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Fiche faite par Laure Lacan,
pour la question d’agrégation “ expliquer/comprendre
Année 2002-2003 Ens Ulm
Patrick Pharo : “ le sens de l’action et la
compréhension d’autrui
Avertissement : j’avais été mandatée pour une fiche sur Le sens de l’action et la compréhension
d’autrui. En réalité, j’ai résumé les premiers chapitres essentiellement. Pour ce qui est de la fin
du livre, à la place de l’exposé théorique complet de la thèse de refondation de la sociologie
compréhensive par la sémantique, j’ai cru bon d’en donner seulement les linéaments et de le
faire suivre de l’exposé de deux articles de Patrick Pharo que j’ai trouvé par hasard et qui
m’ont semblé pouvoir être un peu plus utiles à notre sujet et/ou illustrer la façon dont une telle
sociologie peut être mise en œuvre.
P. Pharo est chercheur au CNRS (sociologie de léthique). Il a également écrit : Le civisme
ordinaire (1985) ; Politique et savoir-vivre (1991) ; Phénoménologie du lien civil, Sens et
légitimité (1992).
Le sens de l’action et la compréhension d’autrui.
L’Harmattan, Logiques sociales, 1993.
Ce livre est un essai visant à refonder la pertinence de la sociologie compréhensive
(ou “ comprenante - l’auteur aurait préféré cette traduction) de Max Weber. Il considère que
la question centrale dans l’œuvre de M.Weber est celle des conditions de possibilité d’une
compréhension de l’action sociale suivant son propre sens : or la compréhension d’autrui
est à la fois ce qui fonde la vie sociale et le cœur des sciences de l’homme.
La différence entre la perception d’une personne et celle d’un objet est que derrière la
personne que nous percevons est supposée être une conscience morale analogue à la notre.
Cependant, rien dans notre appareil perceptif ne nous oblige à prendre en compte cette
conscience. Et c’est cette constatation qui sous-tend une grande partie de la pensée
contemporaine qui a travaillé à imaginer une humanité dotée de langage, d’intentionnalité et de
représentation et pourtant sans conscience. Patrick Pharo étudie successivement les objections
ainsi adressées par diverses théories à la sociologie compréhensive avec l’idée que les apories
auxquelles elles aboutissent amènent à reconsidérer comme légitime la question du sens :
Tout l’effort de cet ouvrage consiste à montrer, après d’autres, que cette question peut faire
l’objet d’une investigation scientifique, sans qu’on puisse dire à l’avance quelles seront les
limites de l’investigation. Le sens, c’est-à-dire le contenu intelligible d’une expérience
subjective, n’est pas une catégorie empirique. Ceci suffit sans doute à le rendre
inconnaissable par les moyens usuels de la science expérimentale. Mais cela ne suffit pas à
le rendre inconnaissable purement et simplement.
Cette refondation, l’auteur la réalise dans un cadre phénoménologique et en
empruntant des éléments à la philosophie analytique. L’intuition de départ est la simple
constatation que le sens d’une activité fait l’objet d’une certaine connaissance ordinaire sur
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laquelle on s’appuie pour mener la plupart des activités sociales, jointe à la remarque logique
que l’on ne peut constituer des êtres sensés si l’on ne range pas certaines au moins de nos
actions ou inactions dans des catégories sémantiques.
Par exemple, pour savoir si Marie aime Pierre, on peut observer la série de ses actes (un don, un
pardon, un soutien) et si l’hypothèse de l’amour nous paraît sémantiquement cohérente avec
cette série, on conclura plutôt à l’amour. Les données empiriques sont ainsi prises en compte
non pas telles quelles mais par rapport aux contraintes conceptuelles qui sont attachées à
chacune des interprétations possibles de ces données :
On voit que la méthode suivie est ici sémantique, et non pas empirique, ni même à proprement
parler psychologique. Pour être encore plus précis, on doit même dire que cette méthode est
socio-sémantique, car elle suppose le partage social d’un fonds commun de significations
possédant une certaine stabilité et objectivité.
Les fondements wébériens de la sociologie compréhensive
Dans le chapitre I, l’auteur reprend les fondements wébériens de la sociologie
compréhensive et les critiques que Weber adressait déjà à sa propre théorie. Rappelons que
l’idée de sociologie compréhensive vient de la définition de l’objectif de la sociologie par
Weber comme comprendre par interprétation les actions orientées significativement
(Économie et société). La sociologie compréhensive cherche donc à répondre à la question
fondamentale de savoir si l’on peut accéder au sens des activités sociales, ou plus précisément
s’il est possible de faire coïncider le sens établi par une théorie, un discours et le sens endogène
(le sens réel).
