PUCES À ADN ET LABORATOIRES SUR PUCE
Prise de vue
Les progrès techniques, en particulier la miniaturisation, ont permis le
développement d’appareillages d’analyse performants pour les biologistes. Après la
puce à ADN (appelée ainsi par analogie avec les circuits intégrés), mise au point au
début des années 1990 et permettant d’effectuer sur une surface de quelques
millimètres carrés des milliers d’analyses biologiques, est apparu, à la fin du
XXe siècle, le laboratoire sur puce visant à réaliser, à terme, les différentes étapes
d’une analyse, depuis la préparation de l’échantillon jusqu’aux résultats, obtenus
sous la forme d’un signal électronique. Ces microsystèmes ouvrent de nouvelles
voies pour la recherche génétique, médicale et pharmaceutique, et offrent de
nouvelles perspectives dans d’autres domaines tels que les contrôles sanitaires ou
la protection de l’environnement.
1. Les puces à ADN ou biopuces
Depuis les années 1980, un des buts des biologistes est de connaître la
séquence intégrale du génome de plusieurs espèces animales et végétales. Cette
tâche nécessite la manipulation d’un nombre très important d’entités biologiques,
entre autres des clones de bactéries ou de levures à partir desquels on extrait des
fragments d’ADN ou d’ARN messager (qui reflètent l’activité des gènes).
Progressivement, un grand nombre de manipulations ont été transférées à des
robots, et il est devenu courant de déposer 20 000 préparations différentes sur des
membranes de Nylon de 20 centimètres de côté. La puce à ADN (DNA chip ou
biochip en anglais) résulte de l’évolution de ce format vers une miniaturisation plus
poussée, qui atteint une densité de 250 000 unités réactionnelles par centimètre
carré. Son concept a été proposé dès la fin des années 1980 pour réaliser, entre
autres, le séquençage de l’ADN. Cependant, durant la décennie de 1990, les
programmes de séquençage se sont accélérés indépendamment de cette
technologie et la connaissance exhaustive de plusieurs génomes a fait apparaître un
nouvel enjeu : la description des fonctions des très nombreux gènes nouvellement
découverts. Un des moyens privilégiés pour atteindre ce but est l’étude du
transcriptome (ensemble des molécules d’ARN messager d’une cellule) qui a permis
aux puces à ADN de prendre un avantage décisif sur les anciennes méthodes
d’analyse.
Principe des biopuces
Les puces à ADN exploitent une propriété fondamentale de l’ADN qui est
d’être constitué de deux brins complémentaires capables de s’apparier de façon
spécifique et stable. Ainsi, un fragment d’ADN simple brin ou d’ARN messager est
capable de reconnaître son brin complémentaire parmi des milliers d’autres : c’est le
phénomène d’hybridation. Cette propriété permet d’utiliser des fragments d’ADN
comme sondes pour détecter une cible dans un mélange complexe de molécules
d’ADN ou d’ARN messager.
Les puces à ADN sont constituées d’un ensemble de structures
élémentaires, appelées unités d’hybridation, disposées en réseau et espacées de
quelques dizaines à quelques centaines de micromètres. Chaque unité est active,
puisqu’elle contient des sondes ADN. Le mélange complexe de cibles à analyser est
constitué, par exemple, par l’ensemble des ARN messagers extraits d’une cellule
d’un type de tissu. Ceux-ci sont marqués afin de pouvoir être détectés
ultérieurement par des techniques optiques (marquage par fluorescence) ou
photographiques (marquage radioactif). Ce mélange est appliqué sur la surface de
la puce et on laisse se faire le processus d’hybridation durant lequel les sondes
capturent les cibles pour lesquelles elles présentent une affinité. À la fin de cette
réaction, le dosage du signal dans chaque unité d’hybridation indique à quelle
concentration l’espèce moléculaire complémentaire est présente dans le mélange.
Cela permet la quantification du niveau d’expression des gènes dans le tissu étudié.
Fabrication des biopuces
Les puces à ADN sont produites à partir de matériaux très divers, choisis
en fonction des caractéristiques recherchées. Le silicium, recouvert éventuellement
d’une couche d’or, est coûteux mais permet la conception de puces « intelligentes »
qui incorporent en leur sein un mécanisme de contrôle de la réaction d’hybridation et
de la détection du signal. Le verre est très prisé car peu onéreux, mais il doit être
traité avec de la polylysine afin de permettre l’accrochage des sondes, qui se fait
généralement en monocouche. D’autres matériaux sont architecturés en structures
tridimensionnelles qui augmentent la sensibilité de détection de la puce. C’est le cas
du silicium poreux, des membranes de Nylon ou des plots de polymères
d’acrylamide déposés sur une lame de verre.
On greffe deux types de sondes sur ces surfaces : soit des
oligonucléotides, c’est-à-dire des molécules d’ADN contenant de 10 à
25 monomères, soit des polynucléotides de taille bien supérieure, comprenant de
200 à 1 000 monomères. Le dépôt est effectué par contact avec une pointe ou par
projection à partir d’une micropipette dotée d’un mécanisme piézo-électrique
identique à celui qui est utilisé dans les têtes d’impression à jet d’encre. Il existe un
procédé beaucoup plus sophistiqué, réservé aux puces à oligonucléotides, qui
consiste à utiliser des masques de photolithogravure afin de synthétiser in situ les
différentes sondes. La densité de sondes atteint 107 à 1010 pour une unité
d’hybridation de 50 micromètres de côté selon qu’il s’agit d’une surface ou d’un
volume.
