Alter développement ou décroissance

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Congrès Marx International V - Section Ecologie – Paris-Sorbonne et Nanterre – 3/6
octobre 2007
Bernard Guibert
Paris, le 24 mai 2007
Décroissance ou alterdéveloppement
"Le vieux se meurt et le neuf n'est pas encore né".
Introduction : la mondialisation
perspective historique
économique
mise
en
En quoi le développement peut-il être un alterdéveloppement sinon une décroissance ?
Le productivisme se meurt. Le productivisme c'est la croissance du PIB pour la croissance du PIB. C'est
là la forme fétichisée de l'accumulation du profit pour le profit, elle-même forme fétichisée du mode de
production capitaliste, dont l'irrésistible ascension a commencé il y a à peine un peu plus de deux siècles.
Le productivisme se meurt.
Ce que Marx appelait "la loi et les prophètes" : "Accumulez ! Accumulez !" et Guizot : "Enrichissez-vous !
Enrichissez-vous !", ce fantasme délirant de toute-puissance se heurte aux limites naturelles de la planète
et aux révoltes de plus en plus explosives des laissés-pour-compte du Tiers-monde.
La croissance se meurt donc.
Mais le neuf, la décroissance conviviale, la frugalité heureuse du vivre ensemble, n'est pas encore né.
Entre les deux, ni développement, ni décroissance conviviale, se perpétue dans une demi obscurité
"l'alterdéveloppement", la forme provisoire du compromis entre notre aspiration à échapper aux
catastrophes sociales et écologiques et le principe de réalité qui nous fait courber la tête devant les
fourches caudines de la dictature médiatico-sondagière du capitalisme financier planétaire.
Pour que le développement de chacun soit vraiment "alter", il faut qu'il devienne synonyme de
décroissance des addictions économiques collectives.
Telle est ma thèse en résumé.
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Créé le 18/09/2007 16:25:00
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Ma grille d'analyse est la même que celle de Jean-Marie Harribey.
Notre outillage conceptuel commun pour analyser sérieusement et même scientifiquement l’histoire des
sociétés contemporaines à long terme est une problématique marxienne.
Marxienne et non marxiste. Pour aller vite, pour moi, comme pour Jean-Marie Harribey certainement, le
marxisme, la langue de bois qui est devenu le fétichisme du socialisme réel, est une caricature de la
pensée marxienne comme outil irremplaçable d'analyse historique de nos sociétés contemporaines. Cette
caricature de la pensée marxienne, le marxisme dogmatique est en d'autres termes le « stalinisme » qui a
régné entre 1923 et 1989.
Le règne du marxisme entend que caricature criminelle de la pensée marxienne, en particulier chez les
partis révolutionnaires, coïncide historiquement avec le petit 20e siècle. Je fais allusion ici à l'historien
britannique « marxien » Éric Hobsbawm lorsqu'il pose que le « petit 20e siècle » a commencé en 1914 et
s'est terminé en 1989 avec la chute du mur de Berlin.
Ceci permet d'éclairer la conjoncture actuelle. Elle est la rencontre de deux fins de cycle. Selon un cycle
historique long, qui correspond à deux cycles de Kondratieff si on veut, nous vivons l'agonie du petit 20e
siècle. Ce XXe siècle a été la succession de deux guerres, la "nouvelle guerre de 30 ans" entre 1914 et
1945, ou encore la "guerre civile européenne" (de 30 ans) du XXe siècle, et la "guerre froide" de
pratiquement un demi-siècle entre 1945 et 1992. Cette deuxième fin de cycle est celle de levée définitive
de l'hypothèque que faisait peser le "socialisme réel" sur le mouvement d'émancipation de l'humanité.
La deuxième fin de cycle est interne à la sphère politique des démocraties occidentales, de la France
notamment. Elle correspond à la fin de la "démocratie de parti" (la démocratie représentative à travers le
Parlement et un mode d'élection à peu près proportionnel de représentants sélectionnés par des partis
politiques) et au basculement dans la "démocratie d'opinion". Celle-ci n'est pas plus démocratique que la
démocratie parlementaire où le pouvoir de la bourgeoisie est relayé par une coalition de partis au service
de sa politique de classe. Elle n'est autre que la dictature médiatico-sondagière qu'il ne faut pas
confondre avec la "démocratie participative et délibérative" à laquelle tend spontanément tout mouvement
d'auto émancipation populaire. On observe ce basculement dans toutes les sociétés capitalistes
développées. Elle coïncide avec le triomphe de la contre-révolution néolibérale symbolisée par les noms
de Ronald Reagan aux États-Unis et de Margaret Thatcher en Angleterre, puis de Berlusconi en Italie, à
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nouveau de Toni Blair en Grande-Bretagne et enfin de Nicolas Sarkozy en France.
La fin du premier cycle nous fait-elle revenir simplement à la domination des oligarchies que connaissait
le monde capitaliste développé avant la guerre de 14 18 ? Ce serait trop simple. L'histoire ne se répète
jamais elle bégaye.
