Monsieur Michel DEMAZURE - Cité des Sciences et de l`Industrie

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“ Oser le savoir ” Conférence-débat du 4 décembre 2000
“ La génétique au service de l’Homme ? ”
Françoise Bellanger
Bienvenue à la Cité des Sciences et de l'Industrie pour cette conférence sur le thème La
génétique au service de l'Homme ? Cette conférence s'inscrit dans le cadre de l'exposition
Oser le Savoir qui ouvrira ses portes demain sur le thème de Bricoler le vivant.
La génétique est à la fois pleine d'espoirs et d'inquiétudes, on se demande où l'on va, est-ce
que le XXIe siècle sera celui de la génétique ? On veut tous des bébés sans faute, il y a les
traitements qui se développent, la thérapie génique, la thérapie cellulaire, on veut tout savoir,
la prévention, tout ce qui est maladies prédictives, et puis après quel va être le rôle des
assurances derrière tout ça ? Et puis, mais nous n'en parlerons pas aujourd'hui, il y a aussi
tout ce qui concerne, bien sûr, la production agricole, les OGM, l'amélioration des espèces,
j'en passe et des meilleurs. Donc, la génétique est à la mode.
Derrière ce questionnement : la génétique au service de l'Homme ? il y a des aspects
éthiques, économiques, juridiques, il y a des problèmes d'assurances, des enjeux industriels,
et puis la génétique ces semaines a été sous les feux de la rampe : il y a eu en fin d'année
dernière la thérapie génique, mais il n'y a pas très longtemps, la semaine dernière, Marc
Pechanski parlait de la thérapie cellulaire avec la greffe de neurones pour la chorée de
Huntington; il y a le jeune Valentin qui est né à l'hôpital Béclère qui a fait l'objet d'un
diagnostic préimplantatoire avant d'être implanté, et puis bien sûr il y a les lois de bioéthique
dont on parle puisque le Premier ministre a proposé une nouvelle loi, puisqu'il fallait revoir
les lois de bioéthique, et puis à la fin de la semaine il va y avoir le Téléthon, la génétique est
sous les feux de la rampe.
Pour vous parler de génétique aujourd'hui nous avons réuni une juriste, Brigitte Le Mintier
qui est professeur des universités, elle enseigne à la faculté de droit et de sciences
politiques de Rennes I, et elle est spécialiste du droit des personnes et de la famille. Elle
dirige le Centre de recherche juridique de l'Ouest, et un laboratoire rattaché au CNRS dont
l'activité porte sur la bioéthique. Brigitte Le Mintier est membre de comités scientifiques et de
comités éditoriaux de plusieurs revues, elle est auteur de plusieurs ouvrages, ça tourne
toujours autour de l'embryon humain, les lois de la bioéthique et puis ses travaux portent sur
les aspects juridiques de la procréation, la génétique, la relation médicale. Elle pourra
aborder les aspects juridiques que nous aborderons en fin de ce débat.
Alain Fischer est Docteur en Médecine et en science, il est professeur des universités mais
aussi praticien hospitalier, il est d'ailleurs pédiatre et Chef du service Immunologie et
La génétique au service de l’Homme ?
Hématologie pédiatriques à l'hôpital Necker. Il est aussi Directeur d'une unité INSERM qui
s'appelle développement normal et pathologique du système immunitaire. Il est par ailleurs
Président du Conseil scientifique de la Fondation pour la Recherche Médicale, et on lui doit
le spectaculaire résultat de la sortie des enfants bulle en avril dernier gr‚ce à la thérapie
génique des déficits immunitaires. François Cornélis est aussi Docteur en Médecine et
enseignant à la Faculté de Médecine de Lariboisière, c'est d'ailleurs dans cet hôpital qu'il
exerce ses activités médicales, il est responsable de l'Unité génétique de l'adulte. Par
ailleurs, il est chercheur et Directeur du Laboratoire Européen sur la polyarthrite rhumatoïde.
Il mène d'ailleurs, dans le cadre de ce laboratoire qui se trouve au Génopole d'Evry, une
étude auprès de 1.000 familles, en France et en Europe, sur les facteurs génétiques de cette
maladie qui est une maladie auto-immune la plus fréquente.
Enfin, Pierre Jouannet; il est aussi Docteur en Médecine et professeur des universités,
praticien hospitalier lui-même il dirige le CECOS (Centre d'Etude et de Conservation des
åufs et du Sperme humain) à Paris Cochin, après avoir dirigé celui de Bicêtre; il est membre
de plusieurs instances scientifiques et universitaires, Président de la Fédération Française
des CECOS, et lui aussi il a été auteur de plusieurs ouvrages sur la fertilité masculine et
l'éthique.
Pour commencer ce débat, nous allons donner la parole à Alain Fischer qui va nous parler
de la thérapie génique, de la thérapie cellulaire, des différences entre ces différentes
techniques, ces différentes pratiques médicales, des espoirs, des résultats.
Alain Fischer
Avant de commencer directement et entrer dans le sujet de la thérapie génique et de la
thérapie cellulaire, je pense qu'il faut un petit rappel de principes de base dans le domaine
des connaissances de la génétique. Cette diapositive vous montre la photo d'une cellule
montrant les chromosomes, c'est une cellule d'une plante, l'iris, c'est en gros l'état des
connaissances dans le domaine de la génétique telles qu'elles étaient il y a soixante ans.
Avant la Deuxième Guerre mondiale on savait qu'il y avait des caractères qui étaient
transmis héréditairement, on savait que cette hérédité était liée aux chromosomes, mais on
ne connaissait pas la nature moléculaire du support moléculaire de l'hérédité, l'ADN. La
structure de l'ADN a été connue par Watson et Crick en 1953, et le progrès suivant décisif,
bien qu'il y en ait eu d'autres de façon intermédiaire, a été et est en cours : c'est le
décryptage du génome humain ainsi que d'autres espèces, et évidemment il est attendu du
décryptage du génome humain de grands progrès en médecine et on va essayer d'en parler
un peu, moi-même pour commencer, et mes collègues ensuite.
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La génétique au service de l’Homme ?
Le génome est composé de chromosomes, et ce chromosome est composé d'une longue
hélice composée d'ADN qui est située dans le noyau, l'acide désoxyribonucléique; vous
savez que cet ADN code pour des protéines qui sont synthétisées dans le cytoplasme des
cellules par forme de l'association d'éléments unitaires que sont les acides aminés; pour
chaque acide aminé correspond ce qu'on appelle un triplet de base, qui sont des bases A, C,
G, c'est le code schématisé en lettres qui différencie les différentes parts de l'ADN.
Donc un gène est composé d'un certain nombre de bases A, C, G, dans un ordre variable,
les mots se lisent par trois lettres et pour chaque trois “ lettre code ”, on appelle ça un triplet,
code pour un acide aminé. Donc, d'un gène composé d'ADN va être fabriqué, on dit dans le
jargon scientifique transcrit, un ARN messager qui est littéralement un messager du noyau
vers le cytoplasme, et à partir de cet ARN messager, copie de l'ADN dans le chromosome
dans le noyau de la cellule, va être fabriquée la protéine composée d'acides aminés. C'est
de cette manière que le génome, à travers tous nos gènes, nous permet de fabriquer une
kyrielle de protéines qui constituent l'essentiel des composants de notre organisme, et nous
avons probablement quelques dizaines de milliers de ces gènes dont nous sommes bientôt
prêts de connaître la séquence pour la totalité, même si aujourd'hui on n'y est pas encore
tout à fait.
Et qu'est-ce qu'on peut faire à partir de la connaissance des gènes d'intérêt médical ? On
peut probablement faire pas mal de choses, même si c'est complexe et même si dans un
grand nombre de cas cela va prendre beaucoup de temps. Schématiquement, à partir d'un
gène, si ce gène est associé à une maladie, je pense à une maladie héréditaire
monogénique où un gène est muté quelque part, donc la lecture ne se fait pas normalement
et la protéine n'est pas fabriquée normalement. On peut éventuellement mieux comprendre
la physiopathologie, c'est-à-dire le mécanisme de la maladie, même si c'est strictement vrai
pour les maladies héréditaires, ça peut aussi s'appliquer à des maladies acquises où il y a
des modifications du génome, je pense au cancer, lorsqu'il y a cancer le génome de la
cellule est modifié, et si on connaît la modification du génome de la cellule, éventuellement
on pourra comprendre le mécanisme, pourquoi la cellule est devenue cancéreuse.
A partir de ces mécanismes et de ces connaissances de la fonction du gène et de
l'implication dans les maladies, on peut éventuellement développer des outils diagnostiques
pour les maladies héréditaires, avoir des tests simples pour savoir qu'un gène est muté et
n'est pas muté, donc dire qu'il y a ou il n'y a pas maladie. Ce diagnostic génétique peut
s'appliquer dans le cadre du conseil génétique, c'est-à-dire pour des familles qui risquent
d'avoir un enfant atteint d'une maladie héréditaire grave, on peut appliquer ces
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La génétique au service de l’Homme ?
connaissances. On peut faire des choses un peu plus compliquées, c'est d'essayer d'estimer
la sensibilité de chacun d'entre nous à l'utilisation de tel ou tel médicament, c'est ce qu'on
appelle dans le terme scientifique la pharmacogénomique. On sait que de façon héréditaire
on est plus ou moins sensible aux effets ou à la toxicité de tel ou tel médicament, ceci est
une source de recherche importante pour l'avenir. Et dans certains cas, lorsque c'est justifié,
les connaissances des gènes et des modifications des gènes peuvent être utilisées pour
prédire la survenue d’événements pathologiques chez les malades, un diabète ou une autre
pathologie et, éventuellement, ceci peut devenir une médecine prédictive si des mesures de
prévention peuvent être entreprises pour éviter que la maladie survienne.
Sur le plan thérapeutique on peut faire pas mal de choses, on sait déjà faire dans certains
cas un certain nombre de choses, de la connaissance d'un gène on peut utiliser ce gène à
produire au laboratoire une protéine, et cette protéine peut être utilisée pour traiter une
maladie, par exemple le diabète lié au manque de production d'insuline, on peut traiter des
malades avec de l'insuline qui est produite par génie génétique, donc en utilisant la
séquence normale du gène, c'est le cas aussi du traitement de l'hémophilie où manque un
facteur de la coagulation que l'on peut produire au laboratoire et utiliser pour traiter des
malades, et il y a ainsi d'autres exemples. On peut songer à trouver de nouveaux
médicaments par des techniques un peu complexes, mais de la connaissance du génome il
est très probable que l'on pourra, par des systèmes de criblage, trouver de nouvelles
molécules qui interviennent dans telle ou telle grande voie du métabolisme et du
fonctionnement des cellules, et l'industrie pharmaceutique investit beaucoup d'argent
actuellement pour essayer de trouver de nouveaux médicaments par criblage sur des
protéines produit de gènes. Et enfin, on peut envisager une thérapie génique, c'est ce que je
vais développer dans un instant, essayer de traiter une maladie en insérant dans les cellules
malades un gène qui va fonctionner et qui va restaurer une fonction déficiente, ou va donner
à ces cellules une fonction d'intérêt thérapeutique.
Développons cet aspect de thérapie génique, puisque c'est mon sujet. Le principe est assez
simple. On a une cellule et dans cette cellule on veut qu'un gène pénètre et s'exprime.
S'exprimer, ça veut dire que le gène donne naissance à un ARN messager qui va donner
naissance à une protéine, qui va avoir une fonction, évidemment une fonction d'intérêt
thérapeutique. Pour ce faire, il faut évidemment avoir la copie du gène sous forme de
matériel génétique, d'ADN ou d'ARN; il faut un système qui est un promoteur, promoteur
c'est un système génétique qui va permettre que le gène puisse s'exprimer. Le gène tout
seul ne peut pas donner naissance à un ARN messager, il faut en plus qu'il y ait le
promoteur. Mais ce système génétique d'un promoteur plus le gène lui-même, tout seul il ne
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La génétique au service de l’Homme ?
peut pas rentrer dans une cellule, il est repoussé par la membrane de la cellule, donc il faut
un système de transport qui va faire pénétrer ce matériel génétique à l'intérieur des cellules :
c'est le vecteur, et le plus souvent on utilise comme système de vecteur des véhicules
naturels que sont les virus. Les virus sont des particules qui donnent toutes sortes
d'infections, toutes sortes de maladies, mais qui ont un avantage extraordinaire c'est qu'ils
savent pénétrer dans les cellules et ils savent induire la pénétration de matériel génétique,
en l'occurrence leur propre matériel génétique habituellement, dans des cellules. Là, on
utilise les virus comme cheval de Troie pour faire pénétrer un matériel génétique d'intérêt
thérapeutique. Ce qui soulève toute une série de problèmes, mais c'est le principe. Si on a
un vecteur qui contient le gène qui nous intéresse plus le promoteur qui va permettre
éventuellement l'expression dans la cellule du gène, encore une fois quand je dis expression
ça veut dire que la protéine va être exprimée, si c'est pénétré dans la cellule, on a notre gène
dans le noyau, éventuellement, qui donne naissance indirectement à une protéine qui
fonctionne et qui va modifier les caractéristiques de la cellule. C'est le principe de la thérapie
génique.
Qu'est-ce qu'on peut faire avec ça ? On peut faire toute une série de choses, pour des
maladies génétiques, ou pour être plus strict, dans les maladies héréditaires où un gène est
muté. Donc l'idée c'est qu'on va essayer de corriger l'anomalie dans ces cellules où le gène
s'exprime normalement; par exemple, dans la mucoviscidose c'est les cellules des bronches,
c'est là où ça ne fonctionne pas, on va essayer d'introduire dans ces cellules des bronches,
si je prends le même exemple, cette fois-ci une copie normale du gène avec toujours un petit
promoteur pour qu'il s'exprime. Donc, ça c'est une façon d'essayer de corriger une maladie
héréditaire, en ajoutant une copie normale du gène qui est muté, ça c'est un premier intérêt
thérapeutique de ce type de stratégie.
Deuxième intérêt éventuel, c'est pour traiter des maladies acquises, on peut songer à traiter
des tas de maladies, des cancers, des maladies dégénératives, la maladie d'Alzheimer,
l'athérome qui donne l'infarctus du myocarde, par exemple, aussi traiter parfois des maladies
infectieuses, il y a des tas de stratégies possibles. Donc, là évidemment le but n'est pas
d'ajouter une fonction normale là où ça ne fonctionnait pas parce qu'un gène est muté, mais
d'apporter dans une cellule qu'on va choisir, en fonction de l'intérêt thérapeutique, la même
chose; on va introduire un gène qui va coder pour une protéine, et cette protéine va avoir
une fonction. Cette fonction, par exemple, ça peut être que la cellule meurt, ce qui est
intéressant s'il s'agit d'une cellule cancéreuse, si on obtient l'expression d'une protéine qui
induit la mort de la cellule qui est cancéreuse, on peut espérer avoir un effet bénéfique sur
un cancer. Idem pour le traitement de maladies dégénératives où il y a un excès de cellules,
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La génétique au service de l’Homme ?
par exemple dans les vaisseaux et qui bouchent les vaisseaux. Si on empêche la
prolifération des cellules qui bouchent les vaisseaux, ça va libérer les vaisseaux et ça peut
avoir un intérêt thérapeutique. On peut chercher à améliorer une réponse immunitaire, donc
les défenses de l'organisme, soit contre des cellules cancéreuses, soit éventuellement contre
une maladie infectieuse grave, il y a actuellement toutes sortes de stratégies qui sont
envisagées dans ce sens.
Une autre possibilité encore, c'est de faire que la protéine produite par les cellules soit
excrétée, elle sort de la cellule et elle va être libérée dans l'organisme. Ceci peut être
intéressant pour traiter des maladies où il manque une protéine circulante, typiquement
l'hémophilie où on a un facteur de la coagulation qui manque, donc la protéine est excrétée,
autrement dit la cellule qu'on a modifiée sert de petite usine dans l'organisme à fabriquer une
protéine d'intérêt thérapeutique.
