4e étape et fin - Les Amis de la Centrafrique

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Vingt-unième partie : l’Abbé B. Boganda. De l’autel de Dieu
à la tribune de l’Assemblée française : une ascension
fulgurante.
21 - 1 La candidature et l’élection de l’abbé.
En effet, l’élite intellectuelle faisait encore cruellement défaut en Oubangui-Chari
et au Tchad pour occuper à cette époque des postes administratifs et politiques
importants. Les quelques rares cadres et agents oubanguiens appelés « évolués »
qui étaient pour la plupart des auxiliaires administratifs évitaient de prendre des
risques en se portant candidats aux élections législatives. Toutefois, certains rares
cadres subalternes africains tels que Yetina, Indo, Gandji de Kobokassi, etc.
connaissant parfaitement les tenants et les aboutissants de l’aventure politique dans
chaque colonie, se réservaient de s’y lancer.
Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale ( 1939-1945 ), lorsqu’il fallait
mettre en place une Assemblée constituante en vue de l’élaboration de la
Constitution de la IVe République française, c’était le Lt-Colonel Guy Baucheron
de Boissoudy qui, plébiscité par toute la communauté européenne, devait siéger en
lieu et place des Oubanguiens et Tchadiens. Tandis que Maurice Bayrou
représentait les Gabonais et Congolais à cette Constituante.
Toutefois, ayant été rassurés par la nouvelle Constitution instituant la liberté
politique et syndicale dans les départements d’outre-mer, les Oubanguiens
commencèrent à prendre conscience de la politique de la chaise vide à l’Assemblée
parlementaire. Ils résolurent de saisir au bond l’opportunité offerte par ce texte
organique et d’y envoyer un représentant de l’Oubangui-Chari afin de faire des
plaidoyers en faveur du peuple colonisé longtemps opprimé et asservi.
Cette fois-ci, ceux-ci se concertèrent et prirent la résolution d’empêcher le
Lt-Colonel de Boissoudy, un baroudeur de Bir-Hakeim ( Libye ) ayant déjà
participé, il y a sept mois, à l’Assemblée constituante de représenter le territoire de
l’Oubangui-Chari au 2ème collège de l’Assemblée française. Ils décidèrent de
soutenir la candidature de l’abbé Boganda aux élections législatives du 10
novembre 1946. Toutefois, ils avaient du mal à convaincre le prélat qui avait choisi
par vocation la voie de la prêtrise. Il tergiversait et se posait souvent la question de
savoir comment pourrait-il passer de l’autel de Dieu à la tribune de la dite
assemblée et ne pas trahir sa foi. Finalement, il mit fin à sa réticence grâce à son
parrain, le Monseigneur Grandin, qui lui conseillait vivement de se présenter à ces
élections contre Jean-Baptiste Songomali, agent comptable à la COTONAF et
Tarquin, un instituteur d’origine antillaise affecté à Bambari en 1946 comme chef
de secteur scolaire ; celui-ci, cumulativement avec ses fonctions enseignait à
l’école primaire supérieure ( EPS ). Rassuré que sa candidature devait être
soutenue par l’Eglise afin de barrer la route à l’avancée fulgurante du « péril jaune,
du communisme et du panarabisme » qui menaçait dangereusement le continent
africain sous la bannière de la SFIO ( Section française de l’Internationale ouvrière
) et du RDA ( Rassemblement démocratique africain ) fondé en Afrique de l’Ouest
par Félix Houphouêt Boigny, Modibo Kéita, etc. Or ce jeune parti avait aussi une
coloration politique d'obédience socialo-communiste. Les sections, animées par
leurs représentants, Songomali et Tarquin, commençaient à s’implanter solidement
en Oubangui-Chari.
Dans toutes les églises, Mgr Grandin se mit à vanter le mérite et la ferme
détermination du jeune abbé qui se montrait foncièrement anti-communiste.
Pressenti député du 2ème collège de l’Oubangui-Chari à l’Assemblée française, lui
seul était capable de faire face à ces dangers imminents qui planaient sur le pays.
Toutes les congrégations religieuses se mobilisèrent en faveur de Boganda. Aux
élections législatives du 10 novembre 1946, il fut opposé aux trois autres candidats
dont Songomali et Tarquin qui devaient se présenter sous l’étiquette socialiste, et
François-Joseph Reste ( ** né en 1897 et parachuté en Oubangui-Chari en fin
de carrière, Reste était un ancien gouverneur général des colonies à la
retraite. Elu à la 1ère Assemblée constituante par le premier collège de la
Côte-d’Ivoire, il s’était fait battre à la 2ème constituante ).
Sur 22.949 électeurs oubanguiens ayant voté, soit un taux de participation de 70%,
Boganda fut brillamment élu face à ses challengers avec 10.846 voix contre 5.190
à Tarquin, 4 801 à Jean-Baptiste Songomalé et enfin 1.607 à François-Joseph
Reste. Pour la première fois et sans grande difficulté, un député noir, en la
personne de l’abbé Boganda, fut élu au suffrage universel direct et secret en
Oubangui-Chari. Boganda devint ainsi le premier député oubanguien dont le nom
devait incarner dans ce petit pays très enclavé, peu de temps après son élection
jusqu’à sa disparition tragique le 29 mars 1959, le grand combat politique pour
l’indépendance.
A la proclamation des résultats, la nouvelle de la défaite des autres candidats était
bien accueillie par Mgr Grandin et toute la communauté ecclésiastique qui
s’inquiétaient de la progression significative du socialisme, du communisme et du
panarabisme en Oubangui-Chari.
Par ailleurs, le candidat malheureux, Songomalé, après sa défaite fut réconforté par
son élection à la tête du secrétariat général du syndicat du CGT-FO (
Confédération Générale du Travail - Force Ouvrière ) des employés des sociétés
commerciales et industrielles.
Elu à l’Assemblée française, haut lieu des libertés d’expressions et d’opinions
politiques, Boganda espérait faire entendre sa voix aux états généraux de la
colonisation de l’Oubangui-Chari et surtout aux Français de la France sur la
méthode du système colonial dans son pays. Le 9 décembre 1946, il foulait pour la
première fois le sol français afin d’assister à l’ouverture de la session
parlementaire. Au lendemain de son arrivée à Paris, il trouva dans l’administration
une meilleure mentalité des agents et fonctionnaires, un bon esprit de travail et de
compréhension. A cet effet, il établit tout de suite la différence entre les Français
de la France métropolitaine, courtois, affables et respectueux des droits et de la
dignité humaine, et ceux vivant en Oubangui-Chari, discourtois, racistes, injustes
et brutaux.
Le 17 décembre, le jeune député oubanguien, toujours dans sa soutane de prêtre,
fut désigné membre de la Commission des territoires d’Outre-mer et de surcroît le
rapporteur ( ** En Afrique de l’Ouest, la Haute-Volta aujourd’hui appelée
Burkina Faso, constituait en 1919, une colonie française au même titre que les
autres ; elle fut annulée et partagée en 1932 entre la Côte-d’Ivoire, le Niger et
le Soudan ( l’actuel Mali ). Comme l’association voltaïque demandait avec
insistance la reconstitution de cette colonie, une commission fut mise en place
pour en étudier la problématique. A l’issue du débat B. Boganda en fut
plébiscité le rapporteur. La Haute-Volta fut en effet reconstituée ).
21 - 2 Adhésion de Boganda au M.R.P ( Mouvement républicain
populaire ).
A l’Assemblée parlementaire, lorsqu’un député n’était affilié à aucun parti
politique, ses interventions et remarques, même les plus pertinentes, étaient
rarement suivies avec une attention soutenue par ses pairs. Or Boganda était élu
député de l’Oubangui-Chari sous l’étiquette d’indépendant. Comme il
n’appartenait à aucun parti politique français, lorsqu’il prenait la parole à la tribune
de l’Assemblée, c’était avec une attention peu soutenue que ses pairs suivaient ses
déclarations. Au contraire, ceux-ci ne prenaient jamais au sérieux ses diatribes
contre le système colonial en Oubangui-Chari. Toutes ses déclarations n’avaient
aucun écho dans les médias français.
Le médecin Louis-Paul Aujoulat, député du premier collège du Cameroun, l’un des
rares parlementaires de peau blanche dont le tempérament aurait été façonné
probablement par sa formation, prêtait de temps en temps une oreille attentive aux
révélations de son collègue Boganda et s’apitoyait parfois sur le sort des peuples
opprimés de l’Oubangui-Chari. Celui-ci conseilla à Boganda d’adhérer au MRP (
Mouvement Républicain Populaire ) dirigé par Georges Bidault, principal parti
politique français d’obédience démocrate-chrétienne dont les membres étaient en
majorité composés d’anciens résistants à l’occupation allemande et dont certains
avaient même participé aux différents gouvernements de la IVe République.
Le jeune député de l’Oubangui-Chari, en adhérant en 1947 à ce parti, espérait
obtenir sans faille et sans hésitation le soutien des autres membres de l’Assemblée
dans la lutte implacable qu’il voulait mener contre le colonialisme, le racisme,
l’injustice et l’oppression dans son pays. Il estimait que l’idéal du MRP dont il
avait pris connaissance dès son arrivée à Paris répondait parfaitement à sa
conviction politique et à son aspiration chrétienne.
Jouissant désormais de la « double casquette », député à l’Assemblée nationale et
militant du MRP, Boganda se montrait grand avocat des peuples de
l’Oubangui-Chari. Dans l’espoir de se faire entendre et comprendre dans les
milieux français de la métropole sur les atrocités et les brutalités commises sur les
pauvres paysans, il devait multiplier dans le 5 ème Arrondissement de Paris, à
Meaux, Grenoble, Strasbourg et Lille des conférences portant sur les pratiques
odieuses et dégradantes du système colonial en Oubangui-Chari attestées par le
non respect de la dignité humaine et de la liberté, l’injustice, le racisme, les
arrestations arbitraires, les assassinats, etc. Saisissant l’occasion, il réclama la
stricte application de la loi du 11 Avril 1946 abolissant le travail forcé et le code de
l’indigénat, sources des mauvais traitements dont était souvent victime la
population oubanguienne. En outre, il exigeait du gouvernement français, les droits
et l’égalité de tous les « Blancs et Noirs » devant la loi sur la terre de
l’Oubangui-chari. D’où l’expression « zo kwé zo » ; traduite littéralement en
français elle donna : « toute personne est une personne ».
Travailleur infatigable, assidu et ponctuel à l’Assemblée française, il participait
activement à tous les travaux de la commission ; il avait déposé plusieurs
propositions de loi en faveur de son pays, l’Oubangui-Chari. A la tribune du
Parlement, il faisait des déclarations que ses pairs, notamment ceux du premier
collège dont l’objectif essentiel était de défendre les intérêts des colons, jugeaient
souvent excessives, calomnieuses et incendiaires qui les mettaient mal à l’aise.
Dans son article intitulé « B. Boganda , un acteur important de la décolonisation en
Afrique centrale » ( ** paru chez l’Harmattan en 1994, p. 207, Pierre Soumille (
** Maître de conférences né en 1926 et mort le 1er novembre 2003 était en
coopération française en RCA. Plein d’altruisme, il avait enseigné sans
discontinuité pendant dix ans ( 1978-1988 ) au département d’Histoire à
l’Université de Bangui. Avec sa charmante et gentille épouse Geneviève, il
recevait de temps en temps chez lui, rue Joseph Rigaud à Aix-En-Provence,
tous les étudiants centrafricains en histoire qui vivaient dans cette ville
universitaire ) révéla que le député Boganda était intervenu en cours d’année 1947
sur plusieurs thèmes variés.
Le 14 février, il a dû intervenir au sujet des pensions des anciens combattants
oubanguiens appelés à cette époque « tirailleurs sénégalais de l’Oubangui-Chari ».
En effet, ceux-ci ne bénéficiaient pas des mêmes avantages que leurs compagnons
d’armes européens. Or, ils avaient participé aux mêmes effets et connu ensemble
les affres de la guerre, partagé les mêmes souffrances et les mêmes victoires. Cette
injustice irritait le député oubanguien qui ne saurait y rester insensible.
Il dénonça le 5 mars l’inobservation de la loi du 11 avril 1946 portant l’abolition
du travail forcé qui réduisait au rang des bêtes de somme les peuples colonisés. En
dépit de cette loi, le travail forcé et inhumain se poursuivait ostensiblement encore
en Oubangui-Chari. En effet, tous les colons européens qui vivaient dans le pays
prétextaient que les peuples colonisés ne pouvaient travailler que grâce à la
chicotte qu’on devait leur appliquer quotidiennement pour obtenir des rendements
meilleurs. Ainsi donc, les sévices et les abus commis sur les populations doublaient
d’intensité.
Le 29 mai puis le 11 juin, le député Boganda intervint encore à la tribune à propos
du code de travail qui n’a jamais été respecté par tous les employeurs oeuvrant en
Oubangui-Chari puis au sujet des finances.
Le 9 décembre, il aborda le crucial problème de racisme en Oubangui-Chari car
lui-même étant l’élu du peuple, il a été expulsé en 1947 à deux reprises de l’hôtel
« Pendéré » ( ** la gérante, épouse du propriétaire de cet hôtel était très belle
si bien que les ouvriers qui y travaillaient utilisaient fréquemment
l’expression « pendéré ouali » pour la désigner. Son époux, ayant compris le
sens, donna désormais le nom de « l’Hôtel Pendéré » à son entreprise ) parce
qu’il était un homme de couleur. En outre, il dénonça le côté pervers de l’impôt de
capitation qui réduisait l’Oubanguien au rang de bête de somme. Ce dernier qui ne
vivait que pour l’impôt, travaillait durement toute l’année pour s’en acquitter.
Le 11 décembre, il s’opposa publiquement à René Malbrant, député du premier
collège électoral de l’Oubangui-Chari qui le contredisait souvent à chacune de ses
interventions afin de le mettre en minorité et de le traiter de menteur. Une semaine
après, c’est-à-dire le 17 décembre, il apporta un appui favorable au rapport de son
ami, le Dr. Aujoulat sur le FIDES « Fonds d’Investissement et de Développement
Economique et Social ». Et enfin, le 29, il intervint toujours à la tribune de
l’Assemblée d’une part, pour dénoncer le prix dérisoire du kilogramme de
coton-graine versé au producteur en Oubangui-Chari et au Tchad et solliciter en
conséquence son relèvement dans les deux pays et d’autre part, attirer l’attention
des parlementaires français sur les exactions commises sur les paysans par les
surveillants des travaux agricoles, illustres analphabètes recrutés ça et là et formés
sur le tas et qui étaient couramment appelés à cette époque « boys coton ». Il fut
soutenu par ses collègues députés, Aujoulat du Cameroun et Lisette du Tchad, qui
dénonçaient eux aussi l’injustice flagrante entretenue par la caisse française de
coton ; le député Léopold Sédar Senghor affirmait du haut de la tribune que le
coton-graine était acheté à 12 francs le kilo au Sénégal contre 2 francs le kilo en
Oubangui-Chari et au Tchad. Toutefois, le député Boganda s’attira sur lui la foudre
des agents des sociétés cotonnières, de Maurice Bayrou et de René Malbrant, tous
deux respectivement députés du premier collège du Gabon et du Moyen-Congo, de
l’Oubangui-Chari et du Tchad.
En effet, ceux-ci s’opposaient énergiquement au relèvement du prix du
kilogramme du coton dans ces pays producteurs. En dépit de leur véto au
relèvement du prix du kilogramme du coton au producteur, celui-ci fut porté à 12 F
le kilo comme dans les autres régions cotonnières afin de stimuler les paysans à en
produire davantage par l’augmentation des superficies et du nombre de parcelles.
Certains Européens présents à la tribune allaient jusqu’à traiter Boganda
« d’intrus » qui s’immisçait dans leurs affaires, qui s’intéressait de trop près à leurs
activités et qui s’érigeait en défenseur des intérêts des « Noirs ». D’autres le
prenaient pour un « anti-français », un « anti-européen » et promettaient qu’un jour
il fallait définitivement sceller son sort.
De 1948 à 1950, en matière de droits de l’Homme, l’élu du peuple était intervenu à
plusieurs reprises à la tribune de l’Assemblée pour dénoncer les arrestations et les
exécutions sommaires de certains Oubanguiens et Africains vivant sur le territoire.
Afin d’illustrer sa dialectique historique, il prit les cas de Zowa et Nzilakéma qui,
après être torturés, furent assassinés.
Il éleva aussi une vive et vigoureuse protestation contre l’expropriation par
l’administration coloniale des paysans de leurs bonnes terres qui constituaient pour
eux un patrimoine ancestral. Tout se décidait autour d’un pot, d’un apéritif ou d’un
repas et les autorités n’hésitaient pas à concéder une parcelle de terrain soit au
planteur de caféier, du tabac, soit aux représentants des maisons de commerce qui
tenaient à construire des locaux d’emmagasinage. Le lendemain matin, on voyait
débarquer sur le terrain des prisonniers ou des manoeuvres soigneusement
encadrés par des gardes territoriaux qui attendaient impatiemment le premier signal
pour entamer à grands coups de hache et de pioche, les opérations de démolition
des cases et des huttes.
De nombreux paysans furent ainsi sans ménagement et sans dédommagement
déboutés manu militari de leurs domaines. Très souvent, ils furent refoulés sur des
terres marécageuses, latéritiques, rocailleuses et infertiles qui ne pouvaient leur
offrir ce dont ils avaient besoin. A titre illustratif, on pourrait évoquer les attaques
du nouveau poste de Bangui par les Bouzerou encore appelés Bondjo. Les colons,
ayant choisi leur site, se mettaient à expulser sans ménagement les paysans de leur
terre de prédilection. Lorsque le déguerpissement ne se faisait pas au rythme rapide
qu’ils voulaient, ceux-ci n’hésitaient pas à utiliser la manière forte en repoussant
les premiers occupants à coups de matraque ou de fusil, soit dans la forêt dense,
soit derrière la chaîne de collines gbazabangui ou sur un terrain marécageux.
En 1893, les prêtres spiritains, ayant décidé de construire l’Eglise « St-Paul des
Rapides » à l’actuel emplacement qui se trouve au bord de l’Oubangui, firent
déguerpir avec l’aide de l’administration les « Ndris » encore appelés « Ndrés »
qui y trouvaient depuis fort longtemps refuge ; ceux-ci furent brutalement
repoussés derrière la chaîne des collines qui surplombe au Nord-Est la ville de
Bangui.
En 1946, un jeune écolier appelé Tekpa du groupe ethnique mandja, faisait la
chasse au rat dans une broussaille située à la périphérie du quartier administratif.
Celui-ci y mit le feu qui, attisé par un tourbillon, prit très rapidement de
l’extension. Toute la petite ville coloniale fut menacée par le feu. D’importants
dégâts furent enregistrés dans certains quartiers « indigènes » du Nord-Ouest de la
capitale précisément à l’actuel emplacement du Centre hospitalier universitaire de
Bangui ( CHUB ). Le chef du territoire et les autres Européens qui toléraient mal
pendant la nuit la cacophonie et les bruits assourdissants des joueurs de tam-tam et
balafons, des danseurs et chanteurs, saisirent l’opportunité pour refouler assez loin,
à une distance de 5 kilomètres, les populations noires qui habitaient à la périphérie
du centre administratif et commercial. C’est pourquoi, on retrouve désormais les
Ngbakamandja et les Gbeyä ( sous groupe gbäyä dont le point d’ancrage est la
sous-préfecture de Bossangoa ) à Boy Rabe, les Mandja à Fou et à Gobongo ( **
go en mandja, gbeyä ou souma veut dire cuirasse latéritique ; bongo signifie
hyène ; littéralement traduit, c’était le domaine des hyènes ; le lieu où celles-ci
se retrouvaient pour dévorer leur proie ), les Banda à Malimaka et Miskine, les
Haoussa et les Sénégalais au Km5, les Sara à Saïdou et Assana, etc. Or, certains
endroits, très marécageux, constituaient à cette époque la forêt dense où
foisonnaient des animaux sauvages.
A chaque session de l’Assemblée parlementaire, Boganda s’érigeait contre cette
pratique brutale qui ne tenait pas compte du respect de la dignité humaine en vertu
des Droits de l’Homme à la propriété foncière et domaniale ; il s’évertuait à
réclamer l’indemnisation des paysans expropriés, mais il se heurtait au refus
catégorique du lobby colonial qui, généralement, rétorquait de manière laconique
que ces « terres vacantes et sans propriétaires » leur appartenaient depuis la
publication du décret Guillain de 1899 qui leur concédait gratuitement de vastes
territoires en Oubangui-Chari. Jusqu’à sa mort tragique, le député oubanguien
devait lutter de toutes ses forces pour l’occupation illégale des terres qui
constituaient depuis des temps immémoriaux, les propriétés exclusives des
ancêtres qui les léguaient en héritage à leurs progénitures. En effet, en Afrique
noire, il existe de vastes espaces inoccupés en raison de la déflation
démographique qui pourrait s’expliquer par la vicissitude de l’histoire, notamment
la traite négrière qui a saigné à blanc pendant quatre siècles le continent. Mais en
réalité, il n’y a jamais eu des terres vacantes et sans propriétaires.
21 - 3 La démission de Boganda du MRP.
Les membres du MRP et leur président Georges Bidault suivaient d’une oreille
distraite les révélations du l’abbé-député de l’Oubangui-Chari qu’ils assimilaient
tout de suite à une litanie de calomnies, de diffamations auxquelles ils répondaient
par un silence absolu et une indifférence totale. Par ailleurs, le président du groupe
parlementaire, François de Menthon, qui n’appréciait pas du tout les interventions
de Boganda qu’il qualifiait d’intempestives et de réquisitoires contre la
communauté blanche vivant sur le territoire oubanguien, n’y accordait pas de
crédibilité et faisait souvent la sourde oreille lorsque celui-ci se trouvait à la tribune
de l’Assemblée et avait la parole.
A chaque fois que le député prenait la parole, c’était pour fustiger le système
colonial qu’il considérait comme un obstacle à l’évolution socio-économique de
l’Afrique noire.
Pendant les deux premières années de législature, celui-ci ne cessait de radoter les
mêmes choses, mais aucun député membre du MRP ne pouvait l’appuyer.
Cependant, pour ses prises de position au Palais Bourbon en faveur de la race noire
en général et des peuples de l’Oubangui-Chari en particulier, il se trouvait dans
l’œil du cyclone et était l’objet de critiques acerbes des milieux coloniaux,
cléricaux, commerçants et planteurs. Ni Bidault ni de Menthon ne se souciaient du
non respect des droits de l’homme dans ce pays colonisé. Tous désapprouvaient les
propos du député si bien que les états généraux de la colonisation, se croyant
intouchables et inamovibles, se gaussaient de lui et redoublaient d’exactions et de
sévices sur la population oubanguienne ; une façon de prouver à ce dernier qu’ils
étaient encore tout-puissants en Oubangui-Chari. Boganda se rendit finalement
compte de l’inefficacité de son combat par le canal du parti MRP dont le président
et les membres demeuraient insensibles à ses interventions comme un roc. Ainsi
donc, s’inspirant de l’idéal de Boileau, écrivain français et contemporain de Pascal,
Racine, de La Fontaine Fables, etc., il comprit finalement l’attitude de ses
collègues députés et conclut en ces termes : « qui ne dit mot, consent ».
En effet, le député de l’Oubangu-Chari qui a vécu dans sa chair et dans son âme les
inégalités sociales en tant que prêtre d’abord puis parlementaire a été témoin
oculaire des sévices, des atrocités et des abus commis sur les paysans. Il croyait
que la tribune de l’Assemblée française était le lieu indiqué pour découdre avec les
pratiques du système colonial en multipliant des déclarations parfois excessives.
Ses adversaires politiques ( Malbrant et Bayrou ) lui succédèrent à la tribune pour
détourner l’attention des autres députés sur ses interventions qu’ils qualifiaient
« d’allégations fortuites et outrageantes ». Certaines voix s’élevaient haut et fort
dans l’hémicycle pour traiter Boganda de « négrillon, d’anti-français, de
xénophobe » sans que le président de l’Assemblée ou de la séance les rappelât à
l’ordre.
Devenu désormais grand avocat défenseur de la race noire en général et des
Oubanguiens en particulier, il se trouvait en butte aux multiples tracasseries
administratives et policières.
L’administration le considérait comme un rebelle, un perturbateur, un intellectuel
aux idées communistes ( 12 ), un député encombrant, qui entravait les bonnes
moeurs des autorités coloniales.
L’Eglise catholique qui avait soutenu sa candidature aux élections législatives
n’était plus tendre avec lui depuis la mort tragique ( 1947 ) à la corniche du
Monseigneur Grandin, son parrain, suite à un accident de circulation. ( ** sa
voiture ayant heurté un rocher au moment où il se rendait à St-Paul des
Rapides, s’était retrouvée dans les ravins).
Le groupe d’hommes d’affaires européens et assimilés n’acceptait jamais les
critiques formulées à l’endroit des commerçants de la place qui revendaient trop
cher des « camelotes » achetées à vil prix à l’étranger.
Frustré et lassé, le tribun Boganda décida, pendant son séjour à Paris, d’adresser le
4 juin 1950 deux lettres de démission du MRP dont l’une au président du parti,
Georges Bidault, et l’autre à François de Menthon, président du groupe
parlementaire. Ceux-ci se contentaient d’en prendre acte sans aucun commentaire.
Lorsqu’il quitta le MRP, il refusa d’adhérer à tout parti politique métropolitain ou
africain dont la section était animée en Oubangui-Chari par certains leaders.
Boganda, ne se sentant plus lié à un parti quelconque, amplifia avec quelques
poignées d’hommes de conviction son combat pour l’émancipation du peuple
oubanguien longtemps colonisé, opprimé et asservi.
Vingt-deuxième partie. Le Mouvement de l’Evolution sociale
de l’Afrique noire ( MESAN ).
Le 28 septembre 1949, Boganda décida de créer son propre parti politique dans
une petite maison en banco sise au quartier haoussa, non loin du transporteur Yalo,
au Km5 : le Mouvement de l’Evolution Sociale de l’Afrique Noire ( MESAN )
dont l’objectif premier était l’émancipation socio-économique et culturelle de
l’homme noir en général.
Au départ, le MESAN créé n’était qu’un simple mouvement associatif mis en place
d’une part, pour permettre l’évolution sociale devant favoriser la « libération de
l’Afrique noire de la servitude et de la misère » et d’autre part, pour faire de
« l’Oubanguien un être humain complet ». L’idéal de Boganda était de placer
l’homme au centre d’intérêt de ses actions et de ses revendications. En réalité,
celui-ci ne rêvait pas du tout en faire un parti politique. Ayant été certes fondé en
Oubangui-Chari, le mouvement devait d’abord s’implanter sur l’ensemble du
territoire puis s’étendre sur le continent noir où les peuples étaient longtemps
asservis et meurtris par le système colonial ; puis il devait avoir des tentacules en
s’étendant partout ailleurs, surtout là où pouvait se trouver la communauté des
hommes et femmes noirs.
En effet, comme le voulait son initiateur, le MESAN devait être un mouvement de
grande envergure qui devrait répondre aux aspirations profondes et aux attentes des
peuples de race noire. Le 22 octobre, trois semaines seulement après la création du
MESAN, le procureur général résidant à Brazzaville décida d’engager des
poursuites judiciaires contre le député pour avoir fait publier dans son journal
« pour sauver un peuple » des articles hostiles aux Européens de l’Oubangui-Chari.
Un an après, le MESAN, d’abord un simple mouvement comme nous l’avions déjà
évoqué plus haut, devint ainsi progressivement une arme efficace dans la lutte pour
l’émancipation du peuple noir non seulement en Oubangui-Chari mais dans le
monde entier et surtout là où il y avait des communautés noires. Ainsi donc, l’idéal
du MESAN et de son promoteur était non seulement de « promouvoir l’évolution
politique, économique et sociale de l’Afrique noire mais aussi de renverser les
barrières du tribalisme et du racisme et de substituer à la notion dégradante de
subordination coloniale sa notion plus humaine de fraternité et de coopération ».
Jouissant de son immunité parlementaire, Boganda montait souvent au créneau
pour stigmatiser les comportements et les agissements des représentants de
l’administration coloniale et des sociétés commerciales qui foulaient au pied les
textes législatifs et réglementaires issus de la Constitution de la IVe République et
pris en faveur des peuples colonisés.
René Malbrant, député du premier collège de l’Oubangui-Chari et ses acolytes les
conservateurs européens, trouvaient invraisemblables et utopiques les lois votées et
promulguées à Paris qui devaient être appliquées chez les « peuples sauvages ».
Tous refusaient sur l’ensemble du territoire de reconnaître la citoyenneté française
accordée aux peuples noirs en rejetant systématiquement d’une part, la loi du 11
avril 1946 abolissant le travail forcé, ce qui équivalait au droit de ne rien faire ou
de travailler à son rythme. En outre, celle abolissant aussi le code de l’indigénat
donnait quitus au Noir d’agir à sa guise au mépris des règles élémentaires du
savoir-vivre et du savoir-être dans la société. Certains les trouvaient précoces car le
« nègre avait besoin de coups de fouet pour le contraindre à vaquer à ses
occupations », d’autres, composés surtout des planteurs et des commerçants
trouvaient que ces mesures prises à tort en faveur des peuples colonisés devaient
provoquer indubitablement l’effondrement des productions agricoles ( café, coton
).
Par conséquent, dans un pays « sauvage » et « arriéré » comme l’Oubangui-Chari,
il fallait procéder au report sine die de l’application de ces textes législatifs. Les
vives réactions dans les milieux coloniaux et cléricaux au sujet de l’émancipation
des peuples d’Afrique noire obligèrent Boganda à donner une coloration politique
à connotation messianique et panafricaine au MESAN. Ce nouveau parti connut
une ascension fulgurante. Comme un TGV ( Train à Grande Vitesse ), il rafla de
nombreux adhérents en son sein en dépit des mesures scélérates d’intimidation et
d’intoxication des autorités administratives et ecclésiastiques. Boganda devenait au
fil des ans, aux yeux de la population, un messie venu la libérer du joug colonial.
Le MESAN s’affirma davantage et devint très rapidement un parti de masse en
milieu rural. Cependant, à Bangui et en zone semi-urbaine, les habitants avaient
envie de se rapprocher du ‘’prophète’’, mais ils avaient peur des représailles de
l’administration coloniale.
Dans les campagnes comme dans certains centres urbains tels que Bambari,
MBaïki, Bossangoa et Berbérati, les fonctionnaires et agents africains qui flirtaient
avec les membres du MESAN étaient terrorisés, suspectés et muselés. A titre
d’exemples. En septembre 1950, au cours de ses déplacements à l’intérieur du
pays, Boganda bénéficia de l’hospitalité d’un paysan. Il fut reçu avec enthousiasme
et hébergé. Trahi, le pauvre « indigène » et deux membres de sa famille furent
interpellés par le chef de région peu de temps seulement après le départ du député.
Torturés, ils furent gardés en détention préventive pour 48 heures puis ils furent
relaxés.
Dans cette même localité, deux jeunes individus venus d’un village avoisinant pour
adhérer au parti de leur choix le MESAN furent arrêtés, battus et soumis à une
demi-journée de corvées d’eau ; leurs cartes d’adhésion furent récupérées et
déchirées. Libérés, les gardes les obligèrent à jurer de renoncer au MESAN et de
ne plus chercher à rencontrer Boganda lors de ses campagnes politiques. Auquel
cas, la prochaine arrestation pour le même motif sera beaucoup plus violente que la
précédente.
Le 13 décembre de la même année, Ferdinand Bassamoungou, instituteur et
président de la section du MESAN à Mbaïki fut interpellé par le chef de région de
la Lobaye, Bouscayrol. Il fut soumis à un sévère et long interrogatoire sur ses
opinions politiques. Suite à cet entretien marathon, le chef du territoire de
l’Oubangui-Chari décida de l’affecter disciplinairement à Obo dans le
Haut-Mbomou d’où il était originaire. En dépit des menaces qui pesaient sur lui,
l’intrépide instituteur mit l’autorité devant le fait accompli. Il refusa cette
affectation qu’il jugea arbitraire et donna sa démission de l’enseignement.
Homme de Dieu ayant embrassé la carrière politique, toutes les idéologies et
réalisations de Boganda étaient d’inspiration divine. C’est pourquoi sur le fanion
triangulaire du MESAN confectionné sur un fond bleu-ciel et symbolisant le Père,
le Fils et le St-Esprit, figure un poignet droit dont l’index montre une étoile jaune à
cinq branches qui pointe à l’horizon les perspectives prometteuses de son pays à
condition que le peuple libéré de la servitude reste toujours uni et vaque
régulièrement à son travail car, c’est la seule voie de sortie du
sous-développement.
L’insigne du MESAN devait porter les mêmes caractéristiques. D’après
l’initiateur, toute personne qui militerait dans ce jeune parti devrait le posséder et
le porter à gauche sur la poitrine afin de montrer son attachement indéfectible au
combat mené pour le bien-être social du peuple noir, souvent considéré comme le
descendant de Cham ou le « damné de la terre » par la race blanche.
En outre, devaient se dégager les grands principes du MESAN, trois mots-clés (
Unité, dignité, Travail ) qui constituent actuellement la devise de la République
Centrafricaine et résument toute la philosophie politique et chrétienne de
Boganda ; ces trois mots-clés symbolisent le sens emblématique de la future
nation.
22 - 1
La devise de la République Centrafricaine.
Unité.
Le député était très attaché à l’unité des Oubanguiens et à celle de tous les autres
peuples noirs dont il fait partie car pour lui, l’unité avait un fondement capital dans
la communauté de tous les êtres vivants ; l’unité, c’était la vie. Tandis que la
division incarnait la mort. Par conséquent, le MESAN, placé sous la houlette de
son fondateur avait toujours prôné l’union du peuple africain tant à l’intérieur du
continent qu’à l’extérieur car « Vae soli » ou « malheur à l’homme seul ».
Dans la plupart de ses interventions tant à l’Assemblée territoriale qu’à
l’Assemblée française, il s’inspirait toujours de ses connaissances historiques pour
prêcher l’unité : « la division, le tribalisme et l’égoïsme » ont fait notre faiblesse
dans le passé. La division, le tribalisme et l’égoïsme feront notre malheur dans
l’avenir’’.
En effet, pendant quatre siècles, l’Afrique noire a souffert de vicissitudes de
l’histoire. De l’esclavage domestique, elle était passée à la traite négrière qui l’a
saignée à blanc en raison de la désunion de son peuple, de l’incapacité des
Africains à s’unir afin de lutter efficacement contre ce commerce honteux qui a fait
déverser sur les autres continents, notamment asiatique et américain, plus de trente
millions d’esclaves.
Ainsi donc, de son vivant, Boganda s’était livré à la lutte contre toutes les formes
de tribalisme et de xénophobie sur l’ensemble du territoire de l’Oubangui-Chari
afin d’obtenir l’homogénéité des peuples oubanguiens, africains et européens. Tous
devaient vivre en harmonie afin de permettre l’évolution sociale et économique de
ce vaste pays dont le sol et le sous-sol regorgent d’immenses ressources naturelles
inexploitées. Les éléments constitutifs de l’hymne centrafricain « Ô berceau des
Bantu « devraient éveiller en permanence la conscience des locuteurs à l’unité.
Dignité.
Selon la logique de Boganda, la dignité humaine est sacrée. En effet, tous les êtres
humains, quelles que soient leur couleur, leur croyance et leur opinion sont nés
égaux d’après l’écrivain et philosophe français Voltaire ( 1694 - 1778 ). Par
conséquent, ils devraient être des frères égaux et responsables de l’avenir de
l’humanité ; d’où le principe en sangö de « zo kwé zo » dont la version française
donna : « toute personne est une personne ».
Pendant le combat d’idées qu’il avait mené de 1947 jusqu’à sa mort tragique en
1959, c’était pour le respect de la dignité de l’espèce humaine qui ne se limitait pas
au seul territoire de l’Oubangui-Chari, mais plutôt dans tous les continents où se
trouvaient les hommes de couleur. Dans son journal intitulé « pour sauver un
peuple », il dénonça avec véhémence le crime crapuleux et raciste d’un
Américain blanc commis aux Etats-Unis sur Emma Pitt, un jeune noir âgé de 14ans
dont on a déjà parlé dans les pages précédentes.
En outre, il fit remarquer que l’injustice flagrante dont avait été souvent victime
l’homme noir en illustrant ses propos par le refus de loger dans une chambre
d’hôtel de Tuléar à Madagascar, parce qu’il était noir, le fils de Félix Eboué,
ancien gouverneur du Tchad, ancien gouverneur-général de l’AEF. Félix Eboué fut
l'un des premiers administrateurs ayant répondu favorablement à l’appel du 18 juin
1940 de Charles de Gaulle à la Résistance, au lendemain de l’occupation de la
France par l’Allemagne nazie. Toutes les discriminations raciales, toutes les
injustices sociales sous d’autres cieux, et en Oubangui-Chari ne laissaient point
insensible Boganda. Lui-même, premier député de l’Oubangui-Chari avait été à
deux reprises chassé en 1947 de l’hôtel « Pendéré » à Bangui pour la couleur de sa
peau. Cela l’avait profondément marqué pendant toute son existence.
Au cours de ses nombreuses campagnes d’information et de sensibilisation de la
population locale sur sa mission politique, il attirait souvent l’attention de ses
adeptes et sympathisants sur le fait que tout militant du MESAN, quelles que
soient son origine et la couleur de sa peau, devrait se mettre dans la tête que la
dignité se traduit d’abord par le respect de soi-même et par le respect d’autrui. La
dignité, c’est accomplir avec gaieté et dévouement son travail ou son devoir dans
la paix ; c’est vivre de manière honnête sa vie, des fruits de son travail. Jusqu’à sa
mort inattendue et tragique, Boganda attachait beaucoup d’importance au respect
de la dignité humaine qui, selon son entendement, était une grande vertu qui
grandissait et qui pouvait honorer tout individu.
Afin de faire asseoir leur notoriété, tous ses successeurs à la tête de la République
Centrafricaine voulaient marcher dans son sillage en paraphrasant à leur manière
cet idéal qui lui était cher. Toutefois, le terme de « dignité » était théorique ; il
n’était jamais appliqué dans sa plénitude. Ce n’était qu’un saupoudrage, un
somnifère pour berner et endormir la population. Le chef d’Etat-Major, le colonel
Jean-Bedel Bokassa, ayant la mainmise sur le MESAN dès son accession à la
magistrature suprême de l’Etat suite à un coup de force militaire dans la nuit de la
St-Sylvestre 1966, prônait le slogan : « zo ayéké zo » à quiconque voulait
l’entendre. Malheureusement, l’acte n’avait jamais accompagné la parole.
Durant tout son régime sanguinaire qui avait duré pendant treize ans, ce principe
n’avait jamais été respecté car plusieurs familles ont été endeuillées suite aux
exactions et crimes crapuleux de sa garde prétorienne.
Dans la nuit du 20 au 21 septembre 1979, Dacko, le successeur du défunt Boganda,
devenu le tout premier président de l’indépendance de la RCA, ayant retrouvé son
fauteuil présidentiel grâce à « l’opération Barracuda » soigneusement préparée et
exécutée par les contingents français du Gabon et du Tchad, devait s’investir, de
par sa formation initiale d’enseignant du primaire, de par son état d’âme
chrétienne, dans le rétablissement de la dignité humaine dans son pays. Pendant
deux ans, il n’était pas du tout compris par ses compatriotes qui préféraient la
brutalité à la douceur et qui le traitaient de « jeune femme » ou de « vache qui rit ».
Dépassé par les événements qui se multipliaient sans discontinuité, le président,
évitant le bain de sang, organisa le 1er septembre 1981 un simulacre de coup d’Etat
qui, en réalité, n’était qu’une passation de pouvoir politique entre lui et son chef
d’Etat-Major, le général André Kolingba, afin de sauver le pays du bourbier.
Le nouveau président-général s’appropria lui aussi le même principe de « zo kwé
zo » de Boganda en le paraphrasant par « sö zö lä » autrement dit, « c’est une
personne ». Certes, André Kolingba pendant tout son règne ( 1981-1993 ) était
aussi soucieux de placer l’homme au centre d’intérêt de sa politique sociale. Il
fonda en 1987 le parti du « Rassemblement démocratique centrafricain ( RDC ) ».
Mais celui-ci ne réussit pas mieux, lui aussi, dans la pratique. Pendant tout son
règne, la dignité humaine était souvent bafouée car son entourage immédiat,
notamment ses éléments de sécurité dont la plupart était des analphabètes,
n’avaient pas la même conception que lui.
En dépit du grand fossé qui séparait la parole et l’acte, l’idéal avait comme
dénominateur commun, le respect de la valeur humaine si chère à Boganda.
Travail.
S’inspirant du passage de l’Evangile selon lequel « tu gagneras ton pain à la sueur
de ton front », Boganda n’a jamais cessé de répéter à ses fidèles et à son
peuple pendant les douze années de sa carrière politique que le travail ennoblissait
l’homme et favorisait son épanouissement rapide. En effet, pour réussir
durablement dans la vie ( ou sa vie ), il n’y a jamais eu de la magie.
Fils de paysan, député du deuxième collège à l’Assemblée nationale française,
président du Grand Conseil de l’AEF, l’abbé Boganda a toujours aimé depuis son
ministère sacerdotal de Grimari la terre qui nourrit et fait vivre l’être humain. Il
encourageait toute la population oubanguienne au travail sans lequel aucun
développement durable ne pourrait se faire. A Grimari comme dans son village
natal Bobangui, il se consacrait résolument, avec amour et détermination, au travail
de la terre. Pour terminer, Boganda laissa en héritage à ses congénères toute la
philosophie du travail résumée sous forme de slogan en ces termes : « Parlons peu,
mais travaillons beaucoup. »
Le MESAN ayant pris l’allure d’un véritable parti politique se voulait un parti
responsable devant se mettre résolument au service de la collectivité et non le
contraire. Homme de très grande culture intellectuelle, il était souvent à l’écoute de
la population envers laquelle il avait des devoirs considérables. Afin d’atteindre les
objectifs fixés pouvant permettre le bien-être social des Oubanguiens, cinq verbes
judicieusement choisis par Boganda résumèrent sa philosophie politique. Il suffit
que les leaders politiques centrafricains qui président depuis un certain temps aux
destinées de cette population s’inspirent de ces cinq verbes pour éviter les
récurrents soubresauts politico-militaires qui sont depuis 1996 à l’origine du
délabrement du tissu social et économique dans le pays, engendrant la
paupérisation à grande échelle. La portée de ces cinq verbes ci-dessous ne peut se
passer sans commentaire.
