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ReSET 2008-2009:
Nicole Lemaitre (Université Paris I Panthéon-Sorbonne)
Le catholicisme post-tridentin : entre Rome et les Etats
Comment le catholicisme a-t-il réussi à pénétrer les paroisses ? il n’a pu le
faire sans la collaboration entre le pouvoir universel du pape et celui des
princes. Nous verrons premièrement comment joue l’équilibre des pouvoirs
séculiers et religieux, deuxièmement comment les uns et les autres sont
d’accord pour promouvoir une sensibilité commune mais aussi pour discipliner
les sujets, troisièmement l’enfermement inéluctable du catholicisme dans des
interprétations nationales.
I Entre religion universaliste et nations
I. Rome ou les évêques ?
Après le concile de Trente, le pouvoir pontifical prend en main de façon
exclusive la diffusion des réformes. Ce processus, entamé au Moyen Age mais
accéléré par le schisme, conduit à la mise en place d’une hiérarchie
consolidée, véritable état major de la reconquête des âmes, soucieuse
d’éliminer tout ce qui scandalise les fidèles. Par leur action efficace et continue,
par le sacrifice de leurs revenus à l’application du concile, ils ont convaincu les
catholiques du caractère indispensable de la papauté pour maintenir l’unité de
l’Église. Ce choix politique les a obligés à privilégier leur pouvoir religieux au
détriment de leur pouvoir diplomatique ou militaire. L’effacement du Saint-
Siège dans la géopolitique des XVIIe et XVIIIe siècles est l’une des
conséquences de cette attention renouvelée à sa fonction assumée de pasteur
universel. Mais les papes ne portent pas seuls le poids de l’application du
concile.
Le pape de la fin du concile, Pie IV, avait pour cardinal-neveu un génie
administratif, Charles Borromée (1538-1584). Ce jeune homme, de 24 ans à
peine, élevé à la plus haute charge du gouvernement de l’Église par
népotisme, est pour beaucoup dans l’heureuse fin du concile et dans la rapidité
de son application. Revenu dans son archevêché de Milan après la mort de
son oncle, il y devient le modèle de l’évêque contre-réformateur : un évêque
qui visite les paroisses, qui éduque le clergé au moyen des synodes et des
séminaires, un héros de la charge d’âmes, refusant de quitter sa ville attaquée
par la peste, en 1578. Les Actes de l’Eglise de Milan, qui rassemblent les
décisions synodales de la province ecclésiastique concernant l’interprétation et
l’application du concile de Trente, vont partout servir de modèles pendant deux
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siècles. Derrière Charles Borromée, c’est tout le pouvoir épiscopal, revitalisé
par le concile, qui prend aussi la tête de la réforme catholique. Pour rester en
France, on ne compte plus les grands évêques du XVIIe siècle, de François de
Sales à Alain de Solminihac et de Bossuet à Fénelon. Les évêques de la
Réforme catholique ne sont pas encore de simples exécutants du Saint-Siège ;
ils revendiquent même à plusieurs reprises leur indépendance, en particulier
lors des épisodes jansénistes, gallicans et joséphistes.
Dans les tensions entre le Saint-Siège et les princes, les évêques restent
en effet plus proches de leur prince que du pape, jusqu’à la Révolution
française au moins.
2. Église et États
Les papes ont avec les princes des rapports de chef d’État. Pour maintenir
l’ordre dans l’Église, ils passent avec les plus puissants d’entre eux un traité, le
concordat. Le concordat de Bologne (1516) donne par exemple au roi de
France, “ le Très chrétien ”, un pouvoir important de nomination des évêques et
abbés et une responsabilité administrative sur la hiérarchie cléricale. En
revanche, le roi de France est sacré, considéré comme un quasi-évêque ; il est
le seul laïc à communier sous les deux esces lors de grandes occasions.
Une grande partie de son pouvoir symbolique et de son autorité vient donc de
sa légitimation religieuse. Empereur en son royaume selon l’adage, le roi de
France est fort indépendant du pape, ce qui provoque parfois des tensions
avec Rome, sous Louis XIV en particulier. En 1791, le concordat de Bologne
sera à nouveau dénoncé unilatéralement par l’Assemblée constituante.
