La crise financière récente a permis de sensibiliser une grande quantité de personnes à une problématique nouvelle, largement reprise par les médias, à savoir: A-t-on raison de donner un statut architectonique au capitalisme dans notre quotidien? En effet que ce soit pour le travail, pour le loisir ou même pour ce qui ressort de l'hygiène et des besoins élémentaires, toutes ces activités sont pratiquées sur un mode capitaliste de consommation. Qu'ont à dire les philosophes, et en particulier les philosophes réalistes, quant à cette problématique? Traditionnellement les philosophes ont eu tendance à rejeter le capitalisme en raison d'une opposition Nature/Convention, c'est ce qu'a fait entre autre Platon et c'est une tendance que possède aussi Aristote comme on peut le voir dans La politique. Cependant nous savons que l'art imite la nature, et donc qu'une convention peut s'appuyer sur l'ordre naturel des choses. En philosophie morale et politique cet ordre naturel est énoncée dans une loi non écrite que l'on appelle la Loi Morale Naturelle, cette dernière se trouve dans la raison humaine et est structurelle pour l'homme. Dés lors le philosophe se doit de se demander si le capitalisme est conforme à cette Loi Morale Naturelle, ou autrement dit, dans des termes profanes, si le capitalisme est légitime. Répondre à cette question sera impossible tant que nous n'aurons pas établi si l'homme procède à des échanges de marchandise de façon naturelle ou non. C'est seulement après avoir déterminé ce point que nous pourrons dire si le capitalisme est conforme ou non à cette manière naturelle de faire du commerce et la mesure dans laquelle le capitalisme peut être considéré comme bon suite (ou non) à cette conformité. L'économie est une science relative à la production, à l'échange ou à la distribution de biens ou de services. Afin de déterminer si le capitalisme peut se baser sur une forme naturelle d'économie il nous faut d'abord prouver qu'une telle 1 économie existe. Il s'agit alors de démontrer que l'homme naturellement produit et échange des biens marchands. Par nature l'homme est un animal social, Aristote dans La politique parle d'animal politique (En effet, l'homme est par nature orienté vers autrui de par sa sexualité, c'est pourquoi la première cellule sociale est la famille. Toute autre organisation politique ou sociale n'est qu'une amélioration de la famille de telle sorte que même la cité ou l'état sont fondés en nature dans la mesure où ils sont basés sur le modèle familiale: "C'est pourquoi toute cité est un fait de nature, s'il est vrai que les premières communautés le sont elles-mêmes."1. S'il est possible de rétorquer que les animaux eux aussi procréent et que certains même s'organisent en communautés organisées, on voit cependant bien que l'homme en vertu du fait qu'il possède une raison et donc la parole, d'une part fonde des communautés bien plus parfaite et d'autre part est naturellement orienté vers la société puisque si "la nature ne fait rien en vain."2 Il faut bien considérer que la parole nous oriente naturellement vers autrui.Cette idée rejoint le mythe de Prométhée selon lequel l'homme, ayant été crée animal, nu n'a d'autres recours pour sa survie que la société et l'art. Le fait de montrer que l'homme est naturellement social prouve qu'il est porté à effectuer des échanges de par son humanité même, cependant cela n'est pas suffisant afin de prouver qu'il est naturel pour l'homme de procéder à des échanges commerciaux. Pour cela il faut aussi montrer que l'homme accède nécessairement à la propriété privée. A ce propos on trouve au détour d'une page de La politique d'Aristote une citation d'Euripide disant: "Il est normal que les grecs commandent aux barbares". Cette citation vient illustrer l'idée qu'il existe des esclaves par nature ainsi que des maitres par nature. Or, si l'esclave est considéré comme une propriété du maitre c'est donc que le citoyen accède naturellement à la propriété. Cependant si l'idée de l'esclavage était aisément acceptée à l'époque où Aristote a dévellopé ses théories, elle a été depuis largement critiquée. En effet l'idée d'esclave par nature vient bafouer l'idée de 1 ARISTOTE, La politique. Paris, Librairie philosophique J.Vrin, 2005. 