Cours du 4 novembre: schématisation progressive

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Transaction sociale – schématisation progressive
I. POSE DU PROBLEME
1. Point de départ anecdotique mettant en scène une situation
d'incertitude bloquant la prise de décision, l'action.
Possibilités: points de départ intra-individuel / inter-individuel (dont
inter-groupal).
Moment envisagé comme celui de l'émergence du "dilemme"
--> première configuration d'une opposition (souvent "terre-à-terre")
T
A
(notre exemple)
rester technicien
B
devenir musicien professionnel
Nous abordons la problématique de la construction sociale de la
connaissance en partant d'une situation d'incertitude qui émerge
phénoménologiquement à la conscience d'une personne (elle s'énonce la
plupart du temps sous une forme anecdotique) et prend schématiquement
deux formes:
- celle d’un dilemme intérieur qui renvoie à la co-présence, au niveau
intra-personnel, de points de vue antagonistes;
- celle de la rencontre d’un point de vue antagoniste porté par autrui, qui
représente une alternative potentielle au point de vue de la personne et
renvoie à la confrontation interpersonnelle.
Dans les deux cas, la personne se trouve face à un conflit sociocognitif
qui la pousse à construire du sens à propos des objets engagés dans le
dilemme ainsi qu'à déterminer, à partir des significations construites, des
critères d'évaluation de ces objets; critères qui soient susceptibles de
générer des arguments qui orientent prises de position et conduites.
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II. TRAVAIL D'ANALYSE
A. Un système de tensions
1. Mise en évidence d'un système de tensions qui sous-tend les termes
de l'alternative: qu'est-ce qui fonde le dilemme, c'est-à-dire la valeur de A
et de B?
T
A
(notre exemple)
raison
responsabilité
repli
centration sur la famille
sécurité
reproduction
...
B
désir
épanouissement perso.
ouverture
sur soi
prise de risque
changement
...
Partant de la tension entre les termes d'une alternative —soit, ici, A et
B—, le travail consiste donc tout d'abord à mettre en lumière les systèmes
de tensions qui sous-tendent A et B.
Les termes de l'alternative —devenir musicien ou rester technicien—,
telles les pointes d'un iceberg, reposent chacune sur un ensemble de
représentations inter-reliées.
Ces représentations engagent à l'évidence des critères relatifs au "bien"
et au "juste". Ces critères fonctionnent à leur tour comme supports
argumentatifs des décisions et conduites effectives.
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2. Mise en évidence des mondes qui traduisent chaque système de
représentations (réf. Boltanski & Thévenot ; Habermas)
Le modèle théorique que nous développons pose donc l'hypothèse
générale suivante: les termes de l'alternative sont construits sur des
conceptions différentes de la réciprocité des droits et devoirs qui
organisent la socialité (mondes sociaux); ces conceptions mettent en
oeuvre des critères différents de jugement de la pertinence des conduites
singulières (mondes subjectifs); ces conceptions et ces critères enfin sont
traduits par des objets qui les appareillent.
L’apport de Boltanski et Thévenot nous aide dans la mesure où ils
développent justement ces différents mondes. Les mondes domestique, de
l’inspiration, marchand, de l’opinion, industriel et civil présentent en effet
chacun leurs propres logiques concernant : ce qui est juste en matière de
collaboration (monde social), les qualités permettant de qualifier les
conduites singulières (monde subjectif), et les objets (monde matériel).
NB : notre « subjectivité » est donc sociale !
Questions-clefs:
a) Les mondes sociaux: dans les systèmes de coopération concernés,
quelles sont les conceptions contrastées des droits et devoirs, les
conceptions de la collaboration, du bien commun?
b) Les mondes subjectifs: à partir de ces conceptions, quels sont les
critères contrastés qui nous permettent de juger notre action et celle
d'autrui ; les critères de jugement qui, liés à ces conceptions, organisent
nos jugements quant à la pertinence d'une action individuelle?
c) Les mondes matériels: quels sont les "objets" qui manifestent les
valeurs respectives de chaque terme du dilemme ; qui les légitimisent?
Réflexion sur la légitimité sociale de A et de B: sont-ils de même valence
ou l'un est-il socialement dominant? Y a-t-il, entre les deux systèmes en
affrontement, une dissymétrie? Réflexion sur l'appareillage des
conventions.
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La première démarche d'analyse porte donc la personne concernée à
travailler ses positions –et celles d’autrui– en termes de représentations, et
à considérer l’ancrage de ces positions dans un système de représentations
qui les sous-tend. Mais elle se complète par une deuxième démarche qui
consiste à reconstituer l'origine sociale des systèmes d'oppositions, en
considérant à la fois leur ancrage dans la micro-historicité individuelle et
dans l'Histoire collective. Il s'agit pour la personne de reconstruire, en
relation aux autruis significatifs qui interviennent dans son histoire de vie,
la façon dont ces systèmes de représentations se sont forgés.
