EPISTEMOLOGIE (André ROBERT). Notes d’étudiant non corrigées par le professeur.
Préambule
Le cours est consacré à l'épistémologie. Les premières séances sont plus orientées vers l’épistémologie
générale, point de vue plus surplombant, tentative de mise en perspective des questions, des problèmes
que l'on rencontre dans l'activité de recherche. Il est nécessaire à un moment donné de son parcours
intellectuel d’effectuer ce passage par une réflexion épistémologique d’une plus grande généralité pour
mettre l’ensemble de son travail de recherche en perspective ; au titre de la vigilance épistémologique.
Plan général :
1. Les positions de l’épistémologie « classique »
1.1. Origines du terme épistémologie
1.2. Epistémologie régionale et générale
1.3. Trois idées principales pour l'épistémologie
1.3.1. Le vrai sur fond d’erreur
1.3.2. Construction du modèle d’analyse
1.3.3. Vérification expérimentale
2. La déconstruction de l'épistémologie classique par des épistémologies nouvelles
3. Point de vue dialectique qui tente de mettre en tension la référence aux deux premières
épistémologies
1. Les positions de l’épistémologie « classique »
1.1. Origines du terme épistémologie
Epistémologie classique : elle correspond à ce qui a été appelé la Philosophie Française des Sciences
avec pour figure centrale : Gaston Bachelard (1884-1962).
Epistemology : origine britannique, néologisme utilisé pour la fois par Frederic Ferrier, écossais
(1808-1864), auteur de Institute of taphysic. Il met en parallèle : « epistemology » comme théorie
de la vérité et « agnoiology » comme théorie de l’erreur ou de l’ignorance ; epistemology a une
postérite et agnoiology aucune.
Le sens anglais d’épistémologie est actuellement : théorie de la connaissance (ce qui correspond à
« gnoséologie » en français). C’est l’étude des sources de la connaissance dans l’unité de l’esprit, quel
est le moteur de la connaissance : la raison, l’expérience ? Raison > rationalisme ; Expérience>
empirisme.
Apparition du terme en français dans une traduction d’un ouvrage de Bertrand Russell : Essai sur le
fondement de la géométrie 1901. A ce moment-là, le terme commence à s’accommoder à la langue
française.
Le terme en français recouvre une certaine polysémie :
- théorie de la connaissance,
- histoire des sciences,
- analyse critique des démarches et des méthodes propres à la connaissance scientifique
(correspond au sens de référence actuellement admis)
Epistémologie : étude critique des principes, des hypothèses, des démarches, des résultats des diverses
sciences, destinée à déterminer leur origine logique, leur valeur et leur portée objective.
1.2. Epistémologie régionale et générale
Se pose alors la question du rapport entre ce que Bachelard appelle les épistémologies régionales et la
possibilité d’une épistémologie générale :
- Les épistémologies régionales correspondent à une vision rigoureusement bachelardienne (telle
science, telle méthode spécifique). Les plus radicaux des régionalistes réfutent toute possibilité
d’énoncer des vérités générales sur la science. Il n’y aurait d’épistémologie authentique que
régionale. Toute recherche secrétant ses propres outils, devant adapter ses outils à sa recherche,
il n’y aurait épistémologie que adaptée à la recherche en train de se faire (Idée de découpage
disciplinaire)
.
- L’épistémologie générale correspond à une interrogation plus large du concept de science, de
recherche scientifique en se demandant quelles sont les méthodes proprement scientifiques
(discours plus général en matière d’épistémologie). Cette interrogation existe sous forme de
question à l’intérieur de l’épistémologie de Bachelard.
Il existe une tension réelle, une opposition entre les deux points de vue.
Essai, ici, de produire un discours d’épistémologie plutôt à orientation générale.
Il se fonde en comparant, en mettant en parallèle les méthodes utilisées dans une discipline de
référence des sciences humaines : la sociologie et les méthodes suivies en science physique ou en
science exacte conformément au projet ancien de l’épistémologie classique, projet développé par
Bourdieu, Chamborédon et Passeron (BCP), dans Le métier de sociologue, Ed Mouton 1968 (ouvrage
d’épistémologie et de méthodologie de la sociologie). BCP posent comme base de leur démarche, la
nécessité pour l’épistémologie d’une discipline appartenant aux sciences humaines (la sociologie), de
refaire en partie le parcours de l’épistémologie des sciences dures ou sciences physiques.
Ils tombent dans cette tension entre une épistémologie régionale (celle de la sociologie) et
l’épistémologie générale puisqu’ils posent la nécessité pour une science humaine de s’inspirer d’une
science de le nature : la physique. Ils posent que pour les sciences humaines, la référence ultime, ce
sont les sciences de la nature.
