Les tuyaux de terre cuite des adductions médiévales :
typologie et modes d’utilisation à propos de quelques exemples d’Ile-de-France
Intervenant :
Jean Chapelot
Directeur de recherche au CNRS,
Château de Vincennes,
Bâtiment 06,
Avenue de Paris,
94300 Vincennes
Téléphone : 01 41 93 23 96
Télécopie : 01 41 93 20 40
L’eau est un besoin essentiel pour les grandes communautés humaines qui entourent les souverains
médiévaux dans leurs déplacements ainsi que pour les animaux, notamment les chevaux, qui suivent en grand
nombre le roi dans son itinéraire de résidences en résidences.
Un premier besoin est d’abord celui de poisson. Le grand nombre de jours de carême conduisaient à créer
de tels aménagements afin de s'affranchir des aléas de l'approvisionnement extérieur. Quand les résidences royales
sont proches d'une rivière, une pêcherie y est aménagée : ainsi, à l’époque de Philippe le Bel, dans la Loire près
d’Orléans, dans le Morin près de Crécy-en-Brie ou probablement dans la Marne près de Vincennes.
Dans un plus grand nombre de cas, les résidences royales disposent de retenues d'eau, appelées dans les
textes étang ou vivier (les deux termes paraissant à peu près synonymes), qui leur permettent, comme aux grands
monastères, d'élever du poisson. Un aménagement de ce genre a été créé près du manoir de Vincennes dès le début
du règne de Louis IX. En 1239, celui-ci achète sur le terroir de Saint-Mandé un terrain à l'ouest et hors du bois de
Vincennes clos d’un mur dès la fin du XIIe siècle par son grand père Philippe Auguste et y aménage un étang que
l'on suit pendant tout le reste du Moyen Age. Entre 1274 et 1276, Philippe III acquiert plusieurs dizaines de
parcelles de terrain et les entourent d'un mur : dans cette excroissance du bois se trouve l'étang établi en 1239 et
pour en développer l'approvisionnement en eau, Philippe III fait entreprendre des travaux de canalisation du ru de
Montreuil qui l’approvisionnait antérieurement en eau et il fait très vraisemblablement détourner et canaliser vers ce
même étang un autre ru qui descendait des hauteurs de Belleville-Ménilmontant. Il s'agit de vastes travaux puisque
ces canalisations sont longues de plusieurs kilomètres.
Un autre besoin très important est celui d’eau potable. Si plusieurs puits existent probablement dans le
manoir de Vincennes dès l’origine, leur débit n’est pas suffisant pour répondre à tous les besoins.
Les fouilles du manoir de Vincennes montrent l'existence ici dès le milieu du XIIIe siècle au plus tard d'un
vaste réseau qui apportait l'eau issue de deux sources situées à Montreuil, à environ trois kilomètres au nord. Nous
connaissons le tracé de ces adductions par des textes et des plans d’Ancien Régime en amont du manoir mais à
l’intérieur de celui-ci, la fouille a mis au jour cinq phases successives d’aménagement d’un réseau de distribution
d’eau, datables des XIIIe-XIVe siècle. Dans les deux premières, il s’agit de tuyaux de terre cuite noyés dans un
massif de mortier de tuileau tandis que dans les trois suivantes il s’agit de tuyaux de plomb protégés par des dalles de
calcaire. Dès le XIIIe siècle, une fontaine existe dans la cour du manoir royal : elle est remplacée par une nouvelle
structure monumentale pendant le règne de Charles V.
Lors de la construction de l'enceinte du château entre 1373 et 1379-1380, on mit en place à partir des fossés
de celui-ci, où l'eau était rejetée, un égout de huit cents mètres de long destiné à conduire le trop-plein dans l'étang de
Saint-Mandé qui a été évoqué plus haut.
Le réseau hydraulique approvisionnant le manoir de Vincennes, en place au moins dès le règne de Louis IX,
est le produit d'un essor de ce type d'aménagement en ville et dans les grandes résidences royales et seigneuriales dès
la fin du XIIe siècle. Par son ampleur, comparable à celui d'une grande abbaye ou d'une ville comme Paris, il est une
manifestation de l'importance que prend Vincennes à partir du règne du saint roi mais il est probable qu'il n'est pas, à
cette époque et plus encore à celle de Philippe le Bel, le seul exemple d'un grand réseau d'adduction approvisionnant
une résidence royale. D’autres résidences royales, Saint-Germain-en-Laye, Château-Thierry et Jaulgonne (Aisne),
sont pourvues d'une adduction sous Philippe le Bel, mais nous en ignorons la nature et l’ampleur exactes.