Texte de la conférence
Histoire(s) méconnue(s) du Tibet
faite à Saint Laurent du Var le 14 décembre 2000 par Cl.André,
ex-chargé de cours à l'Institut des L.O. de Paris.
Préambule En Asie, à chaque couleur, à chaque animal, à chaque objet
correspond une symbolique qui nous est complètement étrangère et qui fait que la
compréhension des littératures et des religions de ces pays nous paraît très difficile.
Dans ce récit, je tâcherai de glisser des descriptions de tout ce qui fait la spécificité de
ce pays. J'en oublierai sans doute, tant le sujet est vaste. De même, faute de temps, je
ne pourrai que survoler les faits historiques qui sont si nombreux et très bien connus.
L'histoire du Tibet peut se diviser en 2 parties la première partie avec
l'établissement et la chute de la royauté dura tout le premier millénaire et la seconde
partie avec l'établissement et la chute de la théocratie tout le second millénaire. Nous
verrons, au cours de ces 2 périodes, que les faits religieux et laïques seront étroitement
mêlés. -----------------------------
Débutons par l'aspect général du pays et de ses habitants. L'altitude moyenne
se situe entre 4 et 5000m. Sa superficie est 4 à 5 fois celle de la France ou près du quart
du territoire chinois. Quant à sa population elle s'établit à 2 millions d'habitants à
comparer au 1 milliard 250 millions de chinois! Il s'agit donc d'un pays aux conditions de
vie extrêmes avec une densité habitée faible. Notons ici sur cette carte les lieux les plus
connus... Le Tibet fut ignoré de l'antiquité. Pour aller en Chine on le contournait par le
col du Karakorum au nord du Cachemire et les oasis du Turkestan. Il suffisait de
remonter les fleuves de l'Himalaya pour y pénétrer, me direz-vous ? En fait, au sud, les
fleuves traversent des montagnes aux flancs si raides qu'il s'agit souvent de gorges
impraticables. Si on trace un chemin de quelques dizaines de cm permettant le passage
d'un homme seul, il sera emporté à la première pluie et la coulée ainsi créée rendra encore
plus difficile tout passage ultérieur. À l'est du Tibet, pour atteindre la Chine, il faut
franchir près de 2000km de montagnes arides au nord ou boisées au sud... et certains
endroits au Sud sont tellement inaccessibles que l'on pense encore y trouver des tribus de
pygmées inconnues. ---------------------------
Ce pays est caractérisé aussi par le fait qu'il alimente tous les fleuves
d'Extrême-Orient et en poussière la Chine. Il est le fruit du dernier mouvement important
de l'écorce terrestre.
En effet lorsque la plaque australienne a éclaté en trois parties = la portion qui
devait former l'Inde dans un rapide déplacement vers le nord a surélevé les sédiments de
la mer de Thétis qui forment actuellement le relief des hauts-plateaux tibétains. Si le choc
a créé une faille d'où ont jailli des basaltes et les roches dures qui forment le massif de
l'Himalaya, les sédiments qui forment les hauts-plateaux tibétains ne sont pas consolidés
et le relief est en constante érosion. Le nord-ouest du pays n'a pas d'écoulement à la mer,
d'où de grands lacs et des stocks considérables de sel qui serviront de base au commerce
avec l'étranger. Le reste du pays servira de berceau aux grands fleuves de l'Inde et de la
Chine. Ces fleuves charrient tous des quantités considérables d'alluvions et leurs eaux
sont rougeâtres. Dans toute la Chine du centre, l'air est pollué par une poussière fine
soufflant de l'ouest et l'eau coule brune au robinet. Au Tibet même, un foulard sur la
figure est indispensable pour traverser les hauts-plateaux en été. Quand aux limons, ils
ont permis la richesse des pays environnants.
Il faut noter que toutes les civilisations antiques sont nées de la même façon =
en effet, alors que les rives des fleuves n'étaient pas stabilisées par l'homme, les fleuves
recouvraient chaque année des vastes espaces de leurs limons, et l'agriculture ne
demandait aucun effort=le grain était semé, les porcs tassaient le sol et on attendait la
récolte. Les hommes, délivrés du travail des champs, devenaient disponibles pour
construire des Palais et former des armées toujours sur le pied de guerre. Le même
processus s'est rencontré aussi bien pour le Mohan-jo-Daro (l'Indus), le Fleuve jaune et le
Yangtse que pour le Nil et la Mésopotamie.
Ces fleuves nourrissant les peuples, l'Inde vénère depuis l'antiquité le Mont
Kailas, au sud du Tibet oriental, à proximité duquel les 4 grands fleuves de l'Inde
prennent leur source. Chaque année des milliers de pèlerins en font le tour. C'est aussi de
nos jours un lieu de prédilection pour les occidentaux amateurs de trekking, un "must"
qu'il convient de ne pas manquer. Ce qui devait aussi fasciner les populations ce sont ces
sommets ayant 3 ou 4 faces taillées comme des diamants et dirigés vers le ciel et capables
de renvoyer les rayons du soleil à des milliers de kilomètres.