22 - 2 Les cinq verbes du MESAN.
Nourrir.
Boganda ayant mûrement réfléchi sur les verbes manger et nourrir trouvait qu’il y
avait bel et bien entre les deux termes une nuance notable. Il devait choisir plutôt
nourrir que manger. Avant la mise en place effective de l’administration coloniale
suivie de l’implantation des compagnies concessionnaires en Oubangui-Chari, la
population vivait normalement des produits de son travail. Sur l’ensemble du pays,
les paysans pratiquaient de vastes cultures vivrières, chassaient et pêchaient pour
nourrir leur famille avec des aliments variés et riches en calorie ; ils ignoraient la
famine car chaque année la récolte était bonne et abondante. D’ailleurs, les images
photographiques des habitants de l’Oubangui-Chari présentées par les premiers
explorateurs démontrent à suffisance que la plupart d’hommes, femmes et enfants
qualifiés de primitifs, étaient sains et robustes parce qu’ils se nourrissaient
convenablement. C’était dans ce pays que le recrutement massif d’hommes et de
femmes valides pour le portage de matériels militaires et de vivres alimentaires à
destination de Fort-Archambault ( actuelle Sarh ) se faisait.
Dès l’ouverture du chantier du chemin de fer Congo-océan, le gouverneur- général
Augagneur qui admirait la forme physique des Oubanguiens, intima l’ordre au
lieutenant-gouverneur de l’Oubangui-chari de procéder à la réquisition forcée des
prestataires dans les différentes régions afin de les envoyer à Brazzaville. Pendant
la même période, la culture de coton, rendue obligatoire en zone de savane, devait
mobiliser toute la population au détriment des cultures vivrières.
L’exploitation à outrance des paysans par l’administration coloniale n’accordait
aucun moment de répit à ceux-ci pour vaquer à leurs propres occupations
traditionnelles ( cultures vivrières, chasse, pêche et cueillette ). Par conséquent, ils
ne pouvaient plus se nourrir comme par le passé. Se contentant des aliments très
pauvres en protéine, ils les mangeaient tout de même pour tromper la faim qui
tenaillait leurs entrailles. La population, mal nourrie, devait connaître presque toute
des déficiences physiologiques significatives et un amaigrissement excessif.
Face à cette situation qu’il qualifiait de désastreuse, Boganda demandait avec
insistance à la tribune parlementaire l’abolition du travail forcé qui constituait un
fléau pour toute la population de l’Oubangui-Chari. Au cours de ses contacts avec
la population, il ne cessait d’inciter celle-ci à reprendre les cultures vivrières et
d’autres activités d’appoint telles que la chasse et la pêche pour lui permettre de se
nourrir décemment.
En effet, la faim prépare le terrain propice aux différentes affections microbiennes
et que l’excellente santé de la population se trouve dans les bons plats.
Soigner.
Depuis fort longtemps, l’espace centrafricain constituait une sorte de « musée
pathologique » où toutes les endémo-épidémies ( paludisme, dysenterie,
tuberculose, variole, trypanosomiase humaine, lèpre, etc. ) minaient
dangereusement la population et engendraient partout des taux de morbidité et
mortalité élevés. Boganda, lui-même, avait été sévèrement atteint par la variole
dont il gardait sur le corps jusqu’à sa disparition définitive de la scène politique des
cicatrices indélébiles.
Avant d’être récupéré par le prêtre spiritain, le Révérend Père Gabriel Herriau, qui
le confia à l’internat de Betou au Moyen-Congo afin de s’occuper de sa formation
et de son éducation, le jeune Boganda avait aussi souffert comme tant d’autres
enfants orphelins d’Afrique noire, de parasitoses et d’ulcères phagedéniques ; ce
qui l’avait cruellement marqué.
Ainsi donc, la lutte implacable contre ces maladies constituait pour lui une des
priorités qui devait être inscrite en lettre d’or sur le sommier-répertoire des actions
médicales et sanitaires du MESAN. Une nation forte et puissante a besoin d’un
important capital humain physiquement et spirituellement sain. Or, la décroissance
de population oubanguienne engendrée par trois siècles d’esclavage fut aggravée
dès le début de la mise en place du système colonial. Pour le député Boganda, seul
le développement des infrastructures sanitaires modernes sur toute l’étendue du
territoire pourrait faire remonter la courbe.
Conscient de la quasi-inexistence de ces infrastructures en Oubangui-Chari,
Boganda faisait figurer en bonne place dans son projet de société la création des
formations sanitaires sur un rayon de 10 à 15 kilomètres avec un personnel médical
et para-médical bien formé et compétent. Avant sa mort, il réussit à obtenir la
construction de l’hôpital général de Bangui dont les travaux démarrèrent en 1954
et prirent fin quatre ans après. L’hôpital, devenu opérationnel l’année suivante (
1959 ), fut érigé en 1976 en « Centre National Hospitalier Universitaire de
Bangui » ou CNHUB par le président Jean-Bedel Bokassa.
En dehors de cet hôpital général, on ne pouvait trouver qu’à Bouar le dispensaire
de garnison qui jouait un rôle non négligeable dans les traitements médicaux des
patients tant civils que militaires. Le dispensaire fut aussi érigé dans la même
année en hôpital. Ainsi donc, avant la disparition tragique de Boganda, on ne
pouvait dénombrer sur toute l’étendue du territoire que deux hôpitaux : l’un à
Bangui et l’autre à Bouar. Tous étaient équipés sommairement de 463 lits
d’hospitalisation.
Cependant, dans les autres chefs-lieux des régions, on ne pouvait enregistrer à cette
époque que 12 centres médicaux disposant en tout de 734 lits. Dans les districts, on
comptait 18 infirmeries équipées de 298 lits ( ** Louma Jean « Naissance et
évolution de la médecine moderne en Centrafrique » mémoire de maîtrise,
Université de Bangui 1991, p. 52 ).
Au lendemain de l’indépendance du pays ( 1960 ), le nombre d’infrastructures
sanitaires devait croître rapidement par rapport aux années antérieures. Les vastes
campagnes de vaccination antivariolique menées conjointement avec la lutte contre
la lèpre et la trypanosomiase humaine allaient considérablement améliorer l’état de
santé de la population centrafricaine.
Instruire.
Depuis l’implantation des premières écoles primaires par les confessions
religieuses, notamment catholique et protestante, puis par l’administration
coloniale, les objectifs essentiels recherchés étaient de dispenser des connaissances
élémentaires aux petits oubanguiens en vue de faire d’eux du personnel capable
d’exécuter des tâches subalternes.
Sachant lire, compter, parler et écrire en français, ils pouvaient être soit des
auxiliaires de l’administration soit des catéchistes à même de traduire en sangö ou
dans un dialecte quelconque les préceptes religieux et propager dans les coins
inaccessibles aux prêtres et missionnaires blancs la « Bonne Nouvelle » qui
consistait à assurer l’évangélisation des populations locales pratiquant encore
« l’animisme ». En outre, des centres professionnels rudimentaires formaient des
ouvriers ( maçons, charpentiers, menuisiers et jardiniers ). En réalité, jusqu’en
1945, le taux de scolarité n’atteignait pas encore 2% sur toute l’étendue du
territoire.
De 1942 à 1950, certains meilleurs élèves nantis du certificat d’études primaires
indigènes ( CEPI ) étaient envoyés à l’Ecole primaire supérieure de Bambari où ils
devaient poursuivre pendant trois ans leurs études. L’objectif était de former à cette
époque des cadres moyens. Au terme de leurs études dans cette localité ( Bambari
), les meilleurs élèves étaient transférés soit à Mouyonzi au Moyen-Congo (
Brazzaville ) pour parfaire leurs connaissances en vue d’être instituteurs
sur « pied » ou « plein » ( ** D. Dacko, Michel Adama Tamboux, Ferdinand
Bassamoungou faisaient partie de ces premiers élèves de l’Ecole normale de
Mouyonzi ; ils y étaient envoyés au terme de leurs études à l’EPS de Bambari
) soit à « l’Ecole des Cadres » d’où sortaient des cadres moyens de l’AEF (
commis des services administratifs et financiers ( SAF ), commis télégraphe,
postier, etc. ). En 1944, Abel Goumba, ayant achevé ses études à l’école primaire
supérieure de Bambari, fut envoyé à l’Ecole de Médecine de Dakar pour la
formation des médecins africains, un grade qui correspondrait aujourd’hui à celui
d’un technicien supérieur de Santé ( TSS ). A notre connaissance, il fut le premier
Oubanguien à arborer le titre de médecin africain. Plus tard en 1968, suite à ses
démêlées politiques avec le président David Dacko, il devait poursuivre et soutenir
avec brio à l’Université de Bordeaux ( France ) sa thèse de doctorat en médecine ;
ce qui lui conféra le grade de docteur.
Titulaires du certificat d’études primaires indigènes ( CEPI ), certains élèves
étaient envoyés dans un centre de formation psycho-pédagogique tel que
Wakombo dans la Lobaye pour deux ans. Cependant, les futurs enseignants
destinés à l’enseignement privé catholique recevaient leur formation à Bangassou.
Au terme de cette formation, les élèves titulaires du diplôme de moniteur ou agent
étaient recrutés dans l’enseignement du premier degré. D’autres, nantis de ce
« gros » diplôme à cette époque et qui n’a plus de valeur de nos jours, étaient
acheminés soit sur un centre de formation d’infirmiers soit sur un centre agricole (
Ngoulinga ou Grimari ). Il conviendrait donc de souligner que dans toutes les
écoles tant officielles que privées, le travail manuel ( agriculture, jardinage, poterie
) occupait une place importante dans le programme d’enseignement afin d’amener
l’enfant à aimer la terre et le bricolage.
En réalité, jusque là, aucun établissement d’enseignement secondaire n’était créé
en Oubangui-Chari. En effet, l’administration craignait de donner aux petits
Africains une formation poussée qui pouvait se retourner contre elle. Elle justifiait
souvent sa crainte par le fait qu’elle constituait une arme dangereuse, un couteau à
double tranchant entre les mains des nègres en citant le cas de l’érudit député
Boganda qui était devenu, d’après elle, « anti-français ». Comme le faisaient
remarquer les colons belges : « pas d’élites, pas d’ennuis » ( ** Jean-Marc Ela
« L’Afrique des villages » p. 40 ), il était très rare de trouver, jusqu’au lendemain
de l’indépendance du pays des intellectuels de haut niveau universitaire.
Le tout premier collège moderne créé surtout à l’intention des enfants des colons
dans le cadre du regroupement familial et de quelques rares fonctionnaires
africains affectés en Oubangui-Chari vit le jour à Bangui en 1953 ( ** il prit la
dénomination de collège Emile Gentil, puis au lendemain de l’indépendance
du pays, il fut rebaptisé et devint le « lycée B. Boganda ». Les enfants des
colons ayant terminé soit la classe de troisième soit celle de première repartaient en
France pour la poursuite de leurs études. Toutefois, certains petits Oubanguiens
intelligents que l’on pouvait compter au bout des doigts, le fréquentaient.
Elu député, Boganda qui considérait d’une part, l’analphabétisme comme étant la
principale source des maux qui gangrénaient la société oubanguienne et d’autre
part, comme le facteur essentiel du retard de l’Afrique noire dans tous les
domaines, s’en préoccupa énormément. En mars 1947, son intervention au congrès
du Mouvement républicain populaire ( MRP ) auquel il venait à peine d’adhérer
portait entre autres sur le problème de création des écoles sur toute l’étendue du
territoire de l’Oubangui-Chari.
Dans la droite ligne de la politique du MESAN, il voulait vulgariser partout dans le
pays l’instruction en créant des établissements d’enseignement primaire,
secondaire et surtout supérieur, creuset du savoir et du savoir-faire, de l’unité de
ceux qui avaient les capacités de les fréquenter afin de former une véritable élite
professionnelle et intellectuelle dont le continent noir en général et
l’Oubangui-Chari en paticulier avait besoin pour son décollage.
En effet, le souci du député était de faire de l’Oubanguien un « homme complet »,
c’est-à-dire bien instruit, bien formé et bien éduqué sur tous les plans ( moral,
intellectuel et physique ). Malheureusement, pour l’enseignement supérieur, ses
collègues députés du premier collège ( réservé aux Blancs ) lui répondirent par des
préjugés qui l’irritèrent: « le Noir a des idées pré-logiques. Par conséquent, il n’a
pas d’aptitudes pour les études supérieures » si bien qu’il se heurtait souvent au
refus des autorités de multiplier dans le pays des établissements d’enseignement
sur toute l’étendue du territoire. Il fallait parcourir parfois une centaine de
kilomètres pour trouver une école villageoise ou primaire. Toutefois, le mérite
revient à l’église catholique qui créa de nombreuses écoles privées dont les
produits n’étaient pas à négliger à cette époque.
A noter que Boganda était déjà soucieux de l’éducation et de la formation des
filles. Au cours de ses tournées dans chaque localité, il ne cessait de sensibiliser les
parents à envoyer leurs filles à l’école occidentale. Il décida de la création d’un
établissement d’enseignement secondaire exclusivement réservé aux filles. En
1957, suite aux délibérations de l’Assemblée territoriale, il fut créé à Bangui un
collège baptisé « collège de jeunes filles » ( ** une école ménagère fondée en
1946 et dirigée pendant des années par Mme Caron, Institutrice française de
carrière ; elle apprenait aux filles oubanguiennes la cuisine, la couture et le
rôle d’une femme au foyer conjugal ; celle-ci fut érigée en 1962 en collège
d’enseignement général puis en lycée. L’établissement prit le nom de
Marie-Jeanne Caron qui a, pendant des années, démontré son talent et son
dévouement à la cause de la Centrafrique pour son émancipation rapide ).
.
Loger.
Depuis l’ère quaternaire, l’homme a toujours cherché à se mettre à l’abri en raison
de la variation saisonnière. Lorsqu’il faisait froid, il habitait dans les cavernes ou
dans les grottes. Pendant la saison chaude, il se construisait une hutte en
branchages recouverts de peaux d’animaux ou de feuilles d’arbres afin de s’abriter
contre la chaleur ou la pluie.
Doué d’intelligence, l’Homo sapiens sapiens trouvait que ce type d’habitat qui
remontait au temps ancien et ceci depuis des millénaires était dépassé. Sorti de son
état primitif et léthargique, il eut l’idée de faire un effort pour se loger de manière
décente et permanente.
Boganda, dans sa politique de logement, s’évertuait à expliquer aux Centrafricains
d’alors que la dignité d’un être humain résidait dans un habitat fixe et décent,
condition sine qua non d’une bonne santé dans la famille, d’un foyer heureux et
stable. Soucieux de faire loger les tout premiers cadres et fonctionnaires
oubanguiens, il entreprit de nombreuses démarches auprès de la « Société
Immobilière d’Afrique Equatoriale Française » ( SIAEF ), une société immobilière
française dont la filiale était implantée à Brazzaville. Ces démarches aboutirent à
partir de 1954 à la construction tant à Bangui que dans l’arrière-pays de nombreux
logements sociaux à moindre coût et accessibles à tous. Quatre ans après son
installation, la société SIAEF changea de dénomination et devint en 1958,
« Société Immobilière de Constructions Africaines » ( S.I.C.A. ) puis, il prit le nom
de « Société Nationale d’Habitat » ( S.N.H. ) pour disparaître définitivement au
lendemain de l’indépendance.
Vêtir.
Pendant ses premiers moments d’épiscopat, l’habillement des chrétiens et
catéchumènes devenait une préoccupation majeure pour l’abbé. A Grimari où il
était affecté, il y attachait du prix. Tout fidèle qui se présentait à l’église en
cache-sexe fait de peaux de cabri ou de félins ou encore d’écorces d’arbres battues,
était chassé. Il lui demandait de repartir à la maison et de porter des habits avant de
se présenter devant l’autel de Dieu. Toutefois, aux femmes et aux hommes les plus
démunis, il remettait des morceaux de pagnes ou des culottes et chemises aux fins
de cacher leur nudité et paraître propres à la messe.
Si l’on dit parfois à tort ou à raison que « l’habit ne fait pas le moine », Boganda
trouvait que l’habillement, non seulement rendait la dignité à tout être humain,
mais le protégeait contre toute maladie et assurait aussi sa santé. Toutefois, il
entrait souvent en conflit avec les commerçants européens exerçant leur métier sur
l’ensemble du territoire de l’Oubangui-Chari en dénonçant l’importation des
pacotilles qu’ils achetaient à vil prix à l’étranger puis les revendaient trop cher aux
paysans avec une marge bénéficiaire substantielle. Il n’hésitait pas à les traiter
« d’escrocs ». Ce fut une autre manche de combat.
Comme à cette époque, les sociétés commerciales tenaient le haut du pavé
économique dans le pays, elles étaient très puissantes si bien qu’elles étaient même
capables de porter un coup fatal au gouverneur, chef de territoire de
l’Oubangui-Chari, soit en provoquant sa mutation au cas où ce dernier ne leur
accordait pas « aides et facilités » par le recrutement intensif des prestataires pour
le travail forcé, soit par la protection de leurs intérêts vis-à-vis des populations
« indigènes ». Ainsi donc, l’administration devait être à leur service et se soumettre
à leurs exigences, à leurs caprices si elle tenait à faire rentrer l’impôt devant
alimenter le budget local. Or, le député oubanguien, en s’en prenant à ces sociétés
pour la qualité médiocre de leurs marchandises vendues aux paysans, il s’en
prenait aussi par voie de conséquence aux autorités politiques et administratives. Il
devenait ainsi la cible de toute la communauté blanche vivant dans le pays.
22 - 3 L’implantation des sections du MESAN en AEF.
22 - 3 - 1 Au Congo et au Gabon.
En réalité, le président-fondateur du MESAN, Barthelémy Boganda, était dans
toute l’ex-Afrique équatoriale française ( AEF ), un adversaire de taille pour les
autres leaders qui tenaient à le combattre énergiquement en empêchant
l’implantation de son parti, par simple nationalisme égoïste en gestation.
Au Moyen-Congo comme au Gabon, les dirigeants des partis locaux ainsi que les
représentants des partis tant métropolitains qu’africains adoptaient des attitudes
hostiles au parti oubanguien. Toutefois, les sections du MESAN furent
officiellement installées dans les deux capitales ( Brazzaville et Libreville ). Par
peur de représailles, de tracasseries administratives et policières, les quelques rares
militants et sympathisants congolais et gabonais se dissimulaient pour tenir leur
réunion en dehors du siège de parti.
22 - 3 - 2 Au Tchad.
Jusque dans les années 1950, de nombreux ressortissants oubanguiens vivaient et
travaillaient soit dans le secteur public soit dans les entreprises privées. Plusieurs
militants et sympathisants du MESAN se comptaient déjà parmi ceux-ci. Mais ils
oeuvraient dans la clandestinité si bien que le jeune parti de Boganda gagnait
progressivement du terrain. Pendant la même époque, les dirigeants des partis
politiques locaux tels que le Parti politique progressiste tchadien ( PPT ) qui
fusionna au RDA pour donner PPT-RDA, ceux des sections des partis africains et
métropolitains comme le RDA, le RPF et la SFIO qui deviendra par la suite le
Mouvement socialiste africain ( MSA ) considéraient le MESAN sur le sol
tchadien comme étant un parti étranger qui représentait un danger réel pour eux (
**Alphonse Saragba, charpentier puis chef d’équipe des scieurs à la
Cotonfran de Kélo devenue au lendemain de l’indépendance du Tchad
« CotonTchad » était le grand admirateur de Boganda et fervent militant du
MESAN. En dépit de l’interdiction de détenir la carte du MESAN, il en
possédait deux : l’une, appartenait au MESAN ; il la détenait par conviction
et l’autre, au RPF ( Rassemblement du Peuple français ) afin de sauvegarder
son emploi car elle était imposée à tout travailleur par toutes les entreprises
privées et dans l’administration coloniale. Celui-ci était contraint de la
présenter au moment de la paie. Toutefois, pour dissuader les autres
Oubanguiens vivant dans la localité à adhérer au parti de Boganda, il tenait
discrètement des réunions dans un endroit caché afin d’éviter les réprésailles
des employeurs. Un jour, surpris en flagrant délit de militantisme en faveur
du MESAN, il fut licencié de son emploi et menacé d’arrestation. Ayant été
informé des menaces qui pesaient sur lui, il décida de quitter aussitôt en
catimini Kélo ( Tchad ) pour l’Oubangui-Chari ( actuelle Centrafrique ). En
mars 1959, parti de Sido ( Markounda ) à la place mortuaire de son proche
cousin Féréma, décédé à Mbaïki, il fut surpris et bouleversé par la mort
tragique de Boganda. Toutes les circulations des automobiles appartenant aux
particuliers, sur l’axe MBaïki- Bangui ( 100 km ), étaient coupées.
Profondément choqué, il quitta à pied Mbaïki pour Bangui, malgré le veto
d’un de ses cousins, Déwolibona, qui l’hébergeait. Le lendemain matin, à
partir de 10 heures, il réussit à se rendre sur le parvis de la cathédrale
Notre-Dame de Bangui, pour un dernier hommage à l’Homme qui avait tenu
tête aux « Blancs » et dont les idéaux étaient profondément ancrés dans son
esprit. Jusqu’à sa mort le 03 août 2002, le seul homme d’Etat dont il parlait
avec une profonde conviction et révérence était B. Boganda. Conseiller
communal à Markounda ( 1964-1992 ), il gardait toujours par dévers lui
jusqu’à sa mort, la médaille et la carte du MESAN.
Il a fallu attendre le 3 juillet 1957 pour que le MESAN s’implantât de manière
officielle dans certaines régions du Sud du pays. Son siège fut installé à
Fort-Archambault ( Sarh ), ville coloniale autrefois peuplée d’une part de Banda
partis de Bouca et de Gbäyä de Batangafo ; d’autre part, les Mandja de
Fort-Crampel ( Kaga-Bandoro ) et de Dékoa ayant abandonné leurs villages à
cause du travail forcé ( portage, récolte du caoutchouc et autres corvées ) qui les
avilissait y étaient majoritaires.
Le parti de Boganda devait prendre de l’ampleur dans le Sud du pays grâce à la
forte concentration et à la mobilisation des populations d’origine oubanguienne et
surtout grâce au talent d’orateur et de rassembleur du fervent militant du MESAN,
Pierre Faustin Maléombo, greffier au tribunal de Grande Instance de Fort-Lamy
qui réussit à faire adhérer aussi massivement que possible certains Tchadiens ( **
B. Boganda lui fit appel en décembre 1958 et lui confia le poste ministériel des
Travaux publics, Transports et Mines. Co-fondateur du Médac, il fut arrêté
en 1960 sous le régime de Dacko et déporté à Bossembélé puis libéré. Impliqué
dans le coup d’Etat manqué du 03 février 1976 contre le président Bokassa à
l’aéroport Bangui-MPoko, il fut arrêté, condamné à la peine capitale et fusillé
le 12 février ).
De 1957 à 1959, il anima avec zèle et abnégation la vie politique du MESAN. Il
devait parcourir plusieurs régions du Tchad pour mettre en place les organes du
jeune parti malgré les menaces et les pressions de l’opposition. Mais empêché par
les autorités politiques tchadiennes de se rendre en milieu rural, il limitait ses
activités aux centres urbains ( Fort-Archambault, Moundou, Doba, Kélo, Bongor,
etc. ).
Les résultats du premier test du MESAN aux élections territoriales du 30 mars
1957 organisées dans la ville de Fort-Archambault ( Sarh ) ont été édifiants et
révélateurs. En effet, sur 12 979 votants, le MESAN en a raflé la majorité absolue (
79%) contre 17% au PPT et 3,25% au MSA. Cependant, au niveau de l’ensemble
de la région du Moyen-Chari, en raison des pressions qu’exerçait l’administration
dans les bureaux de vote et le refus des autorités de permettre les représentants du
MESAN à mener leur campagne dans les villages, le PPT passa très loin en tête
avec un score de 89%. Tandis que le MESAN enregistra 4,9% et le MSA 4%.
Dans la région du Logone, notamment dans le district de Moundou, le jeune Abbé
Ngaïbi, ancien élève de Boganda au petit séminaire de Bangui en 1941, demandait
aux membres de son église d’adhérer massivement au MESAN qui avait un avenir
prometteur. Il attira sur lui les foudres du président François Tombalbaye ( **
Enseignant et catéchiste, devenu président de la République du Tchad en
1962, il s’inspirait souvent devant son auditoire des passages bibliques pour
tenter de le persuader. Pendant tout son règne il n’a connu que des rébellions
venues du Nord du pays islamisé. Dans les années 1970, avec sa politique
« d’authenticité » culturelle rigoureusement appliquée sur toute l’étendue du
pays, il provoqua de nombreux mécontents dans l’élite intellectuelle qui
rejetait le « yondo », une société secrète qui se pratiquait en pleine brousse
pendant 3 à 6 mois. Pour se distinguer des non-initiés appelés « koï », les
initiés devaient porter sur leurs joues des balafres. Les pasteurs missionnaires
expatriés qui tentaient de s’interposer afin de mettre fin à ces pratiques
ancestrales, constituaient sa première cible. Le 13 avril 1975, il fut renversé
par un coup d’Etat militaire et tué ) du PPT-RDA.
Celui-ci décida d’entamer de larges campagnes d’information de la population du
Sud du Tchad sur le rôle de l’Eglise. Dans tous ses discours en « sara manjingaï »,
il ne cessait de répéter la phrase suivante : « yan lo allalh ni adni Allah ; yan lo
César ni adni César » ; traduit en français : « à Dieu ce qui est à Dieu ; à César, ce
qui est à César ». En clair, l’Abbé devait s’occuper de l’Eglise, de ses chrétiens et
catéchumènes et laisser la politique au politique. Selon sa logique, un prêtre ne
devrait pas faire de la politique.
Des incidents occasionnés par un militant du RDA éclatèrent. Les membres de la
coalition ( PPT-RDA et MSA ) et ceux du MESAN s’affrontèrent ; il y eut
d’importants dégâts corporels et matériels. Boganda, ayant été saisi d’une part des
tractations que connaissaient ses militants et sympathisants et d’autre part des
récents incidents de Moundou, adressa le 14 mars 1958 une lettre de protestation
au Comité directeur du Groupe tchadien à Fort-Lamy en ces termes : « Nul n’a le
droit de se débarrasser des adversaires politiques sous prétexte qu’ils ne sont pas de
notre avis, par la violence et la force des armes. Les peuples et les leaders qui les
pratiquent ne sont pas mûrs pour la démocratie… Nous sommes contre la politique
de la haine et du sang… ». Par ailleurs, il faisait comprendre aux autres
responsables des partis qu’il qualifiait « d’agitateurs », tous ceux qui considéraient
le MESAN comme un parti étranger sur le sol tchadien alors que tous les partis
étrangers, métropolitains et africains, ayant des représentants en Oubangui-Chari,
jouissaient de la liberté de circulation d’aller et de venir, de la liberté d’expression.
Par conséquent, les Oubanguiens et les étrangers vivant sur le territoire tchadien
devraient exprimer librement leur opinion et adhérer en toute impunité, en toute
indépendance au parti de leur choix. En effet, Boganda était toujours favorable au
multipartisme et aux règles du jeu démocratique. Il tolérait évidemment la création
des sections des partis étrangers sur l’ensemble du pays. Joignant l’acte à la parole,
le député et son parti invitèrent Ahmed Koulamallah, le leader du parti MSA dont
le siège était à Fort-Lamy à venir en visite d’amitié et de travail à Bangui où un
accueil très chaleureux lui était réservé par les militants du MESAN. Celui-ci mit à
profit son séjour dans la capitale pour sillonner en toute quiétude tout le territoire
de l’Oubangui-Chari. Il créa sans être inquiété par les autorités
politico-administratives les sections de son parti le MSA. Malheureusement, la
mort inattendue et brutale de Boganda, et l’émergence du nationalisme tchadien
annoncèrent le ralentissement des activités du MESAN au Tchad.
Faustin Maléombo, président du comité fédéral du MESAN ayant été rappelé à
Bangui par Boganda fut remplacé par son bras droit, le secrétaire général Kodebri
Nagué, originaire du Moyen-Chari ( Tchad ) qui travaillait sans arrière-pensée en
étroite collaboration avec Maléombo. Kodebri, homme de conviction, devait jouer
un grand rôle dans la propagation des idéaux politiques de Boganda en dépit des
critiques acerbes proférées à son égard et des menaces de mort qui pesaient aussi
sur lui.
Par ailleurs, ce dernier tenait souvent tête à ses détracteurs malgré son très faible
niveau scolaire. Il semble qu’il n’aurait jamais franchi la porte de l’école primaire ;
mais il était un infatigable autodidacte. Le MESAN se trouvant dans l’œil du
cyclone devint ainsi la cible des partis politiques locaux et étrangers dont les
sections étaient installées au Tchad. En outre, certains ressortissants du territoire de
l’Oubangui-Chari ayant choisi d’adhérer au RDA s’opposaient farouchement au
régime de Boganda. Quelques témoignages recueillis montrent à suffisance que ces
Oubanguiens vivant au Tchad combattaient avec acharnement le MESAN en
menant des campagnes de délations contre son leader.
Dans l’un des quartiers de Fort-Archambault appelé « Paris-Congo », au cours
d’une rencontre chez un certain Fétoun, ceux-ci traitaient le gouvernement de la
République centrafricaine qui venait d’être mis en place à Bangui le 8 décembre
1958 et dont tous les membres étaient issus du MESAN, de « gouvernement du
RPF ». Afin de convaincre l’assistance à les suivre, ils ajoutèrent : « le peuple
oubanguien souffre…Oubanguiens du Tchad, soyez vigilants et adhérez seulement
au RDA connu dans le monde entier. Tous les députés de Bangui sont achetés avec
de l’argent ».
Un autre opposant nommé Baligros, militant du MSA, écoeuré du fait que Michel
Béngué n’ait pas été nommé ministre, renchérit : « la RCA fait un retour à
l’indigénat. En brousse, les Européens, les députés et les ministres fouettent les
gens à la chicotte » et pour manifester son indifférence à la mort tragique du
fondateur du MESAN, il poursuivit ses diatribes : « Boganda n’a jamais été à la
guerre ; donc sa mort ne lui dit rien. Il n’est pas un vrai combattant ».
Toutefois, certains Tchadiens ayant adhéré au MESAN entretenaient de très
bonnes relations avec le Comité directeur dudit parti. Par exemple à Bongor (
Mayo-Kebbi ), P. Tabana, président de la section du MESAN, dans sa lettre du 23
octobre 1959 adressée au Président de la République Centrafricaine à Bangui,
dénonça « l’exclusion de 17 Centrafricains du collège d’enseignement secondaire,
de la sixième à la troisième, par le député de Bongor. Pour motifs, ce sont des
étrangers ».
Kodebri restait toujours très attaché au MESAN par conviction. Dans sa lettre du
21 janvier 1960 destinée au président du parti à Bangui, il informa le Comité
directeur des « menaces qui pesaient sur les militants du MESAN au Tchad » et il
ajouta : « ces menaces venaient du côté des dirigeants du RDA »
A chaque session parlementaire, l’homme politique tchadien ne cessait de
dénoncer les sévices, les assassinats crapuleux et les abus commis sur les
ressortissants de l’Oubangui-Chari vivant au Tchad par des potentats sans âme et
sans cœur, semant partout la désolation.
Le 19 janvier 1962, la dissolution de tous les partis politiques d’opposition ( à
l’exception du PPT-RDA ) fut prononcée par les autorités tchadiennes. En effet,
l’acte de décès du MESAN au Tchad fut établi ce jour.
Vingt-troisième partie. La mise en place de la
coopérative Socoulolé ( ** Société coopérative Oubangui Lobaye - Lessé ).
Affecté peu de temps seulement après son ordination à Grimari comme vicaire,
l’abbé Boganda, alliant son sens de créativité à sa grande capacité de travail
intellectuel et manuel mit en place une petite coopérative d’approvisionnement, de
conditionnement, de vente et de consommation des produits agricoles, de chasse et
de pêche. Les paysans devaient s’y retrouver dans une compréhension mutuelle
pour s’organiser afin de faire face à la sous-alimentation et à la misère qui
sévissaient chaque année dans la région pendant la rude période de soudure.
Malheureusement, cette coopérative agricole qui allait prendre l’allure d’un
paysannat n’a pu faire long feu. En effet, à peine fut-elle créée, son initiateur fut
muté à Bangassou. Puis élu le 10 novembre 1946 député à l’Assemblée française,
il quitta définitivement son ministère sacerdotal qu’il ne retrouva plus jamais, pour
explorer l’horizon politique et défendre les intérêts de ses frères les Oubanguiens.
En vertu de la loi du 10 septembre 1947 portant création de la coopérative dans les
territoires d’Outre-mer, l’Oubangui-Chari vit naître au cours de cette année une
floraison de coopératives dont les principales étaient la coopérative cotonnière ou
COTONCOOP de Georges Darlan et la coopérative des transports ou
TRANSCOOP de Jane Vialle.
Fils de paysan et surtout d’agriculteur aimant tendrement la terre qui nourrit, le
député de l’Oubangui-Chari, s’inspirant de son expérience de la petite coopérative
agricole de Grimari, décida de créer le 22 mai 1948, dans son village natal à
Bobangui, la SOCOULOLE ( Socoulolé ) avec un capital de 180 000 F CFA. La
société pourrait regrouper en son sein des adhérents et constituer le véritable
« creuset de l’unité des paysans », devait-il rétorquer à ses interlocuteurs.
Son siège était installé à Bobangui même. Toutefois, d’après le statut de cette
coopérative enregistré sous le numéro 112 au Tribunal de première Instance de
Bangui, il pouvait, conformément à l’article IV, « être transféré en tout autre lieu
par une décision de l’Assemblée générale ». Comme la coopérative était implantée
dans son village, tous les membres sociétaires de cette coopérative agricole étaient
pour la plupart de sa tribu ngbaka. Mais ses détracteurs les planteurs européens
installés dans cette zone forestière, n’hésitaient pas à le traiter de tribaliste. A noter
que chaque membre était muni d’une carte d’adhésion dont la valeur était versée à
la société pour son fonctionnement.
La SOCOULOLE disposait d’un personnel très réduit composé de deux secrétaires
dont Pascal Otto ( ** Pascal Otto, originaire de l’Ombella-Mpoko et d’ethnie
Ali ( sous-groupe Gbäyä ) est né vers 1930. En 1957, il entra à Brazzaville,
capitale de l’AEF, à l’Ecole des élèves gendarmes. Suite au coup d’Etat réussi
du colonel Jean-Bedel Bokassa dans la nuit de la St-Sylvestre 1966, il devint le
bras droit de ce dernier. Son ascension promotionnelle fut fulgurante. A
l’aéroport international « Bangui-Mpoko », il sauva de justesse le 03 février
1976 le Président-Maréchal Bokassa du coup d’Etat militaire dont le cerveau
était son gendre le commandant Obrou, époux de « fausse » Martine Bokassa.
L’homme était réputé de « kifi », c’est-à-dire de la métamorphose. Face à un
danger, il était capable de se métamorphoser. Lorsque l’adjudant Zikongo,
tireur d’élite de l’armée centrafricaine étant caché au premier étage du
hangar destiné au stockage des frets aériens le vit sur le tarmac de l’aéroport
avec Bokassa, il stressa et perdit le contrôle de son point de mire. Dès les
premiers coups des rafales, le général Otto qui suivait de prêt Bokassa, le fit
culbuter par réflexe et le couvrit aussitôt en se couchant plat ventre sur lui.
Les autres coups ne faisaient que ricocher autour d’eux. Le sous-officier
comploteur, ayant manqué son objectif, finit par se suicider à l’aide d’une
balle à la tempe. Mis à la retraite au grade de général de brigade, Otto mourut
le 16 août 1995 à son domicile de Sica III. Un an avant sa mort, il fut un de
mes invités pendant 45 mn à l’émission culturelle « Connais-tu la
Centrafrique ? ») et d’une dizaine de manœuvres, d’une camionnette pour la
collecte et le transport des produits vivriers, d’un magasin de stockage et d’une aire
de séchage de café. Elle recevait les paysans et leur achetait des produits de
consommation ( viande boucanée, poisson fumé, banane, huile de palme ou de
palmiste, tarot ) qu’elle allait revendre à Mbaïki mais surtout à Bangui. Très
souvent, elle livrait à crédit ses produits tantôt à domicile aux fonctionnaires qui
les payaient aussitôt après avoir perçu leur salaire tantôt sur le marché du km5 aux
commerçantes grossistes qui les revendaient à leur tour au détail.
Par contre, le député qui en était le président-fondateur achetait dans les
quincailleries et magasins de Bangui des matériels agricoles et des produits de
première nécessité qu’il allait distribuer aux adhérents puis il devait partager au
prorata les bénéfices tirés de la vente des denrées.
Selon la vision futuriste de l’abbé, la coopérative implantée dans un premier temps
à Bobangui dans la Lobaye devrait s’étendre progressivement sur toute l’étendue
du territoire de l’Oubangui-Chari puis sur l’ensemble des trois autres territoires de
l’AEF à savoir le Moyen-Congo, le Gabon et le Tchad afin de permettre aux
Africains vivant dans ces pays de s’affranchir d’une part, de la tutelle de la Société
de Prévoyance Indigène ( S.I.P ) ( ** cette société créée en 1937 par
l’administration coloniale ne sera fonctionnelle qu’en 1947 ) qui achetait à vil
prix des produits aux paysans puis elle les revendait trop cher aux fonctionnaires et
agents de l’administration coloniale et d’autre part, de se retrouver et de tisser
davantage leurs liens de fraternité afin de mener une lutte commune et implacable
contre le pillage systématique de leurs immenses ressources naturelles par des
étrangers.
La société constituait certes, selon la vision panafricaniste du député, le « creuset
de l’unité » du peuple africain, le cadre idéal d’éducation civique et
d’auto-formation des membres à la solidarité et à la gestion de leurs propres
affaires en se soustrayant de l’emprise des commerçants et planteurs européens
monopolistes. C’était le lieu incontestable, le lieu par excellence de dialogue, de
concertation, de prise de conscience et de décision collégiale.
Etant implantée dans la zone de forêt, la coopérative devait se consacrer tout
d’abord à la culture de caféier puis du tabac afin de donner le goût du travail de la
terre aux paysans et de les initier à la culture de rente, source de revenu importante.
Dès lors, Boganda et le personnel de la SOCOULOLE étaient placés dans le point
de mire de leurs détracteurs qui exigeaient de l’administration sa dissolution
immédiate. Seule, la SIP devait avoir droit de cité dans la Lobaye et sur toute
l’étendue du territoire.
Le chef de région de la Lobaye, Bouscayrol, surnommé par le député « la bouche
qui rit » et le chef de district de MBaïki Jacquinot s’opposaient énergiquement à la
mise en place de cette société coopérative qui concurrençait sérieusement la SIP
qui, placée sous les auspices de l’administration dès son implantation, commençait
à avoir la mainmise sur la paysannerie. Ils désignèrent les gardes régionaux et
miliciens les plus brutaux qui, munis de chicotte et de fusil, sillonnaient les villages
et contraignaient hommes et femmes à vendre exclusivement leurs produits
agricoles et ceux de chasse, de pêche ou de cueillette aux commerçants européens
chargés de ravitailler la SIP en provisions et non à la SOCOULOLE. Les
principaux clients de la SIP étaient les fonctionnaires et les agents de
l’administration coloniale ainsi que les gardes régionaux qui émargeaient
régulièrement sur le budget local. Elle les ravitaillait obligatoirement à crédit en
denrées alimentaires en obtenant d’eux une signature apposée après leur nom. Au
moment de la paie, le responsable de la SIP était toujours présent à côté de l’agent
comptable pour recouvrer ses créances. Au début de la saison pluvieuse, c’était la
même société de prévoyance qui livrait à crédit aux paysans des semences qu’elle
avait achetées et stockées depuis la dernière récolte et l’outillage agricole ( houe,
hache, coupe-coupe ) à des prix exorbitants. C’était de la pure spéculation qui
rapportait certes, de gros bénéfices à la SIP.
Prêtant main forte aux sociétés commerciales, l’administration luttait avec
opiniâtreté pour la dissolution rapide de la SOCOULOLE. Ainsi donc, c’était
partout la suspicion, la provocation, les menaces de prison qui pesaient lourd sur
Boganda et les prestataires de cette coopérative. Ordre formel était donné aux chefs
de villages d’empêcher les paysans à vendre à ceux-ci leurs produits. Le personnel
européen et les gardes commandités étaient souvent aux aguets. A la moindre
incartade, ils n’hésitaient pas à demander de prendre des mesures drastiques à
l’encontre de Boganda et ses travailleurs qui les concurrençaient sur le terrain.
Le 25 mars 1950, le secrétaire-gérant de cette société, Pascal Otto, arrêté pour
avoir acheté de la viande de chasse, fut jeté en prison de Mbaïki où il devait
égrener huit jours de détention provisoire ; puis il fut relaxé sans aucune forme de
procès. Peu de temps après, d’autres ouvriers et manœuvres tels que Djalo,
Nguinda et Ngoli furent interpellés à leur tour et envoyés à la maison d’arrêt de
MBaïki pour avoir adhéré à la SOCOULOLE.
La viabilité d’un mouvement coopératif nécessitait certes une gestion rigoureuse.
Mais il faudra aussi un appui financier et matériel conséquent tant de l’intérieur
que de l’extérieur. Or, la coopérative de Boganda se heurtait partout à des obstacles
infranchissables érigés par la SIP dont l’entière responsabilité de la gestion
revenait à l’administration coloniale ( ** J-D Penel, p. 489 ).
En 1949, le président-fondateur de la SOCOULOLE sollicita auprès du Fonds
d’Investissement et de Développement économique et social ( F.I.D.E.S ) créé par
décret du 30 avril 1946, un crédit assez substantiel pour lui permettre de lancer ses
activités; mais il lui fut refusé. Par contre il fut accordé à la COTONCOOP créée
par Georges Darlan une coquette somme de 33 millions de francs CFA qui fut
dilapidée assez rapidement. La TRANSCOOP de Jane Vialle reçut aussi le même
montant, mais ne réussit pas du tout à décoller suite à la mauvaise gestion de ses
responsables. A noter que Jane Vialle de père Français et de mère Lari ( de la
région de Pointe-Noire ) et Darlan, de père Portugais et de mère Banziri étaient
tous deux métis. Leur métissage avait sûrement joué en leur faveur. Pendant toutes
ses campagnes, Boganda ne cessait de dénoncer haut et fort cette discrimination et
injustice flagrante.