595p 2 idem 2 dignité humaine, et par là même notre preuve de la naturalité de la propriété est rendue caduque. Mais est-il nécessaire que le concept d'esclave renvoie à un être humain asservi? L'esclave par définition est celui qui n'est pas à la source de ses actes, et donc qui ne fait pas usage de sa volonté, puisqu'au contraire cette dernière est sous la domination de celle du maitre. Cela correspond à l'idée de Chose que développe Hegel dans ses Principes de la philosophie du droit où il est dit qu'est chose ce qui: "est immédiatement différent de l'esprit libre [...] quelque chose qui n'a ni liberté, ni personnalité, ni droit" 3 . Ainsi aucun homme n'est esclave mais seulement ce qui est extérieur à l'humanité. Puisque la chose n'a pas d'esprit, la personne humaine est: "en droit de placer sa volonté dans n'importe quelle chose". C'est là la seule manière pour l'homme de concrétiser sa liberté en l'objectivant. Ainsi, non seulement la propriété privée apparait naturellement mais elle est en plus un progrès pour l'humanité. Ces deux choses, à savoir que l'homme est naturellement social et qu'il accède naturellement à la propriété privée, ayant été posées il est aisé de démontrer que l'homme est un animal marchand. En effet puisque l'acte de s'approprier est un acte de la volonté, il est par essence téléologique. Hegel dit que: "je m'approprie quelque chose sous l'impulsion de mes besoins naturels". Dés lors puisque ce qui m'appartient est un certain bien utile, il est limité. En effet mes besoins naturels ne sont pas illimités et ma puissance à m'approprier les choses est donc limitée par ces besoins. C’est pourquoi Aristote dit: "Un droit de propriété de ce genre suffisant par lui même, à assurer une existence heureuse n'est pas illimité [...] puisque aucun instrument n'est illimité, ni en nombre, ni en grandeur"4 Dés lors qu'il existe une limite il y a possibilité d'un surplus, il faut donc trouver quoi faire de ce surplus de biens. Ce problème est aisément résolu puisque ce surplus n'est pas l'apanage de tout le monde, en effet: "certains hommes ont certaines choses en trop grande quantité et d'autres en quantité insuffisante". C'est là que le troc intervient comme solution. On pourrait croire que cette preuve ne marche qu'avec une anthropologie où l'homme est bon par 3 HEGEL, G. W. F., principes de la philosophie du droit ou droit naturel et science de l'etat en abrégé. Paris, Librairie philosophique J.Vrin, 1998. 370p 4 ARISTOTE, La politique. Paris, librairie philosophique J.Vrin, 2005. 596p 3 nature, Cependant cela se démontre aussi, voire même plus facilement, avec le point de vue contraire: Adam Smith dans ses Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations se base sur une vision de l'homme hobbesienne afin de démontrer que l'homme pratique les échanges commerciaux par nature. En effet puisque l'homme évolue dans un état de nature qui lui est hostile, il "a besoin a tout moment de l'assistance, et du concours d'une multitude d'hommes" 5 . Or l'homme qui n'est pas bon par nature ne peut pas se résoudre à compter sur la charité de ses prochains, Adam Smith à ce propos pense même qu'"il n'y a qu'un mendiant qui puisse se résoudre à dépendre de la bienveillance d'autrui."6. Ainsi le troc se met en place quand l'homme fait appel à l'égoïsme des autres hommes afin de s'attirer leur assistance. Puisqu'il a maintenant été montré que l'homme s'adonne naturellement au commerce, en raison de sa sociabilité naturelle ainsi que de son aptitude à s'approprier les choses, il va être possible de voir si cette technique naturelle de commerce est capitaliste, ou plutôt, si le capitalisme repose ou non sur cette manière naturelle de commercer. D'après l'article wikipédia qui lui est consacré, le capitalisme est caractérisé par: "La propriété privée des moyens de production ; la recherche du profit et sa justification (ou l'absence de); la liberté des échanges économiques et la concurrence économique ; l'importance du capital, les possibilités de l'échanger (spécialement en bourse), de l'accumuler et de spéculer ; la rémunération du travail par un salaire."7 Pour savoir si cette doctrine économique et sociale particulière se fonde en nature ou non, il ne sera pas nécessaire de vérifier que toutes ses 5 SMITH, Adam, La richesse des nations.Paris, GF Flammarion, 1991. 