de la possibilité et de l`implication d`une approche non

La gouvernance : de la possibilité et de l’implication d’une approche non normative
François Castaing Institut Maghreb-Europe/Université de Paris 8 - France
Avertissement :
Le texte qui suit est fondé dans toute sa première partie sur une note de présentation
disponible à l’entrée du colloque et qui avait donné lieu à échanges entre l’ENA, le CREAD
et l’IME. Ce même texte avait été écrit suite à la journée d’études préparatoire qui s’est tenue
6 mois avant le colloque. Il a été réécrit suite à la tenue du colloque à la fois pour conserver
son caractère de note introductive mais aussi se nourrir des échanges qui ont pu avoir lieu au
cours même de ce colloque.
Dès la journée d’études préparatoire à ce colloque, il est bien apparu une grande diversité
d’approche concernant la notion de gouvernance, et une ambiguïté permanente : prenions
nous cette notion en tant qu’objet propre de réflexion ou s’agissait-il d’une figure imposée
sous l’appellation de « bonne gouvernance ». Dans un cas, il s’agit de définir un cadre
d’analyse d’une ou de nouvelle(s) forme de prise de décision appliquée au domaine politique
pouvant être très diversifiées mais dans un cadre commun de mutations. Dans le second, il
s’agit de passer au crible un modèle prescriptif - sous les auspices de la banque mondiale -
bien particulier. Il nous apparaît indispensable de distinguer ces deux niveaux de réflexion.
Dans un deuxième temps, il nous reviendra de vous proposer une définition, une parmi
d’autres, de la gouvernance, définition cherchant, peut-être avec volontarisme, à nous
émanciper du modèle normatif couramment utilisé et de lui donner les contours potentiels, si
cela est possible, d’une notion à caractère académique. C’est, nous semble-t-il, un détour
indispensable pour pouvoir traiter de façon analytique les enjeux socio-politiques que révèlent
les processus engagés au titre de la gouvernance. Nous pourrons enfin, après avoir tracé les
contours d’une lecture critique de la vision dominante que constitue celle de la « bonne
gouvernance », proposer de resituer les enjeux autour de cette notion dans le cadre plus
général de la reconfiguration en cours des modes de régulation.
Un préalable
Il faut toutefois revenir sur ce qui nous apparaît comme préalable : abordons nous la
gouvernance comme une notion académique objectivable ou un instrument de refonte du
politique ?
Il est d’usage de se référer à la très grande facilité d’utilisation du terme de gouvernance.
En réalité, son usage, même dans une posture académique, est très souvent sous pression de
celui vulgarisé par la banque mondiale (BM). Or, nous le verrons par la suite, comme en
référence à de nombreuses analyses déjà énoncées en ce domaine, cette « version » est très
particulière, très normative, et très spécifique : la notion de gouvernance qu’elle met en avant
a clairement une fonction d’injonction en terme d’une nouvelle « économie politique »
1
. Il
est significatif à cet égard qu’elle soit d’ailleurs assez rapidement passée de la notion de
gouvernance à celle de bonne gouvernance comme s’il fallait instiller l’idée qu’il n’y avait de
gouvernance que bonne.
Cette connotation du terme ne doit cependant pas nous conduire nécessairement à nous
soumettre aux usages de la BM, voire à son relatif et putatif abandon actuel. D’où l’intérêt
maintenu à vouloir définir plus clairement ce terme.
Cela reste une tâche difficile tant la notion évoquée est polysémique dans son usage.
Polysémique d’abord en ce sens que cette notion relève dorénavant du langage commun pour
ne pas dire du lieu commun, donc souvent sans aucune rigueur scientifique. Polysémique
ensuite dans la mesure elle est utilisée dans des champs disciplinaires distincts, dans des
domaines d’action différents, dans des espaces territoriaux et des champs sociaux spécifiques.
Nous verrons que la notion de gouvernance peut doit même - « s’émanciper » de la
version proposée par la banque mondiale et à travers quelle démarche. La multiplication de
travaux, d’analyses, d’enquêtes tend à confirmer que la notion de gouvernance peut être une
notion pertinente sur le plan analytique à la condition de décrypter dans le même temps la
relation problématique que celle-ci peut entretenir avec le discours normatif des lieux de
pouvoirs dès lors qu’ils sont dominants.
