symboliquement, ils prennent une voix gémissante, sanglotante, suppliante, chevrotante… qu’ils ne
devront jamais avoir.
Plus généralement dans ce dispositif spectaculaire qu’est la tragoedia, la voix - et son
expansion : la musique - font entendre le statut social et le genre, fictifs des choreutes et des
personnages à un moment donné. Ils sont leur voix. La voix est jouée, ce n’est pas celle des
énonciateurs qui incarneraient un rôle, mais elle est créée artificiellement par l’acteur ou par le
chœur, selon un code musical de jeu. Identité vocale discontinue.
Les vers et strophes sont composés, en même temps que la musique, par le chorodidaskalos,
Euripide, celui qui fait répéter les chœurs et que nous appelons le poète tragique. Ces vers sont
destinés à être oralisés selon les injonctions du chorodidaskalos. Ils n’existent que comme « voix ».
Or seuls les mots transcrits de ces vers, ou strophes ont été conservés, des énoncés muets. Les
phonai ont été perdues. Elles ne peuvent être reconstituées qu’intellectuellement grâce à
l’ethnopoétique.
Analyse ethnopoétique.
Repartons de la tragoedia comme événement énonciatif, au service d’une rituel.
1. Tous les éléments énonciatifs sont déterminés par le but ; faire pleurer sur des personnages
fictionnels, par la médiation des chants du chœur. Le poète (chanteur) tragique transforme des
récits « mythologiques » plus ou moins connus pour créer le plus grand nombre de situations
« déplorables ». par exemple Antigone et sa ribambelle de morts. Mélodrame. Ou encore Médée
dont Euripide invente l’infanticide. iI crée des personnages de deuil, par exemple Electre. (Eschyle)
Par conséquent la tragoedia ne raconte pas un vieux mythe, terrifiant et problématique comme
il a été souvent affirmé. Le récit est un moyen.
2. Le public est co-énonciateur de l’événement et non pas spectateur au sens moderne, iI ne
regarde pas un récit. Il pleure avec les choreutes, ou se réjouit, s’indigne avec eux. Il est en empathie.
Sinon il est dans une distance esthétique, ludique quand le chœur se tait. Quand le récit est
horrible, pas d’émotion. Le récit est un type d’énonciation, et non un énoncé. Le terme qui désigne le
spectateur « théatès » désigne non pas le fait de regarder mais une forme particulière d’écoute,
esthétique et ludique. Selon le type d’énonciation la participation du public varie. Cette perception
esthétique et ludique est caractéristique du « théâtron » et distingue les chœurs tragiques des autres
chœurs.
Théâtron (théamai) : espace où le public « regarde la parole ». Alternance des larmes et du
plaisir ludique et esthétique.
3. Autres usages de la phonè. En dehors des chants, le spectacle est celui de la parole
sophistique et de la parole narrative.
La parole narrative ne se limite pas aux récits d’événements ayant eu lieu hors de l’espace de
jeu, mais tout ce qui s’y passe. Le IL est remplacé par un JE ou un TU. Aucun événement n’est jamais
donné en spectacle mais raconté par le personnage à la première personne. L’intérêt de passer du IL
au JE est qu’il fait entendre la Voix, c’est-à-dire les sentiments et le statut du personnage. L’énoncé
devient performatif et implique une JE sonore. Dire « je chante le deuil » n’est pas « il chante le
deuil ». C’est pourquoi les messagers qui font des récits à la 3ème personne ne doivent pas « imiter »
les personnages de leurs récits. Différence de voix. Un personnage est une voix mais pas un corps et
encore moins une incarnation. Seule la phonè joue. C’est la voix du masque.
Parole sophistique : plaisir de la parole rhétorique pour elle-même sans enjeu. Paradoxe et
agôn. Exemple Médée ou Antigone. La fonction persuasive de la parole est donnée en spectacle, elle
n’est pas sérieuse, c’est le plaisir d’être entraîné vers des idées contre-intuitives. Médée : les femmes
n’ont pas intérêt à se marier, les hommes à avoir des enfants.