L’avenir du travail Henri Houben - Y a-t-il de l’emploi pour tout le monde ? - Le travail sera-t-il encore à l’avenir l’activité humaine centrale ? Et en a-t-il été réellement le cas dans le passé ? - Quelle est la place du monde ouvrier ? N’assiste-t-on pas au déclin de la “ classe ouvrière ” ? L’information ne joue-t-elle pas le rôle aujourd’hui dans la “ société postindustrielle ” celui tenu par le travail dans la “ société industrielle ” ? Voilà le type de questions qui sont avancées dans le débat sur le travail, surtout dans les milieux intellectuels. Elles sont soulevées par deux courants différents : le premier est celui que j’appellerais la doctrine de la “ société postindustrielle ”, fondée sur une théorie des “ stades ” ; il y aurait, en simplifiant, la société préindustrielle, puis la société industrielle et on serait arrivé à la société postindustrielle ; les Etats-Unis seraient le pays moteur de cette transition et tous les pays devraient suivre cette périodisation ; le second courant est écologiste ou écologisant avec Dominique Méda, André Gorz, etc. Mais tous se basent sur Marx que soit ils réfutent, soit ils disent dépassé. 1. Qu’est-ce que le travail ? Un des premiers problèmes vient du fait qu’on ne définit pas le travail. Même Marx ne l’a pas fait. Et je ne pense pas qu’il y ait beaucoup de marxistes qui l’aient fait. Par exemple, Jacques Gouverneur écrit : “ Le terme travail désigne les activités de production, par opposition aux activités de consommation ”1. Je ne suis pas sûr que cela soit très éclaircissant. L’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert au XVIIIème siècle (1765) la définit comme suit : “ C’est l’occupation journalière à laquelle l’homme est condamné par son besoin, et à laquelle il doit en même temps sa santé, sa subsistance, sa sérénité, son bon sens et sa vertu peut-être ”2. Je m’y risque donc : Le travail est une activité humaine qui participe à la transformation de la nature dans le but de satisfaire des besoins sociaux. Expliquons : Activité : le travail est d’abord une activité comme manger, boire, se divertir, consommer, etc., qui elles ne sont pas du travail ; mais il y a d’autres activités comme l’activité politique qui ne sont pas nécessairement du travail non plus (et ce n’est pas de la consommation) ; marcher, respirer sont d’autres activités. Humaine : le travail est le propre de l’homme ; le robot ne “ travaille ” pas ; sinon, il y a confusion du langage. Jacques Gouverneur, Les fondements de l’économie capitaliste. Introduction à l’analyse économique marxiste du capitalisme contemporain, éditions Contradictions, n°109-110, Bruxelles, 2005, p.18. 2 Cité dans Dominique Méda, Le travail. Une valeur en voie de disparition, éditions Aubier, Paris, 1995, p.92. 1 1 Transformation de la nature : c’est l’aspect le plus spécifique du travail ; il transforme la nature ; il change ce qui est produit par la nature spontanément soit en produits consommables, soit en biens qui permettront de fabriquer des biens consommables ; c’est l’aspect “ production ”. Participe : mais le travail est tout ce qui participe à cette transformation de la nature ; ainsi, étudier la nature permet de (mieux) connaître les produits, la manière de les produire, les effets secondaires, etc. ; de cette façon, il y a l’activité de transformation de la nature même, mais également les études et recherches préparatoires, l’activité de divertir, de soigner, etc., tout cela participe à la transformation de la nature, car cela permet d’avoir des “ hommes ” frais et dispos, prêts à s’atteler à transformer la nature, à produire. Besoins sociaux : c’est le but du travail ; je parle de besoins sociaux, car même s’ils satisfont un individu, il s’agit d’un individu dans une société ; le travail est une activité à caractère social. J’oppose cette définition à ceux qui présentent le travail comme uniquement un