Cela suppose en préalable de veiller à ne pas confondre, comme pourtant l’usage nous y
(r)amène facilement, « gouvernance » et « bonne gouvernance », pour au moins deux raisons
- la première est la volonté de nous distancier par rapport à la notion de la BM
dans sa dimension normative, procédurale, d'injonction. L’objet « gouvernance » nous
intéresse en tant que définition d’un objet d’étude à caractère scientifique, celui des
modes de prise de décision, en l’occurrence politique. A ce titre, l’usage de cette notion
par la BM, voire l’instrumentalisation de l’usage de cette notion mérite un travail de
1
« Le domaine de l’économie politique de l’ajustement est bien celui dans lequel s’inscrit explictement le
« concept » de governance » écrit Annik Osmont, in La « Governance » : concept mou, poltique ferme , p.22,
Les Annales de la Recherche Urbaine n°80-81
distanciation, évidemment critique, car elle ne représente qu’une des déclinaisons
possible donc discutable - de ces modes en question. Distancier ne signifie pas pour
autant ignorer le poids de la BM dans la diffusion, mais aider à dégager un cadre
d’analyse à partir de la notion de gouvernance au sein duquel l’usage de la BM peut
prendre tout son sens;
- la deuxième raison pour se distancier par rapport à la « bonne gouvernance»
est que nous écartons l’idée que la typologie des gouvernances soit réductible à UNE
bonne gouvernance et DES mauvaises. Pour nous, si le terme de Gouvernance a un sens
académique (nous y reviendrons), alors il y a DES gouvernances, qu’il nous revient
d’analyser, sur la base de critères clairement définis.
Ce préalable nous semble important pour bien clarifier ce qu’est notre posture pour aborder
ce que peut être une définition de cette notion.
Partir d’une définition possible de la gouvernance
Il nous semble nécessaire très rapidement de dépasser la définition de la gouvernance
comme étant seulement la « manière de gouverner »
2
, cette définition succincte ramenant par
trop facilement à la notion en l’occurrence restrictive - de gouvernement. Or si « Le concept
de « gouvernance « est devenu populaire en partie en raison de son ambiguïté », il faut bien
intégrer que « son pouvoir d’attraction tient aussi à ce qu’il a élargi la manière de concevoir
le gouvernement en y adjoignant des acteurs non étatiques »
3
.
Nous proposons ainsi comme définition de la gouvernance dans le cadre de nos travaux la
formulation suivante : la notion de gouvernance recouvre le mode de prise de décisions,
dans le cadre d’une société
4
est censée exister et être reconnue une multiplicité de
lieux de pouvoirs, et qui garantisse une reproduction, bien sûr évolutive de cette même
société.
Cette définition suppose que le mode de prise de décision peut prendre des formes
2
« Manière de gouverner, exercice du pouvoir pour gérer les affaires nationales », Petit Robert, édition 2003
3
Jack Hayward p.16, préface de l’ouvrage « Être gouverné, Etudes en l’honneur de Jean Leca », Presses de
Sciences Po, Paris, 2003
4
Entendue au sens classique du terme de regroupements d’hommes et de femmes faisant système et
structurés par des rapports sociaux. Cela laisse donc entier la question de l’espace de référence pris en compte à
ce niveau.
multiples, non seulement selon l’objet auquel elle s’applique, mais aussi pour un même objet.
Elle ne peut nous ramener à une unique forme procédurale contrairement à ce que l’injonction
de la gouvernance « type banque mondiale» induit. Elle n’est donc pas normative. Elle est
plus large que celle de gouvernement, celui-ci renvoyant dans son acception « moderne » à
l’Etat et la nation, le gouvernement pouvant incarner par ailleurs une des forme de
gouvernance qui se pratique encore assez largement..
Cette définition n’intègre pas d’emblée une notion d’efficacité pas plus que d’autres
critères de bonne ou mauvaise gouvernance dont les contenus mériteraient à chaque fois
d’être interrogés et non traités comme des évidences.