En réalité nous héritons, dans cette France du début du XXIe siècle, de trois cultures politiques de
"séparation" relativement distinctes à gauche. La première est celle de la charte d'Amiens qui sépare les
syndicats des partis politiques. La seconde est celle du congrès de Tours de 1920 qui sépare les partis
réformistes, sociaux-démocrates dans le langage aujourd'hui, des partis révolutionnaires (communistes,
puis trotskistes et enfin maoïstes). La troisième culture fait irruption sur la scène médiatique en 1968 avec
les thèmes spécifiques du XXe siècle, les "fronts secondaires" qu’examinent avec condescendance les
partis de tradition léniniste qui s'autoproclament révolutionnaires, avec principalement d'une part le
féminisme et d'autre part l'écologie politique et les révoltes de tous les "sens" (sans travail, sans papier,
sans-abri etc.). cette troisième culture est celle de la séparation de la société civile et de la société
politique.
I. La mondialisation économique
A. Les traits nouveaux du XXIe siècle par rapport au 19e siècle
La conjoncture actuelle correspond également à un phénomène sans précédent de mondialisation
quantitative de toutes les formes du capital. Il y a eu déjà, depuis que le capitalisme existe, des phases
d'internationalisation de la production depuis le commerce triangulaire au XVIIe et au XVIIIe siècle jusqu'à
la première phase d'émergence du capitalisme financier à la fin du XIXe siècle, conjointement au
colonialisme et à l'impérialisme. Mais ce qui caractérise la fin du XXe siècle c'est l'émergence d'une
"oligarchie financière mondialisée" relativement unifiée par les firmes multinationales d'un point de vue
économique et par le mode de vie de la jet-set du point de vue sociologique, sans contre-pouvoir politique
et sans forme d'État congruente avec elle. Désormais règne la "valeur actionnariale" qui réclame un profit
financier à deux chiffres (sinon à 15 %) qui "tire" un profit industriel qui ne peut guère dépasser sur le long
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terme trois à 4 % par an. On a donc assisté à un déplacement quantitatif sans précédent du partage
salaires profit. Ainsi la classe des rentiers, contrairement à l'euthanasie que leur avait prédit Keynes après
la guerre de 14 -- 18, est en train de ressusciter à l'échelle planétaire.
Cette mondialisation amplifie de manière exponentielle des tendances aussi anciennes que le capitalisme
mais aussi induit des ruptures qualitatives. Désormais la valeur réclame un profit sans intermédiaire
commercial ou industriel. C'est le cycle argent (A-A') autonomisé à l'échelle de la planète tout entière.
Cela se traduit dans le langage des financiers par la "titrisation" des créances commerciales et par
l'autonomie et la fluidité à l'échelle mondiale des fonds de pension.
1. Généralisation des rentes à l'échelle mondiale
Comme l'a montré Thomas Piketty (dans sa thèse) on assiste désormais à la résurrection d'un capitalisme
rentier où l’argent se féconde lui-même sans voir, sinon très indirectement, que cette valorisation met en
place un processus invisible d'exploitation des différentes classes ouvrières des différents Etats-Nations à
l'échelle mondiale.
En particulier se développe une économie de services. Il existe désormais une armée de réserve à
l'échelle mondiale, essentiellement localisée et concentrée dans les mégapoles des pays du Sud, dans
ces immenses banlieues dépourvues de tout équipement collectif et où s'entassent des millions de
chômeurs qui ne peuvent survivre que grâce à des économies parallèles, plus ou moins illégales, plus ou
moins mafieuses et plus ou moins criminelles. Sur les prolétariats des pays du centre s'exerce un
chantage au dumping social et à la délocalisation qui explique le déplacement durable et massif du
partage salaires profits aux dépens des salariés.
La forme qualitative du revenu dominant devient celui de la rente. On s'en aperçoit avec la multiplication
des bulles spéculatives notamment dans l'immobilier et dans les spéculations sur les matières premières
et les stock-options et toutes les sophistications des "marchés dérivés" (valeurs d'options, valeur
actionnariale etc.) qui reviennent à "titriser" les prises de risques au point de court-circuiter tout "principe
de précaution". Ceci est un phénomène nouveau par rapport à la mondialisation. En effet lors de la
Grande dépression de la fin du 19e siècle, celle qui a couru en gros pendant 25 ans entre 1870 et 1895,
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la mondialisation a été essentiellement une mondialisation commerciale (cycle de la marchandise,
M…P…M’-A’-M’) dont l'apogée se situe en 1905, année également de la première tentative de révolution
en Russie. Après la deuxième guerre mondiale on a assisté à une mondialisation de la production (cycle
de la production P…M-A-M…P) par la multiplication de firmes multinationales c'est-à-dire essentiellement
des firmes à siège social américain, mais dont les segments de production étaient décentralisés à
l'échelle des continents. Désormais, au début du XXIe siècle, on assiste à une recentralisation des
différents segments de la production dans des continents ateliers comme la Chine ou l'Inde. On assiste
désormais à la mondialisation du cycle argent (A-M..P…M’-A’) qui décolle de la simple production (P)
pour s'autonomiser d'une manière complètement virtuelle et fantasmatique (A-A’) dans une espèce de
paroxysme fou du fétichisme du capital : la personnification des marchés, la "dictature des marchés".
