
De nouveaux indicateurs face au PIB 
Par Jean Gadrey 
Alternatives Economiques -  n°270 - Juin 2008 
 
IDH, BIP 40, PIB verts..., de nouveaux indicateurs tentent 
de battre en brèche l'omniprésence du PIB. Un reflet des 
préoccupations sociales et écologiques croissantes. 
 
Pour  "aller chercher la croissance avec  les dents", une 
promesse de campagne, Nicolas Sarkozy avait nommé, 
dès  juin  2007,  la  commission  "pour  la  libération  de  la 
croissance  française",  présidée  par  Jacques  Attali.  Ce 
dernier, après avoir chanté tout l'été le refrain du "5% par 
an", se trouva fort dépourvu quand la bise fut venue, et se 
mit à en rabattre nettement sur ce chiffre. Le seul record 
de  croissance  qu'il  pulvérisa  fut  celui  du  nombre  de 
propositions contenues dans un rapport : 317. 
Avant même la remise, le 23 janvier 2008, de son opus 
final,  le  président  de  la  République,  constatant  que  la 
croissance et le pouvoir d'achat étaient insensibles à ses 
discours enflammés, créait une surprise en nommant une 
autre  commission,  présidée  par  Joseph  Stiglitz.  Son 
objectif  :  la  remise  en  cause  des  indicateurs  de 
croissance, jugés inadaptés à la mesure du progrès. 
Une interprétation possible de cet apparent revirement est 
la suivante : quand on réalise que l'on ne pourra pas tenir 
un  objectif  chiffré,  il  est  tentant  de  changer  de 
thermomètre,  en  espérant  que  le  nouveau  fournira  des 
évaluations  moins  déplorables  de  l'écart  entre  les 
intentions  et  les  résultats.  Cette interprétation  n'est  pas 
fausse  (1),  mais  elle  est  insuffisante.  Des  réseaux  de 
chercheurs et d'acteurs de la société civile militent depuis 
des années pour une "reconsidération de la richesse" et 
de  ses  indicateurs,  en  France  et  dans  le  monde. 
Pourquoi, comment et à quels indicateurs peut-on alors 
penser ? Ces questions, qui engagent l'avenir, sont bien 
plus  importantes  que  les  spéculations  sur  les 
contradictions des discours politiques à courte vue. 
1. Pourquoi ? 
Plus  que  jamais  peut-être,  les  grands  indicateurs 
macroéconomiques  issus  des  comptes  nationaux,  au 
premier rang desquels on trouve le produit intérieur brut 
(PIB) et sa  croissance,  tiennent  le haut du  pavé.  Aussi 
bien  dans  les  jugements  concernant  le  progrès  des 
nations et leurs classements, que dans des compétitions 
politiques  où  les  principaux  candidats  se  présentent 
comme ceux qui vont assurer la croissance la plus forte. 
Pourtant,  dans  le  même  temps,  on  assiste  à  une 
explosion  d'initiatives,  du  local à l'international,  visant  à 
remettre ces indicateurs à leur place et à construire et à 
utiliser des indicateurs alternatifs; selon les cas, ils font 
référence  au  développement humain, au bien-être,  à  la 
santé  sociale,  au  développement  écologiquement 
durable, etc. 
Cette exigence reflète la recherche d'autres fins, justifiées 
par d'autres valeurs que l'expansion continue de la sphère 
économique  marchande  et  monétaire,  couverte  par  le 
PIB.  La  dynamique  actuelle  des  nouveaux  indicateurs, 
dans  sa  diversité,  "indique"  d'abord  des  inquiétudes  et 
des  critiques  sociales  et  écologiques.  Elle  remet  en 
question  la  "société  de  croissance"  (pour  reprendre 
l'expression  de  Serge  Latouche)  ou  la  "société 
économique"  (une  société  dans  laquelle  l'économie 
domine la vision du progrès) qui a véritablement pris son 
essor après la Seconde Guerre mondiale. 
