Résumé des débats

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UMR 7136 - ARCHITECTURE, URBANISME, SOCIÉTÉS
COMPTE-RENDU DE LA DEUXIEME RÉUNION DE L'ATELIER “ ARCHITECTURE DE LA
MAISON ET PRODUCTION DE l’HABITAT PERIURBAIN ”
L'URBANITE PERIURBAINE EN QUESTION.
L'EXEMPLE DES LOTISSEMENTS PRIVES A ACCES RESTREINT EN
ILE-DE-FRANCE”
(24 mars 2006)
Présents : Philippe Bonnin ([email protected]) ; Delphine Callen ; Eric
Charmes
([email protected])
;
Maïté
Clavel
([email protected])
;
Agnès
Deboulet ([email protected]) ; Philippe Gresset ([email protected]) ; Vincent Hervouet
([email protected]) ; Sonia Kellenberger ([email protected]) ; Jean-Michel
Leger
([email protected])
;
Renaud
Le
Goix
([email protected]) ; Béatrice Mariolle ([email protected]) ; Lionel
Rougé ([email protected]) ; Hélène Subremon ([email protected]) ; Jean-Pierre
Traisnel ([email protected]) ; Maria Veltcheva ([email protected]).
Auteur du compte-rendu : Eric Charmes.
DEBAT AUTOUR DES INTERVENTIONS DE
Renaud Le Goix (maître de conférences à Paris 1, UMR Géographie-cités 8504) et Delphine
Callen (doctorante, UMR Géographie-cités 8504) : Les lotissements privés de la vallée de la
Bièvre.
Éric Charmes (maître de conférences à l'IFU/Paris 8, UMR Architecture urbanisme société
7136) : Les enjeux des lotissements privés clos pour l'urbanité périurbaine
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1. MISE EN PERSPECTIVE HISTORIQUE
Renaud Le Goix, relayé lors du débat par Philippe Gresset, s’attache à mettre en perspective
historique les phénomènes de fermeture et de privatisation des rues. Il souligne donc que les
rues privées et les lotissements sont depuis longtemps des formes banales d’initiation de
l’urbanisation (il évoque notamment les exemples de Bordeaux et de Paris). Il souligne le
grand nombre de voies privées qui subsistent aujourd’hui dans Paris (d’après un recensement
de la Mairie de Paris, il y aurait 1500 voies, passages, cités et autres villas privés). Vue sous
cet angle, les formes actuelles de la périurbanisation n’ont rien de très original, à ceci près,
comme le souligne Jean-Pierre Traisnel, que la prédominance depuis quelques décennies de
la desserte en impasses et en voies en boucle bloque les processus de mutations urbaines.
Elles empêchent les lotissements de se densifier et de s’intégrer dans la trame urbaine.
Toujours dans le registre des continuités historiques, Renaud Le Goix souligne que les
fermetures de domaines résidentiels ne sont pas nouvelles, notamment pour les lotissements
chics. Cela était d’autant plus fréquent que beaucoup de ces lotissements naissaient du
démantèlement de réserves forestières ou du démembrement de parcs de châteaux et que
l’on conservait à la fois le portail d’entrée et le mur d’enceinte. Il évoque notamment le Parc de
Montretout créé en 1832 à partir du domaine du Château de Saint-Cloud. Aujourd’hui, cette
pratique perdure, comme l’a montré Delphine Callen à partir de son étude de la vallée de la
Bièvre.
Cependant, si la fermeture des domaines chics est ancienne, Renaud Le Goix estime que leur
dimension sécuritaire est récente. Ainsi, dans le règlement de copropriété du Parc de
Montretout, il n’est à aucun moment fait mention du portail à l’entrée. C’est seulement à la fin
des années 1980 que des dispositifs renforcés de contrôle des allers et venues ont été mis en
place, par percolation en Europe des théories associées à l’urbaniste américain Oscar
Newman. D’une certaine manière ici, la forme de la fermeture précède son usage sécuritaire…
Cette interprétation est toutefois discutée par Philippe Gresset qui estime que la sécurité est
une préoccupation déjà présente au dix-neuvième siècle, même si cela était sous une forme
différente.