2. Les enclosures à perpétuité
Le deuxième phénomène nouveau est que le mode de production (c'est-à-dire le mode d'accumulation du
capital par la conversion des profits en capital) rencontre des limites "naturelles" : ce sont les crises
écologiques.
Il faut relativiser ce phénomène dans la mesure où le capitalisme à l’échelle mondiale a toujours eu deux
fers au feu, en même temps qu'un mode de reproduction relativement équilibré (une espèce de régime de
croisière d'un capitalisme "politiquement correct" qui respecte aujourd'hui la "responsabilité sociale et
environnementale" (RSE) des entreprises) une exploitation "minière" des autres ressources naturelles ou
sociales et en particulier de la "force de travail" (accumulation primitive).
Et historiquement cette exploitation "minière" de la force de travail mondialisée a pour précédents
historiques une succession ininterrompue "d'exploitation minière" ou "d'accumulation primitive" : les
esclaves du commerce triangulaire, les peuples autochtones de l'Amérique du Sud et de l'Amérique du
Nord après 1492, les artisans de l'Inde, et en particulier ses tisserands qui tissaient les fameuses
"indiennes" au XVIIIe siècle, la Chine de la guerre de l'opium, etc. Plus près de nous rappelons-nous
l'économie totalitaire des camps de concentration et d'extermination nazie au milieu du XXe siècle, le
travail forcé du goulag dans l'ancienne Union soviétique, et de nos jours le travail, éthiquement
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irresponsable, des enfants et des femmes du tiers-monde. L'exploitation minière des ressources
naturelles de nos jours c'est le changement climatique, la raréfaction progressive de l'eau potable, la
privatisation des connaissances, le pillage de la biodiversité et le perfectionnement pervers des droits de
propriétés qui répètent la confiscation des biens communaux, les "enclosures”. Ce sont nos nouvelles
enclosures.
Il y a donc bien continuité par rapport aux grands schémas énoncés par Marx il y a presque un siècle et
demi.
3. La valeur continue à devenir de plus en plus imaginaire
L'expansion du mode de production capitaliste à l'échelle de la planète "mange son capital" naturel. La
valeur, c'est-à-dire le processus de valorisation économique à l'échelle mondiale, -- l'accumulation pour le
profit --, de valeur substantielle devient une valeur spéculaire, sinon spéculative, une valeur imaginaire
comme dirait Baudrillard. De même le "développement des forces productives" n'a jamais atteint un tel
rythme et n'a jamais autant bouleversé en profondeur la vie quotidienne de milliards d'êtres humains.
Enfin la transformation de la nature n'a jamais été autant médiatisée par la connaissance et n'a jamais été
autant abstraite, scientifique et en même temps subjective. Néanmoins il y a une grande rupture
qualitative par rapport à cette description classique de l'expansion quantitative du mode de production
capitaliste, c'est que de plus en plus les catégories qui ont été véhiculées par le marxisme académique,
les catégories du positivisme, du productivisme et du progrès scientifique n'ont jamais été aussi peu
adéquates aux transformations en cours de ce mode de production.
B. Traits caractéristiques de la contre-révolution néolibérale
Dans les trois domaines précédents en effet la rupture postmoderne, qui devient manifeste avec la
naissance du XXIe siècle, se traduit :

par la dématérialisation de la valeur. Cette "dénaturation" de la valeur qui se valorise elle-même
résulte du fait qu'elle rencontre des limites "naturelles".
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
par la substitution à une causalité physique et mécanique, aveugle et linéaire, d'une causalité
historique et politique du progrès scientifique et technique. Les "techniques de domination" sont
occultées par les techniques issues des sciences de la nature. Celles-ci se présentent
fallacieusement et insidieusement comme "neutres" politiquement. Elles dissimulent ainsi la lutte
des classes échelles mondiales. Par contre les techniques de domination (que Michel Foucault
appelle le biopouvoir) sont les techniques centrales qui permettent de reproduire la "servitude
volontaire" de la force de travail, bref la force de travail "libre", comme pseudo--marchandise
centrale du capital, comme l'a montré Carl Polanyi.

par la substitution de la subjectivité de la force motrice du désir à l'objectivité dans l'exploitation de
la force de travail. Cette substitution a été mise en évidence par les travaux de l'école de
Francfort et en France par ceux de Michel Foucault, de Gilles Deleuze et de Félix Guattari. Cette
force motrice du désir devient la condition sine qua non de la dynamique du capital. En même
temps elle offre une "nouvelle frontière" (intérieur, interne voire intimes) à des investissements
économiques rentables d'un type nouveau qui se substitue à la "nouvelle frontière fermée les
guillemets anglais géographiques qui a disparu lorsque l'expansion géographique de
l'impérialisme s'est heurtée à la finitude de la planète. Et pourtant cette subjectivité désirante ne
s'est jamais autant montrée à l'œuvre comme condition nécessaire de l'affranchissement du
règne de la nécessité.