L’administration entama des campagnes de diffamation contre Boganda en faisant
courir des bruits selon lesquels, sous le couvert de sa coopérative, il exploitait la
population de la Lobaye en collectant leurs produits et en les revendant sans leur
verser la contrepartie. La SOCOULOLE, n’ayant obtenu aucun crédit, avait du
plomb dans l’aile si bien qu’elle ne pouvait prendre son envol comme l’aurait
souhaité son initiateur. Elle fut réduite, dans les années 1952-1953, à une entreprise
purement familiale.
Ayant réussi à évincer de la course la SOCOULOLE, la SIP faisait son chemin
sans la concurrence acharnée sur le terrain. Toutefois, dans l’arrière-pays où étaient
implantées ses succursales, la SIP ne pouvait plus répondre aux aspirations
profondes des fonctionnaires et agents qui étaient ses grands clients. Les paysans
achetaient non plus les semences. Ceux-ci, ayant compris le processus, vendaient
de moins en moins leurs produits vivriers à la SIP. Celle-ci allait les revendre
beaucoup plus cher en tirant de gros bénéfices. A chaque récolte, ils réservaient
désormais des semences pour l’année suivante.
Comme les nouvelles autorités de la Loi-cadre ( 1956 ) jugeaient caduques et
inefficaces toutes les SIP installées sur le territoire oubanguien, celles-ci furent
remplacées par décret n°75/387 du 2 mars 1957 par la « Société mutuelle de
Développement rural ( SMDR ). Toutefois, le nouvel organisme ne fut
opérationnel qu’au terme de l’ordonnance n°59/13 du 23 juin 1959 prise par le
gouvernement provisoire de la République centrafricaine.
Vingt-quatrième partie. La montée en puissance de Boganda
et son parti le MESAN.
La première législature de la IVe République débutée en 1946 devait prendre fin en
1951. Pendant son mandat quinquennal, le député a toujours mené contre ses
protagonistes, selon sa conviction, une guerre d’idées. Il avait comme moyens de
lutte la bible, le chapelet et le verbe autrement dit, la parole. Car pour lui, les
hommes faibles, irascibles et à court d’arguments, croyant dominer leurs
adversaires, ne pouvaient recourir qu’aux armes destructrices. Or le député, dès
son accession à l’assemblée française ne cessait de prêcher la non-violence et le
rapprochement de tous les Africains pour la stabilité et la paix durable sur le
continent noir.
A travers son jeune mouvement créé afin de permettre l’émancipation des peuples
noirs colonisés, Boganda apparaissait aux yeux des paysans comme un véritable
avocat défenseur, un puissant libérateur que la Providence leur a envoyé pour les
délivrer du joug de la servitude. Le MESAN qui n’était qu’un simple mouvement
n’ayant au départ aucune coloration politique, commençait à s’afficher comme tel
et à s’implanter solidement dans tout le pays surtout en milieu rural. En peu de
temps, il drainait vers lui de nombreux adhérents et sympathisants si bien qu’on
pouvait le considérer un an seulement après sa création comme un parti de masse.
Cependant, dans les centres urbains, les autorités coloniales en bute avec le député,
semaient la terreur afin d’empêcher les Oubanguiens et les autres Africains vivant
dans le pays de se prononcer politiquement et publiquement.
D’après les informations orales recueillies, quiconque osait passer devant le
domicile du député, le saluer avec révérence lorsqu’il était de passage, était
soupçonné de vouloir adhérer au MESAN. En effet, selon certaines sources
concordantes, le fait de le fréquenter ou de le saluer constituait un délit.
L’individu accusé d’avoir sympathisé avec le leader du MESAN était arrêté et
gardé en détention préventive qui pouvait durer plusieurs jours, plusieurs semaines.
Pendant ce temps, il était soumis, soit au nettoyage des alentours des résidences
des autorités coloniales ou des bâtiments administratifs, soit aux corvées d’eau.
Puis il était relaxé sans aucune forme de procès.
Tous les agents du secteur public ainsi que les employés du secteur privé étaient
contraints d’adhérer au RPF ( Rassemblement du Peuple français ), parti du général
Charles de Gaulle créé en avril 1947 à Strasbourg en vue de permettre à la France
de retrouver son unité et sa dignité après ses humiliations et son démembrement.
La section du RPF créée à Bangui était présidée par Durand Ferté, officier de
réserve et patron de la société de Transport en Oubangui-Chari ( STOC ). Celui-ci
avait joué en août 1940 un rôle important dans le ralliement des Oubanguiens au
mouvement gaulliste. Dans chaque société ou entreprise, des cartes d’adhérents
étaient obligatoirement remises aux employés. A la fin de chaque mois, à l’appel
de leur nom par le payeur, ceux-ci devaient les présenter le jour de la paie des
salaires en lieu et place des cartes d’identité afin de témoigner leur fidélité au parti
du général Charles De Gaulle, le RPF. Tous les travailleurs africains étaient suivis
de près pour ne pas les laisser basculer dans le camp de Boganda.
24 - 1 L’union du député Boganda et sa secrétaire Michèle
Jourdain.
Tout homme normalement constitué doit avoir des désirs sexuels qui constituent
l’un des besoins naturels. Depuis Paris, Boganda flirtait avec la jeune demoiselle
Michèle Jourdain, secrétaire du député Chautard du MRP mise à sa disposition
pour les différents travaux parlementaires. Leur intimité attirait sur eux la foudre,
la haine des colons et agents européens résidant en Oubangui-Chari. Ses
détracteurs le traitaient de « nègre, macaque sans queue, de sous race qui avait le
culot de tisser des relations intimes avec une femme blanche ». Quant à Michèle,
elle était reniée par ses congénères qui s’acharnaient sur elle en lui lâchant en face
des insanités. D’après eux, celle-ci était venue en Afrique noire pour ternir l’image
de la France. Le fait de vivre avec Boganda était considérée comme une injure, une
honte pour la race blanche d’ailleurs naturellement supérieure à la race noire. A un
moment donné, elle était mise au ban de la communauté européenne.
Les relations entre les deux êtres humains étaient fortement tissées si bien que rien
ne pouvait les défaire. Ils décidèrent finalement de se marier le 13 Juin 1950 à
Montmorency ( Val-d’Oise ) à la grande surprise et déception de tous les
Européens vivant en Oubangui-Chari.
En décryptant les comportements de ceux-ci, on trouvait un fond de racisme certes,
mais il y avait beaucoup de scènes de jalousie car Michèle était une jeune femme
charmante, belle et éblouissante, éduquée dans une famille chrétienne qui ne
tenait pas à la couleur de la peau. Elle était foncièrement anti-raciste.
A l’inverse, ceux-ci oubliaient qu’en flirtant avec des « négresses » qui leur
faisaient des « négrillons », des enfants au teint « café au lait » dont certains
ramenaient en Europe et d’autres abandonnaient en fin de contrat de séjour
colonial en rentrant chez eux ne ternissaient point l’image de leur pays. Quel
paradoxe ! Malgré tout, de leur union naquit le 23 juin 1950, soit dix jours
seulement après le mariage, leur première fille à qui ils donnèrent le prénom
d'Agnès.
Ce mariage mixte suscitait beaucoup de jalousie et de haine quasi-viscérale de la
part de tous les colons. L’Eglise catholique n’appréciait pas du tout ce mariage.
Elle trouvait que le premier abbé oubanguien, ayant complètement perdu la foi en
Dieu, n’avait pas tenu à sa promesse de célibat. Dans son article du 1 er février
1951, le journal intitulé « Le Climat », organe du racisme et du colonialisme dont
le siège était à Brazzaville, capitale de l’AEF, s’acharnait sur Boganda en ces
termes : « les élections de 1946 l’ont envoyé à Paris où il a perdu la foi et trouvé
une femme de souche indo-européenne » ( ** Penel Vol. 1, p. 517 ). Poursuivant
ses diatribes, il traita Boganda « d’abbé défroqué ».
Avec l’avènement à Bangui du préfet apostolique de l’Oubangui-Chari,
l’archevêque Cucherousset ayant succédé au Monseigneur Grandin mort
accidentellement, l’atmosphère était devenue malsaine et morose pour Boganda ;
ses relations avec l’Eglise et avec les autres prélats dans les milieux cléricaux
étaient très tendues. Ceux-ci se consacraient à des propos dithyrambiques contre
lui. Pour eux, l’abbé devenu député, non seulement il avait transgressé les
préceptes sacrés de l’Eglise, mais il les avait trahis en se mariant ( ** En effet, les
prêtres avaient aussi comme tous les êtres humains des besoins naturels ; mais
ils les exprimaient dans une discrétion totale ). Par conséquent, il fallait
l’excommunier. Un autre journal titré « L’Etincelle de l’AEF » dont le siège se
trouvait aussi à Brazzaville, multipliait également des campagnes de dénigrement
contre l’abbé en le qualifiant de « caméléon ». En diabolisant Boganda, le milieu
européen le rendait célèbre, consacrait sa popularité sans s’en rendre compte.
Homme de terrain et de contact facile, communicateur et grand orateur, il savait
haranguer la foule, faire passer son message soit en Ngbaka sa langue vernaculaire
soit en sangö, une langue comprise et parlée par la quasi-totalité de la population.
Or, les diffamations et les actions de ses adversaires souvent exprimées en français
puis traduites en sangö de manière décousue et infidèle ne pouvaient entamer la
crédibilité du député en milieu rural. Même en ville, elles se limitaient au niveau
des Oubanguiens appelés « évolués » ou « mounzou voko » qui étaient d’ailleurs
minoritaires à cette époque ( ** Ces fonctionnaires appelés les « évolués »
étaient constitués pour la plupart d’instituteurs, commis des services
administratifs et financiers ( SAF ), dactylographie ou commis aux écritures,
infirmiers, moniteurs d’ensignement et d’agriculture ; cette classe de l’élite
intellectuelle formait une petite bourgeoisie et tenait à leurs privilèges ; ils
adhéraient en majorité au RPF non pas par conviction mais pour préserver
leur emploi ) . Les articles des journaux « Le Climat » et « L’Etincelle de
l’AEF » » qui se livraient aux critiques à l’endroit de Boganda en le traitant de
l’abbé « défroqué » n’étaient lus que par des Européens et quelques poignées
d’Africains. Par conséquent, ils ne pouvaient avoir d’emprise sur les masses
paysannes qui étaient des analphabètes et qui le considéraient comme le
« messie », l’envoyé de Dieu venu pour les délivrer de la servitude et de
l’oppression. Sur toute l’étendue du territoire, les réactions des habitants étaient
unanimes : « les Blancs te haïssent, te persécutent, te jugent et te condamnent ;
donc tu es l’homme qu’il nous faut ». Ainsi donc, le député Boganda était devenu
un symbole, une figure emblématique de la vie politique en Oubangui-Chari
devenu incontournable pour la communauté blanche.
Quant à certains Africains vivant dans le pays, l’Homme de Dieu incarnait la lutte
pour l’émancipation de tous les peuples d’Afrique noire longtemps brimés et
asservis par le système colonial. Se marier à une femme blanche et vivre avec elle
en Oubangui-Chari à cette époque relevait de la magie noire car toute peau blanche
était assimilée tout de suite à un démon marin appelé déesse ou sirène ou encore
« mami wata », déformation de « maman l’eau » pour désigner la sirène. Vice
versa, les premiers hommes noirs qui débarquèrent en Europe à cette époque
étaient considérés, eux aussi comme des fantômes. Cette union de couple mixte
dont naquirent trois jeunes métis ( Agnès, Bertrand Soualakpé et Catherine ) était
l’objet de beaucoup d’admiration et de curiosité de tous les habitants de
l’Oubangui-Chari. Cette union mixte allait renforcer la crédibilité du tribun auprès
de tous ses militants et sympathisants.
Le député Boganda devait lutter sur trois fronts pour survivre et asseoir sa notoriété
pour avoir dénoncé sans vergogne et sans ambages à la tribune de l’Assemblée
nationale française, les atrocités et les abus coloniaux en Oubangui-Chari. Il luttait
contre l’administration coloniale, contre les missionnaires religieux et enfin contre
un groupe de « petits Blancs » ( selon ses propres termes ) composé de
commerçants, planteurs et transporteurs. Solidaire de ce bloc qui se formait contre
l’élu du peuple oubanguien, le chef du territoire de l’Oubangui-Chari, le
gouverneur Ignace Colombani, d’origine corse, venait à peine de rejoindre son
poste d’affectation ( 1er mars 1950 ). Celui-ci se lança pieds joints dans le jeu. Il
cherchait par tous les moyens des alibis pour disqualifier Boganda de la course
électorale vers le renouvellement de son mandat parlementaire, pour avoir dénoncé
à la tribune de l’Assemblée les atrocités et les abus coloniaux en Oubangui-Chari.
D’après les témoins vivants de l’histoire, Colombani allait jusqu’à chercher des
bestioles dans les cheveux de Boganda. Prétextant que le MESAN se mettait aux
travers des intérêts de la France, il promit de le dissoudre à la grande satisfaction
de ses détracteurs. En réalité, ceux-ci s’inquiétaient d’une part, de l’audience
qu’avait ce député auprès des paysans, de quelques fonctionnaires et cadres tant du
secteur public que privé et d’autre part, de la vulgarisation de ses idées qu’ils
qualifiaient à tort ou à raison de révolutionnaires et de communistes alors que
Boganda était foncièrement anti-communiste. C’était pour son anti-communisme
que l’Eglise catholique avait soutenu mordicus en novembre 1946 sa candidature
aux élections législatives. Afin d’accorder du crédit à leurs propos, ils le taxaient
« d’anti-français » alors qu’il avait toujours clamé haut et fort depuis sa jeunesse
: « je passe mes nuits à apprendre à lire le français ; je fais des efforts surhumains
pour devenir Français…pour être utile à l’Oubangui-Chari ». Au cours de sa
longue croisade en France comme en Oubangui-Chari, il affirmait toujours
publiquement qu’il tenait à « bâtir une Afrique de langue, d’inspiration et de
culture française ».
A chaque fois que son épouse et lui descendaient de l’avion à Orly, il poussait un
soupir de soulagement en disant à celle-ci : « ouf ! nous voici enfin chez nous ».
Plus tard, à la tribune du Grand Conseil de l’AEF en mars 1958, il insistait encore
sur le fait qu’il voulait faire de l’Oubangui-Chari une « terre véritablement
française ». Dans une de ses lettres de vœux du Nouvel An 1959 adressée à son
ami Etienne Ngounio, Grand Conseiller de l’AEF et Vice-Président du MESAN,
Boganda exprima son désidérata de faire de l’Afrique Equatoriale « …un pays où
il fait bon vivre, comme en France notre mère patrie ». Où se trouverait ainsi donc
son antipathie pour la France ou sa xénophobie à l’égard des Français ? Un adage
français dixit : « Qui veut noyer son chien l’accuse de rage». Les différentes
charges que l’administration fabriquait de toutes pièces afin de mettre hors d’état
de nuire le député venaient du fait que celui-ci, depuis son enfance, a été témoin
oculaire des affres du système colonial dont il a même vécu dans sa chair et dans
son âme. Représentant du peuple de l’Oubangui-Chari à l’Assemblée
parlementaire, il était considéré comme l’avocat défenseur de son peuple. Par
conséquent, il devait combattre avec frénésie et opiniâtreté dans l’intérêt de ce
peuple. En effet, c’était en cherchant à mettre fin aux pratiques du système colonial
qu’il se trouvait ainsi dans l’œil du cyclone.
Mais Boganda n’avait pas du tout sa langue dans la poche. Afin de répliquer aux
attaques de ses adversaires tout en dénonçant davantage les agissements et les
comportements querelleurs des autorités coloniales et du milieu clérical, il créa en
1948 le journal intitulé : « pour sauver un peuple ». Dans ce journal, c’était du tac
au tac. Dès qu’un article virulent et calomnieux paraissait pour le vilipender avec
son parti le MESAN, il répliqua aussitôt par des termes judicieusement bien choisis
et bien placés afin de prouver à ses protagonistes qu’il savait aussi manier la
langue française. Toutefois, lorsqu’il voulait épater ses interlocuteurs et les faire
taire, l’érudit utilisait des expressions gréco-latines dont il donnait avec exactitude
la version dans la langue du colonisateur.
20 - 2
1951.
La consécration de Boganda par les élections du 17 juin
En 1951, des élections législatives devaient être organisées afin de renouveler le
mandat des membres des deux collèges électoraux à l’Assemblée nationale
française. La date du 17 juin était retenue pour les consultations électorales qui
constituaient un premier test pour Boganda et son jeune parti le MESAN dont
l’acte de naissance était établi le 28 septembre 1949.
A cet effet, presque toute la communauté européenne de l’Oubangui-Chari se
liguait contre le président fondateur du MESAN pour lui barrer la route. A tambour
battant, elle menait depuis des mois des opérations de pré-campagnes à travers
tout le pays. Ses adversaires s’assuraient même déjà de la victoire éclatante du RPF
aux premier et deuxième collèges. Comme René Malbrant était convaincu de sa
réélection qui, en réalité, n’était qu’un plébiscite car il n’y avait aucun autre
candidat devant se présenter contre lui à ce même poste, il se préoccupait beaucoup
plus du candidat Boganda du deuxième collège électoral.
Celui-ci devait être investi par le RPF. Malbrant s’étant déjà imposé comme le chef
de file des « états généraux de la colonisation française » en faisait sa propre
affaire en s’occupant de la batterie de toutes les stratégies de fraudes électorales
méticuleusement conçues et mises en place afin de balayer de revers de main le
candidat Boganda du prochain scrutin, soit en obtenant son inéligibilité, soit en le
battant par des moyens illégaux.
En outre, il suggéra à l’administration de tout mettre en œuvre pour le museler
définitivement à l’approche des campagnes électorales ou à le mettre hors d’état de
nuire en faveur d’autres candidats certes impopulaires. Ainsi donc, toutes les
manœuvres frauduleuses, d’intimidation et d’intoxication étaient permises. Des
consignes strictes étaient données par les autorités hiérarchiques aux chefs de
région et district de saper le moral de leur challenger qui paraissait imbattable aux
prochaines élections législatives. Ceux-ci firent aussitôt actionner leur machine de
conspiration afin de neutraliser Boganda.
L’Administration, l’Eglise catholique et les « petits blancs » dont on avait déjà
parlé, formèrent un front uni pour lutter contre le candidat et son parti le MESAN.
En 1950, le député avait acheté des briques cuites en émettant un chèque d’un
montant de 105 000 F CFA à la Société Mpoko. Malheureusement, le chèque fut
renvoyé à son bénéficiaire pour « sans provision ». Ses adversaires devaient saisir
au vol l’opportunité pour tenter de le noyer politiquement en le discréditant aux
yeux de ses militants et sympathisants. Mais ayant compris le jeu, il s’empressa de
verser en espèces et en deux tranches ( 100 000 F puis 5 000 F ) le montant du
chèque à ladite société qui n’avait pas porté plainte contre lui. L’affaire fut
étouffée à la grande déception de ses protagonistes qui voulaient en faire leur
cheval de bataille lors des campagnes.
En l’espace d’un mois, c’est-à-dire du 9 décembre 1950 au 10 janvier 1951, il
enregistra chaque jour de nombreux cas de provocations, d’arrestations arbitraires
et d’exécutions sommaires des Oubanguiens sur l’ensemble du territoire et surtout
dans sa région la Lobaye. Toutes les autorités administratives placées sous le
auspices du chef de région Bouscayrol étaient toujours aux aguets : tous les
déplacements du député à l’intérieur de la circonscription territoriale de la Lobaye,
toutes les visites de courtoisie que lui rendraient ses parents, amis et militants ou
sympathisants devaient être obligatoirement signalés. En outre, il multipliait
personnellement des altercations, des actes de querelles à l’endroit du candidat du
MESAN.
Le 12 avril 1950, le chef de district de Mbaïki, Jacquinot, reprocha à Boganda
d’avoir fait embarquer plusieurs personnes sur son véhicule. Celui-ci a beau
s’expliquer, mais il lui adressa tout de même une contravention en lieu et place de
la gendarmerie routière et l’enjoignit de la payer sous 48 heures ; auquel cas, il
l’arrêterait et l’enverrait en prison.
Or, ces passagers n’étaient qu’en fait les ouvriers du député. En octobre, Pascal
Otto, l’un des deux secrétaires à la SOCOULOLE fut arrêté et écroué à la maison
d’arrêt de Mbaïki pour avoir acheté de la viande boucanée en vue d’approvisionner
de ladite société au détriment de la Société de Prévoyance Indigène ( SIP ).
D’après l’enquête menée auprès de ce dernier, il avait été relaxé à la demande
insistante du député Boganda. Toutefois, il fut condamné à deux mois avec sursis.
N’étant pas satisfait de la condamnation avec sursis du secrétaire-gérant de la
coopérative, le fameux chef de région, Bouscayrol, devait imaginer coûte que
coûte d’autres infractions devant nuire à la candidature de Boganda.
Accompagné des gardes territoriaux, sans être muni de mandat de perquisition, il
fit le 9 décembre irruption dans la propriété privée du député et ordonna
l’arrestation de son ouvrier qui y travaillait. Boganda protesta et exigea de celui-ci
les mandats de perquisition et d’amener délivrés par le tribunal de MBaïki. Le fait
qu’il ait protesté vivement constituait à suffisance l’outrage à autorité. Ainsi donc,
ceci était une preuve suffisante constituant un délit répressif. Les tensions étaient
devenues vives dans la Lobaye entre les Européens qui se réclamaient tous du RPF
et les Lobayens que ceux-ci considéraient à tort ou à raison d’appartenir tous au
MESAN et de faire cause commune avec Boganda. De part et d’autre, ils se
regardaient désormais comme des chiens de faïence. Tous les paysans qui
travaillaient soit chez le député soit pour le compte de la coopérative vivaient dans
la psychose collective d’arrestations arbitraires ou d’assassinats crapuleux. A la
moindre infraction, les auteurs étaient arrêtés, tabassés et menacés
d’emprisonnement lorsqu’ils s’obstinaient à vouloir toujours travailler dans la
ferme de Boganda ; puis ils étaient relâchés. En cas de récidive, ils recevaient
publiquement des avalanches de coups de fouet afin de servir d’exemple puis ils
étaient aussitôt envoyés sous une bonne escorte en prison où ils devaient être
menottés, internés et privés de repas pendant plusieurs jours dans une cellule que
les « indigènes » appelaient « sourourou » ( ** Sourourou, déformation de
cellule ). Au sortir de la prison, ils étaient presque tous méconnaissables à cause de
leur maigreur excessive. Il y en avait qui, ayant subi pendant leur détention des
tortures physiques et morales, en sortaient complètement estropiés, dingues ou
beaucoup plus récalcitrants que par le passé. En effet, la prison, haut lieu de
privation de liberté, forme et déforme parfois l’individu pendant son internement.
Pour le seul mois de décembre, Boganda enregistra plusieurs arrestations et
assassinats des paysans dans le pays. En qualité de membre et vice-président de la
LICRA, il saisit cette ligue internationale pour dénoncer les atrocités et les
exactions récurrentes commises sur la population de l’Oubangui-Chari. A cette
époque, aucune Institution ne pouvait faire plier les colons qui se croyaient
tout-puissants ; ils allaient jusqu’à fouler au pied les textes émanant du
gouvernement français et tendant à réduire leurs acquis ou à abolir leurs
prérogatives.
Parmi toutes les arrestations considérées comme arbitraires, parmi tous les sévices
endurés par les paysans, la mort tragique dans la maison d’arrêt de Mbaïki d’un
chef de clan Ngbaka appelé Nzilakéma prit une proportion importante. Elle faillit
déclencher des hostilités entre la communauté européenne et les originaires de la
Lobaye.
D’après les sources concordantes, le chef Nzilakéma se serait rendu le 4 janvier
1951 chez le député d’une part, pour lui offrir gracieusement quelques morceaux
de viande boucanée, fruits de la chasse qu’il avait faite et d’autre part, pour lui
faire probablement le compte rendu de ses activités à la SOCOULOLE en tant
qu’adhérent. Au sortir de chez le député, il fut interpellé par le juge de paix qui
voulait en avoir le cœur net sur le mobile de sa visite au député et sur ses relations
avec ce dernier. Le chef de clan ne comprenant pas la langue du colonisateur resta
hébété comme s’il était frappé de méduse ; il ne put répondre à la question de
l’homme de la loi. Comme le silence pouvait équivaloir à cette époque à un aveu,
le magistrat ordonna que le pauvre paysan fût arrêté et conduit à la prison. Les
gardes et miliciens qui étaient souvent prêts à répondre promptement aux
injonctions de leur maître et à exécuter leur sale besogne, se mirent à rouer de
coups l’infortuné et à le précipiter vers la maison d’arrêt de MBaïki.
Dans la nuit du 4 au 5 janvier, dès que le vieil homme mit pied devant la porte de
la prison, il fut culbuté par terre par les geôliers qui se jetèrent sur lui et le
passèrent à tabac afin de le faire avouer les faits qui lui étaient reprochés. Plusieurs
coups de poing et de crosse accompagnés d’invectives s’abattaient sur le crâne du
pauvre paysan qui finit par comprendre qu’on lui reprochait d’avoir rendu visite au
député. Mais trop tard, son sort était déjà scellé. Tard dans la nuit, le juge
d’instruction se rendit personnellement en prison pour se rendre compte du degré
d’application de châtiments corporels à son prisonnier. En dépit de l’état comateux
de Nzilakéma, il voulait lui-même donner un coup de canne sur le crâne. Mais le
pauvre, comme par enchantement, barra la tête avec les bras. Comme le coup était
violent, ce fut l’avant-bras qui reçut le choc et se fracassa net.
Au petit matin, on trouva le chef coutumier inerte, inanimé. Les résultats de
l’autopsie du médecin-chef de la région révélèrent que le pauvre paysan avait
deux côtes et un avant-bras cassés et qu’il avait succombé des suites d’hémorragie
interne. Comme une traînée de poudre, la nouvelle du décès du chef de clan
Ngbaka se répandit dans tous les villages environnants. La consternation était
profonde dans toute la région.
Le 9 janvier, la nouvelle de l’assassinat du chef traditionnel dans la maison d’arrêt
de Mbaïki parvint à Boganda qui se trouvait à Bangui. Celui-ci ne put fermer l’œil
durant toute la nuit. Le lendemain matin, 10 janvier, il arbora son écharpe en
bandoulière et aussitôt, au volant de sa camionnette, se rendit accompagné de sa
femme et de sa fille Agnès qui n’avait que six mois sur le marché forain de
Bouchia en Lobaye où les paysannes se rendaient tous les mois pour y vendre leur
huile de palme. A partir de 9 heures, le marché commençait à s’animer car il y
avait du monde. On notait ce jour, la présence de six commerçants européens dont
quatre Portugais, un Belge et un Français venus acheter en quantité industrielle
l’huile de palme destinée à l’exportation.
Le député, debout sur le marchepied de son véhicule afin de faire porter loin sa
voix, s’adressa dans son patois le Ngbaka à environ 200 femmes assises derrière
leurs récipients d’huile en ces termes : « « je ne viens pas acheter vos produits.
Mais pour porter à votre connaissance qu’un de nos plus anciens chefs vient de
mourir dans la prison de Mbaïki des suites de coups. Conformément à nos
coutumes, nous devons lui offrir le deuil. En conséquence, je vous demande en
signe de deuil et de protestation, de refuser de vendre vos produits forestiers aux
Européens présents sur le marché et de renvoyer le marché à plus tard » ( **J-D.
Penel vol. p. 44, Ecrits et discours ). Sans ronchonner, toutes les vendeuses
d’huile de palme remirent sur la tête leurs récipients et reprirent calmement le
chemin de retour au village.
Voyant repartir chez elles en file indienne ces femmes, les commerçants européens
qui étaient venus s’approvisionner en huile furent furieux et pris de panique. Ils
chargèrent l’un d’entre eux de se rendre à Mbaïki pour en informer le chef de
district en mettant en cause Boganda, l’instigateur. Pendant ce temps, le député et
sa famille ainsi que ses employés ré-embarquèrent et se rendirent sur un autre
marché installé à Bokanga afin d’intimer l’ordre aux femmes Ngbaka de surseoir à
la vente de leurs produits. Sur son parcours, tous les villages étaient en ébullition et
le climat était devenu morose. La méfiance était à son comble. Les hommes,
surexcités, avaient retrouvé leur réflexe de la guerre de « Kongo wara » (
1928-1931 ). L’Adjoint au Chef de district et le juge d’instruction décidèrent de
faire appel aux forces de l’ordre. Ils mirent très rapidement en alerte les garnisons
de Bouar et de Berbérati avant de se rendre sur le lieu, escortés par un petit
détachement de sept gardes territoriaux placé sous le commandement d’un
« brigadier de gendarmerie ».
Pour avoir riposté contre l’assassinat de Nzilakéma et demandé le report à la
semaine prochaine de l’organisation du marché forain d’huile, le député
oubanguien avait commis un crime de lèse-majesté. Le juge ordonna son
arrestation pour attroupement et incitation à la rébellion. En dépit de son écharpe
tricolore, couleur du drapeau français et de son immunité parlementaire encore en
cours de validité, Boganda fut arrêté sans ménagement. Michèle Jourdain, qui
n’appréciait pas du tout les agissements et les propos outrageants de ses
congénères à l’égard de son époux, s’interposa énergiquement en ces termes :
« vous avez arrêté mon mari ? Arrêtez-moi aussi et avec ma fille ». Le juge au
cœur sec n’eut guère pitié ni de la mère qui se remettait lentement après
l’accouchement de son bébé ni de la faible créature qu’elle avait dans les bras.
Celui-ci répliqua d’un air sadique et goguenard: « Mais oui, madame, tout ce que
vous voudrez ». Il ordonna aussi l’arrestation de Michèle avec sa fille, la petite
Agnès.
Tous furent conduits à la prison de Mbaïki où ils connurent 48 heures de détention
préventive ou garde à vue ; puis ils furent relaxés en attendant le verdict du tribunal
de grande instance de Brazzaville. Le 29 mars 1951, le député fut condamné à
deux mois de prison. Michèle, son épouse et Agnès sa fille, furent solidairement
condamnées à 15 jours de prison avec sursis. Il fit appel. Toutefois, Brazzaville
confirma le jugement rendu.
Le ministère de la France d’Outre-mer ayant été informé du jugement rendu,
décida de mettre un bémol sur cette affaire rocambolesque qui allait porter un coup
fatal au député dont le mérite ne passait point inaperçu à l’Assemblée française.
Son arrestation en dépit de son immunité allait faire grand bruit à l’Assemblée. Par
ailleurs, le département ministériel trouvait que cette affaire ne l’honorait pas si
bien qu’elle fut purement et simplement classée et devait demeurer ainsi lettre
morte. Boganda ne purgea pas sa peine comme l’aurait voulue ses détracteurs.
L’administration, n’ayant pas obtenu gain de cause, commença ses manigances par
le recensement des électeurs, seul moyen d’empêcher la réélection du député
oubanguien.
A Bangui, la commission des listes électorales constituée surtout sur des critères
subjectifs suivait à la lettre les instructions qui lui étaient dictées depuis la
résidence du chef de territoire. Les électeurs du RPF étaient inscrits d’office et
recevaient en contrepartie leurs cartes d’électeurs. Par contre, dans les quartiers ou
dans les villages où le MESAN était favorablement accueilli par la population ou
solidement implanté, les agents recenseurs ne devaient pas y mettre pied.
A titre indicatif, la ville de Bangui comptait au début de l’année 1950 une
population de 50 000 habitants dont 2 500 Européens et assimilés. Sur les 50 000
âmes, 7 000 individus seulement furent inscrits sur les listes électorales sous
prétexte que les autres étaient des analphabètes. Sur les 7 000 inscrits, 2 000
seulement reçurent leurs cartes de vote avec des consignes strictes de vote pour le
RPF, lesquelles étaient assorties tantôt de menaces de perte d’emploi, de prison ou
de représailles, tantôt de promesses alléchantes de promotion en grades et en
échelons aux fonctionnaires et agents administratifs, d’augmentation de salaire à
tous les employés, du relèvement du prix du kilogramme de coton au producteur.
Partout ailleurs, dans les bureaux, dans les entreprises comme à l’église, c’était le
même slogan qui était machinalement répété : « Boganda, l’abbé défroqué, a trahi
l’Eglise ; il vous trahira. Ne votez pas pour un traître ». Des corruptions et des
pressions étaient exercées de toute part. Les chefs de clan, de tribu, des villages et
des cantons recevaient des cadeaux en espèces ou en nature. Les gardes, munis de
fusil et dotés de bicyclettes qui devraient leur revenir définitivement en cas de
victoire du RPF, circulaient dans les villages et terrorisaient les électeurs en
brandissant la chicotte : chaque individu devait leur présenter au sortir du bureau
de vote, le bulletin du MESAN afin de s’assurer qu’il n’avait pas mis celui de
Boganda dans l’urne ; auquel cas, c’étaient les représailles. Dans chaque ménage,
on distribuait du sel et du savon. Les épouses des notables, parfois conseillères de
leur époux, recevaient en sus de ces ingrédients deux à trois yards de pagne afin de
les amener à ne pas basculer dans le camp de Boganda. Les anciens combattants
recevaient des ensembles de tenue qui constituaient pour eux, un ferment de
stimulation certes, mais en réalité, c’était pour acheter leur conscience.
Sur toute l’étendue du territoire, les chefs de régions et districts ayant reçu des
instructions fermes du chef de territoire interdisaient à la population locale de faire
des campagnes en faveur du MESAN. L’Eglise catholique entra dans la danse en
dirigeant des opérations de campagnes en défaveur du candidat du MESAN. Elle
faisait distribuer des tracts demandant à tous les chrétiens et catéchumènes de ne
pas voter pour Boganda qui était mis au ban de la communauté ecclésiastique. En
effet, tous les autres clergés se soulevaient contre lui.
Pour les dissuader à ne voter que pour le RPF, ils assimilaient le renouvellement du
mandat du député oubanguien à un « pêché mortel ». Cependant, les missionnaires
protestants, en majorité d’origine américaine, demandaient à leurs pasteurs et à
leurs catéchistes d’observer la stricte neutralité dans les églises et chapelles. Au vu
de toutes ces irrrégularités flagrantes constatées, Boganda réagit vivement en les
portant par écrit à la connaissance du Haut-Commissaire de l’AEF résidant à
Brazzaville et en attirant l’attention du gouverneur, chef du territoire de
l’Oubangui-Chari sur les faits accomplis qui constituaient à ses yeux, une violation
de l’éthique électorale et de principe élémentaire de la démocratie.
Toutefois, les destinataires de ses écrits prenaient acte des doléances et remarques
du candidat Boganda, mais ne faisaient rien pour encourager celui-ci dans ses
démarches. Toutes les correspondances demeuraient lettres mortes. Cependant, les
campagnes de dénigrement contre l’abbé s’activaient et devaient même atteindre
leur paroxysme sans qu’aucun bout de doigt accusateur ne se levât pour rappeler à
l’ordre les représentants du RPF qui agissaient en toute impunité.
Le Lt-Colonel Baucheron de Boissoudy, ayant déjà enregistré lors des élections
législatives du 10 novembre 1946 une défaite cuisante face à Boganda malgré
l’implication totale de l’administration et de R. Malbrant pour le faire élire, s’était
résigné sans vergogne et n’avait point daigné reprendre l’aventure. Selon sa
logique, un candidat du RPF d’origine oubanguienne ou africaine briguerait
facilement le mandat pour le siège au deuxième collège. Ayant refusé de donner sa
candidature, il opta plutôt pour celle de l’infirmier soldat, Marcel Bella, qui fut
investi par toute la colonie européenne de l’Oubangui-Chari comme le candidat
incontestable du RPF, capable de battre à plate couture celui du MESAN.
Cependant, l’administration, ayant déjà jeté son dévolu sur Friedrich, Inspecteur de
l’Enseignement primaire, un cadre du ministère de l’instruction publique de la
France métropolitaine, imposa sa candidature sous l’étiquette d’« Indépendant »
alors qu’en réalité, celui-ci était le militant du MRP. C’était juste pour masquer son
appartenance politique. Boganda démasqua les manèges et protesta vivement. En
dépit de sa protestation, celui-ci fut tout de même investi. Par ailleurs, cette même
administration, dans son calcul de probabilité électoraliste susceptible de disperser
les voix du MESAN, misa sur Antoine Darlan, responsable de la section
oubanguienne du RDA, influencée par le milieu européen qui avait de l’antipathie
pour Boganda. Elle le poussa à se présenter lui aussi sous la même bannière
d’indépendant. Mais le journal « Le climat » ( ** Journal « Le Climat », dans
son article n° 286 du 7 juin 1951 ) entama des campagnes contre lui et le traita de
« crypto-voté, déguisé en coopérateur…douteux… a mal géré sa coopérative ».
Un certain Ngalingui ayant francisé son nom qui donna Gallin Douathe devait se
présenter lui aussi contre Boganda sous l’étiquette de la SFIO ( Section française
de l’Internationale ouvrière ) d'obédience socialo-communiste. Durant la
campagne, Boganda le traita « d’illustre inconnu ». En effet, ce dernier, originaire
de l’Oubangui-Chari a fait une grande partie de sa carrière d’instituteur à
Brazzaville au Moyen-Congo si bien qu’il était peu connu lorsqu’il donna sa
candidature à la députation.
A noter que la coalition était formée autour de Colombani et R.Malbrant, le chef
d’orchestre. Tous les challengers de Boganda tenaient un même langage. C’était,
« tous contre un, et un contre tous ». Pendant les campagnes, des menaces de mort
étaient proférées à l’endroit de Boganda par ses protagonistes : « il va trop fort…il
exagère ce nègre affranchi…il faut qu’un jour, on en finisse avec ce nègre qui,
depuis son mariage avec une blanche qui salit la race indo-européenne, se croit tout
permis… ». Lorsqu’on crée un parti politique ou bien on y adhère tout simplement,
il faut se rendre à l’évidence que c’est pour le meilleur et pour le pire.
Dès la création du MESAN, Boganda commençait à enregistrer de nombreuses
menaces de mort qui ont failli abréger prématurément sa vie. Pour la première fois,
son cuisinier était chargé de l’empoisonner dans un repas. Celui-ci, ayant reçu de
l’argent pour acheter sa conscience, dénonça le complot qui se tramait autour du
député. Un autre jour, son mécanicien ayant reçu une forte récompense d’argent
aurait déréglé la barre de direction du véhicule de l’élu du peuple. L’accident se
produisit en pleine vitesse, mais Boganda en sortit avec des blessures dont il avait
gardé les cicatrices indélébiles sur les arcades sourcilières. L’Homme n’avait
aucunement peur de ses adversaires et ne voulait jamais baisser la garde.
L’administration laissait délibérément les colons entretenir des campagnes
violentes et agressives contre lui.
Comme la violence appelle la violence, les réactions de ce dernier ne se faisaient
point attendre. Grand orateur, il savait choisir ses mots et les placer juste au
moment opportun, soit pour dissuader son électorat, soit pour mettre en courroux
ses adversaires afin d’exploiter leur susceptibilité. Saisissant les arguments de ces
derniers, il répliqua aussitôt par des propos durs en mettant en équation
ci-dessous le RPF et les traitements inhumains infligés aux Oubanguiens afin de
les conscientiser sur le sens du combat politique qu’il menait contre le système
colonial :
RPF = chicotte ;
RPF = travail forcé ;
RPF = gestapo ;
RPF = racisme ;
RPF = injustice ;
RPF = assassinat du peuple oubanguien ;
Donc, « voter RPF est un crime ».
Les campagnes se déroulaient sous de très vives tensions. A la veille des élections,
certains bureaux de vote installés dans les circonscriptions favorables à Boganda
étaient déplacés la nuit même pour d’autres quartiers ou villages afin de
désorienter et décourager les électeurs.
De toutes les manières le scrutin se déroula le 17 juin 1951. En dépit des manèges
de l’administration en faveur du candidat du RPF, plusieurs Africains et
Oubanguiens inscrits sur la liste des électeurs prirent d’assaut les bureaux de vote
pour élire à la grande stupéfaction de tous, le candidat Boganda.
Après le dépouillement, les résultats donnèrent :
Inscrits : 111 201
Votants : 67 746
Exprimés : 65 641
Nuls :
2 105
Bella ( RPF ) :
21 637 voix
Friedrich ( indépendant ) :
2 877 voix
Gallin Douathe ( SFIO ) : 1 208 voix
Boganda ( MESAN ) :
31 631 voix
Darlan ( indépendant ) :
8 288 voix
( ** J. D. Penel vol. 1 p. 7 )
Malgré toutes les manœuvres frauduleuses et d’intimidation orchestrées par
l’administration qui avait de préférence pour Julien Bella, le candidat du RPF et
malgré les irrégularités et les dysfonctionnements observés ça et là pour empêcher
le député d’être réélu au prochain quinquennat, celui-ci et son parti le MESAN
sortirent victorieux des urnes.
A l’issue de cette éclatante victoire de Boganda, de nombreux fonctionnaires et
cadres du secteur public ainsi que certains militants d’autres partis politiques
faisaient défection : Antoine Darlan, responsable de la section RDA, en dépit de
ses démêlées avec Boganda sur le plan idéologique, comprit que le MESAN était
un grand parti qui avait de l’avenir pour l’Oubangui-Chari. Il décida d’y adhérer et
militer aux côtés de son fondateur jusqu’en 1956, date à laquelle un autre conflit,
orchestré par Félix Houphouët Boigny de la Côte d’Ivoire, co-fondateur du
Rassemblement démocratique africain qui avait de l’antipathie pour le député
oubanguien, devait encore opposer les deux hommes. Cette fois-ci, le divorce était
définitivement consommé entre Boganda et Antoine Darlan.