Au XVIIIe siècle, Benoît XIV n’hésite pas à passer des concordats du
même genre, réservant au prince des pouvoirs analogues, voire supérieurs, sur
leur clergé : avec la Sardaigne et Naples (1741), avec l’Espagne (1753), avec
l’Autriche pour le duché de Milan (1757). Il reconnaît, l’un des premiers,
Frédéric II comme roi de Prusse. La politique pontificale est financée par la
fiscalité sur les États pontificaux, qui vivent dans une crise chronique depuis la
fin du XVIIe siècle. Au XVIIIe siècle, la papauté n’a plus les moyens de mener
une politique universaliste aussi cohérente qu’auparavant. En réalité, la crise
de l’Etat pontifical est due au caractère particulier de son gouvernement. C’est
le seul Etat européen qui possède un corps et deux âmes : un
gouvernement temporel doublé d’un gouvernement spirituel. Pris par leur
mission religieuse, les papes n’ont eu ni le temps ni les moyens de développer
une administration moderne de leur État temporel, ils s’en sont servi pour
financer leur politique religieuse puis leur administration curiale. Mais la
papauté n’a plus d’armée efficace et donc moins de pouvoir dans le jeu
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international. Aucune puissance catholique ne songe d’ailleurs au XVIIIe siècle
à lui demander son avis.
Cet effacement temporel n’atteint cependant pas le pouvoir spirituel de la
papauté, qui dispose d’un droit d’arbitrage obligé dans toutes les querelles
religieuses et procède, par exemple, à la reconnaissance des saints qui
comptent pour les contemporains.
II Nouvelles sensibilités et disciplinarisation
1. Nouveaux saints et nouvelles sensibilités
Rome lance les modes catholiques ; la proclamation des saints, par
exemple, appartient désormais totalement à Rome qui fait instruire les procès
par le biais d’une congrégation pour la cause des saints. Elle permet au pape
de reconnaître et de promouvoir les grands mouvements de spiritualité du
temps. Parmi les saints caractéristiques de la Réforme catholique, il faut placer
les fondateurs d’ordres. Ignace de Loyola crée les Jésuites, mais expérimente
et diffuse aussi une méthode rigoureuse de vie spirituelle, propre à favoriser le
rapport personnel entre l’individu et Dieu, les Exercices. Nous retrouvons chez
tous les grands saints cette spiritualité renouvelée, associée à un élan
évangélisateur nouveau.
A l’origine de nouvelles formes de vie religieuse, on découvre toujours un
saint reconnu par Rome : Philippe Néri (†1595) et l’Oratoire romain (1575) pour
l’évangélisation par la liturgie ; Bérulle (qui n’est pas canonisé) et l’Oratoire de
France (1611) pour la formation de missionnaires enseignants et de cadres de
séminaire ; François de Sales (1611) et les Visitandines ; Vincent de Paul, les
Lazaristes (1632) pour les missions des campagnes et les Filles de la Charité
pour l’assistance(1634) ; Jean-Baptiste de La Salle et les Frères des écoles
chrétiennes (1680) pour l’enseignement ; Louis-Marie Grignion de Monfort et
les missionnaires montfortains (1704) ou les Filles de la sagesse (1701) ;
Alphonse de Liguori et les Rédemptoristes (1732)… Sociétés à voeux simples
ou sans voeux, destinées à former une élite sacerdotale, ces groupes veulent
répondre aux appels de la société moderne, une société avide de formation
intellectuelle exempte d’hérésie, de direction de conscience individuelle,
d’assistance efficace Ceci n’empêche pas le développement d’ordres
purement contemplatifs.
Les modèles proviennent d’abord d’Espagne ou d’Italie puis de France.
Sainte Thérèse d’Avila, qui rêvait de mourir martyre en mission, développe à
partir de 1562 une réforme rigoureuse du Carmel, promise à un grand
développement. Elle renforce la clôture, la vie de prière et de pauvreté. C’est
aussi un grand auteur de spiritualité, dont la Vie ou les Fondations sont lus
avec avidité dans toutes les langues dès le XVIIe siècle. L’expérience
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spirituelle déborde désormais les cloîtres, au moyen de l’éducation jésuite et de
bests sellers comme l’Introduction à la vie dévote de François de Sales (1608).
Si tous sont très austères et croient en l’usage de la volonté pour mener la vie
spirituelle jusqu’à l’union à Dieu ; tous ne sont pas des rabat-joie compassés et
des misanthropes arrogants. En témoigne l’apostolat de Philippe Néri (1515-
1595) auprès des mauvais garçons des faubourgs de Rome comme auprès de
la musique pontificale : il n’hésite pas à raconter de bonnes histoires, à faire la
fête et à rire, à décorer les églises. Il demande à son ami Palestrina de
composer de la musique pour réjouir ses réunions de prières ( le nom
d’oratorio en provient). Thérèse d’Avila dansait et François de Sales autorisait
ses dirigées à danser à la cour. C’est surtout à partir de la fin du XVIIe siècle,
tandis que se développe le soupçon sur toute expérience mystique, que la
dévotion devient plus sévère et plus conformiste. La ferveur religieuse du
XVIIIe siècle n’est pourtant pas inférieure à celle du XVIIe siècle. Mieux même,
elle a quitté le cercle étroit des élites pour se répandre partout, du haut en bas
de la société.