531p 6 SMITH, Adam, La richesse des nations. Paris, GF Flammarion, 1991. 531p http://fr.wikipedia.org/wiki/Capitalisme 7 4 caractéristiques soient conformes à la forme naturelle de l'économie mais seulement celles qui ont un statut architectonique, à savoir: la recherche du profit qui en tant qu'Idée s'incarne dans la division du travail, et l'importance du capital c'est à dire celle de la monnaie. Or il semble que cela ne soit pas le cas de prime abord, et ce en raison de ce que nous avons dit précédemment: la propriété s'applique à des biens utiles qui n'existent qu'en nombre limité. En effet, les biens utiles à l'homme s'adresse à lui en tant que vivant et en tant qu'intelligent, de ce point de vue toute nourriture qu'elle soit physique ou spirituelle nous est donnée par la nature, ce qui permet à Aristote de dire: "La race humaine vit surtout de la terre et de la culture de ses produits"8. On rejoint ici la doctrine physiocratique du docteur Quesnay pour qui toute richesse se résout en terre et en agriculture. On introduit ici l'idée importante que la richesse provient du travail, l'agriculture étant le travail de la terre, et ceci réclame explication: De toutes les catégories de l'être définies par Aristote dans son seule celle de l'avoir est propre à l'homme. Elle désigne tout ce qui a été fait par l'homme en vu de répondre à ses besoins. Si cette catégorie est spécifiquement humaine c'est parce que seul l'homme est capable de produire par art. Pour Hegel aussi c'est bien le travail qui est la plus parfaite forme d'appropriation, et même s'il n'est pas le sens premier de l'appropriation il est le plus pérenne et donc le plus apte à créer la richesse. Dans le texte cela se présente ainsi: " La prise de possession peut être soit l'acte purement corporel de se saisir immédiatement d'un objet, soit son façonnage, soit enfin le simple marquage" mais: "La détermination par laquelle une chose est ma propriété, acquiert par le façonnage une extériorité subsistant pour soi et cesse ainsi d'être limitée à ma présence dans ce lieu ou dans ce temps."9 Cette théorie physiocratique s'oppose à la théorie mercantiliste qui veut que la richesse des nations ne s'augmente que par le commerce extérieur. En effet, si seul le fruit de la terre est richesse, le métal précieux et donc la monnaie est sans valeur. De même si seule l'agriculture est un travail apte à enrichir 8 ARISTOTE, La politique. Paris, librairie philosophique J.Vrin, 2005. 596p 5 l'homme, commerce et industrie sont à considérer comme des activités purement stériles. Et puisque le but est seulement de subvenir à ses besoins, nul besoin de la division du travail afin d'augmenter la productivité. De plus cette division, même si elle s'applique aussi dans l'agriculture actuellement est essentiellement liée à l'industrie. Adam Smith souligne ce point en disant que: " Il est vrai que la nature de l'agriculture ne comporte pas une aussi grande subdivision de travail que les manufactures, ni une séparation aussi complète des travaux."10 Cependant comme le fait remarquer Karl Marx dans ses manuscrits de 1844, la physiocratie n'est qu'une étape de transition entre le mercantilisme et Adam Smith. En effet, d'après lui si les mercantilistes: "ne reconn[aissent] que le métal précieux comme incarnation de la richesse"; la terre n'est pas non plus: "Encore le capital, elle en est encore un mode d'existence particulier dont la validité réside dans sa particularité naturelle et découle d'elle".11 Mais déjà la terre, par rapport au métal atteint un degré d'universalité conséquent. Cependant le travail n'est pas encore saisi dans toute son abstraction et son universalité. La révolution copernicienne qui est à faire en économie n'en est pas encore à son degré le plus élevé: si comme il a été dit le fait de dire que la terre est richesse