En analysant les différents résultats ci-dessus, Boganda était réélu à la majorité
simple à un seul tour. Si jamais le scrutin était organisé comme de nos jours dans
certains pays à deux tours, la coalition des indépendants et de la Sfio allait se faire
en faveur du RPF et Boganda devait être en mauvaise posture. Toutefois, il faudrait
souligner qu’en Afrique, les consignes de vote ne sont jamais respectées. Il y aurait
eu plutôt, un taux élevé d’abstention ce jour au cas où il y aurait un deuxième tour ;
ce qui favoriserait toujours Boganda. L’éclatante victoire de Boganda aux élections
faisait désormais de lui une figure emblématique, un véritable tribun dans le pays.
Les nouvelles de son combat politique contre le système colonial commençaient à
avoir des échos favorables et à dépasser largement les frontières de son pays
l’Oubangui-Chari, l’actuelle Centrafrique.
24 - 3 Les élections des conseillers territoriaux pour l’Assemblée
Territoriale de l’Oubangui-Chari ( ATOC ) en 1947.
La Constitution de la IVe République qui s’était tout de même largement inspirée
des résultats des travaux de la Conférence de Brazzaville tenue du 30 janvier au 8
février 1944 dont l’ouverture a été placée sous l’égide du général Charles De
Gaulle et les travaux sous le haut commissaire de l’AEF, René Pleven, a prévu
dans chaque territoire, une assemblée avec un conseil local élu qui devait s’occuper
exclusivement de ses propres affaires. Comme à l’Assemblée nationale, les
citoyens de statut français constituaient le premier collège électoral et ceux de
statut local en formaient le deuxième. Ainsi donc, l’assemblée territoriale disposait
aussi d’un double collège dont chaque membre élu portait le titre de conseiller
territorial.
En vertu du décret du 25 octobre 1946, l’AEF disposait de quatre assemblées
territoriales et l’AOF, huit. L’ATOC était composée de vingt-cinq conseillers
territoriaux dont dix au premier collège pour 3000 Européens environ vivant dans
le pays et 15 au deuxième collège pour une population estimée à un million
d’habitants. Au regard de cette clé de répartition des sièges, René Malbrant émit de
vives protestations : « je n’hésite pas à affirmer qu’il sera impossible de trouver en
Oubangui-chari parmi les autochtones 36 conseillers généraux capables d’assurer
de telles fonctions avec toute la compétence voulue » ( **Kalck, p. 279 ). D’après
lui, en raison du taux d’analphabétisme très élevé dans le pays, il fallait confier le
deuxième collège aux Européens et non aux Oubanguiens.
En mars 1947, les élections de la toute première assemblée locale devaient
s’organiser en Oubangui-Chari pour la mise en place d’un Conseil élu pour cinq
ans. Le premier collège avait obtenu facilement les dix sièges. Quant au deuxième,
l’administration décida de ne pas le laisser dominer cette assemblée par ses
membres. Elle imagina toutes les stratégies pouvant convaincre neuf candidats
africains favorables aux idéaux de Boganda à se présenter aux élections sous
l’étiquette « d’indépendants ». Un calcul politique savamment fait en vue de
débaucher sans nul doute les candidats indépendants qui allaient donner leur voix
au premier collège qui pourrait avoir la majorité fixée à 13 sur 25 ; ce qui lui
permettrait d’avoir la mainmise sur cette Assemblée territoriale. Le 2 ème collège
devait se retrouver finalement minoritaire avec six sièges seulement.
Boganda, élu le 10 novembre dernier à l’Assemblée parlementaire française, venait
à peine de quitter son ministère sacerdotal pour faire son entrée dans la vie
politique. Par conséquent, il ignorait complètement le rouage du minage et du
déminage du terrain politique. Le vétérinaire René Malbrant, le chef de file des
états généraux de la colonisation qui s’opposait farouchement à l’exécution du
décret du 25 octobre 1946 qui accordait plus de sièges au deuxième collège, mit
tout en œuvre pour écarter le député Boganda de l’ATOC en faveur de Jane Vialle.
Ce fut le premier revers de l’abbé aux élections. Jane Vialle devait représenter
l’Oubangui-Chari au conseil de la République ou Sénat. En 1953, partie en Côte
d’Ivoire dans le cadre de ses activités dans une association féminine, elle connut à
son retour à Paris une mort tragique sur Bordeaux ( France ) dans un crash d’avion.
Jusqu’à sa disparition brutale en mars 1959, Boganda ne connut plus jamais
d’échec électoral au cours de sa carrière politique.
Pendant cinq ans, le Conseil local élu de l’ATOC était ainsi majoritairement
dominé par les membres du premier collège. Parmi les vingt cinq élus qui
prenaient le titre de conseillers territoriaux, cinq d’entre eux furent désignés par
leurs pairs afin de sièger en tant que délégués de l’Oubangui-chari au « Grand
Conseil de l’AEF » à Brazzaville ( ** Le premier collège désigna Barbarin et
Gaume. Tandis que le deuxième, Louis Yétina, Georges Darlan et Condomat
). Il conviendrait de souligner aussi qu’il y avait pour les quatre territoires de
l’AEF, vingt conseillers au Grand Conseil. Par contre, il y en avait quarante en
AOF parce que cette institution fédérale disposait de huit territoires. Par ailleurs,
l’Oubangui-Chari était à l’honneur car dès la première session du Grand Conseil de
l’AEF, Antoine Darlan était élu au deuxième collège comme vice-président.
En outre, parmi les conseillers territoriaux élus, Jean Lhuillier du premier collège
et Antoine Darlan du deuxième furent désignés représentants de l’Oubangui-Chari
à l’Union française. ( ** Avec la nouvelle Constitution, l’Union française prit la
place de l’Empire français et fut à son tour, en raison des crises politiques
récurrentes ayant entraîné l’instabilité gouvernementale, remplacée le 04
octobre 1958 par la Communauté ).
24 - 4 Le deuxième mandat des conseillers territoriaux ( 30 mars
1952 ).
Mis en place en 1947, le conseil élu de l’Assemblée territoriale de
l’Oubangui-Chari avait un mandat de cinq ans. Il venait à terme en fin mars 1952.
Donc, il fallait organiser les élections des conseillers territoriaux le 30 mars en vue
de renouveler ledit conseil. Cette fois-ci, il a été prévu pour l’ATOC 40 sièges au
lieu de 25 ; lesquels étaient répartis comme suit : 14 sièges pour le premier collège
et 26 pour le deuxième.
A l’approche du scrutin, tous les partis métropolitains et africains dont les sections
étaient implantées en Oubangui-Chari ( MRP, RPF, SFIO, RDA et Indépendants )
devaient se coaliser contre l’invincible Boganda et son parti le MESAN si bien
qu’on devait assister sur toute l’étendue du pays à de très vives tensions. Pour les
élections territoriales, l’administration exerçait beaucoup de pressions sur les
cadres et agents des secteurs publics et privés, tandis que l’Eglise catholique
donnait des consignes strictes à tous les catéchistes, catéchumènes et chrétiens de
voter pour le candidat du RPF et menaçait d’excommunication tous ceux qui se
mettraient aux travers de sa volonté d’écarter ce dernier de la vie politique.
En effet, toutes les deux institutions s’ingéniaient davantage comme en 1947 dans
les campagnes électorales contre Boganda afin d’empêcher d’une part, celui-ci de
briguer un siège à l’ATOC ; ce qui lui permettrait de posséder deux casquettes (
député et conseiller ) et d’autre part, de barrer la route aux candidats de son parti.
Quant aux représentants de ces partis étrangers importés dans le pays qui étaient
soudoyés par l’administration, les milieux cléricaux et les hommes d’affaires, ils
devaient tout mettre en œuvre pour arracher la victoire entre les mains du député
oubanguien.
Son principal challenger l’éternel René Malbrant, imbu de sa position confortable
et rassuré de sa victoire aux prochaines élections territoriales de mars 1952,
constitua un comité de soutien composé exclusivement de farouches adversaires du
parti MESAN et de son fondateur. Les campagnes électoralistes sur fond de
mensonges, de calomnies, de diffamations, de dénigrement et d’hostilités
largement entretenues par les autorités afin de décrédibiliser leur adversaire
prenaient des tournures orageuses. Tous reprirent le même schéma de campagnes
des élections législatives de l’année précédente en tirant à boulets rouges sur
Boganda afin d’obtenir sa démotivation. En outre, des pressions étaient exercées
sur les paysans pour les contraindre à voter exclusivement le RPF. Des promesses
parfois fallacieuses et irréalisables étaient faites.
Malheureusement pour ce comité de soutien, le candidat Boganda et son parti le
MESAN faisaient des percées spectaculaires. Toutes ces pressions, corruptions,
calomnies et injures ne faisaient que renforcer sa popularité et sa crédibilité. En
effet, elles n’avaient aucun impact sur les Oubanguiens qui, ayant compris et
apprécié le bien-fondé du combat politique du député dirigé contre le système
colonial afin de les affranchir de la servitude entretenue depuis plus d’un
demi-siècle qualifiaient le RPF de fasciste ; ce qui apportait l’eau au moulin du
tribun. Or, le fondateur de ce grand parti français, Charles De Gaulle était
foncièrement contre le fascisme. Il est à souligner qu’un parti politique vaut ce que
vaut son leader. Considéré comme une arme démocratique efficace, il pourrait
devenir inefficace dans une main malhabile. C’est pourquoi, le charisme d’un
leader compte énormément.
En AEF, le général De Gaulle, l’Homme de la France libre et fondateur du RPF en
1947, était considéré comme un génie militaire doublé de génie politique. Le seul
nom de celui-ci évoquait la résistance et la victoire françaises, et mettait du baume
au coeur de chaque Africain. En Oubangui-Chari, surtout dans la région de
l’Ouham où de nombreux jeunes ont été enrôlés pendant la Seconde Guerre
mondiale, certains enfants nés pendant le déroulement ou à la fin des hostilités
meurtrières marquées par la victoire éclatante des forces alliées portaient le nom de
De Gaulle qui incarnait le héros de la Résistance française. Les descendants des
anciens combattants ont encore le nom de ce génie militaire collé sur eux. Il n’est
pas rare de rencontrer dans certaines localités des individus portant le nom de De
Gaulle parfois Digol qui est la déformation du nom de cet illustre général français.
Dans l’Ouham-Pendé, un village était baptisé « Degaulle ».
Malheureusement, le nom du général et son parti étaient souillés, bafoués et ternis
par l’usage dont les états généraux de la colonisation ( dont certains membres
étaient les nostalgiques du régime pétainiste ) faisaient pour asservir davantage la
population autochtone et assouvir leur soif d’exploiter les immenses ressources
naturelles de l’Oubangui-Chari si bien qu’à un moment donné les Oubanguiens se
doutaient de sa personnalité à cause de son parti. Dès son retour du périple qui
l’avait conduit à Abidjan, Dakar, Bangui puis Fort-Lamy, etc. le RPF fut dissous.
Plusieurs années après la dissolution du RPF en 1953, les paysans gardent encore
un souvenir amer de ce parti car il n’est pas rare d’entendre dire : « est-ce le travail
du RPF ? » ou, est-ce un travail forcé ?
Les protagonistes de l’Abbé-député se doutaient malgré tout de leur éclatante
victoire aux élections territoriales. Par conséquent, ils incitèrent certains
Oubanguiens et Africains acquis à leur cause à créer des partis politiques devant
concurrencer voire supplanter le MESAN lors des prochaines échéances
électorales. Ce fut ainsi que Jean-Baptiste Songomali, agent comptable à la
COTONAF, élu conseiller au Grand Conseil de l’AEF et qui flirtait d’ailleurs avec
le RPF créa « l’Union démocratique et sociale africaine » ( UDESA ) dont il était
le président. Or celui-ci s’était déjà présenté aux élections législatives de 1951
contre Boganda sous l’étiquette « indépendant » avec un score minable. Le projet
de société du fondateur de ce parti était basé sur l’unité de tous les Africains dans
la « recherche de meilleures conditions sociales, politiques et économiques ». Le
journal « Le Climat » qui n’était jamais tendre avec Boganda s’en réjouissait dans
son article du 13 août 1952 en ces termes : « voilà un mouvement qui doit
raisonnablement donner une contrepartie aux folles menées politiques de l’ex abbé
Boganda ».
Boganda et son parti le MESAN s’assuraient après les élections du 30 mars de la
majorité absolue des voix au sein du deuxième collège de l’Assemblée territoriale
en raflant à la grande surprise de tous ses challengers, 17 sièges sur 26 soit un
pourcentage de 65,3% de votants. Le candidat du MESAN dont la notoriété se
répandait comme une traînée de poudre, était ainsi porté au triomphe sur toute
l’étendue de l’AEF. Invincible à deux reprises aux élections législatives de 1951
puis territoriales de 1952, il était devenu désormais incontournable et irréversible.
Quant au MESAN, il constituait finalement un parti de masse, une locomotive qui
raflait tout sur son passage grâce au charisme de son fondateur.
A l’issue de ses deux succès éclatants et consécutifs aux élections, le député
devenait un personnage légendaire, populaire et charismatique en Oubangui-Chari.
Mais il est à noter que ce triomphalisme faisait de lui un homme provocateur,
bavard et arrogant à l’égard de ses adversaires. Le procureur aurait intervenu à
trois reprises auprès du Ministre de la France d’Outre-mer pour solliciter à
l’Assemblée française la levée de l’immunité parlementaire de Boganda, mais il ne
parvint jamais.
Toute la communauté européenne était déçue car elle ne savait quoi faire contre
lui. De plus en plus combatif, il tenait à faire appliquer et à faire respecter en
Oubangui-Chari la justice et l’égalité entre Blancs et Noirs au respect de la dignité
humaine en faisant disparaître le racisme et le tribalisme. Il fréquentait les places
publiques ( cinéma, restaurant ) interdites aux « Nègrilles » en les invitant à venir
prendre place à côté des Européens. Lui-même a été expulsé en tant que député de
l’hôtel « pendéré », le 17 juin 1947 puis le 31 juillet 1951.
D’après les résultats des enquêtes orales obtenus, il semblerait qu’à proximité de la
garnison militaire française ( poste 124 ) qui se trouve être aujourd’hui le
« Régiment de Soutien » ou « Génie militaire », les habitants des quartiers Boy
Rabe, Fou ou Gobongo qui se rendaient tôt le matin soit au travail soit au marché
central de la ville avant la levée du drapeau tricolore ( bleu, blanc, rouge ),
devaient obligatoirement se déchausser et se décoiffer au niveau de l’actuelle
Assemblée Nationale et marcher tête et pieds nus jusqu’à la hauteur du Bureau
d’affrètement routier centrafricain ( BARC ) non pas en signe de révérence pour
l’emblème, mais plutôt en signe d’humiliation et de soumission totale aux autorités
civiles et militaires françaises résidant en Oubangui-Chari.
Boganda ayant été informé un jour de cet acte odieux et grotesque de nature à
humilier et à déshonorer davantage les Oubanguiens, se rendit tôt le matin sur le
lieu pour se rendre compte personnellement de la véracité des mesures imposées
par les militaires français qui lui donnèrent effectivement l’opportunité de vivre le
cauchemar. L’information s’avérait exacte. L’intrépide député demanda aux
passants de s’arrêter et de le regarder faire. Il mit son chapeau sur la tête, attacha
solidement les lacets de ses chaussures, passa et repassa à pied devant la guérite, en
présence des militaires en faction les fusils « Mas 36 » dotés de baïonnettes.
Ensuite il demanda à tous les piétons d’en faire autant, le chapeau ou le bonnet sur
la tête et les chaussures aux pieds.
Depuis ce jour, les mesures arbitraires, humiliantes et dégradantes des soldats
français à l’égard des habitants des quartiers précités prirent fin. Boganda
paraissait aux yeux de tous les Oubanguiens comme un messie venu les affranchir,
les soulager de leurs souffrances. Il entama des pérégrinations à travers tout le pays
pour sensibiliser et forger la conscience politique de son peuple longtemps asservi,
opprimé et meurtri afin de l’amener à comprendre le sens de son combat contre les
pratiques peu orthodoxes des colonisateurs.
Désormais, les fonctionnaires, les cadres et les agents territoriaux qui évitaient de
parler dans le bon sens des activités politiques de Boganda de peur d’être
sévèrement sanctionnés, sortaient de leur mutisme ; ils s’extériorisaient
publiquement et se montraient de plus en plus prolixes. Dans leur rang, l’adhésion
populaire au MESAN devenait quasi-certaine malgré les pressions exercées sur
eux par les autorités administratives.
L’Homme était mystifié à tel point que tous les Oubanguiens cherchaient à le
toucher du doigt car dans le pays, on racontait par-ci, par-là qu’il opérait du
miracle en marchant sur la rivière Oubangui ; que c’était l’homme à plusieurs
facettes qui se métamorphosait à chaque fois qu’il se trouvait en face de ses
ennemis qui cherchaient toujours à lui faire du mal, etc. Il était devenu si célèbre
que certains parents ont préféré donner son nom à leur garçon qui naissait. ( En
1957, à Fort-Crampel ( actuel Kaga-Bandoro ), une femme mit au monde le
jour même de l’arrivée du député, un garçon à qui les parents donnèrent le
nom de Barthélémy Boganda. Comme par enchantement, le garçon entra au
séminaire où il devait poursuivre inlassablement ses études théologiques. A
29/30 ans environ, il fut lui aussi ordonné abbé à la Cathédrale Notre-Dame
de Bangui. Malheureusement, le destin en décida autrement car il mourut
prématurément des suites de maladies ).
Boganda était loin d’être un magicien. Mais un homme au langage facile et
dissuasif qui savait utiliser des métaphores pour hypnotiser ses adversaires. Au
cours de la campagne électorale, il invita Jean-Baptiste Songomali qui s’obstinait à
s’opposer à lui aux élections législatives de 1956 en dépit du désistement de tous
les autres candidats de se joindre à lui pour aller marcher sur la rivière Oubangui.
Or, il faisait allusion au scrutin : « Allons au vote et on verra le meilleur candidat
».
24 - 5 Boganda, le ‘’sapeur pompier’’ à Berbérati ( 1954 ).
Suite à ses éclatants succès consécutifs aux élections de 1951 puis 1952, Boganda
devenu désormais la figure de proue, entra désormais en Oubangui-Chari dans la
légende. Aux yeux de tous les paysans et même au-delà des frontières, il était
considéré comme un messie, un envoyé de Dieu investi du pouvoir divin pour les
délivrer de leurs souffrances et de leur asservissement depuis plus d’un
demi-siècle.
Le passage de Charles de Gaulle à Bangui le 17 mars 1953, suivi peu de temps
après de l’annonce de la dissolution du parti RPF faisait du député le héros de la
résistance contre toute oppression et contre toute servitude. A Bangui comme dans
l’arrière-pays, les Oubanguiens se rendaient compte d’un léger mieux dans les
rapports entre colonisateurs et colonisés. Par ailleurs, ceux-ci déduisaient
instinctivement que les choses avaient l’air de bouger en leur faveur. En effet, le
système colonial autrefois rigide et oppressif, commençait à reconsidérer sa
position en assouplissant ses méthodes de travail ; il devenait tolérant et conciliant
à l’égard de la population locale.
Dans les entreprises comme dans tous les recoins des quartiers ou villages, les gens
qui avaient compris le sens de son combat politique, l’exhortaient à le poursuivre
et à faire repartir les Blancs d’où ils étaient venus afin de leur permettre de
retrouver la liberté et le bien-être perdus. Partout ailleurs, son nom incarnait le
combat décisif pour l’émancipation et le respect de l’homme noir. En
Oubangui-Chari comme dans les autres territoires de l’AEF, sa notoriété allait
crescendo. Grâce à sa popularité et à son intervention, le triple meurtre commis à
Berbérati ( Haute-Sangha ) par un agent des Travaux publics appelé Guy
Bontemps sur son cuisinier Antoine Zembé, sur l’épouse et le fœtus car celle-ci
était en grossesse, avait failli provoquer le 29 avril 1954 dans cette ville la seconde
guerre de « Kongo wara » ou « Guerre de Karinou » qui allait opposer la
population gbaya à la communauté européenne.
En effet, dans l’après-midi du 29 avril 1954, un agent des TP appelé Guy
Bontemps, un célibataire sans enfant, d’origine française, abattit froidement son
cuisinier dans des conditions non encore élucidées. Selon certains témoignages
recueillis, le cuisinier ayant bénéficié d’une permission de quelques jours s’était
rendu aux obsèques de sa belle-mère dans un village situé à une trentaine de
kilomètres. A l’expiration de la permission, celui-ci se serait rendu au travail un
jour après pour solliciter auprès de son employeur, une avance sur salaire afin de
lui permettre de poursuivre encore chez lui une nuit de veillée mortuaire. Fâché,
Bontemps aurait tiré sur lui avec son fusil de chasse.
Selon d’autres sources orales peu concordantes, l’Agent des TP était en train de
nettoyer son arme lorsque son cuisinier arriva. Ayant pointé le canon vers Zembé
pour l’effrayer, il appuya par inadvertance sur la gâchette et le coup partit pour
l’atteindre mortellement.
Pauline Zouangama, l’épouse de l’infortuné Zembé, ayant attendu en vain le retour
de celui-ci à la maison, se rendit désemparée chez Bontemps. Arrivée devant le
domicile de ce dernier, elle vit, gisant par terre, baignant dans le sang, le corps de
son mari criblé de balles. Elle se mit à rouler dans la poussière et à crier très fort au
risque même de rompre ses cordes vocales afin d’ameuter la foule.
Atteint par cette folie meurtrière, Bontemps qui imaginait déjà l’issue fatale de son
acte et que le cri de l’épouse du cuisinier devait mobiliser toute la ville, reprit son
arme à feu déjà chargée et tira sans aucun remords sur la pauvre femme qui portait
déjà dans son ventre un embryon de fœtus de trois mois, commettant ainsi ce jour
un triple meurtre.
Toute la population de Berbérati composée en majorité des Gbaya fut aussitôt
informée du crime crapuleux commis par un Européen sur les leurs. Elle retrouva
immédiatement son réflexe de la guerre de « Kongo Wara » ou Karinou (
1928-1931 ) et se convergea vers le domicile de l’assassin Bontemps, munie
d’armes traditionnelles de guerre et de cailloux d’où, la guerre de cailloux, traduite
en Gbaya : « bilo gbalata ». Elle voulait en finir avec l’auteur du crime voire même
s’attaquer à la colonie européenne de Berbérati dont le nombre variait entre 11 à 12
individus.
Voulant s’interposer pour négocier avec les émeutiers, les chefs de région et de
district ainsi que le juge d’instruction furent lapidés et grièvement blessés. Le
conducteur d’engin, Poirier, sérieusement atteint par des projectiles, succomba des
suites de ses blessures. Des tensions étaient devenues très vives dans la ville de
Berbérati et dans les villages environnants. Informés de cette tragédie, les paysans
des villages avoisinants s’armèrent de flèches, de sagaies et de couteaux de jet et se
mirent en route en direction de Berbérati, chef-lieu de la région.
A chaque entrée de la ville, des barricades furent dressées par les insurgés afin
d’empêcher la circulation des gardes et militaires avec leur véhicule. La piste
d’atterrissage de l’aérodrome fut recouverte d’obstacles si bien qu’aucun avion
militaire ne pouvait se poser. Le chef du territoire, saisi par un message-radio, mit
en alerte les troupes du camp Kassaï de Bangui et demanda au commandant de la
garnison de Bouar de faire mouvement sur Berbérati par voie terrestre ; mais, de
peur de faire de nombreuses victimes parmi les assaillants, il devait camper à une
dizaine de kilomètres de la ville en attendant les instructions de ses supérieurs
hiérarchiques en cas de flambée de violence.
Le gouverneur général de l’AEF à Brazzaville, ayant appris l’escalade, redoutait la
reprise de la guerre des Gbaya. Il donna l’ordre de mobilisation des troupes
d’Impfondo ( Likouala-aux-Herbes ) et de Ouesso, basées dans le Nord du Congo
non loin du théâtre d’opérations militaires. En outre, il faisait affréter au Cameroun
un DC3 pour le transport des parachutistes prêts à intervenir en cas de gravité de la
situation, pour rétablir l’ordre. Cependant, les troupes d’infanterie de Batouri et
Yokadouma au Cameroun étaient aussi mises en alerte.
L’administrateur Louis Sanmarco, directeur des affaires économiques qui venait à
peine de remplacer Aimé Grimald comme gouverneur et chef du territoire de
l’Oubangui-Chari se trouva confronté à l’insurrection de la population de
Berbérati.
Pendant 48 heures, les tensions étaient si vives que personne d’autre ne pouvait
calmer la colère des manifestants. Des tirs de sommation des gardes et militaires
souvent verticaux ou en l’air, et les coups de crosse distribués aux insurgés
déterminés à en finir avec Bontemps, ne devaient les contraindre à la capitulation.
Au contraire, la foule armée de gourdins et munis de cailloux devenait de plus en
plus nombreuse et compacte sur la place du marché.
L’embrasement était inévitable. Certains Européens apeurés se barricadaient dans
leur bureau ; d’autres restaient cloîtrés chez eux. Tous redoutaient les
affrontements sanglants et meurtriers. Ainsi donc, la psychose collective d’une
éventuelle guerre du genre de « kongo wara » planait sur toute la communauté
blanche vivant dans la localité. Sanmarco se rendit compte que les opérations
militaires ne feraient qu’envenimer la situation et rendraient ingérable la crise
provoquée par le leur. Il fallait recourir à la médiation.
Il décida enfin d’aller chercher dans sa ferme de Bobangui le député Boganda,
l’homme qualifié par les siens de providentiel. En effet, c’était l’homme le plus
écouté du pays. Or, dans les années antérieures, dans une telle circonstance,
l’administration coloniale ne devait faire parler que les armes.
Le gouverneur s’empressa de se rendre à Bobangui où vivait presque reclus le
député qui, à un moment donné, s’abstenait de prendre part aux différentes
sessions parlementaires de l’Assemblée française. Par contre, il était omniprésent à
celles de l’ATOC et du Grand Conseil de l’AEF où il devait, selon lui, traiter
efficacement soit les affaires de son pays, l’Oubangui-Chari soit celles de la
Fédération.
Sanmarco le rencontra dans sa ferme et le supplia de l’accompagner à Berbérati où
il y avait la rébellion des Gbaya. Or, depuis son arrivée à Bangui, les deux hommes
ne s’étaient jamais parlé. Le député Boganda lui répondit d’un air goguenard : « les
Français ont allumé le feu et ils sont venus me supplier de jouer le rôle de sapeur
pompier ».
Le 1er mai à 16 heures, l’avion qui embarqua Boganda et Sanmarco atterrit
finalement sur l’aérodrome de Berbérati dégagé pour la circonstance. Dès que la
foule vit le député fouler le sol, elle s’empressa de l’envahir car, c’était lui qui
avait le dernier mot. Or, Boganda avait toujours prêché la non-violence. Il se rendit
au cimetière. Les corps de Zembé et son épouse inhumés le 30 avril furent déterrés
pour une autopsie. En effet, les deux étaient abattus par des balles. Boganda prit la
parole pour rassurer cette foule en ces termes : « la justice sera la même pour les
Blancs que pour les Noirs ».
Cette brève phrase semblable à « je vous ai compris » de Charles de Gaulle
adressée le 4 juin 1958 aux Algériens et Français d’Algérie mit le baume au cœur
de chaque guerrier Gbaya qui, gorge serrée, devait quitter dans un calme absolu le
cimetière. Le député a parlé, on doit rentrer, ajouta l’un d’eux. Toutefois, la foule
devait s’ébranler vers la place mortuaire de Zembé et son épouse. Il y eut ce jour
plus de peur que de mal.
Sanmarco fut surpris par l’audience que le député oubanguien avait auprès de la
population de Berbérati. Grâce à sa présence et à son intervention, la localité
retrouva sa sérénité sans qu’il y ait eu effusion de sang après le crime gratuit de
Bontemps. Bénéficiant du régime d’exterritorialité, celui-ci fut aussitôt déplacé de
son poste puis rapatrié en France sans que la justice ait été rendue.
D’après le résultat de l’enquête diligentée par le gouverneur Sanmarco,
l’administrateur de la région qui faisait office de juge d’instruction mentionna dans
son procès-verbal truffé de mensonges grossiers que le cuisinier avait tué son
épouse et s’était suicidé.
Une parodie de justice qui faisait d’ailleurs allégrement son chemin depuis le début
de la colonisation. A cette époque, le magistrat n’avait pas les mains libres comme
de nos jours pour exercer en toute quiétude et en toute indépendance son travail.
Au cas où le tribunal tenait à rendre la justice en faveur de l’homme noir, le juge
était menacé de mort par les colons et les agents des maisons de commerce.
A chaque audience, le rôle était inversé. L’agresseur devenait la victime et celle-ci
était l’agresseur. Dans plusieurs rapports politiques, les administrateurs coloniaux
prêchaient souvent à ses congénères la légitime défense au cas où l’un d’eux
venaient à commettre un crime crapuleux sur un Noir en disant toujours à
l’audience qu’il avait été attaqué et qu’il s’était servi de son arme à feu pour se
défendre. Ainsi donc pendant le procès, le juge mettait toujours l’acte criminel sur
le compte de légitime défense pour disculper l’auteur de cet acte odieux.
Paradoxalement, ceux qui avaient manifesté leur mécontentement à cause de ce
triple meurtre furent interpellés et arrêtés après l’enquête du juge d’instruction
montée de toutes pièces ; certains furent jetés en prison à Berbérati et d’autres, tels
que Modio Gabriel, Yanoé Gabriel, Limessoukoula Appolinaire et Yérima Philippe
furent condamnés à sept ans de travaux forcés assortis d’interdiction de séjour et
déportés très loin à Faya-Largeau au Tchad, région chaude et désertique où ils
devaient purger leur peine ( ** Mbembélé Xavier « Bilo Gbalata », Université
de Bangui, 1986, pp. 37-38 ). Mais, il semble que certains n’auraient pas regagné
leur pays.
24 - 5 Le troisième mandat législatif de Boganda à l’Assemblée
française ( 1956 ).
Fin 1955, le mandat électif des députés à l’Assemblée française dans le cadre du
double collège devait prendre fin. Il fallait le renouveler le 2 janvier 1956, mais
cette fois-ci dans un collège électoral unique regroupant Européens et Africains.
Comme le président fondateur du MESAN allait de victoire en victoire et devenait
ainsi imbattable à toutes les élections organisées depuis lors en Oubangui-Chari, il
n’avait pratiquement pas de challengers potentiels devant l’affronter.
Seul, Jean-Baptiste Songomali, naguère candidat de la SFIO aux élections
législatives de 1946, allait se présenter cette fois-ci sous l’étiquette de « candidat
indépendant » alors qu’il avait toujours été soudoyé par les nostalgiques du RPF
dissous, notamment son éternel protagoniste René Malbrant et les membres de la
Chambre de Commerce. C’était lui seul qui, en dépit de son impopularité dans le
milieu africain, s’obstinait à vouloir s’y présenter contre le député sortant. Il fut
battu à plate couture au premier tour par Boganda avec un score écrasant de 155
992 voix sur 176 182 suffrages valablement exprimés soit 84,7% ( ** Kalck p.
288 ). L’invincible candidat du MESAN brigua ainsi le troisième mandat à
l’Assemblée française.
24 - 6 L’Alliance MESAN-Intergroupe libéral oubanguien ( ILO ).
Sur le terrain de la politique, il ne faudrait jamais toujours chercher à avoir raison
ou à tirer indéfiniment sur la corde qui risquerait de se casser. Comme le disait La
Fontaine, « le chêne et le roseau », l’image de cette graminée à rhizome à tige
droite qui « plie mais ne rompt point » est une attitude qui paraît sage et
moralisatrice pour tous ceux qui entament la carrière politique. En politique, rien
ne sert d’être rigide et intraitable avec ses adversaires. Une corde élastique, à force
de la tirer indéfiniment, elle perd son élasticité et rompt.
Or depuis son élection à l’Assemblée française en 1946, Boganda avait des
relations tumultueuses avec le lobby colonial et l’Eglise catholique qui, d’ailleurs,
avait parrainé sa candidature. Toutefois, certains rares Européens plein d’altruisme
faisant partie des loges maçonniques, conseillaient aux colons la modération et
l’entente afin d’éviter d’engager un bras de fer avec l’élu du peuple oubanguien
devenu incontournable et irréversible.
A partir de 1955, le double collège électoral était en voie d’extinction. Les
principaux acteurs politiques dont Chambellant, Naud, Duret, Guérillot et Costes,
certains Européens de tendance dure décidèrent de mettre sur pied l’Intergroupe
Libéral Oubanguien ( I.L.O. ) et d’assouplir leurs positions à l’égard de Boganda et
son parti le MESAN. Ils signèrent des accords d’alliance entre le MESAN et leur
nouveau mouvement afin d’une part, de « sauvegarder une représentation
européenne lorsque les élections auront lieu au collège unique » et d’autre part, de
« contribuer efficacement au décollage économique de l’Oubangui-Chari ».
Désormais, le système colonial et l’Eglise catholique qui combattaient
farouchement les idéaux de Boganda et son parti durent prôner et encourager la
conciliation. Les membres de l’ILO devinrent moins agressifs en entendant le nom
du député Boganda qui changea lui aussi de fusil d’épaule et tenait de moins en
moins des propos virulents à l’endroit de ses adversaires d’hier. Suite à ce pacte, la
clé de répartition de sièges entre Européens et Oubanguiens fut arrêtée et établie de
commun accord.
Les conséquences de l’Alliance MESAN-ILO paraissaient positives sur le plan
politique, social et économique.
Le 18 novembre 1956, les élections municipales furent organisées pour la première
fois dans le cadre du collège unique institué par la Loi-Cadre ou Loi-Defferre. Le
couple MESAN-ILO balaya de revers de main ses adversaires politiques aux
élections municipales en remportant honorablement 30 sièges de conseillers
municipaux sur 36 soit encore 84% de votants. Dans le respect strict des accords
inhérents à la clé de répartition de postes, le MESAN reçut 18 sièges qui furent
occupés par des Oubanguiens et 12 revenaient à l’ILO composé en majorité de
Français vivant sur le territoire de l’Oubangui-Chari. Boganda devint ainsi le
premier Maire noir de la « commune mixte de Bangui » qui fut érigée en
« Commune de plein exercice ».
Or, depuis la création de la « Commune mixte de Bangui » en 1911, laquelle devint
opérationnelle à compter de janvier 1912, seuls les administrateurs-maires français
nommés par décret du gouverneur général se succédaient à sa tête.
Boganda étant élu sans aucune difficulté à la tête de la commune de Bangui avait
une double casquette : il était à la fois député de l’Oubangui-Chari et Maire de la
ville de Bangui. Toutefois, on l’appelait couramment et affectueusement
« Député-Maire ».
Vingt-cinquième partie : Le début
d’indépendance en Oubangui-Chari.
des
mouvements
Pendant la Seconde Guerre mondiale ( 1939-1945 ) de nombreuses promesses
d’indépendance des peuples colonisés se faisaient par-ci et par-là par des jeunes
Français aux soldats Africains qui combattaient à leurs côtés. Dans les universités
anglaises et françaises les rumeurs pour l’autonomie des pays placés sous le joug
colonial allaient bon train. Mais à la fin des hostilités franco-allemandes, toutes ces
promesses étaient jetées dans les oubliettes. Outre cet oubli volontaire ou
involontaire, les textes législatifs abolissant d’une part, le travail forcé et le code de
l’indigénat et d’autre part, accordant la citoyenneté française à tous les habitants de
la France métropolitaine et aux départements d’Outre-Mer intégrés dans l’Union
française étaient foulés au pied.
En Oubangui-Chari, surtout dans l’arrière-pays, les vieilles pratiques demeuraient
toujours et se renforçaient davantage : le travail forcé, les châtiments corporels, le
racisme, les inégalités sociales, etc. constituaient le pain quotidien des paysans.
La métropole sortie exsangue et très affaiblie de cette longue et pénible guerre très
meurtrière et ruineuse n’était pas encore remise de ses blessures lorsque les
revendications politiques pour l’indépendance se multiplièrent et devinrent
sérieuses dans toutes les anciennes colonies françaises. Par ailleurs, la démission
fracassante et inattendue le 21 janvier 1946 de Charles de Gaulle, illustre
personnage considéré comme un génie militaire doublé de génie politique portait
un coup fatal à la France. De profondes crises politiques éclatèrent si bien que
plusieurs gouvernements dont la durée moyenne de vie de chacun d’eux n’excédait
pas six mois s’étaient succédés. De 1946 à 1958, il y aurait eu près d’une vingtaine
de gouvernements.
Les soldats africains appelés de manière péjorative « tirailleurs », les syndicalistes
et les étudiants de la Fédération des Etudiants de l’Afrique noire en France (
FEANF ) d’obédience communiste, soutenus et encouragés par les Etats-Unis, l’ex
URSS et l’ONU, devenaient de plus en plus précis dans leurs revendications. Dans
un mouvement d’ensemble, tous les peuples colonisés réclamaient l’indépendance
promise sur les champs d’affrontements.
En Indochine, la guerre d’indépendance éclata en 1946 et prit fin huit ans plus tard
par la défaite des troupes françaises suite à la prise militaire de la forteresse de
Dien Bien Phu. Ce fut un déclic. Les événements se succédèrent à une vitesse de
croisière.
A Madagascar, les étudiants, les syndicalistes et les anciens soldats ayant combattu
aux côtés des forces alliées ainsi que les députés montèrent aussitôt au créneau à
peine un an seulement après le déclenchement des hostilités franco-indochinoises.
Ils débrayèrent le 30 mars 1947 pour réclamer l’indépendance de la grande île. Les
parlementaires se joignirent à eux.
Le gouvernement français, faisant sourde oreille à leur revendication, devait leur
répondre par les crépitements des armes. Une épreuve de force, disproportionnée
certes, fut engagée entre Malgaches et troupes françaises. Cette émeute constituait
aux yeux de l’administration coloniale une atteinte à la sureté de l’Etat. Par
conséquent, les représailles devenaient très violentes. Plus de 80 000 Malgaches
dont deux étudiants furent massacrés lors des accrochages avec les forces militaires
du commandant supérieur des troupes Garbay. En outre, deux députés furent
arrêtés, torturés et jetés en prison. Le mouvement insurrectionnel sur la grande île
de Madagascar fut ainsi étouffé dans un bain de sang.
En 1954, les Algériens firent aussi entendre leurs voix en revendiquant la
souveraineté de l’Algérie confisquée depuis 1830 par la création d’une « colonie
de peuplement ». Celle-ci, fortement peuplée par des immigrants français devait
constituer le prolongement de la France. A cet effet, la guerre éclata entre
Algériens et Français et faisait rage sur la côte méditerranéenne alors que celle
d’Indochine venait à peine de prendre fin avec la victoire finale des Viet-minh.
Un autre fait important qui constituait en réalité un ferment de stimulation pour les
pays colonisés et qui les avait galvanisés à revendiquer l’indépendance, c’était la
Conférence afro-asiatique tenue du 18 au 24 avril 1955 à Bandung ( ou Bandoeng )
en Indonésie, laquelle a regroupé 29 pays d’Asie et d’Afrique ; six pays africains
tels que Egypte, Libye, Ethiopie, Libéria, Soudan et Ghana y avaient participé. Les
délégués à la conférence, au retour dans leur pays respectif, avaient fait larges
échos des recommandations. Les deux pays d’Afrique du Nord à savoir le Maroc et
la Tunisie se mirent à secouer le joug colonial ; ils obtinrent respectivement les 2 et
26 mars 1956 leur indépendance. Parmi les colonies britanniques d’Afrique noire,
le Gold Coast ( actuel Ghana ) s’ébroua aussi pour se débarrasser des puces de la
colonisation britannique ; il retrouva ainsi en 1957 sa souveraineté.
25 - 1 La Loi-Cadre ou Loi Defferre ( 1956 ).
Les puissances coloniales savaient pertinemment qu’elles se trouveraient
désormais dans une zone de turbulence et que des conditions nécessaires et
indispensables devaient être arrêtées le plus tôt possible. Gaston Defferre, grand
stratège, ayant fait son entrée au gouvernement comme Ministre de la France
d’Outre-Mer était parfaitement au courant de ces mouvements de revendications de
souveraineté en gestation ainsi que les mutations sociales qui s’opéraient et
prenaient un peu partout de l’ampleur dans tous les pays colonisés. Defferre ne
voulait pas se laisser entraîner par les « courants » des événements. Il nourrissait
dans sa tête l’idée d’une réforme administrative et politique en Afrique. Il se mit à
dépoussiérer et à remettre en chantier le projet de loi déjà ébauché et abandonné
dans un placard par son prédécesseur Pierre Henri Teitgen en disant : « ne laissons
pas croire que la France n’entreprend des réformes que quand le sang coule » ( **
Touba-Kossomboi Ferdinand, la politique coloniale française en
Oubangui-Chari de 1946 à 1956, Mémoire de maîtrise, Université de Bangui
1989, p. 64 ). La loi-cadre présentée à l’Assemblée nationale fut votée le 23 juin
1956. Elle fut baptisée « Loi Defferre » du nom de son initiateur.
Cette Loi-Cadre devait avoir entre autres conséquences la réforme dans
l’administration malgache et dans tous les pays francophones d’Afrique
sub-saharienne. Un certain nombre d’Africains estimait que cette loi apportait tout
de même une petite lueur d’espoir vers une semi-autonomie interne.
Malheureusement, elle n’a pu entrer aussitôt après sa promulgation dans sa phase
exécutoire. Pour d’autres, en AEF comme en AOF, le gouvernement français a trop
attendu, soit une dizaine d’années après la victoire des forces alliées pour se
pencher enfin sur le sort des Africains en faisant voter une loi qui restait muette sur
les revendications d’indépendance.
Toutefois, conformément à l’esprit de la Loi-Cadre ( ** Article 11 de la
Loi-Cadre Française n°56-619 du 23 juin 1956 ) les premières mesures furent
timidement mises en place. Dans chaque territoire, devait être formé et mis en
place un Conseil de gouvernement. Celui de l’Oubangui-Chari vit le jour le 14 mai
1957, c’est-à-dire un an après la promulgation de cette loi dont l’application posait
problème. Par ailleurs, les deux collèges de l’Assemblée nationale française et de
l’Assemblée territoriale furent refondus en un collège électoral unique dans lequel
tous les Oubanguiens et Français, candidats aux législatives ou municipales, se
mettraient ensemble après leur élection au suffrage universel pour débattre des
problèmes socio-économiques et politiques inhérents au territoire.
25 - 2 La formation du premier gouvernement de la Loi-Cadre en
Oubangui-Chari ( 14 mai 1957 ).
