La responsabilité catholique devant quatre hérésies (II).
Les facteurs que je viens de citer, entre autres du dérèglement des esprits
modernes, sont la cause de la résurgence de toutes les hérésies. Je crois donc
que les catholiques ne pourront sortir de leur désarroi actuel qu'en étudiant
très sérieusement les systèmes hérétiques qui les menacent. En devenant
conscients de la manoeuvre de leurs adversaires, ils pourront alors les
combattre vigoureusement, chacun à leur poste, jusqu'à ce que la hiérarchie se
réveille de ses songes et reprenne contact avec les réalités.
Examinons ensemble quelques unes des hérésies modernes qui ont toutes
pour origine un orgueil incommensurable et auxquelles s'applique cette
déclaration de sa sainteté Pie IX dès 1846 dans son encyclique «De pluribus»
:
«Ces ennemis de la révélation divine exaltent le progrès humain et prétendent
avec témérité et une audace sacrilège, l'introduire dans la religion catholique,
comme si cette religion n'était pas l'oeuvre de Dieu, mais l'oeuvre des
hommes, une invention philosophique quelconque, susceptible de
perfectionnements humains».
Nous allons maintenant analyser :
A l'anthropologie transcendantale.
B le modernisme.
C le marxisme.
D le protestantisme.
A L'anthropologie transcendantale.
Un des hommes qui a eu une influence déterminante au moment du Concile et
depuis le Concile est le Père Karl Rahner, de la Compagnie de Jésus. Il est le
philosophe et le théologien de prédilection du Cardinal Suenens.
Karl Rahner, dit Marcel de Corte, a compris que l'entreprise de modernisation
de la foi catholique que le modernisme avait compromise, ne pouvait être
menée à bonne fin sans la conversion intellectuelle des théologiens
catholiques aux exigences de la pensée philosophique moderne et en
particulier à l'anthropologie transcendantale, c'est-à-dire la science qui, en
dehors de l'expérience de n'importe quelle réalité, s'acquiert par la prise de
conscience que l'homme a de lui-même.
Ainsi Rahner, disciple d'Heideger, croit-il que l'homme est doté d'un pouvoir
de se dépasser soi-même en se créant et de dépasser le monde extérieur en lui
conférant le sens auquel il doit se soumettre.
La vérité scientifique ou théologique ne se définit plus par la conformité de
l'intelligence à la réalité mais au contraire par l'adaptation de la réalité au
dynamisme de l'esprit avide de lui donner un sens.
Il s'en suit que tout ce qui n'est pas en harmonie avec "la réflexion
transcendantale" du sujet sur sa compréhension de la Parole et de la
Révélation n'est ni vrai ni faux. Si rien n'est connu qu'en fonction de
l'expérience réflexive, ce qui ne rentre pas dans ce cadre reste inconçu (non-
conçu ???), hors des prises de la connaissance.
La Parole de Dieu, loin de nourrir le discours théologique, n'est que l'occasion
de réfléchir d'abord et essentiellement aux conditions de possibilité de son
accueil. Ainsi le catéchisme hollandais se demandera comment un esprit
moderne peut accepter le dogme duché originel ou la conception virginale
de Marie.
Dans la perspective de Rahner et de ses amis, l'anthropologie transcendantale
les contraint à remodeler complètement l'Evangile, la tradition, l'Eglise, en les
adaptant aux exigences de leurs subjectivités, celles-ci se fardant des
exigences sociologiques de l'esprit moderne.
Le philosophe et le théologien ne se soumettent plus à la parole de Dieu, ils se
la soumettent. C'est le modernisme à l'état pur, tel que l'encyclique
«Pascendi» l'a défini.
Rahner reprend l'entreprise qui a toujours tenté le philosophe ou le théologien
catholique, d'obtenir l'audience des penseurs dits modernes. On ne dira jamais
assez combien la conquête des esprits à la foi catholique s'est accompagné
d'entorses infligées aux vérités dont l'Eglise a le dépôt et combien la notion
d'efficacité a supplanté celle de vérité.
Pour Rahner et ses amis, il importe d'épouser le monde et de lui montrer qu'il
trouve en l'Eglise catholique les principes capables de s'accorder aux siens et
de les justifier au niveau surnaturel. Rahner et son équipe ont préparé ainsi la
décision du Concile d'ouvrir l'Eglise au monde en expliquant à celui-ci qu'il
requiert, pour être vraiment lui-même, la présence à ses côtés de l'Eglise
"experte en humanité".
B Le modernisme.
Comme nous l'avons dit, Rahner, inspirateur du Concile est, en fait, un
moderniste. Il nous paraît donc nécessaire de rappeler ce qu'est le modernisme
et sa condamnation par Saint Pie X.
La lecture de l'encyclique «Pascendi» est véritablement passionnante. La
clarté de l'exposé et de ses définitions philosophiques et théologiques est
stupéfiante. Je vous engage vivement à en prendre connaissance, car l'hérésie
moderniste n'a fait que se développer au cours de ces dernières années.
Les modernistes ont pour base de leur philosophie religieuse l'agnosticisme.
Qu'est-ce donc que l'agnosticisme ?
La raison humaine enfermée rigoureusement dans le cercle des phénomènes,
c'est-à-dire des choses qui apparaissent et telles précisément qu'elles
apparaissent, n'a pas la faculté d'en franchir les limites; elle n'est donc pas
capable de s'élever jusqu'à Dieu, non pas même pour en connaître l'existence
par le moyen des créatures.
