Congrès Marx International V - Section Ecologie Paris-Sorbonne et Nanterre 3/6
octobre 2007
Bernard Guibert Paris, le 24 mai 2007
841061876 Créé le 18/09/2007 16:25:00
Décroissance ou alterdéveloppement
"Le vieux se meurt et le neuf n'est pas encore né".
Introduction : la mondialisation économique mise en
perspective historique
En quoi le développement peut-il être un alterdéveloppement sinon une décroissance ?
Le productivisme se meurt. Le productivisme c'est la croissance du PIB pour la croissance du PIB. C'est
la forme fétichisée de l'accumulation du profit pour le profit, elle-même forme fétichisée du mode de
production capitaliste, dont l'irrésistible ascension a commencé il y a à peine un peu plus de deux siècles.
Le productivisme se meurt.
Ce que Marx appelait "la loi et les prophètes" : "Accumulez ! Accumulez !" et Guizot : "Enrichissez-vous !
Enrichissez-vous !", ce fantasme délirant de toute-puissance se heurte aux limites naturelles de la planète
et aux révoltes de plus en plus explosives des laissés-pour-compte du Tiers-monde.
La croissance se meurt donc.
Mais le neuf, la décroissance conviviale, la frugalité heureuse du vivre ensemble, n'est pas encore né.
Entre les deux, ni développement, ni décroissance conviviale, se perpétue dans une demi obscurité
"l'alterdéveloppement", la forme provisoire du compromis entre notre aspiration à échapper aux
catastrophes sociales et écologiques et le principe de réalité qui nous fait courber la tête devant les
fourches caudines de la dictature médiatico-sondagière du capitalisme financier planétaire.
Pour que le veloppement de chacun soit vraiment "alter", il faut qu'il devienne synonyme de
décroissance des addictions économiques collectives.
Telle est ma thèse en résumé.
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Ma grille d'analyse est la même que celle de Jean-Marie Harribey.
Notre outillage conceptuel commun pour analyser sérieusement et même scientifiquement l’histoire des
sociétés contemporaines à long terme est une problématique marxienne.
Marxienne et non marxiste. Pour aller vite, pour moi, comme pour Jean-Marie Harribey certainement, le
marxisme, la langue de bois qui est devenu le fétichisme du socialisme réel, est une caricature de la
pensée marxienne comme outil irremplaçable d'analyse historique de nos sociétés contemporaines. Cette
caricature de la pensée marxienne, le marxisme dogmatique est en d'autres termes le « stalinisme » qui a
régné entre 1923 et 1989.
Le règne du marxisme entend que caricature criminelle de la pensée marxienne, en particulier chez les
partis révolutionnaires, coïncide historiquement avec le petit 20e siècle. Je fais allusion ici à l'historien
britannique « marxien » Éric Hobsbawm lorsqu'il pose que le « petit 20e siècle » a commencé en 1914 et
s'est terminé en 1989 avec la chute du mur de Berlin.
Ceci permet d'éclairer la conjoncture actuelle. Elle est la rencontre de deux fins de cycle. Selon un cycle
historique long, qui correspond à deux cycles de Kondratieff si on veut, nous vivons l'agonie du petit 20e
siècle. Ce XXe siècle a été la succession de deux guerres, la "nouvelle guerre de 30 ans" entre 1914 et
1945, ou encore la "guerre civile européenne" (de 30 ans) du XXe siècle, et la "guerre froide" de
pratiquement un demi-siècle entre 1945 et 1992. Cette deuxième fin de cycle est celle de levée définitive
de l'hypothèque que faisait peser le "socialisme réel" sur le mouvement d'émancipation de l'humanité.