travail salarié : ne travaillerait que celui qui a un emploi rémunéré. En opposition à ceux qui affirment que le travail est propre à la société capitaliste ou à la société industrielle (d’où avec le postindustriel on ne travaillerait plus ou moins ? et auparavant, le travail n’existait pas, car les gens n’avaient pas la conscience de travailler ou de dépendre du travail). Dans sa critique de Marx, André Gorz distingue entre les activités marchandes et salariées, d’une part, et les activités non marchandes, d’autre part. Et, dans ces dernières, il souligne les “ activités pour soi ”, c’est-à-dire les activités d’auto-entretien (se laver, s’habiller, faire le ménage, préparer le repas, etc.) et les “ activités autonomes ”, celles qui “ valent par et pour elles-mêmes non pas parce qu’elles n’ont pas d’autre but autre que la satisfaction ou le plaisir qu’elles procurent mais parce que la réalisation du but autant que l’action qui le réalise sont source de satisfaction ; la fin se reflète dans les moyens et inversement ”3. 2. Autres définitions importantes Marx distingue entre travail et force de travail. Ce que ne fait pas l’économie enseignée : on parle d’unités de travail ou de facteur travail et, de ce fait, de marché du travail. Mais il est clair alors qu’on fait une confusion entre la main-d’œuvre et le travail proprement dit. La main-d’œuvre est une force de travail et est achetée comme telle dans le capitalisme, c’est-à-dire achetée comme potentialité à travailler moyennant un salaire fixé à l’avance. Le travail est l’exercice de cette force de travail. Et donc le salaire est le prix de la force de travail et non le prix du travail. Je pense que cette distinction s’impose. 3. Travail et aliénation Dans une de ses premières œuvres (appelées œuvres de jeunesse), Marx a exprimé en quoi il trouvait que le travail sous le capitalisme était aliéné (je rappelle l’étymologie du terme, qui vient du latin “ alienus ”, autre, étranger). Il en définit quatre caractéristiques principales : 3 André Gorz, Métamorphoses du travail. Quête de sens. Critique de la raison économique, éditions Galilée, Paris, 1988, p.206. 2 1. “ le travail n’est pas le bien propre du travailleur, mais celui d’un autre ”4, le capitaliste. 2. le travail n’est pas “ la satisfaction d’un besoin, mais le moyen de satisfaire des besoins en dehors du travail ”5 ; l’ouvrier travaille pour acquérir les moyens qui lui permettront de subsister. 3. “ son travail n’est pas volontaire, mais contraint, travail forcé. (...) Dès qu'il n'existe pas de contrainte physique ou autre, le travail est fui comme la peste ”6. 4. “ le travail est extérieur au travailleur, il n’appartient pas à son être : dans son travail, l’ouvrier ne s’affirme pas, mais se nie ; il ne s’y sent pas à l’aise, mais malheureux ; il n’y déploie pas une libre activité physique, mais mortifie son corps et ruine son esprit ”7. Marx relie tout cela à la propriété privée des moyens de production8 : “ Si le produit du travail n’appartient pas à l’ouvrier, s’il est une puissance étrangère en face de lui, cela n’est possible que parce qu’il appartient à un autre homme en dehors de l’ouvrier. Si l’activité de l’ouvrier lui est un tourment, elle doit être la jouissance et la joie de vivre d’un autre ”9. Et cet autre homme est le capitaliste, propriétaire des moyens de production. Dans “ Le Capital ”, Marx attribuera cette aliénation plus particulièrement à la division manufacturière du travail, c’est-à-dire à la répartition en tâches entre ouvriers dans les ateliers. La manufacture, écrit-il, transforme de fond en comble la manière de travailler du salarié individuel. La division manufacturière du travail, forme capitaliste de la division du travail, “ estropie le travailleur, elle fait de lui quelque chose de monstrueux en activant le développement factice de sa dextérité de détail, en sacrifiant tout un monde de