La contribution de la section régionale de Nantes de l`APPEP à l

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À propos du nouveau projet Fichant de programme de philosophie
La section régionale de Nantes de l’A.P.P.E.P. s’est réunie en Assemblée générale
le 4 décembre 2002 pour examiner le nouveau projet de programme de philosophie pour
les classes terminales des lycées proposé par le Groupe d’Experts présidé par Michel
Fichant.
Il résulte de nos débats, soucieux à la fois des principes de l’enseignement
philosophique et de son effectuation dans nos classes, un accord global avec l’esprit de ce
projet, assorti cependant de réserves partielles pour ce qui est de sa lettre.
La “ Présentation ” en est tout particulièrement appréciée en ce qu’elle fonde
l’enseignement de la philosophie sur l’essence réflexive et la finalité critique de la
philosophie elle-même (en rupture radicale avec l’idéologie civiliste de l’actuel programme
Renaut qui appelle à l’adaptation à l’esprit de notre temps “ démocratique ”). Cette
présentation tire légitimement de ce principe, qui satisfait ici à la fois aux exigences de
rigueur formelle et de contenu culturel, le choix d’un programme de notions et d’auteurs, qui
n’exclut aucun recours à quelque positivité que ce soit ni surtout n’en impose aucune de façon
arbitraire car partisane (contrairement au programme Renaut, qui le fait par la médiation de
ses “ Questions d’approfondissement ” -seulement suspendues pour l’année en cours- et
nombre de ses couples obligatoires de notions).
La structure proposée pour la présentation des “ Notions et repères ” est jugée
acceptable en ce qu’elle propose une résolution bienvenue de la quadrature du cercle
(commandée par la mission confiée au G.E. Fichant par la lettre ministérielle du 12 juin
dernier) de la conciliation de la détermination du contenu enseigné et de la liberté
philosophique et pédagogique du professeur dans la transmission de ce contenu, ce par la
médiation de la détermination interne de notre enseignement en référence à l’opérativité
conceptuelle exigible de tout discours philosophique (comme le proposent les “ repères ” de la
troisième colonne, dont l’esprit fait, pour cette raison même, l’objet d’une acceptation quasi
unanime).
Si la distinction entre des notions déterminant des “ champs de problèmes ”
(première colonne) et des notions désignant des objets qui balisent le parcours de chacun
des champs proposés est acceptée dans son principe même, la distinction et l’articulation
de ces notions-problèmes et de ces notions-objets sont l’occasion de réserves plus ou
moins importantes. Si la complétude encyclopédique (des problèmes et non des objets, et
encore moins des doctrines qui en traitent) et la cohérence architectonique sont bien les deux
conditions fondamentales requises du traitement philosophique de tout objet (et donc du tout
de l’Être ici), les cinq “ champs de problèmes ” proposés dans la première colonne ne
semblent pas y satisfaire réellement puisque s’y trouvent mis sur le même plan de
détermination des notions-objets (comme “ La société ”, qui pourrait être avantageusement
remplacée ici par “ La politique ”) et de véritables “ champs de problèmes ” (comme “ La
connaissance et la raison ”), et qu’en sont absents des méta-objets problématiques comme la
métaphysique et la philosophie elle-même, qui ne figurent nulle part dans ce projet (ce qui
peut faire penser qu’il relève, lui aussi, d’une volonté, plus ou moins aperçue et donc assumée
comme telle, de “ sortie de la métaphysique ”). À cet égard, est regrettée la disparition de la
tripartition du champ problématique de la philosophie et de son enseignement dont le
programme de 1973 nous a instruits autant que nos élèves et qui est héritée de la tradition
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philosophique la plus constante : “ L’homme et le monde ” (l’homme est-il plutôt dans le
monde ou face au monde ?), “ La connaissance et la raison ” (la connaissance est-elle tout
entière d’ordre rationnel et la raison d’ordre scientifique ?) et “ La pratique et les fins ” (toute
action est-elle ordonnée à des fins et, si oui, lesquelles et sont-elles visées consciemment et
volontairement ou non ?). Aucune considération tactique (comme celle de changer quelque
chose d’ordre sémantique pour agréer à la demande de réforme) ne nous paraît devoir nous
faire renoncer à la double exigence de complétude et de cohérence en cause ici, ce pourquoi
nous demandons au G.E. Fichant de se pencher à nouveau sur cette première colonne.