introduit l'idée que c'est le travail qui crée la richesse, la terre reste un bien extérieur, c'est pourquoi Marx dit que le travail dans ces conditions encore: "lié à un mode d'existence particulier déterminé par sa nature", il est donc toujours "une aliénation déterminée, particulière de l'homme". L'expérience le montre bien, le travail est bien loin de ne se limité qu'à l'agriculture, et cela en raison du fait que les besoins de l'être humain sont loin de n'être que les besoins élémentaires de subsistance. Marx nous le rappelle dans Le Capital, la marchandise qui pour lui est la forme élémentaire de la richesse est: "d'abord un objet extérieur, une chose qui par ses propriétés, satisfait des besoins humains de n'importe quelle espèce", c'est à dire qu'ils peuvent provenir: "de l'estomac ou la 9 HEGEL, G. W. F., principes de la philosophie du droit ou droit naturel et science de l'etat en abrégé. Paris, Librairie philosophique J.Vrin, 1998. 370p 10 SMITH, Adam, La richesse des nations. Paris, GF Flammarion, 1991. 531p 11 MARX, Karl, Manuscrits de 1844. Paris, GF Flammarion, 1996. 243p 6 fantaisie" 12 . C'est alors que la révolution copernicienne en économie peut être totalement accomplie: est richesse tout ce qui provient du travail humain, peut importe la sorte de travail fournit. Et d'une essence objective de la richesse nous passons à une essence subjective. La conséquence de cette subjectivisation de la richesse par l'élargissement de la notion de travail est que la perception de la marchandise comme élément le plus simple de la richesse est radicalement modifiée. La marchandise est perçue dés à présente comme ayant une réalité double: à la fois valeur d'usage et valeur d'échange. Où la valeur d'usage renvoie à l'aspect qualitatif de la marchandise alors que sa valeur d'échange renvoie à l'aspect quantitatif de cette même marchandise. On trouve une première intuition de cette dualité de la marchandise dans La politique, lorsqu' Aristote y dit: " Chacune des choses dont nous sommes propriétaire est susceptible de deux usages différents: l'un comme l'autre appartiennent à la chose en tant que telle, mais ne lui appartiennent pas en tant que telle de la même manière. L'un est l'usage propre de la chose, et l'autre est étranger à son usage propre"¹. Ici l'usage qui est étranger à l'usage propre de la chose est le fait de pouvoir l'échanger, alors que son usage propre est sa consommation. Cette dualité est mieux explicitée par Marx et Smith, respectivement dans Le capital et dans La richesse des nations. Avant la perception de cette double nature, la marchandise n'était considérée que dans son usage propre. Avec cette distinction la division du travail s'impose d'elle même puisque comme le montre Marx dans Le capital, il est inutile d'échanger deux marchandises ayant une valeur d'usage identique et dés lors pour que la marchandise soit marchandise il faut que les hommes en produisent de différentes sortes, ayant différentes valeurs d'usage. De plus comme la marchandise est issue du travail, c'est le quantum de travail qu'elle contient qui définit sa valeur d'échange. Et puisque, comme cela est montré au premier chapitre de La richesse des Nations, la division du travail permet d'augmenter la production, et donc le nombre de marchandises créées , tout en réduisant le quantum de travail contenu dans chacune d'elle, on voit bien que cette division ne peut être vécue que comme une amélioration puisqu'elle permet d'augmenter la valeur d'usage tout en réduisant la valeur d'échange, ce qui permet à un nombre 12 MARX, Karl, Le capital. Paris, Gallimard, 1963. 