dispositions et d’instincts producteurs ”. L’ouvrier devient un rouage parcellisé d’un gigantesque machine à faire du profit. “ Dans la manufacture, l’enrichissement du travailleur collectif, et par suite du capital, en forces productives sociales a pour condition l’appauvrissement du travail en forces productives individuelles ”. En effet, “ ce que les ouvriers perdent se concentre en face d’eux dans le capital. La division manufacturière leur oppose les puissances intellectuelles de la propriété comme la propriété d’autrui et comme pouvoir qui les domine. Cette scission commence à poindre dans la coopération simple10, où le capitaliste représente vis-à-vis du travailleur isolé l’unité et la volonté du travailleur collectif ; elle se développe dans la manufacture, qui mutile le travailleur au point de le réduire à une parcelle de lui-même ; elle s’achève enfin dans la grande industrie, qui fait de la science une force productive indépendante du travail et l’enrôle au service du capital ”11. Retirons trois grandes idées de Marx : 1. Le travail est l’activité fondamentale de l’homme. Karl Marx, Manuscrits de 1844, in Karl Marx (1972), Critique de l’économie politique, Union générale d’éditions, Paris, p.155. 5 Karl Marx, Manuscrits de 1844, op. cit., p.155. 6 Karl Marx, Manuscrits de 1844, op. cit., p.155. 7 Karl Marx, Manuscrits de 1844, op. cit., p.155. 8 Les moyens de production consistent en matériels nécessaires à la production ; mais, en gros, cela représente la propriété du capital. 9 Karl Marx, Manuscrits de 1844, op. cit., p.160. 10 Marx établit une gradation dans l’entreprise capitaliste : il y a d’abord la coopération simple où le patron réunit sous un même toit des ouvriers ; ensuite vient la manufacture caractérisée par la division en tâches entre ses travailleurs ; enfin, il y a la fabrique où le machinisme fait son apparition. 11 Karl Marx (1976), “ Le Capital ”, livre 1, éditions sociales, Paris, p.261-262. 4 3 2. Le facteur principal de l’aliénation au travail est l’existence d’un capitaliste, propriétaire des “ moyens de production ”, qui, d’une part, s’approprie la production effectuée par les travailleurs et qui, d’autre part, impose les conditions de travail pour (essayer d’) augmenter continuellement ses profits12. 3. Eliminer ce capitaliste en tant que propriétaire, rendre les entreprises et les usines aux travailleurs va permettre une libération du travail, en enlevant les deux contraintes majeures du capitalisme. Il y a aussi chez Marx l’idée que la société “ progresse ” vers un “ mieux ”. Cette conception va être critiquée fondamentalement par André Gorz et par d’autres idéologues proches des milieux écologistes. Pour Gorz, il n’est pas possible de libérer le travail, car les contraintes dépassent le caractère capitaliste de la production : il faudra toujours obéir à des ordres, etc. Il avance : “ dès qu’une norme est fixée par les ouvriers et acceptée par la hiérarchie, elle devient pour l’ouvrier un nouveau carcan. Peu importe qu’elle soit physiquement et nerveusement supportable : dès que la direction la reconnaît et l’entérine contractuellement, la nouvelle norme cesse de refléter le pouvoir autonome du groupe ouvrier pour devenir l’expression du pouvoir contraignant de la hiérarchie patronale ”13. Même le travail soi-disant enrichissant (car Gorz exprime ses doutes vis-à-vis de ce qu’on présente comme travail enrichissant, épanouissant, qualifiant…) ne change pas fondamentalement la donne : “ Bien sûr, un travail dans lequel je peux m’investir vaut toujours mieux qu’une tâche répétitive. Mais la question fondamentale est de savoir dans quelle mesure les connaissances et les facultés qu’un travail mobilise, constituent une culture professionnelle et dans quelle mesure il y a unité entre la culture professionnelle et une culture du quotidien ; entre le travail et la vie. Dans quelle mesure, en