La deuxième fin de cycle est interne à la sphère politique des démocraties occidentales, de la France
notamment. Elle correspond à la fin de la "démocratie de parti" (la mocratie représentative à travers le
Parlement et un mode d'élection à peu près proportionnel de représentants sélectionnés par des partis
politiques) et au basculement dans la "démocratie d'opinion". Celle-ci n'est pas plus démocratique que la
démocratie parlementaire le pouvoir de la bourgeoisie est relayé par une coalition de partis au service
de sa politique de classe. Elle n'est autre que la dictature médiatico-sondagière qu'il ne faut pas
confondre avec la "démocratie participative et délibérative" à laquelle tend spontanément tout mouvement
d'auto émancipation populaire. On observe ce basculement dans toutes les sociétés capitalistes
développées. Elle coïncide avec le triomphe de la contre-révolution néolibérale symbolisée par les noms
de Ronald Reagan aux États-Unis et de Margaret Thatcher en Angleterre, puis de Berlusconi en Italie, à
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nouveau de Toni Blair en Grande-Bretagne et enfin de Nicolas Sarkozy en France.
La fin du premier cycle nous fait-elle revenir simplement à la domination des oligarchies que connaissait
le monde capitaliste développé avant la guerre de 14 18 ? Ce serait trop simple. L'histoire ne se répète
jamais elle bégaye.
En réalité nous héritons, dans cette France du début du XXIe siècle, de trois cultures politiques de
"séparation" relativement distinctes à gauche. La première est celle de la charte d'Amiens qui pare les
syndicats des partis politiques. La seconde est celle du congrès de Tours de 1920 qui pare les partis
réformistes, sociaux-démocrates dans le langage aujourd'hui, des partis volutionnaires (communistes,
puis trotskistes et enfin maoïstes). La troisième culture fait irruption sur la scène médiatique en 1968 avec
les thèmes spécifiques du XXe siècle, les "fronts secondaires" qu’examinent avec condescendance les
partis de tradition léniniste qui s'autoproclament révolutionnaires, avec principalement d'une part le
féminisme et d'autre part l'écologie politique et les révoltes de tous les "sens" (sans travail, sans papier,
sans-abri etc.). cette troisième culture est celle de la séparation de la société civile et de la société
politique.
I. La mondialisation économique
A. Les traits nouveaux du XXIe siècle par rapport au 19e siècle
La conjoncture actuelle correspond également à un phénomène sans précédent de mondialisation
quantitative de toutes les formes du capital. Il y a eu déjà, depuis que le capitalisme existe, des phases
d'internationalisation de la production depuis le commerce triangulaire au XVIIe et au XVIIIe siècle jusqu'à
la première phase d'émergence du capitalisme financier à la fin du XIXe siècle, conjointement au
colonialisme et à l'impérialisme. Mais ce qui caractérise la fin du XXe siècle c'est l'émergence d'une
"oligarchie financière mondialisée" relativement unifiée par les firmes multinationales d'un point de vue
économique et par le mode de vie de la jet-set du point de vue sociologique, sans contre-pouvoir politique
et sans forme d'État congruente avec elle. Désormais règne la "valeur actionnariale" qui réclame un profit
financier à deux chiffres (sinon à 15 %) qui "tire" un profit industriel qui ne peut guère dépasser sur le long
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terme trois à 4 % par an. On a donc assisté à un déplacement quantitatif sans précédent du partage
salaires profit. Ainsi la classe des rentiers, contrairement à l'euthanasie que leur avait prédit Keynes après
la guerre de 14 -- 18, est en train de ressusciter à l'échelle planétaire.
Cette mondialisation amplifie de manière exponentielle des tendances aussi anciennes que le capitalisme
mais aussi induit des ruptures qualitatives. Désormais la valeur réclame un profit sans intermédiaire
commercial ou industriel. C'est le cycle argent (A-A') autonomisé à l'échelle de la planète tout entière.
Cela se traduit dans le langage des financiers par la "titrisation" des créances commerciales et par
l'autonomie et la fluidité à l'échelle mondiale des fonds de pension.
