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dans l’éducation de tout ou partie des générations nouvelles. Les programmes ne
sont que la cristallisation provisoire et partielle des représentations dominantes à un
moment donné, alors même qu’une partie du corps enseignant et des forces sociales
mènent des combats d’arrière-garde pour restaurer les finalités anciennes et que les
partisans de la modernité se situent déjà au delà des textes et en infléchissent
l’interprétation.
L’approche historique de Viviane Isambert-Jamati montre mieux que toute
formulation abstraite que la partie la plus officielle du curriculum formel émerge
d’un affrontement permanent de représentations enracinées dans les pratiques des
professionnels et les stratégies des groupes sociaux et des corps enseignants, à partir
d’un état donné des savoirs et de l’organisation scolaires.
Le premier article, “ La rigidité d’une institution : structure scolaire et système de
valeurs ” cherche à expliquer la permanence des lycées par delà les transformations
majeures du système éducatif depuis le 19e siècle. On voit les efforts d’une
administration et d’un corps enseignant préexistant à l’unification du système lutter
pour préserver une identité en dépit de l’instauration d’un enseignement primaire
unique (suppression des petites classes des lycées) et de l’accroissement
spectaculaire des taux de scolarisation dans le secondaire long. Ces luttes structu-
relles sont indissociables d’une défense de la culture élitaire. À travers l’étude des
variations des discours de distribution des prix durant un siècle, Viviane
Isambert-Jamati montre cependant que les conceptions dominantes de cette culture
évoluent, parfois de façon paradoxale. Alors qu’avant la guerre l’idéologie fait la
part belle aux langues vivantes, aux sciences et aux disciplines instrumentales
(former l’esprit plutôt que transmettre des savoirs), on assiste entre 1944 et 1964 à
un retour en force des valeurs humanistes et esthétisantes (raffiner les sentiments et
les goûts), des disciplines littéraires et philosophiques, de la connaissance gratuite,
du rejet de l’utilitarisme et de l’économisme. On voit que le curriculum formel n’est
jamais la simple traduction des besoins de la société ou de l’état objectif des savoirs,
mais que l’identité d’une catégorie d’établissements et d’un corps enseignant lui
donne sa figure propre.
L’article suivant, “ Une réforme des lycées et collèges. Essai d’analyse socio-
logique de la réforme de 1902 ”, part d’un matériau privilégié, parce qu’il donne à
voir les conceptions de multiples acteurs sociaux déterminant pour l’avenir de
l’enseignement secondaire : les agents du système, à commencer par les enseignants,
mais aussi les experts, les hommes politiques, les usagers, notamment les chambres
économiques. La réforme aboutit en 1902, mais elle est préparée par une vaste en-
quête parlementaire conduite en 1899, qui recueille 200 dépositions orales et autant
de prises de position écrites. L’enjeu est de taille : il s’agit d’adapter l’enseignement
secondaire à l’évolution de la structure sociale. Ce n’est pas la première réforme
d’importance, mais les précédentes n’ont pas sensiblement étendu le public des
lycées, le taux de scolarisation est inférieur à 5 % des classes d’âge concernées.
C’est en partie le fait de la coexistence entre les sections latin-grec qui recrutent
l’élite traditionnelle et un enseignement moderne dispensé parallèlement, mais de
statut inférieur. Apparaît alors la nécessité de diversifier les filières du secondaire