Le Panthéon
Situé dans un emplacement stratégique, au cœur de Paris, sur la montagne sainte
Geneviève, c’est-à-dire en hauteur, le Panthéon surplombe Paris, signe de son importance, et
l’impression de puissance qu’il donne renforce sa place essentielle, successivement symbole
religieux, dans une société marquée par l’Église, et emblème républicain, après la Révolution.
Construit à l'origine au 18ème siècle comme une église, pour abriter les reliques de Sainte
Geneviève, ce monument acquiert la vocation d’honorer des personnages et de rappeler des
événements qui ont marqué l'histoire de France. Ses différentes fonctions successives, sa
décoration, les inscriptions et les symboles qui y figurent permettent de témoigner de l’histoire
lente et contrastée de la nation française. Le Panthéon est devenu avant tout une nécropole
républicaine où l’Histoire de la France se confond avec le monde des écrivains, des scientifiques,
des généraux, des ecclésiastiques, des hommes politiques.
I - L’hésitation entre église catholique et temple républicain
II - Le Panthéon : reflet de l’histoire contrastée de la France contemporaine
I - L’hésitation entre église catholique et temple républicain
A - La charnière de la Révolution a déterminé l’avenir contrasté de l’édifice
L’édifice qui est devenu celui du Panthéon est d’abord une église dédiée à Sainte
Geneviève, construite à l’initiative de Louis 15 à partir de 1758, à une époque où la religion occupe
un rôle essentiel dans la société et dans la politique. En effet, Jacques-Germain Soufflot, lorsqu’il
érige cet édifice, répond au voeu de Louis 15 de glorifier dignement la monarchie en la personne de
Sainte Geneviève, patronne de Paris.
Sa construction est achevée en 1790, peu de temps après l’éclatement de la Révolution française de
1789, la situation de la France a donc changé entre-temps. En effet, en 1791, sur la proposition de
Claude-Emmanuel de Pastoret, l’Assemblée nationale décide d’utiliser l’édifice qui vient d'être
achevé et n'est pas encore consacré comme église, afin qu'il serve de nécropole aux personnalités
qui contribueront à la grandeur de la France. Il est nommé « Panthéon français » et est modifié en
ce sens, c'est-à-dire qu’il devient un monument laïque, et non plus religieux, consacré à la mémoire
des grands hommes de la nation, pour que « le temple de la religion devienne le temple de la patrie,
que la tombe d'un grand homme devienne l'autel de la liberté » (Pastoret). La religion s’efface donc
au profit de la « religion de la patrie », c’est-à-dire d’un ensemble de valeurs communes aux
Français comme la liberté, la fierté de sa nation, de son histoire, de sa culture, donc des symboles
républicains hérités de la Révolution. Au fronton, est placée l’inscription : « Aux grands hommes,
la patrie reconnaissante »: le sentiment d’appartenance à une communauté et l’attachement aux
valeurs républicaines se traduisent donc par une glorification des personnalités qui incarnent la
grandeur de cette nation, par exemple Voltaire ou Rousseau, autour desquelles les Français se
sentent rassemblés. Il s’agit d’inventer une mémoire collective qui favorise la réconciliation
civique. Avec le changement des valeurs qu’a instauré la Révolution, c’est aussi un changement de
la signification donnée à ce monument qui apparaît.
B - 19ème siècle : hésitation entre vocation religieuse et vocation civique
Le 19ème siècle révèle une hésitation entre la vocation religieuse et la vocation civique et
patriotique du Panthéon, car son affectation ne cesse de changer en fonction des régimes politiques.
Il devient le témoin de la succession des régimes.
Sous le 1er Empire, le bâtiment devient en 1806, à la fois le lieu d’inhumation des grands hommes
de la patrie et un lieu de culte. La crypte reçoit le cercueil de grands serviteurs de l'État, tandis que
dans la partie supérieure se déroulent des cérémonies religieuses notamment celles liées aux
commémorations impériales, il permet donc d’affirmer la puissance de l’empereur à travers
l’église, tout en prenant en compte les héritages de la Révolution. Cela contribue donc à présenter
le 1er Empire comme un compromis entre une société modernisée, marquée par les acquis de 1789,
et une volonté de conserver le pouvoir dans les mains d’un dirigeant qui se sert de l’Église pour
accroître sa puissance.
De 1821 à 1830, sous la Restauration, le monument n’est plus un panthéon et est rétabli
uniquement dans sa fonction d‘église consacrée à sainte Geneviève. En effet, Louis 18 et Charles
10, s’ils affirment la volonté de conserver les héritages de la Révolution, souhaitent en réalité
rétablir une monarchie absolue et une société d’Ancien Régime fondées sur la souveraineté
exclusive du roi, incarnation de Dieu sur terre, et donc sur l‘Église, qui a perdu son importance
avec la Révolution. Or, le Panthéon incarnait les valeurs républicaines, notamment la recherche de
la liberté, qui n’ont pas leur place dans un tel régime.