L’ “ activité sociale ” est pour Weber “ l’activité qui, d’après son sens visé, par l’agent
ou les agents, se rapporte au comportement d’autrui, par rapport auquel s’oriente son
déroulement. ” Et par sens (Sinn), Weber entend
- le sens visé subjectivement en réalité par un agent ou en moyenne par des agents ;
- ou le même sens visé subjectivement dans un type pur.
Il ne s’agit pas d’un sens objectivement juste tel que cherchent à l’établir les sciences
dogmatiques (la juristique, l’éthique). L’objectivité sociologique, elle, passe par la
construction de concept de sens idéal-typique (même si la sociologie doit rester consciente des
écarts de ces types à la réalité). Mais se pose alors le problème de la vérification de la validité de
ces types.
L’analyse wébérienne se rattache à la problématique allemande du Verstehen.
Cependant, elle ne dissocie pas la compréhension de l’explication (la citation donnée ci-dessus
est en fait : “une science qui se propose de comprendre l’activité sociale et par là d’expliquer
causalement son déroulement et ses effets ”). En effet, la compréhension du sens de l’activité,
par finition, permet d’expliquer les enchaînements significatifs : “ en raison d’un principe de
conversion de la forme moyens / fins de l’action du point de vue de l’agent agissant, à une
forme causes / conséquences de cette me action du point de vue d’une observation a
posteriori. Le caractère finalisé de l’action sociale est ce qui rend possible l’union de la
compréhension et de l’explication. La compréhension du sens visé, la construction de types
idéaux et l’imputation causale sont ainsi les moments indissolubles de l’analyse
wébérienne.
Mais Weber lui-même relève les difficultés : la différence possible entre le motif
invoqué par l’agent et le motif véritable, la coexistence de plusieurs motifs éventuellement en
conflit accompagnant l’activité Surtout, dit-il, dans la grande masse des cas, l’activité elle
se déroule dans un obscure semi-conscience. La connaissance sociologique est donc
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toujours essentiellement fragmentaire et hypothétique ; et c’est même en cela que réside sa
spécificité.
Schütz a essayé de reprendre le projet wébérien à la lumière de la phénoménologie
d’Husserl. Weber a tenté de permettre la compréhension en duisant l’activité humaine à des
formes élémentaires de comportement individuel. Or Schütz pense que ces formes élémentaires
résident dans des actes de conscience : il faut transférer au cas de l’attitude naturelle les
résultats obtenus dans la sphère de la réduction phénoménologique :
ce que nous cherchons est la structure invariante, unique, a priori de l’esprit
Schütz remarque que :
- nous avons tendance à faire une confusion entre la connaissance que nous avons de
l’autre et l’expérience qu’autrui a de lui-même ;
- nous ne pouvons donner un sens à notre expérience dans le moment même elle se
déroule : “ le sens ne réside pas dans l’expérience. Les expériences ont du sens
lorsqu’elles sont saisies réflexivement.
Le Verstehen apparaît ainsi comme une donnée de base de l’attitude naturelle dans le
monde social. C’est même le phénomène (au sens husserlien) de l’investigation
sociologique. Et la compréhension d’autrui se donne au sens commun sous la forme de
typifications (qui s’enracinent dans l’appartenance à une culture et à une histoire biographique
particulière). Les types idéaux de Weber deviennent ainsi la chose la mieux partagée au monde.
Le scientifique procède à une typification de second ordre qui réclame une mise en suspens de
certaines croyances, de certains savoirs. En plus des critères de scientificité classique, Schütz
avance la possibilité d’obtenir un accord de l’agent sur l’interprétation de son action par
l’observateur. Mais la sociologie ne semble alors plus avoir le choix qu’entre
- une description des mécanismes généraux de la typification sociale ;
- une approche des conditions locales et contingentes des typifications de sens commun.
Les fondements phénoménologiques de la sociologie
compréhensive
Dans le chapitre II, Patrick Pharo cherche alors à approfondir les fondements
phénoménologiques de la sociologie compréhensive ”. A partir, de La Crise des sciences
européennes et la phénoménologie transcendantale, il cherche à affiner la notion de sens
endogène de l’action, c’est-à-dire d’intentionnalité (dans le sens qu’Husserl donne à ce mot).