2. A PROPOS DU MODELE DU LOTISSEMENT PRIVE ET FERME
Concernant la période plus récente, Renaud Le Goix insiste sur la circulation internationale
des modèles d’ensembles pavillonnaires et sur le poids du marketing. On trouve des
réalisations très similaires à travers le monde, mettant en avant des valeurs très proches (lien
social local de type villageois ou communautaire, jouissance d’un cadre de vie verdoyant,
magnification de la vie familiale). En France, le discours mis en avant par les promoteurs des
“ nouveaux villages ” des années 1970 s’est pleinement inscrit dans ce cadre.
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Le développement des ensembles résidentiels privés et sécurisés est, pour Renaud Le Goix,
une déclinaison récente de ce modèle. Dans la région de Los Angeles, la question de la
sécurité n’apparaît ainsi dans les discours promotionnels que dans les années 1970 (suite aux
grandes émeutes de la fin des années 1960). Les dispositifs sécuritaires existent auparavant,
mais ne sont pas mis aussi systématiquement en avant par les promoteurs. Cette mutation est
plus tardive en France et se fait largement sous l’influence des acteurs anglo-saxons du
marché immobilier.
Accessoirement, l’adjonction de dispositifs de sécurisation au modèle de l’ensemble
pavillonnaire périurbain est aussi promue par les acteurs du marché immobilier parce qu’elle
est avantageuse financièrement : vendre autre chose qu’une maison en l’accompagnant de
services et d’équipements divers est pour les promoteurs une manière de faire de la
plus-value.
3. LES RELATIONS ENTRE LE PUBLIC ET LE PRIVE
Renaud Le Goix conteste les critiques radicales des gated communities qui voient en elles des
ferments d’une sécession urbaine. Revenant sur les cas étasuniens qu’il a étudiés, il souligne
que les lotissements clos et privés sont loin de toujours s’opposer à la puissance publique et à
l’intérêt public. D’une part, aux Etats-Unis, certaines gated communities ont été transformées
en municipalités (par le processus d’incorporation), d’autre part certaines municipalités
encouragent le développement des gated communities. En effet, les ensembles pavillonnaires
clos sont avantageux fiscalement et ceci pour deux raisons : la première est que les maisons
implantées dans ces ensembles ont généralement une valeur supérieure et garantissent donc
des rentrées fiscales plus élevées (la valeur augmente de 10 à 15 %). La seconde est que les
habitants de ces ensembles prenant à leur charge la fourniture de certains services collectifs
et la gestion de certains équipements, cela allège le budget municipal !
Sur tous ces points, la situation française n’est pas aussi éloignée qu’on pourrait le penser de
la situation étasunienne. Renaud Le Goix souligne notamment que les lois françaises venues
encadrer la procédure de lotissement dans les années 1920 visent avant tout à faire supporter
par les lotisseurs privés la production de services et d’équipements collectifs (rues, trottoirs,
éclairage, réseaux, etc…). Il souligne également que les municipalités du Chesnay et du
Vésinet étaient au départ des ensembles résidentiels privés avant de devenir, à la fin du
dix-neuvième siècle, des municipalités : il parle de “ municipalisation d’une enclave de droit
privé ”.
Sur cette distinction entre le public et le privé, une discussion a eu lieu autour de la notion de
gouvernance privée, avec notamment des interventions d’Agnès Deboulet et de Maïté Clavel.
En effet, certains défenseurs de la copropriété voient dans celle-ci une forme de démocratie
(Agnès Deboulet évoque notamment la manière dont les promoteurs vantent la copropriété
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dans la ville nouvelle du 6 octobre au Caire). Certains rapprochements entre gouvernance
privée et gouvernance publique sont troublants : après tout, les habitants d’une copropriété
élisent des représentants et les décisions sont prises sous forme de vote. Les membres de
l’assistance s’accordent cependant pour souligner les limites de ce discours. Comme le note
Renaud Le Goix, les analystes relèvent souvent que, dans la copropriété, la “ démocratie
locale ” repose sur une participation des shareholders (ceux qui possèdent des parts) et non
sur une participation de l’ensemble des stakeholders (ceux qui sont concernés par le mode de
gestion locale, propriétaires, locataires ou simples usagers…). Ainsi, le suffrage est censitaire
et le poids du vote est proportionnel aux millièmes possédés. En même temps, sur ce plan, la
démocratie communale n’est pas exempte de tous reproches : les étrangers, qui peuvent
parfois représenter plusieurs dizaines de pourcents de la population, n’ont pas le droit de vote.
