entrée en contact avec lui, parce qu'il est créé à l'image et à la ressemblance de Dieu,
qu'en lui existe ce qu'on pourrait appeler un programme de développement : d'un être
apparenté aux animaux, il doit devenir un être apparenté au ciel.
La seconde tradition, elle, est née dès avant le christianisme. C'est la tradition de la
pratique ascétique. Une tradition exceptionnellement importante qui comprend une grande
expérience d'introspection, de prière intérieure, de travail sur soi pour faire grandir la
personne. Originaire surtout d'Inde et de Grèce, adoptée par l'Église quelques siècles
après la manifestation sur terre du Christ, elle tend à considérer le monde extérieur
comme une chose étrangère, hétérogène, une réalité dont il fallait s'écarter, à l'égard de
laquelle il convenait de prendre ses distances.
Cette attitude se justifie-t-elle ? Bien sûr. Chacun de nous sait avec quelle énergie
l'homme qui cherche la profondeur, le silence, la contemplation, la sagesse éternelle, doit
s'écarter de la vanité, du bruit, de la vie superficielle et sans utilité qui l'entourent pour
se trouver lui-même. Concentrée sur certaines paroles de l'Évangile, arrachées, il est vrai,
à leur contexte “N'aimez pas ce qui est dans le monde” (1 Jn 2, 15 ) – cette tendance a
d'abord fait valoir ses droits dans les milieux monastiques, dans des courants particuliers
de l'Église. Puis, à mesure qu'elle se renforçait, grâce à son énergie spirituelle, elle s'est
imperceptiblement imposée, au point de quasiment occulter le principe et la source de la
divino-humanité. Or, si dans les évangiles il est dit : “ N'aimez pas le monde”, il est dit aussi
que “ Dieu a tant aimé le monde qu'il a donné son Fils unique pour le sauver ” (Jn 3, 16). [...]
Dans la pratique, cette attitude ascétique s’est révélée plutôt problématique. Le
christianisme qui ne se considère pas du monde, qui se veut étranger au monde qui
l’entoure, à l’histoire, à la création, à la culture, s’est certes développé selon sa propre voie.
Mais il n’a pu être conséquent jusqu’au bout. Il a crée, lui aussi, des valeurs culturelles. Les
monastères, tout ascétique que soit la vie entre leurs murs, ont produit des grands
peintres, des chroniqueurs, des maîtres du récit historique, des architectes. Cette
culture-là s’est forgée en dépit de la tendance fondamentale qui plaçait le christianisme en
dehors ou au-dessus du monde.
L’histoire de la culture russe a connu un véritable heurt entre ces deux tendances, un
conflit qui s’est transformé en antagonisme. Pour la société laïque du début du XIX- e
siècle, ce christianisme étranger au monde s’identifiait d’autant plus avec l’orthodoxie que
les orthodoxes eux-mêmes cédaient facilement à cette identification. Résultat : toute
initiative bascula dans le camp de ceux qui étaient “ du monde ”. La justice sociale,
l’organisation de la société, la résolution de problèmes aussi cruciaux que le servage, tout
devint du ressort de l’État, fut soustrait à l’Église. Comme si ces questions avaient perdu
tout intérêt pour les chrétiens. C’est ainsi que naquit l’indifférence envers ce monde qui
passe et qu’apparut un pénible schisme intérieur.
Durant tout le XIX- e siècle – encore que le processus ait commencé au XVIII-e siècle –
ce schisme n’a cessé de s’approfondir. Même les écrivains chrétiens comme Dostoïevski
connaissaient mal la vraie tradition de l’Église. Et que dire des représentants de l’Église qui
étaient loin du monde profane ? Il s’est développé deux langues différentes, comme
étrangères l’une à l’autre, au sens propre du mot : une langue d’église et une langue du
monde. La langue ecclésiastique à intégré quantité de “slavonismes” […], raison pour laquelle