Les références ultimes des sciences humaines pendant longtemps (jusqu’aux années 1980) sont celles
des sciences exactes.
Il n’est pas possible aujourd’hui d’ignorer les nouvelles positions épistémologiques (par exemple,
sociologie des sciences, Callon & Latour), s’appuyant sur une critique de la position classique (voir
plus loin).
Epistémologie générale : trois idées centrales constituent cette épistémologie, telle que formalisée
principalement par Gaston Bachelard (1884-1962) :
Les propos tenus ici sont sous le couvert du point de départ de BCP, comme on l’a vu : « la réflexion
sur la méthode doit assumer le risque de retrouver les analyses les plus classiques des sciences de la
nature »
1.3. Trois idées principales pour l'épistémologie
1.3.1. Premier temps : Le vrai sur fond d’erreur
La science ne naît jamais sans passer par des obstacles épistémologiques dont il convient de se
débarrasser.
Le premier processus mis en œuvre par le chercheur, la rupture épistémologique :
- repérer les obstacles
- se dégager des obstacles
- installer le discours de la science dans un autre champ, dans un autre domaine que celui de
l’opinion (cf. Doc 1) qui pense mal et a, en droit, toujours tort.
« La science, dans son besoin d’achèvement comme dans son principe, s’oppose absolument à
l’opinion. » (Bachelard, 2004, p. 16). Le fait scientifique est conquis contre l’illusion du savoir
immédiat. Il s’agit de substituer aux notions du sens commun de premières notions rationnelles,
scientifiques.
La manière de se déprendre des obstacles : faire le passage par la littérature scientifique déjà existante
dans le domaine et se construire des concepts et des cadres théoriques, permettant de mettre à distance
l’opinion, le sens commun, les obstacles épistémologiques. Dans Bachelard, la science dans son besoin
d’achèvement comme dans son principe s’oppose absolument à ; s’il lui arrive sur un point particulier
de légitimer l’opinion, c’est pour d’autres raisons que celles qui fondent l’opinion. Le tracé des
frontières est extrêmement rigoureux.
Selon Bachelard, il y a la science et la non science. La science s’oppose absolument à l’opinion.
L’opinion pense mal, elle ne pense pas, elle traduit des besoins en connaissance. Dans les sciences
humaines, la rupture est sans doute plus difficile à opérer pour une question de langage parce qu’on
recourt au langage commun. La rupture épistémologique a été plus visible en physique. Ex : Quand
Galilée a dit que la nature était écrite en langue mathématique.
« Toute culture scientifique doit commencer par une catharsis
1
intellectuelle et affective » par une
libération des intuitions premières, des préjugés empiriques, des erreurs (ibid. p. 21). Au niveau des
sciences humaines, la prégnance du langage (qui est le même que celui de l’opinion), et même un
langage élaboré, rend plus difficile cette rupture. C’est peut-être la malédiction des sciences de
l’homme d’avoir affaire à un objet qui parle et comment organiser la rupture en ayant comme arme le
langage que parle l’opinion (BCP).
1.3.2. Deuxième temps : Construction du modèle d’analyse
Cf. Quivy R. Van Campenhoudt L. Manuel en sciences sociales. Paris. Dunod. 1995. P. 107
Comment s’opère ce basculement de la rupture à la construction ? La construction du modèle
d’analyse est un processus avec des boucles de rétroaction qui va de la rupture par rapport aux
obstacles épistémologiques à la construction de la connaissance.
La construction est quelque chose qui avance et qui doit se finaliser et se formaliser dans la
problématique qui a transformé la question initiale de la recherche en la lestant de théorie. La
problématique, c’est le point où, étant lesté de théorie, on interroge un objet avec un point de vue
organisé à partir d’une ou plusieurs perspectives théoriques ; c’est plus un cheminement qu’un
ensemble de questions. L’ensemble de questions, c’est l’aboutissement de la démarche problématique ;
laquelle démarche problématique est en relation avec la rupture d’une part et la construction d’autre
part.
L’auteur de la recherche en sachant formuler sa problématique connaît l’objet et la portée de sa
recherche.
La problématique commande le protocole, la procédure d’expérimentation puisque dans cette
épistémologie classique il est montré que c’est le sujet rationnel qui force l’objet (en science physique,
la nature) à répondre à ses questions. Et s’il en est ainsi, c’est la problématique qui commande les
hypothèses, puis les outils méthodologiques qui vont être mis en œuvre. L’initiative revient au
chercheur, en tant que sujet rationnel.
La problématique va permettre un processus de construction des faits scientifiques : « Rien ne va de
soit, rien n’est donné tout est construit » (Bachelard, 2004, nouvelle édition).
Tout est construit à la condition que la problématique soit pertinente et ait avoir une valeur heuristique.