d’autres termes, l’investissement dans le travail implique-t-il un enrichissement ou un désinvestissement de soi-même ? A la fin de ma journée, suis-je devenu humainement plus riche ou plus pauvre ? Si, au zénith de ma vie, on me demande : Est-ce cela que tu rêvais de devenir quand tu avais quinze ans, que répondrai-je ? ”14 Donc la seule libération possible se situe en dehors de la sphère de l’usine. Gorz écrit : “ La réconciliation des individus avec le travail passe par la reconnaissance que, même soumis au contrôle ouvrier, le travail n’est pas et ne doit pas être l’essentiel de la vie. Il ne doit en être que l’un des pôles. La libération des individus et de la société, ainsi que la régression du salariat et des rapports marchands, passent par la prépondérance des activités autonomes sur les hétéronomes ”15. C’est une nouvelle vision de société : “ La diminution progressive du travail à but économique y aura permis aux activités autonomes de devenir prépondérantes ; “ le temps libre l’emportera sur le temps contraint, le loisir sur le travail ” ; “ le loisir ne sera plus seulement repos ou compensation mais temps essentiel et raison de vivre, le travail Dans le langage de Marx, le capitaliste tente d’accroître sans cesse la plus-value, c’est-à-dire la part du travail effectuée par les travailleurs, mais qui n’est pas rétribuée sous forme de salaire (ou coût salarial selon la terminologie actuelle) et est, de ce fait, accaparée gratuitement par le capitaliste. 13 André Gorz, Adieux au prolétariat. Au-delà du socialisme, éditions Galilée, Paris, 1980, p.76. 14 André Gorz, Métamorphoses du travail. Quête de sens. Critique de la raison économique, éditions Galilée, Paris, 1988, p.105. 15 André Gorz, Adieux au prolétariat. Au-delà du socialisme, éditions Galilée, Paris, 1980, p.20. 12 4 étant réduit au rang de moyen ”. (…) Il s’agit, en un mot, de passer d’une société productiviste ou société de travail à une société du temps libre où le culturel et le sociétal l’emportent sur l’économique ”16. Ce qui implique qu’il faut réduire à tout prix la part du travail dans la société au profit des autres activités (notamment le loisir). D’où l’importance de la réduction du temps de travail. Revenons de nouveau à Gorz : “ la tâche prioritaire d’une gauche postindustrielle doit être l’extension maximale, dans et surtout hors de la famille, des activités autonomes portant leur finalité et leur récompense en elles-mêmes, et la restriction au strict nécessaire des activités salariées et marchandes effectuées pour le compte d’un tiers (ce tiers fût-il l’Etat). La réduction de la durée du travail est une condition nécessaire ; ce n’est pas une condition suffisante. Elle ne contribue pas à l’expansion de la sphère de l’autonomie individuelle si le temps libéré demeure le temps vide du “ loisir ”, comblé tant bien que mal par les diversions programmatiques des mass media, les marchands de l’oubli et le repli de chacun dans la solitude de la sphère privée ”17. La critique de Marx porte donc essentiellement sur deux points : 1. il n’est pas vrai que “ les rigidités et les contraintes physiques de la machine sociale peuvent être supprimées ” ; 2. il n’est pas exact que “ l’activité personnelle autonome et le travail social peuvent coïncider au point de ne faire qu’un ”18 ; ce que Dominique Méda traduit par : “ considérer toute œuvre comme du travail et tout travail comme une œuvre, c’est considérer que toute vie est production et que tout acte de production est expression. Le seul mode d’expression individuelle possible est la production et le seul mode de communication sociale, la production d’objets et de services ”19 et cela porte à confusion. 