BONNER Michael, Le jihad origines, interprétations, combats

BONNER Michael, Le jihad origines, interprétations, combats
Traduit de l'anglais par Alix Barreau
Publié avec le concours de
l'institut d'Études
de l'Islam et des Sociétés du Monde Musulman
(EHESS) Téraèdre
48 rue Sainte-croixde-la Bretonnerie 75004 Paris
ivrage est complété et mis à jour sur le site www.teraedre.fr
CHAPITRE 2
29
le Coran et l'Arabie
Le Coran a toujours été la source d'inspiration la plus importante
jour la doctrine, comme pour la pratique, du jihad ; elle n'est
cependant pas la seule. Limité dans son nombre de pages, mais
non dans les thèmes qu'il aborde, le Livre ne peut pas apporter
de réponse à la myriade de situations que les hommes peuvent
rencontrer au fil des générations. Lorsque l'on tente de compiler
tous les passages du Coran traitant de la guerre ou du jihad, on
est alors confronté à des contradictions apparentes, ou au moins
à des différences d'importance. Pour sortir de l'impasse dans
laquelle nous placent ces contradictions, il faut interpréter le
texte, c'est-à-dire le lire en fonction de principes et de sources
qui lui sont
I:,. le coran et l'Arabie 29
30-31
extérieurs. De plus, même si le Coran comprend toute une série
de courts récits, on n'y trouve pas de narrations consécutives
relatant l'histoire de la première communauté musulmane ou de
son prophète. Notons toutefois que nous nous trouvons face à
un point controversé'2. Cependant, il ne fait aucun doute que les
récits à travers lesquels on a perçu le Coran se trouvent dans
d'autres ouvrages (que nous décrirons dans le chapitre suivant).
Car la communauté islamique a, depuis sa création, beaucoup
aimé les histoires, et pour de nombreuses raisons, tant politiques
que légales, rhétoriques, morales ou émotionnelles, elle a
éprouvé un besoin de se référer à ces récits des origines que le
Livre ne lui apportait pas. La communauté a trouvé ces récits
sur elle-même dans plusieurs genres d'écriture arabes : maghâzi
(campagnes), sera (biographie du Prophète), tafsîr (exégèse
coranique), hadîth (narrations à la force normative des paroles et
des actes attribués au Prophète et à ses compagnons), et akhbâr
(récits historiques en général). Ces écrits, tels qu'ils nous ont été
transmis, sont tous de date plus récente que le Coran lui-même.
Dans ce chapitre, nous identifierons deux manières différentes
d'aborder les passages du Coran traitant de la guerre et du jihad.
La première est la plus répandue parmi les spécialistes
modernes, tant occidentaux que musulmans. Elle consiste à
comparer et à memeen corrélation ces extraits du Coran traitant
de la guerre et du jihad avec les récits sur les premières
communautés musulmanes et lems guerres, que l'on trouve dans
les ouvrages maghâzi et sîra tk eurs types d'analyses peuvent
s'appliquer, et un nouveau récit, püs scientifique, se trouve mis
au jour. La seconde approche impïque la mise de côté de la
narration séquentielle, et la rechen dans le texte du Coran de
schémas et de structures qui
" WF'141. ions M., Muhummad's Mecca: Nismry in lhe Qur'nn,
Edimbourg, Edinhnruugh U P_, d[ippL,, Andrew,.
Muhammad in the Quran 'in Mutzki, Harald (dicl, Thc
Biog4llimnmad: The issue af the Sources, Leyde, BUll, sono, p.
ags- so.
réflètent ou constituent des doctrines cohérentes, des souri
motivation, et des visions du monde. Chacune de ces deux d
ches a ses forces et ses faiblesses.
LE COMBAT DANS LE CORAN
Notons tout d'abord que le mot jihad n'apparaît pas le Coran
sous la forme que nous lui connaissons, mais qui racines et son
sens y sont déjà clairement exprimés. Notons également que le
Coran est, dans le dogme musulman et dans l'u courant,
littéralement « la parole de Dieu », telle qu'elle fut ti mise au
monde par l'intermédiaire de Muhammad (mort en I Message le
plus complet, le plus direct, mais aussi message ul que
l'humanité ait reçu de son créateur, le Coran est la so première
de la loi divine islamique. Enfin, notons que le C historique, le
livre qui est aujourd'hui à notre disposition, e sultat d'un
processus complexe de compilation et de rédac Ce processus est
depuis toujours l'objet de dissensions entre spécialistes, mais
selon la théorie la plus répandue, il était achevé, ou presque, à la
fin du règne du calife `Uthmân en 6' Les principes de
compilation de ce qu'on appelle parfois la « gate 'uthmanienne »
ne nous sont pas tous connus, Les ver souvent digés en prose
rimée et non en poésie, sont réparti sourates, ou chapitres. Leur
ordre ne présente pas toujours de que clairement appréciable.