La problématique va commander le type d’enquête que l’on va mener, le type d’outil méthodologique
auquel on va recourir. « Les faits sont faits » (ibid. 2004). Ils sont, ainsi, construits par le chercheur.
Fin doc 1 : « S’il n’y a pas eu de question … »
NB : Les historiens, fin 19ème et début 20ème, ont pensé que les faits parlaient d’eux-mêmes puis les
historiens des Annales ont montque l’histoire scientifique, telle qu’ils l’entendaient et telle qu’elle
procédait à une rupture par rapport à une ancienne conception de l’histoire, était une histoire
problématique, problématisée qui interroge la réalité historique, la réalité fournie par les sources, d’un
certain point de vue, et qui fait parler les faits en fonction de cette problématique.
1
Purification, purgation (Rey, 1998). En psychanalyse, méthode cathartique qui cherche une décharge adéquate des affects
pathogènes (période 1880-1895 où la thérapeutique psychanalytique qui se dégage progressivement à partir de traitements
opérés sous hypnose (Laplanche et Pontalis, 2004)
Du point de vue d’une théorie de la connaissance scientifique, ce vecteur de la connaissance
scientifique qui va de la raison vers le el, et non pas à l’inverse, nous inscrit dans une référence
rationaliste : c’est la raison du chercheur qui prend les devant. Le texte de référence serait celui de
Kant (1787) : Seconde préface à la critique de la raison pure.
1.3.3. Troisième temps : Vérification expérimentale
Après la rupture et la construction arrive la vérification.
C’est le temps du recueil des données construites - Analyse - Interprétation - Appréciation de la
coïncidence ou non avec les hypothèses.
« Le vecteur épistémologique va du rationnel au réel. » (Bachelard cité par BCP)
« Des révolutions scientifiques se sont faites quand on s’est aperçu que la raison ne pouvait se laisser mener en laisse par la
nature et quand on a compris que c’était la raison qui devait forcer la nature à répondre à ses questions. » (Kant)
BCP : « Toutes les opérations de la pratique sociologique à partir de l’élaboration des questionnaires et du codage jusqu’à
l’analyse statistique sont autant de théories en acte (les outils sous la dépendance de la problématique qui est elle-même
lestée de théorie), au titre de procédures de construction, conscientes ou inconscientes, des faits et des relations entre les
faits ; la théorie engagée dans une pratique, théorie de la connaissance de l’objet et théorie de l’objet a d’autant plus de
chance d’être mal contrôlée, mal ajustée qu’elle est moins consciente »
Nécessité si on se réfère à ce schéma classique de la démarche scientifique de passer par ces étapes,
d’élaborer la problématique, de construire sous la dépendance de la problématique les outils
méthodologiques et d’être constamment conscient de ce que l’on fait par cette procédure ; d’où
l’intérêt de l’épistémologie.
Le chercheur qui recourt au questionnaire et qui ne se pose pas la question de la signification
spécifique de ses questions risque de trouver trop aisément une garantie du réalisme de ses questions
dans la réalité des réponses qu’elles reçoivent.
Une insuffisance de conscience nous met trop sous la dépendance d’un réalisme d’une opinion ce qui
nous indique que la rupture n’est pas effectuée. Chaque fois que le sociologue est inconscient de la
problématique qu’il engage, il s’interdit de comprendre celle que les sujets engagent dans leurs
réponses. Pour savoir établir un questionnaire et pour savoir que faire des faits qu’il produit (les faits
sont faits), il faut savoir ce que fait le questionnaire et, entre autre chose, ce qu’il ne peut pas faire.
Il est vrai que Bourdieu dans « La misère du monde » n’est plus sur les mêmes positions concernant le
tracé des frontières des disciplines. Cela dit sur le fond épistémologique savoir ce qu’on fait quand on
recourt au questionnaire ou à l’entretien comme dans « La misère du monde », c’est un principe qu’il
maintiendrait.
BCP : « Il arrive parfois qu’une lecture armée sous la dépendance d’une problématique et sous l’effet d’outils
méthodologiques qui ont été, eux-mêmes, élaborés par le chercheur, fasse apparaître des faits qui étaient restés
imperceptibles à ceux mêmes qui les rapportaient. »
On n’est pas toutefois dans l’idéalisme qui dirait que les faits sont totalement construits ou inventés
par le chercheur ou produits par sa seule raison ;
BCP : « Une lecture armée peut faire apparaître des faits restés imperceptible, et c’est ainsi que Panovsky, esthéticien
spécialiste de l’art gothique, n’a pu relever sur les plans d’une chevet de cathédrale, l’expression latine « inter se
disputando » mille fois lue avant lui et typique de la dialectique scolastique que parce qu’il en faisait un fait en
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