Il y a plein d'applications possibles, le problème c'est qu'il y a beaucoup de difficultés
techniques à résoudre, qu'on peut appeler les défis de la thérapie génique, parce que
qu'est-ce qu'il faut faire ? Il faut choisir le bon gène pour avoir l'action thérapeutique qui nous
intéresse. Il faut le mettre dans les bonnes cellules, pas dans les cellules d'à côté, si on veut
traiter une maladie de la moelle osseuse, donc l'usine à fabriquer les cellules du sang, il faut
que le gène aille dans les cellules, les précurseurs, les cellules-souches qui donnent
naissance aux cellules sanguines ; si on veut traiter une mucoviscidose, il faut arriver à cibler
les cellules des bronches, et c'est difficile, et ainsi de suite. Parfois c'est très difficile, si on
veut toucher une maladie du cerveau il faut arriver à ce que le gène entre en contact avec
les neurones dans le cerveau, ça peut être extrêmement difficile, voire impossible pour
l'instant dans certains cas.
Ensuite, il faut que ce gène dont on cherche à obtenir l'expression, donc qu'il produise une
protéine, il faut qu'il s'exprime, qu'il y ait une protéine, mais il faut qu'il y en ait assez pour
avoir un effet thérapeutique. S'il n'y en a pas assez il ne se passera rien, mais s'il y en a trop,
à l'inverse, ça peut être dangereux et on peut avoir des conséquences défavorables. Donc, il
faut trouver un système pour qu'il n'y en ait ni trop peu, ni trop, et ça ce n'est pas facile. Il
faut éviter toutes sortes d'effets toxiques, d'effets secondaires liés à l'expression du gène, et
il y en a un certain nombre de possibles, soit par modification du génome, une mutagenèse
qui, par exemple, pourrait provoquer un cancer, en théorie ceci est possible et c'est un souci,
évidemment ce n'est pas ce qu'on souhaite. Ou bien, et ça c'est un problème plus important,
il se peut que l'introduction d'un gène dans des cellules et la présence d'un virus entraînent
une réponse inflammatoire contre le vecteur, contre le virus schématiquement, ou contre la
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La génétique au service de l’Homme ?
protéine qui est le produit du gène thérapeutique, et cette réponse inflammatoire est très
défavorable, au point même d'être mortelle, et malheureusement peut-être certains d'entre
vous savent qu'aux Etats-Unis à la fin de l'année 99 un patient est décédé au cours d'un
essai thérapeutique d'une thérapie génique parce que s'est développée une réponse
inflammatoire extrêmement violente contre le virus qui était utilisé pour transférer le gène
thérapeutique. Donc, c'est un vrai problème, et tous ces soucis sont loin d'être résolus, à vrai
dire pour la plupart des applications envisagées aujourd'hui de thérapie génique on n'a pas
résolu l'ensemble des problèmes, c'est-à-dire être à la fois efficace et pas toxique, donc ce
sont des questions vraiment difficiles et qui restent d'actualité.
Pour essayer de le faire, je ne vais pas rentrer dans tous les détails, on utilise toutes sortes
de virus, toutes sortes de vecteurs qui ont des propriétés différentes, il y a ce qu'on appelle
des rétrovirus, c'est-à-dire des virus qui sont composés d'ARN messagers qui se trouvent
dans les cellules transformés en ADN. Cet ADN peut être intégré dans le génome des
cellules, et donc persister, et les cellules filles quand elles se divisent, vont encore avoir le
gène présent et pourront éventuellement fonctionner. On utilise aussi un virus très banal qui
donne des infections tels que des rhumes, par exemple, chez chacun d'entre nous, qu'on
appelle les adénovirus, qui ont des propriétés intéressantes car ils infectent très facilement
beaucoup de cellules. Ils sont donc très efficaces, mais par contre on ne peut pas, en
utilisant ce type de vecteurs, obtenir la présence du gène d'intérêt dans les cellules filles, car
le gène ne va pas être répliqué, c'est-à-dire qu'il ne va être reproduit au moment de la
division de la cellule. Je n'entre pas dans trop de détails, mais vous voyez qu'il y a toutes
sortes de virus différents qui sont utilisés, et même des systèmes qui ne sont pas viraux, des
systèmes artificiels qui ont tous leurs avantages et leurs inconvénients, chacun étant plus ou
moins bien adapté aux types de maladies que l'on cherche à traiter.
Deux exemples rapidement d'essais qui commencent à porter un certain bénéfice, malgré
les réserves que j'ai faites il y a un instant sur la thérapie génique; premièrement
l'hémophilie, un exemple chez des chiens hémophiles, c'est un modèle de chiens
spontanément hémophiles qui ont la même maladie que la maladie humaine, l'hémophilie B,
c'est-à-dire le déficit en facteur 9, et ce qui a été fait à ces chiens c'est une injection
intramusculaire d'un virus qui contient le gène qui code pour le facteur 9 de l'hémophilie. Ce
gène persiste dans les cellules musculaires, il permet la production de la protéine, la protéine
est excrétée et passe dans la circulation sanguine, et donc peut participer à la coagulation,
et vous savez que les hémophiles saignent parce qu'ils ont un défaut de coagulation. Ce
qu'observe chez ces chiens, c'est qu'après une seule injection le temps de coagulation
mesuré en minutes, qui reste très élevé chez des chiens non traités, après traitement
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La génétique au service de l’Homme ?
s'abaisse, et après presque une année on a pu constater chez des chiens traités un
abaissement très net du temps de coagulation. Donc sans que la maladie soit guérie la
coagulation est bien améliorée et ceci est potentiellement d'intérêt pour des malades si on le
transpose à des malades. Un essai clinique utilisant cette méthode a débuté aux Etats-Unis
au début de l'année 2000, il y a à ce jour neuf ou dix patients qui ont été traités et on ne peut
pas encore en tirer des conclusions définitives, mais les résultats paraissent relativement
encourageants. Donc, voilà un premier exemple d'application.
Un deuxième exemple d'application que nous avons développée à l'hôpital Necker concerne
une maladie héréditaire du système immunitaire, c'est-à-dire des moyens de défense contre
les infections. Les cellules avec lesquelles nous nous défendons contre les infections sont
les globules blancs; les globules blancs sont les polynucléaires et puis les lymphocytes dont
il y a différentes catégories, je n'entre pas dans les détails. Toutes ces cellules, ainsi que les
globules rouges, les plaquettes, les monocytes, toutes ce sont les cellules circulant dans le
sang, elles proviennent de l'usine à fabriquer les cellules du sang qui est dans la moelle
osseuse. Toutes ces cellules de la moelle osseuse proviennent d'une cellule unique, qui est
ce qu'on appelle la cellule souche, qui donne naissance toute la vie à l'ensemble de nos
cellules sanguines et cette usine fonctionne en permanence de la naissance à la mort. Il
existe des maladies héréditaires de ces systèmes de production des cellules du sang, et en
particulier une maladie précise dans laquelle certaines catégories de lymphocytes qui sont
très importants pour se défendre contre les virus notamment, ne sont pas normalement
produits. Dans une maladie qui a ce nom bizarre, L'IA X, ça veut dire qu'elle touche les
garçons parce que le gène, comme les gènes de l'hémophilie, est situé sur le chromosome
X, dans cette maladie-là il n'y a plus de lymphocytes T, ni d'une autre catégorie de
lymphocytes; ces enfants naissent sans ces globules blancs et, de ce fait, ne peuvent pas se
défendre convenablement contre les infections, et en l'absence de traitement décèdent après
quelques mois de vie.
Aujourd'hui nous connaissons le gène responsable de cette maladie, les mutations d'un
gène, qui est une espèce de serrure à la surface des cellules. A nouveau vous avez la
production des lymphocytes du sang qui proviennent de la moelle osseuse, et la serrure qui
manque chez ces patients porte un nom bizarre qui est gamma C. Peu importe le nom, le
principe est que cette serrure permet la fixation de clés, IL7 ou IL15, qui délivrent des
signaux aux cellules qui leur permettent de donner naissance à ces lymphocytes qui nous
servent à nous défendre contre les infections. Donc, ces patients n'ont pas de serrure, donc
les clés n'ouvrent pas la porte, et la résultante c'est que tout s'arrête là et ils n'ont pas ces
cellules. Le principe de la thérapie génique dans cette maladie c'est d'utiliser un virus qui va
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La génétique au service de l’Homme ?
apporter la serrure, donc le gène qui code pour la protéine gamma C, d'infecter les cellules
de la moelle osseuse avec ce virus en prélevant des cellules de la moelle aux enfants, puis
leur réinjecter et d'espérer que ces cellules retournent dans la moelle osseuse et que la
serrure fonctionne, c'est-à-dire que la clé ouvre la porte, et donne naissance aux
lymphocytes.
C'est ce qui a été fait chez cinq enfants au cours de l'année passée où le principe du
traitement est le suivant : on prélève à l'enfant des cellules de la moelle osseuse sous
anesthésie générale, on purifie les cellules précurseurs, c'est-à-dire celles les plus en amont,
les cellules souches ou les cellules voisines des cellules souches qui peuvent donner
naissance à tous les globules blancs, tous les globules rouges, etc. On va infecter ces
cellules avec un virus, c'est un rétrovirus, pendant trois, quatre jours; ce virus contient une
copie normale du gène, les cellules sont infectées, contiennent ensuite le gène, elles sont
réinjectées au malade, à l'enfant par voie intraveineuse et ensuite on attend. Et on a observé
quatre fois sur cinq qu'effectivement la serrure fonctionne et la clé ouvre la porte et donc ces
enfant ont maintenant des lymphocytes qu'ils n'étaient pas capables de développer avant.
Dans ce cas-là c'est une situation assez privilégiée pour la thérapie génique, ce type de
traitement peut marcher, donc ce qu'on obtient c'est la restauration, en infectant ces cellules
on restaure l'expression de la cellule gamma C, et on restaure le développement des
lymphocytes nécessaires à la défense contre les infections. Mais on est encore loin de
pouvoir transposer ces résultats au traitement de beaucoup d'autres maladies.
Un dernier mot concernant la thérapie cellulaire, cette fois-ci ce ne sont plus des gènes, ce
sont des cellules. Déjà aujourd'hui on fait dans les hôpitaux en France et ailleurs de la
thérapie cellulaire qui consiste à administrer des cellules qu'on a modifiées au laboratoire,
qu'on a fait se proliférer, auxquelles on a donné telle ou telle propriété. On sait le faire dans
le domaine de l'immunologie où on peut amplifier les mêmes lymphocytes T dont je parlais
tout à l'heure, on peut au laboratoire produire en grande quantité des lymphocytes
spécifiques d'un virus, ou éventuellement de cellules tumorales, - pour les cellules tumorales
ça ne marche pas très bien pour l'instant - pour certains virus qui sont dangereux, chez des
sujets immunodéprimés on peut dans certains cas restaurer, leur faire passer un cap d'une
situation difficile, d'une réponse immune qu'ils n'étaient pas capables de développer
spontanément.
L'immunité anti-tumorale existe mais elle fonctionne encore assez mal, mais c'est aussi une
voie de recherche importante avec des lymphocytes T. On peut déjà par exemple produire
en grande quantité des cellules de la peau pour permettre de recouvrir les téguments
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La génétique au service de l’Homme ?
d'individus qui ont été gravement brûlés, ce sont des choses que l'on sait assez bien faire, et
surtout la grande voie d'avenir, qui est beaucoup plus d'avenir que de présent mais qui est
d'un intérêt potentiel vraiment important, c'est l'utilisation de cellules souches permettant de
reconstituer des cellules des organes chez des gens, soit qui ont des maladies héréditaires
qui font que tel ou tel tissu ne se développe pas, soit au cours de maladies dégénératives de
toutes sortes, que ce soit un diabète où on perd les cellules du pancréas, que ce soit la
maladie de Parkinson où on perd certaines cellules du cerveau, ou la chorée de Huntington
que traite Monsieur Pechanski. Et là, il y a des voies thérapeutiques potentielles très
intéressantes mais qui sont encore aujourd'hui du domaine de la recherche, et qu'en deux ou
trois minutes je voudrais vous évoquer.
Il y a quatre voies thérapeutiques possibles. Il y a l'utilisation de cellules souches d'individus
formés, adultes, mais en fait éventuellement enfants, mais au-delà de la naissance, qui sont
des cellules, par exemple celles de la moelle osseuse qui peuvent donner naissance aux
cellules du sang, et ces cellules peuvent donner naissance aussi à toute autre forme de
cellules, jusqu'à des neurones, du pancréas, etc. On ne sait pas le faire chez des malades
aujourd'hui, mais c'est une voie de recherche très intéressante.
On peut utiliser des cellules fútales qui ont des capacités de pluripotence, c'est-à-dire de
différenciation en différents types de tissus, et on peut les utiliser déjà un à stade
relativement différencié ou encore indifférencié, et à un certain stade de ce type de
recherche c'est ce que fait Marc Pechansky à l'hôpital Henri Mondor à Créteil pour traiter une
forme grave de chorée.
On peut envisager, puisque maintenant il semble qu'on aura l'autorisation de l'utilisation de
cellules souches d'embryons, à partir d'embryons qui ont été congelés sans projet parental
d'essayer d'utiliser, pour l'instant c'est de la recherche, c'est pas de la thérapeutique, mais il
y a une voie potentielle d'applications pour obtenir au laboratoire des cellules musculaires ou
cardiaques, ou des vaisseaux ou du pancréas, etc., c'est aussi potentiellement intéressant.
Et enfin, le summum théorique, c'est le fameux clonage thérapeutique qui pose,
évidemment, des problèmes d'éthique majeurs, mais qui est une solution théorique possible
à un certain nombre de problèmes pathologiques par la génération de cellules de tel ou tel
type d'organe.
Deux ou trois exemples à propos des cellules souches adultes : on vient de s'apercevoir
dans les deux, trois dernières années, à la grande surprise de tout le monde, que des
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La génétique au service de l’Homme ?
cellules souches de différents tissus sont capables de donner naissance à d'autres tissus, ce
qui était absolument inattendu, et si quelqu'un avait dit ça il y a cinq ans on l'aurait traité de
fou. Aujourd'hui, on sait que des cellules qui sont capables de donner les cellules du sang,
les cellules de la moelle osseuse, peuvent donner des cellules hépatiques. Chez la souris
c'est absolument clair, chez l’Homme ça l'est moins, mais chez la souris c'est tout à fait clair.
Des cellules de la moelle osseuse peuvent donner naissance à des cellules qui forment des
vaisseaux sanguins, dans certaines conditions bien sûr. Elles peuvent donner naissance à
des cellules musculaires, tout ceci est démontré largement chez la souris même in vivo,
donc sur des souris vivantes. Elles peuvent donner naissance à des cellules du cerveau, et
inversement de façon surprenante, certaines cellules souches du système nerveux peuvent
donner naissance à des cellules sanguines, et ainsi de suite. Donc, on a découvert très
récemment une fantastique plasticité des cellules souches qui ouvre des potentialités
thérapeutiques très intéressantes mais, encore une fois, de cette théorie à l'application chez
les malades il va probablement se passer un assez grand nombre d'années, mais c'est une
voie de recherche très intéressante.
Pour terminer, je voudrais essayer de vous définir ce qu'est le clonage thérapeutique qui fait
grand débat sur le plan éthique, dont le principe est le suivant : à partir d'un patient, ça
consiste à prélever une cellule somatique, c'est-à-dire une cellule qui ne peut pas donner
naissance à un individu, pas une cellule sexuée. Par exemple, une cellule du revêtement de
la bouche, une cellule épithéliale de la bouche, d'en extraire le noyau, ce noyau de le
transférer dans un úuf d'une femme, un ovule dont on a enlevé le noyau, on l'a énucléé, et
ce transfert peut donner naissance au laboratoire à des cellules embryonnaires, et ces
cellules embryonnaires en théorie on peut imaginer, dans des conditions de culture
adéquates, de donner naissance par exemple à des cellules du pancréas, ce sont des
exemples, des cellules du sang, des cellules du muscle cardiaque, des neurones ou des
cellules du foie, et ensuite de réadministrer ces cellules au même individu. Donc il n'y a pas
de problème de compatibilité puisque ce sont ses propres cellules, et ses propres cellules
vont être capables de régénérer l'organe défaillant.