----------------------------
Sans le yak, qui n'existe nulle part ailleurs dans le monde, le pays serait
inhabité. L'animal résiste aux froids les plus rudes, -30 ou -40°. Les nuits d'hiver ne lui
font pas peur même lorsque le vent souffle. Il fournit tout = la viande, le lait dont on fera
du beurre et l'huile le combustible des lampes, les poils longs serviront pour les cordes,
les vêtements, les couvertures et le feutre des tentes, la bouse pour combustible, et qui ne
servira que pour chauffer l'eau du thé car elle n'est pas assez énergétique pour réchauffer
une maison ou une tente. Le yak servira quotidiennement comme animal de bât, doux et
au pied sûr dans le passage des cols. Le sol reste gelé entre 6 et 8 mois de l'année et il n'y
a aucun arbre visible. Qui dit ni arbre, ni charbon, dit absence de chauffage l'hiver et
impossibilité d'enterrer ses morts. Seule consolation, le climat est très sain, les ciels sont
très bleus, quasiment sans nuage, excepté ceux qui arrivent à franchir ou à contourner
l'Himalaya à certaines périodes de l'année.
Une population de nomades est donc disséminée sur un immense territoire.
Elle élève des chevaux vendus, jadis à l'armée chinoise et de tout temps aux paysans des
vallées. La sagesse a conduit ceux-ci à cultiver l'orge qui ne nécessite que trois mois pour
produire. Le grain sera stocké dans des silos en pierre qui serviront pour les années de
disette. Le climat sec et frais permet une conservation quasi éternelle. Ces paysans
construiront villages et châteaux, traceront des routes, unifieront leurs coutumes et leurs
langues. Plus tard ils multiplieront les monastères et toutes sortes de sites religieux. Les
Tibétains sont un peuple gai, courageux, toujours en activité, et si le monastère, la
maison,et les champs sont en ordre, on se réunira sous des tentes blanches. Les hommes
joueront aux dominos ou à d'autres jeux, on récitera des poèmes épiques, on boira un
alcool d'orge peu alcoolisé, le chang, et les femmes formeront des rondes et chanteront
des mélopées. On effectuera régulièrement des pèlerinages sur les sites sacrés qui
peuvent être des lacs, des montagnes, des monastères éloignés. Les habitants des vallées
seront, à richesse égale, plus raffinés que les paysans d'Europe. Il y aura souvent dans les
maisons une petite bibliothèque, un oratoire, des bijoux, des meubles décorés.
Comparé à nos cerveaux surmenés et saturés d'informations, le cerveau des
hommes des hauts-plateaux ressemble un peu à celui d'une page vierge. Aussi est-il
courant de rencontrer chez des êtres apparemment rustres et misérables des hommes
capables de réciter des heures durant des légendes comme celle de Gésar qui comprend
plus de cent mille vers.
La position de la femme est importante, elle sera souvent chef de famille et
l'égal de l'homme. Ainsi sous un même toit, pour ne pas morceler la propriété, une femme
aura plusieurs maris ou inversement. Quand les monastères absorbaient plus de 10% de la
population c'étaient les femmes qui tenaient le commerce en ville.
Les maisons sont en terre agglomérée ou en pierre avec terrasse. Les pièces
ouvrent parfois sur une cour intérieure. Sur le toit, des "lungta" ou chevaux de vent
dispersent les prières au vent, sur la porte d'entrée un dieu grimaçant éloigne les
puissances du mal......
Ce pays ne connaît aucune cuisine traditionnelle digne de ce nom. L'orge
moulue et grillée, mélangée au thé et au beurre ranci ou non servira de base à
l'alimentation = c'est la "tsampa". Toutefois, dans les vallées les plus basses du sud et du
sud-est, on trouvera des arbres et des légumes comme chez nous. Les céréales
connaissent la culture par alternance avec jachère. Ces produits, acheminés vers la
capitale, étaient consommés jadis par les familles les plus riches, qui pratiquaient une
cuisine inspirée de la Chine ou de l'Inde. Aujourd'hui ces produits sont, entre autres,
consommés par les touristes.
Enfin, la chasse ne fut pas considérée comme une activité essentielle de
l'homme des hauts-plateaux. S'il y avait beaucoup de forêts à flanc de montagne au
Sud-Est du Tibet, l'exploitation en était très difficile. De plus le Tibétain a toujours
respecté la nature et l'environnement. Le métier de chasseur ou de bûcheron était
considéré comme dévalorisant. En effet, il s'est toujours senti en état de survie, comme
les animaux sauvages qui l'entouraient. Les ciels d'un bleu d'une pureté exceptionnelle, de
même que les paysages grandioses, ont incité les habitants à respecter la nature et les
animaux, et à transcender vers un idéal supérieur les forces qui étaient en leur pouvoir.
