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JOURNÉES D’ÉTUDES DOCTORALES PHILOSOPHIE
POLITIQUE ET ÉTHIQUE
(Ecole doctorale Concepts et Langages, Equipe de recherche
Rationalités contemporaines)
Journée I, le 10 novembre 2004
LES DILEMMES DE L’IDENTITÉ FÉMININE :
DÉMOCRATIE ET DIFFÉRENCES
Journée organisée par Ludivine Thiaw-Po-Une ( ATER à
l’Université de Paris-Sorbonne) et par Geoffroy Lauvau (
Allocataire-moniteur à l’Université de Paris-Sorbonne)
Responsable : M. le Professeur Alain Renaut
ACTES DE LA JOURNÉE
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Ludivine Thiaw-Po-Une
Présentation :
L’idée démocratique face à la notion de genre
Mon exposé a pour seule fonction d’ouvrir cette journée dont
le thème est « démocratie et différences : les dilemmes de l’identité
féminine- ouvrir cette journée, c’est-à-dire mettre en place ce qui
va être notre problématique directrice, en repérer les enjeux, faire
ressortir quelles questions se posent à nous dans ce cadre, de
manière à permettre, dans la fin de la séance du matin, une
première discussion entre nous. Pour ce faire, je voudrais
commencer par clarifier le titre retenu pour cette présentation :
« L’idée mocratique face à la notion de genre » et les objectifs
qui seront les miens. Avant de procéder à cette clarification, je
voudrais juste dire quelques mots à propos des raisons qui nous ont
conduits à consacrer une journée d’études à cette thématique du
genre et de son traitement dans le cadre des sociétés
démocratiques. Afin de faire apparaître ces raisons, je m’appuierai
sur chacun des termes présents dans cet intitulé.
1) La notion de genre
Partons, si vous voulez bien, de la notion ou de la question du
genre. Un certain nombre d’auteurs en France se sont préoccupés
de la place à accorder dans la réflexion philosophique, et plus
particulièrement en philosophie politique, à la question de la
différence générique. Au premier rang de ces auteurs il y a bien sûr
notre conférencière de ce soir, Madame Geneviève Fraisse, dont
les ouvrages les plus récents sont La controverse des sexes ( publié
en 2001 aux Presses Universitaires de France ) et de Les deux
gouvernements : la famille et la cité (publié en 2001 aux éditions
Gallimard). Malgré de tels travaux, il n’est pas douteux que
l’importance réservée à la question du genre, et tout
particulièrement l’importance philosophique qui lui est accordée,
demeure singulièrement moins ample que celle que l’on rencontre
en Amérique du Nord ( notamment aux Etats-Unis, avec des
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auteurs comme Susan Moller Okin- auteur de Justice, Gender and
the family, 1989, décédée peu avant l’été ou encore Ann
Philipps, auteur de Feminism and politics, ou d’autres que nous
rencontrerons chemin faisant). La catégorie retenue par les libraires
d’Amérique du Nord pour cette question est d’ailleurs
expressément celle de « woman studies » ou « gender studies », où
l’on trouve une série très impressionnante de contributions et de
débats, correspondants à des enseignements spécifiques dispensés
dans les universités, y compris dans les départements les plus
prestigieux. Toutes données sur lesquelles je n’insisterai pas, mais
dont le simple repérage ne peut que nous informer du caractère
éminemment rieux de la prise en compte, particulièrement dans
ce contexte des universités nord-américaines, des problématiques
relatives à la différence générique.
Je ne vais pas entrer dans le détail des raisons qui font que la
philosophie politique nord-américaine s’exprime ainsi à foison sur
un sujet qui fait universellement problème, là nous sommes
nous-mêmes ( à quelques exceptions près ) si peu diserts. Ces
raisons peuvent tenir, entre autres, à une difficulté de la
philosophie, en France, à s’arracher à des travaux souvent très
historiens et à s’appliquer à des champs de alité, y compris en
philosophie politique. Quoiqu’il en soit, et puisque nous sommes
assez conscients, dans notre équipe de recherche et
d’enseignement, de la nécessité d’échapper à cette mise à distance
du réel, il nous est apparu tout à fait souhaitable de réunir la
cinquantaine de doctorants et de docteurs que nous comptons dans
cette équipe autour de ce champ d’interrogation puisque, c’est ce
que je voudrais faire ressortir maintenant en passant de la référence
faite au genre dans le titre de cette journée et de ma présentation à
la référence qui s’y trouve faite à la question de la mocratie,
nous pouvons aisément nous convaincre qu’il y a là, précisément,
un ensemble de questions dont la mocratie ne saurait plus
aucunement faire aujourd’hui l’économie.
