II)VERS UN NOUVEAU RAPPORT ENTRE CULTURE ET POLITIQUE
Prenant acte de l’impasse où mène le caractère trop général de la notion de « culture
politique » , toute une série de travaux récents ( Richard Bendix , William Sewel , Paul Bois )
se trouvent marqués par une redécouverte de la sociologie historique et de la macro-histoire
qui militent pour une perspective nouvelle qui se refuse de réduire la culture au quantifiable et
qui cherche à redonner toute sa valeur à la temporalité et à la durée , ce qui la relie à
l’Histoire. La méthode d’analyse est alors nécessairement individualisante : chaque culture ne
renvoie en effet pas à un modèle forgé ex-nihilo mais à des contextes historiques précis ; de
plus , un ensemble d’actions situées historiquement dans un pays précis ne peut être
reproduite parfaitement ailleurs : la « sociologie historique » est donc bien souvent
comparatiste , ayant pour but affiché de démontrer l’irréductible pluralité des constructions du
politique dans le monde contemporain .
C’est ainsi que Badie , à l’image des travaux de Weber sur l’éthique protestante et sur le
capitalisme , entreprend dans son ouvrage , Culture et Politique , d’analyser deux
constructions du politique entièrement différentes : celle induite par l’Islam et l’autre par le
Christianisme romain : les deux constructions du politique sont différentes dans la mesure où
la culture islamique repose sur le principe de l’unité , sur l’étroite fusion du droit et de la Loi
alors que la culture chrétienne romaine proclame leur différentiation , position théologique
théorisée par Saint-Augustin dans La Cité de Dieu . Cette opposition , souligne Badie ,
marque durablement la construction du politique : alors que la séparation entre la Cité de Dieu
et la Cité des Hommes va entraîner en Occident une autonomisation progressive du politique
et de l’économique qui aboutira à la séparation de l’Eglise et de l’Etat , la situation sera
entièrement différente dans les pays musulmans où la politique , qui doit se donner pour but
de réaliser la Cité de Dieu sur terre , est le lieu d’affirmation de sa foi . Et c’est précisément
cet amalgame entre religieux et politique qui empêche l’autonomisation du politique et de
l’économique , aboutissant à une conception de l’Etat originale . Cet exemple donne donc
bien la mesure de cette « sociologie historique » , marquée par la recherche de l’influence ,
dans la longue durée , de l’économique , des traditions culturelles ( en particulier la religion )
dans la formation sociale et étatique .
En conclusion , l’impasse dans laquelle nous amène le concept de « culture politique » ne doit
pas nous décourager et renoncer à trouver sans cesse de nouveaux rapports entre politique et
culture ; les exemples de Weber , de Bois, de Siegfried et de Badie sont là pour démontrer
que l’analyse culturelle , loin de devoir s’imposer comme un domaine autonome , doit bien
plutôt devenir une dimension de la sociologie historique afin de pouvoir étudier correctement
ses interactions avec d’autres facteurs ( religieux , politiques , économiques ) ; ce sera en effet
l’un des défis majeurs de la science politique demain d’expliquer , dans un contexte dominé
par la mondialisation , le renforcement des identités dans une perspective plurielle faisant
intervenir le long terme . L’intérêt pour la discipline n’est donc pas prêt de s’éteindre ; reste à
savoir si elle saura répondre aux attentes placées en elle et aux interrogations qui ne
manqueront pas de surgir demain .