La Loi-Cadre avait prévu dans chaque territoire la mise en place d’un Conseil des
ministres. Votée le 23 juin 1956 et promulguée peu de temps après, le premier
gouvernement local fut enfin constitué et vit le jour en Oubangui-Chari le 14 mai
1957. Ce fut un gouvernement très concentré de six membres dont quatre,
judicieusement choisis par Boganda en raison de leur degré de militantisme dans le
MESAN et un de l’ILO. Or dans les autres pays tels que le Sénégal, le
Moyen-Congo ou le Tchad, le Conseil était composé de 12 membres. Les membres
de ce gouvernement étaient pompeusement appelés ministres. Nous utilisons
l’adverbe pompeusement parce que, à part le porte-feuille de Roger Guérillot que
nous verrons tout à l’heure, ceux des autres membres n’étaient que des coquilles
vides car les titulaires avaient les mains liées et n’avaient pas de pouvoir réel. Ils
ne pouvaient prendre en toute quiétude des décisions sans que le gouverneur de
l’Oubangui-Chari, président de ce Conseil d’alors, Louis Sanmarco ( 14
mai-décembre 1957 ) puis Paul Bordier ( 29 janvier 1958 ) n’ait donné
préalablement son avis. En effet, c’était le gouverneur du territoire qui était aussi le
président du Conseil des ministres. Ainsi donc, c’était lui qui était toujours aux
commandes.
Le Conseil de gouvernement était hybride et surtout misogyne car il était composé
exclusivement d’hommes. Il n’y avait aucune femme. A noter qu’à cette époque,
même dans toute l’Europe, la tendance était à la misogynie. ( ** en France, le
droit de vote n’était accordé aux femmes qu’en 1944-1945 ; en Suisse,
beaucoup plus tard - 1975 - ).
Le gouvernement était composé de la manière suivante :
- Louis Sanmarco, gouverneur de 3e classe de la France d’Outre-mer, président ;
- Abel Goumba, médecin africain, ancien élève de l’Ecole de médecine William
Ponty de Dakar au Sénégal ; vice-président, ministre chargé du Plan et des
Finances;
- Roger Guérillot, vice-président de l’ILO, ministre des Affaires administratives
et économiques ( ** R. Guérillot, personnalité très influente dans le
gouvernement ; celle-ci n’avait de respect ni pour le vice-président (
Goumba ) ni pour les autres ministres ; elle ne traitait qu’avec le gouverneur
qui était à la fois chef du territoire de l’Oubangui-Chari et président du
Conseil des ministres ) ;
- David Dacko, Instituteur, ancien élève de l’Ecole normale de Mouyonzi, à
Brazzaville, ministre de l’Agriculture, de l'Elevage, des Eaux, Forêts et Chasse.
- Honoré Willikond, Commis greffier, ministre chargé du Travail ;
- Robert Gbaguidi, médecin africain, d’origine dahoméenne ( béninoise ),
ministre des Travaux publics, Transports et Mines.
- Joseph Mamadou, commis des services administratifs et financiers ( SAF ),
ministre de l’Instruction publique et de la Santé.
Comme nous pouvons le constater, les départements ministériels les plus
importants qui relevaient du domaine exclusif du gouvernement français, n’en
faisaient pas partie ; ils étaient jalousement confisqués par Paris. Par ailleurs,
Roger Guérillot qui occupait un vaste ministère taillé à sa mesure se croyait être le
« super ministre ». Par arrêté n°372/AP du 10 mai 1957 signé du gouverneur Louis
Sanmarco, chef du territoire de l’Oubangui-Chari, certains ministres devaient
coordonner les activités des autres. Ainsi donc, en dépit de ses propres attributions
et lourdes responsabilités, Guérillot devait contrôler les activités du ministère de
l’Agriculture, de l’Elevage, des Eaux et Forêts tenu par le jeune David Dacko : un
ministère dans un ministère. Un tel parrainage, une telle subordination devait avoir
indubitablement dans la pratique des conséquences néfastes. Influent, c’était lui qui
dictait sa ligne de conduite au gouverneur, président du Conseil de gouvernement ;
il ne traitait qu’avec celui-ci et non avec Goumba le vice-président qui, sur le plan
protocolaire, était son supérieur hiérarchique. A l’égard des autres ministres,
Guérillot avait toujours le complexe de supériorité. Toutes les instructions émanant
du vice-président Goumba était aussi foulées au pied. Il convient aussi de rappeler
que le baroudeur, reconnu pour sa cupidité et son avidité pour l’argent, devait
profiter de l’alliance MESAN-ILO pour être le trésorier du MESAN. Il se passait
de l’ordonnateur et engageait des dépenses sans présenter les justificatifs. Il
confondait souvent la caisse du MESAN et la sienne sans qu’il ait été inquiété.
Qualifiant ce Conseil des ministres présidé par le gouverneur de « gouvernement
bicéphale » qui devait restreindre considérablement les marges de manœuvre de
ses membres et trouvant que la Loi-Cadre a envisagé d’offrir aux paysans africains
un « cadeau empoisonné », un « subterfuge » pour les détourner de l’objectif
fondamental recherché, Boganda refusa d’en faire partie. Etant membre du Grand
Conseil de l’AEF, il y jeta son dévolu et décida de déposer sa candidature à la
présidence dudit Conseil à compétences étendues afin de faire sa voix et d’avoir
une vision panoramique sur les quatre territoires ( Moyen-Congo, Gabon,
Oubangui-Chari et Tchad ). Il fut brillamment élu le 17 juin 1957 à ce poste par ses
pairs pour un mandat électif d’un an renouvelable.
Le 24 mars 1958, Antoine Darlan décida de se représenter à l’élection contre
Boganda à la grande surprise des membres de la délégation partie de Bangui à
Brazzaville. Or, au départ, l’homme insaisissable et versatile était favorable à la
seule candidature de Boganda et avait promis de ne pas se présenter contre lui à ce
poste. Or poussé par Félix Houphouet-Boigny, leader politique ivoirien et
fondateur du RDA, il devait surprendre au dernier moment tout le monde par la
déclaration inattendue de sa candidature au même poste sous l’étiquette du RDA.
A cet effet, la jeune et charmante Elisabeth Domitian qui se trouvait aussi dans la
capitale de l’AEF devait jouer un rôle non négligeable. Elle décida de faire du
porte-à-porte dans les chambres d’hôtel pour convaincre les autres grands
conseillers de réélire Boganda. Il semblerait que la voix de François Tombalbaye
du Tchad aurait permis à Boganda de battre de justesse son challenger Antoine
Darlan.
Eu égard au vent du changement qui soufflait fort sur les pays colonisés, ce n’était
ni l’autonomie interne avec la mise en place d’un gouvernement ni les petites
réformes politiques et administratives qui résoudraient les problèmes africains.
Tout ceci ne constituait aux yeux de Boganda qu’un saupoudrage pour berner les
leaders politiques et les détourner de leur principale revendication qui était
l’indépendance.
A chaque fois qu’il montait à la tribune de l’Assemblée du Grand Conseil, il ne
cessait de répéter : « avec la Loi-cadre, c’est l’immobilisme, le colonialisme ».
Selon sa conviction, il fallait pour l’Oubangui-Chari et pour l’Afrique noire le
« droit des peuples à disposer d’eux-mêmes et l’indépendance dans
l’interdépendance volontaire et librement consentie » ( ** B. Boganda , pour une
RCA, l’AEF face à l’avenir n°1 cité par Touba Kossomboi, UB ; 1989 ).
Les leaders africains se trouvant dans la sphère de la France se rendirent compte
des limites de La loi-Cadre qui portait en elle un virus qu’il fallait absolument
combattre et chercher à l’extirper. Boganda et Senghor, marchant dans le sillage de
Kwamé Nkrumah, le ténor du panafricanisme, étaient très favorables pour l’unité
de l’Afrique. Dans chacune de ses interventions à la tribune du Grand Conseil de
l’AEF à Brazzaville, il dénonçait avec force l’émiettement de l’Afrique noire
francophone avec cette loi si on n’y prenait pas garde.
Le 8 juillet 1958, au cours de la session de l’ATOC tenue à Bangui, il déclara :
« pour l’Oubangui, comme pour l’Afrique noire toute entière, la Loi-Cadre était
dépassée ». En effet, elle ne répondait point aux vœux des leaders africains et aux
aspirations profondes des populations autochtones qui continuaient d’être asservies
et opprimées malgré les mesures d’assouplissement prises en leur faveur depuis la
mise en place de la Constitution de la IVe République. La Loi-Cadre étant appelée
à disparaître dans un proche avenir, il fallait impérativement créer un nouveau
cadre institutionnel dans lequel les Africains devraient jouir de leur liberté et de
leur souveraineté. Quant au fédéraliste le Sénégalais Léopold Sédar Senghor, il
accusait la Loi-Cadre de vouloir « balkaniser l’Afrique francophone ». Partout
ailleurs, dans les pays francophones surtout concernés par cette loi, les voix des
hommes politiques, des syndicats et des opprimés s’élevaient pour réclamer,
conformément à la charte de l’Atlantique de 1941 promulguée par Churchill et
Roosevelt, le « droit des peuples à disposer d’eux-mêmes » ( ** Wilson Thomas
Woodrow ( 1856-1924 ). Homme politique américain. Professeur des sciences
politiques ; il fut élu président des USA en 1912 ; Il fut réélu en 1916 ; il
engagea en 1917 son pays dans la guerre aux côtés des Alliés ; ce fut lui qui
créa la Société des Nations ( SDN ) mais malheureusement, il ne put obtenir
l’adhésion des Américains à cette Institution ). En effet, dans toutes les
anciennes colonies françaises, naissait une prise de conscience collective
engendrant l’éveil du nationalisme chez plusieurs leaders africains qui se mettaient
à réclamer plutôt l’indépendance politique que la semi-autonomie interne.
25 - 3 Le troisième mandat des conseillers territoriaux ( mars 1957
).
En 1957, la victoire électorale était à la portée du binôme MESAN-ILO. Le 31
mars de cette même année, des élections en vue du renouvellement de l’Assemblée
territoriale de l’Oubangui-Chari furent organisées dans un climat serein et dans une
meilleure compréhension car le mandat des membres élus pour cinq ans en 1952
tendait à prendre fin. Cette fois-ci, comme il n’y avait qu’un seul collège, le
nombre de sièges des conseillers territoriaux avait atteint 50. Le groupe
MESAN-ILO disposait de la majorité absolue des voix en raflant 247 000 voix sur
256 000 votants soit presque la totalité des sièges à l’Assemblée territoriale de
l’Oubangui-Chari, nouvelle formule. Toujours en vertu des accords scellés,
Boganda concéda plusieurs sièges aux Européens et désigna comme président de
cette Assemblée son vieil ami, le sénateur et l’avocat guyanais, Hector Riviérez,
élu lui aussi comme conseiller territorial. Les deux hommes étaient tous membres
de la LICRA depuis 1947 où ils s’étaient découverts dans la lutte âpre contre la
discrimination raciale, une cause commune. ( ** A noter que Félix Eboué, René
Maran et Hector Riviérez, étaient tous trois Guyanais et descendants d'
esclaves noirs affranchis ). Ainsi donc, c’était Riviérez qui devait présider la
nouvelle Assemblée territoriale de l’Oubangui-Chari.
25 - 4 Le conflit entre Boganda et Goumba à propos de la coalition
MESAN-ILO.
Goumba, ce jeune médecin frais vermoulu ignorait encore tout des arcanes
politiques. Par ailleurs, admis à l’Ecole de médecine de Dakar après l’EPS ( Ecole
primaire supérieure ) de Bambari, il fut affecté au Moyen-Congo au terme de ses
études comme médecin africain. Sa longue absence du pays faisait qu’il ignorait
les réalités de l’Oubangui-Chari. Par manque d’élites intellectuelles oubanguiennes
à cette époque, Boganda qui se voyait à l’aise au sommet du Grand Conseil de
l’AEF qui regroupait les quatre territoires ( Moyen-Congo, Gabon,
Oubangui-Chari et Tchad ), le fit venir à Bangui afin d’occuper dans le premier
gouvernement de la Loi-Cadre, le poste de vice-président. Imbu de son idéologie
socialo-marxiste, il acceptait mal le rapprochement du MESAN de l’ILO ayant
abouti à leur alliance. Il trouvait que Boganda ne faisait pas assez pour faire partir
de l’Oubangui-Chari Roger Guérillot, personnage énigmatique et controversé qu’il
ne cessait de qualifier de « baroudeur, d’intrigant, de l’homme qui avait plusieurs
cordes à son arc quand il s’agissait de défendre ses intérêts » ( ** Professeur Abel
Goumba : « Les Mémoires et les Réflexions politiques du Résistant
anti-colonial, démocrate et militant Panafricaniste, Abel Goumba » - De la
Loi-Cadre à la mort de B. Boganda » Vol.1 Collection Sambela Cinia, Paris
2006, p. 120 ), catapulté dans le pays à la fin de la Seconde Guerre mondiale.
Guérillot occupait un porte-feuille ministériel important. Se croyant au-dessus de
tous les autres ministres, il faisait tout à sa tête.
A partir de 1958, le conflit qui était latent et peu perceptible, se manifestait parfois
sur la place publique. Le torchon brûlait entre Boganda et Goumba ; ce qui pouvait
être sans les conséquences néfastes devant provoquer l’affaiblissement du
MESAN : le premier, ayant combattu pendant une dizaine d’années le système
colonial était favorable à la politique d’ouverture si bien qu’il adoptait désormais
une attitude conciliante à l’égard des colons européens. Par contre, le second avait
une position inflexible et extrémiste lorsque R. Guérillot, vice-président de cette
association ( ILO ) mit sur place un vaste projet onéreux et irréaliste dénommé
« Comité du Salut économique ». D’après les récits des témoins vivants de
l’histoire, ce n’était pas de gaîeté de cœur que Goumba parlait de Naud à qui
Boganda avait donné son entière confiance et accordé la délégation de signature.
Ses fonctions de président du Grand Conseil absorbaient tout son temps. Une autre
pomme de discorde se situait au niveau du budget de fonctionnement des nouvelles
collectivités rurales créées par décret n° 57/461 du 04 avril 1957, lesquelles
devaient remplacer les cantons, petites entités territoriales regroupant plusieurs
villages. Guérillot suggéra à Boganda dans le cadre de l’alliance MESAN-ILO, la
mise en place du système de détaxation – sur-taxation susceptible de procurer de
l’argent nécessaire au budget local pour leur fonctionnement.
S’en prenant aussi au président-fondateur du MESAN qui faisait depuis un certain
temps preuve de mansuétude à l’égard de ses farouches adversaires d’hier,
Goumba faisait répandre l’idée selon laquelle Boganda « était en train de vendre le
pays aux Blancs en leur concédant d’importantes prérogatives » ; il lui fit ainsi
avaler une couleuvre et la nouvelle s’amplifia, se répandit très rapidement comme
une traînée de poudre sur l’ensemble du pays, notamment dans la Ouaka où il avait
beaucoup d’audience auprès des habitants. L’honorabilité du tribun Boganda fut
entamée. Son espoir d’unir tous les peuples oubanguiens sous une même bannière
pour leur émancipation commençait à muer en désespoir. Il dépêcha trois
émissaires dans cette région afin d’expliquer à la population le sens de son
rapprochement avec les Européens vivant en Oubangui-Chari et de l’alliance du
MESAN avec l’ILO afin de permettre le décollage économique du pays. Il
semblerait que sur ordre de Goumba qui commençait déjà à prendre ses distances
vis-à-vis de Boganda, les messagers de celui-ci furent molestés et chassés de
Bambari. Désormais, les relations entre les deux hommes se détérioraient au fil du
temps et n’étaient plus au beau fixe. Finalement, Boganda et Goumba qui étaient
côte à côte dans la lutte pour le bien-être social des Oubanguiens, se trouvaient
finalement face à face et se regardaient comme des chiens de faïence.
Afin de prendre le contre-pied de la politique du couple MESAN-ILO et surtout du
Comité du Salut économique qui émettait des théories fumeuses qui ne pouvaient
jamais atterrir ( même les analystes français les plus réputés se doutèrent de la
viabilité de ce projet de développement qualifié d’utopique et d’irréalisable qui
allait constituer un véritable gouffre pour le budget local d’ailleurs très maigre ),
Goumba et ses cousins, les frères Darlan, ainsi que ses sympathisants saisirent au
bond ces critiques sévères faites à Guérillot et Boganda pour créer le
«Commissariat pour le Développement rural de l’Oubangui-Chari » dont le sigle (
CODRO ) ** Codro n’avait rien à voir avec kodro qui désignait le village ou le
pays en langue nationale le sangö.
L’objectif visé par son initiateur était de promouvoir le développement durable par
la communauté de base. En clair, Goumba voulait accorder, à moins de trahir sa
pensée, une place prépondérante à la paysannerie afin de provoquer le déclic du
bas vers le haut.
Vingt-sixième : La restructuration des partis d’opposition.
26 - 1
Le parti de « l’ Emancipation Oubanguienne ».
A partir de 1957, le climat politique devenait de plus en plus morose en
Oubangui-Chari. Les leaders des partis d’opposition cherchaient par tous les
moyens à débaucher certains militants actifs du MESAN frustrés et mécontents.
Antoine Darlan qui avait adhéré au MESAN en 1951 afin de partager avec
Boganda ses idéaux, prit ses distances vis-à-vis de celui-ci en 1956 alors que son
frère cadet Georges Darlan, avec l’appui d’un groupuscule d’adhérents et de
sympathisants que l’on pouvait compter exclusivement parmi les « évolués »,
restait encore accroché au RDA très influencé par l’Ivoirien Houphouët Boigny.
Ces « évolués » d’autrefois formaient l’élite intellectuelle du pays, une catégorie de
cadres et fonctionnaires très attachée à ses intérêts propres et qui ne voulait pas
prendre des risques en militant à visage découvert.
Toutefois, Georges s’occupait beaucoup plus de sa coopérative dénommée
« COTONCOOP » pour laquelle une subvention de 33 millions lui avait été
accordée par la Caisse de coton que la vie politique du RDA dont il était le
président de la section en Oubangui-Chari. Ayant dilapidé tout l’argent, il devait
connaître par la suite de gros ennuis. S’inspirant des expériences et de la profession
de foi de l’Union Oubanguienne dont il fut en 1947 le co-fondateur, il créa le 27
septembre 1956, une nouvelle formation politique qui prit la dénomination de
«l’ Emancipation Oubanguienne » dont il assurait la présidence. Le secrétariat du
Comité central du bureau politique fut confié à Félix Mouthé. Georges fut rejoint
par son frère aîné Antoine, l’homme très versatile, dans cette nouvelle formation
politique d’opposition.
Dans l’arrière-pays, le MESAN avait gagné du terrain et s’était largement répandu
si bien que dans presque tous les villages, le nouveau parti ainsi que le RDA
avaient de très sérieux problèmes pour convaincre les paysans à y adhérer.
L’année d’après ( 1957 ), la section locale de la SFIO, installée depuis 1946 en
Oubangui-Chari et pilotée par Marie François Augustin Gandji de Ko-Bokassi,
natif de la Lobaye, un syndicaliste ayant tant enduré les tracasseries
administratives et policières pendant l’ère coloniale. A partir de 1957-1958, la
SFIO fut réformée ; elle prit la dénomination de MSA ( Mouvement socialiste
africain ) affilié certes, au parti socialiste français dont la philosophie politique
était « d’élever le niveau de vie politique, économique et social des Oubanguiens et
de faire cesser l’exploitation de l’homme par l’homme ». Gandji en était le
président et Michel Béngué, le secrétaire général.
Ce nouveau parti fondé sur les cendres de la SFIO visait le même but, c’est-à-dire
le bien-être social des Africains en général et des Oubanguiens en particulier si
bien qu’on le considérait très proche du MESAN. Il apporta sans ambages son
appui au programme du Comité du Salut Economique d’ailleurs vivement critiqué
par Abel Goumba et ses adeptes.
26 - 2 Le Mouvement social africain ( MSA ).
Compte tenu des points de convergence des idéologies du MESAN, la SFIO (
Section française de l’Internationale ouvrière ) se restructura et devint Mouvement
social africain ou MSA. En décembre 1958, Boganda décida de confier à son
secrétaire général Michel Béngué un porte-feuille ministériel dans le premier
gouvernement de la République. Malheureusement, celui-ci, emporté par la joie
délirante ne fit pas preuve de discrétion de la nouvelle de sa promotion. Il se mit
aussitôt à la divulguer sur la place publique. Se trouvant dans une buvette autrefois
appelée « Bar mon Pays » diamètralement opposée à l’actuel dispensaire
Malimaka, sur l’avenue Koudoukou, il interpella Georges Kazangba et Barthoumé
Moussa qui étaient de passage pour leur dire: « chers amis et frères, je vous invite à
vous asseoir afin que je vous achète à boire car je serai nommé bientôt
ministre… ». Son bavardage public dévoila ce qui aurait pu être un « top secret ».
Ces propos furent aussitôt rapportés à Boganda. Comme celui-ci était toujours pour
la loyauté, le travail bien fait ( car il ne cessait de répéter inlassablement à ses
compatriotes : « parlons peu, mais travaillons beaucoup ) et surtout pour la
discrétion qui devrait être une vertu, il retira sa confiance placée en Béngué en
reconduisant, le 8 décembre, Gbaguidi qui faisait déjà partie du premier
gouvernement de l’Oubangui-Chari mis en place le 14 mai 1957. Comme le disait
un des grands philosophes grecs, Esope, « la langue est une bonne et mauvaise
chose » et comme le disait aussi un Français, « On ne vend pas la peau de l’ours
sans l’avoir tué », Bengué devait perdre ainsi le poste ministériel qui aurait pu lui
revenir. Celui-ci l’aura appris à ses dépens.
Bengué ne faisant pas partie du gouvernement de la République, les dirigeants du
MSA manifestèrent publiquement leur mécontentement, traitant d’étranger
Gbaguidi et s’en prenant à Kazangba et à son compagnon Barthoumé Moussa
d’avoir trahi leur secrétaire général. A Fort-Archambault ( actuel Sarh ), l’éviction
de Bengué prit désormais une coloration politique nauséabonde. Balligro, Fetoune,
etc. qui militaient dans le RDA en faisaient non seulement leur cheval de bataille,
mais leur affaire personnelle. Ils allaient s’opposer foncièrement à la politique de
Boganda et son parti le MESAN et traiter le député-maire de Bangui de tous les
noms d’oiseau.
De là, les relations devaient se refroidir entre les leaders du MESAN et du MSA.
Profitant de cette brèche, tous les autres partis d’opposition se coalisèrent pour
formuler des critiques acerbes à l’endroit du président-fondateur du MESAN.
Toutefois, les réactions de celui-ci et ses militants ne se firent pas attendre. Comme
un ballon de ping-pong, ils se renvoyèrent les diffamations et les injures qui ne
pouvaient guère les honorer.
Son honorabilité ayant été entamée, car touché dans sa chair et dans son âme,
Boganda s’opposa énergiquement à la nomination de Dallot Béfiot comme chef de
cabinet du Ministre David Dacko. A la mi-décembre de la même année, il menaçait
de révoquer de la fonction publique celui-ci et Antoine Bangui, d’origine
tchadienne. Ceux-ci durent leur salut à l’intervention de Goumba. Toutefois, ils
furent suspendus de fonctions et de salaire pour une durée déterminée.
26 - 3 La Nouvelle Section locale du RDA.
Le 19 décembre 1958, la section locale du RDA fut réhabilitée et rénovée par
Hilaire Kotalimbora ( ** sa fille Mireille était l’épouse du général André
Kolingba, Président de la RCA, de 1981 à 1993 ), qui venait de Dolisie (
Moyen-Congo ) ; elle se présentait sous l’étiquette de la « Nouvelle section locale
du RDA ». Le jeune parti ‘’Emancipation oubanguienne’’de Georges Darlan
n’avait qu’une existence virtuelle ; il était en quelque sorte un mort-né car il fut
rapidement fondu dans la ‘’Nouvelle Section locale du RDA’’ placée sous les
auspices d’Antoine Darlan ( mort à Paris en 1974 ). Rejoint par son frère Georges
ainsi que Kotalimbora, ils réussirent à conquérir et à mettre dans leur giron de
nombreux mécontents du MESAN en leur faisant miroiter des promesses
fallacieuses et à implanter sur toute l’étendue du pays, notamment dans les centres
urbains importants tels que Bambari, Bangassou, Berbérati, etc., une cinquantaine
de sections. Parmi les principaux militants de la « Nouvelle Section locale du
RDA », on pourrait noter la présence des militants tels que Louis-Pierre Gamba,
Jean Marie Kobozo, Félix Mouthé, Thomassin Balligro, Frédéric Yamodo et
Antoine Darlan qui formèrent l’opposition active.
Très vite, l’incompatibilité d’humeur et les conflits de compétences éclatèrent dans
le rang des dirigeants du RDA rénové. Ces conflits récurrents provoquèrent le
départ des séparatistes et la création du parti progressiste africain ( PPA ). Un
règlement à l’amiable amena certains dirigeants à rester toujours alliés au RDA,
d’où la naissance en Centrafrique du couple PPA-RDA.
Vingt-septième partie : Le périple du général De Gaulle : de
Dakar à Fort-Lamy ( NDjamena ) via Bangui.
( ** 1890-1970, décès tragique suite à une rupture d’anévrisme. En réalité, le
général s’écroula sur sa table de travail et rendit l’âme le 9 novembre 1970 à
19 heures ).
27 - 1 De Dakar à Bangui.
Début mars 1953, le général Charles de Gaulle, pendant sa traversée de désert,
décida d’entreprendre un long périple en Afrique noire afin de se rendre compte
d’une part, de son évolution depuis la Conférence de Brazzaville ( 30 janvier-8
février 1944 ) et d’autre part, de l’application effective des textes législatifs pris en
faveur de ce continent. ( ** A noter qu’au cours de cette conférence, le général
ne s’était jamais prononcé ni pour l’autonomie de l’Afrique ni pour
l’indépendance du continent noir francophone. En réalité, il n’avait fait dans
son discours aucune allusion à toute perspective de « self-government » ou
d’auto-détermination au sein de l’Empire français. Toutefois, il y avait
souligné l’importance de l’émancipation de l’homme noir. Par conséquent,
celui-ci devait être associé à la gestion de ses propres affaires locales ).
Accompagné de son épouse Yvonne Vendroux, appartenant à une famille
bourgeoise du Nord de la France avec qui il eut trois enfants ( Philippe, Elisabeth
et Anne ), le général quitta la France à bord de l’avion Dakota ou DC3 que lui avait
offert le président américain Truman ( ** successeur de Th.Roosevelt ) pour
Dakar au Sénégal où il fut reçu à la descente de l’avion avec les honneurs officiels
dus au rang d’un chef d’Etat. Après trois jours dans la capitale sénégalaise, il
s’envola pour Niamey ( Niger ) puis Abidjan ( Côte d’Ivoire ) où Félix
Houphouët-Boigny et tous les membres du bureau de son parti le RDA avaient pris
leurs distances avec le parti communiste français. Le couple se rendit aussi à
Bamako ( Mali ). Il fut accueilli avec enthousiasme. De là, il décida de se rendre
prochainement à Abécher ( Ouaddaï, dans le Nord-Est du Tchad ) avec une petite
escale de quelques heures à Bangui. Le 17 mars, il y marqua effectivement cet
arrêt afin de s’enquérir des activités du RPF dont les représentants en
Oubangui-Chari se comportaient comme des potentats sans âme et sans cœur.
A l’annonce de son prochain passage à Bangui ( ** pour la première fois en
octobre 1940 ), le député Boganda sollicita, auprès du général, une audience. Le
chef du territoire de l’Oubangui-Chari, le gouverneur Aimé Grimald, qui jouait le
rôle de protocole filtrait les audiences. Comme il craignait les fâcheuses
révélations que celui-ci pourrait faire au général, non seulement il la lui refusa
mais il lui intima l’ordre de rester dans sa ferme à Bobangui et de ne pas mettre
pied à Bangui. Boganda comprit le mobile du refus de la haute autorité de
l’Oubangui-Chari et obtempéra. L’incident fut évité de justesse.
Toutefois, l’Homme du 18 juin 1940 était déjà parfaitement au courant des
agissements et des comportements de ses militants français à l’égard des
populations de l’Oubangui-Chari. Sur place, il se rendit compte de l’impopularité
effective de son parti le RPF dans le pays du fait qu’il n’avait vu ni Africain ni le
député oubanguien à l’Assemblée française, ni les membres de son parti le
MESAN, à l’aéroport, pour l’accueillir comme partout ailleurs où il était passé.
Le général et son épouse étaient froids et peu enthousiastes. Or, le 21 octobre 1940,
lorsqu’il s’était rendu à Bangui afin d’inspecter le « Bataillon de marche n° 2 » (
BM2 ) avant sa mise en route pour Madagascar et la Syrie, il avait été accueilli en
héros par les Oubanguiens. Il se mit à dénoncer, à condamner avec véhémence et
sans vergogne les comportements désinvoltes des Européens vivant en
Oubangui-Chari. De retour de son long voyage en Afrique francophone en France,
il prononça en avril 1953, à la grande surprise de tous ses militants et
sympathisants, la dissolution du RPF et se retira définitivement de la vie politique
pour se consacrer à la rédaction de ses mémoires de guerre.
Depuis le départ du général de la tête du gouvernement provisoire de la République
française ( GPRF ) le 21 janvier 1946, la France connaissait une crise politique
profonde ayant entraîné la chute de nombreux cabinets ministériels. La guerre
d’indépendance au Vietnam ( 1946-1954 ) suivie aussitôt de celle d’Algérie ( 1954
) avait complètement affaibli la France qui venait à peine de mettre un terme à la
longue et pénible Seconde Guerre mondiale.
27 - 2 De Tananarive ( Madagascar ) à Brazzaville : De Gaulle
accueilli par B. Boganda ( 24 août 1958 ).
Le 1er juin 1958, le Président de la République française, René Coty, fit appel à
Charles de Gaulle et le nomma Président du Conseil des Ministres autrement dit
chef du gouvernement. Il fut aussitôt investi par l’Assemblée nationale. Ce fut le
retour triomphal de celui-ci aux affaires de l’Etat après une longue « traversée du
désert ». Ce retour, dû à la guerre des nationalistes algériens, mettait en confiance
les leaders africains qui le considéraient déjà comme un messie venu libérer leur
peuple de l’asservissement du système colonial.
Le 04 Juin, il se rendit aussitôt en Algérie pour chercher à apaiser les esprits des
belligérants algériens et français. Sa fameuse phrase ambiguë : « je vous ai
compris » prononcée à la descente d’avion à l’aéroport d’Alger mit de part et
d’autre le baume au cœur des protagonistes venus massivement l’accueillir. Rentré
à Paris, il se consacrait à la rédaction du nouveau projet de la Constitution de la Ve
République.
Du 20 au 25 Août, le Général entama pendant l’été un long périple de plus de
20 000 km. Il se rendit d’abord à Madagascar, puis en Afrique noire, afin
d’expliquer aux peuples malgaches et africains le bien-fondé de ce projet de
Constitution et y susciter leur adhésion. Le 24 août, il fut accueilli en grande
pompe au stade Félix Eboué de Brazzaville par Boganda en sa qualité de Président
du Grand Conseil de l’AEF. Celui-ci fit un rappel historique du discours
anti-colonialiste du général prononcé à la Conférence de Brazzaville ( 1944 ) dans
lequel il n’aurait jamais fait allusion ni à l’autonomie ni à l’indépendance des
peuples colonisés qui constituaient à cette époque des mots tabous en ces termes :
« Nous sommes convaincus que vous êtes venus aujourd’hui pour achever l’œuvre
entreprise à la Conférence de Brazzaville et consacrer définitivement, par un
engagement solennel, une AEF en marche vers son indépendance mais toujours
unie à la France indépendante et immortelle » ; et il ajouta : « Monsieur le
président, parlez sans équivoque, nous vous répondrons de même le 28
septembre ».
En réalité, l’avènement de Charles de Gaulle à la tête du Conseil de gouvernement
était chaleureusement accueilli et salué à travers toute l’AEF qui faisait partie
intégrante, aussitôt après son appel de Londres, de la France libre. Boganda, dans
sa logique, était convaincu, en toute naïveté que son discours dont les termes
étaient bien choisis et bien pesés, répondrait parfaitement aux vœux des leaders
politiques et aux aspirations profondes des Africains venus massivement au stade
F.Eboué de Brazzaville, soit par simple curiosité car le nom de cet illustre
personnage incarnait la résistance et la victoire françaises, soit pour toucher du
doigt l’homme du 18 juin 1940 qu’on considérait comme un messie.
Mais le discours de Boganda faisant allusion à « la marche vers l’indépendance »
des pays colonisés avec un ton impératif : «Monsieur le président, parlez sans
équivoque…» aurait fait frémir Charles de Gaulle ainsi que toute la communauté
européenne présente à la cérémonie.
Or, l’allocution de Charles de Gaulle à Brazzaville ( 1944 ) n’avait aucunement fait
allusion ni à l’autonomie ni à l’indépendance des pays africains. D’ailleurs, au
traité de Versailles ( 1919 ), toutes les colonies d’Afrique bénéficiaient du régime
de « type C » ; cela voulait dire que les pays colonisés ne remplissaient pas les
conditions d’accession à l’indépendance à court et moyen termes, mais à long
terme. Par conséquent, il leur fallait encore deux à trois siècles de domination et
de soumission pour prétendre à une quelconque souveraineté. Ainsi donc, vouloir
en parler, c’était oser prendre un morceau de fer rougi au feu avec les doigts ;
c’était accepter d’attirer sur soi les foudres de toutes les puissances coloniales
d’alors. Après la cérémonie, les commentaire allaient bon train.
Si certains Européens présents au stade se disaient surpris de voir ce « nègre »
intrépide qu’ils appelaient « lilliputien » ( ** Lilliput, pays imaginaire dans les
voyages de Gulliver ; les habitants, appelés lilliputiens, ne mesurent pas plus
de six pouces : un pouce= 27,07 mm ) manier avec aisance et dextérité la langue
de Voltaire et s’adresser sans crainte au général que la quasi-totalité d’Européens
vénérait ; d’autres, surpris par le ton et le contenu de son discours, haussaient les
épaules en signe de réprobation et de mépris, le traitant d’adversaire irréductible
qu’il fallait un jour faire taire définitivement.
De toute évidence, selon certains témoignages glanés ici et là, Charles De Gaulle,
depuis sa jeunesse, n’aimait pas du tout les contradictions. Sa rigide formation
militaire l’avait encore rendu réservé et autoritaire. Il avait ressenti le discours de
Boganda, franc et direct mais avec des termes durs, comme un camouflet. Avant de
quitter Brazzaville, l’homme de haute stature se sentait mal à l’aise.
Après le stade F.Eboué, la prochaine escale du général était Abidjan puis Conakry
où le « Non » de Sékou Touré lâché en pleine face lui donna un véritable coup de
massue sur la tête alors qu’il n’avait pas encore avalé la dragée amère de Boganda.
Ce non au référendum du 28 septembre, réclamant l’indépendance immédiate de la
Guinée l’aurait moralement affaibli. Ceux qui l’auraient observé de près à la
tribune dressée pour la circonstance, laissaient entendre que l’hôte de marque de
Sékou Touré ne pouvant supporter cet affront, grinçait les dents et formait à
chaque fois des coups de poings comme s’il était en présence d’un challenger sur
un ring. Il semblerait que sur le tarmac, au moment où le général s’apprêtait à
reprendre l’avion, il sentait du vide devant lui et aurait même juré de ne plus
remettre pied sur le sol guinéen. En effet, il mourut sans y avoir remis le pied.
A noter que tous les leaders politiques tels que Youlou, Lisette, Léon Mba,
Boganda, Sékou Touré, Senghor, Houphouêt-Boigny, Modibo Kéita, etc. étaient
unanimes pour l’indépendance immédiate de l’Afrique noire. Mais après le passage
de Charles de Gaulle à Brazzaville puis à Dakar, la plupart d’entre eux, ayant pris
conscience des conséquences lourdes que cette indépendance précoce octroyée
dans l’impréparation et la précipitation engendrerait aussitôt la rupture avec la
France, devaient reconsidérer leur position. ( ** La quasi-totalité des
pays d’Afrique noire ne disposait pas encore à l’époque de cadres de haut
niveau universitaire et de conception, des contre-maîtres ou ouvriers qualifiés,
de fonctionnaires compétents et consciencieux pour assurer la relève des
Européens qui devaient abandonner sitôt leur poste pour rentrer chez eux en
métropole en guise de contestation ). En prenant du recul, ils optèrent pour le
principe de progressivité.
En effet, le projet de la Constitution de la République ayant institué la
Communauté qui devait supplanter l’Union française constituait même déjà aux
yeux de certains leaders africains, l’ultime marche vers l’indépendance de
l’Afrique noire francophone, car l’article 86 laissait la possibilité à chaque
territoire d’outre-mer, à chaque Assemblée territoriale de décider souverainement
le « droit de choisir la forme de gouvernement sous laquelle il doit vivre ».
Comme le faisait remarquer La Fontaine , un auteur français du XVIIe siècle « rien
ne sert de courir », les dirigeants politiques comprirent qu’il fallait aller lentement.
A part Sékou Touré qui campait sur sa position en disant « Non » au référendum
du 28 septembre 1958, tous avaient décidé de ne point hâter le processus
d’auto-détermination et que la Communauté était une aubaine, l’unique chance à
saisir si on ne voudrait pas que l’Afrique noire en gestation ne puisse tomber dans
le cycle infernal de la violence.
Aussitôt rentré de Brazzaville, Boganda qui militait pour une « indépendance dans
l’interdépendance avec la France » comprit que l’indépendance obtenue dans
l’immédiat devait avoir des effets pervers.
Il se lança pendant tout le mois de septembre dans de sérieuses et longues
campagnes référendaires à travers tout le pays en faveur du « oui » au référendum.
En répondant par l’affirmative, c’était une façon de dire « oui » au général Charles
de Gaulle, « oui » à la Communauté et « oui » à la France. A son passage dans
chaque village, il devait toujours donner des consignes strictes de vote en faveur du
« Oui ».
Au référendum du 28 septembre, l’Oubangui-Chari vota massivement en faveur de
la Constitution de la Ve République. Sur 493 122 suffrages exprimés, 487 033 voix
contre 6 085 avaient favorablement répondu avec un score honorable de 98,1% au
référendum. La Constitution fut adoptée et promulguée le 4 octobre 1958. En dépit
du travail de titan qu’avait réalisé Boganda pour obtenir ce résultat, il était indexé
en AEF comme étant le chef de file des contestataires, des indépendantistes.
Jusqu’à sa disparition tragique à l’issue du crash d’avion, le général avait toujours
une attitude froide et méfiante à son égard.
Vingt-huitième partie. Le panafricanisme de B. Boganda :
Tentatives et échecs de la formation des Etats-Unis de
l’Afrique latine ( EUAL ).
Dès la fin de la Deuxième Guerre mondiale plusieurs voix s’élevaient tant à
l’intérieur qu’à l’extérieur du continent pour réclamer l’indépendance des pays
encore sous domination étrangère. L’organisation des Nations Unies ( ONU ) ayant
succédé à la Société des Nations ( SDN ) encourageait les peuples colonisés à
prendre conscience de leur destin en secouant le joug de la servitude. Les
Etats-Unis et l’ex-URSS, foncièrement anti-colonialistes, se penchaient
sérieusement sur le problème de la décolonisation des pays longtemps dominés et
asservis par l’Europe occidentale. Les deux blocs exhortaient les nationalistes à
poursuivre leur combat qu’ils qualifiaient de légitime et leur apportaient des appuis
matériel, financier et psychologique.
La Conférence Afro-Asiatique de Bandung ( 1955 ) donna un coup d’accélérateur
aux revendications qui devenaient de plus en plus précises et pressantes.
En Afrique centrale, le Congo Belge ( actuelle République Démocratique du
Congo ) insistait, sous la houlette de Patrice Lumumba, président du Mouvement
national congolais ( MNC ), sur l’autonomie interne de son peuple. Le Cameroun
était en guerre car «l’Union des Peuples camerounais ( UPC ) « filiale du
Rassemblement démocratique africain ( RDA ) réclamait, sous les auspices de
Ruben Um Nyobé, ( ** Ruben Um Nyobé, Ancien Commis Greffier de
Tribunal de Yaoundé, Stagiaire au siège central de la CGT de Paris en 1945 et
1947. Il devient Premier Secrétaire de la jeune centrale camerounaise. En
1946, il abandonne ce poste pour se consacrer à la politique. Il conduira dans
la région Bassa, la rébellion armée. Il est abattu le 3 septembre 1958 non loin
de son village natal Boumnyebel ) l’indépendance immédiate du Cameroun
« unifié ».
L’AEF se trouvait ainsi prise entre deux foyers de tension et de guerre. Partout,
c’était la « fièvre » d’indépendance.
Toutefois, ces mutations politiques qui se faisaient à un rythme accéléré sur le
continent noir ne laissaient guère insensible Boganda qui les suivait attentivement
et les analysait au jour le jour. Pour lui, la marche vers l’indépendance était
irréversible. Mais, elle risquait de déboucher indubitablement sur la
« balkanisation » devant entraîner la formation de « micros-Etats » en AEF,
lesquels deviendraient peu fiables et peu viables sur l’échiquier national et
international. Il en était conscient, sûr et certain. Il tentait de mettre sur pied une
stratégie de regroupement des territoires aéfiens afin d’empêcher les futurs Etats
d’accéder à l’indépendance en ordre dispersé car « l’union c’est la vie ; la division,
c’est la mort », disait-il.
Conscient de la faiblesse et du retard du continent dans tous les domaines (
économique, social et culturel ), Boganda dont l’idée de l’unité africaine trottait
dans la tête depuis son accession à la présidence de l’Assemblée du Grand Conseil
de l’AEF, le 18 juin 1957, avait décidé de former un Etat unitaire sur les vieilles
entités administratives mises en place par le régime colonial. Ces dernières avaient
fait leurs preuves, donc désormais il est question de maintenir et de réaffirmer
l’unité ainsi que la cohésion sociale des peuples colonisés : un vaste ensemble
territorial qui permettrait de « bâtir une Afrique de langue, d’inspiration et de
culture française… » et il ajouta : « … ainsi donc, nous entrerons au Marché
commun et dans l’association des peuples libres. Ainsi une Afrique libre, de langue
française fera entendre sa voix dans les instances internationales ». ( ** Discours
du Président du Grand Conseil de l’AEF, Boganda, lors de la séance
inaugurale de la 1ère session ordinaire du Grand Conseil le 17 octobre 1958 ).