Comme en effet nous le savons tous, les sociétés
mocratiques contemporaines, telles qu’elles sont nées de la prise
en compte des droits fondamentaux de l’individu et de la
promotion des valeurs véhiculées par l’affirmation de ces droits (
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celles de l’égalité et de la liberté ), ne peuvent pas ou ne peuvent
plus ne pas s’intéresser à la façon dont, de plus en plus, les
revendications des membres de ces sociétés en viennent à se
diversifier, voire à se particulariser. Je n’insiste pas sur cette
diversification ou sur cette particularisation inhérentes à la
revendication ou à l’affirmation contemporaine des droits, mais
nous savons tous comment, que ce soit par exemple sous la forme
de droits de l’enfant ( à travers la Convention internationale des
droits de l’enfant adoptée par l’ONU en 1989 ) ou sous celle d’une
réflexion sur la pertinence des droits culturels ( telle qu’elle a été
développée philosophiquement notamment par un auteur comme
Will Kymlicka et telle qu’elle constitue, à travers la lutte des
minorités culturelles pour leur reconnaissance, un enjeu de débats),
nos démocraties doivent compter avec les spécifications
croissantes des droits, tels qu’ils sont accordés ou demandés.
2) Pourquoi se préoccuper d’un traitement
philosophique de la question féminine ?
Dans un tel contexte, la question féminine ( dont on voit bien
comment elle procède elle aussi de l’affirmation de particularités)
est devenue elle aussi préoccupante, pour diverses raisons que je
relève rapidement.
Les raisons historiques
Ce qu’il y a de préoccupant tout d’abord dans ce type de
questionnement, c’est son apparition si tardive dans le champ
social. Nous savons par exemple que les femmes ne votent en
France que depuis 1944, et que nous avons été devancés aussi sur
ce terrain de la positivité juridique, cette fois par les Anglais chez
lesquels le droit de vote des femmes était déjà définitivement
acquis en 1918, presque trente ans, donc, avant ce qui s’est passé
chez nous. J’en profite pour mentionner que ce droit a été accordé
aux femmes en 1921 en Inde et en 1934 en Turquie. Cela dit,
même dans le contexte britannique, cette acquisition était elle-
me tardive, puisqu’ elle intervenait plus de trente ans après la
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mort de John Stuart Mill, qui avait écrit en 1861 avec la
collaboration active en me temps que motrice de sa compagne
Harriet Taylor, l’essai intitulé The Subjection of women, publié en
1869, qui reste l’un des classiques de la question, et qui s’était
aussi consacré à cette cause au plan pratique et politique pendant
son mandat de député à la Chambre des Communes. Il y a donc
déjà ici quelque chose de déconcertant, voire de choquant, dans
l’obtention si tardive de ce droit à la participation politique, selon
une chronologie assez sensiblement décalée par rapport à la
problématisation philosophique de la question. De me, les
avancées juridiques qui ont scandé, depuis l’obtention du droit de
vote, l’histoire des droits des femmes, ont été obtenues elles aussi
difficilement et même douloureusement : je pense notamment, au-
delà de l’acquisition de la contraception, au débat sur l’avortement,
qui n’est même pas clos aujourd’hui, puisque non seulement il
secoue encore la politique des Etats-Unis, mais ne fait que
commencer au Portugal, où le droit à l’avortement n’est pas encore
acquis.
Le statut réservé à la femme dans la philosophie
politique classique.
Préoccupante me semble ensuite la lenteur du processus par
lequel la philosophie elle-même a fait évoluer sa représentation de
la femme. Comme le fait largement remarquer Susan Okin dans
Women in western political thought ( ouvrage publié en 1979 ),
l’organisation onto-cosmologique du monde dont le prototype
avait été fourni par Aristote en dit long sur le statut
philosophiquement et politiquement subalterne de la femme dans
les théories classiques de la cité. Dans son livre, Okin analyse en
effet les liens logiques qui s’établissent chez Aristote entre la
vision « fonctionnaliste » du monde et la place accordée aux
femmes. D’une manière générale, et en dépit de certains traits
intellectualistes, léthique d’Aristote se présente avant tout,
explique-t-elle, comme « la morale traditionnelle, clarifiée et
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