Ceci est strictement interdit à l'heure actuelle, sauf en Grande Bretagne où il y a des
perspectives d'autorisation de ce type de recherches. Mais je ne me mets pas pour l'instant
dans le cadre du débat éthique, je pense qu'on y reviendra tout à l'heure, sur le plan de la
théorie, du potentiel thérapeutique, cette solution du clonage thérapeutique est intéressant.
Je vais m'arrêter là, vous voyez que les potentialités de développement de ce type de
thérapeutique dans les dizaines d'années qui viennent sont assez gigantesques. Cependant,
encore une fois, entre les perspectives et la réalité, il y aura des années de recherche.
11
La génétique au service de l’Homme ?
Françoise Bellanger
On va maintenant vous parler des tests génétiques dans des maladies fréquentes et leur
valeur prédictive avec François Cornélis.
François Cornélis
Si la génétique offre de très belles perspectives pour des maladies heureusement rares et
très sévères, elle offre aussi des perspectives très intéressantes pour les maladies
fréquentes qui touchent la majorité de la population. Dans la majorité de ces maladies, on
sait qu'il existe à la fois des facteurs génétiques et des facteurs d'environnement. On fonde
beaucoup d'espoir sur l'identification des facteurs génétiques pour comprendre ce qui se
passe, comprendre pourquoi certaines personnes sont prédisposées à développer une
maladie.
Ce qu'il est important de réaliser c'est que la génétique n'est qu'une partie de la
prédisposition à la maladie, ça n'est pas le facteur génétique ou les facteurs génétiques qui
font la maladie, ils ne font qu'augmenter le risque pour une personne donnée de développer
cette maladie. Pour prendre un exemple, je fais choisir la polyarthrite rhumatoïde, c'est la
plus fréquente des maladies auto-immunes, c'est-à-dire la plus fréquente de ces maladies
pendant lesquelles l'organisme détruit une partie de l'individu. Pour la polyarthrite
rhumatoïde il s'attaque aux articulations de la personne malade, petit à petit les articulations
deviennent douloureuses, gonflées, et sont détruites par la maladie. Heureusement, sur une
période très longue on arrive à freiner l'évolution de cette maladie mais on ne sait pas la
guérir actuellement. Dans cette maladie qui touche à peu près 1 % de la population, on sait
que le risque pour la fille d'une personne atteinte, par exemple, est de l'ordre de 4 %. 4 %
c'est donc quatre fois plus que le risque de la population générale. D'un côté c'est beaucoup,
quatre fois plus, c'est beaucoup pour les chercheurs, c'est beaucoup pour la recherche, mais
pour l'individu c'est faible. Pour la fille d'une personne atteinte de cette maladie, ça veut dire
en fait 96 chances sur 100 d'échapper à cette maladie. Donc il y a des facteurs génétiques,
le risque dans les familles le montre, mais pour l'individu le risque reste faible.
Ce qui montre encore mieux que la génétique n'explique pas tout, ce sont les études de
jumeaux. Toujours pour rester dans le cadre de la polyarthrite rhumatoïde, une personne
atteinte de cette maladie, si elle a une súur jumelle, une vraie jumelle qui est génétiquement
identique, le risque pour la jumelle de développer la maladie n'est finalement que de l'ordre
de 20 %. 20 %, c'est vingt fois plus que la population générale, là encore c'est beaucoup,
mais ça n'est que 20 %, et ça veut dire que huit fois sur dix la súur jumelle bien qu'elle soit
12
La génétique au service de l’Homme ?
génétiquement identique va échapper à cette maladie huit fois sur dix, alors que c'est zéro
fois sur dix quand il s'agit d'une des maladies dont vient de vous parler Alain Fischer. Donc
ça montre bien qu'il existe des facteurs génétiques pour les maladies fréquentes, les
maladies qui touchent tout le monde. C'est l'hypertension artérielle, ce sont les rhumatismes,
bien sûr, c'est le diabète, mais ces facteurs génétiques ne sont pas la cause de la maladie,
c'est un facteur de risque.
Le message que je voudrais passer est que les tests génétiques qu'on va être amené à
développer pour ces maladies, au fur et à mesure que l'on va identifier les facteurs qui
prédisposent à ces maladies, ont un pouvoir prédictif limité et, en particulier, dans la
population générale qui n'ont pas d'intérêt pour l'individu. Je vais tenter de faciliter une
traduction de mon message. Pour la polyarthrite rhumatoïde on connaît déjà l'un de ces
facteurs génétiques, on sait qu'il est présent chez plus de 70 % des personnes atteintes, on
sait aussi qu'il est retrouvé chez près de 40 % de la population générale. Vous voyez le
nombre que nous sommes dans cette pièce, il y a au moins quarante personnes qui sont
porteuses de ce facteur génétique.
La valeur prédictive, les résultats positifs à ce test quand on veut l'utiliser pour diagnostiquer
la maladie est très limitée comme on va le voir. Je vais choisir trois exemples, un premier
exemple qui est d'utiliser ce test dans la population générale, un deuxième exemple qui est
d'utiliser ce test quand il y a une situation médicale qui évoque le diagnostic de la maladie et,
enfin, une situation où ce test est utilisé, alors qu'on connaît déjà une personne malade dans
la famille. Commençons par le test dans la population générale, je vous ai dit que c'est une
maladie qui touche 1 % de la population. Si on considère 1.000 personnes de la population
générale, 1 % de ces 1.000 personnes ça fait 10 personnes, sur ces 1.000 personnes de la
population générale il y en a 10 qui sont atteintes de cette maladie. Je vous ai dit 70 % des
personnes atteintes ont ce facteur génétique, 70 % de 10 personnes ça fait 7 personnes, sur
les 10 personnes atteintes il y en a 7 qui sont porteuses de ce facteur génétique, mais je
vous ai dit aussi que ce facteur est présent dans 40 % de la population générale, et sur les
1.000 personnes il y a 400 personnes qui sont porteuses de ce facteur.
Et au total, ce qui se passe c'est que sur les 400 personnes qui sont porteuses de ce facteur
génétique, il n'y en a que 7 qui sont malades, 7 sur 400, cela fait moins de 2 %. Ainsi, il y a
seulement environ 2 % des personnes qui sont positives pour ce test, qui sont malades,
alors que ce test est positif pour 70 % des personnes malades. Voilà un test qui peut être
positif fréquemment chez les personnes qui souffrent de la maladie, alors que le résultat
positif en lui-même n'aide pas au diagnostic, seulement 2 % des personnes sont malades.
13
La génétique au service de l’Homme ?
C'est ça qu'il faut retenir, dans la population générale ces facteurs génétiques n'ont pas
d'intérêt au plan individuel.
Considérons maintenant le cas d'une personne qui commence à ressentir des douleurs dans
les mains et dans les pieds, comme c'est fréquemment le cas dans cette maladie qui la
réveille la nuit, les mains sont un peu gonflées, on se pose la question de la polyarthrite
rhumatoïde, on sait que dans cette situation médicale malheureusement une fois sur quatre
c'est bien une polyarthrite rhumatoïde qui débute. On sait aussi que dans cette situation,
heureusement, trois fois sur quatre ce sont des douleurs qui vont disparaître sans laisser de
séquelle.
On va considérer un échantillon, un groupe de quarante personnes qui souffrent des mains
et des pieds, dont on sait que dix sont vraiment en train de développer la polyarthrite
rhumatoïde et que les trente autres personnes resteront indemnes. Combien y a-t-il de
personnes positives pour ce test parmi les dix qui vont développer la maladie ? Le test est
positif chez 70 % des personnes malades, il y a dix personnes qui sont effectivement en train
de développer cette maladie, il y a sept personnes qui sont positives, et parmi les trente
autres personnes on sait que la proportion de personnes qui sont positives pour ce test est
de l'ordre de 40 %. Sur les trente personnes ça fait douze personnes qui vont être positives.
Au total, sur les quarante personnes il y a dix-neuf personnes positives, sur ces dix-neuf
personnes de positives, il y en a sept qui sont en train de développer la maladie, sept sur
dix-neuf ça fait environ 40 %; il y a 40 % des personnes qui sont positives pour ce test, dans
cette situation où les mains et les pieds commencent à faire mal et qui sont effectivement en
train de développer la maladie.
Le médecin, avant de faire le test, savait que le risque que ce soit vraiment une polyarthrite
en train de débuter était de 25 %. Après le test il sait que le risque est en fait de 40 %, donc
ce test peut aider un peu le médecin, mais un peu seulement, ce n'est pas le résultat du test
qui fait le diagnostic, il augmente le risque que ce soit vraiment la polyarthrite rhumatoïde,
mais il ne fait pas le diagnostic. Il est un des éléments utiles au médecin pour faire ce
diagnostic.
Terminons par la situation la plus angoissante, celle où en fait il y a déjà dans la famille une
personne atteinte de la maladie. Et c'est angoissant, parce que quand on connaît une
personne qui souffre de cette maladie depuis trente ans, on a vu les articulations se détruire
progressivement, on a peur que cette maladie survienne chez sa fille, par exemple, et à la
moindre douleur on est inquiet. Est-ce qu'il y a un intérêt à faire ce test avant que la moindre
14
La génétique au service de l’Homme ?
douleur ne commence ? Ce qu'il faut savoir c'est que pour la fille d'une personne qui souffre
de cette maladie, la proportion de filles qui sont positives pour le facteur en question, le
facteur génétique, est plus importante que celle de la population générale. Dans la
population générale c'est de l'ordre de 40 % des personnes qui sont positives, mais dans
une famille où on considère la fille d'une personne malade, la personne malade a 70 % de
risque d'être déjà porteuse de ce facteur, ce qui veut dire que le risque pour la fille d'être
également porteuse de ce facteur est plus important que celui de la population générale.
Sans rentrer dans les détails, il peut être mesuré et il est de l'ordre de 60 %, il y a 60 % des
filles qui sont positives pour ce facteur. Or, quel est le risque pour la fille de développer la
maladie ? Il n'est que de 4 %, donc il y a 60 % des filles qui sont positives, alors que la
proportion de filles qui vont développer la maladie n'est que de 4 %.
On peut faire le calcul, en l'absence de manifestations évocatrices de la maladie, finalement
il n'y a que 5 % des filles positives qui sont vraiment en train de développer la maladie, 5 %
après le test alors qu'on sait avant le test que de toute façon le risque est de 4 %, quel était
l'intérêt de faire le test pour la fille en question ? Il paraît minime. Quel est le risque
d'inquiéter la fille, dans 60 % des cas la fille va être positive, quel est le risque d'inquiéter la
fille qui va savoir qu'elle a le facteur génétique comme sa maman, quel est le risque de
l'inquiéter, de lui faire craindre qu'elle développe cette maladie, à votre avis est-ce qu'il est
grand ? Il est énorme, quel est le bénéfice pour la fille ? Il est minime, zéro, et le risque est
énorme. Vous allez me dire, quand la fille a mal aux mains, est-ce que ça sert à quelque
chose de faire ce test ? Pour répondre très directement, dans le même cas de figure si on
sait que dans cette présentation médicale c'est une fois sur quatre une polyarthrite qui est en
train de débuter, le résultat positif du test ne va porter ce risque qu'à 30 %, il passe de 25 %
à 30 %, est-ce que ça va beaucoup aider le médecin à faire le diagnostic ? “a ne va pas
beaucoup l'aider, est-ce que ça va augmenter le risque qu'on se trompe à tort et qu'on dise
c'est vraiment une polyarthrite rhumatoïde en train de débuter, alors que ce n'est pas
vraiment le cas, ça va augmenter ce risque là.
Et donc, il faut bien avoir conscience qu'un facteur génétique pour ces maladies n'a pas
d'intérêt en soi, ce n'est pas le résultat positif qui fait le diagnostic, et ça a encore moins
d'intérêt au sein d'une famille où il y a déjà une personne malade, il y a beaucoup plus
souvent le test positif que la maladie qui débute réellement. Il faut être bien conscient que
pour toutes ces maladies fréquentes, et je parle des maladies fréquentes, pas du tout des
maladies comme celles dont a parlé Alain Fischer, ces tests quand ils vont être disponibles
ne doivent être utilisés que dans des situations médicales très précises où l'expérience a
démontré qu'il y avait un intérêt pour la personne qui se fait tester. En dehors de ces
15
La génétique au service de l’Homme ?
situations, il n'y a pas d'intérêt à pratiquer ces tests. Si vous pouvez retenir une chose ce
soir, c'est qu'on attend beaucoup de la génétique de ces maladies fréquentes, mais surtout
évitez de vous faire tester sans raison, vous serez affolés la plupart du temps sans raison.
Françoise Bellanger
Je voudrais François Cornélis vous poser une question, parce que vous avez parlé
beaucoup de filles, est-ce qu'il y a une fréquence plus grande de la maladie dans le sexe
féminin ?
François Cornélis
Oui, en fait c'est une maladie qui est trois fois plus fréquente chez les femmes que chez les
hommes, c'est pour ça que je prenais l'exemple des filles ou des jumelles.
Françoise Bellanger
D'accord, mais ça ne change pas un peu les calculs ?
François Cornélis
Non, ça ne change pas les calculs, les calculs que je vous ai présentés s'appliquent aux
filles.
Françoise Bellanger
Une deuxième question, une fois qu'on a diagnostiqué est-ce qu'on a un traitement
derrière ?
François Cornélis
On a actuellement des traitements et on a de nouveaux traitements en particulier, vous en
entendrez peut-être parler dans la presse. Gr‚ce en fait aux améliorations de notre
connaissance de la biologie on comprend un peu mieux ce qui se passe dans la destruction
des articulations. On a identifié une molécule qui est trop abondante, plus abondante qu'elle
ne devrait dans les articulations, et on a développé un médicament qui contrecarre l'action
de cette molécule, et ce seul médicament améliore la polyarthrite rhumatoïde trois fois sur
quatre; ce seul médicament, en appuyant sur un seul bouton si je puis dire, dans une
maladie complexe qui fait manifestement intervenir des dizaines de molécules, cette
molécule en empêchant son action on améliore la maladie. Mais on l'améliore seulement,
quand on arrête ce traitement la maladie repart, et on ne l'améliore que partiellement, il y a
environ trois quarts des personnes qui ont une amélioration d'au moins 20 % de la douleur.
16
La génétique au service de l’Homme ?
On est très content de pouvoir apporter ce soulagement, mais c'est encore très loin de dire
qu'on a guéri la polyarthrite, on dispose de traitements, et l'un des enjeux qui se pose aux
médecins est : quand utiliser ces traitements ? Ce sont de nouveaux traitements, on ne sait
pas quel est le risque à long terme, ce sont des médicaments qui influencent le système
immunitaire, qui perturbent sa fonction, est-ce qu'on ne fait pas courir un risque aux
personnes qui reçoivent ces nouveaux traitement ? Peut-être, on ne le saura que dans
quelques années. Ce qu'on espère de la génétique, c'est d'aider justement au diagnostic
dans des cas très précis pour qu'on puisse être assuré qu'on va bien donner ces traitements
à des personnes qui en ont besoin, c'est une des retombées de la génétique pour les
maladies fréquentes de pouvoir prédire quel est le traitement qui va être réellement justifié
chez une personne donnée qui débute une de ces maladies.
Françoise Bellanger
Nous allons demander à Pierre Jouannet de nous rejoindre, nous allons maintenant parler
d'assistance médicale à la procréation.
Pierre Jouannet
Je vais parler de situations assez différentes puisqu'il ne s'agit pas de traiter des maladies. Il
s'agit d'aider des personnes, des hommes et des femmes, à avoir des enfants, et la question
qui se pose à nous c'est de savoir si on peut utiliser, si on peut profiter des connaissances
génétiques pour essayer de prévenir l'apparition de ces maladies chez les enfants à
l'occasion de la procréation, soit quand l'assistance à la procréation concerne des personnes
qui sont elles-mêmes atteintes ou elles-mêmes porteuses de gènes qui vont entraîner ces
pathologies, ou dans d'autres circonstances, et je pense notamment aux aides à la
procréation par dons, dons d'ovules, dons de spermatozoïdes. Et là se posent des questions
très difficiles, puisqu'on se demande si on peut ou on doit utiliser ces tests génétiques dont
vous parliez pour essayer de prévenir les risques d'apparition de maladies dans la
descendance de ces donneurs, et on est dans une situation que vous disiez là tout de suite
qui est celle de faire des tests pour des personnes qui sont sans aucun intérêt pour
elles-mêmes, mais avec un intérêt pour leur descendance génétique, et ce sont des
questions très difficiles.