1053p 7 drastiquement plus important d'hommes de se procurer la marchandise afin de satisfaire le besoin qui lui est associé. Ainsi le capitalisme est une amélioration de ce que la nature peut faire. Et avec lui vient la notion de progrès. Montrons cela depuis un point de vue différent: Adam Smith développe l'idée que la division du travail est limitée par la taille du marché, puisque c'est la capacité d'échanger qui donne lieu à cette division. Il y a donc nécessité d'élargir le marché. On peut alors faire ici coïncider Adam Smith avec un auteur ultérieur: Alfred North Whitehead, qui dans son ouvrage Adventures of Ideas explique qu'il existe deux types d'échange entre les différents hommes: des échanges violents et des échange non-violents. L'archétype même de l'échange non violent étant le commerce, qui permet de mettre en relation des peuples de cultures, de religions et même de langage différents. Pour Whitehead le commerce comme méthode d'échange entre hommes est ce qui garantit la voie du progrès et l'amélioration du mode de vie de l'homme. Mais avec la double nature de la marchandise se pose aussi le problème de l'échange: Il est nécessaire qu'il y ait un dénominateur commun: si la valeur d'usage de chaque genre de marchandise diffère en fonction de ce genre, il faut que l'unité sur laquelle repose leur valeurs d'échange soit la même pour toutes. C'est ici que se pose la nécessité de la monnaie. En effet la valeur d'un métal précieux est utilisée comme étalon pour permettre d'échanger des biens de natures différentes. Pour prendre un exemple: en restant dans le système du troc il n'est pas aisé de savoir combien de paires de chaussures vaut une maison, en utilisant la monnaie ce problème est réglé. Nous pouvons pour appuyer ce propos citer Aristote dans L'Ethique à Nicomaque, livre 5, chap.8: "Toutes les choses faisant l'objet de transaction doivent être d'une façon quelconque commensurables entre elles. C'est à cette fin que la monnaie a été introduite, devenant une sorte de moyen terme [...] jouant le rôle d'étalon unique"13. La monnaie peut aussi devenir en raison de l'élargissement du marché requis pour le développement des échanges dont nous avons déjà parlé. C'est cette fois dans La politique qu'Aristote vient justifier cela par le fait que pour de longs 13 ARISTOTE, L'ethique à Nicomaque. Paris, Librairie philosophique J.Vrin, 1997. 532p 8 voyages sur un marché étendu, la monnaie est un produit facile à transporter. Dans le texte on trouve: " Le troc [...] un tel mode d'échange n'est ni contre nature, ni forme quelconque de chrématistique proprement dite, cependant c'est de lui que dérive logiquement la forme élargit de l'échange. En effet, quand se développa l'aide que se prêtent les divers pays par l'importation de produits déficitaires et l'exportation des produits en excédent, l'usage de la monnaie s'introduisit comme nécessité. Car les différentes choses nécessaires à nos besoins n'étant pas de transport facile [...] on se mit par suite d'accord pour donner et recevoir une matière de nature telle qu'elle offrit l'avantage de se transmettre aisément de la main à la main"14. Avec Adam Smith nous revenons à la notion de besoin puisque c'est en raison du fait qu'un certain homme puisse avoir un certain besoin sans rien de sa part qui réponde au besoin du vendeur, que c'est un imposé comme nécessaire un objet d'échange commun, objet qui offrait l'avantage d'attirer la convoitise de tout le monde de sorte que personne ne le refuserait. Ayant montré que la monnaie était nécessaire, et que la division du travail s'imposait à nous de facto. Nous devons conclure que les caractéristiques essentielles du capitalisme, à savoir l'importance du capital et la recherche du profit sont effectivement à déduire du système économique que nous avions défini comme étant naturelle. Il s'agit maintenant d'étudier non plus le fondement du capitalisme mais ses conséquences, pour le comparer non plus à la nature en tant que telle, puisque le terme de nature est analogue, mais à la nature humaine. La première conséquence à étudier sur le capitalisme, et qui est celle qui a été critiquée depuis le plus longtemps vient directement d'une de ses caractéristiques fondatrices: la recherche profit. Car si cette recherche est effectivement naturelle, il est légitime de se poser la question de savoir si le profit, 14 ARISTOTE, La politique. Paris, librairie philosophique J.Vrin, 2005. 