Les modernistes en infèrent que Dieu n'est point objet direct de science. Or
Vatican I a décrété ce qui suit :
«Si quelqu'un dit que la révélation divine ne peut être rendue croyable par les
signes extérieurs et que ce n'est donc que par l'expérience individuelle ou par
l'inspiration privée que les hommes sont menés à la Foi, qu'il soit anathème»
Le deuxième aspect du modernisme est ce qu'on appelle l'immanence vitale.
Et voici ce que les modernistes entendent par là :
Tout accès à la révélation divine étant fermé par le rejet des motifs de
crédibilité, tout révélation extérieure abolie, l'explication de la religion ne doit
pas être cherchée hors de l'homme. C'est dans l'homme qu'elle se trouve et
comme la religion est une forme de vie, dans la vie même de l'homme. La
religion a donc pour premier stimulant une nécessité, un besoin; pour
première manifestation, ce mouvement du coeur appelé sentiment.
Il s'en suit, puisque l'objet de la religion est Dieu, que la Foi, principe et
fondement de toute religion, réside dans un certain sentiment interne,
engendré lui-même par le besoin du divin. Mais ce sentiment ne se
rencontrant que dans certaines rencontres déterminées et favorables,
n'appartient pas de soi au domaine de la conscience, mais au subconscient.
Le sentiment religieux qui jaillit ainsi "par immanence vitale" des profondeurs
de la subconscience est le germe de toute religion. Ainsi naquirent toutes les
religions; elles ne sont que les efflorescences de ce sentiment.
Les modernistes tiennent donc pour vraies toutes les religions. Le berceau de
la religion catholique, disent-ils, fut la conscience de Jésus-Christ. Elle est
née en Lui en vertu des principes de l'immanence vitale. En l'homme qui est
sus-Christ, aussi bien qu'en nous, notre religion n'est autre chose qu'un fruit
propre et spontané de la nature.
Comme l'absolu, ajoutent les modernistes, qui est l'objet de ce sentiment, a
des aspects infinis sous lesquels il peut successivement apparaître; comme le
croyant, d'autre part, peut passer successivement sous des conditions fort
dissemblables, il s'ensuit que les formules dogmatiques sont soumises à ces
mêmes vicissitudes et, partant, sujettes à mutation.
Evoluer, changer, non seulement le dogme le peut, il le doit. C'est ce que les
modernistes affirment hautement.
Les modernistes, ayant posé ce principe général que dans une religion
vivante, il n'est rien qui ne soit variable, passent à ce que l'on peut regarder
comme le point capital de leur système : savoir d'évolution.
Commune à tous les hommes et obscure fut la forme primitive de la Foi. Elle
progressa ensuite, et ce fut non par adjonction de nouvelles formes venues du
dehors, mais par pénétration croissante du sentiment religieux dans la
conscience.
D'après les modernistes, le progrès du dogme est dû à un effort perpétuel pour
pénétrer toujours plus profondément ses propres mystères. Ainsi est-il arrivé,
pour nous borner à un seul exemple, que ce quelque chose de divin que la foi
reconnaissait en Jésus-Christ, elle soit allé l'élevant et l'élargissant peu à peu
et par degrés, jusqu'à ce que, de lui, finalement, elle ait fait un Dieu.
Les facteurs de l'évolution du culte et de l'Eglise sont les nécessités
d'adaptation aux modes de vies populaires et d'harmonisation avec les formes
des sociétés civiles.
Enfin, l'évolution est la résultante des forces de progrès contre la force de
conservation, celle-ci résidant dans la tradition appuyée par l'autorité de
l'Eglise, tandis que la force progressive est celle qui fermente dans les
consciences individuelles et surtout dans celles qui sont en contact plus intime
avec la vie. Ainsi, souligne Pie X :
«les modernistes mettent-ils la force du progrès en dehors de la hiérarchie et
l'on voit poindre ici cette doctrine pernicieuse qui veut faire des laïcs dans
l'Eglise un facteur de progrès»
A propos du modernisme, je voudrais encore souligner deux points :
1 La Foi, d'après les modernistes, doit être subordone à la science. D'où
cette maxime que l'évolution religieuse doit se coordonner à l'évolution
intellectuelle et morale.
En vertu de leur principe que la science ne relève à aucun titre de la foi, ils
affichent en mille manières, sur les traces de Luther, leur mépris des
enseignements des Saints Pères, des Conciles et des magistères
ecclésiastiques.
Réprimandés, ils jettent les hauts cris, se plaignant amèrement qu'on viole leur
liberté.
2 L'autorité dans l'Eglise.
L'Eglise, d'après les modernistes, est née d'un double besoin : celui
qu'éprouve tout fidèle s'il a eu quelque expérience originale, de communiquer
sa foi; ensuite, quand la foi est devenue commune, ou, comme on dit,
collective (ceci a été écrit en 1907) du besoin de s'organiser en société.
L'Eglise est donc le fruit de la conscience collective, autrement dit de la
collection des consciences individuelles.
Aux temps passés, disent les modernistes, c'était une erreur commune que
l'autorité fut venue à l'Eglise du dehors, savoir de Dieu immédiatement.
D'après eux, de même que l'Eglise est une émanation vitale de la conscience
collective, ainsi la conscience religieuse est-elle le principe d'où l'autorité
procède et l'Eglise en dépend.
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