De même, Eric Charmes note qu’au dix-neuvième siècle, seuls les propriétaires avaient le
droit de voter dans les communes françaises et qu’aujourd’hui, les habitants de certaines
communes périurbaines considèrent leur municipalité comme un syndic de copropriété.
Renaud Le Goix estime que ce qui distingue le mieux la copropriété de la municipalité est
l’horizon temporel de gestion. Dans un cas, on gère à court terme, dans un autre on se projette
dans un avenir plus lointain. Dans ses enquêtes récentes auprès de maires de petites
communes, Eric Charmes dit avoir fait un constat similaire et note que l’école est un élément
clé de cette projection dans un horizon temporel à moyen ou long terme (il faut gérer le
peuplement pour éviter les fermetures de classes ou, pire, la fermeture de l’école).
4. A PROPOS DES DROITS DE PASSAGE ET DE LA CONTINUITE
DES
ESPACES PUBLICS
Les trois intervenants montrent, à partir de divers exemples, la complexité des rapports entre
le public et le privé quant à la question de la libre circulation dans les rues pavillonnaires.
Renaud Le Goix évoque ainsi le cas de Magny le Hongre près d’Eurodisney. Cette
municipalité a en effet accordé dans un premier temps des permis de construire pour des
lotissements fermés avant de se rétracter (l’équipe municipal n’a pas changé entre temps). La
municipalité a ainsi négocié avec les propriétaires pour obtenir la suppression des portails à
l’entrée des ensembles pavillonnaires. Elle semble avoir été préoccupée par une excessive
fragmentation de son territoire et par la mauvaise image des ensembles pavillonnaires fermés.
Des recherches restent toutefois à mener sur ce point.
Eric Charmes souligne une logique inverse dans le cas du Grand Lyon. En effet, dans le
secteur du Grand Large (à la périphérie du Grand Lyon) de nombreux riverains demandent le
reversement de leur rue pavillonnaire dans le domaine public, principalement pour faire
supporter le coût de leur réfection par la collectivité. Seulement, l’acception du classement
dans le domaine public est soumise à d’importantes restrictions : la communauté urbaine du
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Grand Lyon estime en effet qu’une voie qui n’a d’intérêt que pour ses riverains n’a pas à faire
partie du domaine public. Résultat, les lotissements fermés se développent, les gens se
disant : “ puisque c’est notre rue, autant qu’elle soit fermée ”.
Delphine Callen évoque également deux cas très intéressants où des habitants d’ensembles
pavillonnaires de la commune de Bièvre ont tenté de supprimer le passage de personnes
extérieures. Dans les deux cas, ce passage est engendré par la présence d’espaces verts à
proximité du lotissement. Dans le premier cas, passer au travers du lotissement est le moyen
le plus rapide d’aller d’un parking à un parc. Le seul autre accès piétonnier passe par une voie
rapide dangereuse. Les habitants ont toutefois apposé une barrière à l’entrée de leur
ensemble pavillonnaire pour bloquer le passage piétonnier, jugé gênant. Il y avait une
servitude publique, mais la municipalité n’a pas réagi pendant les 10 ans qui ont suivi (la
présence
d’habitant
de
l’ensemble
pavillonnaire
dans
le
conseil
municipal
n’a
vraisemblablement pas été étrangère à cette apathie). Le résultat est qu’aujourd’hui, le parc
n’est presque plus utilisé par les non-riverains et qu’il est devenu une sorte d’extension du
domaine privé de l’ensemble pavillonnaire voisin. La situation est d’autant plus ironique que
cet ensemble pavillonnaire avait été réalisé pour financer la rénovation et la remise en état du
parc et de son château.
Le second cas évoqué par Delphine Callen est assez similaire au premier, à ceci près que la
municipalité, instruite par l’expérience précédente, a cette fois-ci fait valoir ses droits et a
réussi à préserver la servitude de passage.
Eric Charmes souligne que ces questions de droit de passage sont très fréquemment derrière
les fermetures de voies. Il évoque notamment le cas d’un projet de ligne de bus dans le
quartier du Grand Large à Meyzieu (en périphérie est de Lyon). La municipalité prévoyait en
effet de faire circuler un bus sur un circuit viaire à l’intérieur du quartier. Ce circuit devait
emprunter une voie nouvellement réalisée par des aménageurs privés. Le problème est que la
municipalité a fait circuler le bus sans attendre la rétrocession de la voie réalisée par
l’aménageur (ainsi que le prévoyait la convention ad hoc). Or le passage de ce bus a suscité la
mobilisation des riverains qui ont bloqué le processus de rétrocession et qui ont posé des plots
au milieu de la voie pour empêcher tout trafic de transit.