59 6p 9 en tant qu'il est recherché constitue une fin en soi, ou non. Or il apparait évident que le profit ne peut être une fin en soi puisque cette richesse qu'elle soit incarnée dans la monnaie ou dans la marchandise est de toute manière un bien utile, c'est à dire un moyen en vue d'autre chose. Ainsi rechercher le profit pour le profit est une dégradation de la finalité de l'homme et donc de lui même ainsi que celui de la monnaie puisque comme le dit Marx: "la quantité devient de plus en plus l'unique propriété de l'argent". De plus cette recherche du profit à souvent été associé à la morale pragmatique qui veut que la fin justifie les moyens et donc que le profit puisse-t-être atteint pas des moyens vicieux. On peut alors se demander si le profit acquis par des voies usurieuses n'est pas lui même imprégné par le vice et devrait donc de fait être abandonné. Thomas d'Aquin répond à cette question dans Les questions quodlibétiques III, q.7, a.2 où il est dit que dans le cas des marchandises et de la monnaie dont l'usage entraîne la disparition, il n'est pas possible de séparer l'usage de la substance de la chose, et ainsi ce qui a été gagné par voie vicieux est imprégné de vice. Par conséquent de l'argent sale, reste sale même blanchi. Dés lors tout un pan des marchandises en circulation peut être teinté de vice et tout achat/vente devient douteux. Cependant la recherche du profit comme fin en soi et les méthodes vicieuses d'acquisition de marchandises ne sont que des dérives du capitalisme et sont donc à traiter en exceptions. Une critique plus essentielle, et largement diffusée du capitalisme est celle qui a été faite par Marx qui définit le capitalisme comme l'esclavage de l'homme par l'homme. Et il existe plusieurs moyens de justifier cette attaque en règle. La plus connue étant celle qui dit que l'ouvrier est aliéné par le propriétaire foncier, puisqu'il ne possède pas ses propre moyens de production et qu'il est obligé de vendre sa liberté contre un salaire. La seconde plus profonde est la suivante: si comme il a été dit le mercantilisme et la physiocratie avaient comme désavantage d'aliéner l'homme en raison du fait que sa richesse lui était essentiellement extérieure. Le capitalisme en subjectivant la richesse fait que: "La propriété privée s'enracine désormais dans l'homme lui-même et que celui-ci est reconnu comme son essence. Mais, en conséquence l'homme est lui même défini par rapport à la propriété privée". En effet, l'aliénation qui avant avait une source extérieure tient maintenant son origine de l'homme lui même, du travail de l'homme lui même: 10 "Ce qui était autrefois l'être-extérieur à soi, l'aliénation réelle de l'homme, n'est devenu que l'acte d'aliénation, l'aliénation de soi"15. Dés lors le capitalisme porte en lui son propre paradoxe: le travail est l'unique essence de la richesse mais cette richesse a pour conséquence d'être hostile à l'homme plutôt que de venir subvenir à ses besoins. On voit aussi que dans les moyens d'élargir le marché, la conquête de nouveaux territoire a ses limites, et puisque la marchandise comble les besoins de l'homme que ceux-ci viennent "de l'estomac ou la fantaisie". Marx est en droit de dire, comme il le fait: "Sous le régime de la propriété privée chacun s'applique à créer un besoin nouveau chez l'autre pour le contraindre à un nouveau sacrifice, dans une nouvelle dépendance vers une nouvelle ruine économique". Ici apparait un nouveau paradoxe du capitalisme qui pour continuer à perdurer et à créer de la richesse doit rendre l'homme de plus en plus pauvre en tant qu'homme. En effet, ce ne sont plus les besoins élémentaires qui sont transformés en besoin humains et dés lors sont supprimés tous les instincts de chasse, de mouvement etc... Pour allier Marx à une autre maitre du soupçon, nous pourrons dire avec Nietzsche que c'est la suppression des instincts de chasse qui ont poussé l'homme à chasser à l'intérieur de lui même et non plus à l'extérieur, ce qui a pour conséquence la naissance de la mauvais conscience (Généalogie de la morale). Dés lors on pourrait stigmatiser le capitalisme comme étant un des vecteurs de la mauvaise conscience et donc du nihilisme. Cependant Marx dans les Manuscrits de 1844 ne manque pas de préciser que selon un certain point de vue la nocivité de la propriété privée et donc du capitalisme découle seulement d'un certain