
- La première est que la plupart des initiatives existantes 
pour "remettre le PIB à sa place" utilisent ce type 
d'indicateurs. 
- La seconde est qu'il y a bien longtemps qu'existent des 
tableaux de bord multicritères sociaux ou 
environnementaux. Ils sont indispensables aux experts et 
aux décideurs, mais ils n'ont jamais été suffisants pour 
contrer la domination politique et médiatique du PIB. En 
raison justement de leur éclatement et de leur complexité 
face à un chiffre agrégé ayant un demi-siècle d'exercice 
du pouvoir d'influence. Pour ne pas être en situation de 
concurrence déloyale, les nouveaux indicateurs doivent 
posséder le type de visibilité et de simplicité (apparente) 
du PIB. Ils doivent eux aussi, comme le dit Bernard 
Perret, devenir des "institutions". 
- La troisième raison est pédagogique : l'expérience des 
débats publics montre que les indicateurs synthétiques 
ont un fort pouvoir d'attraction. Mais si la démocratie 
fonctionne -on en revient à cette condition dans tous les 
cas-, cette force n'est pas un obstacle à une délibération 
informée sur leur construction, l'examen détaillé de leurs 
composantes, leurs limites, etc. 
Parmi les indicateurs synthétiques les plus connus, il 
y a au départ deux grandes familles sous l'angle des 
valeurs privilégiées. 
- Les premiers s'intéressent en priorité aux dimensions 
humaines et sociales : développement humain, santé ou 
cohésion sociale... En France, le BIP 40, baromètre des 
inégalités et de la pauvreté, qui intègre près de 60 
variables, en fait partie. 
- Les indicateurs de la deuxième famille expriment en 
priorité des préoccupations écologiques. Exemple : 
l'empreinte écologique, un indicateur qui mesure, en 
hectares, la surface nécessaire à une population pour 
répondre à sa consommation de ressources naturelles et 
d'espace et à ses besoins d'absorption de déchets et 
d'émissions. 
Les sociétés ont un égal besoin d'indicateurs de ces 
deux familles. Soit en les associant dans des indicateurs 
mixtes (de bien-être durable, par exemple), soit en 
disposant de mesures distinctes du progrès social et de 
l'évolution des pressions humaines sur la nature. Des 
choix stratégiques sont donc à mettre en débat. 
4. Des méthodes concurrentes ou complémentaires 
Les méthodes permettant de construire des indicateurs 
synthétiques sont diverses. 
- Certaines (l'IDH, le BIP 40) consistent à faire une 
moyenne, simple ou pondérée, des diverses variables 
retenues, après avoir "noté" chacune d'elles sur une 
échelle commune, par exemple entre 0 et 1, ou 0 et 10. 
- D'autres reposent sur la recherche d'une unité commune 
de mesure, permettant de rendre commensurables des 
variables qui ne le sont pas, de sorte que l'agrégation 
prend alors la forme d'une somme. 
La pratique la plus fréquente est celle du recours à la 
monétarisation, qui est la méthode de construction du PIB 
lui-même. On essaie alors d'évaluer, en équivalent 
monnaie, aussi bien des contributions non monétaires au 
bien-être, comme le bénévolat ou le travail domestique, 
que des dommages environnementaux (comme les 
émissions de CO2), voire l'évolution des inégalités ou du 
chômage. C'est la méthode des "PIB verts", qui sont en 
réalité des PIB corrigés par des facteurs sociaux et 
environnementaux monétarisés. 
Les indicateurs fondés sur la seconde méthode exigent 
des conventions très délicates à construire. C'est 
pourquoi les experts et les comptables nationaux sont 
souvent réticents, mais les choses évoluent. Ils font aussi 
l'objet de critiques de gauche ou écologistes, qui 
dénoncent la monétarisation de tout, ou qui se méfient, 
non sans raison, de leur opacité. 
Les indicateurs basés sur les premières méthodes sont 
plus faciles à interpréter et moins dépendants de 
méthodes économiques de monétarisation, bien qu'ils 
exigent eux aussi des conventions fortes (quelles 
variables choisir ? comment les pondérer ?). 
Mais l'intérêt potentiel des indicateurs monétarisés est 
qu'on peut directement les confronter au PIB et dire, par 
exemple, que les taux de croissance de l'économie 
chinoise (ou de l'économie américaine...) devraient être 
réduits d'un certain nombre de points si l'on tenait compte 
des dommages collatéraux (les externalités négatives) sur 
l'environnement ou de l'explosion des inégalités. 
A côté de ces deux méthodes, il faut citer celle, 
originale mais critiquée, de l'empreinte écologique. 
Elle rend commensurables des pressions 
environnementales hétérogènes en les convertissant en 
superficies de la planète requises. C'est sur cette base 
que l'on peut estimer que, si tous les habitants du monde 
avaient le mode de consommation des Français, il 
faudrait trois planètes pour y faire face, en tout cas sur la 
base des technologies actuelles, polluantes et 
dévoreuses de ressources naturelles. Citons aussi 
l'indicateur de bien-être économique des Canadiens 
Osberg et Sharpe, qui combine les deux méthodes de 
monétarisation et de moyenne de plusieurs dimensions 
du bien-être durable. 
Enfin, on assiste actuellement à la montée en 
puissance médiatique d'indicateurs de "bien-être 
subjectif" ou de "satisfaction de vie". Ils sont obtenus 
sur la base d'enquêtes où l'on pose aux gens la question : 
"Etes-vous globalement satisfaits de la vie que vous 
menez ?". Les réponses se situent sur une échelle (de 1 à 
4, ou de 1 à 10), qui permettent ainsi des comparaisons 
internationales ou des comparaisons dans le temps, bien 
qu'avec d'énormes difficultés d'interprétation des données 
(2). On peut aussi évaluer des inégalités de satisfaction 
selon les groupes sociaux ou le revenu, selon le sexe, 
selon les activités, etc. 
Il y a donc matière à de beaux débats. L'essentiel 
réside moins dans la confrontation technique des options 
-qui a son importance- que dans la façon d'élargir le 
cercle des parties prenantes. De nouveaux indicateurs ne 
deviendront en effet des instruments efficaces pour 
promouvoir d'autres fins que s'ils gagnent en légitimité 
voire en "popularité". 
 
Notes 
(1) On assiste actuellement (voir le blog de jean Gadrey sur 
www.alternatives-economiques.fr/blogs/gadrey/) à une 
manœuvre semblable pour la mesure de la pauvreté, depuis 
que Martin Hirsch a réalisé qu'il n'atteindrait pas son objectif (la 
réduction d'un tiers du nombre de pauvres d'ici à 2012) s'il 
conservait la mesure actuelle, pourtant utilisée partout en 
Europe (voir page 36). 
(2) Voir "Croissance, bien-être et développement durable", 
Alternatives Economiques n° 266, févier 2008, ainsi que "La 
croissance fait-elle le bonheur?", L'état de l'économie 2006, 
hors-série n° 68 d'Alternatives Economiques, 2e trimestre 2006.