5. L’INSERTION DES LOTISSEMENTS PRIVES ET/OU FERMES DANS LEUR
ENVIRONNEMENT : LE ROLE DETERMINANT DE LA COMMUNE
Dans son travail sur trois communes de la vallée de la Bièvre, Delphine Callen a étudié
11 lotissements au caractère privatif marqué. Ce caractère privatif peut se manifester par des
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barrières barrant l’accès aux non-résidants (c’est le cas de 4 des lotissements étudiés), mais
pas seulement : il peut aussi être signalé par des panneaux (portant des indications de type
“ voie privée ”, “ accès réservé aux riverains ” etc.) ou par une forme d’enclavement spatial.
Ainsi, la majorité des ensembles pavillonnaires étudiés ont des limites marquées par des
obstacles naturels (forêt, rivière, retenue d’eau) ou par des infrastructures (route nationale,
voies ferrées). Concernant cet enclavement, Philippe Gresset insiste pour sa part sur
l’importance de la desserte en voies en boucle qui conduit chaque lotissement à tourner le dos
à son voisinage.
Quoi qu’il en soit, les différentes formes d’isolement associées aux ensembles pavillonnaires
étudiés ne semblent pas induire de pratiques résidentielles très distinctes. Une enquête par
questionnaire auprès des habitants de ces 11 lotissements a permis à Delphine Callen de
montrer que, pour expliquer les pratiques résidentielles, le fait de vivre dans l’un ou l’autre de
ses ensembles pavillonnaires est moins discriminant que la commune de résidence ou que les
variables socioprofessionnelles. Elle a en effet identifié 4 grands types de pratiques
résidentielles : celles qui valorisent le cadre de vie (avec notamment l’environnement social et
la proximité d’espaces verts) ; celles qui valorisent les ressources municipales ; celles des
pionniers qui se distinguent par leur présence ancienne dans leur lotissement ; celles des
acteurs, très impliqués dans la gestion de leur copropriété. Or le fait de vivre dans un
ensemble pavillonnaire fermé par une barrière ne permet pas de prévoir dans quel groupe la
personne enquêtée va se trouver. Les variables prédictives les plus puissantes sont plutôt la
commune de résidence, l’activité professionnelle ou l’âge.
D’une manière générale, plus que l’ensemble pavillonnaire, la commune apparaît comme
l’espace clé des pratiques résidentielles. Ainsi, 42 % des personnes enquêtées ont dit avoir
une activité régulière dans une association de leur commune. En même temps, les frontières
communales semblent assez étanches : seulement 8 % des personnes enquêtées ont déclaré
avoir une activité régulière dans les communes voisines.
6. A PROPOS DE LA MENACE DES GATED COMMUNITIES
Renaud Le Goix et Eric Charmes soulignent que les lotissements clos et sécurisés restent un
phénomène très minoritaire, y compris aux Etats-Unis (Renaud le Goix parle de 1,5 % du parc
de logements). L’impact politique des gated communities semble avant tout symbolique. En
réponse à une interrogation de Jean-Michel Léger sur les causes du poids politique et
médiatique des gated communities, Renaud Le Goix notent qu’elles sont de bons outils de
communication pour les journalistes et permettent de mettre efficacement en scène la crise du
lien social.
Eric Charmes note pour sa part que ces objets urbains permettent de réactiver des axes
anciens de la critique des modes de vie périurbains, notamment l’idée que le départ pour la
périphérie est l’expression d’une peur de la ville et donc d’un rejet de ce qui fait sa valeur
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civilisatrice. Le caractère privé de ces ensembles pavillonnaires permet par ailleurs de donner
une preuve concrète de l’extension de la sphère de production privée au dépend de la sphère
publique. Enfin, la sécurisation de ces ensembles serait la preuve de la généralisation de la
paranoïa sécuritaire.