Domaines d’application
Grâce aux puces à ADN, l’étude du transcriptome peut se faire de
manière systématique et exhaustive, ce qui offre de nouvelles perspectives dans le
domaine de la recherche médicale et fondamentale. Les puces à polynucléotides
sont surtout utilisées à cet effet. Elles ont permis, par exemple, d’analyser
l’ensemble des gènes actifs de la levure dans différentes situations ou encore de
repérer les modifications du transcriptome dans les cellules infectées, dans les
cellules soumises à des traitements médicamenteux ou encore dans des cellules
cancéreuses.
Les puces à oligonucléotides offrent d’autres applications, comme la
détection d’anomalies génétiques, associées au cancer ou à la résistance du virus
du sida. Elles servent également à la détection d’agents pathogènes dans
l’environnement ou dans les produits agroalimentaires, ou encore pour des études
biophysiques portant sur l’affinité d’une molécule (colorant, enzyme) pour certaines
séquences d’ADN.
2. Les laboratoires sur puce
Par analogie avec la microélectronique, la biopuce est assimilée à un
composant mémoire, alors que le laboratoire sur puce ou « labpuce »
(lab-on-a-chip, labchip ou encore microTAS, pour micro-total analysis system, en
anglais) peut être comparé à un microprocesseur dans lequel les électrons et les
conducteurs sont remplacés, respectivement, par des molécules et des
microcanaux. Un labpuce est donc un dispositif miniaturisé dans lequel il est
possible de réaliser les diverses étapes d’une analyse chimique ou biologique :
préparation d’un échantillon, mise en réaction avec différents réactifs, séparation et
détection des produits réactionnels.
De nouveaux outils pour les biologistes
Jusqu’à présent, les réactions biologiques ou biochimiques nécessitent
l’utilisation de réacteurs qui peuvent être des tubes à essais ou des plaques (de
l’ordre de 8 cm Z 12 cm) à puits standardisées (96 ou 384 puits). Ces outils sont
couramment utilisés en laboratoires de recherche, d’analyse ou encore en
production. Les récupérations ou les additions d’échantillons ou de réactifs se font
grâce à l’utilisation de micropipettes manuelles ou d’automates. Les volumes utilisés
sont encore importants, de l’ordre du millilitre, et les pipettes permettent de
manipuler les fluides jusqu’au microlitre (ml, soit 106 l). Ces opérations sont
longues et fastidieuses et nécessitent l’emploi de réactifs souvent coûteux. Avec les
labpuces, qui utilisent des microcanaux dont la largeur varie de la dizaine de
micromètres à plusieurs centaines de micromètres, les volumes réactionnels sont de
l’ordre du nanolitre (109 l) ou du microlitre.
Le principe du labpuce consiste à faire circuler les milieux réactionnels,
contenant des réactifs et des échantillons, sur des zones correspondant aux
différentes étapes d’une analyse. Cohabitent donc, sur des surfaces de l’ordre de
10 centimètres carrés, des systèmes de transferts de fluides (réservoirs et
microcanaux), des systèmes de séparation (électrophorèse capillaire ou
chromatographie), des réacteurs biologiques (amplification de l’ADN) ainsi que des
modules de détection. L’intégration de tous ces dispositifs miniaturisés sur une puce
permet l’automatisation des diverses étapes d’une analyse dans un système unique.
Les avantages induits par ces nouvelles technologies portent sur la capacité de
travailler avec de faibles quantités d’échantillons ou de réactifs, d’utiliser des
systèmes d’analyses automatisés portables et à bas coût, de mettre en parallèle les
analyses et de combiner les biotechnologies avec des composants électroniques
sur une même puce.
Fabrication des labpuces
Ces dispositifs sont fabriqués dans divers matériaux, chaque matériau
présentant avantages et inconvénients en fonction du type d’analyse. Ils peuvent
être usinés dans le quartz, le verre, le plastique ou le silicium. Le quartz est
intéressant pour mettre en œuvre l’électrophorèse en raison de ses propriétés
d’isolant électrique et de transparence aux ultraviolets pour la détection par
fluorescence. Les polymères, dont le coût est faible, ont un grand potentiel pour la
production de masse. Le silicium bénéficie, quant à lui, de tout l’acquis des
technologies dérivées de la microélectronique.
La microfluidique
Une des difficultés majeures de ces microsystèmes est la manipulation
des fluides biologiques dans de tels environnements. Faire circuler le fluide dans les
microcanaux, contrôler les débits et les vitesses de déplacement des liquides à cette
échelle constituent une nouvelle discipline : la microfluidique. Un certain nombre de
solutions, plus ou moins attractives, sont étudiées. La plus simple pour faire circuler
un fluide consiste à générer une pression extérieure, contrôlée en amont des
microcanaux par des « pousse-seringues » qui sont connectés à la puce par des
tuyaux en plastique, ou en verre, de faible diamètre. Les inconvénients de cette
approche concernent principalement l’encombrement du dispositif, les problèmes
d’étanchéité et de connexions des tuyaux sur la puce et les débits, difficiles à
contrôler au-dessous du microlitre par minute. Si l’on souhaite pousser l’intégration
et la compacité du dispositif, c’est en général le concept d’électrocinétique qui est
retenu. Sous l’effet d’un champ électrique, obtenu par l’application d’un gradient de
tension de l’ordre de plusieurs centaines de volts par centimètre, on peut générer
deux types d’effets selon le traitement de surface des microcanaux. D’une part,
l’électro-osmose permet, grâce à la présence de charges de surface en double
couche, de déplacer des trains successifs d’échantillons de fluide de très faibles
volumes à des vitesses de l’ordre de 1 centimètre par seconde pour un canal de
20 micromètres de diamètre. D’autre part, l’électrophorèse joue sur les molécules
chargées présentes dans le fluide pour les faire migrer dans le microcanal prérempli
par un gel d’acrylamide. Dans ce cas, le liquide porteur reste immobile. Cette
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