La monarchie de Juillet retire de nouveau l'église Sainte-Geneviève au culte catholique en 1830 et
lui rend sa destination de panthéon qui s’appelle alors « le Temple de la Gloire ». Louis Philippe
s’inscrit ainsi dans la continuité de l’héritage révolutionnaire, mais de manière symbolique, car
aucune personnalité n’est panthéonisée à cette époque.
Sous la 2ème République, de 1848 à 1851, il est « Temple de l’Humanité », signe d’un retour aux
valeurs républicaines. La République, nouvellement mise en place, cherche à minimiser le rôle de
l’Église et à renforcer l’attachement à la nation.
Sous le 2nde Empire, le rétablissement du Panthéon en tant qu’église marque la volonté d’annihiler
de nouveau les valeurs républicaines et d’endoctriner la population par la religion, qui est
instrumentalisée pour renforcer la gloire de l‘empereur
C - Le tournant de la 3ème République : la renaissance du Panthéon qui devient un temple
républicain
La 3ème publique en fait un édifice consacré uniquement à la mémoire des hommes
illustres à l’occasion des funérailles nationales de Victor Hugo qui y fut inhumé en 1885, afin
d’unir les Français autour de valeurs communes, parmi lesquelles, le devoir de mémoire des grands
hommes et la fierté de la grandeur de la France à travers ces personnalités.
La tradition de la cérémonie à l‘occasion du transfert des cendres, permet de rassembler la nation à
l’occasion d’un hommage public qui fait prendre conscience à la population de son appartenance à
la nation. En effet, la solennité du cortège accompagné d’hymnes, de musique, les hommages
rendus par les personnalités politiques, les funérailles grandioses renforcent le patriotisme de la
population. Plus de 3 millions de personnes assistent aux funérailles de Victor Hugo, considéré
comme un grand poète républicain, défenseur de ce régime.
II - Le reflet de l’histoire contrastée de la France contemporaine
A - L’évolution de la notion de « grand homme » révèle une évolution politique
Le Panthéon est un témoignage de l’histoire politique et culturelle et des innovations
majeures de chaque époque, grâce à la « panthéonisation » qui permet de rendre un hommage
symbolique aux personnalités ayant marqué l'histoire de France par leur combat et leurs idées. Il
existe une évolution de la notion de grand homme. La plupart des premières personnalités à être
« panthéonisées » par l’Assemblée constituante se sont illustrées dans la lutte contre
l’absolutisme et ont contribué à l’affirmation des valeurs d’égalité et de liberté issues de la
Révolution, par exemple des philosophes des Lumières, précurseurs de la Révolution, comme
Voltaire et Rousseau, ou des acteurs directs de la Révolution, comme Mirabeau. Il s’agit d’inscrire
la Révolution dans la mémoire, c’est-à-dire dans l’histoire, de rompre avec le passé et de marquer
l’avènement d’une nouvelle ère et d’une nouvelle société.
Pendant la 1ère République, ce sont des martyrs de la liberté qui sont panthéonisés afin d’inscrire
la Révolution dans l’actualité immédiate, et d’assurer l’immortalité à ceux qui ont sacrifié leur vie
à la République et à la patrie, par exemple, Marat, créateur du journal révolutionnaire L‘Ami du
peuple, et qui a été assassiné pour son action.
Le 1er Empire rend hommage aux grands serviteurs de l’État, fonctionnaires civils, militaires et
religieux : Tronchet (qui a contribué au Code Civil), Portalis (figure marquante de l’Édit de
tolérance), Caulaincourt (grand militaire). La panthéonisation permet d’inscrire le régime dans la
continuité de la Révolution et de marquer ainsi sa légitimité même si c‘est un nouveau culte qui est
instauré, notamment un culte civico-religieux autour du service du nouveau régime.
Sous la 3ème République, la solidité du régime, qui a réussi à s’enraciner, s’illustre par un
hommage à ses fondateurs, comme Gambetta, et elle s’affirme comme une république des talents et
du sacrifice, avec la panthéonisation de nombreux hommes politiques, savants, écrivains et
émancipateurs comme Victor Hugo, Carnot, Marcellin Berthelot, Émile Zola, Jean Jaurès, Braille.
Il s’agit d’inscrire la reconnaissance de la nation dans une politique de la mémoire, de rendre
l’immortalité accessible à tout citoyen ayant mérité de la patrie par sa vie ou par sa mort, pour
élaborer un rituel d’éducation républicaine visant à élargir les bases de l’unanimité nationale.
B - Des symboles révélateurs des différentes conceptions de l’État
Chaque pouvoir en place utilise la destination de cet édifice comme l'affirmation de sa
conception de l'État, et en particulier de son rapport avec le pouvoir religieux.
Les différents éléments des décors intérieur et extérieur, tour à tour chrétiens, patriotiques,
républicains, francs-maçons, philosophiques, rendent compte des choix politiques de chaque
période. C’est donc non seulement la fonction de l’édifice qui a successivement changé, mais aussi
son aspect.
En 1791, après la Révolution française, les symboles religieux sont enlevés et le fronton est
modifié pour accueillir un motif révolutionnaire représentant la Patrie couronnant la Vertu, tandis
que la Liberté écrase le Despotisme, et qu'un génie terrasse la Superstition.