Bref la révolution n'a jamais été autant à l'ordre du jour au moment où on en parle si peu. C'est même
devenu une vieillerie que l'impératif de modernisation se doit de ranger au magasin des accessoires et
des ringardises.
C. Les caractéristiques économiques
mondialisation postmoderne
nouvelles
de
la
Désormais la lutte des classes se déroule à l'échelle mondiale. Elle transcende les frontières des EtatsNations. Avec la contre-révolution conservatrice issue du consensus de Washington de 1979 on a assisté
à la fin du keynésianisme, c'est-à-dire la fin d'un contre-pouvoir étatique à l'expansion incontrôlée des
forces du marché. L'État keynésien classique avait des moyens d'intervention régulateurs, le budget et la
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création monétaire.
1. La privatisation de la création monétaire à l'échelle mondiale
Désormais la monnaie est créée par des banques commerciales privées à l'échelle mondiale, à une
échelle quantitative qui n'a aucun précédent historique. On a assisté à une privatisation mondiale de la
création monétaire. La seule manière de reconquérir un certain contrôle sur les forces irrationnelles
déchaînées du marché consisterait à « déprivatiser » cette création monétaire et à refaire du "privilège
régalien de battre monnaie" un bien public. Cela ne signifie pas automatiquement une nationalisation,
comme le pouvoir socialiste l'a cru naïvement en 1981. Déprivatiser la dette monétaire consisterait à
déprivatiser le pouvoir de créer de la monnaie en le restituant à des collectifs locaux, ce qui impliquerait
notamment un fractionnement de ces émissions monétaires. Celui-ci introduirait d'ailleurs la viscosité
nécessaire au système monétaire pour qu'il puisse y avoir une régulation des échanges économiques et
des échanges de capitaux.
2. Le capitalisme mafieux
La deuxième caractéristique de cette mondialisation est sa dématérialisation. Désormais le PIB est
constitué en France et dans la plupart des pays développés par des services non marchands à hauteur
de 70 % environ. Cette dématérialisation de la production et de la richesse n'aboutit pas pour autant à un
arrêt de la marchandisation de la planète. Pour donner un coup d'arrêt à cette marchandisation, il
conviendrait de combattre la monétarisation des services en relocalisant la production matérielle. Cela
revient à donner un coup d'arrêt à la croissance à l'extérieur de ces productions relocalisées, c'est-à-dire
dans l'imaginaire marchand à la croissance du PIB. D'ailleurs la définition élémentaire du PIB, du moins
au début de la comptabilité nationale, avant qu'on ne valorise les services publics au "coût des facteurs",
c’était la somme des transactions marchandes sur les différents marchés. Mais dans tous les cas ne
figure pas dans le PIB tout ce qui relève du secteur informel. Or à l'échelle mondiale il y a trois économies
souterraines colossales monétisées, mais illégales, le commerce des armes, le commerce des différentes
drogues et le commerce de la prostitution, le trafic des êtres humains, en attendant celui des organes.
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3. La destruction des régulations keynésiennes nationales
Comme l’a montré Thomas Piketty on assiste, contrairement à ce qu'avait pronostiqué Keynes, la
résurrection de la classe des rentiers qui avaient été ruinés par la guerre de 1914 -- 1918. Pendant les "30
glorieuses" trois noms propres symbolisaient les régulations de ce capitalisme, les noms propres de
Keynes, de Ford et de Beveridge. Keynes était le penseur de la régulation publique. Ford était, avec le
taylorisme, le sculpteur des rapports micro-économiques de production asservissant la force de travail au
bureau d'organisation et de méthode de l'organisation scientifique du travail (OST), aux gains de
productivité et au salaires au rendement. Enfin Beveridge symbolisait le système des assurances sociales
destiné à amortir les à-coups dans la reproduction de la force de travail.
Cette régulation relativement équilibrée du capitalisme a volé en éclats avec la fin du consensus de
Washington (Washington est le siège des institutions de régulation keynésienne de la mondialisation qui
ont été mises en place après la deuxième guerre mondiale). Désormais le capitalisme financier qui n'a
plus aucun garde-fou à l'échelle mondiale demande des taux de rentabilité de l'ordre de 15 %. La
question n'est donc pas tant de savoir combien de temps un tel rythme d'accumulation des profits, qui
prend la forme fétichisée du productivisme, est possible que quand la décroissance devra fatalement
commencer.