Quoi qu’il en soit, les trois intervenants s’accordent à considérer qu’en France, les enjeux les
plus lourds pour le lien social, pour l’espace public urbain et pour la solidarité sociale ne sont
pas associés au développement des ensembles résidentiels sécurisés mais au
fonctionnement des petites communes périurbaines.
Eric Charmes souligne à ce propos que les communes périurbaines au sens de l’INSEE
avaient, en 1999, une population moyenne inférieure à 900 habitants. L’échelle des
communes périurbaines est donc congruente avec l’échelle résidentielle. En même temps, ces
communes mettent en place de multiples barrières pour “ sécuriser ” (au sens large du terme)
leur environnement : règlements d’usage des sols restrictifs, carte scolaire étanche, refus
d’implanter des équipements susceptibles d’attirer des personnes extérieures à la commune
pour ne pas être dérangé, etc… Même si elles sont moins visibles que des murs ou des
clôtures, ces “ barrières ” sont beaucoup plus problématiques pour le lien social.
Evoquant l’exemple de la périphérie ouest de Lyon (au-delà des limites du Grand Lyon), Eric
Charmes indique que, ni les dispositifs récents en faveur de l’intercommunalité, ni la loi SRU et
les SCOT, n’ont remis en cause ces pratiques des communes. Il semble en effet que les
communes périurbaines se sont fort bien accommodées des contraintes qui leur ont été
imposées. Les communes de l’ouest lyonnais se sont ainsi unies dans un syndicat pour porter
un SCOT dont le projet est de préserver l’identité villageoise des communes et de maintenir
les ceintures vertes sur leur pourtour.
7. UN RETOUR DU MEME ?
La discussion a également porté sur la nouveauté du comportement de ces communes.
Jean-Michel Léger se demande notamment si les tissus périurbains actuels ne vont pas
connaître le même sort que les lotissements du vingtième siècle qui ont été absorbés par la
nappe urbaine et qui sont devenus des banlieues. Eric Charmes répond en soulignant qu’un
bon nombre des communes périurbaines actuelles font tout pour se prémunir contre ce sort et
que les outils mis à leur disposition par les lois de décentralisation de 1982-83 (notamment les
règlements d’urbanisme) font qu’elles ont de bonnes chances de parvenir à leurs fins. Il y
aurait donc une rupture qualitative du fait, d’une part que les périurbains sont instruits par
l’expérience de ceux qui les ont précédés, d’autre part qu’ils ont à leur disposition des outils
que leurs prédécesseurs n’avaient pas.
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A ce propos, pour évaluer le degré de spécificité des phénomènes contemporains, il serait
intéressant de s’interroger sur les changements introduits par les lois de décentralisation.
Y-a-t’il un avant et un après dans les formes d’étalement urbain ? On peut supposer que oui,
mais cela reste à prouver et à étudier. Maïté Clavel souligne qu’il serait intéressant d’examiner
cette question à partir du rôle des DDE et de leurs interventions dans l’urbanisme périurbain.
8. LA PERIURBANITE EXISTE-T-ELLE ?
Dans son intervention, Eric Charmes discute la différence de culture entre les urbains et les
périurbains, c’est-à-dire entre ceux qui vivent dans les centres denses et ceux qui vivent dans
les périphéries pavillonnaires. Divers travaux suggèrent en effet que les périurbains ont un
rapport à la ville différent de celui des urbains. Ces derniers manifestent en effet plus
fréquemment une phobie de la foule et des ambiances urbaines (cf. Lyn Lofland). Ils semblent
préférer circuler dans des environnements contrôlés et maîtrisés. Fortes de ce constat,
certaines critiques vont jusqu’à voir dans le périurbain le négatif de l’urbain et dans la vie
périurbaine une menace pour ce qui a fondé la civilisation urbaine (et plus particulièrement
pour l’espace public, que celui-ci soit considéré dans sa version sociologique ou dans sa
version politique).
Toutefois, Eric Charmes estime que la frontière entre l’urbanité et la périurbanité n’est pas
toujours aussi nette qu’on veut bien le dire. Tout d’abord, comme l’a souligné Renaud Le Goix,
le périurbain est loin de se distinguer de l’urbain par la fermeture de ses espaces collectifs ou
par l’importance de la gestion en copropriété, bien au contraire : dans Paris intra-muros,
environ 80 % des logements sont dans une copropriété et 80 % des logements ouvrent sur des
espaces collectifs à accès contrôlé.