1. Généralisation des rentes à l'échelle mondiale
Comme l'a montré Thomas Piketty (dans sa thèse) on assiste désormais à la résurrection d'un capitalisme
rentier l’argent se féconde lui-même sans voir, sinon très indirectement, que cette valorisation met en
place un processus invisible d'exploitation des différentes classes ouvrières des différents Etats-Nations à
l'échelle mondiale.
En particulier se développe une économie de services. Il existe désormais une armée de réserve à
l'échelle mondiale, essentiellement localisée et concentrée dans les mégapoles des pays du Sud, dans
ces immenses banlieues dépourvues de tout équipement collectif et où s'entassent des millions de
chômeurs qui ne peuvent survivre que grâce à des économies parallèles, plus ou moins illégales, plus ou
moins mafieuses et plus ou moins criminelles. Sur les prolétariats des pays du centre s'exerce un
chantage au dumping social et à la délocalisation qui explique le déplacement durable et massif du
partage salaires profits aux dépens des salariés.
La forme qualitative du revenu dominant devient celui de la rente. On s'en aperçoit avec la multiplication
des bulles spéculatives notamment dans l'immobilier et dans les spéculations sur les matières premières
et les stock-options et toutes les sophistications des "marchés dérivés" (valeurs d'options, valeur
actionnariale etc.) qui reviennent à "titriser" les prises de risques au point de court-circuiter tout "principe
de précaution". Ceci est un phénomène nouveau par rapport à la mondialisation. En effet lors de la
Grande dépression de la fin du 19e siècle, celle qui a couru en gros pendant 25 ans entre 1870 et 1895,
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la mondialisation a été essentiellement une mondialisation commerciale (cycle de la marchandise,
M…P…M’-A’-M’) dont l'apogée se situe en 1905, année également de la première tentative de révolution
en Russie. Après la deuxième guerre mondiale on a assisté à une mondialisation de la production (cycle
de la production P…M-A-MP) par la multiplication de firmes multinationales c'est-à-dire essentiellement
des firmes à siège social américain, mais dont les segments de production étaient décentralisés à
l'échelle des continents. Désormais, au début du XXIe siècle, on assiste à une recentralisation des
différents segments de la production dans des continents ateliers comme la Chine ou l'Inde. On assiste
désormais à la mondialisation du cycle argent (A-M..P…M’-A’) qui décolle de la simple production (P)
pour s'autonomiser d'une manière complètement virtuelle et fantasmatique (A-A’) dans une espèce de
paroxysme fou du fétichisme du capital : la personnification des marchés, la "dictature des marchés".
2. Les enclosures à perpétuité
Le deuxième phénomène nouveau est que le mode de production (c'est-à-dire le mode d'accumulation du
capital par la conversion des profits en capital) rencontre des limites "naturelles" : ce sont les crises
écologiques.
Il faut relativiser ce phénomène dans la mesure le capitalisme à l’échelle mondiale a toujours eu deux
fers au feu, en même temps qu'un mode de reproduction relativement équilibré (une espèce de régime de
croisière d'un capitalisme "politiquement correct" qui respecte aujourd'hui la "responsabilité sociale et
environnementale" (RSE) des entreprises) une exploitation "minière" des autres ressources naturelles ou
sociales et en particulier de la "force de travail" (accumulation primitive).
Et historiquement cette exploitation "minière" de la force de travail mondialisée a pour précédents
historiques une succession ininterrompue "d'exploitation minière" ou "d'accumulation primitive" : les
esclaves du commerce triangulaire, les peuples autochtones de l'Amérique du Sud et de l'Amérique du
Nord après 1492, les artisans de l'Inde, et en particulier ses tisserands qui tissaient les fameuses
"indiennes" au XVIIIe siècle, la Chine de la guerre de l'opium, etc. Plus près de nous rappelons-nous
l'économie totalitaire des camps de concentration et d'extermination nazie au milieu du XXe siècle, le
travail forcé du goulag dans l'ancienne Union soviétique, et de nos jours le travail, éthiquement
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