II. La remise en cause du progrès technique
Le mode de production capitaliste a un caractère progressiste qui consiste à révolutionner en
permanence les forces productives. Ceci se passe dans la concurrence entre les capitaux. Classiquement
les innovations techniques des entrepreneurs schumpetériens aboutissent à des rentes différentielles,
formes métamorphosées des plus-values relatives. Ces rentes différentielles sont appropriées
momentanément par les premiers entrepreneurs qui appliquent les innovations ce qui leur fait baisser
momentanément les prix. Puis au fur et à mesure que les innovations diffusent via la concurrence cette
appropriation collective de l'innovation aboutit à une croissance générale des valeurs d'usage produites et
donc à une diminution du travail socialement nécessaire pour les produire. C'est ce qu'on appelle, dans le
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langage marxien classique, la socialisation des forces productives, autrement dit le caractère collectif et
coopératif de l'accroissement des connaissances techniques et scientifiques, accumulation collective de
« puissance d'agir » (selon le langage de Spinoza), ce qu'on appelle encore de nos jours "capitalisme
cognitif".
Si on analyse de plus près ce qu'est la productivité dans la théorie marxienne classique, on s'aperçoit que
les concepts qu’utilise Karl Marx dérivent de manière très étroite des conceptions de la mécanique
classique : il parle de force, de force de travail, d'énergie humaine, de dépense des muscles, comme à la
même époque on caractérise la puissance des machines par des chevaux vapeur. De même au XVIIIe
siècle on projette sur les travailleurs le concept d'animaux-machines de Descartes : le prolétaire, au début
du 19e siècle, dans l'économie classique de Smith, Ricardo et même Marx, est un "homme-machine",
accumulateur d'une énergie purement mécanique, une "force de travail". La mécanique qui est derrière
est la mécanique des boules de billard des libertins du XVIIe siècle, où la loi fondamentale est celle de la
conservation de l'énergie mécanique, sans qu'il y ait encore de possibilités de transformation de cette
énergie mécanique en des énergies qui n'ont pas été encore découvertes, comme l'énergie électrique,
l'énergie chimique, l'énergie électromagnétique et évidemment l'énergie atomique. Certes on sait en
pratique transformer de l'énergie thermique en énergie mécanique avec des machines à vapeur. Mais on
possède à peine la théorie de cette transformation et de son rendement. On est même en deçà des lois
de la thermodynamique comme le remarque Nicolas Georgescu-Roegen un siècle et demi plus tard. Les
écologistes ressuscitent quelque sorte une conception vitaliste de la production, conception vitaliste qui
était celle des physiocrates au XVIIIe siècle, et que les philosophes de la fin du 19e siècle (Nietzsche,
Bergson, etc.) reprendront à la suite du développement fantastique des sciences de la vie. Une telle
lecture vitaliste appliquée à Marx est celle par exemple de Michel Henry qui utilise pour cela les concepts
de la phénoménologie mis au point par Husserl et Heidegger.
A. La rupture avec la conception mécanique de la nature et la
conception positiviste du progrès
Au 19e siècle l'idéologie positiviste du progrès aboutit à une conception mécaniste de l'histoire selon
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laquelle le développement des forces productives se déroule inexorablement par étapes : la succession
linéaire des cinq modes de production. Il se heurte aux limites des rapports sociaux de production. Il ne
peut que finir par la faire éclater, selon l'image, popularisée par Friedrich Engels, de la coquille de noix qui
se brise sous la pression intérieure de l'amande incarnant l'élan vital irrépressible. La conception maoïste
de l'histoire ne fait qu'inverser mécaniquement ce déterminisme. Il pose de manière dogmatique, en sens
inverse, que le développement des rapports sociaux de production entraîne celui des forces productives.
Il suffit dans ce cas d'avoir un volontarisme politique, par exemple celui de l'industrialisation des
campagnes, pour déclencher et s'approprier les progrès techniques dont on a besoin. On connaît les
conséquences catastrophiques d'une telle conception qui a abouti à un authentique génocide. Mais dans
les deux cas on a un modèle linéaire de causalité déterministe de l'histoire. Il n'y a pas de place pour la
liberté politique et pour l'action révolutionnaire.
Or le XXe siècle est le siècle des limites.
Limite d'abord du déterminisme de Laplace. Celui-ci au début du 19e siècle se vantait de pouvoir calculer
l'évolution de l'univers si on lui donnait les positions initiales de tous ses points matériels et les vitesses de
ces derniers. Or à la fin du 19e siècle le passage de la science moderne à la science postmoderne s'est
traduit par une rupture avec ce déterminisme classique et en particulier une rupture avec la conception
galiléenne de l'espace comme espace homogène et isotrope de la géométrie et du temps comme temps
continu des horloges. En particulier les atomes ne sont plus conçus comme des boules de billard ou
comme des corpuscules, mais également comme des ondes. À la mécanique classique se substitue la
"mécanique ondulatoire" suivant l'expression heureuse de Louis de Broglie pour nommer ce qu'on appelle
encore la "mécanique quantique", c'est-à-dire la mécanique qui fait des sauts contrairement à ce
qu'enseignait la philosophie scolastique médiévale.