Ensuite, être périurbain ce n’est pas systématiquement un état permanent. Beaucoup
d’habitants du périurbain ont vécu dans des zones urbaines denses, notamment à l’occasion
de leurs études, c’est-à-dire à un moment crucial pour la formation de leurs représentations de
la société et pour la formation de leur éthos politique. De même, beaucoup de périurbains
envisagent de profiter de leur retraite en quittant leur maison et en s’installant au cœur d’une
ville (certes plutôt petite). Ces circulations résidentielles mettent en doute l’idée qu’il pourrait y
avoir une culture propre aux périurbains.
D’autre part, quand on considère l’expérience concrète de l’altérité, il est permis de se
demander si celle-ci est bien différente lorsque l’on habite en centre-ville ou en périphérie.
Mieux, dans certains cas, la comparaison peut tourner à l’avantage des périurbains. Ainsi, en
Ile-de-France, beaucoup de périurbains utilisent le RER pour se rendre sur leur lieu de travail.
De fait, les emplois restent très concentrés dans le cœur de la métropole et celui-ci est difficile
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d’accès en automobile. Or ces trajets quotidiens en RER sont bien souvent l’occasion d’une
confrontation directe avec la diversité de la société française. L’expérience est d’autant plus
marquante que, le matin dans le RER, le frottement est vigoureux ! A l’inverse, dans les
centres urbains gentrifiés, l’expérience de la diversité sociale peut sembler plus limitée.
Enfin, ce qui est souvent vu comme du repli sur l’entre-soi doit être analysé à l’aune des
pratiques de mobilité. Il y a de fait un paradoxe à parler à la fois de repli sur l’entre-soi et à
insister sur le poids fortement décroissant de l’espace proche dans la structuration de la vie
quotidienne. De fait, si les rapports à l’environnement résidentiel restent beaucoup plus forts
que ce que certains ont dit, la vie n’est plus cantonnée dans l’espace proche du domicile.
Comme la vie en dehors de l’espace résidentiel est de plus en plus complexe et de plus en
plus difficile à maîtriser (cf. la société du risque d’Ulrich Beck), on peut se demander dans
quelle mesure la recherche d’un environnement résidentiel sécurisé (au sens large du terme)
n’est pas un moyen de s’assurer une base pour la vie quotidienne. Il ne s’agit certes pas de
légitimer certaines pratiques exclusivistes, mais on peut au moins souligner que l’interprétation
en termes de repli hors de la société est un peu unilatérale.
9. LA CRITIQUE DU MODELE
Renaud Le Goix, Delphine Callen et Eric Charmes sont intervenus à partir d’enquête sur des
espaces urbains de classes moyennes à l’abri de la précarité, voire aisées. Ainsi, sur les
terrains étudiés par Delphine Callen, le revenu moyen “ par unité de consommation ” était,
d’après l’INSEE, supérieur à 20 000 € en 1999.
Lionel Rougé souligne que cela n’est pas représentatif de l’intégralité des espaces périurbains.
On trouve notamment dans le périurbain lointain des situations sociales difficiles où les
questions de contrôle de la circulation des personnes semblent bien secondaires. L’état de
crise de ces espaces est d’autant plus grand que les difficultés rencontrées par les habitants
dans leur projet d’accession à la propriété brisent un rêve. Bien souvent, ils ont cru que l’accès
à la propriété leur ouvrirait les portes de la vie pavillonnaire périurbaine vendue par les
promoteurs. Or les difficultés pour finir les travaux de leur maison, pour financer une mobilité
quotidienne qui doit obligatoirement se faire en voiture conduit ces personnes dans une
situation bien différente de celle qu’elles avaient rêvées. Le retour à la réalité est parfois très
dur, à tel point que, dans le canton de Montech (15 000 habitants, entre Toulouse et
Montauban), on a compté 6 suicides de femmes au foyer en un an. L’issue n’est pas toujours
aussi dramatique, mais on est bien loin de l’image usuelle du périurbain.
On peut alors parler d’un enfermement résidentiel, mais dans un sens bien différent de celui
évoqué jusqu’ici, notamment parce que cet enfermement n’est pas voulu, mais subi. Cet
enfermement là se traduit notamment par une poussée des votes protestataires et, plus
particulièrement, des votes en faveur de l’extrême-droite.
