Xavier de PLANHOL
Le destin historique de la Turquie a toujours été influencé par sa situation géographique à la jonction des Balkans et du Moyen-Orient.
Aux xixe et xxe siècles, son importance stratégique a constamment attiré sur elle l'attention encombrante des grandes puissances qui
dominaient le système interétatique. Élément clé de la stratégie occidentale, longeant le flanc méridional de l'U.R.S.S. et entourée à
l'est et au sud de l'Iran, de l'Irak et de la Syrie, à l'ouest de la Grèce et de la Bulgarie, l'Anatolie s'étire comme un trait d'union entre
deux civilisations – l'Islam et la Chrétienté – et deux systèmes socio-économiques – le capitalisme et le socialisme. Écartelée entre son
passé impérial et la volonté de ses élites de l'intégrer à l'Europe occidentale, elle a toujours éprouvé des difficultés à surmonter ses
contradictions, dont celles d'ordre culturel ne sont pas les moindres.
La création, en 1923, par la révolution kémaliste, d'un État-nation républicain a fourni un cadre politique et institutionnel propice au
développement de la société turque. Cependant, les difficultés et les contradictions ne manquent pas, qui rendent aléatoires les efforts
de progrès et de développement. La dépendance économique et politique dans laquelle se trouve la Turquie vis-à-vis de l'Occident ne
lui permet pas de mener une politique autocentrée. Les inégalités sociales constituent un frein au développement économique et
créent des tensions entre les classes sociales et des blocages dans le système politique. Les institutions politiques n'ont pas toujours
pu s'adapter à l'évolution de la société civile, à l'essor du secteur privé, parallèlement à l'économie étatisée, à l'éclosion de
mouvements sociaux et au pluralisme idéologique, qui ont donné à la Turquie une configuration structurellement, fonctionnellement et
idéologiquement plus éclatée et différenciée. Ainsi, les déséquilibres économiques, politiques, sociaux et culturels débouchèrent-ils
périodiquement sur des crises profondes et l'interruption du processus démocratique, comme ce fut le cas en 1960, 1971 et 1980.
Une des manifestations de cette crise a été le terrorisme, qui a trouvé des soutiens à l'intérieur comme à l'extérieur et qui a failli
déstabiliser la Turquie à la fin des années soixante-dix. La violence politique opposant l'extrême gauche et l'extrême droite, mais
essentiellement alimentée par cette dernière, a trouvé des appuis au sein de l'État, de l'armée et de certains milieux d'affaires. Elle a
été aggravée par la radicalisation des mouvements nationalistes kurdes, dont une partie s'est lancée, au début des années quatre-
vingt, dans une guérilla sanglante qui a fait de nombreuses victimes dans le Sud-Est anatolien.
Ancrée à l'Occident, membre de l'Alliance atlantique, qui la considère comme une pièce stratégique importante située sur les marches
orientales de l'Europe, la Turquie n'en rencontre pas moins une certaine indifférence, voire une froideur, des organisations politiques,
économiques et financières de l'Occident, vis-à-vis de ses difficultés économiques ou ses problèmes de politique extérieure.
Cependant, les efforts de démocratisation progressive qu'elle a entrepris depuis le milieu des années quatre-vingt, accompagnés de
politiques visant à assainir l'économie, ont contribué à améliorer son crédit auprès de ses alliés européens. Le gouvernement d'Ankara
accorde désormais la priorité absolue à l'intégration de la Turquie dans la Communauté économique européenne. Il a officiellement
posé sa candidature en avril 1987, pour devenir le treizième membre de la C.E.E. et toute sa politique étrangère est guidée par cet
objectif, même si la coopération politique et économique qu'il a développée avec les pays socialistes et le Tiers Monde, en particulier
avec les pays islamiques, continue de retenir son attention. La priorité accordée à l'objectif de faire de la Turquie un pays européen à