Au-dessus des portes latérales sont posés deux bas-reliefs : « L'Instruction publique » et « Le
Dévouement patriotique », symboles républicains. Le monument est donc jusqu’à dans son décor,
l’incarnation de l’aspiration républicaine.
Sous le 1er Empire, dès 1806, Antoine Gros réalise une peinture représentant l'apothéose de sainte
Geneviève, dans laquelle l'Empereur occupe une place importante, tenant à la main le Code civil
français. Le monument conserve sa fonction religieuse, mais au profit du pouvoir de Napoléon.
Avec la Restauration, le fronton est de nouveau modifié pour représenter une croix de pierre au
milieu de rayons fulgurants; la formule « Aux grands hommes la patrie reconnaissante » est
remplacée par une inscription religieuse en latin, pour rétablir la prééminence de l’Église.
Louis Philippe habilite les valeurs républicaines en rétablissant l’inscription destinée aux grands
hommes et en faisant apposer un bas relief au centre représentant la Patrie, la Liberté et l'Histoire,
symboles hérités de la Révolution.
En 1851, le futur Napoléon 3 retransforme le Panthéon en basilique nationale, dédiée à sainte
Geneviève. Les tombeaux de Rousseau et de Voltaire sont entourés de planches pour ne plus être
visibles. Des statues comme La conversion de Clovis par Saint Rémi affirment la fonction
religieuse, de même que le rétablissement du mobilier religieux.
Le monument conserve cette fonction et ce décor jusqu’à l’enterrement de Victor Hugo en 1885.
Cependant, de nombreux symboles de la vocation initialement religieuse de l’édifice demeurent
par la suite, par exemple, la suite décorative consacrée à Sainte Geneviève par Puvis De
Chavannes. Le décor mêle symboles chrétiens et républicains pour témoigner de la confusion
idéologique qui a traversé la France.
C - Un reflet des conflits et débats de chaque époque
Le Panthéon est le témoin d’une période de l’histoire de France à travers ses fonctions et ses
aspects successifs, mais, les cérémonies, à l’occasion du transfert des cendres des personnalités,
sont aussi des occasions d’affirmer les luttes de chaque époque, ce qui renforce son statut de témoin
de l‘histoire.
Jusqu’à la fin du 19ème siècle, le Panthéon illustre le combat politique entre les monarchistes et les
républicains. D’un côté, les monarchistes veulent appuyer leur pouvoir sur l’Église, de l’autre côté,
les républicains, marqués par les héritages de la Révolution, prônent une défense des droits de
l’homme et la glorification de personnalités républicaines éminentes. Par exemple, le transfert de la
dépouille de Voltaire en 1791, est l’une des premières cérémonies révolutionnaires, et l’affirmation
du Panthéon comme un temple laïque, car le clergé n’y participe pas. La tradition de la cérémonie
républicaine veut concurrencer la cérémonie religieuse. Elle contribue au renforcement d’une
« religion nationale » grâce à une mise en scène quasi-religieuse du rassemblement national.
Le pendule de Foucault illustre, au même titre que le monument qui l’abrite, la lutte entre Raison et
Foi qui marque cette période. L’installation du pendule se fait en 1851, sous la 2ème république, à un
moment le Panthéon à une vocation laïque. Or, dans la mesure l’expérience réhabilite les
théories héliocentriques, Foucault, qui se situe du côté des anticléricaux, n’échappe pas aux
critiques des catholiques selon lesquels la terre est le centre de l‘univers. Le 1er décembre 1851,
veille de son coup d’État, Louis Napoléon Bonaparte donne l’ordre d’arrêter l’expérience avant de
rendre le monument à la religion. La deuxième installation du pendule en 1902-1903 par Camille
Flammarion accompagne la vague d’anticléricalisme du gouvernement à la veille de la loi de la
séparation de l’Église et de l’État en 1905, et s’inscrit dans le contexte d’une diffusion plus large de
la culture scientifique.
Après l’affaire Dreyfus, le Panthéon illustre de nouveaux clivages : il est désormais le témoin des
enjeux idéologiques de l’époque, avec l’opposition entre la droite et la gauche. Les heurts qui ont
lieu le jour de la panthéonisation d’Émile Zola en 1908, révèlent le contexte d’une France divisée
par l’Affaire Dreyfus. À l’occasion de l’hommage rendu à Jaurès en 1924, la constitution des
communistes en un cortège séparé, chantant l’internationale et portant des pancartes aux slogans
révolutionnaires, révèle la division entre le gouvernement du Cartel des gauches et les
communistes, marginalisés.
Ainsi, le Panthéon, à travers son évolution contrastée et les multiples représentations qu’il a
incarné, est le symbole de la lente et difficile marche de la France vers la République. Il est donc
l’incarnation de cette mémoire historique et le témoin de ce projet politique. À la fois symbole du
conflit entre Église catholique et valeurs républicaines, symbole des conflits de chaque époque et
lieu de mémoire, le Panthéon est donc aussi le reflet de la vie politique, culturelle, artistique de
chaque période, car son histoire se calque sur celle de l’histoire de France.
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