La deuxième colonne ne présente aucune difficulté dans son principe, pourvu que
l’on veille bien à l’articulation de ses notions-objets aux notions-problèmes de la
première colonne, et que la liberté du professeur soit effectivement non seulement
reconnue mais aussi sollicitée pour ce qui est de cette articulation dans son cours
(comme cela est bien précisé dans la présentation). Des questions demeurent cependant
quant au choix de certaines notions : pourquoi “ La perception ” et “ La responsabilité ”,
aisément subsumables sous certaines des autres notions retenues, et pourquoi pas “ L’idée ” et
“ Le jugement ” (alors que ces notions semblent être essentielles à la réflexivité exigible du
discours philosophique ou, en tout cas, de son enseignement) ? La question se pose aussi de la
subsomption de certaines notions-objets sous les notions-problèmes qu’on leur fait
correspondre : pourquoi “ Le vivant ” et “ La matière et l’esprit ” sont-ils rangés sous “ La
connaissance et la raison ” alors que leurs objets sont d’évidence d’ordre ontologique et non
pas épistémologique ? Ces questions n’étant pas réductibles aux inévitables conflits que
soulève le choix ou l’éviction de telle ou telle notion, mais relevant bien de l’exigence d’une
certaine cohérence interne du programme qui sera finalement retenu, nous demandons aux
collègues du G.E. de se repencher un peu sur cette deuxième colonne aussi. Reste la demande
assez souvent exprimée d’un véritable allégement quantitatif des notions, essentiellement dans
les séries E.S. et S., qui semblent être ici trop chargées comparativement à la série L., pour
laquelle le nombre de notions paraît acceptable.
Pour ce qui est de la troisième colonne, l’acceptation quasi unanime de son
principe (et même de sa lettre, à quelques exceptions près que chaque professeur pourra
rectifier s’il le juge utile), repose sur la thèse selon laquelle, pour permettre à ses élèves
d’accéder à la rigueur exigible du discours philosophique, le professeur doit lui-même, dans
son cours, non seulement dire ce qu’il dit en faisant ce qu’il fait mais aussi dire ce qu’il fait,
en thématisant et problématisant les distinctions opératoires qu’il emploie (sans aller jusqu’à
les traiter en et pour elles-mêmes, en dehors de toute référence à un contenu autre
qu’elles-mêmes) et, bien entendu, faire ce qu’il dit, en les mettant effectivement en œuvre
dans la préparation et l’effectuation de son cours. Les éventuelles objections à l’encontre de
cette troisième colonne (comme les risques du traitement séparé de ces “ repères ” et du choix
de sujets de baccalauréat qui en feraient leur seul objet) nous semblent être expressément
désamorcées par la lettre même de la présentation de ce programme (contrairement à l’actuel
programme Renaut qui fait de l’apprentissage de la démarche philosophique une partie à part
entière, de dignité égale aux autres parties de ce programme, ce qui est propice à l’apparition
de nouveaux sujets d’examen d’ordre purement méthodologique, éventualité particulièrement
dommageable en ce qu’elle conduirait inévitablement à la fragmentation du cours du
professeur et des travaux de ses élèves en “ séquences ” d’apprentissage et de restitution de
telle ou telle procédure d’argumentation dont la séparation d’avec tout contenu effectivement
traité ne pourrait mener qu’à une pratique discursive de type rhétorique).