Son dessein paraissait, aux yeux de certains grands conseillers, utopique et
irréaliste.
Il considéra la loi se rapportant à la Communauté franco-africaine comme étant un
véritable facteur de resserrement des liens de fraternité et de solidarité africaines.
Par conséquent, l’unité des peuples subjugués occupait désormais une place
prépondérante dans tous ses écrits et discours politiques.
Par décret du 04 octobre 1958 la Communauté fut instituée. Les dirigeants
politiques des anciennes colonies françaises d’Afrique avaient à se prononcer sur le
problème de leur regroupement au sein d’une fédération ou sur leur statut de
territoires d’Outre-Mer. A partir de là, les options divergeaient d’un pays à l’autre.
Au Gabon, certains leaders politiques tels que Jean Hilaire Aubame et Léon MBa
ainsi que les élus du peuple étaient favorables à la « départementalisation »,
prémice de la décentralisation. Cependant, d’autres optaient plutôt pour le maintien
du territoire d’Outre-Mer dans la Communauté. Tel fut le cas du Tchad placé sous
l’influence de l’administrateur adjoint Gabriel Lisette, d’origine martiniquaise,
député du deuxième collège depuis 1947 et vice-président du Conseil du
gouvernement qui opta plutôt pour le maintien du Territoire d’Outre-Mer dans la
Communauté.
Par contre, le député de l’Oubangui-Chari ne partageait ni le point de vue des
délégués gabonais ni celui des Tchadiens. Il rejeta toutes les propositions qui
tendaient à la désunion et au statut de territoire d’Outre-Mer, lequel incarnait la
domination coloniale. Selon ses propos, l’Afrique devait se chercher et aspirer à
son indépendance dans l’unité car l’heure était donc venue pour bâtir une et
indivisible Afrique centrale sur les dépouilles de l’AEF en phase de disparaître
définitivement en raison de ces grands bouleversements qui s’opéraient dans le
monde entier et qui imposaient dans le domaine politique, socio-économique et
culturel, un vaste ensemble territorial et une solidarité agissante.
Boganda décida de créer avec les autres leaders, à l’instar des Etats-Unis
d’Amérique ou de l’ex Union des Républiques Socialistes Soviétiques ( URSS ),
un Etat fédéré afin de défendre avec opiniâtreté les jeunes Etats africains
nouvellement indépendants contre les incessantes agressions politiques de
l’extérieur qu’ils connaîtraient et contre le retour triomphal du néo-colonialisme
sous toutes ses formes.
Selon ses idéaux politiques et sa vision panafricaniste pour l’avenir, il préconisa la
formation d’un Etat unitaire qui regrouperait par étapes progressives les anciens
territoires de l’AEF, un acquis indéniable du système colonial qui constituait déjà
le creuset de l’unité. Puis s’ajouteraient les pays d’expression latine, c’est-à-dire
francophone ( Congo Belge et Ruanda-Burundi ), lusophone ( Angola,
Mozambique ) et hispanophone ( Guinée Equatoriale, Sao-Tomé et Principe ) et
le Cameroun unifié ( ** Le Centre International des Civilisations Bantu (
CICIBA ) créé par S.E. El Hadj Omar Bongo répondrait bien à ce souci
d’unification des Etats d’Afrique centrale ).
.
Ce grand ensemble territorial s’étendrait du Sud, de l’Océan Atlantique au
Lac-Tchad au Nord et, du Mont Adamawa à l’Ouest au Mont Mitumba à l’Est.
Le regroupement de tous ces territoires en un seul Etat prendrait la dénomination
de la « République Centrafricaine » dont la capitale devrait être Brazzaville,
capitale de l’ex-AEF. Tous les autres Etats comme le Gabon, l’Oubangui-Chari et
le Tchad en seraient les membres à part entière et bénéficieraient du statut de
province. Il y règnerait, d’après sa projection, l’ordre, la paix, la liberté de
circulation des personnes et des biens, le bonheur et la prospérité.
Boganda tentait vainement de convaincre les dirigeants politiques en dépit de
nombreuses campagnes d’information et de sensibilisation qu’il menait à travers la
radio, les conférences-débats et la presse écrite ( Bangui-Lasso ) afin d’obtenir
l’adhésion totale de ses pairs à ce grand projet ambitieux qui devait jeter les bases
de l’unité africaine et être d’une triple nécessité : politique, économique et culturel.
Sur le plan politique, la logique de Boganda était surtout axée sur les réalités
territoriales car il tenait à démolir les barrières des frontières artificielles érigées
arbitrairement par la colonisation au moment du partage de l’Afrique qui n’avait
pas tenu compte des aspirations et de l’homogénéité des populations. Par exemple
en Centrafrique, les Zandé qui auraient constitué une tribu monolhitique avant la
conquête européenne furent scindés en trois groupes répartis entre les anciennes
colonies britannique ( Soudan-Anglo-Egyptien ), française ( Oubangui-Chari ) et
belge ( Congo Belge ). On retrouvait contre leur gré, les Fang ou Pahouin à cheval
sur le Cameroun et le Gabon, les Sara en République Centrafricaine et au Tchad,
etc., les Mboum au Cameroun, en Centrafrique et au Tchad. Ces peuples qui
circulaient librement entre eux éprouvent depuis lors beaucoup de difficultés à
cause de ces barrières frontalières où sont exigés soit le passeport soit le
« laissez-passer », pièce administrative qui se délivre au prix de mille et une
tracasseries administratives et policières.
En démolissant ces barrières, tous les peuples vivant dans ce grand cercle fermé
devaient être libres de leurs mouvements d’aller et de venir, de raffermir les liens
séculaires de fraternité et de solidarité qui existaient entre eux depuis des temps
immémoriaux. Mais cette idée de bâtir un Etat fédéral était farouchement
combattue par les ultra-conservateurs occidentaux et certains Africains.
L’indépendance des peuples colonisés était inéluctable et Boganda croyait
fermement à l’instauration d’une politique commune qui devait permettre d’une
part, de sauvegarder et de consolider l’indépendance acquise et d’autre part, de
maintenir les conditions de paix et de sécurité dans les Etats membres de la
fédération. A cet effet, il préconisa pour le futur Etat unitaire, un gouvernement
unique et un seul Parlement afin de réduire les dépenses inhérentes à leur
fonctionnement. Il faisait des plaidoyers pour un budget fédéral, pour une monnaie
unique, pour un seul emblème ( ** Les quatre bandes horizontales de couleurs
différentes ( bleu, blanc, vert et jaunes ) symbolisent les territoires de l’AEF et
leurs ressources qui feront désormais partie de la grande « République
Centrafricaine ». La bande rouge verticale incarne l’unité, la solidarité des
peuples de l’Etat unitaire ), un seul hymne ( ** Ayant confectionné le drapeau
centrafricain, Boganda va composer l’hymne qui fera appel à l’union de tous
les peuples vivant au berceau de Bantu pour réclamer leurs droits ) et une
communauté africaine de défense dont les membres devraient avoir, selon le
Président J. Kennedy et le Général Mc Namara « un seul doigt sur la gâchette » (
** Duroselle ( J.B. ), Histoire diplomatique de 1919 à nos jours, 6 ème édition,
Dalloz. Paris, 1973, p. 686 ).
contre les agressions extérieures. Voulant convaincre ses pairs à adhérer à son idéal
afin d’obtenir l’unité des peuples hétérogènes de l’Afrique, Boganda déclara : « le
tribalisme et la balkanisation de l’Afrique seraient un crime contre la race noire ».
Pendant longtemps, il s’évertuait à expliquer aux autres que le morcellement du
continent en petites entités administratives allait constituer un véritable obstacle à
son développement dans tous les domaines.
Au Congo Belge ( RDC ), Patrice Lumumba, grand admirateur du panafricaniste
Kwame Nkrumah accueillait avec enthousiasme la proposition de Boganda. Sur les
deux rives du Congo, l’appel à la formation d’un grand ensemble territorial avait
des échos favorables dans certains milieux politiques et intellectuels. A
Brazzaville, le leader du Mouvement socialiste africain ( MSA ), le vice-président
du Conseil des ministres, Jacques Opangault, séduit par les idées du fédéralisme de
l’ex-AEF déclara : « Je demande à tous les élus de comprendre où est leur devoir
de proclamer qu’ils ne représentent plus le Moyen-Congo. Mais une région de la
République unie Centrafricaine. Président Boganda, vous représentez l’AEF,
prenez vos responsabilités, effacer de la carte l’Oubangui-Chari comme nous
effaçons le Moyen-Congo, invitez le Gabon et le Tchad à nous suivre » ( ** Kalck
( Pierre ), Histoire Centrafricaine. Des origines à nos jours. Collections
racines du présent. L’Harmattan, Paris 1992, p. 300 ).
Cependant, l’abbé Fulbert Youlou et certains de ses amis redoutaient le dessein de
former les « Etats Unis de l’Afrique Latine ». Il trouvait que l’idée était bonne
mais elle paraissait prématurée et trop ambitieuse. Ils se réservaient de donner à
Boganda leur caution.
Pour avoir souscrit à l’idée du président du Grand Conseil de l’AEF, le député de
l’Oubangui-Chari, les « tout- puissants » colons du Moyen-Congo qui étaient
foncièrement hostiles à Boganda traitaient Opangault de tous les noms d’oiseaux et
tentaient de le mettre au banc de la vie politique congolaise. En novembre 1958, ils
finirent par renverser la majorité parlementaire en faveur de Fulbert Youlou,
président de l’Union Démocratique pour la Défense des Intérêts Africains (
U.D.D.I.A. ), favorable à l’indépendance séparée des territoires de l’ex-AEF.
Ayant obtenu l’aval du vice-président Opangault par sa prise de position et son
soutien inconditionnel, Boganda dépêcha à Fort-Lamy ( NDjamena ) auprès de
Gabriel Lisette, une autre délégation composée cette fois-ci de David Dacko,
Ministre de l’Agriculture d’alors, de son ami et Conseiller personnel l’avocat
Hector Rivierez ( ** Rivierez, d’origine Guyanaise comme Félix Eboué, est
Administrateur colonial ayant servi le territoire de l’Oubangui-Chari pendant
plus de 20 ans. gouverneur du Tchad puis gouverneur général de l’AEF ) afin
d’expliquer à son homologue du Tchad, le bien-fondé du projet de formation d’un
Etat fédéral sur les dépouilles de l’AEF ( ** Rivierez et Dacko parlent du projet
d’Etat Fédéral d’Afrique Equatoriale. Document sonore enregistré sous le
n°205. Archives Radio Centrafrique ) qui devrait regrouper de manière
progressive tous les Etats de langue d’expression latine de l’Afrique centrale et qui
s’appellerait « Etats Unis de l’Afrique latine » avec pour capitale, Brazzaville.
L’Oubangui-Chari devrait constituer, au même titre que les autres anciennes
colonies de l’ex AEF, une province. Bangui devrait rester la capitale de cette
province.
Celui-ci déclina respectueusement l’idée de Boganda et rejeta sine die les
négociations, probablement après l’accession du Tchad à l’indépendance.
Cependant, l’abbé Ngaïbi ( ** Ngaïbi de tribu ngambaye de Moundou ( Tchad
), ancien élève de l’Abbé Boganda au petit séminaire de St-Paul de Bangui )
souscrit sans hésitation au grand projet de l’unification des pays d’Afrique
centrale.
Le jeune prêtre tchadien attira sur lui les foudres des colons européens vivant sur le
territoire et de certains hommes politiques tels que François Tombalmbaye ( **
Dans le strict respect de l’engagement pris en faveur de l’authenticité
culturelle, le président tchadien décida au début des années 1970 de
contraindre ses compatriotes à changer les prénoms chrétiens par des noms à
consonance tchadienne. Il donna l’exemple en changeant François par
Ngarta), Ahmet Koulamallah, Ahmed Kotoko, etc.
L’abbé NGaïbi avait beaucoup d’audiences auprès de sa tribu Ngambaye,
majoritaire dans la région de Moundou. Celui-ci menaçait à un moment donné de
faire sécession et rattacher tout le Sud du Tchad à la grande « République
Centrafricaine ». Boganda, artisan de l’unité africaine, ne se décourageait pas du
tout du rejet de son projet par Lisette. Il demanda à la délégation oubanguienne de
se rendre ensuite au Gabon, ultime phase de sa mission. De là, le Député Jean
Hilaire Aubame et le Vice-Président du Conseil Léon Mba qui avaient sans doute
de la sympathie pour le peuple oubanguien qui l’avait bien accueilli pendant ses
longues années d’exil à Grimari puis Bambari ( Ouaka ) et avec qui il avait tissé les
liens de « beau-frèrerie » ou « Kogara » ( en langue sängö ) pour avoir épousé une
Oubanguienne. Tous avaient manifesté leur enthousiasme pour l’initiative prise.
Mais ils se réservaient d’y adhérer dans l’immédiat.
Toutefois, ceux que Boganda appelait à cette époque les « Petits Blancs » ( ** Ils
étaient composés de commerçants, de plusieurs planteurs et des
transporteurs) adoptaient à l’annonce de ce projet une attitude hostile à son égard.
Ils se mobilisèrent tous pour mener des campagnes d’intoxication afin de
démotiver les dirigeants politiques gabonais.
Constituant un groupe de pression inébranlable, ils réussirent à contraindre les
leaders politiques gabonais à rejeter l’idée du député oubanguien qu’ils qualifiaient
de « rusé » qui rêvait de placer la capitale de cette fédération à Bangui. Par ailleurs,
d’après ses détracteurs, le Gabon était naturellement riche et qu’il allait servir de
« vache à lait » pour les autres pays, notamment l’Oubangui-Chari et le Tchad,
deux territoires enclavés et pauvres. Rejetant poliment l’idée de Boganda, le
vice-président Léon Mba déclara : « Nous ne sommes pas encore contre la
République Centrafricaine, mais, c’est la manière de la présenter qui est
mauvaise » ( ** Kalck, op. cit., pp. 301- 302 ).
Boganda s’évertuait à leur expliquer que l’Oubangui-Chari demeurerait l’une des
provinces des Etats unis de l’Afrique latine, qu’il y aurait un seul gouvernement,
un seul drapeau à cinq couleurs : bleu, blanc, vert et jaune. Chacune de ces bandes
représenterait l’économie de chaque pays membre. La bande rouge traversant les
quatre autres dans le sens de la médiane incarnerait le sang du peuple uni.
En Afrique de l’Ouest, Félix Houphouët Boigny, influencé par ces mêmes milieux
ultra-conservateurs, opta aussi pour l’indépendance séparée de la Côte d’Ivoire afin
d’éviter de partager avec les autres Etats de la sous-région très pauvres, les
richesses de son pays.
Malgré les nombreuses tentatives de regroupement des anciens territoires aéfiens
dont Boganda était l’instigateur, les positions des dirigeants politiques, acquis à la
cause de la « Section Internationale Ouvrière ( SFIO ) « devenue MSA et du RDA
étaient décevantes. Depuis plusieurs mois, des efforts inlassables faits pour
expliquer et ré-expliquer les avantages de l’unification des Etats de l’Afrique
centrale afin de réussir son intégration régionale, n’ont pu aboutir aux résultats
concluants. Le député oubanguien s’était toujours buté contre l’incompréhension
de ses pairs, partisans de la formation de ce que lui-même appelait « de poussières
d’Etats » qui allaient constituer aux yeux de celui qu’on qualifiait de « prophète »
un suicide collectif. Politiquement et économiquement, ces petits Etats
indépendants pour la plupart en 1960, étaient si fragiles et peu viables qu’ils étaient
condamnés à disparaître à brève échéance par la perte de leur souveraineté.
Mi-novembre 1958, Boganda entreprit d’autres démarches mais cette fois-ci,
c’était de la pure diplomatie secrète auprès de ses pairs afin de les dissuader à
comprendre le sens de ses préoccupations. Il se rendit compte que les
particularismes, les intérêts égoïstes et la diversité des options idéologiques
annihilaient toutefois les efforts de regroupement consentis. Chaque leader
cristallisait sa position en proclamant son pays, « République autonome ». Ainsi
donc, jusqu’au 30 novembre, les trois anciens territoires aéfiens ( Gabon,
Moyen-Congo et Tchad ), par orgueil nationaliste, devinrent des Républiques
autonomes.
Se sentant abandonné avec son dessein de bâtir la grande ‘’République
Centrafricaine’’qui devait regrouper l’ex. AEF, il réunit ses plus proches
collaborateurs pour leur expliquer pourquoi ses nombreuses démarches auprès de
ses collègues n’ont point du tout abouti au résultat escompté. Chacun de ces Etats,
n’ayant pas compris la stratégie des colons de vouloir « diviser pour régner » opta
pour une république autonome avec le titre honorifique de président. L’Africain,
même richissime, aime les honneurs. La mort dans l’âme, Boganda décida de
proclamer certes, la « République Centrafricaine » réduite au seul territoire de
l’Oubangui-Chari dans ses limites géographiques actuelles tout en espérant que
l’histoire lui donnerait plus tard raison et que l’idée de la création des Etats Unis de
l’Afrique Latine serait un jour reprise.
Le 1er décembre marqua la date fatidique de la proclamation de la « petite »
République Centrafricaine qui supplanta l’Oubangui-Chari à connotation coloniale.
En effet, le terme de l’Oubangui-Chari, forgé par l’administration, allait rappeler la
longue et lugubre période de servitude par le travail forcé, d’oppression du peuple
oubanguien alors qu’on cherchait à tourner définitivement la page. Désormais,
cette date importante devait entrer dans les annales de l’histoire du pays. L’avocat
Victor Riviérez, d’origine franco-guyanaise, président de l’Assemblée territoriale
et ami intime de Boganda depuis l’adhésion de celui-ci à la Ligue internationale
contre le Racisme et l’Antisémitisme ( LICRA ) en 1947, s’attendait à officialiser
la naissance de la jeune République par son discours lorsque, en présence d’une
foule nombreuse, compacte, bigarrée et en liesse venue sur la place publique pour
cette circonstance heureuse et inattendue, Boganda demanda, pour des raisons de
souveraineté et de nationalisme à Etienne Ngounio, Sénateur de la Communauté (
** Le territoire de l’Oubangui-chari avait au sein de la communauté
franco-africaine deux ( 02 ) sénateurs ( Ngounion et Naud ), vice-président du
MESAN et d’origine centrafricaine de la proclamer solennellement afin de montrer
à toute l’assistance que la page était définitivement tournée et qu’une ère nouvelle
s’ouvrit.
La République fut ainsi proclamée sur les cendres de l’Oubangui-Chari. Toutefois,
elle demeurait membre à part entière de la Communauté qui avait supplanté
l’Union avec ses crises gouvernementales récurrentes ; laquelle Union avait aussi
balayé de revers de main l’Empire en 1946.
De toute évidence, l’AEF a fait ses preuves depuis sa formation en 1910 sur le plan
de l’unité, de la paix, de la stabilité et de la sécurité. Sa disparition entraîna aussi
celle du Grand Conseil.
En mai 1957, Boganda refusa carrément de faire partie du gouvernement qu’il
qualifiait de gouvernement « bicéphale » ; c’est-à-dire un gouvernement à deux
têtes : le gouverneur, chef du territoire de l’Oubangui-Chari qui en était le
président avait la mainmise sur toutes les affaires publiques locales du pays. Tandis
que le porte-feuille de vice-président qui n’était qu’un poste honorifique, revenait à
un natif du pays. Cette fois-ci, avec l’érection du territoire en République
autonome, la donne avait beaucoup changé : la Loi-Cadre qui n’était qu’un
saupoudrage pour faire endormir les leaders africains afin de les détourner de leurs
revendications indépendantistes devait disparaître ; le Haut-Commissaire Paul
Bordier qui était encore en poste ne pouvait en aucun cas prétendre être au poste de
président de la République.
Boganda, Président-Fondateur du MESAN, Maire de Bangui et Homme de grande
culture fut plébiscité par ses pairs, les conseillers territoriaux, pour occuper le poste
de président de la République ; il accepta d’emblée le poste de président du
Conseil provisoire du gouvernement. Le Haut-commissaire devait transférer le
même jour à Boganda le pouvoir.
Vingt-neuvième partie. Le premier gouvernement de la
République Centrafricaine.
Boganda avait la responsabilité de former le premier gouvernement provisoire de
la République. C’était un Conseil de gouvernement concentré qui devait être
composé de six ministres comme de celui de la Loi-Cadre ( 14 mai 1957 ). Tous
les nouveaux membres du gouvernement, militants du MESAN, étaient proposés
par leurs collègues conseillers car ils siégeaient à l’Assemblée territoriale. Par
décret n° 58/01 du 8 décembre 1958 signé de Boganda, ils étaient consacrés et ils
prenaient le titre de ministre. Cette fois-ci, le super-ministre Roger Guérillot qui
faisait le beau temps et la pluie, ainsi que le ministre Joseph Mamadou n’en
faisaient plus partie. Ce gouvernement se présentait de la manière suivante :
- Barthélémy Boganda, président de la République et chef du gouvernement
provisoire ;
- Abel Goumba, ministre des Finances et de Plan ;
- David Dacko, ministre de l’Intérieur et des Affaires administratives ;
- Marcel Douzima, ministre de l’Agriculture, de l’Elevage, des Eaux, Forêt et
Chasse ;
- Faustin Maléombo, ministre des Travaux publics, des Transports et Mines ;
- Robert Gbaguidi, ministre de l’Instruction publique ;
- Albert Sato, ministre des Affaires sociales et de la Santé publique.
( ** les porte-feuilles de la Défense, des Affaires extérieures, etc. relevaient du
domaine réservé du gouvernement français ).
Finalement Boganda devait adopter pour son pays, la République Centrafricaine le
drapeau, l’hymne, la devise dont le maître-mot était l’unité. Tous, conçus pour la
grande République Centrafricaine, devaient englober les anciens territoires de
l’AEF puis progressivement les autres Etats d’expression latine placés sous
l’Equateur pouvaient y être intégrés.
Dans certains documents historiques, le nom du conseiller territorial, Adama, ayant
pour point d’ancrage la Ouaka figurait bel et bien sur la liste des membres du
premier gouvernement de la République autonome. Mais lorsque Boganda s’était
rendu compte qu’il n’était pas militant du MESAN, il l’avait remplacé à la dernière
minute par Albert Sato, un sympathisant. Le ministrable Bengué du MSA,
pressenti à faire partie de ce gouvernement, fut écarté au dernier moment à cause
de son bavardage qui l’avait trahi. C’est pourquoi, disait le savant et philosophe
grec, Esope, « la langue est une bonne et mauvaise chose » et les Centrafricains, «
yanga ti mbi afa mbi » ; la version donne : « ma bouche m’a tué ». Le Dahoméen (
Béninois ) Robert Gbaguili, ancien ministre du gouvernement de la Loi-Cadre, fut
reconduit. Il remplaça Bengué, leader du MSA.
Aussitôt après la mise en place du gouvernement, l’Assemblée territoriale de
l’Oubangui-Chari ( ATOC ) constituée en 1947 fut érigée en Assemblée
constituante, chargée d’élaborer le projet de textes de la nouvelle Constitution de la
République. Celle-ci était calquée sur le modèle français car elle devait tenir
compte des bases fondamentales de la future société centrafricaine en accordant
une place prépondérante aux droits de l’Homme, à toutes les libertés pour le
bien-être social du Centrafricain. Etant un régime parlementaire, le gouvernement
devrait être élu par l’Assemblée législative. Boganda le voulait libéral et
démocratique.
Il entama à travers tout le pays de longues campagnes d’explication et de
sensibilisation de la population rurale sur le sens et l’aboutissement de sa lutte
durant douze ans, sur le concept de la République, sur la nouvelle Constitution et
sur les tâches qui devaient incomber à chaque Centrafricain, étant donné que la
citoyenneté française octroyée aux Oubanguiens dans le cadre de l’Union française
devait disparaître.
Boganda réussit à réunir à huis clos à Paris le 16 Décembre 1958, les trois chefs de
gouvernement ( Congo, Gabon et Tchad ) afin de tenter un ultime effort de
remettre en chantier son projet de former les Etats-Unis d’Afrique latine. Il mit en
œuvre son talent d’orateur et de rassembleur pour éveiller la conscience de ses
homologues sur la faiblesse et la petitesse de chacune des républiques autonomes à
vouloir faire cavalier seul. Pour le développement intégré de toutes les jeunes
républiques naissantes, souligna-t-il, le besoin impérieux et vital de s’unir
s’imposait. Et il ajouta : « l’indépendance dans l’isolement est une dangereuse
illusion. Notre unité sera la condition sine qua none de notre indépendance « ( **
Boganda, Pour une République Centrafricaine. L’AEF face à son avenir n°03.
p. 393 ). Mais sa logique fut encore rejetée par ses pairs obnubilés par le
nationalisme égoïste et influencés par ses détracteurs.
Finalement, les quatre chefs de gouvernement se retrouvèrent toujours à Paris en
février 1959 pour se partager les biens, meubles et immeubles de l’AEF sans se
soucier de l’intégration sous-régionale de l’Afrique centrale. Cependant, ils
décidèrent à l’unanimité d’organiser un vaste marché commun en s’alliant à l’idée
de former l’Union Douanière Equatoriale ( UDE ) à laquelle se rallia le Cameroun
( ** Elle deviendra le 8 décembre 1964 « Union Douanière des Etats de
l’Afrique Centrale - UDEAC - ». Mais celle-ci devenue agonisante, cédera en
1994 sa place à la « Communauté Economique et Monétaire de l’Afrique
Centrale ( CEMAC ) « dont le siège se trouve à Bangui ).
29 - 1 La première Constitution de la République.
Dès janvier 1959, des campagnes référendaires au cours desquelles son véhicule
tomba en panne à Am-Ndafok ( Vakaga ) furent menées sur l’ensemble du pays.
Mais avant d’emprunter une autre occasion pour rejoindre Bangui, il l’immobilisa
juste à la frontière Soudan-RCA. ( ** Tous les régimes politiques qui se
succèdent depuis la mort de Boganda se réclament de celui-ci afin d’asseoir
leur pouvoir ; mais ils n’ont jamais songé à ramener ce véhicule à Bangui
pour son exposition au musée qui porte encore son nom. Car, ce véhicule de
marque « Dodge ou Ford» constitue un patrimoine national à sauvegarder
jalousement ).
En effet, la Constitution de la Première République qui comprenait neuf chapitres
et quarante articles fut adoptée le 9 février 1959 par l’Assemblée constituante et
promulguée par le chef du gouvernement provisoire le 16 février, date à laquelle,
par une simple coïncidence ou par un calcul politique, le ministre Abel Goumba se
trouvait à Brazzaville juste au moment où de graves troubles ayant éclaté,
opposèrent les Sudistes, notamment les Bacongo et les Lari, aux Nordistes
composés essentiellement de Mbochi et Kouyou. Goumba, soupçonné d’être
l’instigateur de ces troubles, ne réussit pas à rencontrer le président Fulbert Youlou
afin de justifier sa présence à Brazzaville. Celui-ci opposait une fin de non-recevoir
catégorique en dépit de sa demande d’audience insistante.
Or d’après Goumba, il s’était rendu à Brazzaville en vue de « participer à une
réunion relative aux problèmes de planification intéressant les territoires de l’ex
AEF » ( Goumba, p. 183 ). Toujours selon lui, Opangault avait obtenu aux
élections législatives 24 députés et Youlou 21. Deux députés, membres du parti de
Gabriel Opangault, ayant été soudoyés, furent débauchés sans scrupules par
Youlou qui mit finalement son challenger en mauvaise posture. Afin de manifester
sa désapprobation, Opangault laissa entendre qu’il allait rattacher tout le Nord du
Moyen-Congo à la République Centrafricaine. Cette déclaration inopportune et
intempestive mit le feu aux poudres.
En réalité, les Sudistes et les Nordistes congolais étaient toujours à couteau tiré
pour le leadership. Comme on le dit souvent, « la goutte d’eau a débordé la vase ».
N’ayant pas réussi à convaincre ses pairs de l’ex AEF à adhérer au projet des
Etats-Unis de l’Afrique latine, Boganda ne perdait pas d’espoir. Il restait toujours
optimiste et espérait que les prochaines négociations aboutiraient à l’unification
des quatre anciens territoires de l’ex-AEF afin de former l’Etat unitaire solide.
Mi-mars, Boganda, toujours soucieux de protéger la liberté des peuples africains et
d’assurer leur prospérité, reprit les mêmes démonstrations afin de convaincre les
autres chefs de gouvernement réunis à Paris à se joindre à lui pour asseoir la base
du fédéralisme en promettant de renoncer à son rôle de leadership en faveur d’une
autre personnalité afin d’atteindre le but recherché. En effet, vouloir faire de
Bangui la capitale de l’Etat fédéral et reléguer au second rang ses pairs comme
l’affirmaient ses détracteurs et certains colons conservateurs, étaient des
allégations gratuites avancées pour saper le fondement de l’unité africaine, le
faisait-t-il remarquer à ses interlocuteurs.
Obnubilé par ce projet, il multipliait des déclarations parfois fracassantes et
intempestives, dans l’espoir de se faire comprendre. Peine perdue car Boganda
prêchait depuis lors dans le désert : l’égoïsme national l’emportait. Frustré et
furieux, avant de se séparer définitivement de ses pairs, il ajouta : « la division, le
tribalisme et l’égoïsme ont fait notre faiblesse dans le passé ( ** pour tenter de
convaincre son auditoire, Boganda puisait toujours ses sources argumentaires
dans l’Histoire. Dans le cas d’espèce, il fait allusion aux quatre siècles
d’esclavage qui ont saigné à blanc le continent africain ). La division, le
tribalisme et l’égoïsme feront notre malheur dans l’avenir. C’est pourquoi,
profitant de l’occasion unique qui nous est offerte par la Constitution, nous
sommes fermement décidés à reconstituer l’ancien Congo français et avec le
Tchad, créer la RCA… ». Et il poursuivit : « C’est aujourd’hui qu’il faut bâtir la
République Centre Africaine. Demain, ce sera trop tard » ( ** B. Boganda. op.
Cit. n° 4. p. 394 ). Enfin, il renchérit: « Vae soli » ou « malheur à l’homme seul ».
La première Constitution de la République centrafricaine institua l’Assemblée
législative qui devait être composée de 50 membres élus dont 5 Européens issus de
l’ILO. Ceux-ci devaient prendre, pour la première fois dans l’histoire du pays, le
titre de député. La date des échéances électorales étant fixée au 5 avril 1959 ; celle
de la clôture des demandes de candidature étant arrêtée le 29 mars 1959 à minuit.
A cette époque, la plupart des candidats aux législatives étaient les militants du
MESAN car les autres partis s’étant effondrés, avaient chacun une existence
virtuelle.
29 - 2 La mort tragique de B. Boganda ( 29 mars 1959 ).
29 - 2 - 1 Les signes précurseurs.
Les relations extra-conjugales que Boganda entretenaient avec d’autres femmes et
surtout avec Valérie Gbamoguéré irritaient son épouse Michèle Jourdain qui, avec
la complicité des traîtresses ayant servi de guides, aurait un jour surpris son mari
en flagrant délit d’adultère. Toutefois, certains proches parents du député, sans
scrupules, lui relataient dans les moindres détails toutes les activités de ce dernier ;
ce qui ne favorisait pas du tout le resserrement des liens conjugaux.
Par ailleurs, certains opposants accusaient Boganda de laisser son épouse jouer au
premier rang la vie politique centrafricaine si bien que ces critiques affligeaient
Michèle Boganda qui, très soucieuse, décida un jour de se retirer en France avec
ses trois enfants ( Agnès, Catherine et Bertrand ). Le foyer familial finit par se
refroidir. Celle-ci ne remit pied à Bangui que le 03 avril pour assister aux obsèques
de son mari.
Suivant le témoignage de David Dacko ( ** recueilli le 17 décembre 1994 par
Constant Olivier Saba, un étudiant en maîtrise – Mémoire p. 73 ), « l’ex
président Boganda entretenait des relations occultes avec un médium qui m’avait
remis une lettre à Paris pour lui, quelques jours seulement avant sa mort ». En
outre, l’informateur ajouta calmement : « Boganda ne cessait de me
répéter : David, si je meurs, il faut que tu fasses tout ton possible pour que je sois
enterré à Bobangui … Quelques jours avant cet accident mortel, il a écrit à Yvon
Bourges, Haut-commissaire général de l’ancienne AEF pour le remercier du
service que lui ( Bourges ) et la France lui ont rendu ». De quel service s’agit-il ?
Dacko dit qu’il n’avait pas précisé sa pensée par conséquent, il ne pouvait pas la
deviner. Puis il renchérit : « il a même écrit en France pour souscrire à une
assurance vie … ».
Dans une autre interview qu’il accorda à certains enseignants chercheurs de
l’Université de Bangui ( ** Simplice Sarandji et Dieudonné Kpamo, tous deux
Maîtres de Conférence au département d’histoire à l’Université de Bangui )
peu de temps avant sa mort, Dacko avait laissé entendre que « Boganda savait qu’il
allait mourir ; donc, ses jours étaient comptés. Il s’était rapproché de l’Eglise en
écrivant une lettre au Pape au Vatican afin de renouer avec l’Eglise ».
Le professeur Létémbé ( ** Université Marien Ngouabi de Brazzaville ) dans
une conférence donnée à l’amphithéâtre du ministère des Affaires Etrangères,
chargé de la Francophonie, mit l’accent sur le fait que le tribun savait que la mort
le guettait et que le glas devait sonner d’un moment à l’autre. En poursuivant sa
communication, le conférencier rendit responsables de la mort du combattant, ses
frères africains ( Oubanguiens, Congolais, Gabonais, Camerounais, Tchadiens etc.
) ainsi que ses proches collaborateurs. D’une manière ou d’une autre, nous avons
contribué sans remords à la disparition brutale de Boganda, martela-t-il. Et il
poursuivit ses accusations : « c’est par notre faute que Boganda a été assassiné…
l’ennemi de l’homme noir est l’homme noir lui-même ».
Quant à Abel Goumba, lorsqu’il fut interpellé au cours du Dialogue National par
les membres de la Commission « Vérité-Réconciliation » afin d’apporter un
éclairage sur la mort de Boganda en tant que témoin vivant de l’histoire, et de
surcroît proche collaborateur de ce dernier, il fit des révélations suivantes : « j’étais
en dehors du pays lorsque la catastrophe aérienne a eu lieu. Si Boganda était
décédé dans le crash d’avion du 29 mars 1959, un dimanche, jour de Pâques,
c’était avec la complicité nationale et internationale ». Michel Adama Tamboux,
d’abord ancien conseiller territorial, ancien député de la première législature de la
République Centrafricaine puis ancien président de l’Assemblée nationale non plus
ne fut prolixe, comme si tous les deux avaient quelque chose à se reprocher. Ce
dernier promit de lever le lendemain matin un coin de voile sur l’assassinat de
Boganda. Tout le monde retenait haut son souffle. On croyait qu’il allait jeter le
pavé dans la mare. Mais hélas ! comme frappé de méduse, il balbutiait quelques
mots inaudibles et n’apportait rien à la version d’hier. A l’hémicycle où se tenait
le Dialogue National, il fut hué car des sifflements fusaient de partout. Adama
Tamboux, désappointé se retira sur la pointe des pieds. En réalité, tous les deux
en savaient quelque chose, mais craignant les représailles qui devraient peut-être
suivre leurs témoignages, ils avaient préféré se taire. La vérité historique sur la
mort tragique de Boganda finira par éclater un jour.
En effet, certains de ses militants et sympathisants les plus fidèles le mettaient à
plusieurs reprises en garde contre ses ennemis qui projetaient de l’assassiner :
« Boganda, on dit que tu vas trop fort et qu’on cherche à te tuer, fais attention ».
Mais souvent il leur répondit calmement et de manière laconique : « je le sais ;
mais je n’ai pas peur de la mort… mon sang coulera sur la terre de mes ancêtres
pour une juste cause… pour délivrer mes frères et sœurs oubanguiens …mon
peuple ». Il savait pertinemment que sa vie était menacée. Mais il ne souhaitait
pas une mort naturelle, une mort par empoisonnement, un assassinat odieux et
lâche dans son lit ou à son lieu de travail. Il voudrait mourir en héros, c’est-à-dire
en service commandé.
Suivant son chronogramme soigneusement établi à l’approche des prochaines
consultations électorales dont la date était fixée au 5 avril 1959 en vue de choisir
des députés devant représenter à la première Assemblée nationale la population
centrafricaine, il devait se rendre dans les principaux chefs-lieux des régions d’une
part, pour expliquer le sens et l’aboutissement de son combat politique et hisser
pour la première fois le drapeau centrafricain et d’autre part, battre la campagne en
faveur de son parti le MESAN. S’étant déjà rendu à Bambari où il avait été
accueilli en héros, il fit flotter sur la ville le nouveau drapeau en lieu et place de
l’emblème tricolore ( bleu, blanc, rouge ) symbole de la puissance coloniale. Après
Bambari, c’était le tour de Berbérati d’être auréolé puis le lendemain, il devait se
rendre à Bangassou.
D’après les informations recueillies, Boganda aurait prié ses deux confidents David
Dacko et Albert Fayama de ne pas communiquer à quiconque le programme de ses
déplacements pendant cette période de campagne. Fayama qui avait des visées
ambitieuses ne respectait pas les consignes de son cousin Boganda. Ayant pris
attache avec le milieu européen très hostile à Boganda, il se rendit presque
régulièrement dans cette communauté et rentrait parfois à des heures tardives. Il
semblerait qu’on lui aurait fait des promesses alléchantes de le porter un jour au
pouvoir après la mort de Boganda.
En contrepartie, les détracteurs de Boganda lui auraient demandé de leur
communiquer le programme de voyage de ce dernier dans l’intérieur du pays. Il le
leur aurait promis la main sur le cœur. Mais avant de quitter les conspirateurs du
président, ceux-ci lui offrirent une cagnotte dont personne ne serait en mesure de
donner le montant exact, afin d’acheter sa conscience. Certains parlaient de deux
cent mille francs CFA ; d’autres, une somme de deux millions pour le service qu’il
devait leur rendre.
Entré en possession du calendrier du prochain voyage d’une demi-journée du
président à Berbérati, il se précipita vers ses commanditaires pour leur vendre la
mèche. Or, celui-ci, soupçonnant déjà son neveu Fayama de conspirations qui se
tramaient contre lui, décidait de voyager désormais avec ce dernier. Lorsque
Fayama apprit que le déplacement de Berbérati du président ne se ferait sans lui le
dimanche 29 mars, jour de Pâques, il se précipita vers ses « amis » en leur
demandant de reporter sine die leur dessein de mettre définitivement hors d’état de
nuire Boganda par le crash d’avion. Certains commanditaires se regardèrent dans
les yeux et haussèrent les épaules en poussant ce soupir de désespoir : « c’est
dommage ».
Dès que le commandité Fayama eut tourné le dos, ils demandèrent au personnel
domestique à leur service de rentrer à la maison. Ils tinrent instantanément un
conseil à huis clos pour décider si oui ou non le projet devrait être reporté. Il y eut
deux tendances : les uns étaient favorables au report afin d’éviter la mort à leur
« poulain » ; les autres que l’on qualifierait de faucons ou d’extrémistes, tenaient à
en finir avec « l’encombrant » président de l’Oubangui-Chari. Les murs ont des
oreilles a-t-on dit. C’était l’heure de dîner. Un des cuisiniers s’étant posté là dans
un petit coin entendit dire : « et notre ami ? » demanda l’un d’entre eux ; « tant
pis, qu’on en finisse avec ce nègre…tant pis, qu’il meure avec lui ; il a déjà perçu
notre argent ». Puis ce fut un silence de mort. Tout le monde se tut pendant
quelques minutes.
La communauté européenne vivant en Centrafrique était parfaitement au courant
du drame qui allait se produire dans un proche avenir. Au cours d’une enquête
menée en tant qu' historien-chercheur, Michel Ngouyassa, infirmier retraité
témoigna : « pendant que nous nous trouvions en tournée médicale de prophylaxie
à Bossembélé, un prêtre nous a dit à haute voix que sous peu de temps, la pluie
tombera dans les oreilles des Centrafricains. Nous ne comprenions rien ce que cela
signifiait. Lorsque le lendemain nous avons appris le crash de l’avion et la mort du
président, nous avons finalement compris le sens de cette métaphore ».
29 - 2 - 2 Le ciel s’assombrit sur la jeune République.
Dans la nuit du 28 au 29 mars, le président-fondateur du MESAN qui n’a pu
fermer l’œil se trouvait déjà à six heures du matin à l’aéroport ( actuel ministère
des Transports ) où était immobilisé depuis hier soir un quadrimoteur en partance
pour Douala avec escale à Berbérati. Une petite équipe d’ouvriers s’occupait de
l’entretien de l’appareil. Ayant l’air affairé, Boganda ne voulait pas s’asseoir ; il
avait les yeux rivés sur le cadran de sa montre et levait la tête à chaque fois pour
regarder en direction de Fayama qui devait coûte que coûte l’accompagner.
L’Homme était toujours ponctuel au rendez-vous. Il était 6 h 30 du matin.
L’avion devait s’envoler dans une demi-heure. Ne voyant toujours pas arriver son
neveu Fayama, il se plongea dans une crise de nerf. On le voyait, dit un
manutentionnaire retraité qui se trouvait au moment du fait sur le tarmac, faire des
va-et-vient. Sans doute, lâchait-il, le président attendait un retardataire. Ayant
toujours l’œil sur le cadran de sa montre, il monologuait devant un ouvrier qui
passait non loin de lui cette phrase à peine audible : « mon peuple m’attend ». En
effet, son arrivée à Berbérati était prévue à 9 heures.
Cependant, le ministre de l’Intérieur, David Dacko, le directeur de l’Information,
Fernand Senez, et le directeur de la sécurité, Prosper Mounoumbaye, étaient tous
présents autour de lui et espéraient, comme à l’accoutumée, voyager avec lui. Il se
retourna furtivement vers Dacko et lui dit : « cette fois-ci, tu ne voyageras pas
avec moi. Il faut que le MESAN, qui doit rester un et indivisible, puisse vivre après
moi… Tiens, David, il faut que tu restes pour réceptionner le dossier de
candidature de Brahim Tello aux élections législatives ; lequel dossier doit arriver
d’un moment à l’autre de Bangassou ; dès que tu l’auras, tu le déposeras aussitôt à
la commission candidature avant minuit, heure de clôture officielle ».
