Série : La Volonté, principe d’Amour. Conférence : 8 - La Volonté et la Prière. Nous abordons ce soir un problème capital qui relève de l'utilisation suprême de la volonté s'élevant au-dessus d'elle-même et des causes secondes pour atteindre la Cause Première. La plupart des croyants récitent des formules : ils ne prient pas, d'où leur découragement et leur dégoût de la prière. Regardez les apôtres : un jour, ils voient Jésus en prière; saisis, Sa Prière terminée, ils Lui demandent : «Seigneur, apprends-nous à prier comme Jean l'a appris à ses disciples». Voilà des hommes qui suivent Jésus depuis des mois et qui avouent ne pas savoir prier. Ils ont conscience que la prière ne vient pas de l'homme quoique l'homme ait dans sa raison la puissance de prier, mais l'acte de prière commence toujours par le Saint Esprit. Jésus répond : «Quand vous priez dit : Notre Père ... que Votre Nom soit sanctifié, que Votre Règne arrive, que Votre Volonté soit faite ...» L'intelligence cesse de regarder la complexité et le fouillis des évènements avec leurs oppositions qui nous blessent et nous heurtent pour regarder Celui en qui tous les évènements se simplifient et s'expliquent par la Sagesse qui les domine et qui les dépasse. Prier, c'est établir avec Dieu des échanges qui ont pour but de faire aboutir votre entretien avec Lui à une pensée qui soit d'accord avec Lui. Laquelle ? Votre salut. Toute prière a pour but de vous donner le sens de la Place de Dieu dans ce qui vous arrive. Cette place est peut-être, quoique pas forcément, tout à fait le contraire de ce que vous désirez, mais si vous désirez quelque chose qui va contre votre salut, la prière vous fera sentir, comprendre, deviner, que le moment est venu de changer votre point de vue par une manière nouvelle de regarder l'existence, elle vous fera participer à la Vision de Dieu sur votre existence. Prier, c'est demander de participer un peu, pour un cas déterminé ou non, à la Sagesse qui simplifie les problèmes par la Richesse de Sa Vision Intérieure des événements. La prière fait participer à la richesse de cette Vision de Dieu sur le monde : richesse d'idées, de précisions, d'illuminations, de pressentiments, d'obscure certitude, d'apaisement dans la patience. Confiance, espoir, sang-froid qui vous rendent sages dans l'épreuve, intelligent dans vos comportements, lucides dans vos décisions. La réflexion, le jugement, le désir, ont quitté la région du sous-sol des sentiments bas, avilissants, celle du sol des préoccupations matérielles, celle du ras du sol des envies de plaisirs et de distractions. Ils ont fourni toute leur puissance d'élan en s'installant dans les régions libres des pensées sans rapport avec le relatif, mais capables de donner un sens au relatif. Ecoutez l'admirable prière de Victor Hugo aux prises avec le drame de la mort tragique de sa fille : «Maintenant que Paris, ses pavés et ses marbres, Et sa brume et ses toits sont bien loin de mes yeux... Maintenant que je suis sous les branches des arbres, Et que je puis songer à la beauté des cieux» Le calme et le recul nécessaires à la prière et qui amènent l'apaisement des révoltes dans une pensée de Foi : «Maintenant, ô Mon Dieu ! que j'ai ce calme sombre De pouvoir désormais Voir de mes yeux la pierre où je sais que dans l'ombre Elle dort pour jamais; Je viens à vous, Seigneur, père auquel il faut croire; Je vous porte, apaisé, Les morceaux de ce coeur tout plein de Votre Gloire Que vous avez brisé» «Je conviens à genoux que Vous Seul, Père Auguste, Possédez l'infini, le réel, l'absolu; Je conviens qu'il est bon, je conviens qu'il est juste Que mon coeur ait saigné puisque Dieu l'a voulu !» «Je ne résiste plus à tout ce qui m'arrive Par Votre Volonté. L'âme de deuils en deuils, l'homme de rive en rive, Roule à l'éternité». «Nous ne voyons jamais qu'un seul côté des choses; L'autre plonge en la nuit d'un mystère effrayant. L'homme subit le joug sans connaître les causes. Tout ce qu'il voit est court, inutile et fuyant». Mais la révolte gronde : «Je sais que Vous avez bien autre chose à faire Que de nous plaindre tous, Et qu'un enfant qui meurt, désespoir de sa mère, Ne Vous fait rien à Vous !» Et pourtant : «Je Vous supplie, ô Dieu ! de regarder mon âme, Et de considérer Qu'humble comme un enfant et doux comme une femme, Je viens Vous adorer !» Et voici le résultat final de la prière, même la plus désespérée : «Aujourd'hui, moi qui fus faible comme une mère, Je me courbe à Vos Pieds devant Vos Cieux Ouverts. Je me sens éclairé dans ma douleur amère Par un meilleur regard jeté sur l'univers». Prier, c'est orienter les activités supérieures de l'esprit vers les régions supérieures qui leur conviennent : les régions de Sagesse. Nos jugements apprécient le relatif des évènements sans en savoir à fond le sens supra-relatif. La Sagesse, elle, épuise l'explication des choses et des êtres par la connaissance absolue qu'elle a de leur raison d'être. La Sagesse exclut la contradiction et le non-sens. Dans nos existences, nos consciences, nos évènements, beaucoup d'états d'âme sont contradictoires, ils apparaissent comme des non-sens, les causes nous échappent, les décisions s'avèrent impossibles de par les alternances d'appréciations qui se neutralisent, et n'y at-il pas même