De même en mathématiques les hypothèses de départ de Laplace se sont trouvées infirmées. Aucune
machine aussi puissante soit-elle ne pouvait décrire avec une précision infinie les situations et les
vitesses initiales de tous les points de l'univers. Ne serait-ce qu’à cause des relations d'incertitude de
Heisenberg il est impossible de localiser absolument tout point matériel. Et à supposer qu'on puisse
localiser avec une précision infinie un point matériel à un instant déterminé l'incertitude ne serait pas
moins infinie sur la grandeur de sa vitesse. A fortiori pour la totalité des points matériels de l'univers. En
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outre la procédure mathématique de calcul se heurterait elle-même à des limites intrinsèques qui sont
symbolisées par les théorèmes d'incomplétude de Gödel.
B. Les limites à la domination mathématique du monde et le
principe de précaution de l'écologie politique
Dans le domaine du calcul des probabilités Keynes et Knight dans leurs thèses de mathématiques de
1921 ont démontré que tout ne pouvait pas être calculable. Les risques d'un côté peuvent être calculés et
donc être assurés par des compagnies d'assurances. Mais il y a fatalement des incertitudes radicales
pour lesquelles il faut utiliser non pas le calcul actuariel, mais le "principe de précaution", des
délibérations, de nature essentiellement politique, permettent de dégager ce que conseille la prudence
collective et ainsi d’assumer les conséquences imprévisibles des choix d'un libre arbitre souverain. Ainsi
dès 1921 les mathématiciens anticipaient les intuitions des écologistes des années 70 et invalidaient
définitivement les modèles anachroniques des économistes néoclassiques.
La complexité des systèmes techniques et industriels modernes a engendré en outre une incertitude (par
opposition à des risques calculables) intrinsèques, liés à un excès de complexité, à l'origine de possibilités
de "crises systémiques”. Désormais la rationalité (substantielle) elle-même rencontrait des limites. D'où
une blessure narcissique supplémentaire pour l'orgueil humain. Plus modestement les théoriciens de la
rationalité limitée (Herbert Simon notamment) se sont contentés de rationalité procédurale et ont renoncé
à la rationalité substantielle.
L'histoire a donné tragiquement raison à ceux qui ont posé des limites à la rationalité humaine avec des
catastrophes qui ont remis en cause profondément la croyance optimiste dans un progrès indéfini. Ces
catastrophes ont été chronologiquement la Shoah de l'Allemagne nazie et les deux explosions de
Hiroshima et de Nagasaki en 1945. Désormais c'était l'homme qui était la cause directe de catastrophes
essentiellement morales et politiques avant d'être la cause de catastrophes dites "naturelles" comme le
changement climatique et la destruction de la biodiversité.
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C. L'impuissance de l'économie classique, comme "économie
apolitique"
Selon les paradigmes économiques de l'économie néoclassique la maîtrise du progrès technique et des
effets négatifs sur l'environnement dit naturel devrait se traduire par "l'internalisation" des externalités
négatives. Selon sa définition classique, le développement durable est le mode de développement qui
permet de satisfaire les besoins des générations présentes sans porter atteinte à la satisfaction de ceux
des générations futures. Mais l'axiomatique de l'actualisation au moyen d'un taux d'intérêt positif interdit,
par construction que les générations présentes puissent prendre en compte les intérêts des générations
futures, pour peu que l'horizon temporel excède une ou deux générations. Le problème du stockage des
déchets nucléaires ou du rythme de reproduction de la biodiversité, qui a mis des millions d'années pour
aboutir à la diversité actuelle grâce aux lois de la sélection naturelle, fait alors que exploser l'étroitesse
des limites temporelles des économistes pour lesquels, suivant le mot cynique de Keynes, "à long terme
nous sommes tous morts".
D. La seule solution est donc politique
Puisqu'il ne peut pas y avoir "d'économie non politique" du progrès technique, -- autre nom du
productivisme qui est la forme fétichisée de l'accumulation pour le profit --, et de ses effets négatifs sur
l'environnement naturel, il faut réhabiliter l'économie politique dans ce qu'elle a d'essentiellement politique.
Et comme désormais l'économie matérielle s'est étendue à l'échelle de la planète et qu'elle inclut les nonhumains dans l'économie et la reproduction naturelle et sociale de la Terre et de ses habitants, -- les êtres
humains --, l'économie matérielle n'apparaît que comme un secteur relativement périphérique et
subordonné de l'écosystème de la planète. L'écologie de cette partie du monde dont la texture est celle
des relations sociales apparaît ainsi fondamentalement et totalement politique. Elle est politique non
seulement lorsqu'elle s'applique au petit secteur économique de la satisfaction des besoins matériels
humains, mais surtout et encore lorsqu'elle s'applique à l'administration à l'échelle de la planète entière
des rapports entre les êtres humains et les êtres non-humains. En conséquence le paradigme de
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l'écologie politique est amené à phagocyter celui de l'économie non politique pour lui substituer la
planification du progrès technique et des rapports des humains avec les non-humains. Quand l'humanité
menace de se détruire elle-même en détruisant le climat et la biodiversité la seule manière de se sauver
elle-même consiste pour elle à gérer directement ses rapports avec la nature.