4. Le déclin de la “ classe ouvrière ” Une autre discussion provient de la réduction de la part de ce qu’on appelle les ouvriers. Le problème est que la définition d’ouvrier diffère de théorie en théorie. Juridiquement, un ouvrier est un travailleur manuel (par opposition à employé, qui est un travailleur “ intellectuel ”). L’ouvrier est aussi associé à l’industrie manufacturière. Or la part de l’emploi dans l’industrie manufacturière diminue. C’est ce que montre (en partie) le tableau suivant. 16 André Gorz, Métamorphoses du travail. Quête de sens. Critique de la raison économique, éditions Galilée, Paris, 1988, p.223. 17 André Gorz, Adieux au prolétariat. Au-delà du socialisme, éditions Galilée, Paris, 1980, p.131-132. 18 André Gorz, Métamorphoses du travail. Quête de sens. Critique de la raison économique, éditions Galilée, Paris, 1988, p.44. 19 Dominique Méda, op. cit., p.166. 5 Tableau 1. Evolution de la part des emplois manufacturiers dans le total des emplois par région 1960-2000 (en %) Afrique sub-saharienne Moyen-Orient Amérique latine Asie de l'Est Chine Tiers-monde Pays industrialisés 1960 1970 1980 1990 2000 4,4 4,8 6,2 5,9 5,5 7,9 10,7 12,9 15,1 15,3 15,4 16,3 16,5 16,8 14,2 8,0 10,4 15,8 16,6 14,9 10,9 11,5 10,3 13,5 11,5 10,0 10,8 11,5 13,6 12,5 26,5 26,8 24,1 20,1 17,3 UNCTAD, Trade and Development Report 2003, p.95. Mais il faut relativiser. On voit une décroissance continue pour les pays industrialisés (riches), soit l’Europe, le Japon et l’Amérique du Nord, depuis 1970. En revanche, de 1960 à 1990, l’emploi manufacturier augmente plutôt dans les pays du tiers-monde. De 1990 à 2000, cette part diminue aussi pour le Sud. Mais, sans doute, elle continue à croître en nombre absolu d’emplois. Il est clair que, pour les pays industrialisés, il y a une diminution des emplois de production. On peut le montrer pour les Etats-Unis et pour le Japon (pour l’Europe, c’est plus difficile à établir des statistiques) Tableau 2. Evolution des emplois par occupation aux Etats-Unis 1970-2000 (en milliers et en %) Professionnels Dirigeants Employés Ventes Services Agriculture Production Total Professionnels Dirigeants Employés Ventes Services Agriculture Production Total 1970 11.149 8.295 13.723 4.857 9.719 3.127 27.807 78.677 14,17 10,54 17,44 6,17 12,35 3,97 35,34 100,00 1980 1990 2000 2002 15.968 19.666 25.498 26.430 11.138 14.802 19.774 20.561 18.473 18.762 18.717 18.184 6.303 14.285 16.340 16.254 13.228 16.012 18.278 19.219 2.741 3.450 3.399 3.480 31.452 31.816 33.201 32.357 99.303 118.793 135.207 136.485 16,08 16,55 18,86 19,36 11,22 12,46 14,62 15,06 18,60 15,79 13,84 13,32 6,35 12,03 12,09 11,91 13,32 13,48 13,52 14,08 2,76 2,90 2,51 2,55 31,67 26,78 24,56 23,71 100,00 100,00 100,00 100,00 Source : BIT. 6 Tableau 3. Evolution des emplois par occupation au Japon 1970-2000 (en milliers et en %) Professionnels Dirigeants Employés Ventes Services Agriculture Production Non alloué Total Professionnels Dirigeants Employés Ventes Services Agriculture Production Non alloué Total 1970 2.950 1.340 7.550 6.620 3.870 8.800 19.710 80 50.920 5,79 2,63 14,83 13,00 7,60 17,28 38,71 0,16 100,00 1980 4.380 2.200 9.240 7.970 5.010 5.700 20.740 130 55.370 7,91 3,97 16,69 14,39 9,05 10,29 37,46 0,23 100,00 1990 6.900 2.390 11.570 9.400 5.350 4.480 22.120 300 62.510 11,04 3,82 18,51 15,04 8,56 7,17 35,39 0,48 100,00 2000 8.560 2.060 12.850 9.110 6.770 3.210 21.520 370 64.450 13,28 3,20 19,94 14,13 10,50 4,98 33,39 0,57 100,00 2002 8.900 1.870 12.280 9.340 7.170 2.910 20.320 520 63.310 14,06 2,95 19,40 14,75 11,33 4,60 32,10 0,82 100,00 Source : BIT. Les prévisions des emplois futurs aux Etats-Unis donnent une croissance faible des postes de production, donc une diminution de leur part dans le total au profit des emplois dans la santé, l’enseignement et les autres services essentiellement. Les plus grandes hausses seraient : - les enseignants dans le postsecondaire : +38,1% ; - les informaticiens et experts en mathématiques : +34,8% ; - les aides dans le domaine de la santé : +34,5% ; - les enseignants dans les prégardiennes : +33,6% ; - le personnel des services sociaux : +29% ; - les infirmiers et infirmières : +27,3% ; - les autres membres du personnel de la santé : +25,2 ; - le personnel des services de protection : +24,6%. Evidemment, ce ne sont que des projections. 