durant cette enfance m’ont profondément marquée. Avec le temps, les thèmes de l’enfant paysan, la
femme paysanne, les habitudes, les coutumes, les odeurs, ainsi que les tristesses, la solitude et la
mélancolie et les angoisses de la campagne ont fleuri dans mon œuvre. Ce sont les thèmes qui naissent
en moi en guarani. C’est comme une forme de récupération de l’enfance. Les couleurs et aussi les
angoisses, les rêves de l’enfance, comme s’ils voulaient sortir dans leur propre langue, qui est le guarani.
Dans cet ensemble, il y a un recueil de poèmes qui est organisé autour du feu, de cet élément.
Quelle importance a le feu dans le foyer guarani ?
Ce livre Tataypype recueille justement les moments vécus autour du feu, à la campagne, dans la cuisine
paraguayenne. Dans le recueil, le feu est symbolique et sert aussi à récupérer un élément bien réel dans
la cuisine paysanne, dans les foyers paraguayens. J’ai voulu récupérer, dans ce recueil, cette habitude si
agréable, qui consiste à s’asseoir autour du feu, que j’ai connue avec mes grands-parents. Mon grand-
père aimait beaucoup nous raconter des contes, près du feu, tôt le matin et aussi en soirée. Et j’ai eu la
chance d’avoir en mon grand-père un excellent conteur. Lorsque j’ai eu quelques années de plus, je l’ai
observé pour voir comment il racontait. J’observais comment il bâtissait ses récits, faisait les pauses,
comme il montait le ton, marquait l’emphase, comment il créait le suspense et l’inquiétude. Par la suite, de
loin, cela m’a permis d’analyser un peu ce qu’est le conteur populaire, qui garde les clés du récit
paraguayen. C’est difficile ensuite de transposer ça sur le papier mais c’est un thème passionnant, qui je
crois peut apporter beaucoup à un écrivain. En revenant un peu à tout ça, à cette habitude d’écouter des
contes près du feu, je crois que c’est dans cette expérience quotidienne avec mes grands-parents qu’a
été semée en moi cette graine, qui avec le temps et dans ma jeunesse, chercherait à être cultivée par les
mots. Je crois que la semence profonde, qui ensuite chercherait ainsi l’expression, vient de là. Et la parole
est bien entendu une valeur essentielle que nous recherchons tous au Paraguay. Nous la recherchons
tous, peut-être sans le savoir, et peut-être sans le savoir héritons-nous cette valeur ancienne, la valeur la
plus haute de nos ancêtres guarani. Je crois que nous ne cessons de la rechercher. Dans ce feu paysan,
que j’ai connu et vécu pendant mon enfance, la parole nous réunissait, le feu de la parole nous réunissait.
Et d’une façon ou d’une autre, nous revenons toujours à cette quête.
Et dans cet autre livre (Ayvu membyre. Hijo de aquel verbo, Fils de ce verbe), je me suis centrée sur cette
quête de la parole en effectuant une sorte de voyage intérieur, à la recherche des fonds les plus enfouis
où est gardée la parole que nous recherchons. C’est ce qui se passe aussi dans le cas d’un écrivain en
langue guarani. Car nous sentons que, dans une certaine mesure nous avons perdu le guarani et dans
une certaine mesure, par grande chance, il a survécu. Mais nous sommes comme en phase de
récupération de notre propre langue, de profonde réconciliation avec elle, de recherche de ses
profondeurs, de ses accents les plus profonds, de sa flexibilité, de ses aromes les plus profonds et mon
recueil est une sorte de voyage vers ça. Et vers le sens essentiel de la parole, qui pour nous est sans
doute toujours le même que pour les Guarani : celui de l’âme.
D’où ce titre en espagnol, Fils de ce verbe, de ton dernier recueil bilingue ?
J’ai pris comme titre un mot qui marque un peu l’inspiration, la source de ce livre, l’Ayvu, comme parole
primordiale et le titre guarani qui m’est venu est Ayvu membyre. J’ai eu beaucoup de mal à le traduire en
espagnol, en décomposant ses différentes parties, l’équivalent serait ‘le fils orphelin de cette parole
primordiale’ dont parlaient nos ancêtres guaranis. Après avoir beaucoup travaillé, j’ai trouvé cette petite
formule qui m’a paru la plus proche : ‘fils de ce verbe’, verbe dans le sens de parole, un peu dans le sens
biblique, qui m’a paru la plus adéquate, c’est pourquoi j’ai gardé ‘Fils de ce verbe’.
Séquence 3
Ces recueils en guarani que tu as écrits, c’est très intéressant, ont été traduits en anglais,
allemand, portugais. Comment l’expliques-tu ?
Je n’en ai pas la moindre idée. C’était une surprise inattendue à chaque fois, des cadeaux que je
n’attendais pas. On m’a toujours étonnée en m’apprenant que mes travaux avaient été traduits. Tous,
presque tous, sont des textes écrits en guarani. Un seul de mes textes en espagnol, un très long poème