III.La prolétarisation de la subjectivité fait passer d'une
économie de la production à une écologie de la
consommation
Dans la deuxième fin de cycle la démocratie représentative (représentation par des partis politiques)
bascule dans la « démocratie d'opinion ». Cette dernière est la forme fétichisée de la dictature exercée
par le capitalisme financier mondialisé par l'intermédiaire des médias et des sondages.
Autrement dit la subjectivité de la force de travail postmoderne bascule dans la passivité et dans la
consommation.
A. Vue panoramique historique cavalière
Cette perspective a été développée par l'école de Francfort, par Marcuse et par Érich Fromm entre les
deux guerres. Il s'agissait de reprendre la problématique de la fétichisation et de l'aliénation grâce aux
apports de la psychanalyse. Une nouvelle synthèse se fera dans les années 80 grâce aux travaux
générés par mai 1968 chez Michel Foucault d'un côté et Gilles Deleuze et Félix Guattari de l'autre. Au lieu
de partir d'une mécanique du fétichisme, à savoir la réification des rapports de production, l'école de
Francfort partira de la personnalisation des choses. Il y aura à cela l'influence des anthropologues, des
ethnologues et des psychanalystes. Cette conception sera reprise à notre époque par Bruno Latour et
Philippe Descola. Ceux-ci montrent comment les rapports des humains aux non-humains se modulent
suivant les civilisations. L'observation, suivant les canons des sciences naturelles, des ontologies des
différentes sociétés humaines montre qu'elles combinent des conceptions animistes, totémistes,
« naturalistes » et enfin « analogistes ». Dans ce dernier cas le microcosme est à l'image du macrocosme
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comme dans les grandes civilisations de la Chine et de l'Inde à notre époque, ou à la Renaissance pour
nos sociétés européennes occidentales) pour reprendre la terminologie de Philippe Descola. Nos sociétés
sont "objectivistes" ou encore "naturalistes". Il nous semble évident que nos sociétés sont "objectives" ou
encore "naturalistes" parce que ce sont les nôtres et que notre ontologie est "supérieure" à celle des
autres sociétés parce qu'elle est "scientifique".
Désormais la subjectivité des individus apparaît comme une "nouvelle frontière" à l'intérieur de chacun
des individus : cette nouvelle frontière du clivage du sujet entre un sujet de désir et une forte travail
objective permet de relancer l'expansion indéfinie de la marchandise à l'échelle mondiale, le monde du
microcosme se substituant au monde du macrocosme.
B. Retour sur les 30 glorieuses
Ce retour sur soi de l'auto valorisation de la valeur ne faite que parachever la réflexivité du mode de
production antérieure, le fordisme. En effet la grande révolution du fordisme a consisté à vendre aux
ouvriers les voitures qu'ils produisaient. Il y avait ainsi une « réflexivité » du mode de production
capitaliste, un feed-back négatif, qui faisait reposer la croissance indéfinie de la production (le
productivisme) sur une marchandisation de la subjectivité en remplaçant la satisfaction des besoins, la
reproduction simple de la force de travail prolétaire, par l'exacerbation indéfinie des désirs, ces derniers
étant à l'origine d'une demande. Cette demande a un double sens. Il s'agit d'abord d'une demande "en
paroles subjectives", moléculaire, destinée à être indéfiniment frustrée selon les concepts fondamentaux
avec lesquels la psychanalyse éclaire notre microcosme psychologique. Il s'agit également d'une
demande molaire, demande économique, à l'origine d'une demande solvable adressée au macrocosme
de la production capitaliste. La prolétarisation de la consommation qui a succédé historiquement à la
prolétarisation de la production a substitué ainsi le désir condamné à rester inassouvi et frustré aux
besoins.
Nous sommes aux antipodes de la sagesse d'Épicure qui limitait la satisfaction des besoins à ceux qui
sont à la fois naturels et nécessaires. D'où l'idéal, complètement anachronique à notre époque, d'une
"frugalité heureuse", la frugalité des Béatitudes, du Discours sur la montagne. C'est ce retour à
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l'anthropologie antique auquel nous invite également Hannah Arendt qui relativise le travail en considérant
que c'est le degré le plus bas de l'ascension de l'être humain sur les degrés de son développement
personnel : "l’alterdéveloppement" psychologique, culturelle et spirituel de chacun. Les autres degrés,
Hannah Arendt les appelle ceux de "l'oeuvre" et de "l'action politique". Dans l'Antiquité le travail était
d'ailleurs dévolu aux esclaves, à ceux qui en tant « qu'instruments parlants » (comme disait Aristote)
n'étaient même pas considérés comme des êtres humains. Le deux degré suivant de l'accomplissement
de l'être humains est celui de l'œuvre, l'œuvre de l'artisan ou de l'artiste, produit de la technè. Le degré
ultime est celui de l'action politique, seule activité digne de l'homme libre, le citoyen à part entière de la
cité. L'action politique c'est la praxis (par opposition à la poésie ou à la technique). Son objet consiste à
élaborer l'ensemble des rapports sociaux et plus particulièrement les rapports politiques par opposition à
la technè dont l'objet de travail est la matière. Le modèle idéal de l'action politique était Périclès.