Ma position est d'autant plus difficile que dès qu'on rapproche les termes gène ou génétique
du terme procréation, et c'est très souvent comme ça que c'est présenté, on parle de
manipulations. On n'a pas utilisé une seule fois le terme manipulations jusqu'à présent, mais
quand on parle d'embryons tout de suite on parle de manipulations, on parle moins de
recherche, et puis on parle d'eugénisme puisqu'on va tendre à influencer la transmission de
17
La génétique au service de l’Homme ?
ces gènes. D'où des termes à connotation très péjorative, et qui peuvent aussi concerner les
personnes qui travaillent dans ce domaine, puisque souvent on parle de savants fous, quand
on parle de ceux qui travaillent dans ce domaine.
Donc, en fait je ne vais pas tellement vous parler de recherche, puisque les problèmes que
nous avons sont bien concrets, bien réels et ils se posent dans la pratique actuelle, je vais
vous faire partager les questions que nous nous posons et la manière dont nous nous
posons ces questions, et cela à partir d'un exemple qui est celui d'une maladie génétique
dont vous a parlé Alain Fischer et qui est celui de la mucoviscidose. La mucoviscidose c'est
une maladie assez terrible puisque jusque il y a encore peu de temps les personnes
atteintes de cette maladie mouraient très jeunes dans des tableaux d'insuffisance
respiratoire puisque le défaut génétique, la mutation du gène qui fabrique une protéine qui
est présente dans l'épithélium des bronches entraînait un dysfonctionnement de ces
bronches, des dilatations des bronches, des infections, et que les enfants mouraient. En
dehors de ça il y a aussi des anomalies du tube digestif, du pancréas, qui se manifestent par
un certain nombre de pathologies à ce niveau-là, et puis d'autres. Ces enfants atteints de
mucoviscidose et porteurs de ces mutations du gène de la protéine qui s'appelle la protéine
CFTR, mouraient jeunes et ne pouvaient pas se reproduire, donc ces mutations n'étaient pas
transmises aux générations suivantes.
Et puis la médecine a fait des progrès, non pas la médecine génétique mais la médecine de
soins, en traitant ces enfants par de la kinésithérapie respiratoire, par d'autres moyens. Elle
a permis d'améliorer le développement de ces enfants sans les guérir sur le plan génétique,
ces enfants ont grandi et certains deviennent adultes, et certains se marient et veulent avoir
des enfants. Et alors il se révèle quelque chose, c'est que les hommes qui sont porteurs de
la mutation la plus fréquente qu'on appelle F508 qui est une des très nombreuses
mutations du gène, et quand ils sont homozygotes, c'est-à-dire quand ils ont les deux
mutations, ces hommes sont stériles, ces hommes ne peuvent pas avoir d'enfant, et donc on
pourrait dire que la nature a prévu d'empêcher ces hommes de se reproduire quand ils sont
porteurs de cette mutation, et donc de transmettre la mutation à la descendance même s'ils
sont adultes.
Pourquoi ne peuvent-ils pas se reproduire ? Un homme atteint de mucoviscidose est
homozygote porteur de la mutation F508; son appareil génital comporte des testicules, les
voies génitales, la vessie, la prostate et le pénis et c'est ici que se forme le sperme au
moment de l'éjaculation qui est la réunion des spermatozoïdes et des sécrétions du liquide
séminal. Un homme atteint de mucoviscidose a ce qu'on appelle une agénésie des canaux
18
La génétique au service de l’Homme ?
déférents, c'est-à-dire une agénésie qui permet le transport des spermatozoïdes depuis
l'épididyme près du testicule jusqu'au lieu de l'éjaculation, et cette agénésie est bilatérale, en
fait elle concerne le canal déférent et les vésicules séminales qui sécrètent l'essentiel du
volume du sperme. Il n'y a pas les conduits qui permettent le transport des spermatozoïdes
dans le sperme. Par contre, les testicules fonctionnent normalement, ils fabriquent des
spermatozoïdes, mais ces hommes sont stériles parce que les spermatozoïdes restent au
niveau des testicules et ne viennent pas dans le sperme.
Il y a maintenant un peu plus de vingt ans que l'on mis au point des techniques de
fécondation in vitro, c'est-à-dire qu'on peut prendre des spermatozoïdes, on peut prendre
des ovocytes de la femme, les mettre en présence dans une éprouvette ou dans une boîte
de culture, et obtenir la fabrication d'embryons, et quelques jours après ces embryons sont
transférés dans l'utérus de la femme et pourront se développer pour donner un enfant. Des
médecins se sont dit, puisqu'on a des spermatozoïdes ici et qu'on peut avoir des ovocytes
de la femme, on va aller prélever les spermatozoïdes dans les testicules ou dans l'épididyme
et puis faire une fécondation in vitro.
Mais voilà que ça ne marche pas, et d'ailleurs c'était prévisible que ça ne marcherait pas
parce qu'il se trouve que dans le transport à travers l'épididyme les spermatozoïdes
acquièrent ce qu'on appelle le pouvoir fécondant, l'aptitude à pénétrer à l'intérieur de
l'ovocyte. Quand on prélève les spermatozoïdes ils sont stériles, ils sont incapables de
pénétrer à l'intérieur de l'ovocyte. Mais voilà qu'en 1992 un chercheur belge a pris un
spermatozoïde et au lieu de le mettre en face de l'ovocyte l'a injecté directement à l'intérieur
de l'ovocyte par une technique qu'on appelle de micro-injection, ou encore ICSI, ce qui veut
dire intracytoplasmic sperm injection. Donc on court-circuite toutes les étapes de la
fécondation, et en procédant comme ça on peut obtenir des embryons. Chez un homme
atteint de mucoviscidose, stérile, on prélève chirurgicalement ses spermatozoïdes dans les
voies génitales, on les injecte à l'intérieur de l'ovocyte qui a été prélevé chez une femme,
trois jours après on obtient des embryons, et ces embryons peuvent être transférés dans
l'utérus de la femme, se développer et donner un enfant.
On peut donc aider un homme stérile porteur de ces mutations génétiques à devenir père.
C'est formidable, mais est-ce que pour autant toutes les questions sont réglées ? D'abord ce
qu'on constate c'est que la nature n'a pas permis que ces hommes, même grandissant,
même devenant adulte puissent se reproduire, puissent procréer et avoir une descendance.
Quand on aide cet homme à avoir des enfants avec une femme qui est normale du point de
vue du gène et qui n'a pas cette mutation, tous les embryons vont avoir un chromosome de
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La génétique au service de l’Homme ?
cet homme et un chromosome de cette femme, et vont donc tous être porteur d'une
mutation, mais à l'état hétérozygote, c'est-à-dire que seul un des deux chromosomes sera
porteur de la mutation, et ces embryons qui donneront des garçons et des filles donneront
des garçons et des filles qui ne seront pas malades, en principe, mais qui seront tous
transmetteurs de cette mutation dans leur descendance. Donc, en faisant ça on diffuse aux
générations suivantes une anomalie génétique qui, normalement, ne devait pas se
transmettre.
Vous voyez que quand on fait ça ce n'est pas de l'eugénisme, c'est, je dirais, presque de
l'eugénisme à l'envers, on dit en général qu'on est à la recherche de l'enfant parfait, et puis
là en aidant ces hommes à devenir des pères on transmet aux générations suivantes des
modifications génétiques. On pourrait imaginer que c'est grave, en fait si on a une réflexion
au niveau d'une population, la population humaine, c'est tout à fait minoritaire. Le nombre de
personnes concernées est très faible et la diffusion de ces gènes anormaux dans les
générations suivantes n'a pas d'incidence en terme de génétique des population, du moins
d'incidence tout à fait notable. Donc ça ne pose pas de gros problèmes éthiques, même si on
pourrait théoriquement en soulever.
Les choses peuvent se compliquer un peu parce que cette situation hétérozygote est une
situation qui n'est pas si exceptionnelle dans la population. En fait, dans un pays comme la
France, une personne sur vingt-cinq est hétérozygote par la mutation de F508, c'est-à-dire
que lorsque ce monsieur va épouser cette dame il y a une chance sur vingt-cinq, 4 %, pour
que cette femme soit hétérozygote. Mais si elle est hétérozygote que se passe-t-il ? si on fait
une ICSI pour ce couple, là les choses deviennent beaucoup plus compliquées puisqu'un
des deux chromosomes de la femme est porteur de la mutation, il y a 50 % de risques que
les embryons soient homozygotes pour la mutation, c'est-à-dire F508 comme leur père, et
donc que les enfants issus de cette fécondation in vitro soient atteints de mucoviscidose, les
autres 50 % des embryons seront comme leur mère et seront hétérozygotes pour la
mutation.
Ceci à plusieurs conséquences, premièrement quand on veut aider un homme dans cette
situation à devenir père, est-ce qu'il faut rechercher la mutation chez sa compagne ou chez
sa femme pour savoir quels sont les risques pour la descendance ? Ensuite, si on trouve
cette mutation chez la mère ou la future mère, quelle attitude avoir ? Quel choix faire ?
Comment peut-on prévenir la naissance d'enfants atteints de mucoviscidose ? Et il y a des
couples qui sont dans cette situation, et souvent ils découvrent cette situation parce qu'ils ont
eu des enfants atteints, un, puis deux, puis trois, et on fait les tests chez la femme et on se
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La génétique au service de l’Homme ?
rend compte qu'il y a ce problème, et se pose la question de la construction de leur famille et
d'avoir des enfants qui ne soient pas atteints. Jusqu'à une période relativement récente, on
pouvait faire un prélèvement sur le fútus au deuxième trimestre de la grossesse, faire
l'analyse sur le fútus, voir si le fútus était de ce type ou de celui-là et si le couple choisissait
et si le fútus était homozygote pour la mutation, on pouvait faire une interruption médicale de
grossesse, c'est-à-dire interrompre le développement. Situation extrêmement pénible et
extrêmement difficile pour les couples puisque souhaiter un enfant, devenir enceinte,
attendre le deuxième trimestre pour faire l'examen, et interrompre une grossesse d'un enfant
désiré n'est jamais une situation extrêmement simple et facile sur le plan psychologique,
sans parler des questions éthiques que cela soulève.
Il se trouve que puisque la fécondation est faite en laboratoire, puisqu'on peut faire se
développer ces embryons pendant plusieurs jours en laboratoire, cet embryon c'est un
embryon de huit cellules, ce qui correspond au troisième jour du développement
embryonnaire, on peut prélever une ou deux cellules de cet embryon sans empêcher le
développement de l'embryon, c'est-à-dire les autres cellules vont permettre de constituer un
être entier, normalement constitué. On peut analyser une ou deux cellules de cet embryon,
voir s'il est de ce type ou de celui-là et choisir de ne mettre dans l'utérus que les embryons
qui ne vont pas donner des enfants atteints. Et c'est ça le diagnostic préimplantatoire,
c'est-à-dire un diagnostic ultra-précoce qui est fait sur les embryons pour ne pas transférer
dans l'utérus des embryons qui vont donner une mucoviscidose et où vraisemblablement les
parents de toute façon souhaiteraient qu'il y ait une interruption médicale de grossesse si le
diagnostic était fait plus tard. Ce diagnostic préimplantatoire pose des questions
nombreuses, notamment parce que ça conduit immanquablement à ce qu'on appelle un tri
embryonnaire, ce qu'on appelle la cohorte des embryons puisque la fécondation in vitro va
permettre d'obtenir plusieurs embryons et pas un seul, de choisir ceux qui seront replacés
dans l'utérus.
Voilà des questions d'aujourd'hui, le diagnostic préimplantatoire c'est la naissance de
Valentin il y a quelques semaines, qui n'était pas une situation de mucoviscidose mais une
autre situation, c'est quelque chose de récent en France, mais cette technique se fait depuis
dix ans maintenant dans le monde entier et est pratiquée dans de très nombreux pays, et
c'est pour des raisons essentiellement de loi et de règlement que la pratique française a été
extrêmement tardive dans ce domaine. Et voilà le type de questions qui se posent là dans
cet exemple de mucoviscidose, et le type de choix auxquels sont confrontées les personnes
concernées et les médecins qui utilisent ce type de techniques. Mais on peut aussi aller un
peu plus loin dans cette question. Imaginons que ce couple constitué de cet homme et de
21
La génétique au service de l’Homme ?
cette femme ne souhaite pas avoir recours à cette technique très compliquée qui passe par
un prélèvement chirurgicale des spermatozoïdes, une micro-injection, etc., et ils disent qu'ils
choisissent d'avoir un enfant autrement, c'est-à-dire par don de spermatozoïdes, cet homme
est stérile, il ne peut pas avoir d'enfant et ce couple choisit d'avoir un enfant avec des
spermatozoïdes donnés par un tiers. Ce couple s'adresse donc au CECOS et souhaite avoir
un enfant. Nous savons que cette femme est porteuse de la mutation F508, nous devons
choisir le sperme d'un donneur pour ce couple, est-ce que l'on doit tenir compte de cette
information dans le choix du sperme du donneur, est-ce que nous devons faire des tests
chez le donneur pour essayer d'éviter l'apparition d'une maladie de type mucoviscidose chez
l'enfant ?
En effet, le donneur comme la femme a un risque sur vingt-cinq d'être porteur de la mutation.
Pour reprendre l'exemple de tout à l'heure ici il y a une centaine de personnes, il y en a
quatre qui sont hétérozygotes pour la mutation F508, sans le savoir. Quand un homme est
donneur de sperme, est-ce qu'il faut tenir compte de cette information pour utiliser ses
spermatozoïdes pour aider cette femme à avoir un enfant ? Si on ne cherche pas la mutation
chez le donneur et s'il est porteur de la mutation les risques sont les suivants : une fois sur
quatre les embryons pourront être homozygotes et donc atteints de mucoviscidose, une fois
sur quatre ils n'auront aucune mutation, et deux fois sur quatre ils seront hétérozygotes
comme les deux géniteurs. Connaissant ce type de risques, est-ce qu'il est licite de faire
cette recherche ? Ce risque est tellement fréquent dans la population que certains pays ont
d'ailleurs dit qu'il fallait systématiquement rechercher cette mutation quand on était dans une
démarche de procréation par don de spermatozoïdes, pour essayer d'éviter ce risque.
En France, dans les CECOS on a beaucoup de discussions sur ce sujet, et jusqu'à présent
notre attitude est de ne rechercher la mutation F508 chez le donneur que quand on sait que
la femme est porteuse elle-même de la mutation. Si on n'a pas l'information qu'elle est
porteuse de la mutation, à ce moment-là on utilise les donneurs qui n'ont pas été testés pour
cette mutation; si on sait qu'elle est porteuse le risque est tellement important, 25 %, que l'on
pense licite de rechercher la mutation chez le donneur.
Vous voyez que là le choix médical dans notre travail de la procréation est d'utiliser ou de ne
pas utiliser un test génétique pour essayer d'éviter l'apparition chez les enfants de maladies
génétiques. Cette situation est relativement claire et simple parce que cette mutation du
gène CFTR est bien connue, en fait c'est beaucoup plus compliqué, je vous le dis puisque
pour ce gène il y a des centaines de mutations qui ont été identifiées, la F508 est la plus
22
La génétique au service de l’Homme ?
fréquente, elle correspond à peu près à 60, 70 % des mutations en France, mais il y a
beaucoup d'autres mutations qui ont été identifiées. Mais les choses deviennent encore plus
compliquées quand il n'y a pas une mutation clairement identifiée avec une pathologie très
claire et très nette comme celle-là où 100 % des personnes atteintes pourront faire la
maladie, mais que l'on est confronté à des maladie comme celles que vous décriviez tout à
l'heure, où il ne s'agit plus de cette situation mais d'un facteur de risque. Et quand on
s'occupe de dons de sperme, ou a contrario de dons d'ovocytes, est-ce que l'on doit tenir
compte de facteurs de risque de maladies génétiques dans le choix du sperme d'un donneur
ou de l'ovocyte d'une donneuse ?