Cette ferveur s’épanche dans la diffusion de dévotions nouvelles : Rosaire,
Saint-Sacrement puis Sacré-Cœur (1765). Il faut ajouter à ces dévotions
nouvelles le renouveau des lerinages : ceux de Rome, de Lorette, de la
Sainte-Baume…, mais aussi une foule de pèlerinages locaux, le plus souvent
dédiés à la Vierge, dont le point de part est presque toujours la couverte
miraculeuse d’une statue ou d’une source thérapique.
Les ordres nouveaux ou les ordres anciens rénovés ont joué un rôle
important dans l’encadrement de la société dans ces votions. Ils se trouvent
cependant en difficulté au XVIIIe siècle, pour des raisons économiques ou
intellectuelles, particulièrement dans les ordres masculins. C’est ainsi que les
Jésuites sont supprimés à la suite de scandales politico-financiers (1773).
Beaucoup, comme les oratoriens ou les dominicains subissent une crise
sévère, du fait de leur collusion avec le Jansénisme ou de leur incapacité à
s’adapter au monde nouveau, plus indépendant de la hiérarchie et plus critique
à l’égard de la dévotion. Les ordres voués à l’assistance résistent mieux, mais
les capucins eux-mêmes, dont l’héroïsme était célèbre en temps de peste,
subissent une éclipse au temps des Lumières ; victimes peut-être de leur
succès au siècle précédent, ils sont incapables de répondre aux défis culturels
nouveaux. Le tridentinisme avait en effet construit une nouvelle civilisation
catholique, avec des codes culturels et une esthétique profondément adaptés
aux sensibilités du moment.
2. Une esthétique baroque
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Certes, l’art baroque s’est aussi développé dans le monde réformé et dans
le domaine civil, mais l’art nouveau est un mode d’expression privilé du
catholicisme triomphant. En matière artistique, Rome devient le modèle
exclusif, largement diffusé par les jésuites et plus encore par les pélerins
éblouis de la ville sainte. Cet art nouveau qu’on ne commencera à appeler
baroque, de façon péjorative, qu’à la fin du XVIIIe siècle, construit l’espace
liturgique pour favoriser à la fois l’audition de l’enseignement, la vision de
l’autel et la mise en scène du mystère eucharistique, la direction de
conscience. Il veut rendre sensible l’au-delà par le cor en trompe l’oeil et la
magnificence. Dans une église baroque, tous les regards convergent vers le
maître-autel, mis en valeur par un baldaquin, à l’imitation de celui du Bernin à
Saint-Pierre de Rome (1624-1633). L’élévation de l’hostie et le tabernacle sont
mis en scène au moyen d’un retable peint ou sculpté, orné de colonnes torses,
de chapiteaux, de corniches, doré autant que possible, tel celui de San
Esteban de Salamanque (1633), et de plus en plus exubérant, comme le
transparent (tabernacle) de la cathédrale de Tolède (1721-1732), qui exalte le
mystère de l’Eucharistie jusqu’aux voûtes de l’édifice.
Deux meubles inconnus du Moyen Age s’installent dans les églises de la
Contre-Réforme : la chaire, de bois ou de marbre, mise à demeure dans la
nef, et les confessionnaux qui s’alignent sur les bas-côtés. Les représentations
des saints et des scènes de la Bible suivent maintenant des règles très strictes,
calquées sur le catéchisme, et très surveillées par le clergé. Les plafonds et les
coupoles s’ornent de perspectives grandioses et inattendues, qui surprennent
pour mieux émouvoir, comme à l’église Saint Ignace de Rome, ou le frère
jésuite Andrea Pozzo (1668-1685) représente la gloire d’Ignace de Loyola en
ouvrant le ciel au spectateur. Dans l’ Espagne des années 1680-1720, les
pasos (chars) de la Semaine sainte des frères Churriguera (Salamanque) et de
bien d’autres grands sculpteurs avivent jusqu’au paroxysme l’émotion collective
des processions envers les scènes de la Passion. Jusque loin dans le XIXe
siècle, le baroque se développe sur tous les fronts de conquête et de
reconquête catholique : en Suisse et dans tout l’Empire, dans la péninsule
ibérique et au Nouveau monde.
Si l’art est un mode d’expression de la foi catholique, il en est aussi un
moyen de propagande. Il entre dans un système de reconquête des âmes par
le beau et l’émotion. Mais, bien entendu, la Contre-Réforme n’a pas cherché
seulement à duire par les sens, elle a aussi travail à convaincre : les
protestants d’abord, puis les mal sentants de la foi.
3. Controverse et apologétique
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