7 Tableau 4. Projection des emplois par occupation aux Etats-Unis 2002-2012 (en milliers et en %) 2002 % Proj.2012 % 12-02 1 Dirigeants 15.501 10,8 17.883 10,8 2.382 Scientifiques et professionnels 8.010 5,6 9.684 5,9 1.674 Santé 6.580 4,6 8.288 5,0 1.708 Enseignement 8.531 5,9 10.639 6,4 2.108 Autres 4.567 3,2 5.533 3,3 966 2 Professionnels 27.688 19,2 34.144 20,7 6.456 Restauration 10.199 7,1 11.807 7,1 1.608 Surveillance et protection 8.601 6,0 10.271 6,2 1.670 Autres 7.768 5,4 9.827 5,9 2.059 3 Services 26.568 18,4 31.905 19,3 5.337 4 Vente 15.260 10,6 17.231 10,4 1.971 5 Bureau et administration 23.850 16,6 25.464 15,4 1.614 6 Agriculture, pêche et forêts 1.072 0,7 1.107 0,7 35 7 Construction 7.291 5,1 8.387 5,1 1.096 8 Installation - réparation 5.696 4,0 6.472 3,9 776 9 Production 11.259 7,8 11.611 7,0 352 10 Transport 9.828 6,8 11.111 6,7 1.283 Total 144.013 100,0 165.315 100,0 21.302 % 15,4 20,9 26,0 24,7 21,2 23,3 15,8 19,4 26,5 20,1 12,9 6,8 3,3 15,0 13,6 3,1 13,1 14,8 Source : Calculs propres sur base de Daniel Hecker, “ Occupational employment projections to 2012 ”, Monthly Labor Review, février 2004, p.82 à 97. Ceci a donné lieu à des théories sur le passage d’une société industrielle à une société postindustrielle, d’une société moderne à une société postmoderne. Dans la société postindustrielle, la société postmoderne, le travail n’aurait plus la place centrale. Ce serait, par exemple, l’information. John Huey écrit : “ Le travail n’est plus une marchandise. Dans la vieille économie20, les travailleurs d’une entreprise automobile étaient les parfaits équivalents des ouvriers d’un autre constructeur. Le travail était seulement une marchandise et était interchangeable. Maintenant, le travail est très fortement variable. (…) Ce qui compte, c’est la capacité d’une firme d’attirer, de retenir et d’agrandir les possibilités intellectuelles des travailleurs et de fournir un environnement propice à l’innovation et à la créativité. (…) Dans l’ancienne économie, les travailleurs essayaient de s’accomplir dans les loisirs. L’ouvrier était aliéné par rapport aux moyens de production21, qui étaient possédés et contrôlés par quelqu’un d’autre22. Dans la nouvelle économie, l’accomplissement se réalise dans le travail et les moyens de production sont transférés au cerveau du producteur ”23. On peut résumer les thèses des partisans de la nouvelle société (ou société de l’information), en ce qui concerne le travail : 20 La vieille économie désigne les secteurs clés de la société industrielle (automobile, chimie lourde, sidérurgie, construction, etc.). La nouvelle économie concerne les secteurs où se développent les technologies de l’information (informatique, télécommunications, médias, etc.). 21 Les moyens de production sont les instruments avec lesquels on produit : terrains, bâtiments, usines, bureaux, machines, etc. 22 Il est tout à fait étonnant de voir les adeptes de la théorie de la société de l’information reconnaître l’exploitation ouvrière dans la société industrielle. Mais c’est évidemment une reconnaissance a posteriori. 23 John Huey, Thriving in a New Economy, chapter 2, The McGraw-Hill Companies, 1996. 8 1. L’information remplace le travail comme base de la société. 2. Le nombre de travailleurs présents dans la nouvelle économie croît fortement, surtout par rapport à celui des ouvriers de la vieille société. 3. Le travail dans les secteurs où se développent les technologies de l’information est plus stimulant, car il requiert un travailleur plus qualifié. Le travail de celui-ci est basé sur l’innovation et la créativité. En outre, ce salarié fonctionne de façon plus autonome, soit seul, soit en petite équipe de quelques personnes. 