Il se mit à refaire quelques pas pour se détendre. Ne voyant toujours pas venir
Fayama alors que les minutes s’égrenaient plus vite, il intima l’ordre à Dacko
d’aller le chercher à la maison. Le Ministre se mit aussitôt en route et arriva chez
Fayama qui, debout, s’entretenait avec sa femme qui était en train de s’occuper de
ses petites bricoles. Voyant une voiture se garer devant son domicile, il comprit
tout de suite que Boganda avait envoyé le chercher pour le voyage périlleux et
sans retour ; il se précipita dans sa chambre, se jeta dans son lit et fit le « malade
imaginaire» en se couvrant de drap, depuis la tête jusqu’au pied.
Ne connaissant pas les manèges de Fayama, celui-ci s’apitoya sur son état de santé
puis repartit à toute allure à l’aéroport. Sa femme, non plus, ne comprit rien de tout
cela. Dacko revint sans Fayama. Cependant, les aviateurs faisaient actionner les
hélices de l’avion. Boganda, voyant Dacko revenir seul au volant de sa voiture,
entra dans une colère folle. Lui-même au volant, il alla en trombe et la voiture
s’immobilisa encore devant la maison de Fayama.
Boganda restait dans la voiture, les mains crispées sur le volant. Dacko en
descendit pour adresser un mot à la maman de Fayama. Celle-ci entra en colère
contre l’entêtement de son fils à ne pas vouloir accompagner son oncle à Berbérati.
Elle entra dans la chambre de celui-ci et tenta de l’en dissuader : « je suis très
malade, maman », lui répondit-il en Ngbaka. Ayant vu tôt le matin son enfant bien
portant, elle comprit que Fayama ne voulait pas voyager. Elle insista en disant :
« sors et accompagne ton oncle ». Fayama résigné, enfila malgré lui le pantalon et
la chemise, et laissait pendre autour du cou la cravate qu’il refusait d’attacher ; la
veste sur l’épaule droite, il prit place à bord de la voiture sans dire un mot à son
épouse et à sa maman qu’il aimait tant. La voiture s’arrêta net sous l’aile de l’avion
dont les hélices se mirent à tourner lentement puis plus vite. Mounoumbaye voulait
monter avec le président afin d’assurer sa sécurité ; mais celui-ci lui demanda de
rester. La porte de l’avion se referma. Le moteur se mit à vrombir très fort puis
l’appareil décolla enfin. Ce n’était pas de gaieté de cœur que Fayama, le grand
conseiller de l’AEF, faisait cette fois-ci le voyage à bord de ce gros engin de mort.
Durant le trajet, il se tenait crispé dans son fauteuil et n’osait même pas adresser un
mot ni au président Boganda ni à son voisin de siège. Celui-ci l’observait du coin
de l’œil et ne lui disait rien. A quelques kilomètres de Berbérati, le commandant de
bord annonça l’amorce de la descente de l’avion qui allait atterrir bientôt. Le train
arrière toucha le bout de la piste et l’engin se lança sur la piste d’atterrissage dans
une course effrénée puis se stabilisa. Fayama qui retenait haut son souffle, poussa
enfin un ouf de soulagement ! Du hublot, Boganda vit une foule nombreuse venue
porter en triomphe l’invincible et digne fils du pays qui, contre vents et marées, a
pu secouer le joug colonial. Ayant accusé de retard sur l’heure d’arrivée à Douala,
l’avion reprit une dizaine de minutes après, sa trajectoire et jeta le cap sur la ville
portuaire de Douala au Cameroun.
Boganda dont les actions n’étaient pas du tout appréciées dès le début de sa
politique par la population de la Haute-Sangha, notamment celle de Berbérati, se
rendit compte que sa côte de popularité s’était accrue très rapidement suite à la
médiation menée dans l’affaire du meurtrier Bontemps qui allait encore provoquer
des mouvements insurrectionnels des Gbaya contre la communauté européenne
vivant dans toute la région.
Le cortège officiel s’ébranla vers le centre-ville où devait se dérouler la cérémonie
de la levée de l’emblème centrafricain à la place du drapeau tricolore qui flottait
dans l’air depuis plus d’un demi-siècle. Après quelques mots d’usage des autorités
locales, Boganda prit la parole pour expliquer à la population le sens de sa lutte
depuis douze ans ( 1947-1959 ) jusqu’au sacrifice de sa vie comme si sa mission
était terminée et que le drapeau qui allait flotter tout à l’heure marquait la fin de
son combat politique contre le système colonial et de son existence.
Pendant que le directeur de l’information, Fernand Senez, prenait des notes sur son
carnet, Fayama faisait égrener dans sa tête d’autres stratégies afin de se soustraire
de la suite présidentielle qui devait rentrer cet après-midi à Bangui. Un autre avion
baptisé « Nord Atlas 2502 » de la compagnie UTA ( Union des Transports aériens
) fut annoncé. Venant de Brazzaville, c’était cet appareil qui devait ramener le
président Boganda à Bangui car celui qui l’avait amené dans la matinée à Berbérati
se trouvait encore à Douala et ne pouvait revenir qu’aux environs de 17 heures.
Le Directeur de la Banque nationale de commercialisation et de l’Industrie ( BNCI
) à Berbérati, Michel Duplessis, d’origine française, demanda au président
l’autorisation de descendre à Bangui avec lui par le même vol. Boganda,
connaissant l’imminent danger qui le guettait, lui conseilla de prendre le prochain
vol qui arriverait dans une heure de Douala. Celui-ci répliqua que son avion pour
Paris décollerait ce soir à 20 heures et qu’il risquait de le rater si jamais il
n’embarquait pas maintenant. Boganda haussa les épaules et se tut, une manière de
dire tant pis. Après le Directeur de la BNCI, ce fut le tour de Prosper Kangala,
adjoint au maire de Berbérati, de solliciter l’appui de Boganda afin de prendre le
même vol.
Mais celui-ci lui demanda de se rendre à Bangui par la route. Le président Boganda
se réserva toujours de justifier son refus de les autoriser à voyager avec lui sur ce
vol. Kangala allégua l’état de santé moribond de sa maman qui l’obligeait à se
rendre très rapidement à son chevet. Il insista tellement que Boganda donna son
accord. En réalité, le maire qui n’avait jamais voyagé par avion tenait à profiter de
cette opportunité. Par ailleurs, voyager aux côtés du président de la République
était un grand privilège qui le grandirait aux yeux de ses collègues et administrés.
Apparemment depuis 14 heures environ, l’avion en provenance de Brazzaville
s’était déjà posé sur l’aérodrome de Berbérati. A part les membres d’équipage
composé de Henri Villemin le pilote, Jean Espenon le mécanicien, Jacques-Henri
Stora, chargé de la Radio et Gabriel Minyemeck, le steward d’origine
camerounaise ( ** A bord de l’engin destructeur, à part les membres
d’équipage, il n’y avait aucun passager. Par ailleurs, le pilote, qui n’était
qu’un stagiaire, n’était pas du tout assisté d’un co-pilote ).
La cérémonie ayant pris fin, le Président s’apprêtait à quitter la résidence du chef
de région pour l’aérodrome lorsque, soudain, le malade imaginaire Fayama
demanda à être hospitalisé à Berbérati car il trouvait que son état de santé
s’aggravait. Boganda, en fin stratège, refusa et promit de le conduire
immédiatement à l’hôpital de Bangui pour des soins intensifs et appropriés dès que
l’avion aura atterri car, au dispensaire de Berbérati il manquait du tout, lui
répondit-il.
Le Nord Atlas décolla à 15 h 59 mn à destination de Bangui. A peine avait-il pris
sa vitesse de croisière qu’à 16 h 05 mn, soit six minutes seulement de vol, il se
désagrégea en pleine zone forestière de Boda, à 160 km au Sud-Ouest de Bangui.
Selon les témoignages des pèlerins qui se rendaient tous les ans sur le lieu
d’accident, les débris de l’appareil explosé furent retrouvés disséminés et récupérés
à plus de 500 mètres de la carlingue. La thèse selon laquelle, l’avion transportait un
colis piégé était plausible. A Paris, au cours d’une table ronde qui s’était tenue sur
la recherche en histoire centrafricaine, du 30 septembre au 1er octobre 1982, à
laquelle ont participé plusieurs étudiants centrafricains en histoire dans les
universités françaises et anciens fonctionnaires de l’administration coloniale ayant
oeuvré très longtemps dans le pays, dont Jacques Serre ( ** ancien Directeur de
l’ENA et Conseiller à la Présidence de la République ), le missionnaire des
Eglises Frères d’origine américaine, monsieur Samarin ( ** le missionnaire
protestant ayant servi autrefois dans l’Ouham a fait valoir ses droits à la
retraite et se trouve actuellement au Canada ) et Pierre Soumille ( **
Enseignant-chercheur ( 1926-2003 a enseigné pendant dix ans de 1978 à 1988
au département d’histoire de la FLSH à l’Université de Bangui dans le cadre
de la coopération française ), l’administrateur-historien Pierre Kalck, chef de
district de Boda au moment de l’accident, confirma dans sa communication qu’au
bout de la piste, lorsque l’avion s’apprêtait à prendre son envol, on vit un homme
remettre un colis au pilote qui accepta de le prendre sans se soucier de vérifier le
contenu. Il semblerait que le porteur dudit colis piégé aurait prétexté, pour
convaincre le jeune pilote d’accepter de le prendre, que c’était la radio de la
mission catholique de Berbérati en panne qui méritait d’être réparée en urgence à
Bangui. Ce qu’un pilote expérimenté n’aurait pas dû faire ; il aurait demandé
d’ouvrir le colis afin de s’assurer de son contenu. Or, Villemin qui se trouvait seul
sans copilote dans la cabine, n’était qu’un stagiaire ; il avait été choisi exprès pour
les besoins de la cause.
Le 29 mars 1959 à partir de 18 heures, la radio Brazzaville annonçait la triste
nouvelle de la mort tragique du messie centrafricain dans une catastrophe aérienne.
Cette mort inattendue plongea tout le pays dans une profonde consternation.
Soudain le ciel centrafricain s’assombrit. Toute l’AEF, toute l’Afrique noire était
en émoi. La Radiodiffusion française et les autres stations radiophoniques
étrangères notamment la BBC, la Voix du Vatican, prenaient le relais et
commentaient amplement sur les ondes hertziennes le décès tragique du nouveau
chef de gouvernement provisoire de la République Centrafricaine et ancien député
de l’Oubangui-Chari à l’Assemblée nationale française ( Un colis piégé remis à
l’aérodrome de Berbérati à un membre d’équipage a fait exploser l’avion
UTA après six minutes de décollage ( 16 H 59 – 17 H 05 ) abrégeant ainsi la
vie de Boganda. Ainsi sera mis fin à son projet ambitieux qui inquiétait
sérieusement les Belges installés au Congo-Belge et les Portugais d’Afrique (
Angola, Mozambique et Guinée Bissau ).
.
Le 30 au petit matin, la recherche des épaves de l’avion et des corps des infortunés
par les éléments de la gendarmerie et des forces armées françaises avait duré toute
la journée sans aucun indice positif. Le lendemain, 1er avril, la carlingue et les
autres débris de l’avion éparpillés dans la forêt furent retrouvés. On découvrit dans
un premier temps huit corps inertes puis celui de Boganda dans la cabine de
pilotage. Qu’a-t-voulu faire ? A-t-il voulu empêcher le jeune pilote qui, sentant le
danger, voulait faire le parachutage ? A-t-il été propulsé sous le choc violent ?
C’est un axe de recherche. L’avenir trouvera des réponses fiables à tous ces
questionnements.
Depuis 72 heures, toute la région de la Lobaye était en ébullition. L’émotion était
aussi très vive dans tout le pays. Instinctivement, comme un seul homme, toute la
population centrafricaine mettait en cause la communauté européenne vivant en
Centrafrique qui tenait à la priver de son « avocat défenseur » et de son messie.
Abel Goumba répétait souvent dans ses propos qu’il se trouvait hors du territoire
lorsque la catastrophe aérienne a eu lieu, causant la mort tragique de Boganda ; il
se réservait toujours de dire où il se trouvait exactement en ce moment là. Or le
résultat de l’enquête menée prouve que la deuxième personnalité du pays se
trouvait à Brazzaville lorsqu’il avait appris la tragique nouvelle. C’était de la
capitale du Congo-Brazzaville qu’il ordonna qu’un « cercueil en bois blanc » fût
fabriqué pour Boganda et les autres corps. Dans une de ses interviews, Goumba a
toujours confirmé ses propos : « j’ai demandé à ce qu’on fabrique neuf cercueils
qui seront largués au lieu d’accident pour la mise en bière des corps presque en
voie de décomposition ». De Brazzaville, il se rendit précipitamment à Bangui et
prit la direction des opérations de recherche des corps dans la forêt dense de Boda.
Or au lendemain de l’accident, c’est-à-dire le 30 mars 1959, la gendarmerie et
l’armée françaises se trouvaient déjà sur le site. Toute la journée, elles frayaient à
coups de machettes le chemin conduisant vers le lieu de l’accident, mais ne
réussirent pas à localiser les épaves de l’avion et les neuf corps. Ce fut le 31
qu’elles découvrirent les sinistres. Avec le climat subéquatorial chaud et humide,
les neuf corps étaient déjà en état de décomposition avancée. Le 31 mars, le
médecin-chef de la région sanitaire de MBaïki, Dr Jean Mollon, ayant consaté les
neuf cadavres dont celui du président Boganda, délivra aussitôt aux différentes
familles les certificats de décès.
A l’annonce de la nouvelle de la mort de Boganda, Goumba qui se trouverait le
jour même du crash de l’avion à Brazzaville, avait intimé l’ordre de faire fabriquer,
selon ses propres expressions, un « cercueil en bois blanc » pour Boganda.
Pourquoi spécifier le cercueil de Boganda ( bois blanc ) ? Un cercueil en bois blanc
dans la société centrafricaine laisse planer indubitablement des supputations dans
la famille du défunt ; auquel cas, l’état d’âme de celui qui le produit ( Deux
questions avaient été posés à Goumba :
1 ) En disant sur les ondes de la Radio-Centrafrique aux Centrafricains que le jour
du crash de l’avion, vous étiez absent de Bangui. Pourriez-vous nous dire où
étiez-vous exactement ?
2 ) Pourquoi, spécifier la nature du cercueil alors qu’en Centrafrique le cercueil en
blanc traduit l’état d’âme, de pauvreté de ce qui le fournit ?
Nous n’avons pu obtenir des réponses convaincantes à ces questions.
Bref ! Les neuf corps furent embarqués dans deux ou trois véhicules militaires.
Déjouant la vigilance de la population de la Lobaye endeuillée et surexcitée, et qui
mettait déjà en cause les « Blancs » dans la mort de leur valeureux fils, le cortège
funèbre s’ébranla vers Bangui. Mais au lieu d’emprunter l’axe routier
Boda-Mbaïki-Bangui considéré comme très dangereux en raison des tensions vives
qui y étaient perceptibles, il prit la route de Boganagone- yaloké pour atteindre
sans encombres Bangui.
Les cercueils furent conduits immédiatement chez Frémeau, une entreprise de
meubles installée autrefois sur l’actuelle avenue David Dacko, dans le deuxième
arrondissement, afin de les zinguer, autrement dit, pour leur revêtement en zinc ;
ils furent hermétiquement scellés au chalumeau sans que les parents aient vu le
cadavre du président en état de décomposition avancée ; ce qui donna lieu à
d’intarissables supputations, à des interprétations diverses au risque même de
profaner la tombe de Boganda afin de voir si le corps du héros y était bel et bien (
** pendant très longtemps les rumeurs folles couraient à travers le pays que
Boganda n’était pas mort…et qu’il aurait été enlevé et exilé aux Antilles par
les Français comme ce fut le cas de la dernière reine de Madagascar
Ranavalona III qui connut en 1896 l’exil …Celui-ci n’aurait trouvé la mort
qu’en 1986. C’est pourquoi sous le régime du Président André Kolingba, le
gouvernement, se fiant à ces rumeurs, avait cessé de 1988 à 1993, la
commémoration de l’anniversaire du décès de B. Boganda. Certains barons
du régime Kolingba voulaient m’amener à dire la contre vérité historique
dans le cadre de mon émission à caractère culturel et éducatif « Connais-tu la
Centrafrique ? » afin d’étayer leur thèse, mais je restais inflexible et ne cessais
de répéter à la radiodiffusion que Boganda était bel et bien mort le 29 mars
1959. Son décès a été attesté par un certificat médical délivré le 31 mars par le
docteur Jean Mollon, médecin-chef de la région sanitaire de MBaïki. Il a fallu
attendre l’avènement de son successeur, Ange Félix Patassé, pour que le
pèlerinage et la commémoration de l’anniversaire de sa mort reprennent.
Toutefois, ces rumeurs entretenues par certains individus persistent encore.
29 - 3 Les funérailles de Boganda.
Le 02 avril, la veuve Boganda et ses trois enfants arrivèrent de Paris. Et le
lendemain ( 03 avril ) tous les cercueils recouverts de drapeaux français et
centrafricain furent exposés au public sur le parvis de la cathédrale Notre-Dame de
Bangui. En file indienne, une foule immense et résignée fondait en larmes. Elle
assistait aux obsèques de Boganda et rendait dans le calme le dernier hommage à
celui que le peuple centrafricain qualifiait de « messie », de « sauveur » venu
mettre un terme à leur asservissement et à leurs souffrances qui avaient duré
pendant plus d’un demi-siècle.
Les obsèques eurent lieu dans son village natal à Bobangui en présence de son
épouse et de ses enfants vêtus de noir, des représentants des Etats de la
Communauté, des membres du gouvernement conduits par Abel Goumba, de
l’Assemblée constituante, de la municipalité de Bangui et du MESAN. Une messe
fut célébrée en la mémoire des neuf disparus. A cette occasion, des réactions
diverses ne cessaient pas de tarir d’éloges Boganda et son combat. Dans son
témoignage, le Haut Commissaire général Yvon Bourges souligna sans ambages en
ces termes : « Votre vie nous enseigne la fidélité et le dévouement à un idéal ».
Son vieil ami de longue date, l’avocat Hector Rivierez d’origine guyanaise qui était
le sénateur de la Communauté et président de l’ATOC qui devint Assemblée
législative, ajouta : « La vie de Barthélémy Boganda prend fin par le sacrifice ».
Le Haut Commissaire Paul Bordier, cet humaniste qui n’a pas eu de démêlée avec
Boganda dit « Rarement, sans doute, un homme a manifesté avec plus de sincérité
et de constance son amour des humbles ». A la cathédrale, dans son homélie, le
révérend Père fit remarquer : «… Mais nous ne pouvons pas oublier que parmi eux
il en est que Dieu avait choisi et qu’il avait élevé au-dessus des autres… » ; David
Dacko, minsitre de l’Intérieur intervint à son tour pour dire : «… En adoptant le
surnom de « zo kwé zo », l’homme est un homme quelles que soient sa couleur,
son origine et ses opinions ; tu as su apprendre à tes frères à connaître et aimer
leurs semblables…». Abel Goumba, ministre des Finances prit la parole pour dire
: « …Son but était de rassembler dans un mouvement généreux tous les hommes
qui vivent et travaillent sur cette terre, Blancs et Noirs… ». Celui-ci fut suivi par
R.Janot, secrétaire général de la Communauté : «… Dans cette cérémonie de la
douleur et de la fidélité, je viens apporter les condoléances personnelles du Général
de Gaulle, Président de la Communauté… », etc. ( ** Editions Art et Style.
Imprimé en France, décembre 1959 ). Après ces cérémonies funéraires à la
cathédrale, le corps de Boganda fut transféré et inhumé dans son village natal à
Bobangui selon ses vœux souvent exprimés.
« Il va trop fort » ; ne se lassaient de répéter depuis son accession à l’Assemblée
nationale française ses détracteurs, pour avoir voulu secouer le joug colonial, pour
avoir revendiqué avec insistance l’indépendance de l’Afrique noire et surtout, pour
avoir envisagé de former par étapes progressives dans le cadre de la fédération un
grand ensemble sous-régional qui devrait englober les Etats de l’Afrique
francophone, lusophone et hispanophone. D’après l’initiateur, le vaste ensemble
territorial prendrait le nom des « Etats Unis de l’Afrique latine ». A noter que si les
Français vivant en Centrafrique étaient encore à cette époque tolérants à l’égard de
Boganda, les Belges du Congo ( actuelle RDC ), les Portugais de l’Angola et du
Mozambique n’appréciaient pas du tout l’idée révolutionnaire et les agissements
du leader centrafricain qui, par le système de domino, ferait basculer dans cet Etat
fédéral leurs riches possessions territoriales d’Afrique centrale.
Mais Boganda, l’intrépide tribun de la révolution, était déterminé à combattre le
système colonial jusqu’ à l’ultime phase de sa vie comme il a si souvent répété.
Pendant 12 ans, de 1947 à 1959, ses seules armes de combat étaient la Bible, le
Chapelet et le Verbe ( dialogue ). Il n’a jamais incité la population de
l’Oubangui-Chari à prendre les armes contre leurs agresseurs. Il a plutôt prôné la
non- violence. Malheureusement celle-ci aura raison de lui.
Mort prématurément après quatre mois seulement à la tête de la présidence du
gouvernement provisoire de la République Centrafricaine, le panafricaniste
engagé, le grand artisan de l’indépendance des peuples colonisés d’Afrique noire
n’a pu assister à la proclamation de la souveraineté de son pays. « Boganda est
mort, vive Boganda ! », scandaient en chœur tous ses adeptes lors de ses obsèques.
Depuis sa mort tragique, l’Homme à la figure emblématique est devenu pour tous
les apprentis-politiques de la Centrafrique, une idôle, une référence. Sans
scrupules, ses successeurs, se réclamant souvent de lui afin d’être accepté par le
peuple et d’asseoir leur pouvoir vont jusqu’à puiser ses idéaux dans le tréfonds de
sa philosophie politique. Malheureusement, ne possédant pas la culture
démocratique et n’ayant pas le charisme « bogandaïen », ils se brouillent dans leur
application concrète et tombent généralement dans la médiocratie, source des
crises militaro-politiques récurrentes, entraînant de graves conséquences sur le
tissu économique, social, culturel et moral.
Trentième partie : La crise de succession du premier
président de la République et fondateur du MESAN, le
tribun B. Boganda.
30 - 1 Les manœuvres des « sous marins » torpilleurs.
En attendant l’élection d’un autre président devant succéder au défunt Boganda,
c’était à Abel Goumba, ministre des Finances et du Plan, deuxième personnalité
dans le gouvernement sur le plan protocolaire que revenait de facto le poste de
président intérimaire ( ** En effet, dans le respect de l’esprit de cette
Constitution, celui-ci devait assurer pendant un mois, c’est-à-dire du 30 mars
au 30 avril 1959, l’intérim du chef de gouvernement décédé ).
En dépit du deuil cruel qui venait de frapper tout le pays, la date des élections
législatives fixée au 05 avril n’a pu être modifiée. Toutefois, le taux de
participation restait relativement faible car il ne représentait que 55%. Le scrutin
entaché de deuil s’était déroulé certes dans la douleur, mais dans la sérénité et la
dignité. Tous les candidats inscrits sur la liste électorale appartenaient à la coalition
MESAN-ILO. Parmi les 50 députés élus au suffrage universel direct et secret, 5
étaient d’origine française et membres de l’ILO. L’Assemblée territoriale fut érigée
en Assemblée législative. Pour la première fois, les élus locaux, appelés depuis
1947, date de la mise en place de l’Assemblée territoriale de l’Oubangui-Chari (
ATOC ) conseillers territoriaux, prirent désormais le titre honorifique de députés.
Avant l’expiration de l’intérim, il fallait susciter des candidatures à la prochaine
élection présidentielle. Trois députés, militants du MESAN, se manifestaient
parfois dans les coulisses de l’Assemblée législative. Il s’agissait d’Abel Goumba,
Faustin Maléombo et David Dacko. En réalité, ce dernier n’était pas chaud pour se
présenter contre Goumba et Maléombo qui étaient ses aînés de quatre ans et avec
lesquels il s’entendait parfaitement depuis l’école primaire supérieure ( EPS ) de
Bambari. Toutefois, pour d’autres considérations que nous verrons tout à l’heure,
sa candidature fut proposée par ses pairs.
Etienne Ngounio, vice-président du MESAN, député et sénateur de la
Communauté prit la tête d’une petite délégation composée du député et sénateur
Paul Maradas Nado, des députés Robert Sama et Maurice Bouaka qui, à
l’unanimité, décida de la tenue d’un conclave à Mbaïki afin de pencher
sérieusement sur le choix du futur président de la RCA qui succédera valablement
à Boganda. Ce groupe de pression arrêta les critères d’éligibilité qui tenaient
surtout compte des liens de parenté avec le président-fondateur défunt afin de faire
baisser les vives tensions en terre Ngbaka. En effet, le défunt Boganda incarnait
cette tribu. Par ailleurs, le futur président devrait avoir le profil d’un rassembleur,
d’un homme politique plein d’altruisme sachant être à l’écoute attentive de son
peuple, d’un communicateur et enfin d’un leader de conviction, susceptible de
poursuivre le vaste chantier abattu par Boganda afin de l’immortaliser à travers le
projet de société du MESAN. Ensuite, accessoirement, il évoqua le niveau d’études
du candidat.
A noter que les directives étaient déjà données par la communauté européenne dont
les membres les plus influents tenaient à l’élection de quelqu’un qui devait
défendre leurs intérêts en Centrafrique. La Loge maçonnique dont les représentants
étaient les plus vénérés, la Chambre de commerce dominée par la personnalité de
Naud, l’Eglise catholique avec à sa tête l’évêque Cucherousset et, certes la veuve
de Boganda, devaient peser de tout leur poids sur le choix du président parmi les
trois « soupirants ». De toute évidence, David Dacko était considéré comme
l’héritier spirituel légitime parce que, d’une part, il fallait compenser la lourde
perte enregistrée dans la tribu de Boganda et d’autre part, depuis sa sortie de
l’Ecole normale de Mouyonzi ( Brazzaville ), il évoluait à l’ombre de Boganda.
Toutefois, Dacko présentait beaucoup d’insuffisances au plan politique. Il était très
jeune ( 29ans ), timide, timoré et immature. Par conséquent, dans le milieu
colonial, on trouvait qu’il pouvait être influençable. Ainsi donc, en raison de ces
critères, il avait déjà le vent en poupe. Dacko devenait ainsi le candidat favori par
rapport aux deux autres.
D’après les résultats du sondage auprès des fonctionnaires et agents centrafricains
dont la majorité était des enseignants, ils souhaitaient vivement l’élection de Dacko
qu’ils qualifiaient de débonnaire et de pondéré. Le groupe de pression de retour de
Mbaïki faisait circuler les noms des potentiels candidats définitivement arrêtés.
Maléombo, au nom de la discipline du parti le MESAN, désista et retira sa
candidature en faveur de Goumba d’ailleurs détesté et honni. N'entraient en lice
que celui-ci et Dacko.
30 - 2 Le scrutin indirect : Le vote des grands électeurs, les
députés. .
Les campagnes pour l’élection présidentielle commencèrent auprès des grands
électeurs ( députés ). En effet, c’était le suffrage universel indirect. Il semble qu’un
soir, Dacko qui tenait déjà à détruire l’image de son challenger Goumba auprès de
la communauté française aurait téléphoné au Haut-Commissaire Paul Bordier pour
lui dire que ce dernier aurait fait répandre dans toute la ville la nouvelle selon
laquelle, les Français étaient à l’origine de la mort tragique du président Boganda.
Informé de cette campagne de diffamation, le Haut- Commissaire Bordier se serait
mis aussi en colère contre Goumba en donnant sur un ton sévère et désappointé la
stricte consigne de vote à tous les députés centrafricains en ces termes: « pas
question de voter Goumba ».
( ** Sammy, ancien gardien de but de l’équipe de foot-ball USCA, employé
UCA, interrogé le 14 novembre 2003 dans son bureau ayant rapporté le
témoignage de son père qui était à cette époque le cuisinier de Paul Bordier )
Dans tous les milieux européens tant à Bangui qu’en province, les instructions des
autorités politico-administratives étaient formelles si bien que les cadres et les
fonctionnaires métropolitains promettaient de quitter définitivement la République
Centrafricaine si jamais Goumba devrait succéder à Boganda. René Naud,
président de la Chambre de commerce, entraînant dans son sillage ses congénères
tels que René Chambellant, Roger Guérillot, Roger Coastes, François Duret, Pierre
Remond, Hector Rivierez et Robert Olivier, menaçait de mettre la clé sous le
paillasson au cas où Goumba qu’ils traitaient de xénophobe et de tribaliste,
succéderait au président défunt.
Afin d’obtenir coûte que coûte la défaite de celui-ci, il semble qu’ils auraient
même acheté la conscience des députés en remettant à chacun d’eux une enveloppe
de 50 000 F CFA selon certains informateurs, 150 000 selon d’autres. Toutefois,
selon les témoignages concordants, il y aurait eu beaucoup de démêlées entre
Goumba et les membres de l’ILO dont certains promettaient à qui voulaient les
écouter, de faire subir le sort qu’a connu Boganda à celui-ci, considéré comme un
homme rigide à la solde du communisme. En effet, le médecin africain se trouvant
désormais dans le giron des frères Darlan, flirtait avec le RDA d'obédience
communiste.
Etienne Ngounio, ayant appris les conspirations qui se tramaient autour de son ami
Goumba, s’était rendu chez ce dernier pour lui rapporter de manière indirecte et
voilée les propos tenus à son égard en ces termes: « Abel, j’ai fait hier nuit un
rêve : les deux personnalités qui succéderaient à Boganda ne resteraient pas
longtemps au pouvoir ; elles décéderaient peu de temps après …je te prie de te
mettre à l’écart en attendant que celles-ci meurent d’abord.. .Ensuite, lorsque tu
viendras en troisième position au pouvoir, tu ne mourras pas dans les mêmes
conditions que tes prédécesseurs ». Goumba, incrédule mais perplexe, décida tout
de même de se présenter contre Dacko.
Du côté des Centrafricains, les députés devaient se venger aussi contre Goumba car
étant ministre des Finances et du Plan, il leur aurait refusé des avances sur salaire
de 300 000 F CFA qu’ils auraient sollicitées en vue de s’acheter des véhicules
pouvant leur permettre de se rendre régulièrement dans leur circonscription
électorale et d’être en contact permanent avec leur électorat. Depuis lors, ils
ruminaient leur colère et promettaient de se venger un jour par un vote de défiance
à l’égard du gouvernement.
Les salariés (toutes catégories confondues ) travaillaient comme des sous-marins
torpilleurs auprès de nouveaux députés pour obtenir l’échec de celui-ci à l’élection
présidentielle ; ils se plaignaient du fait que l’Assemblée territoriale leur aurait
proposé une augmentation générale de 15%. Le président du Conseil de
gouvernement de la Loi-Cadre aurait donné son accord. Mais, Goumba qui détenait
à cette époque le cordon des finances, ne leur aurait accordé que 3% seulement au
lieu de 15%. En outre, il aurait répondu sans vergogne à leur syndicat : « Trop
d’argent ? Non. L’argent n’aime pas le nègre ». Furieux car privés de leurs droits,
les fonctionnaires et les travailleurs tenaient à lui rendre la monnaie de sa pièce.
Ainsi donc, dans tous les milieux socio-professionnels, Goumba était en mauvaise
posture.
Le 30 avril, Dacko et Goumba qui se trouvaient côte à côte depuis la formation du
gouvernement de la Loi-Cadre ( 1957 ) se retrouvaient dans le premier
gouvernement de la République, mais cette fois-ci face à face, c’est-à-dire en
compétition, en adversaires politiques. Sur 43 députés présents au vote, Dacko
remporta sans grande difficulté 41 voix contre 1 voix pour son challenger Goumba
( l’unique voix était la sienne ) ; il y avait un bulletin nul. C’était le verdict de
l’urne. Il fallait s’y plier, accepter sa défaite ; ce que fit honorablement Abel
Goumba, mais avec un pincement au coeur.
En Afrique, lorsqu’on a déjà goûté au plaisir du pouvoir politique et connu
d’immenses prérogatives, ce n’est souvent pas avec gaieté de cœur qu’on concède
sa place à un autre. Cependant, le cas de Goumba mérite un petit commentaire : sa
frustration venait du fait qu’étant intérimaire, il était rassuré de l’appui de certains
députés qui lui étaient favorables et qui lui promettaient fidélité, monts et
merveilles. C’était mal connaître les électeurs. Ngounio, le vice-président du parti
avait promis mobiliser la quasi-totalité des parlementaires voués à sa cause car
c’était lui le seul « dauphin » du président Boganda qui avait le charisme politique
de ce dernier. Avec toutes ces promesses alléchantes émaillées certes de
flagorneries, Goumba croyait sans nul doute à sa consécration le 30 avril.
Malheureusement, comme tout homme est versatile lorsque sa conscience est
achetée, tous ont dû changer du fusil d’épaule à la veille de l’élection
présidentielle.
David Dacko, ainsi propulsé par les milieux politiques et économiques français par
l’entremise des députés influents à l’Assemblée législative, succéda le 05 mai 1959
à Boganda ; il devint ainsi président de la République, chef de gouvernement
provisoire et ministre de l’Intérieur. En trois mois seulement, la solidarité
gouvernementale qui n’était pas encore raffermie, commença à s’effriter. De vives
tensions, surgissant dans le rang des membres du gouvernement, rendaient
impossible la cohabitation. En Conseil des ministres certains ministres se
détestaient et se regardaient comme des chiens de faïence si bien que pour de
simples peccadilles, il y avait déballage de secrets. En juillet, le président Dacko
qui était de tempérament pondéré, doux et calme se contenta tout simplement de
procéder à un simple remaniement technique.
Maléombo quitta le gouvernement pour la présidence de l’Assemblée législative
afin de veiller à la mise en place des nouvelles institutions politiques et
socio-économiques dont l’acteur principal a disparu prématurément. Quant à
NGounio, il fut confirmé président du MESAN et maire de la Commune de
Bangui. En raison de l’immaturité politique du jeune président Dacko, celui-ci se
faisait entourer par des conseillers techniques français qui étaient en majorité
d’anciens administrateurs coloniaux frustrés et mécontents d’avoir perdu leurs
privilèges d’antan. Ceux-ci avaient la mainmise sur tous les secteurs d’activités (
politique, économique et social ) et allaient faire le beau temps et la pluie.
Frustré et meurtri, la mort dans l’âme, Goumba ne pouvait tolérer sa défaite face à
Dacko dont il ne reconnaissait pas du tout les compétences requises pour cette
lourde charge. Reconduit par le président Dacko à son poste de ministre des
Finances et du Plan, l’homme ruminait sa revanche aux prochaines échéances
électorales. Or, celles-ci ne pouvaient avoir lieu que dans cinq ans conformément à
l’esprit de la Constitution de la République. De là, la crise de succession était
perceptible si bien que le gouvernement allait prendre un coup dur. La coexistence
de l’équipe gouvernementale paraissait presque nulle aux yeux des Centrafricains
politiquement avertis. Partout, c’était la suspicion. Le climat était malsain et
morose. Il naissait des conflits de compétence et de leadership sur toile de fond, la
rancœur. Ce manque d’homogénéité et de solidarité était vivement ressenti par la
population. Les détracteurs de Boganda, composés surtout des ultra-conservateurs
européens, laissaient éclater leur joie de voir naître des conflits entre les dirigeants
de la République naissante.
Goumba décida de quitter le MESAN pour prendre la tête de la section
oubanguienne du RDA alors que son cousin Antoine Darlan, un « vieux renard »
politique qui était de très loin son aîné de onze ans, disposait encore d’un capital de
sympathie indéniable parmi certains fonctionnaires et cadres centrafricains appelés
à cette époque les « évolués ». Dans la société traditionnelle, le droit d’aînesse a
toujours primé. Ayant été déconseillé par certains milieux qui lui étaient
favorables, il renonça à ses ambitions de vouloir s’obstiner à disputer la paternité
de la section centrafricaine du RDA avec son cousin Darlan étant donné que ce
dernier l’animait depuis 1947 pendant qu’il était encore sur les bancs de l’Ecole de
médecine William Ponty de Dakar.
Il trottinait dans la tête de Goumba l’idée de créer son propre parti afin de faire
appliquer, d’après lui, les idéaux politiques de Boganda qui était foncièrement
anti-communiste. Or Goumba avait des idées socialo-communistes bien ancrées
dans l’esprit. Comment concilier les deux tendances qui, comme des électrons, se
repoussent et ne gravitent pas autour d’un noyau ?
Depuis l’avènement de Dacko à la présidence de la République, il existait de
vives tensions entre les deux personnalités. Par le principe de « diviser pour
régner », les Européens vivant en République centrafricaine dont le nombre
oscillait entre 3000 et 4 000 tenaient tous à la sauvegarde de leurs intérêts acquis.
Ainsi donc, ils saisissaient les opportunités que leur offraient les membres du
gouvernement et de l’Assemblée législative, en raison de leurs querelles intestines
et stériles ayant entraîné une véritable fissure dans le milieu politique centrafricain
pour jeter continuellement l’huile sur le feu. Les extrémistes qu’on pourrait bien
volontiers appeler les ‘’faucons politiques’’ formaient deux camps distincts : l’un
se rangeait derrière Dacko et l’autre dans le sillage de Goumba ; ça sentait
vraiment le roussi. Comme c’était le régime parlementaire, le gouvernement ne
devait être renversé que par l’Assemblée législative.
Goumba avait des ambitions démesurées. En effet, il tenait coûte que coûte, vaille
que vaille à faire destituer Dacko de la présidence de la République par la motion
de défiance des députés ; il se rapprocha de son ami de jeunesse à Bambari, Faustin
Maléombo président de l’Assemblée afin de mettre fin, d’après lui, à l’anarchie qui
régnait au sein du gouvernement. Il réussit encore à mettre dans son collimateur
Etienne Fatrane, un autre collègue de l’école primaire de Bambari. Tous les trois
réussirent à coopter les militants mécontents du MESAN pour créer le MEDAC (
Mouvement d’Evolution de l’Afrique centrale ) dont l’idéal essentiel était
l’évolution sociale des Centrafricains et de tous les ressortissants d’Afrique
centrale. Dacko, informé des conspirations qui se tramaient autour de lui par ses
ministres aux fins de sa destitution, décida de limoger certains d’entre eux pour
avoir les mains libres. Le président de l’Assemblée, Pierre Faustin Maléombo, dut
quitter son poste.
En mai 1960, Dacko fit appel à son ami de l’Ecole normale de Mouyounzi (
Brazzaville ) Michel Adama-Tamboux pour succéder à celui-ci ( Maléombo ). En
juillet, Goumba continuait toujours à clamer haut et fort qu’il était l’héritier
légitime de Boganda et le seul à avoir des aptitudes physiques et intellectuelles
pour appliquer dans son intégralité les idéaux du président défunt. Avec le
limogeage de celui-ci, de Maléombo et de Sato Albert, la crise politique devenait
de plus en plus profonde et aiguë. Il se tissa le tandem Goumba-Maléombo qui
allait être renforcé par le flux de certains militants et sympathisants aigris ayant
quitté le MESAN. Or Etienne Ngounio, promu président du MESAN et maire de
Bangui jouait la carte de Maléombo dès la disparition de Boganda. Celui-ci
espérait être président de l’Assemblée législative si jamais Maléombo accédait à la
présidence de la République. Mais le milieu français en avait décidé autrement en
imposant Dacko si bien qu’il se mettait à flirter avec l’opposition dont le chef de
file était Goumba. Les opposants au régime du MESAN, ayant obtenu la coalition
des partis MEDAC, MSA et PPA-RDA, se serraient les coudes. Dacko, se séparant
de ses anciens collaborateurs et militants fieffés du MESAN, se retrouvait ainsi
dans l’œil du cyclone.
Le 28 septembre 1958, Sékou Touré ayant dit « Non » au référendum a pu obtenir
le 02 octobre l’indépendance de son pays, la Guinée, qui allait aussitôt entrer dans
le concert des nations ; il disposa d’une voix à l’Assemblée générale de l’ONU au
même titre que la France, ancienne puissance colonisatrice. L’admission de la
Guinée à l’ONU comme Etat souverain et indépendant permettait à Sékou Touré
de s’asseoir pour la première fois autour d’une même table avec les représentants
de la France constituait un ferment de stimulation pour les autres pays d’Afrique
francophones, membres de la Communauté qui demeuraient encore sous
domination française. Les deux protagonistes d’hier, les présidents Charles de
Gaulle de France et Sékou Touré de Guinée se côtoyaient et se lorgnaient dans
l’hémicycle de la grande Institution sans toutefois se parler. Très franchement,
jusqu’à sa mort inattendue, le général De Gaulle n’a jamais pardonné à Sékou
Touré ce défi. Par ailleurs, jusqu’à sa disparition définitive, le jeune et intrépide
président guinéen n’a jamais mis pied en France.
Les présidents des jeunes républiques autonomes étaient désespérés de voir que
ladite Communauté, monopolisant presque tous les pouvoirs politiques et
économiques, ne répondait pas à leurs attentes et qu’elle s’apparentait bien au
système de la Loi-Cadre. Certains leaders politiques les plus éveillés n’hésitaient
pas à critiquer ouvertement son président Charles de Gaulle et à qualifier la
Communauté de « Loi-Cadre déguisée » ou encore « Loi-Cadre nouvelle
formule ». En effet, celle-ci ne répondait guère aux attentes et aux aspirations
profondes des leaders africains.
Trente-unième partie. La problématique du transfert du
pouvoir politique aux nouvelles autorités centrafricaines.
Le premier semestre 1960 devait marquer un tournant décisif et une nouvelle étape
dans l’histoire contemporaine de l’Afrique noire, placée depuis la fin du XIX e
siècle sous la domination française. Les revendications des leaders africains ayant
trait à l’indépendance de leur Etat devaient s’accélérer, se multiplier et devenir
inquiétantes si bien que Charles de Gaulle qui était à la fois président de la
République française et président de la Communauté, et qui tenait à éviter le bain
de sang dans tous ces pays, invita en mai-juin 1960 les chefs de gouvernement
provisoire de Madagascar et d’Afrique francophone sub-saharienne à se rendre à
Paris pour négocier individuellement les conditions de transfert de compétences
longtemps confisquées par la métropole aux nouveaux Etats.