NB: Ces autruis significatifs peuvent être des personnes directement
rencontrées ou des personnes indirectement rencontrées (grands ancêtres,
héros, par exemple ; mais aussi auteurs de livres marquants, etc.).
B. L'origine sociale des systèmes en tension
Un second volet du travail, articulé au premier, est par conséquent
nécessaire pour saisir les mouvements de la personne vers l’objet, c’est-àdire la construction d’un champ de représentation qui réduise l’incertitude
ou encore la façon dont la personne développe un rapport d’actorialité au
monde. Une troisième démarche, donc, consiste alors essentiellement à
étudier ces mouvements, qui peuvent prendre la forme de l’absence
(blocage devant l’alternative), celle de la fuite, celle du va-et-vient entre
les termes de l’alternative, celle de la résistance, celle de l’attraction vers
l'un de ces termes ou encore celle de la dialectique.
1. Mise en évidence des origines sociales de ces fondements et valeurs:
qui a déposé en nous ces systèmes de valeurs organisateurs des prises de
position A et B?
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x
x
x
x
x
x
x
x
x
T
A
x
B
MAIS...
2. Nécessité de séquences temporelles
- A et B n'apparaissent pas nécessairement simultanément;
- l'entrée en scène des "autruis significatifs" n'est pas concommittante (NB:
autruis concrets/"abstraits").
3. Trajectoire de la personne porteuse du dilemme
On aborde ici la question de l'agentisation/actorialisation. On peut
envisager: le blocage de l'action; le mouvement en va-et-vient; le deuil
impossible de l'un des termes de l'alternative; l'abandon d'un des systèmes
de valeurs; la production d'un compromis; la création d'un produit
transactionnel.
Le repérage des mouvements de la personne, inscrits dans les changements
de son rapport à l’objet, entraîne à organiser la réflexion par séquences
temporelles. Celles-ci permettent d’aborder l’éventualité d’une absence de
contemporanéité entre les options A et B ainsi qu'avec les systèmes
conventionnels de représentations qui fondent ces options, ainsi que de
hiérarchiser, dans le temps, les autruis significatifs dont l’intervention
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n’est pas concomitante. Les mouvements de la personne dessinent dès lors
une trajectoire dans laquelle coexistent démarches actives (recherche
d’information, sollicitations de nouveaux autruis, tentatives de résolution,
prise de position, engagements…) mais également des phases de retrait
(soumission, déni, permanence de l’indécision…).
C. Analyse active du système d'opposition
Quelles sont les valeurs compatibles/incompatibles, les oppositions
importantes/artificielles/marginales? Donc: "où suis-je", aujourd'hui,
devant ces tensions? Quelles sont mes "loyautés" envers les "autruis"?
Qu'est-ce qui persiste comme tensions? Quelles options nouvelles peuventelles être envisagées?
A
Visée:
B
C
Produit transactionnel
NB: le travail d'évaluation lui même fait partie de la démarche
d'actorialisation et de la recherche de "C" (TS "en cours").
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x
x
x
x
x
x
x
x
x
T
A
x
B
x
x
x
P1
x
x
P2
x
P3
x
x
x
P4
x
TPS
Un tel travail ainsi que nous le mettons en oeuvre dans le cadre de ce
cours engage donc chacun non seulement à identifier cette situation
d'incertitude et à décrire sa trajectoire mais également à entamer une
nouvelle séquence temporelle caractérisée par l'adoption d'un appareil
théorique qui l'actorialise, dans le sens où il l'habilite à agir. Partant des
termes de l'alternative, l'ensemble du travail consiste donc à étudier le
degré de compatibilité ou d'incompatibilité des valeurs accrochées aux
systèmes de représentations conventionnels sous-jacents; à analyser la
place qu'occupe la personne face aux tensions qu'organisent les
contradictions; à s'interroger sur les loyautés qui lient la personne aux
autruis qui, à ses yeux, représentent chacune des positions antagonistes; à
faire le point quant aux mouvements effectués et à envisager une
résolution de l'opposition sous la forme d'un "produit transactionnel". La
transaction peut en effet être décrite comme la mise en oeuvre d'un
processus de coopération conflictuelle interpersonnelle, que celui-ci
s'exprime dans la confrontation directe —lorsque les détenteurs de
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positions opposées interagissent— ou qu'il se développe dans une
confrontation indirecte —lorsque la personne situe le débat au niveau d'un
dialogue intérieur. Ce processus vise donc à terme l'établissement de
nouvelles normes conventionnelles évaluatives susceptibles de dépasser
l'indécision et d'orienter les conduites. Cette fonction cognitive —aux
dimensions d'élucidation et d'orientation— s'accompagne cependant d'une
fonction identitaire et d'une fonction d'actorialisation. En ce qui concerne
la première, il s'agit de concevoir la dialectique entre individuation et
insertion. En ce qui concerne la seconde, c'est de la dialectique entre
habilitation (Roelens, 1998) et visibilisation des contraintes dont il s'agit.