4. Il n’y a plus de classes sociales. Par contre, il y a des problèmes d’inégalités et d’exclusions, qu’il faut traiter. Il y a un lien avec les thèses de Gorz, qui est d’ailleurs auteur d’un livre intitulé “ Adieux au prolétariat ”. La société postmoderne accorderait moins de place au travail. Mais il y a une différence. Les partisans de cette théorie pensent que les conditions de travail vont s’améliorer du fait du passage d’une majorité d’emplois de l’industrie manufacturière vers les services. 5. Travail et emploi Certains annoncent un problème insoluble d’emploi, car pour produire il faut de moins en moins de personnes. D’où également une diminution du travail comme activité sociale centrale. C’est le cas de Jeremy Rifkin qui en a profité pour écrire un ouvrage à succès au titre évocateur “ La fin du travail ”. Il développe : “ Dans les secteurs primaire, secondaire et tertiaire, les machines remplacent rapidement le travail humain et annoncent une économie de production quasi automatisée d’ici au milieu du XXIème siècle. La substitution massive des machines aux travailleurs s’apprête à contraindre tous les pays à repenser le rôle des êtres humains dans la société ”24. Il ajoute : “ Nous entrons dans une nouvelle phase de l’histoire du monde : de moins en moins de travailleurs seront nécessaires pour produire les biens et les services destinés à la population de la planète ”25. Pour y faire face, il propose le développement du tiers secteur, qui peut être subsidié par l’Etat. Il faut dire que sa théorie a semblé intéressante au début des années 90. Mais comme les statistiques le montrent, l’emploi n’a pas diminué, mais a augmenté régulièrement, même dans les pays capitalistes développés. Le taux de chômage a globalement été réduit par rapport au début des années 90. 6. Bibliographie sélective * BOUFFARTIGUE Paul et ECKERT Henri (dir.) (1997), Le travail à l’épreuve du salariat. A propos de la fin du travail, éditions L’Harmattan, Paris. 24 25 Jeremy Rifkin, La fin du travail, éditions La Découverte, Paris, 1996, p.13. Jeremy Rifkin, op. cit., p.14. 9 * CASTELLS Manuel (1998), La société en réseaux, éditions Fayard, Paris, surtout le chapitre IV “ La transformation du travail et de l’emploi. Travail en réseau, chômage et travail flexible ”, p.239 à 369. * DEJOURS Christophe (1998), Souffrance en France. La banalisation de l’injustice sociale, éditions du Seuil, Paris. * ENGELS Friedrich (1975), Dialectique de la nature, éditions sociales, Paris, essentiellement le chapitre “ Le rôle du travail dans la transformation du singe en homme ”, p.171 à 183. * FRIEDMAN Georges (1950), Où va le travail humain ?, éditions Gallimard, Paris. * FRIEDMANN Georges (1964), Le travail en miettes, éditions Gallimard, Paris. * GORZ André (éd.) (1973), Critique de la division du travail, éditions Le Seuil, Paris. * GORZ André (1980), Adieu au prolétariat. Au-delà du socialisme, éditions Galilée, Paris. * GORZ André (1988), Métamorphoses du travail. Quête du sens. Critique de la raison économique, éditions Galilée, Paris. * GOUVERNEUR Jacques (2005), Les fondements de l’économie capitaliste. Introduction à l’analyse économique marxiste du capitalisme contemporain, éditions Contradictions, n°109-110, Bruxelles. * HOUBEN Henri (2000), “ Le travail est-il encore aliéné ? ”, Contradictions n°92, Bruxelles, p.51 à 69. * MARX Karl (1972), Critique de l'économie politique, Union générale d’éditions, Paris. * MARX Karl (1976), Le Capital, 3 livres, éditions sociales, Paris, en particulier les sections 3, 4 et 5 du livre (qui traitent des augmentations de plus-value et contiennent des descriptions des conditions de travail de l’époque). * MEDA Dominique (1995), Le travail. Une valeur en voie de disparition, éditions Aubier, Paris. * RIFKIN Jeremy (1996), La fin du travail, éditions La Découverte, Paris. 10