Le projet de Husserl est d’éclaircir les fondements de la connaissance. La science est en
crise du fait des succès me de la science moderne qui l’amènent progressivement à se réduire
à une science des faits. Le fondement sensé a été oublié. Il s’agit de surmonter le scepticisme
ambiant pour découvrir le sol apodictique universel de la connaissance :
La critique de l’objectivisme à laquelle se livre Husserl ne vise pas à dénoncer des “ erreurs
ou un manque de vérité ”, mais à restituer les fondements intentionnels sur lesquels repose,
selon lui, toute objectivité ” (p35)
L’objectivation, qu’elle soit scientifique ou pré-scientifique (de la vie quotidienne) dilue le sens
intentionnel de cette objectivation, qu’il faut rétablir :
tout ce qui est objectif est sous le coup d’une exigence de compréhensibilité ” (Husserl)
Ce qui est premier, ce n’est pas l’être du monde, mais au contraire la subjectivité. Il y a une
prestation subjective fondamentale ; les concepts d’intentionnaliet de cogitatio (avoir
conscience de quelque chose) mettent en évidence la croyance, la certitude dont nous sommes
porteurs : la conscience est une conscience du monde, que ce soit dans l’activité scientifique ou
dans l’activité quotidienne (induction, anticipation, intuition sont des modes universels de
constitution du monde).
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Il en résulte que la doxa et le sens commun, tout en étant à interroger sur leur naïveté, se
trouvent finalement revalidés dans leur sens d’être fondamental puisque c’est finalement la
croyance qui assure la permanence du monde. ” (p. 42)
La notion d’intérêt est chez Husserl importante. Il ne s’agit pas de l’intérêt entendu au
sens courant, c’est-à-dire ce qui nous fait prisonnier des choses matérielles, mais l’intérêt
compris comme ce en quoi nous sommes orientés-vers. Ce concept d’intérêt assure le passage
d’une pure théorie de la connaissance à une théorie du “ faire à l’intérieur du monde :
l’intérêt n’assure pas seulement le monde comme ce sur quoi nous avons des visées, mais
aussi le caractère potentiellement agentif de toutes les visées que nous avons sur le monde.
(p.43)
Husserl parle d’“habitus en avançant que l’origine de l’habitus est l’explication : c’est de
l’explication oubliée, entrée en sommeil. L’habitus n’est pas la simple impression du monde sur
l’“ ego ; ce n’est pas un processus mécanique mais ce qui est disponible des connaissances et
explications acquises plus tôt.
Dans toute perception, il y a un horizon visé : on retient ce qui n’est déjà plus et on
anticipe ce qui va venir ; c’est ainsi que tout est pris dans la validité, dans l’un ; c’est ainsi que la
chose est constituée. C’est l’“ a-priori universel de corrélation ” entre la conscience des choses
et les choses. Le concept d’intersubjectivité vient alors en complément : les expériences des
autres s’ajoutent aux miennes comme la série de mes expériences passées :
il se produit une cohérence intersubjective de la validation. ” (Husserl)
L’intersubjectivité n’est donc pas, ici, l’objet d’une science de la culture mais l’autre face de la
corrélation de la conscience des choses et des choses, qui permet de poser un ego absolu
unique et universel.
L’analyse husserlienne de la corrélation implique qu’il est impossible de séparer
l’esprit humain et le monde physique ou social et c’est sur cette impossibilité,
précisément, qu’est construite la sociologie compréhensive : on ne peut étudier un objet
sociologique (une institution par exemple) en réduisant son apparaissant à l’apparaître de
l’objectivation du sociologue si c’est son apparaître dans l’action de l’agent qui en spécifie les
propriétés reconnaissables :
Le tour par la conscience qu’ont les agents des choses que l’on examine est, dans cette
optique, une exigence incontournable de la méthode sociologique. ” (p.49)
Par contre, l’analyse husserlienne n’aide pas à penser l’intersubjectivité. On l’accuse
facilement d’hypertrophier l’ego, même si Husserl souligne que l’ego absolu n’est pas un ego
privé ; il peut être l’ego d’une communauté. Le but serait alors, pour P.Pharo, dans la lignée
d’Husserl, de se demander :
quelles sont les propriétés stables et invariantes de la corrélation intersubjective qui, du fait
qu’elles sont identiques à celles de la corrélation égologiques, peuvent rendre compte de la
permanence, de l’objectivité, de l’indépendance d’un monde physique et social pour toute
intentionnalité humaine, et permettre en particulier de juger de la vérité ou de la fausseté de nos
phrases d’action intentionnelle. Rattachée aux structures sémantiques invariantes de
l’intersubjectivité, la réalité de l’expérience subjective ou égologique a toutes chances
d’apparaître alors comme beaucoup moins douteuse. ” (p.51)
Ceci devrait également permettre de réintroduire un principe de réalité : un monde tel qu’il est
et non tel que je crois qu’il est.