De telles remises en cause ont certes déjà existé par 
le passé, en particulier dans les années 70, mais elles 
furent balayées dans  la décennie suivante. Il y a  fort à 
parier que le mouvement actuel, autrement puissant et qui 
atteint désormais de grandes institutions internationales, 
ne connaîtra pas le même sort. Ne serait-ce que parce 
qu'il  voit  pour  la  première  fois  se  rejoindre  la  critique 
sociale  et  la  critique  écologique  sur  les  dégâts  de  la 
croissance  telle  que  nous  la  connaissons  depuis  des 
décennies.  Il  existe  une  autre  raison  :  les  dégâts  en 
question ont pris des proportions sans commune mesure 
avec  ceux  que  cherchaient  à  mesurer  les  experts  des 
années 70. Dans ce contexte, la décision du président de 
la  République  de  nommer  la  commission  Stiglitz  doit 
d'abord  être  interprétée,  au-delà  de  ses  aspects 
politiciens,  comme  la  reconnaissance  embarrassée  de 
l'influence d'un mouvement de contestation de la "religion 
de la croissance". 
Personne  ne  demande  l'abandon  des  comptes 
nationaux  actuels,  indispensables  pour  certaines 
analyses,  par  exemple  pour  les  évaluations  du 
partage de la valeur ajoutée entre salaires et profits. 
La critique du PIB est en réalité la critique de ses usages 
erronés et de l'assimilation de la croissance au progrès. 
Mais cette critique doit être menée pour pouvoir construire 
des comptes alternatifs. Le PIB est la somme des valeurs 
ajoutées de toutes les unités de production de l'économie 
monétaire. C'est donc une grandeur fort utile. Mais si l'on 
réalise  que,  en  termes  de  contenu  réel,  ces  valeurs 
ajoutées sont de plus en plus "empoisonnées" et de plus 
en plus menaçantes pour les générations futures, on doit 
se  demander  ce  qu'elles  ajoutent  vraiment,  au-delà  de 
leur montant monétaire ou en volume. 
Même l'objectif social d'un partage plus équitable des 
richesses est conditionné par la question : de quelles 
richesses parle-t-on ? Un partage équitable, y compris 
en  songeant  aux  générations  futures,  des  principaux 
ingrédients  du  bien-être,  au-delà  de  ses  composantes 
monétaires, un accès universel à des biens communs et à 
des droits fondamentaux, voilà le genre de finalités que 
de nouveaux indicateurs doivent aider à préciser. 
2. Comment faire ? 
C'est à cette question que travaille un collectif constitué 
depuis  peu  et  baptisé  Fair  :  Forum  pour  d'autres 
indicateurs de richesse. Il a reçu un appui officiel de la 
commission Stiglitz  le  22  avril  2008,  à  l'occasion  d'une 
rencontre  à  l'Assemblée  nationale.  Des  textes  sont  en 
ligne sur le site de l'Idies, l'Institut pour le développement 
de  l'information  économique  et  sociale  (voir  "Pour  en 
savoir plus"). 
Retenons trois intentions. 
La première est d'ordre éthique. Elle consiste à affirmer 
que  la  recherche  d'autres  indicateurs  tient  à  la  volonté 
d'accorder une priorité à d'autres fins que l'expansion de 
l'économie marchande et monétaire. 
La seconde relève du politique : on ne peut pas confier à 
des  groupes  d'experts,  dont  les  contributions  sont 
évidemment nécessaires, le soin de dire quelles sont les 
fins à considérer et comment les prendre en compte. La 
participation de la société et la délibération politique sont 
indispensables (voir encadré). 
La  troisième  intention  est  qu'il  faut  tirer  la  leçon  des 
expériences existantes, en très grand nombre, c'est-à-dire 
emprunter  une  démarche  qui  parte  d'expériences  de 
terrain à discuter et partager.