C'est là qu'est toute la question de la place de la génétique dans l'aide à la procréation par
dons, de savoir quels types de facteurs de risque il faut considérer, où est la limite ? A partir
de quand doit-on en tenir compte ou ne pas en ternir compte ? Quels sont les dangers que
cela représente, quelles sont les significations et quelles sont les modalités de la décision
que doit prendre le médecin en tenant compte des informations qu'ont les personnes, de leur
choix, de leur consentement, etc. C'était pour vous montrer comment actuellement, et non
pas du point de vue de la recherche, mais du point de vue de la pratique de l'aide à la
procréation de couples stériles, nous sommes confrontés à ces questions de génétique.
Françoise Bellanger
Nous allons terminer par les aspects juridiques et éthiques.
Brigitte Le Mintier
Vous m'avez demandé de traiter devant vous : thérapie génique, considérations éthiques et
juridiques. Avant d'aborder ce thème je souhaiterais apporter deux précisions sur ce sujet et
je ferai une remarque d'ordre général.
Les précisions d'abord, la première concernant le terme considérations juridiques, il n'est pas
question pour moi ce soir de survoler l'ensemble des législations des différents Etats sur la
thérapie génique, législation d'ailleurs qui est relativement rare sur ce thème, mais
davantage d'engager chez vous une réflexion sur la nécessité ou non de légiférer, donc
prendre position en tant que citoyen, pour savoir s'il faut ou non adopter des normes
juridiques sur la thérapie génique. Or, ces questions d'ordre juridiques sont liées aux
considérations d'ordre éthique. La seconde précision que je voulais faire c'était sur les
considérations éthiques, considérations éthiques cela veut dire qu'on nous invite à réfléchir
sur les dangers de la thérapie génique. Inutile de vous dire que je suis toujours extrêmement
gênée lorsque l'on me demande d'intervenir sur l'éthique, pourquoi ? Tout simplement parce
23
La génétique au service de l’Homme ?
que, vous le savez, l'éthique n'est absolument pas une science, c'est simplement une
réflexion et qu'à ce titre tout citoyen peut la mener ; donc, le juriste que je suis n'a aucun
privilège, absolument aucun, et aucune compétence particulière pour traiter de ces
questions. En revanche, je crois que la participation d'un juriste à une réflexion générale sur
des considérations éthiques liées aux pratiques scientifiques peut être intéressante à double
titre. D'abord par ce qu'il n'est pas partie prenante, je ne suis pas scientifique, je ne suis
intéressée que comme malade potentielle, et parce qu'en principe le juriste connaît ou est
censé connaître les règles de protection des personnes, et il peut être intéressant
effectivement dans une réflexion éthique de voir, en parallèle, si nous bénéficions ou pas de
protection. C'est donc finalement avec ce modeste profil que je me présente devant vous ce
soir.
Voilà pour les deux précisions, la remarque d'ordre général que j'aimerais faire porte sur les
bénéfices de la recherche, et notamment dans le cadre de la génétique. Je tiens à mettre en
avant pour commencer mon propos l'importance de la science parce que inévitablement,
vous allez le voir, en tant que juriste et qui plus est de spécialiste de droit des personnes je
vais inévitablement attirer votre attention sur les risques de la génétique. Je ne voudrais qu'à
cause de cela on oublie quand même l'essentiel, et je voulais commencer par dire que gr‚ce
à la recherche aujourd'hui et demain, aujourd'hui on l'a vu gr‚ce à vous, la génétique peut
beaucoup c'est vrai dans la lutte contre les souffrances sur notre planète.
Ces remarques préliminaires étant faites, je rentre dans mon sujet, et vu le laps de temps
extrêmement court qui nous est imparti et l'ampleur du sujet vous imaginez, considérations
juridiques et éthiques, j'ai essayé de résumer au maximum les idées qui me sont apparues
lorsque j'ai moi-même mené cette réflexion, et le message essentiel que je voudrais vous
faire passer ce soir c'est qu'il faut très bien savoir de quoi l'on parle car, vous allez le voir sur
le sujet de la thérapie génique, les termes utilisés ont une incidence considérable sur,
finalement, ce que l'on veut obtenir lorsque l'on parle de quelque chose, et le terme de
thérapie génique, vous allez le voir, illustre parfaitement ce propos.
Vous en conviendrez avec moi, dès que l'on parle de thérapie, le mot thérapie c'est soigner,
comment voulez-vous que l'on s'oppose à la pratique scientifique concernée, ou même que
nous ayons la moindre inquiétude, puisqu'il est question de thérapie et donc de soins. Or, les
choses ne sont pas aussi simples, et c'est ce que je voudrais vous démontrer ce soir pour
qu'ensuite sur n'importe quel thème en matière de bioéthique vous soyez toujours
extrêmement vigilants sur les termes qui sont utilisés devant vous. Le but de mon exposé va
donc être, d'une part, d'essayer de vous démontrer la nécessité de savoir exactement de
24
La génétique au service de l’Homme ?
quoi nous parlons lorsque nous parlons de thérapie génique et ensuite, une fois ces
distinctions opérées, de vous présenter les enjeux de chaque situation clairement identifiée
afin que vous puissiez, vous citoyens, mener votre propre réflexion sur ces différentes
situations.
Si ces deux étapes, savoir de quoi on parle et ensuite définir les enjeux, sont importantes
dans n'importe quel débat sur la pratique biomédicale, elles sont ici cruciales ; pourquoi ?
Tout simplement parce que la thérapie génique ou la manipulation génique, plus
généralement, risque non seulement comme beaucoup d'autres pratiques médicales de
porter atteinte à des droits fondamentaux, on sera amené à en parler et notamment au
principe de non-discrimination, mais aussi de porter atteinte ici à l'espèce humaine puisque,
vous le savez, la génétique peut permettre de modifier cette espèce humaine, donc l'enjeu
est tout autre lorsqu'il s'agit de génétique. De plus, je voulais là aussi insister, les enjeux
économiques dont on parle beaucoup mais pas suffisamment encore à mon avis, ces enjeux
économiques qui, on le sait, sont colossaux dans le domaine de la génétique car de
nombreux laboratoires dans le monde entier ont investi dans ce domaine, ces enjeux
économiques, il faut qu'on le sache bien, risquent inévitablement d'accentuer la pression sur
la mission des pratiques. Il vous suffit d'imaginer ce que représentent comme marché tous
les tests génétiques lancés sur la planète, donc il ne s'agit par pour moi de dénigrer là
encore l'aspect économique car l'aspect économique a aussi de bons côtés, mais d'insister
particulièrement sur cette donnée au vu des enjeux.
Voilà les précision que je voulais apporter avant d'aborder pleinement le sujet que vous
m'avez confié. A travers ce que je viens de vous exposer vous allez comprendre la
construction de mon exposé, je l'ai construit sur les distinctions à faire lorsque l'on parle de
thérapie génique. Il y a pour moi trois niveaux de réflexion, le premier c'est que la thérapie
génique n'est qu'une pratique en matière de génétique parmi beaucoup d'autres, et donc là
je voudrais attirer votre attention pour voir les questions qui peuvent se poser à vous ;
ensuite, deuxième niveau, voir avec vous ce qui est thérapie génique, et j'insisterai là sur le
danger d'une simplification du langage; et enfin, lorsque j'aurai au niveau de la thérapie
génique, car je vais insister sur la distinction thérapie génique sur cellules germinales,
c'est-à-dire lorsque l'on va traiter une cellule que vous allez transmettre à votre
descendance, ça c'est sur cellules germinales, ou la thérapie génique qui va travailler sur
vos cellules à vous et qui ne concerneront que vous et non pas la lignée. Donc, quand on
aura fait cette distinction, on pourra ensuite aborder les aspects éthiques de ces deux types
de thérapie génique, ce sera le troisième point.
25
La génétique au service de l’Homme ?
Le premier point, je vous l'ai dit, la thérapie génique n'est qu'un aspect des manipulations
génétiques que l'on peut effectuer sur l'Homme. Pourquoi ? parce que si on peut utiliser les
gènes pour soigner, et heureusement, bien d'autres utilisations des gènes sont possibles et
donc on peut utiliser les gènes, c'est la transgénèse, toutes pratiques qui aboutiraient
finalement à modifier des cellules sans avoir l'intention de soigner, sans intention
thérapeutique ; exemple, la création de chimères où, vous le savez très bien, on pourrait
modifier l'espèce humaine pour atteindre une certaine perfection, on en parle, atteindre une
certaine perfection ou du moins l'image que l'on peut avoir de la perfection.
Après cette première question, vous le voyez, qu'il faut se poser en tant que citoyen, c'est
faut-il, en amont, interdire et condamner ces manipulations génétiques sans but
thérapeutiques ? Là où je voudrais insister c'est que le débat sur la thérapie génique ne doit
pas masquer cet autre débat qui doit, à mon avis, se réaliser à un moment, et donc quand on
parle de thérapie génique il faut pouvoir se situer déjà en amont pour autre chose. C'est vrai
que, a priori, on pourrait penser que le simple fait que dans nos textes internationaux nous
ayons le principe de respect de la dignité humaine pourrait suffire à interdire de telles
manipulations, je n'en suis pas convaincue et je pense qu'il faut que des positions claires
soient prises par les Etats, car dans les manipulations ou dans la transgénèse en général il y
a l'aspect visible, on peut modifier l'espèce humaine, mais il y a à mon avis des choses plus
pernicieuses, des dangers moins perceptibles comme tous ceux qui conduiraient à accroître
dans notre société toutes les discriminations, et incidemment à accroître la marginalisation
des handicapés ou des personnes gravement malades. Tout simplement parce que, vous le
savez, la possibilité de l'être parfait marginalisera inévitablement tous ceux qui s'éloignent de
cette perfection. Donc, voilà le premier point, je vous laisse méditer sur cette première
question que vous devez vous poser.
Deuxième question : de quoi parle-t-on quand on parle de thérapie génique ? On l'a vu, on
vous l'a très bien expliqué, c'est l'utilisation d'un gène pour soigner, or, vous devez le savoir,
sous le terme générique de thérapie génique une distinction doit être faite entre, d'un côté la
thérapie génique sur ce qu'on appelle les cellules somatiques, c'est-à-dire les cellules qui ne
concernent que le seul malade, donc on va modifier vos gènes mais ça va s'arrêter à vous,
et la thérapie sur cellules germinales, dans ce cas-là on va bien soigner mais on va
transmettre le gène modifié à la descendance. On le voit, les répercussions ne seront pas
les mêmes. Or, en pratique au niveau du langage les milieux scientifiques ont tendance,
j'allais dire à nier cette distinction, ce n'est pas nier d'ailleurs, je crois que le terme est
impropre, c'est davantage à sous-estimer l'intérêt de cette distinction au motif que le
scientifique naturellement, lui, il parle de thérapie génique, on sous-entend qu'il parle de
26
La génétique au service de l’Homme ?
thérapie génique somatique. Donc, lui, je le crois quand il parle de thérapie génique, qu'il
parle de thérapie sur cellules somatiques, néanmoins je pense que cette simplification est
dangereuse parce qu'elle peut occulter un débat sur la thérapie génique sur cellules
germinales. Donc je crois, quand il y a information, et notamment information des citoyens,
qu'il est important de bien savoir de quoi on parle, c'est ce que je voulais faire dans ce
second point.
Le troisième point, puisqu'on a fait cette distinction, si la thérapie génique concerne aussi
bien la thérapie sur cellules somatiques ou sur cellules germinales, quels sont les enjeux
éthiques de ces deux pratiques ? Alors ça n'a rien à avoir, bien évidemment, néanmoins il y
a quand même des enjeux sous chacune de ces pratiques. J'aborde d'abord la thérapie sur
cellules germinales qui est, vous vous en doutez, celle qui pose les problèmes éthiques les
plus importants. La thérapie génique germinale a pour finalité de transformer le patrimoine
génétique d'un individu, et donc de sa descendance et, vous le voyez, inévitablement une
modification à long terme de l'espèce humaine. Elle est actuellement interdite en France et il
y a une condamnation quasi-universelle, et on pourra y revenir au niveau du débat, de cette
pratique même si elle ne se traduit pas bien souvent dans les textes. Néanmoins, des
discussions, et principalement aux Etats-Unis, se multiplient sur l'éventuel recours à ce type
de manipulations. Là aussi il faut que vous y pensiez, et la question qui se pose alors à nous
citoyens c'est de savoir si pour soigner, puisque c'est quand même l'objectif, nous sommes
prêts à accepter de prendre les risques, risques liés à la transmission de ces gènes modifiés
à notre descendance, sachant qu'on ne peut prendre que des risques puisque c'est en
fonction de nos connaissances aujourd'hui, et les scientifiques, la nature humaine étant
particulièrement complexe, n'ont qu'une vision à un moment T qui est celui de notre époque,
et dans quelque temps on s'apercevra peut-être que cette transmission des gènes a modifié
autre chose. Donc, est-ce qu'on l’accepte pour soigner ?
La réponse n'est pas facile car la simple idée de pouvoir soigner quelqu'un ou une
population est en elle-même tellement forte dès qu'on parle de thérapie, surtout lorsque l'on
a autour de soi des proches qui sont atteints par des maladies qui pourraient éventuellement
être traitées, vous le voyez, ce c'est pas évident de prendre position. Malgré la force de cette
idée et de se dire que c'est pour soigner, je crois que nous devons être en parallèle, et nous
le savons, responsables de nos décisions d'aujourd'hui vis-à-vis des générations futures.
Nous devons réfléchir aux conséquences de nos choix pour l'avenir de l'humanité, et vous le
voyez bien déjà à ce stade de la réflexion, la réponse notamment de dire aux scientifiques
que oui nous sommes prêts, même sur cellules germinales, à leur donner une autorisation,
27
La génétique au service de l’Homme ?
cette autorisation d'emblée elle ne vient pas aussi facilement que cela parce que les enjeux
sont importants.
Mais la réflexion se complique encore, toujours pour la thérapie sur cellules germinales, si ce
que l'on a déjà du mal à accepter pour soigner risque de s'étendre à la recherche du
bien-être. Je m'explique, une fois que les thérapies sur cellules germinales seront admises,
si elles sont admises pour soigner bien sûr, ne risque-t-on pas et très vite sous la pression
de l'individualisme d'admettre des thérapies sur cellules germinales, avec là encore les
risques sur la descendance que l'on ignore, pour d'autres motifs que de soigner. Exemple,
est-ce qu'on ne pourrait pas utiliser cette thérapie pour soigner, après sur cellules
germinales, ce ne serait plus d'ailleurs une thérapie, ce serait une intervention sur les
cellules germinales pour simplement améliorer une lignée d'individus. Et on peut très bien
concevoir que certains scientifiques ou certains Etats puissent être tentés un jour d'enrichir
éventuellement le patrimoine génétique de l'humanité d'un gène de résistance à beaucoup
de maladies, au paludisme, au Sida, pourquoi pas, et surtout n'auront-ils pas ces Etats une
volonté d'éradiquer les maladies génétiques qui représentent inévitablement un coût social
importants et qui affectent de nombreuses familles.
Le glissement de ce thérapeutique vers l'assouvissement de désirs personnels est loin d'être
utopique, car je vous signale que c'est ce qui se passe déjà pour l'acte médical traditionnel.
Rappelez-vous, en France qui est un pays d'influence romano-germanique, pendant très
longtemps et encore récemment pour intervenir le médecin devait avoir une nécessité
thérapeutique, et aujourd'hui il y a beaucoup d'hypothèses où il intervient en dehors de cette
nécessité thérapeutique, lorsqu'il procède à une interruption de grossesse il n'y a pas de
nécessité thérapeutique, ou lorsqu'il fait de la chirurgie esthétique, je ne parle pas bien sûr
de la chirurgie réparatrice à la suite d'un accident, mais une chirurgie esthétique pure,
l'intérêt thérapeutique est discutable. Donc, ce glissement qui a existé, ou qui existe
aujourd'hui pour l'acte médical on pourrait très bien le voir ensuite en matière de thérapie
génique sur cellules germinales.