La perspective adoptée porte donc l'attention sur les mouvements de la
personne engagée dans un processus transactionnel. Et elle envisage celleci à la fois comme acteur d'une définition de la situation et comme agent,
c'est-à-dire porteur des contraintes issues de son appartenance à des
mondes préalables à la situation vécue. C'est, autrement dit, à travers la
rationalité active des personnes engagées dans l'interaction —liée à leur
maîtrise partielle du contexte— que s'expriment les contraintes
structurelles; et c'est également par là que ces mêmes contraintes sont
générées ou transformées. Les propositions théoriques et méthodologiques
que je défends, articulant RS et TS, correspondent par conséquent à la
posture méthodologique dont Jean Rémy (1996, pp. 9-31) a posé les
fondements:
- elle cherche à articuler passé et avenir, partiel et global, individuel et
collectif;
- elle contribue à définir le statut de la personne dans l'action collective et
à la concevoir comme être réflexif, lieu d'initiatives et d'arbitrages,
conjuguant logique d'intérêt et recherche de sens;
- elle met l'accent sur les problèmes à résoudre, les inattendus à affronter;
- elle prend l'option d'un abordage par la vie quotidienne, soit l'"icimaintenant" mais en le concevant comme inséré dans des processus de
longue durée;
- elle ne se centre ni sur la notion de choix ni sur celle de décision mais
bien sur celle d'action réciproque;
- elle met en oeuvre une conception de la rationalisation comme processus
plutôt que comme état, c'est-à-dire qu'elle résulte du contrôle réflexif de
l'agent-acteur et constitue progressivement la compétence de la personne;
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- elle s'adapte à des approches à dominante intrapersonnelle,
interpersonnelle ou collective;
- elle ne vise pas la réduction des conflits mais représente une des
modalités de l'innovation sociale parmi lesquelles on distinguera les
innovations de rupture (permettant un engagement dans des voies
nouvelles) et les innovations de croissance (permettant à une logique déjà
en place de se renouveler).
Bilan général
Le modèle théorique que je développe pose l'hypothèse générale
suivante qui prend la forme de dix propositions:
1) les termes de l'alternative, telles les pointes d'un iceberg, sont construits
sur des conceptions différentes de la réciprocité des droits et devoirs
qui organisent la socialité (configurations signifiantes);
2) ces configurations, plus ou moins stabilisées sous la forme de
conventions explicites, traduisent
représentations inter-reliées;
chacune
un
ensemble
de
3) elles peuvent être exprimées, selon le degré de stabilisation socio-
historique des conventions qui les manifestent, par des objets qui les
appareillent;
4) elles mettent en œuvre des critères différents de jugement de la
pertinence des conduites singulières;
5) représentations et critères fonctionnent comme supports argumentatifs
des évaluations et conduites effectives;
6) l'incertitude issue du face-à-face de configurations divergentes est
source d'un déplacement du registre actionnel: l'indécision relative aux
critères évaluatifs qui les autorise, rend les conduites effectives
indécidables mais un travail d'élaboration d'une cohérence cognitive est
sollicité;
7) ce travail ne se solde que par la liquidation de l'opposition des
conceptions divergentes, que celle-ci se traduise par l'adoption de l'une
d'entre elles ou qu'elle s'exprime par une démarche dialectique relative
à la proposition d'une troisième configuration;
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8) quelle que soit l'issue du travail, l'action cognitive revisite les
configurations engagées: elle les conforte, les complète, les corrige ou
les dépasse;
9) le travail consiste, de ce fait, en une démarche transactionnelle: les
configurations engagées, en effet, loin d'être élaborées dans un vide
social, portent la marque de l'activité sociale socio-historique tout
autant que celle de l'activité sociale locale au cœur de laquelle la
personne se socialise; le travail met donc en mouvement tout un tissu
relationnel, ancré dans le passé et mis en jeu dans le présent, traversé
d'enjeux collectifs et d'enjeux spécifiques portés ou niés par autrui;
10) le travail aboutit donc, nécessairement, à un produit transactionnel dans
la mesure où l'adoption d'une configuration signifiante est générée par
l'opposition de départ, où le processus de production implique autrui et
où la position d'arrivée, dégageant l'incertitude en même temps
qu'engageant évaluations et conduites, oriente l'action insérée dans
l'activité collective.
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