Quoi qu'il en soit, ils n'apparais certainement pas selon l'ordre
dans lequel on pense qu'ils on révélés à Muhammad, lorsqu'il
était prophète à La Mecque
610-622) puis à Médine (622-632).
Une des fonctions traditionnelles de l'exégèse coranique i
d'établir un ordre chronologique entre les versets. Cela impli en
premier lieu, de les replacer dans l'histoire de la prem
'3 pour un traitement plus nuancée[ détaillé, voir : de Prémare,
Alfred Louis, Aux origines du Coron, Paris, Téraédre, 2004.
yo I Iejü le Coran et %'A
32-33
communauté musulmane et de son Prophète, telle que celle-ci
est parvenue jusqu'à nous grâce aux sources extra-coraniques
des maghâzi et de la rira. À mesure que ce travail a avancé, il a
finalement constitué le sous-genre exégétique asbâb al-nuzûl, «
les circonstances de la révélation ». Mais il a toujours eu plus
qu'une simple signification narrative. Dans la mesure le
Coran est la source primaire de nos connaissances de la loi
divine, ou shah a, les juristes et les hommes de loi doivent
affronter et tenter de résoudre ses contradictions apparentes. Un
de leurs outils intellectuels a été la doctrine de l'abrogation, pour
laquelle ils se sont appuyés sur une chronologie des récits assez
développée. Les récits peuvent par exemple raconter comment
Dieu a révélé tel enseignement à Muhammad. Cet enseignement
est alors relaté dans un ou plusieurs versets qui, plus tard, durant
la compilation du Coran, furent inclus dans les cent quatorze
sourates du Livre. Des années après, dans des circonstances
différentes pour Muhammad, Dieu lui a envoyé une autre
révélation, apportant un commandement différent du précédent,
remplaçant et annulant ainsi celui-ci. Cette révélation fut ensuite
incluse dans le Livre, par le même procédé que la première.
L'emplacement des deux révélations dans le texte importe peu.
Ce qui importe est leur place dans le déroulement chronologique
de la vie de Muhammad. Ainsi, lorsque deux révélations, ou
plusieurs, entrent en contradiction, la seconde, parce que plus
récente, évince la première.
Malgré tous leurs traités sur l'abrogation, les juristes ont eu
constamment besoin de se référer à des sources extérieures au
Coran, que celles-ci prennent la forme de récits ou non. En effet,
aucune chronologie parfaite, relative ou absolue, n'est parvenue
à s'imposer définitivement, ou même ne le pourrait; une telle
entreprise est condamnée à s'enliser dans des difficultés d'inter-
prétation et de détails. Cependant, ceux qui ont puisé dans le
texte divin leur inspiration, auteurs et conteurs de récits,
prêcheurs, recruteurs pour l'armée, adorateurs solitaires, n'ont
certainement
pas conçu leur Livre comme un amalgame de doctrines mutuel
ment opposées, chacune en annulant une autre.
Dans cette perspective, la guerre et le jihad dans le Cor;
constituent un point délicat. En effet, un nombre considérable
thèmes renvoyant à la guerre et au jihad apparaissent dans le
Cora et semblent, à première vue, difficiles à réconcilier les uns
avec h autres. Une étude récente'4 peut nous aider à identifier
certains c ces thèmes. (i) Les injonctions à l'auto-restriction et à
la patient (sabr) pour répandre la foi, et l'application de
sanctions en rappo avec les dommages subisrs. (a) La
permission de s'engager dans guerre défensive i6. (3) La
permission de mener la guerre offensiv niais dans certaines
limites, notamment celles du « mois sacré
de la « mosquée sacrée », à moins que l'ennemi n'ait déjà violé a
limites'7. (4) La levée de certaines restrictions, comme dans le
cél bre « verset de l'épée » i8. (5) La patience avec les « Gens du
Livre c'est-à-dire les juifs et les chrétiens. (6) L'abandon de cette
patient accompagnée d'une obligation de soumettre ces
peuples~9. (7) Di signes de tensions internes et une réticence à
se battre : « Le cor bat vous est prescrit et vous l'avez en
aversion. »20
La façon de procéder la plus courante chez les juristes, L
historiens, les prêcheurs et les autres, a été de mettre ces thèm
en corrélation, en une séquence plus ou moins semblable à ce]
que l'on vient de présenter, avec un récit chronologique dérii de
la sîra, des maghâzi et d'autres textes. Le résultat est convai tant.
Au départ, Muhammad et sa communauté de La Mecqt en
position de faiblesse, ont évité de recourir à la violence, sa.
14 Firestone, Reuven, Jihad: the Origins of Holy War in Islam,
Oxford, Oxford U. P.1999.
15 Coran 16: 125-128 Nahl
16 Coran 22:39-41 Hajj
17 Caran 2 : 194, 2 : 217 Baqara
18 Coran 9' 5 (Tnwbu).
19 Coran 9 : 29 (Tarvbo).
20 Coran 2: 216 (Baqara), et une grande partie de la Suurate 9
(Tmvba).
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