La question que l'on doit alors se poser c'est de savoir si à partir du moment où un individu
consent, ou demande à un scientifique qui pourra le faire, une thérapie germinale parce qu'il
veut en retirer un bénéfice pour lui ou sa descendance, même s'il existe des risques, savoir
si ce consentement est suffisant, ou si on estime que cela ne relève plus d'une relation
privée patient/médecin, mais de l'ensemble de la société car les risques sont beaucoup trop
importants sur l'espèce humaine. La question, vous le voyez, est d'envergure car, je le
répète, derrière la génétique les enjeux économiques sont importants et il y aura une
28
La génétique au service de l’Homme ?
pression inévitable. Voilà pour la thérapie sur cellules germinales, celle qui pose les
problèmes éthiques les plus importants.
Quelques mots sur la thérapie sur cellules somatiques. Là on est très loin de ce genre de
considérations, néanmoins deux remarques, la première c'est que c'est l'utilisation d'un gène
pour soigner donc il faudra retrouver exactement les mêmes règles que pour les
médicaments, c'est-à-dire s'assurer de la protection de la personne par rapport à la
tolérance, les effets secondaires, etc., je n'insiste pas, ça n'a pas un intérêt spécifique par
rapport à tout médicament. Mais une autre question que vous devez vous poser, si on admet
la thérapie sur cellules somatiques pour soigner, est-ce qu'on peut l'étendre non plus pour
soigner, mais pour améliorer des performances, c'est-à-dire qu'ici est-ce qu'on pourra encore
parler de thérapie lorsque l'on utilisera des gènes, non pas parce que vous êtes malade,
mais parce que vous allez vouloir être plus grand, courir plus vite, être moins gros, etc.
Est-ce qu'on est encore dans la thérapie ou pas ? La question n'est pas évidente parce que
le désir obsessionnel d'être petit est-ce que c'est de la thérapie ou pas, ou est-ce que c'est
du désir ou de la convenance ? Vous voyez la question n'est pas évidente là non plus. Vous
le voyez, le terme thérapie est très lourd de significations et de conséquences éventuelles, il
est donc important que vous ayez en tête toutes ces considérations.
Au terme de cet exposé, je voudrais faire deux remarques, une d'ordre personnel et l'autre
d'ordre général. Celle d'ordre personnel c'est que, attention, mon intervention n'est surtout
pas un plaidoyer pour l'immobilisme, je veux être claire, ou le refus de tenir compte des
progrès. Mon objectif n'est pas de contester la nécessité de faire évoluer la société, loin de là
est mon idée, ce serait absolument irrespectueux de tous ceux qui souffrent et qui sont
malades, mais simplement d'être prudente, et c'est vrai que je veux préciser que ça ne veut
pas dire un refus du progrès, car aujourd'hui dès que vous êtes prudents on vous soupçonne
de refuser le progrès. Pourquoi ce n'est pas cela ? Parce que je crois qu'il ne faut pas se
voiler la face, qu'est-ce que c'est qu'être des citoyens responsables ? Etre responsable ce
n'est pas seulement être capable d'interdire, on interdit parce que les enjeux sont essentiels,
mais être responsable c'est aussi autoriser, permettre justement parce que ça va apporter du
bien pour l'humanité. Donc, vous le voyez, la position de citoyen responsable est ambiguÎ, on
ne peut pas rester en attente si on peut faire des choses.
Et la seconde remarque que je voulais faire est relative aux choix que nous serons amenés à
faire. Ces choix seront inévitablement incertains, ils seront incertains ne serait-ce que parce
que les connaissances scientifiques sont toujours limitées, et il ne peut pas en être
autrement car nos choix sont par nature humain et ce qui est humain est incertain. Mais ces
29
La génétique au service de l’Homme ?
choix que nous ferons, s'ils sont incertains ils auront au moins le mérite d'exister, car je crois
que ce qu'il y a de pire dans une société c'est le laisser-faire et de se résigner. Ce qui donne
un sens à nos vies c'est l'engagement que nous avons à l'égard des autres et ici à l'égard de
ceux qui nous suivront ; mais pour que ces choix se rapprochent le plus possible d'un idéal
de dignité humaine, je crois qu'il faut que chacun d'entre nous puisse réfléchir et s'exprimer.
Et ce type de manifestations qui permet à tous de s'informer va en ce sens, et je tenais à ce
titre à vous féliciter pour ce type de manifestations et, de plus, votre présence ici témoigne
de votre engagement. Je pense que c'est par l'engagement de chacun qui deviendra
l'engagement de tous, que nous pourrons allier, j'en suis intimement persuadée, les progrès
et le respect de la dignité humaine.
Françoise Bellanger
Nous allons vous passer la parole, mais juste avant, dans la foulée de ce que vient de dire
Brigitte Le Mintier, je voudrais poser une question peut-être à Alain Fischer sur la thérapie
génique sur cellules germinales, c'est à la fois inquiétant, on recherche, qu'est-ce qu'on fait ?
Alain Fischer
Je pense que la thérapie génique germinale stricto sensu n'a pas de sens, parce que ce
n'est pas une thérapie, si on veut soigner quelqu'un, on va soigner la personne et l'organe
malade de la personne, on ne va pas soigner ses spermatozoïdes ou ses ovocytes. Donc, si
on veut faire une soi-disant thérapie génique germinale c'est qu'on a un but de modification
de patrimoine génétique pour la descendance, donc ce n'est pas une thérapie pour moi. En
ce sens, personnellement, sur un plan strictement éthique, ça me permet d'évacuer assez
rapidement la question. Cela dit, s'il y a un plan pratique qui se pose et qui est plus difficile,
c'est qu'une certaine forme de thérapie génique somatique consiste à injecter au patient le
vecteur, les vecteurs dont je parlais tout à l'heure, avec les gènes par voie intraveineuse,
voie dans l'organisme, et il y a un risque plus ou moins fort que ce vecteur, non seulement
touche l'organe cible, mettons les poumons si c'est la mucoviscidose, mais aussi les cellules
germinales. Et donc on nous demande légitimement actuellement à nous, potentiels
investigateurs de la thérapie génique chez l'Homme, de démontrer le mieux possible que
nous ne prenons pas le risque de modifier le patrimoine des cellules germinales des
individus que nous allons traiter. Donc, même si on n'en a pas la volonté ceci peut se
produire du fait de l'imprécision et des limites des techniques disponibles aujourd'hui, et c'est
une vraie question pratique qui se pose au-delà de l'aspect strictement éthique.
J'aurais deux questions générales, une touchant la génétique du point de vue scientifique, et
une touchant le droit. La génétique du point de vue scientifique, quand vous avez une
30
La génétique au service de l’Homme ?
maladie qui n'est pas purement génétique, est-ce que vous arrivez relativement facilement
ou difficilement à dire ce que en plus des facteurs génétiques, les facteurs
environnementaux par exemple, existent et à ce moment-là ça modifie probablement
totalement, d'un point de vue scientifique le risque que l'on prétend prendre, ou que le
malade prétend prendre.
Et ma question sur le droit, dans le droit c'est toujours très gênant parce que tout le monde
n'est pas d'accord, c'est-à-dire que ça dépend, on a créé des comités d'éthique, pour qu'ils
soient relativement objectifs on a pioché dans la population des catholiques, des protestants,
etc., et encore les comités d'éthique, et on a bien conscience de la relativité de l'éthique,
c'est qu'ils n'ont qu'un avis consultatif, donc on prend vraiment l'éthique avec des pincettes
et, d'autre part, il y a très longtemps quand j'étais jeune médecin, au sujet de l'IVG je me
rappelle d'une petite malade qui est morte parce que l'IVG était interdite à l'époque en
France, alors qu'elle était permise ailleurs, alors qu'est-ce qu'une éthique qui est limitée par
des frontières ? Moi, ça me paraît tout à fait artificiel.
Brigitte Le Mintier
Les comités d'éthique n'ont pas le rôle de nous dire ce qu'on doit faire ou pas, ils sont là et ils
doivent être simplement là pour justement avancer des arguments, les échanger et,
éventuellement, ce qui est intéressant dans les avis des comités d'éthique ce n'est pas à la
limite l'avis lui-même ou ce qu'il décide, c'est l'échange d'arguments, donc les comités
d'éthique n'ont aucune valeur juridique. Alors quand est-ce qu'il va y avoir passage de
l'éthique au droit ? La source du droit c'est le Parlement, ce sont nos politiques c'est-à-dire
nos représentants, les représentants des citoyens qui vont décider à un moment ou à un
autre sur un sujet d'intervenir, et le droit va intervenir, soit pour interdire, soit pour encadrer,
soit pour autoriser purement et simplement. Et c'est là que je considère que c'est aux
citoyens, à nous, de militer auprès de nos représentants au Parlement pour défendre une
position. Mais, à la limite, même lorsque l'on a des lois, et elles ne sont pas unanimes sur la
planète, ça n'enlève rien à la discussion éthique, c'est un choix à un moment fait par une
société, un choix d'ailleurs qui peut évoluer, un choix là encore humain dans une société,
dans une culture donnée parce que d'une culture à l'autre les perceptions ne sont pas les
mêmes. Donc je crois qu'il faut être très clair entre l'éthique et le droit, le droit c'est des
règles de société que l'on définit ensemble, sachant que ça ne règle pas tout et qu'il y a des
choses qui relèvent simplement de l'éthique et qu'à la limite ces comités peuvent aider le
médecin en son ‚me et conscience en fin de parcours à prendre seul la décision, et que ce
n'est pas le législateur qui va ici pouvoir lui donner la solution.
31
La génétique au service de l’Homme ?
J'ai une question au premier conférencier, vous avez parlé à un moment donné dans la
formation voulue de nouvelles molécules de ni trop, ni trop peu, y a-t-il un moyen de limiter
ou d'augmenter précisément la formation de ces nouvelles molécules ? Et, d'autre part, au
point de vue plasticité des cellules, est-ce que cette plasticité on l'oriente, est-ce que ces
cellules si on veut qu'elles soient une forme de cellule, il y a un manière de les orienter ?
Au deuxième orateur je voulais poser la question suivante : j'ai bien compris le retrait des
tests au point de vue de la pneumocystose pour une filiation directe, mais peut-on dans le
cadre précisément de cette ambiance légale qui nous environne actuellement, ne peut-on
vous reprocher par la suite de ne pas avoir fait les tests dans une filiation directe ? Je
comprends parfaitement votre position, mais je me demande si d'un point de vue légal vous
ne risquez pas dans le futur d'avoir des poursuites judiciaires.
Alain Fischer
Les deux questions que vous posez sont des questions actuelles de recherche, les solutions
ne sont donc pas loin d'être à trouver aujourd'hui. Effectivement, réguler l'expression d'un
gène pour qu'il n'y ait ni trop, ni trop peu, ou éventuellement même faire varier dans le temps
l'expression du gène, dans certains cas c'est nécessaire, ce sont des questions difficiles, on
a des systèmes qui permettent de faire qu'un gène s'exprime plus ou moins bien, cela dit
dans la pratique, dans un grand nombre de situations que l'on cherche à traiter par un
transfert de gènes, par une thérapie génique, on n'a pas le résultat que l'on cherche
c'est-à-dire on a ou trop, mais c'est rare, on a plutôt en général trop peu pour l'instant. Mais
ces questions sont en plein sujet d'actualité de recherche et, encore une fois, une des
questions derrière les plus difficiles est d'essayer d'obtenir l'expression de gènes de façon
transitoire lorsqu'on a besoin qu'ils soient présents à un moment donné, et qu'ils ne soient
plus exprimés après, et puis éventuellement réexprimés à un autre moment. Il y a des pistes
de recherche, mais on est loin d'être au bout des efforts.
La seconde question concernant la plasticité, oui il faut l'orienter, il faut essayer de l'orienter,
on sait le faire plus ou moins bien avec des facteurs de croissance, des facteurs de
différenciation qui permettent qu'à partir d'une cellule souche, par exemple présente dans la
moelle osseuse, on peut plutôt obtenir, par exemple, des cellules du cartilage, on sait faire
ça un peu, donc globalement toute cette différenciation de cellules souches vers des tissus
qui n'étaient pas, a priori, ceux vers lesquels on pensait qu'ils étaient destinés, peut
s'orienter, mais aujourd'hui on ne sait pas faire cela parfaitement de telle manière qu'on
puisse l'utiliser en thérapeutique encore.
32
La génétique au service de l’Homme ?
Françoise Cornélis
Pour la troisième question qui est excellente comme les deux premières, je vous remercie de
la poser parce que ça me permet d'attirer votre attention sur le point suivant : il y a deux
risques en fait sur le plan juridique, mais le juridique ça n'est que la traduction finalement
d'une erreur, d'une manière ou d'une autre.
Le premier c'est de ne pas avoir fait le test alors qu'on se rend compte finalement qu'on
aurait dû le faire, c'est un sujet difficile de faire un test génétique, le résultat va être
permanent pour l'individu qui est testé, le résultat du test génétique c'est un morceau de la
carte d'identité biologique de la personne et il est là pour le restant de ses jours. Ce résultat,
qu'on le veuille ou non, donne des informations sur les parents de la personne qui a été
testée, qu'elle le veuille ou non, que ses parents le veuillent ou non, ça donne des
informations ; si on teste pour la mucoviscidose et qu'on a un résultat qui montre qu'il y a des
variants mutés, ça veut dire qu'il y a un des deux parents qui a le variant muté, qu'on le
veuille ou non, le résultat d'un test génétique implique de manière permanente la personne
jusqu'à la fin de ses jours, et implique directement ses parents. Donc, il faut bien réfléchir s'il
faut le faire ou pas.
Et alors c'est vraiment la question qui se pose à mon avis le mieux dans ce cadre, dans le
cas des sociétés savantes, par exemple la Société Française de Génétique Humaine, et je
suis le modeste Secrétaire d'une commission qui a pour objectif de se pencher sur les
différents tests qui sont possibles, quelles sont les situations médicales dans lesquelles ces
tests ont un intérêt pour la personne, et le travail de cette commission est justement
d'identifier ces situations, et dans ces situations ce serait une erreur médicale de ne pas le
proposer à la personne. Dans les autres situations, dans l'état actuel des connaissances, il
n'y a pas d'intérêt démontré et on peut très bien se protéger, j'espère en tout cas, sur le plan
juridique par le fait que la société savante à cette époque-là de l'histoire de l'humanité
estimait qu'il n'était pas utile de faire un test.
Quand faut-il le faire ? A mon avis, quand les sociétés savantes ont émis un avis consensuel
disant que dans telle situation pour telle raison le bénéfice est concret, on peut faire ce test.
Mais j'attire surtout votre attention sur le risque énorme d'être testé par la connaissance
qu'apporte le résultat du test. En dehors de l'aspect éthique individuel et familial, vous êtes
testé pour, par exemple, une de ces mutations qui risquent de causer le cancer du sein, que
risque-t-il de se passer vis-à-vis des assurances ? Est-ce que vous ne risquez pas, c'est le
sujet de la discrimination qui a été évoqué, est-ce que vous ne risquez pas qu'une assurance
ayant cette information augmente votre prime d'assurance ? Est-ce que vous ne risquez pas
33
La génétique au service de l’Homme ?
de simplement ne plus pouvoir être couvert, simplement parce que l'assureur a peur ?
L'assureur a peur, et éventuellement à tort, le risque est terrible, le cancer du sein c'est une
maladie terrible, mais c'est seulement à 80 ans que le risque est de 80 %, donc ce n'est pas
tout de suite, une jeune femme ‚gée de 20 ans, si par malheur elle est positive pour ce test,
elle a quand même une grande probabilité de ne pas développer la maladie avant le temps
où la médecine saura utiliser ces informations pour prévenir l'apparition du cancer.
Je crois qu'il faut que vous soyez bien conscients du risque d'un résultat de test génétique, il
est permanent, il vous concerne pour votre vie entière, et on ne sait pas quel usage
malencontreux pourrait fait par la société en fait, pas par vous, par la société. Et là il faut que
vous sachiez que vous avez le droit de ne pas savoir, vous avez le droit de ne pas être
testés, même si un médecin vous propose un test génétique vous avez le droit de ne pas
vous faire tester, c'est un droit qui vous revient et qu'il faut défendre à mon avis
farouchement pour qu'au moins les personnes aient cette possibilité.