---------------------------
Nous allons voir ce qui s'y est donc passé durant le premier millénaire.
Si l'on en croit les traditions de l'ancienne religion dénommée Bön, l'homme
serait issu d'un singe et d'une démone des rochers qui vivaient dans la vallée du Yarlung.
À l'endroit où les jeunes singes jouaient dans cette vallée, on a appelé un de ces villages
Tsethang ou "plaine des jeux". C'est aujourd'hui une des villes les plus importantes du
Tibet. Récemment, on a trouvé des traces de vie et des vestiges de villages néolithiques
au Tibet Central un site de fouilles est situé à 5km au nord de Lhassa.
Hérodote (vers 350 av.JC) parle d'un pays habité par des fourmis géantes qui
fouissaient de sables d'or. De nos jours on trouve des orpailleurs au nord de l'Himalaya
qui laissent derrière eux des monticules de sable qui ont la forme de termitières !! On voit
comment l'information peut se transformer et virer au fantastique.
Les premières incursions tibétaines en Chine proviennent des tribus K'iang,
originaires des steppes arides du nord-est du Tibet, à l'époque des Tchéou, c'est-à-dire à
l'époque où vivaient Confucius et Lao-tseu, vers -550 avant JC. Elles se poursuivront
pendant plusieurs siècles. ----------------------------
À la même époque, naissait à Kapilavastu, dans un petit État situé au sud du
Népal actuel, le Prince Siddharta, le futur Bouddha. Ses parents donc, lui assurèrent une
jeunesse dorée où toute contrariété lui fut épargnée, (une situation similaire à celle que
connaît notre Jeunesse actuelle). Aussi, à l'adolescence, déguisé en domestique, il sortit
en cachette en ville et découvrit toutes les misères du monde. Un soir, il croisa un
vieillard moribond, puis un homme atteint de la peste noire qui poussait des cris de
douleur et un cadavre qu'on portait sur un bûcher. Il eut alors un choc et décida de
changer sa destinée. Une nuit, il quitta le palais définitivement et se joignit à un groupe
de moines qui prêchaient la bonne parole de ville en ville.
Il changea à plusieurs reprises de sectes. Les unes prêchaient la miséricorde mais
les moines en profitaient pour faire ripaille avec la recette, d'autres prônaient jeûnes et
privations, mais cela n'apportait rien de positif, ni au corps, ni à l'esprit. Alors il partit
seul et quelques amis se joignirent à lui. Sans dogme on ne pouvait haranguer la foule et
subsister.
Un soir près de Gaya, il sentit venir à lui la révélation de ce qu'il cherchait depuis
longtemps et qu'on a appelé depuis l'Illumination. Il s'assit sous un figuier et décida de ne
pas se relever avant d'avoir tout compris =
En effet, dans le monde, il y a les animaux, des êtres dépourvus de conscience et
donc non responsables de leurs actes, pour qui les malheurs de l'existence sont sans
explication. Il y a des individus dépourvus de morale qui sont capables d'accomplir les
plus sombres méfaits pour satisfaire leurs désirs. Il y en a d'autres qui, bien que non
méchants, sont cupides et travaillent pour s'enrichir (sans succès parfois) et enfin il y a
ceux comme lui qui souhaitent une existence où l'individu, dépassant son cas personnel,
recherche une vie saine, en harmonie avec la nature, les animaux et surtout les autres
hommes. De plus, cette force morale doit placer la conscience à un niveau où les misères
terrestres sont contrôlées par l'esprit et sans effet sur notre mental. Ainsi la douleur et
toutes les misères terrestres pourront être dominées. L'esprit de la conscience s'élèvera au
niveau des dieux tels qu'on pouvait les imaginer à cette époque = des êtres hors des
vicissitudes humaines et en dehors du temps.
Ce jour-là, il définit les douze étapes qui marquent la vie d'un individu = la
découverte des 5 sens, de la connaissance, de l'amour, la création d'une famille,
l'accumulation de biens, etc. De plus la vie n'est-elle pas qu'une suite ininterrompue de
naissances et de renaissances. Cette conscience qui nous est donnée à la naissance, si elle
est bien utilisée, si elle est progressivement enrichie par la connaissance, par l'humanisme
et par beaucoup de générosité, elle transcende l'humain vers un niveau de bonheur bien
supérieur encore. Ainsi toute action, toute parole, correspond à une énergie qui aura un
effet soit positif (vers dieu ou un idéal de l'homme), soit négatif (vers l'animal) suivant
qu'elle fera le bien ou le mal. De même notre conscience laissera son empreinte dans
l'esprit des générations futures. On dira donc qu'elle ne meurt pas.
1 / 23 100%
La catégorie de ce document est-elle correcte?
Merci pour votre participation!

Faire une suggestion

Avez-vous trouvé des erreurs dans linterface ou les textes ? Ou savez-vous comment améliorer linterface utilisateur de StudyLib ? Nhésitez pas à envoyer vos suggestions. Cest très important pour nous !