jusqu'à un surcroît de documentation qui augmente l'incertitude ? Nous touchons du doigt l'impuissance de la raison humaine à savoir et à faire savoir les causes supérieures et absolues des évènements. C'est alors que l'esprit de prière a pour but de nous faire participer à l'esprit de Sagesse en nous infusant «cette obscure clarté qui tombe des étoiles», ces états-d'âme clair-obscurs suffisamment précis pour marcher quand même et agir quand même car la prière authentique empêche de se recroqueviller sur soi-même dans la stérilité de la volonté, elle apporte des attitudes de Sagesse, donc de vie, grâce à la manière suppliante de regarder la vie avec les activités intérieures de la Foi. L'homme de prière évolue dans un état d'âme de sagesse intérieure qui prévient l'impulsion, qui interdit l'indécision et qui harmonise la réflexion. La Sagesse réside au-delà des discussions, des doutes, des passions, des rancoeurs. On la trouve dans la sérénité des certitudes et des convictions trouvées dans la prière, car elle réside en Dieu, au-dessus des contingences et des contradictions terrestres. Devant nos catastrophes secrètes, nous avons les réflexes païens de la colère, des larmes, de la révolte, du découragement, parce que, faute de contact avec la mentalité de Dieu qu'est la prière, nous ne savons pas nous réjouir de croire que le mal est fait pour être vaincu par la Sagesse qui saura l'exploiter si nous allons la chercher par la prière, que le mal relatif des événements appelle le complément absolu du sens supérieur des occasions de Foi et de Charité qu'il propose, que le mal est un évènement qui inscrit dans un plan d'ensemble pour le rectifier, ou le préparer, ou le réparer d'après la Sagesse avec laquelle nous le pensons ou nous le réfléchissons. Là est le bénéfice immense de la prière : nous faire penser et réfléchir nos évènements avec des états d'âme qui dépassent les états désespérés ou pessimistes du mal. Elle assagit le jugement révolté, la sensibilité découragée, et sans supprimer l'état endolori, elle l'apaise et le double d'un état actif de persévérance et de confiance. Jamais démissions, lâchetés et suicides ne furent aussi nombreux, même et surtout chez les jeunes, que dans nos temps où la prière personnelle est si rare. La prière consiste à avoir l'intelligence de la situation d'une manière si complète qu'on se sent tenu d'y faire intervenir la Sagesse de Dieu afin de changer la situation, ou la manière de la vivre, ou les deux à la fois. Le temps de la prière désintéressée est ce qui prépare l'activité humaine la plus nécessaire : celle des attitudes impressionnantes de force d'âme, de calme, de beauté morale dans les situations humainement révoltantes ou désespérées. Prière désintéressée, c'est-à-dire : - se référant d'abord en pleine confiance affectueuse aux intérêts de Dieu seul : Sa Gloire, Son Honneur, Son Règne, dans nos situations. - Lui demandant de vivre la situation d'une manière digne de Lui, avant de Lui demander de changer la situation au cas où ce changement serait dommageable pour Sa Gloire. - Lui demandant de porter dans cette situation un témoignage qui Le fasse admirer et aimer par notre façon courageuse de la vivre. La prière désintéressée ne nous met pas en cause, elle ne met en cause que Les Intérêts de Dieu dans notre situation personnelle. Il faut comprendre que la vie moderne doit être éclairée par la prière, une prière digne du Saint Esprit. Mais, allez-vous me dire : "Pour prier, il faut avoir la grâce. Et les pécheurs ? La plus grande partie de l'humanité ne peut pas prier ..." Vous oubliez que Jésus, sur La Croix, a répondu à la prière d'un brigand par ces mots : «Ce soir, tu seras avec Moi dans le paradis...» Et ce fut le premier des élus... Cela veut dire que, indépendamment du péché, si grave soit-il, indépendamment de la nuit intérieure, si épaisse soit-elle, le désert d'un homme, comme tout désert, connaît toujours un oasis. Cet oasis, c'est l'humilité. C'est la manière pour Dieu de rattraper les pécheurs. Du moment qu'un homme a conscience humblement de ses limites, de ses faiblesses, Dieu le rattrape par l'humilité, la prière, le pardon. Au seul cri "J'ai eu tort", au seul appel "Au secours", tout de suite Dieu arrive. La puissance du pécheur, c'est la prière. Prier, il faut toujours prier, il faut toujours être accordé avec La Mentalité de Dieu qui veut nous mettre en tête-à-tête avec Lui. C'est le moment de terminer par le mot du psaume : «De profundis...» Cela veut dire : je ne peux plus voir la superficie du sol : je suis dans un trou. Je ne peux plus marcher, ni en avant, ni en arrière, je suis dans un trou ? Je ne peux même plus appeler : on ne m'entend plus. Je suis perdu. Mais qu'est-ce que c'est qu'un trou ? C'est un fond d'où on ne peut plus rien voir que les étoiles. Je vois la clarté des étoiles : l'espérance, le repentir, le pardon. Dieu, ayez pitié de moi pour que dans mon trou descendent les rayons de l'espérance. Il n'y a pas d'hommes qui n'aient pas le droit de prier. «Ad Te levavi oculos meos» - «Vers Toi j'ai levé les yeux» Les yeux : mes puissances d'attention, d'affection pour Tes Intérêts. «Sicut oculi ancillae in manibus dominae suae, ita oculi nostri ad Dominum Deum nostrum donec misereatur nostri...»