Je réalise actuellement une thèse sur le droit du clonage humaine, et il m'est apparu que
vous ne parliez pas du clonage reproductif, ce qui est quand même pour moi très, très
important, voire vital. Pourriez-vous me dire au niveau scientifique ainsi qu'au niveau
juridique ce que vous pensez de ce sujet ?
Alain Fischer
Je veux bien dire un mot, mais sous le contrôle de Pierre Jouannet. Le clonage reproductif
c'est de reproduire chez l’Homme ce qui a été fait avec les brebis et qui est le même principe
au niveau scientifique que ce que j'ai rapidement évoqué à la fin de mon exposé concernant
le clonage thérapeutique, c'est-à-dire c'est reproduire un individu à l'identique avec
exactement le même patrimoine génétique, mais dans le cas du clonage c'est pour faire un
deuxième individu semblable, donc un vrai jumeau. Scientifiquement parlant, on ne sait pas
le faire chez l’Homme aujourd'hui, on espère que personne n'a essayé de le faire, mais en
théorie et compte tenu du fait que ça a été réussi, avec quelques déboires mais néanmoins
réussi, chez quelques mammifères pas si lointains que cela de l'Homme, on peut imaginer
que tôt ou tard quelqu'un pourrait scientifiquement être capable de le faire.
Ensuite on arrive à l'aspect éthique, et là on est en plein dans le débat évoqué tout à l'heure,
est-ce que la société peut accepter une telle modification du patrimoine génétique qui irait
jusqu'à reproduire à l'identique des individus ? Je pense que la condamnation à ce jour est
tout à fait claire, néanmoins on n'est pas complètement à l'abri que tel ou tel groupe, ou que
tel ou tel Etat pour des raisons plus ou moins avouables, et plutôt largement inavouables,
34
La génétique au service de l’Homme ?
veuille se lancer dans ce type d'entreprise. Donc, même si on l'interdit, même s'il y a des
grandes déclarations universelles sur ce point, je pense que le contrôle et la vigilance
doivent être stricts.
Mais je voudrais revenir un instant sur le clonage thérapeutique qui, à mon avis, pose un
problème beaucoup plus difficile de discussion éthique, parce que le clonage thérapeutique
a un but thérapeutique, et que l'intérêt thérapeutique potentiel si on est capable de réaliser
ce que j'ai indiqué rapidement, c'est-à-dire qu'à partir du noyau d'une cellule somatique d'un
individu placé dans un ovocyte énucléé prélevé chez une femme et qu'on génère un
embryon à but thérapeutique pour développer des cellules qui vont permettre de réparer un
organe lésé par telle ou telle maladie, il y a un vrai but thérapeutique potentiel, si ça marche
c'est vraiment intéressant, et c'est d'autant plus intéressant qu'il n'y a pas de problème de
compatibilité et donc ces cellules ne vont pas être rejetées, donc l'intérêt thérapeutique
potentiel est énorme.
Néanmoins, les questions éthiques le sont tout autant, elles sont au moins de deux natures,
l'une est : est-ce qu'on a le droit de créer un embryon qui est donc une potentialité de vie,
dans un but thérapeutique pour un individu donné, donc indépendamment de la potentialité
de vie de cet embryon ? c'est une première question à laquelle il n'est pas simple de
répondre, chacun a probablement une position de nature philosophique sur cette question, et
la seconde question, mettons qu'on résolve par le positif la réponse à la première question,
dans quelles conditions peut-on prélever des ovocytes à une femme dans un but
thérapeutique pour un autre individu, pour quelle personne, dans quelles conditions ? Pour
l'instant, la position en tout les cas en France est clairement défavorable à cette possibilité
thérapeutique, mais je pense que le débat n'est pas prêt d'être évacué si, comme on peut
éventuellement le penser, dans x années cette possibilité thérapeutique s'avère possible.
Brigitte Le Mintier
Sur le plan juridique, c'est vrai que le clonage reproductif est d'une manière générale
condamné, même s'il y a encore l'existence de textes, pas forcément spécifiques mais c'est
lié à la recherche sur l'embryon ou autres. Néanmoins, aux Etats-Unis c'est vrai que le
problème est un peu spécifique puisque l'interdiction est venue du fait qu'on a refusé tout
financement à tout ce qui est secteur public pour faire de la recherche en ce sens, ce qui ne
réglemente pas tout le secteur privé, et il y a eu même sur le secteur public une évolution,
puisqu'on est revenu un petit peu en arrière, et à certaines conditions dans le secteur public
on pourrait non pas faire du clonage reproductif, bien sûr, mais de la recherche sur
l'embryon. En revanche, le clonage reproductif ici est condamné d'une manière générale. En
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La génétique au service de l’Homme ?
revanche, vous le savez, concernant le clonage thérapeutique la Grande Bretagne affiche la
possibilité de ce clonage.
Pierre Jouannet
La question du clonage reproductif est très compliquée, avoir une opinion dans le domaine
est aussi très difficile, personnellement je suis tout à fait contre, mais je crois qu'on ne peut
pas balayer comme ça les questions du clonage reproductif en disant que c'est horrible,
atroce, etc.
Plusieurs observations : tout le monde est d'accord pour dire que le clonage reproductif dans
l'espèce humaine il ne faut pas le faire. Mais en même temps, on finance des recherches sur
le clonage reproductif dans d'autres espèces, en France et dans d'autres pays, et il faut être
clair, il faut être conscient que le développement des technologies pour mettre en place le
clonage reproductif chez d'autres mammifères, qu'il s'agisse des moutons, des vaches ou
autres, feront que ces techniques seront complètement et très facilement applicables à
l'espèce humaine, et donc il faut être lucide, il faut être conscient que ce qui est important ce
n'est pas simplement la technique, c'est l'usage qu'on en fait, et les raisons pour lesquelles
on en fait.
Maintenant, qu'est-ce qu'on peut dire ? C'est que le clonage reproductif n'est pas du tout au
point, même du point de vue de la sécurité, et il y a quelques veaux qui sont nés, quelques
moutons qui sont nés, et on se rend compte que c'est loin d'être évident, que les petits qui
naissent de ces clonages ne sont pas en bonne santé, qu'il y a plein de problèmes de
développement, et même si la technique était au point dans l'espèce humaine ce serait sans
doute une catastrophe de vouloir l'appliquer à cause des risques qu'il y aurait, et de toutes
les inconnues qu'on a dans ce domaine. Il faut aussi savoir que toutes ces techniques
posent beaucoup de questions du point de vue de la sécurité, et en matière de technique
c'est aussi quels sont les objectifs et quelle est l'innocuité de ces techniques en fonction des
objectifs que l'on a ; quand il s'agit de faire un enfant, quel type de risques peut-on prendre ?
Si je suis contre, c'est pour d'autres raisons, c'est parce que je pense qu'avec le clonage
reproductif on franchit une limite dans ce que j'appellerais la transgression de ce que l'on
peut faire sur l'espère humaine. En effet, contrairement à tout ce qu'on a évoqué jusqu'à
présent, le clonage reproductif pose deux sortes de problèmes, non pas qu'on va reproduire
un être à l'identique, parce que je pense que l'être qu'on ferait par clonage reproductif ne
serait pas identique de celui chez lequel on a pris le noyau. D'ailleurs, vous avez peut-être vu
que les petits veaux qui sont nés par clonage reproductif à l'INRA, tous à partir de cellules de
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La génétique au service de l’Homme ?
même origine, etc., ils n'étaient pas identiques, les taches du pelage noir et blanc de ces
veaux qui étaient des clones absolument identiques sur le plan génétique, elles n'avaient pas
la même forme, elles n'avaient pas la même taille, donc ça montre aussi, comme vous le
disiez, qu'il ne suffit pas d'avoir les mêmes gènes pour être identique. Le clonage reproductif
ce n'est pas forcément une photocopie, pour ne parler que du physique et pas du reste.
Maintenant, la transgression pour moi elle est ailleurs, elle est dans le fait qu'accepter le
clonage reproductif c'est renoncer à la procréation sexuée, ce qui fait la base de l'espèce
humaine comme de la plupart des espèces c'est qu'on a une reproduction sexuée,
c'est-à-dire que la procréation c'est la rencontre de deux sexes, c'est la rencontre de deux
cellules qui viennent de deux cellules différentes, et ça c'est une des lois fondamentales de
la nature. Et là on transgresse cette loi fondamentale, et moi ça me pose un problème
fondamental important.
Il y a une deuxième transgression qui est peut-être encore plus importante, c'est qu'à
l'occasion de la procréation on a un mélange des gènes qui se fait dans les cellules
sexuelles, dans le spermatozoïde et dans l'ovocyte, au moment de la fabrication qui est un
brassage de tous les gènes de toutes les générations précédentes, et ce brassage de gènes
est une des conditions du maintien de la diversité biologique et de la caractérisation de la vie
de l'espèce, c'est parce qu'il y a ce brassage de gènes d'une génération à l'autre que les
espèces existent toujours. Si ce brassage de gènes n'existait pas, il est vraisemblable que
progressivement les espèces s'éteindraient. Si on ne se place pas du point de vue de
l'individu qui cherche à se cloner parce qu'il a un problème quelconque et qu'il veut avoir un
enfant par clonage, mais si on se place du point de vue de l'espèce dont on fait partie, et
dans une vision plus cosmogonique de la vie, le clonage pour moi est un vrai problème
fondamental et personnellement je ne suis pas du tout prêt à accepter qu'on transgresse de
telles lois fondamentales, et je pense que ça mériterait qu'on y réfléchisse sérieusement.
Voilà les raisons pour lesquelles je suis contre le clonage.
Est-ce qu'il y a des problèmes de stérilité, parce qu'on en a parlé tout à l'heure, qui peuvent
être liés par exemple à une mauvaise alimentation ? Est-ce que si on a une alimentation qui
n'est pas suffisamment riche, par exemple, est-ce qu'on peut avoir des problèmes de stérilité
qui viennent de ce type de carences alimentaires ?
Pierre Jouannet
Il n'y a pas vraiment de problèmes de stérilité qui sont liés à des carences alimentaires, à
moins que ce soient des carences majeures énormes et qui se manifestent par une atteinte
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La génétique au service de l’Homme ?
majeure de l'état général, et encore, les populations humaines qui sont confrontées à de
grandes difficultés alimentaires se reproduisent et ont des enfants.
Il y a une seule carence dont on a démontré qu'elle altérait la production des spermatozoïdes
de manière très, très nette chez le rat c'est la carence en vitamine A qui se manifeste par
une diminution de la production des spermatozoïdes, mais une carence totale, et il y a
suffisamment de vitamines A dans tous les aliments pour que le problème ne se pose pas
chez l’Homme, donc on peut dire que globalement il n'y a pas de lien clair entre des
problèmes d'alimentation, de sous-alimentation et des problèmes de stérilité, ou même
d'hypofertilité ou d'infertilité.
J'ai entendu dire qu'il y avait des sociétés d'assurance qui avaient eu gain de cause car elles
s'étaient adressées à des laboratoires et qu'on leur avait communiqué le résultat de certains
tests au moment de la recherche du génome humain, j'ai entendu cette information et je
voudrais savoir ce qu'il en est.
Brigitte Le Mintier
Juridiquement, la réponse est claire, en aucun cas un laboratoire ne pourrait fournir une
information concernant un individu à une société assurance. Ce qu'elle peut faire c'est
communiquer cette information à la personne, et le risque c'est que la personne s'en serve,
d'ailleurs les assureurs veulent connaître les aspects négatifs, mais on peut imaginer une
discrimination par le positif, c'est-à-dire un individu qui ferait des tests qui s’avéreraient bons
et qui pourrait aller voir sa société d'assurance en disant qu'il a de très bons tests, qu'il n'a ni
ceci, ni cela, et qu'il demande un rabais. C'est une discrimination d'utiliser les tests
génétiques en vue d'une discrimination ici positive. Ici, l'information ne peut pas être
communiquée aux compagnies d'assurance.
Je voudrais poser deux questions, l'une qui est la reprise de la question de Françoise
Bellanger tout à l'heure, qui est une simple question de vulgarisation, Monsieur Alain Fischer
a dit qu'il ne voulait pas parler de thérapie germinale, si on faisait des interventions sur les
cellules germinales, quelles seraient-elles ? Est-ce que vous pourriez nous donner des
exemples simples et concrets de ce qu'on pourrait imaginer ?
La deuxième question c'est à propos des thérapies géniques, vous avez évoqué le
problème, et vous avez mentionné le décès de ce patient aux Etats-Unis l'année dernière dû
au risque toxique éventuel de ces thérapies. Ma question est : a-t-on les moyens, sans
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La génétique au service de l’Homme ?
pratiquer la thérapie proprement dite, de prévenir ce risque toxique, comment procédez-vous
pour être certains qu'il n'y a pas de toxicité in vivo chez un humain ?
Alain Fischer
Sur la première question il s'agirait, techniquement ce n'est vraiment pas atrocement
compliqué, d'aller ajouter la copie d'un gène normal dans un ovocyte ou un spermatozoïde,
et si on arrive à l'incorporer dans le chromosome de telle manière qu'une mutation génétique
soit compensée ; théoriquement on peut l'envisager pour pas mal de choses. Il y a une
situation pathologique où ça aurait vraiment un intérêt thérapeutique et absolument
exceptionnel qui sont des maladies de l'ADN mitochondrial, l'ADN qui est présent dans les
mitochondries et qui provient de l'ADN qui est la mitochondrie de l'ovocyte, en théorie on
pourrait imaginer que là ce soit justifié de le faire, mais enfin c'est un cas très particulier, une
maladie exceptionnelle. Il y a d'autres méthodes qui ont été largement discutées tout à
l'heure qui sont plus simples et au moins aussi efficaces pour éviter d'avoir un enfant malade
dans des situations qui justifient des mesures de prévention ou de dépistage telles que
Pierre Jouannet les a discutées tout à l'heure.
Pour votre seconde question concernant les risques de la thérapie génique, c'est clair que
toute nouvelle thérapeutique a des risques, que le risque zéro n'existe pas, donc la question
est d’évaluer le rapport bénéfice/risques, comme on dit, donc la recherche en amont d'un
essai thérapeutique chez l’Homme a pour but, d'une part, d'essayer de montrer le mieux
possible que les risques sont les plus faibles possibles et, d'autre part, de démontrer aussi
que globalement le raisonnement est justifié par la gravité de la maladie que l'on cherche à
traiter, et l'absence ou la faible possibilité d'autres formes de traitement, et que la méthode
qu'on propose a une certaine chance d'efficacité.
Donc, tout ça comporte des recherches qui se font sur des cellules en laboratoire, mais
aussi, et c'est une étape absolument indispensable, une recherche expérimentale chez
l'animal sur des modèles les plus proches possible des maladies humaines, ce qui n'est pas
simple. Aujourd'hui on arrive à reproduire pas mal des maladies humaines chez les souris,
notamment les maladies héréditaires mais aussi toute une série de formes de maladies
acquises par des modifications du patrimoine génétique des souris. Le problème c'est que ce
qu'on peut faire chez les souris est quand même très, très éloigné de l’Homme.
L'extrapolation d'observation de toxicité ou d'efficacité chez la souris à l’Homme est quand
même très difficile, donc l'idéal est, lorsque c'est possible, d'introduire des étapes
intermédiaires par de la recherche expérimentale sur des animaux plus proches de l’Homme.
39
La génétique au service de l’Homme ?
Et plus l'animal est proche de l’Homme, plus on peut penser que la pertinence des
observations faites est forte.
Mais il y a toutes sortes de limites, des limites d'abord parce que, par contre, chez les
animaux les plus proches de l’Homme, je pense aux primates évidemment, mais même à
une échelle moindre certains modèles de chiens ou d'autres espèces, on a moins souvent
des modèles pathologiques proches de l’Homme, mais néanmoins on peut quand même
poser ne série de questions de toxicité, et les autres limites c'est que ces recherches sont
extrêmement lourdes, extrêmement onéreuses et extrêmement complexes pour les faire
dans de bonne conditions, qui soient à la fois éthiques et scientifiquement acceptables, donc
cela en limite les possibilités. Mais, néanmoins à chaque fois que c'est possible il est
nécessaire d'entreprendre ces recherches sur des modèles animaux et de faire de la
thérapie génique expérimentale avant de passer à un essai clinique chez l’Homme. Ce que
je dis pour la thérapie génique peut être transposé à n'importe quelle recherche
thérapeutique, n'importe quel domaine, autrement dit c'est une forme de plaidoyer
raisonnable et fait dans des conditions de rigueur nécessaires pour la défense de
l'expérimentation chez l'animal.
