétention qui est une rétention primaire, qui vient à la première lecture. Alors,
quand on est acteur et qu’on sait qu’on va jouer une pièce, et bien, c’est le premier geste. Ca s’inscrit d’une
certaine manière. Voilà, tout à coup on voit que c’est écrit en quatrains, en alexandrins. Ou bien à la page
douze, il y a une page entière de graphes, comme ça, qui est là et dont on sait, le premier geste de l’acteur
c’est que je sais qu’à ce moment là, je vais avoir ça. Parfois, c’est plus ! Parfois, c’est dix pages ! Pendant
dix pages, il a mémorisé ce premier regard. Dans une pièce que je joue en ce moment, je parle trois quarts
d’heure. Tout d’un coup, on se met à parler. Alors, on sait que là, il va falloir travailler sa mémoire. Après, il y
a des supports mnémotechniques qui vont être que s’il parle, c’est qu’il a des choses à dire. Donc, c’est un
état qui fait parler. C’est un état qui amène cet autre, là, ce personnage à prendre cette parole si longtemps.
Si en revanche, il a deux mots à dire, ce n’est pas dans un sens subalterne ou supérieur, c’est simplement
qu’on sait qu’il s’exprime peu. Mais, peut-être que s’il a beaucoup à penser, c’est pour cela qu’il ne parle
pas, mais qu’il pense énormément pendant ce temps là. Donc, l’acteur mémorise déjà ce rapport là, à la
profération. Et puis, il y a certaines époques différentes. On sait que, dans le XVIIème siècle dont je parlais
tout à l’heure, c’est l’art du langage qui fait suite au baroque où on a des sortes de fioritures dans tous les
sens. Mais, là, le langage, c’est cadré, au XVIIème siècle, avec l’alexandrin, particulièrement. Alors, cette
forme de l’alexandrin amène une certaine pensée, un certain rythme. Donc, d’emblée, c’est le mouvement
de la pensée qui est mémorisé, au-delà des mots. Et après, moi, je suis quelqu’un qui n’apprend jamais,
parce que je fais ce travail de la mémoire sensible qui fait qu’après, se replaçant, un peu comme Louis
Jouvet nous dit aussi, dans les pas, dans les pas de quelqu’un qui a marché avant soi dans le sable, par
exemple. Et bien vous êtes dans le sentiment qu’il a marché de manière égale. Voilà, il a posé ses pieds, il
rêvait de manière égale. Et puis, tout d’un coup, ça s’est arrêté dans le sable. Toc ! Il a pensé ou il a vu
quelque chose. Et puis, tout d’un coup, il a marché vite et en une série de petits pas, comme ça. Puis audelà de ça, il y a des enjambées, et puis, il y a même une course. Et se replacer dans la sensibilité, dans
l’émotion, dans le graphe, donc, de ce que quelqu’un a posé là, pour parler en fait de l’émotion d’un
personnage. Et bien, il y a déjà 70% du travail de la mémoire qui est fait. Voyez ! Qui, tout d’un coup, fait
que la mémoire n’est plus un assemblage de mots de six pages ou quinze pages ou trente pages
inaccessible. Tout d’un coup, il faudrait, je ne sais par quel moyen mnémotechnique…
Voilà donc, la phonétique, c’est un support de mémoire formidable. C’est une rétention dans le cerveau qui,
tout d’un coup, se met à parler. Une suite de -i-, une suite de -ou-. Par exemple, toujours dans Molière, vous
avez un personnage qui ne parle qu’en -i- : « Ah, mon Dieu, fi. Fi, vous dis-je... La philosophie… ». Alors,
l’actrice va dire : « Ah bien tiens, je vais prendre ce support là. Tous ces -i- font sens. » On parle de
quelqu’un qui ne parle qu’avec des -i-. Voilà, avec tout ce que ça signifie. C’est à dire, un trait et un point
dessus. C’est à dire qui s’élève, tout ce qui s’élève. Et il est question de « L’Ecole des Femmes » où ce
personnage là, ne parle que de la philosophie. Donc, l’actrice va être fine à relever le chant symbolique de la
phonétique, que tous ces -i- amènent à… Alors que sa partenaire, tout son chant phonétique, c’est -ou-, pou-, -vou-, -bou-, -mou- : « Un époux… des enfants… un ménage. Ah mon Dieu fi ! Fi vous dis-je ! » Alors,
c’est à l’extrême, ce que je fais là. Mais, la rétention première de la lecture fait que, tout d’un coup… Dans
Shakespeare, c’est évident, dans les chaudrons de Macbeth, voyez là, il y a des sorcières qui parlent. Elles
font des bulles, elles font -blop-, -blop-, -blop- avec leur langue. Donc, ça s’inscrit comme ça
sensoriellement. Et puis après, qu’il y ait une page, deux pages, trois pages, et bien, ça se décrypte. »
Créé par Muriel Langbour
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