Mais le « noyau dur » de cette définition est la notion de multiplicité de lieux de pouvoir et
leur reconnaissance à ce titre. En même temps, cela ne dit rien quant au degré de
reconnaissance de ces différents lieux ni même sur la définition de tels lieux. Nous voyons
donc que derrière la notion de gouvernance, il y a lieu de s’interroger sur la réalité du des
pouvoir(s), sur le concept latent de démocratie qu’il recouvre ou non. Rien n’interdit par
exemple de considérer à partir de cette définition une gouvernance non démocratique.
Cette définition a toutefois un inconvénient majeur dans la mesure elle conduit à ce que
le domaine d’application de la gouvernance soit très large. Et par conséquent, il y a un risque
à ce que sous le vocable de gouvernance se retrouve une multiplication d’analyses de
situations qui ne permette pas de dégager un fil conducteur commun. Sauf à tenter de dégager
les principes autour desquels se structure tel ou tel mode de gouvernance et par là même les
principes communs structurant les modes de prise de décision selon les domaines, les lieux,
les périodes auxquels ils s’appliquent.
Est-il dès lors possible de gager une typologie des gouvernances selon ces critères, et se
distinguerait-elle des typologies classiques utilisées en sciences politiques par exemple ? De
ce point de vue, ces flexions pourraient être utilement mises en relation avec celles
concernant l’analyse des modes de régulation politique, sociale, économique. L’approche par
la gouvernance ne serait peut-être alors qu’une des approches complémentaires à la réflexion
plus vaste, et somme toute traditionnelle quand à la préoccupation qu’elle recouvre, touchant
le mode d’organisation des sociétés dans leur capacité ou non à prendre des décisions
garantissant par leur mise en œuvre une reproduction systémique. L’originalité de la notion de
gouvernance s’en trouverait très largement relativisée, sans pour autant disparaître. Elle ne
ferait que contribuer à renouveler les approches en terme de gouvernabilité et de
gouvernement.
Respecter des exigences méthodologiques
Pour pouvoir persévérer à se référer à la gouvernance, avec la perspective énoncée, il est
indispensable d’introduire au moins quatre type d’exigences à l’encontre de cette notion :
- la première est sans nul doute la nécessité de « socio historiciser » cette notion ;
- la deuxième est la nécessité de situer le domaine d’application du terme, tant d’un point
de vue géographique, que des champs d’intervention ou encore des lieux d’où se tiennent les
discours
- la troisième est la nécessité d’une « déprocéduralisation analytique », la gouvernance ne
pouvant être abordée dans une simple dimension de technique de prise de décision mais bien
comme un mode .d’organisation de celle-ci avec des enjeux en terme de pouvoir
- enfin, la quatrième exigence est celle d’une analyse des pratiques observées, dans le cadre
d’une démarche réflexive permettant de préciser la notion et ses enjeux.
L’intérêt de la première exigence se dévoile assez vite à la lecture des dictionnaires et
encyclopédies. Absent du Littré (1860), tout au moins du point de vue qui nous intéresse ici,
le terme de gouvernance l’est aussi par exemple de l’Encylopaedia Universalis de 1985. Le
Petit Robert, déjà cité, fait remonter son « retour » à 1987, en référence au terme anglais de
governance. Tout le monde s’accorde sur le fait qu’il faut remonter au XIII° siècle pour en
retrouver un usage courant, c'est-à-dire la période précédant la naissance de l’Etat moderne,
celle de la multiplicité des pouvoirs féodaux, ou attendre les années 1990. Cette grande
éclipse, et la coïncidence du retour de cette notion avec la crise de légitimité des Etats
centralisés n’est pas sans éveiller, sans doute de façon exagérée, le soupçon d’un retour des
féodalités…
La très récente réapparition de ce terme contraste avec le succès fulgurant un
incontestable effet de mode - qu’il connaît. Il est donc peut-être encore trop tôt pour pouvoir
aborder la gouvernance en tant que notion ayant une définition clairement identifiée. En
revanche, il n’est pas inutile d’insister sur la temporalité du succès de ce terme. Son succès est
en effet fondée sur une approche critique assez générale à l’encontre de l’Etat social
national, avec des motivations parfois extrêmement différents. C’est ainsi le cas de celles de
la banque mondiale en vue d’imposer une vision très normative des politiques à mener au
Nord comme au Sud, allant jusqu’à la contestation des modes de gouvernements au Sud
pouvant même préconiser de mettre en œuvre des actions court-circuitant les Etats. Mais
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