Je voudrais réagir sur ce qui vient d'être répondu, et dire à Monsieur Jouannet qu'à ma
connaissance les pré-requis animaux n'ont pas été respectés par les Belges avant qu'ils ne
passent à l’ICSI, c'est-à-dire que, grosso modo, c'est l'être humain qui a servi de cobaye, et
je voudrais en être sûre, mais j'en suis quasi-sûre ; ceci c'était une réflexion que la question
précédent m'a suggérée. Dans un autre genre d'idées, je voudrais savoir comment on peut
s'assurer qu'il n'y aura pas de glissement du clonage thérapeutique au clonage reproductif ?
Parce qu'à partir du moment où on a l'embryon, il me paraît tout à fait évident que le
glissement peut se faire avec une grande facilité, et que quels que soient les systèmes de
contrôle qui seront mis en place, ils risquent d'être un peu inefficaces.
Et puis j'ai une question pour Madame Le Mintier qui est, certes, le laboratoire n'a pas le
droit de donner le résultat à l'assureur mais, en revanche, qu'en est-il de la communication
du médecin entre médecins ? Avec le médecin de l'assurance ou avec le médecin de
l'employeur, dans quelle mesure le test pourra-t-il être conservé secret, sachant que même
certains tests ne sont pas donnés par écrit, je pense à la Salpêtrière, pour éviter qu'il y ait
l'ombre d'une trace de ce dont il s'agit.
Pierre Jouannet
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La génétique au service de l’Homme ?
Oui, vous avez tout à fait raison, il y a des domaines de la médecine où on a tendance à ne
pas bien respecter les règles habituelles de tout progrès médical et de mise en place de
nouvelles thérapeutiques. Je le déplore et je le regrette, et je dois constater que tout ce qui
concerne la médecine de la procréation et la médecine de l'embryon est particulièrement
concernée par cela. Peut-être on peut penser que des médecins ou des scientifiques sont
responsables, je pense aussi que la société dans laquelle ils sont a sa part de responsabilité
dans ce domaine ; si il n'y a pas plus de recherches et de recherches pré-cliniques dans ce
domaine, c'est parce qu'on se trouve dans un système assez paradoxal qui veut qu'on ne
favorise pas et qu'on ne développe pas la recherche. Tout ce qui se passe en France depuis
plusieurs années empêche objectivement de développer des recherches dans le domaine de
la procréation, les lois de 1994 et tout ce qui a suivi, et les commentaires faits ne favorisent
pas les recherches pour une meilleure connaissance des techniques de procréation, une
meilleure connaissance dans ce domaine et un développement. Je voudrais dire aussi que le
problème n'est pas simplement une question de loi, c'est une question là aussi de choix, et
de choix et de politique de la recherche ; la recherche dans ce domaine dans un certain
nombre de pays est très peu promue et très peu soutenue. Ceci est un des aspects pour
lesquels les choses ne se font pas suffisamment.
Un autre aspect c'est la perception qu'a notre société de la stérilité ou du manque d'enfant,
et au premier rang ceux qui sont confrontés à ce problème. Quand un couple ne peut pas
avoir d'enfant, ce que je constate c'est que souvent ils sont prêts à faire n'importe quoi pour
avoir cet enfant, et y compris recourir aux méthodes les plus aléatoires et les plus
hasardeuses, et c'est ça qui est difficile à gérer, comment concilier ce désir d'enfant avec
toutes les pressions sociales ou affectives ou familiales qui peuvent s'exercer sur les couples
sans enfant. Pour en avoir, les possibilités techniques qui se développent et puis ces choix
incertains dont parlait Madame Le Mintier qui font que dans ce domaine on ne respecte plus
un certain nombre de principes fondamentaux, la mise en place de nouvelles thérapeutiques
passe par une recherche pré-clinique, une évaluation des risques, une évaluation des
problèmes et ensuite l'application.
Et je crois que c'est une des difficultés majeures dans ce domaine de la médecine, et la
fécondation in vitro par micro-injection en est un exemple, avec une difficulté supplémentaire
qui est que dans ce domaine l'évaluation ne peut pas être à court terme si on veut connaître
toutes les conséquences de ces techniques pour les enfants qui en naissent; ce n'est pas
sur les embryons de quelques jours ou même sur l'enfant à la naissance, c'est sur au moins
une génération, c'est-à-dire attendre que ces enfants aient atteint eux-mêmes l'‚ge adulte et
eux-mêmes eu des enfants qu'on pourra le juger. Ceci passe par la mise en place de
41
La génétique au service de l’Homme ?
systèmes de surveillance de ces techniques, de ces pratiques, et là aussi ces systèmes ne
sont pas mis en place ou de manière extrêmement confidentielle, et malheureusement ça ne
se fait pas. “a revient à ce que je disais tout à l'heure, il ne suffit pas de faire des lois, il faut
encore se donner les moyens d'avoir des politiques dans ce domaine qui permettent de
travailler de manière correcte et sans faire du mal autant que possible.
Brigitte Le Mintier
Sur la première question que vous avez posée sur le glissement du clonage thérapeutique
au clonage reproductif, effectivement il y a le risque, si on crée un embryon pour soigner, on
peut très bien, puisqu'on peut prélever quelques cellules de cet embryon, imaginer de le
garder pour en faire un être humain. Ce que je peux vous dire c'est qu'en l'état actuel de la
discussion relative à l'éventuelle admission de la recherche sur l'embryon, il semblerait que
tout embryon qui ferait l'objet de prélèvements serait détruit. Là, ça ne concerne que les
embryons surnuméraires, si on admet la recherche sur l'embryon on fera de la recherche sur
les embryons surnuméraires, et l'embryon est voué à être détruit, puisque parmi les
embryons surnuméraires seuls pourront faire l'objet de la recherche que ceux qui ne font
plus l'objet d'un projet parental. Mais dans votre exemple il pourrait y avoir une garantie de
mise, c'est-à-dire que si on admettait le clonage thérapeutique un jour on peut concevoir
qu'en aucun cas les embryons conçus pour un clonage thérapeutique puissent donner lieu à
un clonage reproductif.
Vous parliez du médecin qui fait faire des tests à son patient, en aucun cas il n'a le droit de
communiquer à l'assurance, même si parfois les compagnies d'assurance effectivement le
demandent, ce test rentre dans les informations à caractère secret définies à l'article 226-13
du Code pénal, c'est-à-dire qu'il tomberait sous le manquement au secret médical, ça fait
partie du secret médical, donc en aucun cas il ne pourrait fournir cette information, même à
un autre médecin.
Pierre Jouannet
Un complément sur ce point, le médecin ne peut pas fournir d'informations, mais l'assureur
peut soumettre une clause qui est "cochez dans cette case que votre résultat est négatif", si
vous avez été testé vous ne pouvez pas ne pas répondre à la question posée par l'assureur
sans frauder.
Brigitte Le Mintier
Oui, mais ça ne veut pas dire que le médecin soit obligé de fournir les informations.
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La génétique au service de l’Homme ?
Pierre Jouannet
Bien sûr, le médecin n'est de toute façon pas obligé, mais le risque c'est uniquement que la
connaissance existe, si le test a été fait l'assureur, s'il le décide, peut vous demander
"dites-moi le résultat de votre test", si vous avez été testé vous ne pouvez pas y échapper
sans frauder, si malheureusement le test est positif, si vous n'avez pas été testé vous
pouvez juste dire que vous n'avez pas été testé, c'est votre droit de ne pas savoir.
Une question d'ordre juridique par rapport à ça, comme le Code pénal l'interdit est-ce qu'au
lieu de répondre dans cette case, on peut citer l'article du Code pénal comme quoi on n'a
pas à donner une quelconque réponse en citant l'article du Code pénal ?
Brigitte Le Mintier
Non, parce que le Code pénal c'est le secret professionnel en général qui va s'appliquer au
médecin, donc s'il communique, s'il divulgue d'une manière ou d'une autre une information à
caractère secret, il tombe sous le coup de la loi pénale, mais là vous remplissez un
questionnaire d'assurance où on vous pose des questions sur votre santé, c'est une
déclaration et ce que vous dites est vrai, là c'est vous qui vous vous engagez vis-à-vis de
l'assurance, mais le médecin en aucun cas n'est tenu, lui, de fournir quoi que ce soit. C'est le
patient qui, en signant son contrat avec la compagnie d'assurance va être amené
effectivement à remplir ce questionnaire.
Mais est-ce que l'assureur a le droit de poser cette question ?
Brigitte Le Mintier
Oui, justement samedi nous organisions à Rennes un colloque sur le secret médical et il y
avait le Conseil de l'Ordre qui était représenté, et effectivement il y aurait certainement une
consultation de la Commission des clauses abusives, le Conseil de l'Ordre pourrait peut-être
ici consulter cette Commission des clauses abusives pour voir; l'assureur peut effectivement
tout demander. Parce qu'on ne peut pas, d'un côté, permettre à l'assureur de tout demander
et, de l'autre, de défendre le secret ; le secret professionnel repose sur le droit au secret de
l'individu qui est un droit de la personnalité, ça fait partie de votre intimité, de votre vie privée,
et c'est vrai que les assurances quand elles vous demandent de répondre c'est un
engagement sur l'honneur, et vous devez répondre correctement. Donc, là il y a
effectivement une discussion certainement à mener entre le milieu médical au niveau de ces
clauses dans les contrats d'assurance, mais pour le moment elles sont licites.
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La génétique au service de l’Homme ?
Est-ce qu'on ne pourrait pas citer des articles concernant les clauses abusives, si elles
existent ?
Brigitte Le Mintier
Oui, mais concernant les clauses abusives il y a toute une procédure avant de décider
qu'une clause est abusive. Et je ne suis pas sûre que les tests génétiques changent grand
chose pour ces compagnies d'assurance qui vous posent déjà tellement de questions, ils ont
déjà leurs barèmes, ils vont vous demander, votre père, votre mère, ils ont eu ceci ? Et ils
font déjà eux-mêmes leurs propres probabilités, alors je ne sais pas si les tests apportent
plus.
Donc, il y a déjà une jurisprudence par rapport à ça, puisque ce n'est pas un fait nouveau
chez les assureurs, donc il y a déjà une jurisprudence qui a été faite puisque ça existe
depuis longtemps ce genre de clauses abusives.
Brigitte Le Mintier
Non, ce n'est pas abusif, ils sont en droit de vous poser toutes ces questions sur votre famille
pour définir s'ils vous assurent ou pas, ça fait partie de la liberté contractuelle.
Alain Fischer
Même si aujourd'hui ce n'est pas encore tout à fait d'actualité, il est quand même assez
vraisemblable que dans un nombre d'années pas très lointain on sera capable
potentiellement d'analyser des gènes de susceptibilité pour toutes sortes de pathologies
cancéreuses, cardiovasculaire, etc., et une compagnie d'assurance pourra faire un calcul de
risques "si ça les amuse" en testant les allèles de 2 ou 3.000 gènes dans un individu donné,
ce n'est pas totalement de la science fiction si on se place à quelque dix ans, vingt ans. Et là
la prise en compte de ces facteurs de risque pour des systèmes d'assurance, pour des
systèmes d'emploi, pour des systèmes de prêts bancaires, pour des systèmes même
d'assurance médicale tout court, si on n'a pas une sécurité sociale, par exemple, rien que
des petits détails, ça pourrait devenir un problème extrêmement sérieux. Donc, la régulation
dans l'aspect politique et législatif est majeure.
François Cornélis
Un point un souligner, le résultat d'un test est permanent, c'est-à-dire que si vous êtes testé
aujourd'hui, le résultat est encore valable dans cinquante ans à partir de maintenant,
c'est-à-dire que le risque est pris jusqu'à la fin de vos jours à partir d'un test génétique.
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La génétique au service de l’Homme ?
Pierre Jouannet
Je pense que ce point qui a été soulevé par Monsieur Cornélis est un point essentiel sur
lequel il faut qu'on se prononce et qu'on fasse des choix aussi. Monsieur Cornélis dit qu'on a
le droit de ne pas savoir, et je crois que c'est une des libertés fondamentales de tout être
humain de ne pas savoir, et d'ailleurs tout à l'heure je vous parlais des donneurs de sperme,
quand on fait des tests génétiques chez eux ou quand on fait quel que test que ce soit
d'ailleurs, on leur dit toujours avant de faire les tests "vous pourrez connaître les résultats de
ces tests si vous le souhaitez, mais si vous ne souhaitez pas les connaître, vous ne les
connaîtrez pas".
Mais dire qu'on a le droit de ne pas savoir, on peut se poser la question à l'inverse, a-t-on le
droit de savoir ? Et chacun d'entre nous, avons-nous le droit d'accéder à des informations de
type génétique si on a envie de les connaître ? C'est une question qui est très difficile, et là
on rejoint ce qui a été dit tout à l'heure sur les législations européennes ou les législations de
différents pays, les attitudes des différents pays ne sont pas du tout les mêmes en la
matière. En Allemagne, par exemple, quelqu'un qui veut savoir si son père est vraiment son
père génétique peut faire faire les tests nécessaires pour connaître cette information, alors
que c'est impossible en France d'une manière libre, et la même chose pour d'autres tests.
Je crois que c'est là un des points fondamentaux des questions posées par la connaissance
génétique pour nos sociétés futures, et je dirais aussi dans une démarche internationale. On
a une connaissance, on a des outils de plus en plus puissants pour savoir, comment peut-on
les utiliser et qui doit décider de leur utilisation ou pas ? En sachant qu'il y a plusieurs
échelles en la matière qui sont la société avec ses lois, avec son organisation, ses
règlements, qui sont les professionnels médicaux qui peuvent être amenés à proposer ou ne
pas proposer, utiliser, ne pas utiliser, pour tel ou tel objectif médical, et puis chaque individu
avec ses motivations particulières, ses souhaits, et est-ce qu'un individu peut accéder à ce
type d'informations le concernant parce qu'il le souhaite ?
Je crois qu'on va être confronté à ça dans les années qui viennent de plus en plus avec,
comme vous le disiez, des enjeux qui sont extrêmement divers, je crois que l'important c'est
de définir ces enjeux, de savoir exactement à quoi on s'engage quand on accède à ce type
d'informations, et ceci nécessite que chacun soit bien informé et que lorsqu'une décision est
prise de faire tel ou tel type de test, qu'elle soit accompagnée d'une information, d'un conseil,
d'un accompagnement avant, pendant, après, qui permette de gérer cette information qui est
souvent loin d'être anodine et loin d'être sans conséquence pour les individus. Je crois que,
indépendamment des strictes applications médicales de ces tests génétiques, il y a là des
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La génétique au service de l’Homme ?
problèmes très fondamentaux qui vont se poser à nous à partir de ces outils de
connaissance qui sont de plus en plus performants maintenant.
Brigitte Le Mintier
Vous parliez de l'Allemagne, effectivement en Allemagne on peut établir quel est le père
génétique, mais même en Allemagne on ne pourrait jamais imposer à un homme un test
génétique. Le test lui-même vous pouvez toujours le refuser, en revanche, dans la mesure
où la fille, par exemple, voulant établir la paternité voudrait le faire et que l’Homme refuse de
se soumettre à ce test génétique, les juges décideraient ou non, on l'a vu dans l'affaire
Montand, de prononcer ou pas la paternité, mais jamais un test, même ordonné par le juge,
et en matière de filiation c'est classique, vous pouvez toujours refuser ce test. Ce sont les
juges après qui décident au vu du dossier s'ils estiment que dans ce cas-là il est le père ou
pas, mais en aucun cas un test ne peut vous être imposé.
Françoise Bellanger
Il me reste à vous remercier, merci Madame, merci Messieurs de nous donner à réfléchir, et
je vous remercie de nous avoir écoutés.
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