Le principal bénéfice d’une transposition des principes phénoménologiques à la
sociologie est d’écarter le relativisme culturel et d’y réintroduire une perspective universaliste.
C’est une réflexion sur les structures formelles qui permettent aux êtres humains d’avoir sur le
monde des visées intentionnelles suffisamment identiques pour être communicables. P. Pharo
conclut :
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Désormais, la sociologie ne peut plus prétendre étudier les forces qui structurent l’activité,
mais paraît condamnée à regarder de près comment l’action se structure elle-même, par le fait
qu’elle se mène suivant des formes communes de compréhensibilité, lesquelles sans doute sont
culturelles, ce qui pourtant ne les empêche pas de relever de structures beaucoup plus
universelles et générales de la compréhension pratique. ” (p.54)
Les objections
Un chapitre est ensuite consacré à la critique de l’ethnométhodologie, qui repose
sur la croyance en une indexicalité généralisée ; à l’origine de l’idée d’indexicalité, il y a
l’établissement par les logiciens d’une différence entre des énoncés tels que j’ai froid et
d’autres tels que la glace flotte sur l’eau : le premier n’est vrai qu’en fonction des
circonstances de l’énonciation. Garfinkel passe de l’idée d’indexicalité des expressions à celle
d’indexicalité des actions : en effet, c’est le langage qui permet d’exhiber ce qui ne peut exister
indépendamment des descriptions d’où le corrélat entre indexicalité des expressions et
indexicalité des actions. Cette théorie de l’indexicalité amène Garfinkel à insister sur le
caractère d’accomplissement continu, en train de se faire de l’activité pratique. Ainsi, les
structures formelles de l’action pratique ne sont disponibles pour les membres qu’en
tant qu’accomplissements pratiques et non par rapport à ce qu’elles dénotent ou à ce qui
les typifie. Cela revient à scier la branche sur laquelle la sociologie est assise : il n’y a plus
d’objet ici, ni de construction de l’objet, mais seulement la pratique en train de se faire comme
fondement irréductible de l’ordre social ” (p.63).
P. Pharo fait remarquer que l’ethnométhodologie n’a pu avoir de postérité qu’en
sacrifiant à sa version forte, radicale. Et pour ce qui est de cette version forte, il juge qu’elle ne
repose que sur une confusion entre un problème d’ordre logique et un problème d’information
disponible. Les énoncés les plus objectifs ne sont jamais indépendants de certains index (l’eau
ne bout à 100° que si l’eau dont il est question est bien H20) ; et les énoncés indexicaux font
bien référence à quelque chose même si ce quelque chose est abrégé par un déictique ; d’où : le
manque d’information qu’on peut avoir sur le “ je ” qui parle n’obscurcit pas davantage le sens
et la référence que le manque d’information qu’on peut avoir sur l’eau.
ce qui est en cause dans la compréhension du sens par le contexte, ce ne sont pas des
propriétés du langage plus ou moins magiques, mais seulement la quantité d’informations
disponibles ” (p.65)
De l’ethnométhodologie, P. Pharo retient cependant son intention de restituer à l’action
la part de liberté qui la fonde :
Il y a certainement ici une innovation importante dans la mesure
l’ethnométhodologie restitue à l’action ses propriétés d’indécidabilité et renoue ainsi
peut-être avec l’analyse kantienne de la liberté. La sociologie durkheimienne avait
introduit le social dans le domaine des lois naturelles au prix d’un renoncement à la prise en
compte des propriétés essentielles de l’action, en particulier celle d’être à elle-même sa propre
cause. L’ethnométhodologie récuse cette réduction à laquelle elle préfère encore un
renoncement à l’explication : si la pratique ne peut pas elle-même être expliquée, c’est
parce qu’elle est fondamentalement elle-me d’où toute explicitation d’origine ” (p.79)
Suivant la critique de Garfinkel, le projet wébérien d’une explicitation causale juste est ainsi
invalidé car de telles descriptions causales ne sont en fait que des reconstructions
interprétatives. Mais si P. Pharo reconnaît une avancée dans le fait de restituer ses
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