Cependant, en Afrique centrale, le Cameroun, ancienne colonie allemande placée
sous tutelle française et britannique, proclama le 1er janvier 1960 son
indépendance. En Afrique de l’Ouest, le Togo, un autre ancien territoire allemand
bénéficiant du même statut que le Cameroun accéda aussi le 27 avril à la
souveraineté nationale. Le Congo Belge emboîta aussi le pas des autres Etats en
proclamant dans la liesse générale son indépendance le 30 juin. Malheureusement,
cinq jours après ( 5 juillet ), une guerre sanglante et meurtrière attisée par les
ennemis de cette évolution politique éclata. Toutefois, la majorité des pays
d’Afrique noire francophone arrêtèrent conjointement avec l’ancienne puissance
coloniale les mois d’août et septembre 1960 pour l’accession de leur pays à
l’indépendance.
La délégation centrafricaine, composée du président Dacko, Goumba, Guérillot et
du député Robert Sama, quitta Bangui entre les 10 et 11 juillet pour Paris. Le
service de protocole français l’accueillit à l’aéroport et la conduisit à l’hôtel
Continental où elle devait être logée. Goumba refusa de partager le même hôtel
que les autres membres de la délégation et alla prendre une chambre dans un autre
hôtel. Le lendemain matin, 12 juillet, le protocole vint chercher le président Dacko
et sa suite afin de négocier le processus de transfert de pouvoir politique à la jeune
République Centrafricaine longtemps confisqué par le gouvernement français. Le
président Dacko demanda à Goumba de se mettre à côté de lui sur le siège-arrière
de la voiture et le pria d’éviter de laisser transparaître leur divergence en présence
des autorités françaises. Celui-ci refusa et décida de prendre un taxi qui devait le
déposer devant le palais de l’Elysée à la grande surprise des éléments de la sécurité
et du protocole. Dans la salle de négociations améliorée pour la circonstance, on vit
Goumba prendre ses distances. Dacko le pria en sangö, langue nationale, de se
rapprocher de lui pour ne pas attirer l’attention des autres sur l’incompatibilité de
leur humeur. A chaque fois que les autres membres intervenaient dans les
négociations à la demande du président centrafricain, Goumba observait un
mutisme absolu.
Enfin, la date du 13 août fut retenue de commun accord pour la proclamation de
l’indépendance et du transfert de pouvoir au jeune Etat centrafricain.
48 heures après, le séjour officiel parisien des autorités centrafricaines eut pris fin.
Excepté Goumba qui devait trouver quelques excuses afin de prolonger son séjour
dans la capitale française, tous les autres membres de la délégation
ré-embarquèrent dans un même avion pour Bangui. Or, Goumba, s’étant
désolidarisé de la délégation, c’était dans le but d’élaborer le statut de son parti le
MEDAC et de tirer en plusieurs exemplaires des tracts et documents séditieux qui
furent saisis à l’aéroport de Bangui et confisqués par la police puis ils furent
détruits par le feu. Comme nous l’avions précédemment relaté, Etienne Ngounio,
président du MESAN et maire de la ville de Bangui qui sympathisait de plus en
plus avec Goumba bascula finalement dans l’opposition.
Le président Dacko, n’ayant pu réussir à reconquérir tous les membres influents du
parti de Boganda, était au désarroi. Sur les conseils de ses amis, les Français, qui le
dissuadaient à chercher à dissoudre tous les partis politiques d’opposition, facteurs
d’anarchie, de division et de conflits internes pouvant déboucher sur la guerre
civile, sanglante et meurtrière à l’instar du Congo-Léopoldville ( actuelle
République démocratique du Congo ) qui, ayant accédé à l’indépendance le 30 juin
1960, allait sombrer cinq jours seulement après dans la guerre fratricide ; il
chercha des alibis qui étaient à sa portée pour s’exécuter. Le 23 juillet, il convoqua
un congrès extraordinaire du MESAN, appelé « Congrès de l’Union des Forces
vives du pays pour l’indépendance nationale » à l’issue duquel, Ngounio fut
destitué de la présidence de ce parti par les congressistes dont la conscience avait
été préalablement achetée. La nouvelle de la destitution de l’un des membres du
MESAN de la première heure fut ressentie vivement et répandue très rapidement
comme une traînée de poudre. Du côté de l’opposition, ce fut un tollé général.
L’infortuné Ngounio riposta énergiquement en dénonçant les manœuvres du
Président Dacko de vouloir le supplanter afin de prendre la direction du parti. A la
fin de ce congrès, celui-ci fut effectivement plébiscité président du MESAN,
cumulativement avec ses fonctions de chef du gouvernement et ministre de
l’intérieur ; il avait désormais les pleins pouvoirs et pouvait agir en toute quiétude
en un véritable dictateur. Il pouvait ainsi frapper vite, fort et bien quand il voulait
et où il voulait. Le mécontentement allait crescendo. La jeune République qui
s’apprêtait à être auréolée, paraissait agitée. A noter que les amis de Dacko d’hier
devinrent presque tous ses adversaires politiques.
L’indépendance de la République centrafricaine fut proclamée, au nom du
gouvernement français le 13 août par André Malraux, ministre des Affaires
culturelles de Charles de Gaulle, 48 heures après celle du Tchad ( 11 août ). Tout
se passait en présence des représentants de la France : Jean Foyer, secrétaire d’Etat,
Yvon Bourges, haut-Commissaire général à Brazzaville et Paul Bordier
haut-Commissaire à Bangui. Tandis que les accords d’indépendance et de
coopération devaient être signés cinq semaines après, c’est-à-dire le 20 septembre
entre la France et le jeune Etat indépendant et souverain, lequel fut aussitôt admis
comme membre à part entière de l’Organisation des Nations unies ( ONU ). A
partir de ce jour, à l’instar des autres Etats africains nouvellement indépendants et
souverains, la République Centrafricaine devait disposer désormais d’un siège et
d’une voix à l’Assemblée générale.
Le 25 septembre, les élections législatives partielles constituant un premier test
pour le MEDAC furent organisées. Le nouveau parti du trinôme
Goumba-Maléombo-Fatrane implanté très rapidement en milieu banda et mandja
remporta à peu près 20% des suffrages.
Les tensions entre Dacko et Goumba étaient si vives qu’elles empoisonnaient le
climat social de leur venin. Le premier fit venir de sa région forestière de
nombreux guerriers Ngbaka et Pygmées qui, avant de prendre position autour du
bâtiment de l’Assemblée législative, faisaient le tour de la ville, exhibant les
danses guerrières afin d’intimider les éventuels assaillants. Le second avait fait
appel aux Banda et Mandja qui, armés de flèches, de sagaie et de bouclier
attendaient patiemment, chacun devant sa case et se demandaient pourquoi ils
devaient combattre contre des hommes venus de la forêt. Les hommes politiques,
afin d’assouvir leur désir d’occuper le fauteuil présidentiel, ont failli provoquer
l’embrasement des forestiers et savaniers qui vivaient depuis toujours en harmonie
et qui n’avaient jamais connu d’animosité et de bagarres rangées entre eux.
Toutefois, il ne serait pas superflu de faire remarquer qu’avant d’attaquer un
ennemi, on doit posséder au préalable quelques données sur ses potentialités
militaires, sur l’environnement naturel et humain. Or, à l’exception des Ngbaka qui
pouvaient peut-être encore retrouver leur reflex de guerre pour avoir eu dans le
passé lointain des affrontements avec leurs cousins les Mbati ou Issongo, quant aux
Pygmées, peuples de la forêt, très pacifiques, n’ont jamais eu à guerroyer. Par
conséquent, les envoyer combattre les autres en dehors de leur milieu naturel la
forêt, pour des causes qu’ils ignoraient complètement, ne relevait pas de leur
éthique, de leur mode de vie.
Le haut-Commissaire Bordier et les conseillers français à la présidence tenaient à
maintenir au pouvoir leur « poulain » David Dacko par tous les moyens. Ils ne
cessaient de faire allusion à la grave crise du Congo-Léopoldville, pays voisin qui
pouvait, par le principe de domino, faire basculer l’Oubangui-Chari dans la spirale
de la violence quasi-ascensionnelle. Différentes stratégies étaient mises en place en
vue d’arrêter Goumba et ses proches collaborateurs considérés comme des
agitateurs qui, pour la quiétude des nouvelles autorités, méritaient d’être mis au
cachot ou hors d’état de nuire. Le 23 décembre au soir, en plein Conseil des
ministres, la dissolution du parti MEDAC fut prononcée et aussitôt publiée. Le
procureur général de Bangui, d’origine française comme tous les autres magistrats
de l’époque ( ** le problème de cadres se posait avec acuité au lendemain de
l’indépendance ; il n’y avait aucun magistrat centrafricain digne de ce nom.
Afin de pallier cette carence, il a fallu former à la « va vite » des instituteurs et
commis greffiers dont certains n’ont pas démérité ) adressa en urgence une
requête à l’Assemblée législative demandant la levée de l’immunité parlementaire
de Goumba et ses condisciples députés. Sous la pression des événements, les
choses se déroulèrent très rapidement à la veille de la fête de Noël. Par décret n°
60/265 du 23 décembre 1960, à l’exception du MSA et PPA-RDA qui ne
regroupaient qu’une poignée de militants, tous les partis de l’opposition furent
décapités et dissous. Toutefois, en 1962, la dissolution de ces petits partis fut aussi
prononcée. Ainsi donc, il ne restait que le MESAN qui allait devenir le parti-Etat.
Ce qui était contraire à l’attachement du pluralisme politique de Boganda.
Goumba, le leader du MEDAC, fut arrêté le 23 décembre à sa sortie de
l’Assemblée législative qui fut commuée en Assemblée nationale. Le 29, à 48
heures seulement de la fin d’année, sept députés du MESAN ayant rallié le
MEDAC furent interpellés à leur tour ; ils furent mis aux arrêts et escortés à la
prison de NGaragba puis déportés dans l’arrière-pays. Le leader Goumba était ainsi
assigné à résidence surveillée à Boda, Maléombo et Fatrane à Bossembélé.
Trente-deuxième partie :Les difficiles tentatives de
regroupement des Etats nouvellement indépendants.
Depuis l’application de la Loi-Cadre avec la mise en place du gouvernement suivi
de l’institution de la Communauté, tous les pays africains francophones étaient en
pleine mutation et aspiraient vers l’indépendance. Boganda, le visionnaire, le
futuriste voyait pointé à l’horizon l’aboutissement heureux des combats politiques
des Africains. Il ne cessait de prôner le regroupement dans une fédération ou dans
un Etat unitaire des anciens territoires d’Outre-Mer sur les dépouilles de l’AEF
afin d’éviter la formation des « poussières d’Etat » ou encore des « micro-Etats »
construits sur du sable mouvant. D’après lui, si l’unité des Etats francophones du
Sud du Sahara n’est pas obtenue et bâtie sur du roc avant les indépendances, il ne
le sera plus jamais après. Il a été incompris à cause du nationalisme égoïste et
aveugle des leaders politiques qui a prévalu. Les jeunes Etats francophones ont
tous connu au lendemain de leur accession à la souveraineté nationale sous la
forme de la coopération bilatérale, le retour triomphal du néo-colonialisme.
Jusqu’à fin novembre 1958, tous les anciens territoires aéfiens avaient chacun un
nouveau statut ; celui de la République autonome qui devait être intégrée dans la
Communauté franco-africaine. Contrairement au premier Conseil de gouvernement
de la Loi-Cadre dont la présidence revenait aux chefs du territoire, celle de ladite
République autonome était présidée par un dirigeant politique d’origine africaine
qui avait le pouvoir de nommer les ministres parmi les conseillers territoriaux et de
les remercier quand il voulait.
Avec la nouvelle donne, l’Assemblée territoriale devait disparaître pour faire face à
l’Assemblée constituante, chargée d’élaborer la première Constitution de la
République Centrafricaine ( février 1959 ) qui devait instituer l’Assemblée
législative. Suite aux élections législatives, les conseillers territoriaux devraient
prendre le titre de député.
Déjà, les premières difficultés étaient partout prévisibles dans chacune des
Républiques. Le sentiment du nationalisme exacerbé germait et se faisait sentir
dans tous les anciens territoires aéfiens. Les fonctionnaires et agents formés pour la
plupart à « l’Ecole des Cadres » à Brazzaville et affectés sans aucune
discrimination dans chacun des quatre territoires étaient désormais animés par le
désir ardent de travailler dans leur pays d’origine.
Au lendemain de l’indépendance, refusant de servir le pays sous les nouvelles
autorités africaines, plusieurs cadres métropolitains rentrèrent définitivement chez
eux. Les mouvements nationalistes allaient s’accélérer à un rythme inattendu et
ceci au détriment des pays fortement enclavés tels que le Tchad et la République
Centrafricaine où le taux de scolarité, encore très faible à cette époque, était
dépourvu des cadres et techniciens de haut niveau. Afin de pallier ce manque,
certains fonctionnaires et agents de l’Etat tels que les moniteurs d’agriculture
centrafricains étaient nommés conducteurs. Tandis que les techniciens, de cadre
moyen à cette époque, occupaient le poste d’inspecteur. Dans le domaine de la
santé, certains infirmiers brevetés ou agents techniques de santé étaient
responsables des dispensaires et infirmeries. Faisant office de médecins, on les
appelait « docteur ». Cependant, ils n’avaient pas de connaissances et de titres
requis. Dans l’enseignement, la pénurie en personnel professionnellement qualifié
était criarde. En effet, les cadres métropolitains dont la plupart étaient des
instituteurs et qui jouaient le rôle d’inspecteurs primaires ou chefs de secteurs
étaient rapatriés en France si bien que certains instituteurs centrafricains, titulaires
du BE ( Brevet élémentaire ) ou BEPC ( Brevet d’Etudes du premier cycle ) et
anciens élèves de l’Ecole normale étaient nommés par décret du président de la
République pour assumer les fonctions d’inspecteurs primaires ou chefs de
secteurs scolaires. Toutefois, en présence d’autres enseignants du primaire
turbulents et irrespectueux, ceux-ci étaient complexés. Dans les années 1962-1963,
le gouvernement décida de recruter certains instituteurs expérimentés, reconnus en
raison de leur professionnalisme pour les envoyer en stage à Saint-Cloud dans la
région parisienne ( France ) pour une année académique afin de leur permettre de
parfaire leurs connaissances en gestion administrative. A l’issue de leur stage, ils
regagnaient souvent leur patrie et étaient nommés inspecteurs de l’enseignement
primaire.
Conscients de la faiblesse de leurs Etats sur tous les plans et de l’étroitesse de leur
marché, les quatre nouveaux chefs de gouvernement de l’ex-AEF décidèrent de
reprendre à leur compte l’idée géniale du panafricaniste Boganda de regrouper les
quatre jeunes Etats de l’ex.AEF avant leur accession à l’indépendance devenue
désormais irréversible ; non pas sous l’appellation des « Etats unis de l’Afrique
latine », mais plutôt sous la dénomination de l’«Union des Républiques d’Afrique
Centrale » ( URAC ).
Réunis à Fort-Lamy ( Ndjamena ) au Tchad du 16 au 18 mai 1960 sous la
présidence du Premier ministre du gouvernement provisoire de la République,
David Dacko, les chefs de gouvernement du Congo, du Gabon et du Tchad
envisagèrent de trouver une plate-forme politique commune pour leur accession à
l’indépendance qui se profile à l’horizon.
Au cours des débats houleux mais constructifs, le Gabon se désolidarisa des autres
en campant sur sa position de vouloir faire cavalier seul ( ** Plus tard en mars
2008, au cours d’un colloque international organisé à Brazzaville que
j’apprendrai deux raisons qui avaient souvent motivé le refus du président
Léon MBa d’intégrer une fédération quelconque :
1 ) la première raison était qu’au début de la colonisation française ( 1880 ),
Libreville avait été choisi comme chef-lieu du Congo Français. En 1884,
celui-ci fut déplacé par l’explorateur Savorgnan de Brazza en faveur de Mfoa
qui prit le nom de Brazzaville. Tout était fait à Brazzaville au détriment du
Gabon ;
2 ) la deuxième raison qui paraîtrait évidente et plausible était que le poste de
Brazzaville qui portait le nom de Brazza, devenu capitale de la fédération de
l’ex AEF, raflait tout et se construisait progressivement ; cependant les autres
chefs-lieux des territoires aéfiens étaient oubliés. C’est pourquoi, Léon MBa,
rejetant toute idée fédérative, ne voulait plus contribuer au développement du
Congo-Brazzaville comme par le passé colonial ). Ne voulant appartenir à
l’URAC, le Gabon présenta aux autres chefs de gouvernement un contre-projet
politique d’union équatoriale tout en promettant de garder des liens économiques et
douaniers avec le Congo, la RCA et le Tchad. Les participants se séparèrent sans
se mettre complètement d’accord sur leur adhésion totale à la nouvelle institution.
Bien que la Charte de l’URAC ait été ratifiée par les assemblées locales, celle-ci ne
vit jamais le jour et chacun des Etats signataires dut accéder séparément, à
intervalle de 48 heures, à l’indépendance.
« Malheur à l’homme » dixit Boganda. En effet, la division a permis pendant
quatre siècles la traite négrière qui a saigné à blanc le continent noir. Dans la
deuxième moitié du XXe siècle, les Etats africains au Sud du Sahara étaient encore
incapables de s’entendre et de construire sur du roc l’unité africaine. Boganda le
visionnaire ou le futuriste a vu loin, très loin l’avenir du continent d’Afrique noire
en général et de l’Oubangui-Chari en particulier. Celui-ci, s’inspirant toujours des
leçons du passé, voyait grand et trop grand. Il prêchait à quiconque voulait
l’entendre que « Diviser pour régner » était le principe même des nostalgiques du
système colonial et ultra-conservateurs occidentaux qui ne voulaient jamais voir
les nouveaux Etats se retrouver dans une fédération, dans un Etat fédéral unifié.
Dommage que la majorité des pays en voie de décolonisation n’aient pas perçu le
piège savamment dissimulé et tendu par leurs maîtres, les Occidentaux, pour
choisir l’émiettement du continent en « poussières d’Etats », peu viables et peu
fiables sur l’échiquier national et international.
Douze Etats africains et malgache ( ** Les douze Etats africains et
malgache étaient le Cameroun, le Congo, la Côte-d’Ivoire, le Dahomey ( Bénin
), le Gabon, la Haute-Volta ( Burkina-Faso ), la Mauritanie, le Niger, la
République Centrafricaine, le Sénégal, le Tchad, le Togo et Madagascar ) qui
venaient d’accéder à l’indépendance décidèrent de créer l’« Union Africaine et
Malgache ( UAM ) », premier ensemble régional structuré qui allait chercher à
rétablir la paix au Congo Belge et en Algérie puis à « mettre en œuvre une
coopération économique et culturelle ».
Malheureusement, l’UAM, étant née en décembre 1960 avec une croix de mort au
front, disparut peu de temps après car les Etats devaient créer en mars 1961,
l’Organisation Africaine et Malgache de Coopération Economique ( OAMCE ). En
mars 1964, l’UAM, ressuscitée, devint « Union Africaine et Malgache de
Coopération (UAMCEA ).
L’Organisation de l’Unité Africaine ( OUA ), créée le 25 Mai 1963 à Addis-Abeba
regroupait les Etats nouvellement indépendants qui devaient dénoncer sans
vergogne les puissances coloniales qui maintenaient encore certains pays d’Afrique
noire sous leur domination et condamnaient à l’unanimité l’apartheid en Afrique
du Sud. Ne disposant pas de moyens financiers substantiels pour asseoir sa
politique et mener des actions vigoureuses en faveur de la paix et de la stabilité du
continent, elle s’effritait et devenait ainsi inefficace depuis sa création. Elle fut
remplacée par l’Unité africaine ( UA ) qui ne fait pourtant pas mieux.
L’Organisation Commune Africaine et Malgache ( OCAM ), créée en Février 1965
à Nouakchott en vue d’axer les efforts de tous les jeunes Etats sur les « questions
économiques, sociales, techniques et culturelles » ne pouvait avoir aussi qu’une
existence éphémère. En effet, les Chefs d’Etat n’y attachaient pas beaucoup
d’importance. Par ailleurs, plusieurs pays indépendants à l’assiette économique très
faible avaient tenté au lendemain des indépendances de se regrouper car c’était
dans l’unité, dans un grand ensemble territorial unique et solidement uni que le
développement socio-économique et culturel pourrait se faire. Toutefois, ces
tentatives de regroupement ne connaissaient pas de succès.
On pourrait citer par exemple l’Union Douanière des Etats de l’Afrique Centrale (
UDEAC ) créée le 8 Décembre 1964 et qui devait disparaître en 1994 pour faire
place à la Communauté Ecomonique et Monétaire de l’Afrique Centrale ( CEMAC
) sans atteindre véritablement le but recherché. Celle-ci a actuellement du plomb
dans l’aile. L’Union des Etats de l’Afrique Centrale ( UEAC ) ayant regroupé
l’ex-Zaïre, la RCA et le Tchad en 1968 afin d’harmoniser les tarifs douaniers, de
permettre la libre circulation des personnes et des biens dans les Etats membres,
n’avait connu aussi qu’une existence de courte durée. Une autre coopération
régionale se faisait sentir à travers la « Communauté Economique de l’Afrique
Centrale ( CEAC ) d’ailleurs calquée plus ou moins sur la carte des Etats Unis de
l’Afrique latine préconisée par Boganda dont la philosophie politique se résumait
dans le culte quasi-obsessionnel : l’unité des peuples d’Afrique noire, était
sournoisement combattue avec acharnement par les détracteurs de l’Afrique et
leurs complices africains.
Ainsi donc, l’Afrique indépendante deviendra un important enjeu stratégique
âprement disputé entre les Etats-Unis d’Amérique et l’ex-URSS. Sur l’échiquier
national et international, aucun de ces « poussières d’Etat » dits indépendants et
souverains n’est viable sinon de nom.
Conclusion générale.
Contrairement aux récits et témoignages des premiers voyageurs, commerçants,
expéditeurs et romanciers européens ayant fréquenté et sillonné à partir du XVIe
siècle les côtes africaines selon lesquels l’intérieur du continent africain dont fait
partie intégrante l’espace centrafricain était vide d’hommes et n’était peuplé que
d’animaux sauvages, de reptiles, d’oiseaux et de génies de petite taille, de « grands
marais peuplés d’hippopotames, de cannibales aux dents taillées en forme des
lames de scie, mangeurs de chair humaine dont on dit qu’ils tiennent boucherie »,
n’étaient que de purs fruits d’imagination. Au regard des résultats de recherche
archéologique exposés au cours des colloques et séminaires internationaux et à
celui des journées d’exposition, certains vestiges composés d’outillage
microlithique, de tessons de céramique et d’objets en fer, exhumés, récoltés le long
de certaines vallées et exposés par des étudiants et enseignants-chercheurs du
Département d’Histoire de l’Université de Bangui démontrent à suffisance
l’occupation très ancienne depuis des temps immémoriaux et sans discontinuité, de
l’espace centrafricain par des peuplades de type pygmoïde en zone forestière et
négroïde en zone de savane. Ces êtres humains primitifs constituaient le
peuplement très ancien de cet espace centrafricain. Si dans la forêt dense,
luxuriante et inextricable vivent encore depuis que le monde est monde les
Pygmées, en zone savanière, ce peuplement de type négroïde ou négrille aurait
disparu sous les effets des calamités ou catastrophes naturelles.
Dans la communication de Pierre Vidal du 30 septembre 1981 à Paris, dans le
cadre de l’historiographie de la République Centrafricaine, il y aurait eu au XVIIIe
siècle six à huit millions d’habitants soit une densité de 10 hab/km2 vivant sur le
territoire centrafricain. Par ailleurs, certains travaux de recherche auraient révélé
dans la région de Bouar ( RCA ) la présence d’Australopithèques ou Homo habilis
qui étaient des anciens ossements humains dont l’âge aurait atteint plus d’un
million d’années.
A partir du XVIe siècle, sous la bannière de l’islam, fut déclenchée la « guerre
sainte » ou djihad menée par des marchands d’esclaves arabes islamisés dans
toutes les vallées soudano-nilotiques où les habitants, ayant rejeté l’influence de la
nouvelle religion du prophète Mohamed, étaient considérés comme des infidèles
ou païens. Des raids de représailles étaient souvent lancés contre tous les royaumes
chrétiens du Darfour et de Kordofan qui furent détruits. A la recherche de refuge le
long de la lisière forestière, les peuples chrétiens ou animistes, persécutés,
décidèrent d’émigrer d’Est en Ouest. Par vagues successives et progressives, ils
allaient atteindre l’Est centrafricain. De là, les peuples fugitifs constitués en
quelque sorte de puzzles de groupes ethniques devaient se scinder en plusieurs
rameaux dont certains devaient s’installer, soit au centre du pays, soit progresser
un peu plus loin en direction de l’Est et du Sud en quête de stabilité et de sécurité.
Très enclavée, la Centrafrique, dans ses limites géographiques actuelles, est située
à des milliers de kilomètres des mers et océans, au cœur du continent noir. Son fort
enclavement constitue un important handicap et ne permet pas du tout son essor
économique rapide et son développement durable.
Conformément à l’Acte final de la Conférence africaine tenue à Berlin dans la
capitale allemande sans la présence des représentants de l’Afrique, l’occupation de
l’intérieur du continent par les puissances colonisatrices devait être effective. Ce
fut le début du « scramble for Africa » ou course effrénée vers l’hinterland. Selon
les recommandations, cette présence devait être marquée :
I ) par le drapeau du pays conquérant ;
II ) par une garnison devant veiller sur les terres occupées ;
III ) par la notification écrite aux colonies voisines étrangères ;
IV ) par la mise en place d’une administration fonctionnelle.
A partir du dernier quart du XIXe siècle, l’espace centrafricain, conquis, entra dans
le giron du Congo français et fut érigé en décembre 1903 en colonie dénommée
colonie de l’Oubangui-Chari. Pendant plus d’un demi-siècle, l’Oubangui-Chari
constituait un important débouché pourvoyeur des matières premières ( ivoire,
caoutchouc, huile de palme, palmiste ) pour les industries de transformation
françaises. Les compagnies concessionnaires et les sociétés commerciales à
capitaux, installées dans les différentes régions du pays, procédaient, avec la
complicité de l’administration coloniale, au pillage systématique de toutes ces
ressources naturelles.
Les peuples colonisés de l’Oubangui-Chari, exploités, opprimés, asservis et soumis
aux exactions et aux supplices, ayant compris que les résistances pacifiques ne
devaient mettre fin à leur calvaire, les abandonnèrent pour des résistances armées.
De 1904 à 1934, les rébellions, au départ sporadiques et bien localisées finirent
par s’amplifier et toucher la quasi-totalité du territoire oubanguien.
Après les révoltes des Ngbaka et Mbati organisées dans la Lobaye et dirigées par le
chef de guerre Bérandjoko contre l’occupation française, celles des Banda Vidri
par Bra-Ngbaké dans la Haute-Kotto puis ce fut le tour des Gbäyä de la
Haute-Sangha de s’insurger contre le système colonial français à l’annonce de la
nouvelle des recrutements des prestataires pour la construction d’une voie
ferroviaire à sens unique devant relier Brazzaville à la ville portuaire de
Pointe-Noire. La rébellion, baptisée par les chroniqueurs et voyageurs occidentaux,
la guerre des Gbäyä encore appelée « guerre de Karinou » ou de « Kongo Wara »
dont la version française donna la guerre des « manches de houe » ( **En gbäyä,
kongo signifie manche et wara veut dire houe. Comme armes, les guerriers
utilisaient les manches des houes ) allait perdurer pendant presque trois ans (
1928-1931 ). A peine cette guerre eut pris fin, les guerriers Pana et Karé qui
avaient décidé d’observer unilatéralement la trêve afin de faire croire à leurs
protagonistes qu’ils avaient baissé la garde face à la puissance de feu des troupes
coloniales, se remobilisèrent dans tous les villages à l’appel de leurs chefs de
guerre ou « Mbaïro ». En effet, cette trêve était un repli tactique et stratégique qui
leur permettait de se réarmer, de réorganiser leur ligne d’attaque et de défense. En
effet, les guerriers Pana et Karé, ayant rejeté dans toute la région de Bocaranga
l’autorité française, décidèrent de passer à l’offensive en plaçant la seconde
rébellion sous Mbaïbéla. Désormais, cette insurrection allait faire de l’espace
centrafricain un foyer d’insurrections récurrentes placé sous haute surveillance
permanente.
Le mouvement insurrectionnel s’intensifia rapidement et gagna toutes les autres
régions périphériques dont les habitants, exacerbés, étaient hostiles à la présence
des autorités coloniales. Ce n’était plus l’affaire des Gbäyä car elle devait
mobiliser des dizaines de milliers de combattants oubanguiens ( Sud-Ouest ),
congolais ( Nord ), camerounais ( Nord-Est ) et enfin tchadiens ( Sud ) qui
supportaient très mal le joug colonial qui pesait de plus en plus lourd.
 
Tous ces mouvements de rébellion avaient pour dénominateur commun la lutte
contre le système colonial qui, ayant procédé aux recrutements intensifs des jeunes
gens de sexe masculin ( 18-25 ans ) les avait soumis aux différents travaux forcés
d’intérêt public, l’impôt de capitation, les interminables corvées, les exactions et
les sévices commis sur les paysans, le rejet de l’autorité administrative française, la
souveraineté, la sauvegarde des structures traditionnelles bouleversées par la
colonisation, la confiscation de la liberté individuelle et collective des populations
autochtones.
La IVe République, ayant institué l’Union française, souffla sur les peuples
colonisés un vent nouveau. On assista en Oubangui-Chari à une prise de
conscience politique attestée par l’existence des sections des partis politiques
étrangers ( SFIO, MRP, RPF, RDA et MSA ). Des partis locaux tels que le Bloc
Démocratique Oubanguien ( BDO ) et le Mouvement de l’Evolution Sociale en
Afrique Noire ( MESAN ) furent créés. Des associations coopératives et syndicales
virent le jour. Avec la Loi-Cadre, le premier gouvernement de l’Oubangui-Chari
composés de six ( 06 ) ministres fut mis en place.
De 1947 jusqu’à sa mort tragique intervenue le 29 Mars 1959 ( jour de Pâques )
dans une catastrophe aérienne, le tribun Boganda, une figure de proue, devait
focaliser toute son énergie sur la création des Etats-Unis de l’Afrique Latine « afin
d’atteindre ses idéaux politiques. Malheureusement, il a été mal compris par ses
pairs. L’incompréhension, le nationalisme égoïste et les forces des particularismes
ont emporté sur les intérêts généraux. Il n’a pu réussir à obtenir ni le
« remembrement » de l’AEF ni la politique de regroupement des pays de langues
d’expression latine si bien que l’indépendance de chaque territoire devait être
proclamée en grande pompe et dans la liesse populaire.
En réalité cette indépendance politique obtenue sans coup férir, dans la
précipitation et dans l’impréparation, n’était qu’une indépendance de façade, une
indépendance nominale. En effet, un demi-siècle après, au lieu de pratiquer comme
les autres Etats en émergence la politique de « donnant, donnant », les Etats
africains dits indépendants et souverains continuent de tendre éternellement
les « mains des mendiants ». Or, la main qui donne est souvent au-dessus de la
main qui reçoit. C’est pourquoi, tous les jeunes Etats africains se retrouvent
indéfiniment encore sous les bottes des anciennes puissances coloniales.
On aboutit ainsi finalement, suivant l’expression de l’érudit Léopold Sédar
Senghor à la balkanisation de l’Afrique francophone avec la formation des
« micro-Etats » peu viables car très fragiles et très influençables dans tous les
domaines.
Ne disposant pas de capitaux pour des investissements et de moyens de production,
ces Etats ne pouvaient entrer dans un circuit économique international durable.
En raison de l’absence d’une véritable coopération économique inter-étatique, tous
connaissent dans leur quasi-totalité la paupérisation qui sévit avec acuité : la
corruption, la concussion, l’inconscience professionnelle, la gabegie, le tribalisme,
le clanisme, l’injustice et l’impunité qui s’institutionnalisent sur le continent
africain en général et en République Centrafricaine en particulier.
Les jeunes Etats indépendants préalablement mal préparés héritèrent d’une
administration dont le personnel, insuffisamment associé à la gestion des affaires
publiques, était souvent incompétent et corrompu. Le manque de techniciens
autochtones instruits, professionnellement qualifiés et éduqués devant assurer le
relais des expatriés obligeait les nouveaux dirigeants à faire appel dans le cadre de
la coopération bilatérale à leurs anciens maîtres.
En effet, les hommes politiques africains ont mis longtemps pour découvrir le
piège de l’émiettement du continent tendu par les colonisateurs dont le principe
était de « diviser pour régner ». En réalité, à l’aube du XXIe siècle où la création
des blocs politico-économiques à l’instar de l’Union Européenne s’impose pour
assurer la paix, la sécurité, la stabilité et le développement, aucun peuple, aucun
Etat, aucun continent, ne peut guère s’isoler du reste du monde.
De nos jours, le maître-mot de la politique intérieure et d’intégration régionale des
leaders politiques est désormais l’unité. Il vaut mieux tard que jamais. Les
tentatives du projet de formation d’un Etat fédéral sur les dépouilles de l’AEF
préconisé par Barthelémy Boganda de son vivant a souvent connu des difficultés et
des échecs. Toutefois, il peut être repris pour le renforcement de l’unité africaine,
facteur essentiel du développement humain durable.
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II- Sources d'archives imprimées.
1-Dépôt d’archives d’Outre-Mer d’Aix-En-Provence ( France ).
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2- Ecole nationale d’Administration et de la Magistrature ( de Bangui
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- Bulletin de la Société de Géographie de Lyon ; cote 82-42. La mission
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au Lac Tchad ( 1895 ), 1901.
- Bull. du comité de l’Afrique française ( 1905-1910 ) ; cote 82-42. La
construction
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pp.254
-255 ; 539 et 577 ) ; 1919 ( p.101 ) ; 1958 ( p.1579 ).
- Terre Africaine . L’AEF est pour un Etat unique. Il y a quatre ans
disparaissait B.Boganda, n°9 – 29 mars 1963, p.4
- La Chronique coloniale. La politique socio-économique en AEF. La
création de l’Afrique Equatoriale Française ( AEF ) n°24- 30 ;
décembre
1935, p.364
- Journal « Le Climat ». Article n°2 - du 7 juin 1951.
3 - Musée Boganda.
- B.Boganda. Enfin, on décolonise. Brazzaville, 1958.
- J.D. Penel. Les découpages administratifs de l’Oubangui-Chari ( 19041958 ) ; document rédigé et dactylographié, 99 pages ; cote
967-212.
- J.D. Penel. B. Boganda. Ecrits et discours ; vol.4 ; Bangui 1985.
- Tableau de répartition de sièges aux 1er et 2ème collèges aux
conseils
représentatifs de chaque territoire de l’AEF.
- Décret du 25 octobre 1946 portant création des assemblées
territoriales
en AEF, in Jo AEF, p.1382.
4- Archives de la paroisse St-Charles.
- De Banville ( Ghislain Rp ). Les débuts de l’Eglise catholique en RCA ;
document rédigé et polycopié. Bangui, 1988, 188p.
- De Banville ( Ghislain Rp ). En son temps, le père Joseph Daigre ;
Oubangui-Chari ( 1905-1959 ), Bangui, 1988, 179p.
- Wirth ( Joseph ). Documents pour servir à l’histoire de l’Eglise en
RCA ;
rédigé et polycopié ; Bangui, 1981, 47 pages.
- Wirth ( Joseph ) . Discours et Ecrits – Les trois représentants de
l’Oubangui-Chari
( Barthelémy Boganda, Jane Vialle et Antoine Darlan ) à
l’Assemblée,
au Conseil de la République et au Conseil représentatif
français. Recueil
des textes.
III- Travaux universitaires inédits.
1- Thèses de doctorat.
- Amayé ( Maurice ). Les missions catholiques et la formation de l’élite
administrative et politique de l’Oubangui-Chari de 1920 à 1959.
Thèse de doctorat 3° cycle, tome 2. Université d’Aix-Marseille
I,
1985.
- Dubois ( Colette ). Le prix d’une guerre en AEF ( 1911-1914 ). Thèse de
doctorat 3°cycle. Université d’Aix-Marseille I, 1984.
- Fédangaï ( Jean ). Genèse et évolution des frontières africaines
contemporaines : les frontières de l’Afrique équatoriale française
1885
-1945, Univ. Aix-Marseille I, Aix 1986.
- Kouroussou ( Emm. Gaoukané ). La justice indigène en Oubangui-Chari
( 1914-1940 ). Univ. Aix-Marseille I, Aix 1985.
- Lengama ( Alphonse ). L’explication économique en Oubangui-Chari :
implications politiques et sociales : les cas de la
Haute-Sangha et
de la Lobaye ( 1890-1914 ), Univ. Aix-Marseille I, Aix 1986.
- Maïnguéné ( Sonia ). Les formes de production des coopératives en
République Centrafricaine de 1935 à 1975, Univ.
Aix-Marseille I, Aix
1986.
- Météfia ( Louis-Bernadin ). L’Est oubanguien 1890-1930. Présence et
réalités
coloniales françaises, Univ. Aix-Marseille I, 1987.
- Mollion ( Pierre ). Le portage en Oubangui-Chari ( 1890 – 1930 ).
Thèse de
doctorat 3°cycle , tome 1, Université d’Aix-Marseille I, 1982,
414 p.
- Mondongou ( Georges ). L’impôt de capitation et des prestations en
OubanguiChari de 1902 au lendemain de la Seconde Guerre mondiale,
Univ. AixMarseille I, Aix 1986.
- N'Guerpandé ( Proverbes ). Bangui et ses quartiers. Thèse de
doctorat 3°cycle,
Géographie et Aménagement du territoire, tome 1,
Université d’AixMarseille II, 1985.
- Oratchi ( Apollinaire ). L’Organisation postale et la radiodiffusion en
Oubangui-Chari et Tchad de 1889 à 1970. Univ.Aix-Marseille
I, Aix
1986.
- Panguéré- Poucra ( Antoine ). La politique coloniale de coton en
Afrique
Equatoriale Française ( 1924-1952 ), Univ. Aix-Marseille I,
Aix 1985.
- Saragba ( Maurice ). Histoire de la trypanosomiase humaine ou
maladie du
doctorat.
sommeil en Oubangui-Chari ( RCA ) de 1900 à 1950. Thèse de
Univ. Aix-Marseille I, tomes 1 et 2, Aix 1983, 630 pages.
- Simiti ( Bernard ). L’Est centrafricain. De la traite des esclaves au
difficile
développement 1880-1970. Thèse doctorat de 3ème cycle.
Univ. Aix-Marseille I, 1999.
- Zawa ( Ambroise ). Les mouvements d’opposition de résistance à la
pénétration et à la colonisation française dans l’Ouest de la
Centrafrique ( 1890-1940 ). Univ.Aix-Marseille I, Aix 1985.
2-Mémoires.
- Banne ( J.P. ). Samba Ngotto, chef des Boffi. Ecole Normale
Supérieure ( ENS ) Bangui, 1983.
- Bissa ( B ). Les chefferies traditionnelles oubanguiennes face à la
colonisation, Université de Bangui, 1986.
- Godame ( Michel ). Etude comparée des mouvements d’opposition à
Boganda et au Mesan ( 1946-1962 ). Université de Bangui, 1982.
- Kossobala ( Maurice ). Les populations litho de 1850 à 1860.
Université de Bangui, 1987, 170 p.
- Lengbéla ( Andry-René ). La politique de la Loi-Cadre et ses
conséquences en Oubangui-Chari. Dépatement d’Histoire. Université de
Bangui, 1989.
- Louma ( Jean ). Naissance et évolution de la médecine en
Centrafrique », Mémoire de maîtrise, Université de Bangui, 1991, p. 52
- Madjima ( André ). La décolonisation vue par Boganda. Université de
Bangui, 1983.
- MBembélé ( Xavier ). Bilo gbalata, Université de Bangui, 1986,
pp.37-38.
- NDobé ( Mathias ). Le syndicalisme oubanguien : les enjeux d’une lutte
( 1946-1956 ). Université de Bangui, 1996.
-Sopia ( Edouard ). L’Oubangui-Chari et la Deuxième Guerre mondiale (
1939-1945 ),
Univ.de Bangui 1986, p.12
-Touba-Kossomboï ( Ferdinand ). La politique coloniale française en
OubanguiChari, de 1946 à 1956. Mémoire de maîtrise, Univ.de Bangui, 1989, p.64
3- Revues et Articles.
- J.D.Penel. Les trois représentants de l’Oubangui-Chari B.Boganda, A.
Darlan et Jane Vialle…. ( à compléter )
- Amayé ( Maurice ). B.Boganda et le projet des Etats-Unis d’Afrique
latine. Conférence du 28 mars 1985 à Fatima –Bangui.
- Amayé ( Maurice ). Les Bondjo, peuple dit anthropophage de
l’Oubangui-Chari ( Histoire des premières résistances anticoloniales en
Centrafrique - 1889-1909 - ). Université de Bangui, décembre 1985.
Conférence donnée à la « Maison des Jeunes » de Fatima par l’auteur.
- Essomba ( J.M. ). L’archéologie et problème de chronologie du fer aux
abords du Lac Tchad. Communication au Congrès. Afrika Zamani. Revue
d’Histoire Africaine n° 6 et 7. Alger, décembre 1977.
- Institut d’Histoire des Pays d’Outre-Mer ( IHPOM ). Recherches et
perspectives de la Recherche historique. Etudes et Documents. Table
Ronde. Paris. Septembre 1982. Asom, Cheam, ihpom. Université de
Provence n°18, Aix-En-Provence 1984, 298 p.
- Saragba ( Maurice ). Histoire du peuplement centrafricain et route
du fer. Revue Centre-fricaine d’Anthropologie n°1. Colloque/Exposition
du 21 février au 5 mars 2004. Université de Bangui/ Aix-En-Provence.
La version pdf de cet ouvrage ( en préparation ) comportera une pagination.
Merci.
Proverbes N'GUERPANDE
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