mode de travail. Il s'agit donc maintenant de voir si le capitalisme peut exister sans avoir pour conséquences tous les effets morbides que nous avons énumérés. Premièrement nous pouvons limiter la critique marxiste en montrant que malgré un refus catégorique du capitalisme les marxistes ne sont jamais sortis de ce dernier. En effet, faire des moyens de productions la propriété de l'état plutôt que celle de ce que nous appellerons la bourgeoisie, n'est pas une réelle socialisation puisque en tant que tels les ouvriers sont toujours dépossédés de leurs moyens de production. En effet 15 MARX, Karl, Manuscrits de 1844. Paris, GF Flammarion, 1996. 243p 11 la plupart des démocraties existantes ou ayant existées ont toujours été représentatives, ce n'est donc jamais les travailleurs eux même, mais les représentants des travailleurs qui étaient les possédants. Pour résumer on peut dire avec Michel Coluchi que: " le capitalisme est l'esclavage de l'homme par l'homme par l'homme alors que le socialisme c'est plutôt l'inverse." Ainsi est mis à jour un des premiers moyens de faire que le travail appartiennent, au moins en partie, au travailleurs ce qui enrayerai son aliénation: une véritable socialisation des moyens de production, ce qui se concrétise par le fait que l'ouvrier doit de manière irrévocable avoir accès à l'actionnariat et donc pouvoir être en partie possesseur de l'entreprise pour laquelle il travaille et dans laquelle il est salarié. Car étant en matière pratique il faut comprendre que travail et capital ne s'opposent pas en tant que concepts, mais en tant qu'hommes concrets. La lutte est donc celle du travailleur qui exécute le travail sans être propriétaire de ses moyens de travail et des propriétaires desdits moyens. Le problème à poser est donc celui de la propriété, ou plus particulièrement celui des propriétaires. Une des réponses adéquates au problème posé nous est donnée par la doctrine sociale de l'église catholique qui dit que le droit à la propriété privée est toujours subordonnée à celui de l'usage commun et donc que la propriété s'acquiert par le travail afin de servir le travail. De fait le profit conserve sont statut de moyen en vue de quelque chose d'autres, sont but étant d'être réintroduit dans le développement de l'industrie qui l'a produit. Cette solution met en avant le primat du travail sur le capital et donc celui de la subjectivité de l'homme sur l'objectivité froide de la machine et elle permet que le travail ne soit pas utilisé pour exploiter le travail lui même. Nous ne sommes plus ainsi dans une démarche nihiliste du travail se niant lui même. Nous avons donc vu qu'en raison du fait que la propriété privée soit naturelle ainsi qu'à cause du fait que l'homme soit un animal social, il existe bien une loi naturelle de l'économie. Que la recherche du profit ainsi que l'importance du capital et donc la totalité du capitalisme, peuvent être fondés sur cette loi économique naturelle. Mais que pour éviter certaines dérives ou certains paradoxes du capitalisme il est nécessaire de prendre certaines mesures. 12 De savoir si l'homme et/ou l'état ont les moyens d'appliquer les méthodes permettant de se restreindre dans un capitalisme souple, cela n'est pas notre sujet et relève de l'économie politique plutôt que de l'économie en elle même. BIBLIOGRAPHIE: ARISTOTE : La Politique, I, 3 et I, 8-11 constitue la base pour le sujet (la note 4, pp.32-33 dans la traduction de Tricot (Vrin) mentionne les Etudes de Defourny sur la différence entre acquisition économique et acquisition chrématistique). ARISTOTE : Les Economiques, I, 6 et, dans une moindre mesure II, 1. ARISTOTE : Ethique à Eudème, VIII, 1 le début – mais surtout, Ethique à Nicomaque V, 3. Thomas d’AQUIN, De emptione et venditione ad tempus (L’achat et la vente à paiement différé), en parallèle probablement de la Quaestiones de quodlibet III, q7, a. 2 Adam SMITH, Recherches sur la nature et les causes de l’enrichissement des nations Marx Karl: Manuscrits de 1844 et Le capital Hegel: Principes de la philosophie du droit Whitehead: aventures d'idées 13 Jean-paul II parle des questions sociales. 14 15