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Renaud Le Goix souligne que ces phénomènes sont aussi très présents aux Etats-Unis. Eric
Charmes pour sa part s’interroge sur l’évolution des lotissements actuellement en difficultés.
Après tout, beaucoup des lotissements du début du vingtième siècle ont connu d’importantes
difficultés à leurs débuts (cf. le mouvement des mal-lotis étudié par Annie Fourcaut). Or,
aujourd’hui, ces lotissements sont loin d’être en déshérence.
INDICATIONS BIBLIOGRAPHIQUES
Samuel Arlaud, Yves Jean, Dominique Royoux (dir.), Rural-urbain, Rennes, PUF de Rennes,
2006
Gérald Billard, Jacques Chevalier et François Madoré, Ville fermée, ville surveillée. La
sécurisation des espaces résidentiels en France et en Amérique du Nord, Presses
Universitaires de Rennes, 2005
Eric Charmes, La vie périurbaine face à la menace des gated communities, Paris,
L’Harmattan, 2005
Esprit, dossier “ Quand la ville se défait ”, n° 258, novembre 1999, p. 83-189
Marie-Christine Jaillet, Lydiane Brevard & Lionel Rouge, “ Le Périurbain, terrain d’aventure
politique pour les classes moyennes ”, Pouvoirs locaux, n° 56, 2003, p. 25-29
Renaud Le Goix, Les “ gated communities ” aux Etats-Unis, morceaux de villes ou territoires à
part entière ?, Thèse de doctorat, Université Paris 1, 2003
Renaud Le Goix. “ La dimension territoriale de la séparation sociale dans les gated
communities en Californie du Sud ”, L'Information Géographique, n° 69, Décembre 2005,
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Renaud Le Goix. "Gated communities as predators of public resources: the outcomes of fading
boundaries between private management and public authorities in Southern California." In
Private Neighbourhoods: Global and local perspectives, edited by Georg Glazse, Chris
Webster and Klauz Frantz, Routledge, Taylor and Francis, 2005.
Renaud Le Goix et Delphine Callen, “ Fermetures et “ entre-soi ” dans les enclaves
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inscriptions locales des lotissements privés ”, in T. Saint-Julien et Renaud Le Goix, Paris,
Belin, 2006, à paraître
Philippe Gresset, “ La modernité pittoresque de la maison ”, in Luc Baboulet (dir.), Le Paris des
maisons, Paris, L’Arsenal/Picard, 2004, p. 91-102.
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Philippe Gresset, “ Naissance des lotissements-parcs ”, in Hameaux, villas et cités de Paris,
Action artistique de la Ville de Paris, 1998, p. 33-43.
Philippe Gresset, “ Les banlieues doivent-elles disparaître ? ”, Les Cahiers de la recherche
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Philippe Gresset, “ Tentative d’un lieu mystérieux : l’architectonographie du Hameau Boileau ”,
in Le sens du lieu, Bruxelles, Ed ; Ousia, 1996, p. 349-383.
Philippe Gresset, “ Description de formations urbaines, objets et processus ”, Architecture et
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Philippe Gresset, “ Limites paradoxales et effets de texture à Paris ”, in Urban Edges. Margini
urbani. Limites urbaines, Florence, Alinea, 1992, p. 28-33.
Vincent Hervouet, La périurbanisation dans la métropole nantaise. De nouvelles mobilités pour
de nouveaux lieux d'urbanité ?, Thèse de doctorat sous la direction de J-P. Peyon, Université
de Nantes, 2005
Françoise Navez-Bouchanine (dir.), Intervenir dans les territoires à urbanisation diffuse", La
Tour d’Aigues, Ed. de l'Aube, 2005
Oscar Newman, Defensible Space: Crime Prevention Through Urban Design, 1972, voir :
http://www.defensiblespace.com/start.htm
Lionel Rougé, Les “ captifs ” du périurbain ?, Thèse de doctorat sous la direction de
M-C. Jaillet et J-P. Laborie, CIRUS-Cieu, Université Toulouse-Le Mirail, 2005
A signaler :
La thèse en cours de Céline Vendé (Doctorante à l’Ecole doctorale de géographie de Paris,
Laboratoire Espace et Culture, Chargée d’enseignement à l’Université d’Evry Val d’Essonne)
sur les lotissements pavillonnaires privés et sécurisés de l’Ile-de-France (avec quelques
incursions dans des villes telles que Nantes).
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