Même si c'est de manière mutilée et mystifiée, la question du bien-être fait retour à travers la question du
"développement durable" et des "indicateurs de développement humain" (IDH) Inspirés par les travaux
d'Amartya Sen. Elle ressuscite la question des critères de la « vie bonne » ou de la « vie heureuse »,
comme l'a rappelé Hannah Arendt. Rappelons-nous que pour Saint-Just, " Le bonheur est une idée neuve
en Europe".
Selon les enseignements des dégénérescences monstrueuses du "socialisme réel" au XXe siècle, il ne
faut surtout pas remettre la "jouissance" aux « lendemains qui chantent » et il ne faut pas rabattre les
besoins spirituels et altruistes sur les seuls besoins matériels. Mais dans ce qu'indiquent les degrés
d'épanouissement de la nature humaine selon les canons de l'Antiquité, l'œuvre et l'action politique, selon
Hannah Arendt, dans les deux cas l'homme libre est aux antipodes du consommateur passif et du jouet
des sondages et des médias.
Le basculement dans la démocratie d'opinion, -- la dictature médiatico-sondagière --, montre comment
chaque citoyen est invité à basculer d'un contre-pouvoir passif, -- la résistance --, à un contre-pouvoir
positif par l'intermédiaire d'une délibération, cultivant de manière délibérée et égalitaire le débat public et
contradictoire. Ceci repose ainsi la question, posée par Jean-Jacques Rousseau il y a deux siècles et
demi, de la formation de la "volonté générale". L'écologie politique nous rend sensibles aux catastrophes
humaines et sociales qui s'annoncent. Notre raison de ce XXIe siècle commençant a été durement étrillée
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par les catastrophes morales de la Shoah et d'Hiroshima ou XXe siècle. Nous avons ainsi chèrement
acquis une sagesse que les anciens appelaient une "prudence" contre une vanité humaine toujours
renaissante. Nous avons même fondé en toute rigueur mathématique, grâce à Keynes et Knight, cette
prudence en opposant à la toute-puissance délirante de nos calculs et de nos assurances sur l'avenir
(hybris) l'incertitude radicale de nos connaissances, la faiblesse tragique de notre volonté morale et
politique et le caractère tragique de la présence du mal dans l'histoire humaine. Ce que nous appelons de
manière pudique le « principe de précaution » fonde théoriquement l'écologie politique. L'écologie
politique reprend ainsi au XXIe siècle le rationalisme matérialiste marxien du XIXe siècle tempéré par
l'expérience tragique des limites morales et politiques du XXe siècle et la théorisation des limites de la
connaissance et de la rationalité humaine. Dès lors la rationalité n'est plus la caractéristique d'un individu
"maître de lui-même comme de l'univers" et appelé à "dominer et à exploiter la nature" sans limite mais la
rationalité distribuée et limitée d'un collectif en train de se créer lui-même par la délibération sur un pied
d'égalité. La démocratie participative et délibérative devient ainsi l'instrument et la fin de l'émancipation de
chacun par l'émancipation de tous et réciproquement.
Conclusion
Cette perspective historique cavalière brossée à grands traits met en évidence la conjonction de deux
tournants, deux fins de cycle.
La fin du second cycle, le basculement dans la démocratie d'opinion, pose la question de la forme
d'organisation adéquate au contre-pouvoir à opposer à une oligarchie financière mondialisée qui relaie sa
domination par l'intermédiaire de dictatures nationales médiatico-sondagières. À toute chose malheur est
bon, comme dit le proverbe, puisqu'il n'existe plus de forme partidaire anachroniquement isomorphe à la
domination bourgeoise lorsqu'elle était organisée sous la forme de partis politiques au service de la classe
dominante.
La fin du cycle stalinien, qui est une deuxième surprise heureuse, est la levée de l'hypothèque de la
conception positiviste et mécaniste de l'histoire. Désormais dans ce champ de ruines nous sommes peutêtre plus libres qu'auparavant. Mais libres pour quoi faire ?
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Sommes-nous libres pour construire une croissance à 15 % par an à perpétuité ? C'est impossible. La
question qui se pose réellement est de savoir quand la décroissance va devenir urgente et
incontournable.
La deuxième liberté sera alors de maîtriser le progrès des techniques, le "développement des forces
productives" en langage marxien, de plus en plus socialisées, par l'intermédiaire d'une planification
démocratique qui sera le corrélat de la démocratie délibérative et participative.
La troisième liberté sera celle de la "délibération". En jouant sur le mot « délibérer » qui contient le verbe
libérer, il s'agira de « délibérer » du contenu de la "décroissance" pour nous libérer délibérément et nous
donner mutuellement un bonheur frugal nous ouvrant la porte à une croissance indéfinie de nos progrès
moraux, spirituels et culturels.
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