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Notre débat ne s’est pas trop attardé sur la liste des auteurs, sinon pour nous
rappeler la nécessité de faire référence à des œuvres, non pour informer les élèves de leur
existence et de leur lettre mais bien pour en faire l’occasion et même le modèle d’une libre
pensée s’instruisant de leurs démarches et contenus. La nécessité de l’astérisque est encore
discutée, notamment quand il est accordé à des auteurs comme Wittgenstein, dont on peut
douter (quoi qu’on pense par ailleurs de la qualité de son propos) de l’urgence pédagogique
pour ce qui est d’un enseignement vraiment réflexif de la philosophie en classe de terminale.
Enfin, le point trois : “ Apprentissage de la réflexion philosophique ” est
considéré comme étant tout à fait bienvenu en ce qu’il rappelle (comme le précédent
projet Fichant) que “ Les formes de discours écrit les plus appropriées pour évaluer le
travail des élèves en philosophie sont la dissertation et l’explication de texte ”. Nous
approuvons l’insistance de ce projet sur la formation des élèves à un exercice libre et donc
responsable de la faculté de juger qui soit aussi soucieux de rigueur formelle que de contenu
culturel, d’élaboration et d’articulation des idées que de leur illustration en référence aux faits,
au monde lui-même dans lequel la philosophie doit nous permettre de nous orienter, ce qui
exige qu’on évite à la fois de le mépriser et de le sanctifier. Notre débat s’est terminé sur deux
points dont nous regrettons que ce projet ne les précise pas : la dissertation ne doit-elle pas
comporter, pour être d’ordre réellement réflexif, l’exigence de reconstruction et de
confrontation (de dialogue donc) des principales thèses logiquement (et non pas
doxographiquement) en présence à propos de l’objet traité (sous peine de demeurer de l’ordre
d’un monologue, même bien “ argumenté ”, c’est-à-dire, finalement, d’un essai) ? Ne
vaudrait-il pas mieux dire “ étude de texte ” plutôt que “ explication de texte ”, pour ne pas
réduire le traitement philosophique du texte proposé à une simple explicitation interne qui
n’ouvrirait pas la voie à un commentaire qui tâche d’en examiner la démarche et la thèse,
c’est-à-dire de les évaluer et donc de les juger, comme cela semble devoir être le cas dans le
cadre d’un enseignement philosophique à finalité réellement critique ? À cet égard, le récent
changement de la consigne du troisième sujet du baccalauréat nous inquiète en ce qu’elle
paraît désormais appeler l’élève à demeurer dans le cadre de la seule explication du texte à
étudier.
Nous tenons à remercier les collègues des deux Groupes successivement présidés
par Michel Fichant pour avoir entendu l’essentiel de nos demandes, qui témoignent de
nos pratiques d’enseignement, qui ont déjà beaucoup évolué pour satisfaire aux exigences de
démocratisation, contrairement à ce que prétendent ceux qui se donnent aujourd’hui
l’avantage de vouloir tout changer sous prétexte que plus rien ne se ferait de sérieux, voire ne
serait plus du tout faisable comme avant, étant donné “ les nouveaux publics d’élèves ” (il
faudrait, pour le moins, se demander à qui incombe la responsabilité d’une telle situation s’il
s’avérait que nous en sommes effectivement rendus là). Ce n’est en tout cas pas dans le cadre
de l’actuel programme Renaut et du vide juridique maintenu par Luc Ferry (suite à l’arrêté du
mois de septembre du Conseil d’État qui annule le programme Renaut) que l’on peut espérer
améliorer les conditions de possibilité et d’effectivité de l’enseignement philosophique. Aussi
demandons-nous à Monsieur Fichant, lorsqu’il remettra ce nouveau projet à notre
ministre, d’assurer celui-ci de notre entière détermination à le faire aboutir contre le
coup de force permanent de nos ministres successifs depuis près de quatre ans
maintenant que dure cette histoire du changement de programme de philosophie.
Contact : Joël Gaubert ; 15, route du Drouillet ; 44120 Vertou ; 02 40 33 06 51 ;
[email protected]
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